Chalifoux et CDCU |
2012 QCCLP 902 |
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Dossier 436881-08-1104
[1] Le 26 avril 2011, madame Marjolaine Chalifoux (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 14 avril 2011 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu'elle a initialement rendue le 23 février 2011 et déclare qu'elle était justifiée de suspendre à compter du 14 février 2011 le versement de l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle a droit madame Chalifoux.
Dossier 452095-08-1110
[3] Le 17 octobre 2011, madame Chalifoux dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la CSST rendue le 7 octobre 2011 à la suite d'une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu'elle a initialement rendue le 8 juillet 2011 et déclare qu'elle était justifiée de maintenir, le 9 juin 2011, la suspension du versement de l'indemnité de remplacement du revenu.
[5] La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience à Val-d'Or le 12 janvier 2012. Madame Chalifoux était présente et elle était représentée. C.D.C.U. (l'employeur) était également présent (madame Micheline Durand) et représenté. La CSST était représentée.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
[6] En ce qui concerne sa première contestation, madame Chalifoux prétend que la CSST ne pouvait pas suspendre, à compter du 14 février 2011, le versement de l'indemnité de remplacement du revenu parce que l'assignation temporaire n'était pas valide et qu'elle avait un motif raisonnable de refuser de faire le travail que l'employeur voulait lui assigner temporairement. Elle demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu'elle a droit à la poursuite du versement de l'indemnité de remplacement du revenu à compter du 14 février 2011.
[7] En ce qui concerne sa seconde contestation, madame Chalifoux demande de déclarer qu'elle a droit au versement de l'indemnité de remplacement du revenu à compter du 9 juin 2011 parce qu'elle a démissionné et que le lien d'emploi n'existe plus.
LES FAITS
[8] Le tribunal retient les éléments suivants des documents contenus au dossier et du témoignage de madame Chalifoux.
[9] Au moment de la survenance de sa lésion professionnelle, madame Chalifoux occupe un emploi d'aide ménagère à temps partiel chez l'employeur depuis le mois d'octobre 2009.
[10] Elle demeure à Senneterre et elle effectue son travail à cet endroit. Celui-ci consiste à faire l'entretien ménager dans des résidences privées et à accompagner les personnes qui y habitent pour certains déplacements. Au cours de sa dernière année de travail, son horaire de travail était de 18 heures par semaine réparties sur trois jours.
[11] Le 15 avril 2010, en lavant un plancher à genoux, elle subit une lésion professionnelle au genou droit à la suite d'un faux mouvement. On diagnostique au départ une entorse au genou et par la suite, une déchirure du ménisque interne du genou droit.
[12] Le 22 octobre 2010, le docteur Robert Adam, orthopédiste, effectue une méniscectomie au genou droit.
[13] En décembre 2010, madame Chalifoux déménage à Malartic pour suivre son conjoint qui a obtenu un emploi à la mine de cette ville. La maison qu'ils possèdent à Senneterre est vendue au cours ce même mois.
[14] Le 21 décembre 2010, le docteur Adam fait état de la persistance d'une douleur et d'un épanchement et il rapporte une légère amélioration en physiothérapie. Il effectue une infiltration.
[15] Le 27 janvier 2011, il fait mention d'une amélioration de 50 % et il refuse une demande d'assignation temporaire que lui présente l'employeur en cochant non aux trois questions suivantes que comporte le formulaire :
1. Est-ce que le travailleur ou la travailleuse est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail ?
2. Ce travail est-il sans danger pour sa santé, sa sécurité et son intégrité physique compte tenu de sa lésion ?
3. Ce travail est-il favorable à sa réadaptation ?
[16] Il ajoute au bas de ces trois questions : « ne peut conduire sur de longues distances ». Le trajet en automobile de Malartic à Senneterre prend environ une heure et quart.
[17] Le 8 février 2011, il transmet la lettre suivante à l'agente d'indemnisation :
En réponse à votre télécopie du 7 février 2011, j'ai révisé le dossier de cette patiente. Je pense qu'elle aurait pu raisonnablement être en mesure d'accomplir les tâches décrites par l'employeur n'eût été de la distance à voyager entre Malartic et Senneterre.
