Décision

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Obodzinsky (Succession de Obodzinsky) c. Caisse Desjardins du Centre-Est de Montréal

2019 QCCQ 3506

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-22-235333-161

 

 

 

DATE :

8 mai 2019

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MARK SHAMIE, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

ANITA OBODZINSKY

et

ANITA OBODZINSKY, en sa qualité de liquidatrice

DE FEU LIDIA LAGODYCZ OBODZINSKY

Demanderesse

c.

CAISSE DESJARDINS DU CENTRE-EST DE MONTRÉAL

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]          Anita Obodzinsky réclame 75 000 $ en dommages parce que la Caisse Desjardins du Centre-est de Montréal (la Caisse Desjardins) a refusé de lui verser 100 000 $ provenant du compte d’épargne de sa mère, Lidia Lagodycz Obodzinsky (Mme Lagodycz) conformément à un mandat qu’elle lui avait confié.

[2]          La Caisse Desjardins nie toute responsabilité en ce qu’elle a honoré ses obligations et conséquemment n’a commis aucune faute. Elle plaide par ailleurs qu’il n’y a pas de lien de causalité entre la faute et les dommages allégués et que ceux-ci sont de toute façon ou bien indirects ou bien ne sont pas prouvés.

1.           QUESTIONS EN LITIGE

[3]          En faisant la synthèse des arguments plaidés de part et d’autre, les questions en litige peuvent se résumer à celles-ci :

1)   Est-ce que La Caisse Desjardins a engagé sa responsabilité en refusant de verser à Mme Obodzinsky la somme demandée ?

2)   Dans l’affirmative, quels sont les dommages directement causés par la faute de la Caisse Desjardins ?

2.           MISE EN CONTEXTE

[4]          Le 29 décembre 2015, Mme Obodzinsky se présente à la Caisse Desjardins rue Jean-Talon à Montréal avec en mains une procuration sous seing privé souscrite par elle-même et par sa mère, Mme Lagodycz.

[5]          La procuration est ainsi signée devant deux témoins, lesquels, selon la déclaration solennelle qu’ils ont souscrite devant l’avocat ayant préparé l’acte, Me Sergio Venneri, attestent la signature du document le 1er septembre 2015 par Mme Lagodycz devant lui et l’autre témoin.

[6]          Le témoignage de Mme Obodzinsky à propos de sa vacation à la Caisse Desjardins du 29 décembre 2015 peut se résumer comme ceci :

-                    Elle remet aux employés de la Caisse Desjardins qui l’ont reçue la procuration signée par sa mère devant Me Venneri le 1er septembre 2015;

-                    Elle demande que lui soient versés 100 000 $ comptant à partir du compte d’épargne de sa mère;

-                    Les employés lui disent qu’il faut un certain temps pour remettre une telle somme comptant;

-                    Elle demande alors que lui soient versés à partir du compte de sa mère 30 000 $ comptant et une traite bancaire à son ordre de 70 000 $;

-                    Les employés répondent qu’ils doivent au préalable consulter leurs services juridiques avant de faire ce qui est demandé.

[7]          Après vérification, une préposée de la Caisse Desjardins informe Mme Obodzinsky, au cours d’une conversation téléphonique, qu’elle ne donnera pas suite à sa demande.

[8]          Le 31 décembre 2015, Mme Obodzinsky transmet à la Caisse Desjardins un écrit signé par sa mère, Mme Lagodycz, l’autorisant à transférer 100 000 $ de son compte d’épargne dans le compte de sa fille, Anita Obodzinsky.

[9]          Le 4 janvier 2016, Lidia Lagodycz Obodzinsky décède.

[10]       Le 14 janvier 2016, Mme Obodzinsky écrit à Frédéric Dussault, l’ombudsman au sein des Caisses Desjardins, pour faire état du refus de la Caisse Desjardins de donner suite à sa demande et la tenir responsable des dommages qui en résultent.

[11]       Dans une lettre du 20 janvier 2016, la Caisse Desjardins réitère son refus de donner suite à sa demande fondée sur la procuration du 1er septembre 2015 parce que celle-ci représente un mandat donné en cas d’inaptitude soumis aux formalités des articles 2166 et 2167 C.c.Q. et pour d’autres raisons internes alors non spécifiées.

[12]       Dans une lettre du 8 février 2016, l’avocat de Mme Obodzinsky pour l’essentiel conteste les deux motifs de refus mentionnés précédemment et met en demeure la Caisse Desjardins de donner « une explication satisfaisante ».

