Modèle de décision CLP - avril 2013

Bilodeau-Sirois et CSSS Alphonse-Desjardins

2015 QCCLP 2856

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

25 mai 2015

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

524388-03B-1310

 

Dossier CSST :

139706337

 

Commissaire :

Sophie Sénéchal, juge administratif

 

Membres :

Claude Jacques, associations d’employeurs

 

André Chamberland, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Sylvie Bilodeau-Sirois

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

CSSS Alphonse-Desjardins

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 8 janvier 2015, madame Sylvie Bilodeau-Sirois (la travailleuse) dépose une requête en révision/révocation à l’encontre d’une décision de la Commission des lésions professionnelles du 27 novembre 2014.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette une contestation déposée par la travailleuse le 17 octobre 2013; confirme une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) du 23 septembre 2013, rendue à la suite d’une révision administrative; déclare que l’emploi de réceptionniste constitue un emploi convenable au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et qu’elle a la capacité d’exercer cet emploi convenable à compter du 23 août 2013; que le revenu brut annuel estimé relativement à cet emploi convenable est de 21 168,84 $; que le montant de l’indemnité de remplacement du revenu réduite auquel aura droit la travailleuse, à la fin de son année de recherche d’emploi, est de 2 908,96 $, par année, soit 111,58 $ aux deux semaines et qu’elle n’a pas droit au remboursement des travaux d’entretien ménager hebdomadaires.

[3]           À l’audience tenue le 6 mai 2015 à Lévis, la travailleuse est présente. CSSS Alphonse-Desjardins (l’employeur) est absent. La CSST, dûment intervenue, est représentée par procureure.

[4]           Le dossier est mis en délibéré à compter du 6 mai 2015.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[5]           La travailleuse demande la révision/révocation de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 27 novembre 2014. Cette décision serait entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider.

[6]           De façon plus spécifique, la travailleuse invoque principalement son droit d’être entendue. Elle réfère non pas aux agissements de la Commission des lésions professionnelles au moment de l’audience tenue le 16 septembre 2014, mais bien à la stratégie adoptée par son procureur de l’époque. Ce faisant, elle n’aurait pas eu droit.

L’AVIS DES MEMBRES

[7]           Le membre issu des associations d’employeurs et celui issu des associations syndicales sont d’avis de rejeter la requête en révision/révocation de la travailleuse. Ils estiment que celle-ci n’a démontré aucun motif permettant de réviser/révoquer la décision de la Commission des lésions professionnelles du 27 novembre 2014. La travailleuse est en désaccord avec les conclusions retenues. Par sa requête, elle cherche une nouvelle appréciation de la preuve, espérant des conclusions plus favorables. Le recours en révision/révocation ne peut servir à cette fin. La travailleuse a eu l’occasion de faire valoir ses moyens. Si elle était en désaccord avec la stratégie adoptée par son procureur de l’époque, elle devait s’en plaindre au moment opportun.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]           Le tribunal doit déterminer s’il y a lieu de réviser/révoquer la décision de la Commission des lésions professionnelles du 27 novembre 2014.

[9]           Tel qu’expliqué à la travailleuse, en début d’audience de la présente requête en révision/révocation, ce recours est exceptionnel.

[10]        Ceci, en raison du caractère final et sans appel d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles :

429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

[notre soulignement]

 

[11]       Il y aura possibilité de réviser/révoquer une telle décision en présence de motifs précis, lesquels sont indiqués à l’article 429.56 de la loi :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1°         lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°         lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°         lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

 

[12]        D’emblée, tenant compte de la requête soumise et des arguments présentés, le tribunal constate qu’il ne peut s’agir d’un cas de découverte d’un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente ni d’un cas où la travailleuse n’a pu se faire entendre par le premier juge administratif au moment de l’audience du 16 septembre 2014.

[13]        En effet, bien que la travailleuse mentionne un manquement à son droit d’être entendu, le tribunal constate qu’elle était bel et bien présente au moment de l’audience tenue par le premier juge administratif. 

[14]        Peut-il s’agir d’un vice de fond de nature à invalider la décision du 27 novembre 2014?