[18] La lettre que la CSST lui a fait parvenir par télécopieur le 7 février 2011 ne fait pas partie des documents contenus au dossier transmis à la Commission des lésions professionnelles.
[19] Le 23 février 2011, en vertu de l'article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), la CSST suspend le versement de l'indemnité de remplacement du revenu et ce, à compter du 14 février 2011. Elle confirmera cette décision le 14 avril 2011 à la suite d'une révision administrative.
[20] Le 8 mars 2011, le docteur Adam complète un nouveau formulaire d'assignation temporaire dans lequel il donne son accord au travail proposé par l'employeur. Le même jour, il recommande la poursuite de la physiothérapie en raison de la persistance de la douleur au genou droit.
[21] Le 29 mars 2011, le docteur Adam pose le diagnostic de chondromalacie. Dans une lettre transmise le même jour à la CSST, il indique que celle-ci est reliée à l'événement du 15 avril 2010. Il écrit ce qui suit :
(…) Celle-ci a été opérée le 22 octobre, c'est-à-dire plusieurs mois après l'accident. Lors de l'examen, nous avons constaté qu'il y avait des lésions légères d'arthrose au niveau du condyle fémoral interne et ces lésions peuvent très bien avoir été causées par une contusion du cartilage lors du traumatisme ou par le fait que le ménisque était déchiré et qu'il a pu endommager jusqu'à un certain point le cartilage articulaire. Depuis son intervention, celle-ci continue à présenter des douleurs au genou et n'a pu reprendre son travail à temps complet. C'est pourquoi nous pensons qu'il y a relation entre le traumatisme et l'état du cartilage du genou et nous avons donc suggéré des infiltrations d'Orthovisc afin d'améliorer la situation et de lui permettre de reprendre ses occupations habituelles.
[22] Il convient de noter que l'on ne retrouve pas au dossier une décision de la CSST refusant le diagnostic de chondromalacie.
[23] Le 6 avril 2011, le docteur Adam effectue une infiltration d'Orthovisc pour cette condition et il met fin à la physiothérapie.
[24] Le 3 mai 2011, il émet un rapport final dans lequel il consolide la déchirure méniscale. Il indique qu'elle entraîne une atteinte permanente à l'intégrité physique et des limitations fonctionnelles et qu'il ne produira pas de rapport d'évaluation médicale. Une radiographie effectuée le même jour confirme la présence d'arthrose au genou droit de madame Chalifoux.
[25] Le 31 mai 2011, le docteur Adam transmet une lettre à la CSST dans laquelle il établit des limitations fonctionnelles qu'il recommande de réévaluer un an plus tard. Le rapport d'évaluation médicale devait être produit plus tard par un autre orthopédiste.
[26] Les limitations fonctionnelles établies par le docteur Adam amènent la CSST à reconnaître à madame Chalifoux le droit à la réadaptation et à entreprendre des démarches auprès de l'employeur afin d'identifier un emploi convenable qu'elle pourrait exercer chez lui.
[27] Le 9 juin 2011, madame Chalifoux démissionne de son emploi. L'employeur lui remet un formulaire de cessation d'emploi.
[28] Le 4 juillet 2011, le représentant de madame Chalifoux demande à la CSST de reprendre le versement de l'indemnité de remplacement du revenu à compter du 9 juin 2011, étant donné sa démission.
[29] Le 8 juillet 2011, la CSST refuse cette demande et elle maintient la suspension de l'indemnité de remplacement du revenu au motif que l'assignation temporaire est toujours disponible et qu'une démarche de réadaptation est en cours. Elle confirmera cette décision le 7 octobre 2011 à la suite d'une révision administrative.
[30] Lors de son témoignage, madame Chalifoux explique qu'elle a refusé de faire l'assignation temporaire proposée par l'employeur parce qu'elle ne peut pas conduire son automobile pour de longues distances en raison de la condition de son genou droit. Elle ressent une douleur constante lorsqu'elle appuie sur l'accélérateur et sur le frein. Elle affirme qu'elle n'avait aucun problème aux genoux avant l'événement du 15 avril 2010.