[13]       La Caisse Desjardins, conformément à la même lettre du 8 février 2016, est informée du décès de Mme Lagodycz.

[14]       Elle répond le 10 février 2016 à Me Venneri en lui indiquant la procédure à suivre pour que les fonds soient transférés à la succession de Mme Lagodycz.

[15]       Le 12 février 2016, un compte au nom de la succession de Mme Lagodycz est ouvert par Mme Obodzinsky, la liquidatrice à sa succession.

[16]       Le compte d’épargne détenu par Mme Lagodycz est fermé le 12 février 2016 après que la totalité des sommes détenues dans ce compte ait été transférée dans le compte de sa succession.

[17]       Le 12 février 2016, une somme de 90 000 $ est retirée en conséquence d’une traite bancaire à l’ordre de Mme Obodzinsky et le 17 février 2016, elle a effectué un retrait de 10 000 $.

3.           ANALYSE

3.1.    Remarques générales

[18]       L’opération bancaire souhaitée le 29 décembre 2015 vise le compte d’épargne de Mme Lagodycz.

[19]       Les questions en litige doivent d’abord être analysées sous l’angle du rapport existant entre la Caisse Desjardins et sa cliente, Mme Lagodycz.

[20]       La Caisse Desjardins a un devoir de prudence et de diligence raisonnable dans l’administration des comptes bancaires, ce qui inclut notamment l’exécution des ordres de son client ou les opérations visant les transferts de fonds[1].

[21]       Dans le cadre des activités mentionnées au paragraphe précédent, la jurisprudence impute généralement aux institutions financières les obligations d’un mandataire[2].

[22]       Le défaut par l’institution financière d’honorer ses obligations engage sa responsabilité[3].

[23]       En vertu du principe de non-ingérence, l’institution financière n’a pas à tenir une enquête sur les transactions de ses clients ou s’ingérer dans ses affaires[4].

[24]       Toutefois, considérant son devoir de prudence et de diligence, l’institution financière se doit de rester vigilante et de faire des vérifications si la transaction souhaitée éveille des soupçons.

[25]       Dans l’ouvrage La responsabilité civile, les auteurs soulignent ce principe comme ceci :

[…] Néanmoins, dans certaines circonstances, par exemple, tenant à la nature de l’opération projetée ou lorsque l’autorité du mandataire (ou de l’administrateur du bien d’autrui) devrait apparaître douteuse et éveiller les soupçons de l’institution, celle-ci est tenue de procéder à une vérification. Cette vérification doit être réelle et l’institution ne peut se contenter des réponses évasives du mandataire. Sinon, on qualifiera son comportement d’aveuglement volontaire.[5]

                                                                                               (Soulignements ajoutés)

[26]       Le comportement de l’institution financière est analysé suivant le critère objectif du comportement raisonnable qu’aurait une institution exerçant les mêmes activités confrontée aux mêmes circonstances[6].

[27]       Dans le volume Droit bancaire, les auteurs précisent ceci :

[…] Ce devoir de diligence et de prudence raisonnable fait appel à l’application d’un critère objectif, celui de l’employé bancaire moyennement diligent et prudent, c’est-à-dire que les événements doivent être examinés tels qu’ils ont été perçus par les employés de la banque à l’époque où l’incident est survenu.[7]

[28]       Il convient d’examiner la conduite des préposés de la Caisse Desjardins afin de déterminer si elle a refusé à tort le transfert des fonds demandé par Mme Obodzinsky et, le cas échéant, si cette faute a occasionné des dommages à Mme Lagodycz ou à Mme Obodzinsky.

3.2.    La faute

[29]       Mme Obodzinsky demande le 29 décembre 2015 un transfert dans son compte personnel de 100 000 $ ce qui représente la presque totalité des sommes investies dans le compte d’épargne[8].

[30]       La demande présentée pour le compte de Mme Lagodycz est formulée sur la foi d’un mandat général[9] du 1er septembre 2015.

[31]       Aucun préposé de la Caisse Desjardins n’a donc pu constater le consentement de Mme Logodycz ni n’est en mesure d’attester sa volonté de transférer dans le compte de sa fille une somme aussi importante qui a l’effet pratique de vider son compte.

[32]       Les souvenirs de Mme Obodzinsky sur les circonstances entourant sa rencontre du 29 décembre 2015 demeurent assez vagues.

[33]       Elle confond le moment de cette rencontre[10].

[34]       Elle dit dans un premier temps qu’elle ne se souvient pas de ce qu’elle a dit au représentant de la Caisse Desjardins puis se reprend comme ceci :

A.