[15]        Dans l’affaire Produits Forestiers Donohue inc. et Villeneuve[2], la Commission des lésions professionnelles indique que le vice de fond est assimilé à l’erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation. Cette façon d’interpréter la notion de vice de fond de nature à invalider une décision a été reprise de façon constante.

[16]       Dans sa décision CSST c. Fontaine[3], la Cour d’appel du Québec se penche notamment sur cette notion de vice de fond de nature à invalider une décision de la Commission des lésions professionnelles. La Cour d’appel ne remet pas en question le critère de vice de fond, tel qu’interprété par la Commission des lésions professionnelles. Elle invite plutôt à la prudence dans son application.

[17]       La Cour d’appel insiste également sur le fait que le recours en révision, pour vice de fond de nature à invalider une décision, ne doit pas être l’occasion de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve afin de substituer son opinion à celle du premier juge administratif.

[18]        Ce ne peut être non plus l’occasion de compléter ou bonifier la preuve ni d’ajouter de nouveaux arguments[4].

[19]       Seule une erreur grave, manifeste (évidente) et déterminante sur l’issue de la contestation peut amener une intervention à l’égard de la décision du premier juge administratif[5].

[20]       Dans sa décision Moreau c. Régie de l’assurance maladie du Québec[6], la Cour d’appel vient également rappeler que le recours en révision ou révocation ne s’applique que de façon exceptionnelle et que le vice de fond de nature à invalider une décision doit s’avérer une erreur fatale qui entache l’essence même de la décision, voire sa validité.

[21]       Dans la cause sous étude, la travailleuse invoque principalement un manquement à son droit d’être entendu.

[22]        Le droit d’être entendu peut comprendre non seulement le droit pour le justiciable d’obtenir une convocation à une audience mais aussi, au moment de cette audience, celui de faire des représentations, de présenter une preuve, d’interroger ou de contre-interroger[7].

[23]        Bref, l’on doit donner aux parties impliquées le droit de faire valoir leurs moyens ou leur point de vue[8].

[24]       Or, un manquement allégué à une règle de justice naturelle, comme celle du droit d’être entendu, au moment de l’audience devant le premier juge administratif, peut être associé à la notion de vice de fond au sens du troisième paragraphe de l’article 429.56[9].

[25]        Le tribunal rappelle toutefois qu’à moins de circonstances exceptionnelles l’erreur, l’incompétence ou le mauvais choix d’un représentant valablement mandaté ne constitue pas un motif d’ouverture à une révision/révocation d’une décision de la Commission des lésions professionnelles[10].

[26]       C’est en ayant à l’esprit ces principes de droit que le tribunal entend procéder à l’analyse des motifs mis de l’avant par la travailleuse pour faire réviser/révoquer la décision de la Commission des lésions professionnelles du 27 novembre 2014.

[27]        À ce stade-ci, il convient de revenir sur certains faits du dossier. Cet exercice ne vise pas à reprendre l’ensemble de la volumineuse preuve soumise mais d’en relever les éléments pertinents, permettant une meilleure compréhension du dossier afin d’évaluer le bien - fondé des motifs avancés par la travailleuse dans sa requête du 8 janvier 2015 ou au moment de l’audience de celle-ci.

[28]        À l’époque pertinente, la travailleuse occupe un poste de préposée aux bénéficiaires pour le compte de l’employeur.

[29]        Le 18 juillet 2008, elle subit un accident du travail à la suite duquel on retient un diagnostic d’entorse cervicale avec syndrome facettaire cervical. Cette lésion est consolidée le 12 mai 2009, sans atteinte permanente à l'intégrité physique ni limitations fonctionnelles. La travailleuse a la capacité d’exercer son emploi à compter du 12 mai 2009.

[30]        Le 3 janvier 2010, elle subit une récidive, rechute ou aggravation sous forme d’une cervicobrachialgie gauche d’origine facettaire. Dans le cadre de cette récidive, rechute ou aggravation, le docteur Richard Lirette, membre du Bureau d’évaluation médicale, rend un avis le 9 janvier 2012 par lequel il détermine des limitations fonctionnelles.

[31]        Par la suite, le 7 mai 2012, la travailleuse subit une nouvelle récidive, rechute ou aggravation en raison d’une entorse cervicale aiguë gauche avec cervicobrachialgie et une tendinopathie affectant l’épaule gauche.