[31] Elle explique qu'elle peut conduire son automobile, mais pour de courtes distances d'une durée d'une quinzaine de minutes. Lorsqu'elle a fait le trajet de Malartic à Senneterre pour aller rencontrer son médecin, elle a dû arrêter pendant environ cinq minutes pour reposer son genou.
[32] Madame Chalifoux explique qu'elle a donné sa démission parce qu'elle savait qu'elle ne pourrait se rendre chez l'employeur à cause de la condition de son genou. Elle soumet de plus que l'emploi convenable que ce dernier lui offrait comportait des tâches cléricales et elle n'aime pas le travail de bureau. Si elle avait été consolidée sans séquelles douloureuses, elle aurait pu demander à l'employeur de concentrer ses heures de travail sur deux jours plutôt que sur trois pour continuer à travailler pour lui.
L’AVIS DES MEMBRES
[33] En ce qui concerne le dossier 436881-08-1104, le membre issu des associations d'employeurs est d'avis que la requête doit être rejetée.
[34] Il estime que l'assignation temporaire autorisée par le médecin de madame Chalifoux le 8 février 2011 est valide et que celle-ci n'a pas démontré l'existence d'une raison valable pour justifier son refus de faire le travail proposé par l'employeur puisqu'elle était capable de se rendre à Malartic en prenant une pause.
[35] Le membre issu des associations syndicales est d'avis pour sa part que la requête doit être accueillie.
[36] Il retient que l'assignation temporaire autorisée par le docteur Adam le 8 février 2011 n'est pas valide en raison de l'intervention de la CSST auprès de ce médecin et que par ailleurs, de toute façon, les difficultés de conduite que madame Chalifoux rencontrait constituaient une raison valable pour refuser d'effectuer le travail proposé par l'employeur.
[37] En ce qui concerne le dossier 452095-08-1110, le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d'avis que la requête doit être accueillie. Ils estiment que la démission de madame Chalifoux a mis fin au lien d'emploi de telle sorte que l'employeur ne pouvait plus recourir à la procédure d'assignation temporaire. Dans ce contexte, la CSST n'était pas justifiée de maintenir la suspension de l'indemnité de remplacement du revenu.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[38] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST était justifiée de suspendre le versement de l'indemnité de remplacement du revenu le 14 février 2011 et de maintenir cette suspension après la démission de madame Chalifoux le 9 juin 2011.
[39] C'est en vertu de l'article 142, paragraphe 2 e) que la CSST a suspendu le versement de l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle avait droit madame Chalifoux en raison de la survenance de sa lésion professionnelle. Cet article se lit comme suit :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
[…]
2° si le travailleur, sans raison valable :
[…]
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 ;
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1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[40] La suspension du versement d'une indemnité de remplacement du revenu n'est possible que si l'assignation temporaire répond aux conditions prévues à l'article 179 de la loi et si le travailleur n'invoque aucune raison valable pour justifier son refus d'effectuer le travail que lui a assigné temporairement l'employeur.
[41] L'article 179 permet à un employeur d'assigner temporairement un travail à un travailleur qui a subi une lésion professionnelle aux conditions suivantes :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
[42] Le représentant de madame Chalifoux soumet deux arguments à l'encontre de la suspension, à compter du 14 février 2011, du versement de l'indemnité de remplacement du revenu, soit premièrement, que l'autorisation donnée par le docteur Adam le 8 février 2011 n'est pas valide parce qu'elle fait suite à une pression indue de la part de la CSST et deuxièmement, que madame Chalifoux avait une raison valable pour refuser de faire le travail proposé en assignation temporaire.
[43] Lorsqu'un médecin autorise ou refuse une demande d'assignation temporaire, il émet une opinion médicale sur la capacité du travailleur à effectuer le travail proposé, le fait que ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur et le fait qu'il favorise sa réadaptation et ce, en tenant compte de l'évolution de sa lésion professionnelle.