I can’t recall what I said to them. You have to understand, I was with my mother three or four times a day.

Q.

Of course, I am just saying…

A.

I was not thinking of, you know, did I say this about the icon, did I not? I honestly don’t remember what I said.

Q.

Okay, so you do not recall whether or not you discussed with them the fact that you were purchasing an icon for your mother?

A.

I don’t recall. All I remember, to be honest, is that I told them my mother was in the hospital, she was ill, and I needed the money to do all kinds of things because of that. Did I discuss specifically in particular the icon with them, the purchase? I cannot recall that.[11]

[35]       L’un des préposés de la Caisse Desjardins ayant rencontré Mme Obodzinsky durant la période pertinente, Laurent Chartrand, alors directeur du développement du marché auprès de la clientèle retraitée, ne se souvient pas qu’elle ait invoqué quelques motifs pour justifier le transfert.

[36]       Sandrine Champmartin, conseillère en gestion de patrimoine auprès de la clientèle retraitée, est la première préposée de la Caisse Desjardins à avoir rencontré Mme Obodzinsky le 29 décembre 2015.

[37]       Mme Champmartin affirme catégoriquement que Mme Obodzinsky ne donne aucune explication sinon qu’elle souhaite obtenir 30 000 $ comptant et une traite bancaire de 70 000 $ en son nom.

[38]       Mme Champmartin est donc confrontée à une problématique pouvant se décrire comme ceci :

Une personne qui se dit mandataire d’une cliente aux termes d’un mandat qu’elle ne connaît pas demande en quelque sorte de vider le compte d’épargne de cette cliente pour des motifs qui au mieux restent vagues.

[39]       Une telle situation aurait éveillé la méfiance de n’importe quelle institution financière.

[40]       Dans les circonstances, la Caisse Desjardins devait s’informer davantage conformément à son devoir de prudence et de diligence.

[41]       Selon son témoignage, Mme Champmartin est retournée à son bureau après avoir rencontré Mme Obodzinsky avec la procuration en main pour vérifier le dossier physique de la Caisse Desjardins relatif à Mme Lagodycz et de prendre connaissance des notes dans son dossier informatique afin de déterminer ceci :

-                   La nature du compte;

-                   Les personnes aptes à transiger dans le compte;

-                   L’existence ou non d’une procuration à l’interne.

[42]       Le dossier contient le formulaire d’adhésion d’origine signé par Mme Lagodycz le 5 novembre 2007 avec une procuration en faveur de Mme Obodzinsky qu’elle a accepté le même jour.

[43]       Mme Lagodycz a révoqué cette procuration le 12 janvier 2010.

[44]       Le dossier informatique de Mme Lagodycz contient de plus des notes rédigées comme ceci :

2010-01-28

*******************************

TOUJOURS RÉFÉRER À PHILIPPE ROLLIN ou CAROLE COMEAU SANS DISCUTION, MERCI

Sa fille ANITA, N’A PU LE DROIT À AUCUN ACCÈS au COMPTE ET PLACEMENT.

*******************************

2010-01-12 RETIRÉ PROCURATION SUR LE COMPTE, SA FILLE VENAIT RETIRER DES MONTANTS SUPÉRIEURS AU MONTANT PERMIS PAR MME ET SA MÈRE EST TERRIFIÉ DE CONTINUER À SE FAIRE VOLER DE L’ARGENT. JESSIE FORTIN TREMBLAY

2010-01-27 Sa fille Anita a…      2010-02-18

2010-01-27 sa fille Anita a essaie de sortir 7000$ refus de ma part PR (sic)

[45]       Le témoignage de Philippe Rollin (PR), conseiller en investissement et retraite à la Caisse Desjardins en janvier 2010, se résume comme ceci;

-                    Mme Lagodycz s’est présentée à la Caisse Desjardins en pleurs le 12 janvier 2010 pour le rencontrer;

-                    Mme Lagodycz lui déclare ceci : « son gendre et sa fille lui volent son argent et ils attendent juste qu’elle décède pour hériter »;

-                    Il dit à Mme Lagodycz qu’elle doit retirer la procuration puisqu’elle lui mentionne qu’elle ne veut plus que sa fille ait accès à son compte;

-                    Mme Lagodycz lui dit qu’elle veut léguer ses biens à sa petite-fille;

-                    Son adjointe, Carole Comeau, est allée chercher une caissière pour accompagner Mme Lagodycz afin qu’elle signe un retrait de procuration;

-                    La note au dossier pour rapporter l’événement du 12 janvier 2010 et le retrait de procuration a été inscrite au dossier informatique par Jessie Fortin Tremblay à la demande de M. Rollin à la suite d’un autre événement survenu le 27 janvier 2010;

-                    La note sur le retrait de procuration ainsi que celle précisant que Mme Obodzinsky n’a plus accès au compte ont été ajoutées le 28 janvier 2010;

-                    Le 27 janvier 2010, Mme Obodzinsky s’est présentée à la Caisse Desjardins pour retirer 7 000 $ et il a refusé ce retrait;

-                    Il dit avoir expliqué à Mme Obodzinsky qu’il refuse l’ordre de paiement parce qu’il n’y a plus de procuration et qu’il refuse même de donner toute information sur le compte;

-                    Il a écrit la note sur la tentative de retrait du 27 janvier 2010, le 18 février 2010 avant de quitter la Caisse Desjardins.

[46]       M. Rollin a un bon souvenir des événements, car, comme il le précise, ce n’est pas tous les jours qu’un membre entre en pleurs dans la Caisse Desjardins pour se confier.

[47]       Le témoignage de Mme Fortin Tremblay peut se résumer comme ceci :

-                    Mme Lagodycz se plaint que des montants sont prélevés dans son compte sans son autorisation et elle veut que cela cesse;

-                    Elle a rédigé sur le formulaire d’adhésion où apparaît la procuration la phrase « je renonce à la procuration » et a inscrit la date soit le 12 janvier 2010;

-                    Elle a mis un X à côté de l’endroit où doit signer Mme Lagodycz. Elle a ensuite apposé l’étampe « annuler » et immédiatement à côté, elle a écrit à nouveau la date et les mots « renonce à la procuration »;

-                    Mme Lagodycz a signé devant elle et elle a signé comme témoin;

-                    Mme Lagodycz a signé le même jour un nouveau formulaire d’adhésion sans procuration pour régulariser le dossier.

[48]       Ces deux témoignages concordants, sincères et sans contradiction, étayés d’une preuve documentaire contemporaine aux événements et qu’ils ont eux-mêmes rédigé ou fait rédiger, revêtent une grande force probante.

[49]       La seule manière dont est aménagée la salle d’attente adjacente à son poste de travail ne suffit pas pour conclure que Mme Fortin Tremblay a menti lorsqu’elle a affirmé qu’elle n’a pas vu Mme Lagodycz se déplacer.

[50]       Mme Lagodycz a signé deux fois le 12 janvier 2010 en l’occurrence la révocation de mandat et le nouveau formulaire d’adhésion sans procuration.

[51]       Pour sa part, Mme Obodzinsky affirme qu’elle ne savait pas que la procuration a été annulée[12].

[52]       Elle en est pourtant informée selon M. Rollin et selon une note du 31 décembre 2010 d’un autre préposé de la Caisse Desjardins, Nick Dimakis : « […] Je lui mentionner qu’il n’y a pas de procuration sur le compte et seul sa mère peut transiger (sic) »[13].

[53]       Le Tribunal retient la version des préposés de la Caisse Desjardins beaucoup plus vraisemblable dans les circonstances.

[54]       Mme Obodzinsky connaît l’existence de la procuration d’origine puisqu’elle l’a signé et elle n’aurait pas tenté de faire la transaction le 29 décembre 2015 avec la procuration sous seing privé du 1er septembre 2015 si elle ne savait pas que la procuration du 5 novembre 2007 avait été annulée.

[55]       Le 31 décembre 2015, après la vérification auprès du service juridique, Mme Champmartin informe Mme Obodzinsky lors d’une conversation téléphonique que la Caisse Desjardins n’exécutera pas le transfert souhaité sur la base du mandat du 1er septembre 2015.

[56]       Selon son témoignage, Mme Champmartin précise qu’il lui faut parler à Mme Lagodycz afin de vérifier ses volontés, mais Mme Obodzinsky lui répond qu’elle est hospitalisée et injoignable.

[57]       Après avoir informé Mme Obodzinsky du refus de la Caisse Desjardins d’exécuter la transaction, M. Chartrand, dans une tentative de trouver une solution, offre à Mme Obodzinsky de communiquer avec sa mère, Mme Lagodycz par téléphone ou même de se déplacer à l’hôpital pour la rencontrer afin de vérifier ses volontés.