[44] Si le médecin du travailleur refuse la demande de l'employeur, l'article 179 de la loi ne lui impose pas l'obligation de faire part des raisons qui l'amènent à ne pas donner son accord à l'assignation proposée.
[45] Comme l'indique la Commission des lésions professionnelles dans la décision Bromer inc. et Tremblay[2], ni l'employeur ni la CSST ne peuvent le forcer à justifier son refus :
[30] De plus, il importe de mentionner qu’il n’existe aucune obligation légale forçant un médecin qui a charge d’un travailleur de justifier, à l’employeur de celui-ci, les raisons soutenant son refus d’autoriser l’assignation temporaire.
[31] Même la CSST ne peut exiger d’éclaircissements à ce sujet puisque l’article 202 de la loi ne prévoit qu’une obligation au médecin qui a charge en regard des sujets mentionnés aux paragraphes 1 à 5 du premier alinéa de l’article 212 :
202. Dans les 10 jours de la réception d'une demande de la Commission à cet effet, le médecin qui a charge du travailleur doit fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport qui comporte les précisions qu'elle requiert sur un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
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1985, c. 6, a. 202; 1992, c. 11, a. 12.
[46] Enfin, en vertu du deuxième alinéa de l'article 179, le travailleur est le seul autorisé à contester l'opinion de son médecin s'il n'est pas d'accord avec ce dernier. Ni l'employeur ni la CSST ne peuvent le faire.
[47] Le 27 janvier 2011, le docteur Adam a refusé la demande d'assignation temporaire que lui a présentée l'employeur parce que le travail proposé impliquait que madame Chalifoux conduise son automobile sur une longue distance alors qu'elle ne pouvait pas le faire en raison de la condition douloureuse de son genou droit.
[48] Dans la mesure où la conduite de son automobile pendant une heure et quart deux fois par jour lorsqu'elle devait aller travailler sollicitait son genou lésé, on peut comprendre qu'il évaluait que la proposition de l'employeur pouvait nuire à l'amélioration de la condition de son genou, étant donné l'évolution post-opératoire mitigée.
[49] Du fait que la lettre du 7 février 2011 ne soit pas au dossier, on ne connaît pas exactement les raisons que la CSST a données au docteur Adam pour le faire changer d'idée. Il est possible qu'elle lui ait dit que son opinion ne pouvait pas tenir compte du déplacement en automobile.
[50] Si tel est le cas, il ne s'agit pas d'une simple demande de correction technique que la CSST peut adresser au médecin, comme le reconnaît la jurisprudence[3]. En effet, cette question peut prêter à controverse puisqu'il n'est certainement pas déraisonnable de penser qu'un médecin peut tenir compte de plusieurs facteurs et de la situation globale plutôt que du seul accomplissement physique du travail lorsqu'il refuse une demande d'assignation temporaire.
[51] Dans cette perspective, l'intervention de la CSST auprès du docteur Adam équivaut, à toutes fins utiles, à une contestation indirecte de son refus d'autoriser l'assignation temporaire proposée par l'employeur, ce qu'elle ne pouvait pas faire directement. L'argument soumis par le représentant de madame Chalifoux voulant que l'autorisation que ce médecin a donnée le 8 février 2011 ne soit pas valide est donc bien fondé.
[52] D'ailleurs, même s'il répond par l'affirmative aux trois questions du formulaire qu'il complète le 8 mars 2011, dans sa lettre du 8 février 2011, le docteur Adam ne dit pas que madame Chalifoux est capable d'accomplir les tâches décrites par l'employeur, mais plutôt « qu'elle aurait pu raisonnablement être en mesure » de les accomplir « n'eût été de la distance à voyager entre Malartic et Senneterre ».
[53] Cela dit, s'il fallait considérer comme étant valide l'assignation temporaire autorisée par le docteur Adam le 8 février 2011, le tribunal estime que madame Chalifoux a établi qu'elle avait une raison valable pour refuser de faire le travail que l'employeur voulait lui assigner temporairement.