[58]       Selon le témoignage de M. Chartrand, Mme Obodzinky n’autorise pas cette démarche parce que sa mère n’est pas dans une bonne disposition pour lui parler parce qu’elle est hospitalisée.

[59]       Pour sa part, Mme Obodzinsky, lors de l’interrogatoire hors cour, ne se souvient pas d’avoir eu une discussion à cet égard ni que les préposés à la Caisse Desjardins lui ont fait une telle demande :

Q.

Did they ever request your permission to call you mother?

A.

No, why would they request my permission?

Q.

To request the coordinates of your mother, where she was.

A.

They never ask me that.

[…]

 

Q.

Okay. Do you recall that they had suggested that they would attend your mother’s room at Santa Cabrini in order to discuss with her?

A.

I don’ recall that.

Q.

You don’t recall that?

A.

No.

Q.

You don’t recall discussing that, or answering that your mother was not in a proper condition to receive them? No?

A.

I said to them she is at Santa Cabrini, okay? If they wished to visit her or not, I don’t recall that conversation. I don’t recall them saying to me they wanted to visit her at Santa Cabrini.

[…]

 

A.

No, in fact I recall the opposite, where Mme. Champmartin said - […] and she didn’t say she wanted to go to Santa Cabrini to see my mother.

[…]

 

A.

Mr. Chartrand, I don’t recall if he wanted to go to Santa Cabrini. I don’t even recall discussing that with him.[14]

[60]       Lors de l’instruction en 2019, à peu près deux ans plus tard, elle dit qu’elle ne se souvient pas de ce que les représentants de la Caisse Desjardins lui ont dit, mais elle se souvient leur avoir dit qu’il n’y a pas de problème s’ils veulent visiter sa mère à l’hôpital, car ils n’ont pas besoin de sa permission.

[61]       Or, la conversation à cet égard ne peut à la fois avoir eu lieu et ne pas avoir eu lieu et il est inutile pour Mme Obodzinsky de préciser que son autorisation n’est pas requise si aucune demande ne lui est formulée. Elle ne donne pas cette précision lors de son interrogatoire en 2017.

[62]       Le Tribunal retient la version de M. Chartrand et de Mme Champmartin beaucoup plus fiable et dénuée de toutes contradictions significatives.

[63]       La décision de M. Chartrand de s’abstenir de communiquer avec sa cliente malade à l’hôpital parce qu’il n’a pas l’autorisation de la famille paraît dans les circonstances raisonnable, le compte, d’un autre côté, demeurant protégé.

[64]       Selon la preuve, la Caisse Desjardins est fermée pour les Fêtes de Noël du 24 au 28 décembre 2015 inclusivement et du 31 décembre 2015 au 4 janvier 2016 inclusivement.

[65]       Mme Champmartin précise que la Caisse Desjardins a fermé à midi le 31 décembre 2015, les employés étant partis à 12 h 30 et la Caisse a repris ses activités le 5 janvier 2016.

[66]       Le 31 décembre 2015, Mme Obodzinsky transmet par télécopieur à l’attention de Mme Champmartin un écrit signé par sa mère pour autoriser le transfert de 100 000 $.

[67]       L’écrit est reçu par la Caisse Desjardins le 31 décembre 2015 à 14 h 04 alors qu’elle est fermée.

[68]       M. Chartrand indique avoir pris connaissance de cet écrit le 5 janvier 2016, à son retour de congé, lequel n’a toutefois pas modifié sa position puisqu’il ne peut pas communiquer avec Mme Lagodycz pour confirmer sa volonté.

[69]       Le refus de la Caisse Desjardins d’effectuer le transfert sur la base de la demande du mandataire postérieurement au décès du mandant le 4 janvier 2016 ne peut de toute façon pas engager sa responsabilité comme le Tribunal en fera état ultérieurement.

[70]       En somme, il n’est pas établi que la Caisse Desjardins a commis une faute en refusant d’exécuter la demande de transfert les 29, 30 et 31 décembre 2015 pour les motifs pouvant être résumés comme ceci :

-                    Le montant du transfert représente la quasi-totalité des sommes investies dans le compte d’épargne de Mme Lagodycz;

-                    La demande est formulée sur la base d’une procuration externe;

-                    Les préposés de la Caisse Desjardins ne sont pas en mesure de vérifier la volonté de Mme Lagodycz;

-                    L’annulation d’une procuration antérieure pour les motifs troublants mentionnés dans les notes dans le dossier de la Caisse Desjardins comme confirmées par ceux qui les ont indiquées ou rédigées;

-                    Mme Lagodycz est une personne âgée, malade et hospitalisée. Elle décèdera le 4 janvier 2016. Elle représente une personne vulnérable, susceptible de faire l’objet d’une exploitation[15]. Dans ce contexte la Caisse Desjardins doit d’autant plus rester vigilante pour protéger sa cliente.

[71]       Considérant l’ensemble des circonstances, la Caisse Desjardins a donc exercé son devoir de prudence et de diligence et c’est plutôt son défaut d’avoir honoré ce devoir qui aurait pu engager sa responsabilité.

3.3.    Les dommages et le lien causal

[72]       Mme Obodzinsky a le fardeau d’établir par une preuve prépondérante une faute commise par la Caisse Desjardins, ce qu’elle n’a pas fait comme le Tribunal l’a déjà déterminée, les dommages que cette faute a pu causer de même que le lien de causalité entre cette faute et les dommages.

[73]       La réclamation totalisant 75 000 $ se répartit comme ceci :

1)     Perte d’un dépôt pour l’achat d’une icône :

15 000 $

2)     Perte pour la revente forcée par la demanderesse d’un bracelet Birks donné par sa mère :

8 000 $

3)     Coût de l’enterrement :

7 000 $

4)     Coût du cercueil :

5 000 $

5)     Coût anticipé de l’exhumation :

10 000 $

6)     Coût de la deuxième cérémonie :

5 000 $

7)     Dommages moraux :

15 000 $

8)     Dommages punitifs :

10 000 $

TOTAL

75 000 $

[74]       La preuve de la perte liée à l’icône, outre le témoignage de Mme Obodzinsky, repose exclusivement sur une facture du 29 décembre 2015 de Odessa Antiquités et Monnaies (Odessa), laquelle doit étayer la valeur du bien, la preuve de paiement du dépôt et la perte de celui-ci considérant la date où le solde devait être payé.

[75]       L’achat survient le jour même de la démarche auprès de la Caisse Desjardins pour obtenir un transfert de 100 000 $.

[76]       La preuve n’indique pas si l’achat survient avant ou après la demande de transfert.

[77]       La réclamation suppose que Mme Obodzinsky n’est pas en mesure de faire les dépenses dictées par les circonstances, mais la preuve n’établit pas qu’elle n’est pas en mesure de le faire quitte à être remboursées.

[78]       L’achat aux conditions qui auraient été convenues demeure imprudent dans le contexte. La facture prévoit en effet ceci :

Russian - Greer icon […] evaluation about 40000 Euro.

Deposit 15000 Can.

Balance has to be paid within one week after deposit on 05/01/2016

Condition:

If Balance of 25000 $ Can not paid within one week

on 05/01/2016 We keep the deposit and transaction is canceled. (sic)

[79]       Aucun des représentants de la vendeuse n’a témoigné. Il n’y a aucun autre document pour étayer un transfert d’argent, la valeur du bien ou même pour montrer ce bien.

[80]       Le document suppose au demeurant une certaine capacité financière de Mme Obodzinsky pour pouvoir payer 15 000 $ et supporter un risque pour le solde.

[81]       Cette clause excessive qui oblige le consommateur à payer une somme importante en cas de défaut de verser le solde du prix de vente dans un court délai est contestable considérant l’article 13 de la Loi sur la protection du consommateur (RLRQ, ch. P-40.1).

[82]       Les parties ont simplement indiqué sur la facture le 6 janvier 2016 ceci : « Transaction is canceled and deposit forfeited ».

[83]       Il n’y a aucune explication pour justifier la rigueur de la condition prévoyant la confiscation du dépôt après un si court délai.

[84]       La perte, si elle a été réellement subie, n’est pas directement causée par un comportement fautif de la Caisse Desjardins, à supposer qu’il y en a eu un, mais en raison des conditions excessives apparemment consenties.

[85]       La preuve de la perte n’est pas convaincante et le dommage lui-même est indirect.

[86]       Par ailleurs, la perte de 8 000 $ résulterait de la vente forcée le 8 janvier 2016 pour 2 000 $ d’un bracelet ayant une valeur de 10 000 $.

[87]       Outre le témoignage de Mme Obodzinsky, la preuve de la perte repose entièrement sur une facture du même commerçant, Odessa, devant établir la propriété antérieure du bracelet et son existence, sa valeur et le prix obtenu.

[88]       Comme déjà signalé, aucun représentant de Odessa n’a été entendu pour confirmer la transaction et établir son expertise.