[54] Le tribunal a retracé très peu de décisions portant sur une situation similaire à celle de madame Chalifoux.
[55] Dans Ouellet et Vêtements Matane Apparel inc.[4], la travailleuse contestait l'assignation temporaire autorisée par son médecin au motif qu'elle était « inadéquate car elle lui imposait de parcourir une distance de 62 milles pour se présenter au travail ». La Commission des lésions professionnelles rejette sa contestation en tenant compte du fait que c'est la distance qu'elle devait parcourir habituellement pour se rendre au travail et qu'aucun médecin expliquait en quoi la lésion professionnelle affectait sa capacité de se déplacer.
[56] Dans Méthot et Ass. Coop forestière St-Elzéar[5], le travailleur contestait également l'assignation temporaire autorisée par son médecin. Il invoquait comme motif pour justifier son refus de faire le travail proposé par son employeur « les mauvaises conditions climatiques, la difficulté d'effectuer le voyage soir et matin de même qu'un lieu de résidence situé trop loin du travail déterminé par l'employeur ». La Commission des lésions professionnelles ne retient pas ses explications et prend en considération, comme dans la décision Ouellet précédente, qu'il n'y avait aucune preuve à caractère médical établissant en quoi la lésion professionnelle avait restreint la capacité du travailleur de se déplacer en automobile.
[57] Dans Laliberté et Transport TFI 2 S.E.C. (Mondor 2000)[6], il s'agissait aussi d'une contestation d'une assignation temporaire. Le travailleur se considérait incapable de voyager une heure pour se rendre au lieu de l'assignation temporaire parce qu'il ne pouvait rester assis aussi longtemps « sans que son dos barre, qu'il ne subisse des douleurs importantes et qu'il ne doive se coucher ». La Commission des lésions professionnelles rejette ses explications notamment pour la raison suivante :
[57] […] Quant à la seule question contestée par le travailleur, soit le fait qu’il doive conduire environ une heure pour se rendre à l’assignation et faire de même au retour, ceci a bien été évalué par le docteur Vincent qui a donné son accord et qui a de plus indiqué au formulaire d’assignation temporaire qu’il était d’accord avec un travail fait en position assise. Le travailleur n’a présenté aucune preuve objective pouvant repousser cet avis. […]
[58] Enfin, dans la décision Fortin et Brasserie Réal Massé 1984[7], déposée par la représentante de l'employeur, le travailleur contestait l'assignation temporaire autorisée par son médecin parce qu'à la suite de son accident, il avait déménagé près de la résidence de son père pour recevoir l'aide nécessaire à sa condition et qu'il trouvait « ridicule de le faire voyager de Plessisville à Boucherville à tous les jours ». La Commission des lésions professionnelles confirme l'assignation temporaire en retenant qu'il n'y avait au dossier aucun élément qui permettait de contredire l'opinion du médecin traitant sur l'assignation temporaire.
[59] Comme raison de son refus, madame Chalifoux n'invoque pas comme telle la trop grande distance entre Malartic et Senneterre, mais plutôt le fait qu'elle ne peut pas conduire son automobile sur une telle distance compte tenu de la condition douloureuse de son genou droit.
[60] D'entrée de jeu, on ne peut certainement pas lui faire reproche d'avoir déménagé à Malartic pour se soustraire à l'assignation temporaire. D'une part, le fait de vouloir suivre son conjoint qui venait d'être embauché à la mine constituait une raison valable pour déménager et d'autre part, elle a déménagé à Malartic bien avant que l'employeur entreprenne des démarches auprès du docteur Adam pour lui assigner temporairement un travail.
[61] Dans les quatre décisions rapportées précédemment, la Commission des lésions professionnelles a pris en considération le fait qu'il n'y avait pas de preuve médicale au dossier qui supportait la prétention du travailleur.