[89]       La facture fait état d’une évaluation par Birks qui n’est pas produite pas plus que des photos montrant le bracelet.

[90]       Dans la mesure où la valeur repose sur l’opinion de Birks qui n’a pas été entendue et son estimation qui n’a pas été produite, la preuve représente au mieux du ouï-dire sans force probante.

[91]       Par ailleurs, l’urgence de vendre le bracelet le 8 janvier 2016, au demeurant quelques jours après le décès de Mme Lagodycz, n’est pas démontrée selon le standard de preuve requise.

[92]       Or, Mme Champmartin signale que Mme Obodzinsky étant elle-même membre de la Caisse Desjardins, aurait pu obtenir un financement pour faire les dépenses nécessitées par les circonstances.

[93]       L’option de financer les dépenses est d’autant plus réaliste que Mme Obodzinsky est la seule héritière de Mme Lagodycz.

[94]       Mme Obodzinsky dira à cet égard qu’elle connaissait l’existence du testament et étant l’enfant unique de Mme Lagodycz qu’elle était la seule héritière.

[95]       Or, les mandats qu’aurait pu confier Mme Lagodycz à Mme Obodzinsky afin d’obtenir le transfert du 100 000 $ particulièrement ceux du 1er septembre 2015 et du 31 décembre 2015 ont pris fin avec le décès de Mme Lagodycz le 4 janvier 2016 conformément à l’article 2175 C.c.Q.

[96]       Le Tribunal a déterminé que la Caisse Desjardins n’est pas fautive lorsqu’elle refuse le transfert avant le 4 janvier 2016. Après cette date, elle ne peut plus le faire sur la base des procurations.

[97]       Il faut donc conclure qu’il n’y a pas de lien logique direct et immédiat[16] entre les dommages subis postérieurement au 4 janvier 2016[17] et le refus de la Caisse Desjardins d’exécuter le transfert sur la foi de ces mandats.

[98]       Mme Obodzinsky se devait d’exercer ses devoirs de liquidatrice à la succession de Mme Lagodycz dans les meilleurs délais pour obtenir les fonds dont elle a besoin, particulièrement pour les funérailles ou encore obtenir par un autre moyen, comme un financement, ce dont elle a besoin pour faire le pont jusqu’à ce que l’avoir de Mme Lagodycz soit transféré à sa succession.

[99]       Or, la Caisse Desjardins est informée pour la première fois du décès de Mme Lagodycz par lettre de Me Venneri du 8 février 2016 et dès le 10 février 2016, conformément à une lettre de la directrice générale de la Caisse Desjardins, Danielle Héneault, Me Venneri est informé des formalités à remplir pour un transfert des fonds.

[100]    De fait, la succession de Mme Lagodycz touche les fonds comme signalé antérieurement, le 12 février 2016, une grande partie desquels étant transférée le même jour à Mme Obodzinsky.

[101]    La vente du bracelet aurait pu être évitée et cette perte ne peut être reliée à une quelconque faute de la Caisse Desjardins.

[102]    La preuve des dommages réclamés aux postes 3 à 6 décrits précédemment au paragraphe 73 n’est pas convaincante. Ils réfèrent essentiellement au coût de nouveaux frais funéraires parce que Mme Lagodycz n’a pas obtenu les services souhaités selon ses dernières volontés.

[103]    Les coûts de l’exhumation, du second cercueil et de la seconde cérémonie sont fondés sur des estimations provenant de tiers qui n’ont pas été entendus.

[104]    Cette preuve par ouï-dire n’a pas de grande force probante.

[105]    L’estimation du prix de la seconde cérémonie repose sur le prix réclamé pour la première cérémonie aux termes d’une facture du 1er juin 2016.

[106]    Or, le prix d’un cercueil est déjà inclus dans cette facture ce qui représente en partie une double réclamation puisque deux cercueils ne sont pas nécessaires.

[107]    Les dommages réclamés à cet égard sont incertains puisque Mme Obodzinsky dit qu’elle n’a pas décidé ce qu’elle ferait[18].

[108]    En somme, les dommages réclamés et décrits précédemment aux postes 2 à 6 du paragraphe 73 doivent être de toute façon rejetés pour des motifs pouvant être résumés comme ceci :

-                    Ils ne sont pas directement causés par une faute commise par la Caisse Desjardins;

-                    La preuve de ces dommages n’est pas convaincante et en grande partie, ces dommages sont incertains;

-                    Ces dommages auraient pu être évités et dans ce sens, Mme Obodzinsky n’a pas minimisé ses dommages.