[62] Dans le présent cas, cette preuve est au dossier. Non seulement, le docteur Adam indique, dans le formulaire d'assignation temporaire du 27 janvier 2011 et dans sa lettre du 8 février 2011, que madame Chalifoux ne peut pas se rendre à Senneterre en raison de la distance entre cette ville et Malartic et la condition de son genou droit[8], mais de plus, celle-ci est documentée par les rapports médicaux que ce médecin a émis et par le test d'imagerie médicale qu'elle a passé le 3 mai 2011.
[63] Après considération de la preuve au dossier, des arguments soumis par les représentants des parties et de la jurisprudence déposée, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que la CSST n'était pas justifiée de suspendre le versement de l'indemnité de remplacement du revenu le 14 février 2011 et que madame Chalifoux a droit au versement de cette indemnité pour la période comprise entre le 14 février 2011 et le 8 juin 2011.
[64] Le tribunal estime de plus que madame Chalifoux avait droit au versement de cette indemnité à partir du 9 juin 2011, non pas parce que l'assignation temporaire n'était pas valide ou qu'elle avait un raison valable pour effectuer le travail proposé par l'employeur, mais plutôt parce qu'elle a donné sa démission à celui-ci à cette date.
[65] Comme l'illustre les décisions déposées par les représentants des parties, la jurisprudence est divisée sur la question de savoir si un travailleur a droit au versement de l'indemnité de remplacement du revenu lorsqu'en raison de sa démission, il ne peut plus effectuer le travail que l'employeur lui avait assigné temporairement.
[66] Avec respect pour l'opinion contraire, le tribunal souscrit à la position suivante retenue dans la décision Laplante et Lauzon Planchers de bois exclusifs[9] :
[37] Après avoir analysé la jurisprudence et les faits pertinents au dossier sous étude, il y a lieu de constater que la démission du travailleur en cause a mis fin au lien d’emploi avec son employeur et que l’assignation temporaire proposée par ce dernier est devenue caduque lors de ladite démission.
[38] Le soussigné est d’avis que la démission du travailleur constitue une décision qui lui est personnelle et qui par ailleurs, entraîne pour lui des conséquences importantes, dont la perte des droits qui étaient rattachés à son emploi chez l’employeur. Le fait de démissionner n’est soumis à aucune condition particulière et il s’agit là d’un droit du travailleur. On ne doit pas par ailleurs rechercher l’intention ou les motifs du travailleur à la base de sa décision.
[39] Il n’y a pas lieu davantage d’évaluer le caractère raisonnable de la ou des raisons ayant conduit ce dernier à démissionner en matière de versement de l’indemnité de remplacement du revenu au sens des dispositions de l’article 142 de la loi. La jurisprudence ne fait une telle démarche que lorsqu’il est question de retraite d’un travailleur et il n’y a pas lieu de faire de distinction entre la retraite et la démission en ce qui a droit au versement de l’IRR dans le processus entourant l’assignation temporaire prévue à l’article 179 de la loi.
[40] En fait, autant la démission que la retraite sont des mesures extrêmes et en principe définitives que prend un travailleur. Il ne s’agit pas là de situations assimilables à celles édictées par le législateur à l’article 142 de la loi quand il est question de situations où un travailleur « omet » ou « refuse » de faire un travail assigné temporairement par un employeur. On n’a pas à se demander si, par sa démission, le travailleur omet ou refuse d’accomplir un travail chez l’employeur. La démission entraîne une fin d’entente contractuelle, la rupture d’un lien d’emploi. On ne doit pas y voir un geste de contestation de la part du travailleur ni si ce dernier avait une raison valable de poser un tel geste.
[41] Le droit à une indemnité de remplacement du revenu est relié à la survenance d’une lésion professionnelle au sens de la loi et les causes d’extinction de ce droit sont spécifiquement prévues à l’article 57 de la loi. Il ressort de la lecture de cette disposition législative que la démission d’un travailleur de son emploi chez un employeur ne constitue pas une des raisons qui y sont prévues. Quant aux dispositions de l’article 142 de la loi, on doit les interpréter restrictivement car il s’agit de mesures de nature punitive et d’exception eu égard à l’esprit général de la loi, qui a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires8 et dont l’application doit être faite de façon large et libérale.
[42] Le tribunal est d’avis que l’article 142 confère à la CSST un pouvoir de contraindre un travailleur, dans certains cas précis, à respecter les obligations prévues à la loi à défaut de quoi, son indemnité pourra être réduite ou suspendue. L’utilisation des termes « réduire » ou « suspendre » revêt un caractère temporaire et ne se veut pas permanent. D’ailleurs, les dispositions de l’article 143 prévoient la possibilité pour la CSST de non seulement mettre fin à la suspension ou la réduction d’une indemnité, mais prévoient aussi le versement rétroactif des indemnités suspendues ou réduites lorsque le motif qui a justifié sa décision n’existe plus. Il serait difficile de concevoir l’application de l’article 143 au cas d’un travailleur ayant remis sa démission à un employeur, la démission étant de par sa nature, une situation permanente et non temporaire. En d’autres termes, comment un travailleur pourrait-il bénéficier des termes de l’article 143 dans le cas d’une démission? La situation ayant mené à la suspension de l’IRR étant définitive et permanente, le travailleur ne pourrait jamais faire valoir que le motif qui avait justifié la décision n’existe plus. En d’autres termes, la suspension de l’IRR en cas de démission d’un travailleur deviendrait permanente. Ce n’est certes pas là l’intention recherchée par le législateur dans la rédaction des articles 142 et 143 de la loi.
[43] Dans ce contexte, la Commission des lésions professionnelles considère que le fait de démissionner pour le travailleur a mis fin au lien d’emploi avec l’employeur, mais n’avait pas d’incidence sur le droit pour le travailleur de continuer à recevoir l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle il avait droit en vertu des dispositions de l’article 57 de la loi. La CSST ne pouvait dès lors, appliquer les dispositions de l’article 142 en réponse à une situation reliée à l’assignation à un travail temporaire au sens de l’article 179 de la loi.
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8 Article 1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., chapitre A-3.001)
[67] Après considération de la preuve au dossier, des argumentations soumises par les représentants des parties et de la jurisprudence sur la question, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que madame Chalifoux a droit au versement de l'indemnité de remplacement du revenu à compter du 9 juin 2011 et ce, pour la durée prévue par les dispositions de la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 436881-08-1104
ACCUEILLE la requête de madame Marjolaine Chalifoux;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 14 avril 2011 à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE que madame Marjolaine Chalifoux a droit au versement de l'indemnité de remplacement du revenu pour la période comprise entre le 14 février 2011 et le 8 juin 2011;
Dossier 452095-08-1110
ACCUEILLE la requête de madame Marjolaine Chalifoux;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 7 octobre 2011 à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE que madame Marjolaine Chalifoux a droit au versement de l'indemnité de remplacement du revenu à compter du 9 juin 2011 et ce, pour la durée prévue par les dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Claude-André Ducharme |
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Me Michel Rolland |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Isabelle Sarrazin |
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Mutuelle de prévention des EÉSAD |
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Représentante de la partie intéressée |
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Me Solange Bouchard |
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Vigneault Thibodeau Bergeron |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2] 2009 QCCLP 911 ; également : Transelec / Common inc., 2011 QCCLP 2198 .
[3] Auclair et Location d'équipement Jalon simplex ltée, [2003] C.L.P. 1334 .
[4] C.L.P. 135795-01C-0004, 3 juillet 2000, F. Ranger.
[5] C.L.P. 154173-01C-0101, 16 juillet 2001, C. Bérubé.
[6] C.L.P. 243413-04-0409, 17 novembre 2004, J.-F. Clément.
[7] 2009 QCCLP 7712 .
[8] Même s'il ne le mentionne pas expressément, il est clair que le docteur Adam relie l'incapacité de madame Chalifoux à effectuer de longs trajets en automobile à la condition douloureuse de son genou droit.
[9] 2009 QCCLP 1086 ; au même effet : Bar-Salon Venus et Ross, 2010 QCCLP 9244 ; Les Rôtisseries de Sherbrooke inc. et Péloquin, 2011 QCCLP 4390 .
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