[109]    Considérant les conclusions du Tribunal, la réclamation en dommages moraux et en dommages punitifs est mal fondée.

[110]    La Caisse Desjardins a correctement respecté son devoir de prudence et de diligence afin de protéger sa cliente. Elle a manifesté le comportement attendu d’elle selon le critère de l’institution financière raisonnablement prudente et diligente.

[111]    Un tel comportement a pour conséquence d’éviter des dommages et non d’en créer. Il n’est pas établi que la Caisse Desjardins a commis une faute.

[112]    Par ailleurs, Mme Obodzinsky ne soulève aucune disposition législative particulière sur la base de laquelle la réclamation en dommages punitifs est fondée même s’il est nécessaire que l’attribution des dommages de cette nature soit prévue par la loi [19].

[113]    En supposant que la réclamation, tant pour le préjudice moral que pour les dommages punitifs, soit fondée sur la Charte des droits et libertés, il y a lieu de rejeter cette demande.

[114]    En effet, il n’est pas établi qu’il y a eu une atteinte illicite et intentionnelle à un droit ou liberté reconnus par cette loi en conséquence de la conduite de la Caisse Desjardins[20].

POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

[115]    REJETTE la demande introductive d’instance avec les frais de justice en faveur de la défenderesse.

 

 

 

__________________________________

MARK SHAMIE, J.C.Q.

 

Anita Obodzinsky

Personnellement

 

Me Justin Beeby

Robinson Sheppard Shapiro

Avocats de la défenderesse

 

Dates d’audience :

30 et 31 janvier, 1er février et 26 avril 2019

 



[1]     Nicole L’HEUREUX et Marc LACOURSIÈRE, Droit bancaire, 5e éd., Cowansville, Édition Yvon Blais, 2017, p. 450 - 451, paragr. 628. Voir aussi Jean-Louis BEAUDOIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, vol. 2, 8e éd., Cowansville, Édition Yvon Blais, 2014, paragr. 2-432 et 2-434.

[2]     Ibid.

[3]     Ibid. Voir également les articles 1458 et 2138 C.c.Q.

[4]     La responsabilité civile, supra note 1, paragr. 2-425 et Droit bancaire, supra note 1, paragr. 629.

[5]     La responsabilité civile, supra note 1, paragr. 2-428. Voir également Droit bancaire, supra note 1, paragr. 722.

[6]     La responsabilité civile, supra note 1, paragr. 432.

[7]     Droit bancaire, supra note 1, paragr. 626. Voir également M'Boutchou c. Banque de Montréal, 2008 QCCS 5561, paragr. 43 à 47.

[8]     Le solde du compte s’élève à 101 021,31 $ en date du 12 février 2016.

[9]     Par opposition à spécifique aux transactions bancaires.

[10]    Interrogatoire hors cour de Anita Obodzinsky du 17 mars 2017, p. 35, lignes 22 à 25, p. 36, lignes 1 et 2 et p. 37, lignes 1 à 4. Le 29 décembre 2015 est un mardi.

[11]    Interrogatoire hors cour, supra note 10, p. 36, lignes 4 à 19.

[12]    Interrogatoire hors cour, supra note 10, p. 25, lignes 20 à 25 et p. 26, lignes 8 à 17. Elle dira la même chose lors de l’instruction en précisant que sa mère ne lui a jamais dit qu’elle a révoqué la procuration.

[13]    Pièce D-2, p. 2, partie d’une note du 31 décembre 2010.

[14]    Interrogatoire hors cour, supra note 10, p. 58, lignes 5 à 10 et 25, p. 59, lignes 1 à 13, 15, 16, 21, 22, 24 et 25, et p. 60, ligne 1.

[15]    Art. 48 de la Charte des droits et libertés de la personne (RLRQ, ch. C-12, ci-après Charte des droits et liberté). Voir à ce sujet Vallée c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, [2005] QCCA 316, paragr. 23 à 25.

[16]    Voir Jean-Louis BEAUDOIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, vol. 1, 8e éd., Cowansville, Édition Yvon Blais, 2014, paragr. 683.

[17]    Ce qui exclut l’icône puisque acheté le 29 décembre 2015.

[18]    Interrogatoire hors cour, supra note 10, p. 55 lignes 13 à 15, p. 56, lignes 8 à 13.

[19]    Art. 1621 C.c.Q.

[20]    Voir notamment Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, paragr. 115 à 121, Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., 2011 CSC 9, paragr. 23 et Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2019 QCCA 358, paragr. 989 à 992.

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