[32]        Dans le cadre du suivi de cette lésion, la travailleuse est examinée par plusieurs médecins, dont le docteur René Parent, membre du Bureau d’évaluation médicale, le 14 juin 2013. Ce dernier détermine, entre autres, des limitations fonctionnelles.

[33]        En conséquence, la travailleuse a droit à la réadaptation. Ce faisant, la CSST met en place un processus de réadaptation professionnelle. Plusieurs discussions et/ou démarches sont entreprises pour déterminer un emploi convenable, ailleurs sur le marché du travail.

[34]        Aussi, la travailleuse formule une demande pour le remboursement de certains travaux d’entretien courant de son domicile.

[35]        C’est ainsi que le 20 août 2013, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse le remboursement de frais d’entretien courant du domicile. La travailleuse demande la révision de cette décision.

[36]        Le 26 août 2013, la CSST rend une décision statuant sur la capacité de la travailleuse d’occuper un emploi convenable de réceptionniste, à compter du 23 août 2013. La travailleuse demande également la révision de cette décision.

[37]        Le 23 septembre 2013, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. Elle confirme d’une part la question de l’emploi convenable et d’autre part, le refus du remboursement de frais de travaux d’entretien ménager.

[38]        La travailleuse conteste cette décision devant la Commission des lésions professionnelles. Il s’agit du litige dont était saisi le premier juge administratif.

[39]        Ce dernier tient une audience le 16 septembre 2014, à laquelle assistent la travailleuse, son procureur de l’époque et la procureure de la CSST.

[40]        L’audience débute à 9 h 05 et se termine à 11 h 49. La soussignée a écouté les enregistrements de cette audience.

[41]        Il y a d’abord présentation des membres du tribunal et identification des parties et de leur procureur respectif. On s’assure ensuite de bien identifier les questions en litige et les divers moyens de preuve que les parties désirent faire valoir.

[42]        Il y a dépôt de preuve documentaire additionnelle de la part de la travailleuse (pièces T-1 et T-2) puis témoignage de celle-ci. Il y a par la suite argumentation des procureurs.

[43]        Le 27 novembre 2014, le premier juge administratif rend sa décision.

[44]        Aux paragraphes [6] à [59], il résume en détail l’évolution du dossier depuis la lésion professionnelle du 18 juillet 2008 jusqu’à la récidive, rechute ou aggravation du 7 mai 2012, insistant particulièrement sur le suivi médical. On y mentionne notamment les interventions des docteurs Ethel Higgins, Jacques Turcotte, André Blouin, Sylvain Belzile, René Parent, Sébastien Tousignant, Donald Rivest ou Claude Blier.

[45]        Aux paragraphes [60] à [81], le premier juge administratif résume le témoignage livré par la travailleuse sur la question de l’emploi convenable et particulièrement sur sa capacité résiduelle ou ce que l’on qualifie de condition globale.

[46]        C’est dans ce contexte que le premier juge administratif expose ses motifs.

[47]        Quant à la question de l’emploi convenable, il précise d’abord le cadre légal applicable en semblable matière aux paragraphes [101] à [108], en prenant soin de reprendre la définition prévue à la loi et les critères d’analyse aux paragraphes [107] et [108] :

[107]    Par ailleurs, la loi définit ainsi la notion d’« emploi convenable » :

 

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par :

 

« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d’une lésion professionnelle d’utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d’embauche et dont les conditions d’exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion.

 

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[108]    Cet article comporte cinq critères particuliers permettant de qualifier un emploi de convenable. Dans l’affaire Duguay et Constructions du Cap-Rouge inc.11, la Commission des lésions professionnelles a défini plus précisément chacun de ses critères comme suit :

 

[51]      Il est ainsi généralement établi que pour être qualifié de « convenable » au sens de la loi, un emploi doit respecter les conditions suivantes

 

-           être approprié, soit respecter dans la mesure du possible les intérêts et les aptitudes du travailleur;

 

-           permettre au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle, soit plus particulièrement respecter ses limitations fonctionnelles, qu’elles soient d’origine professionnelle ou personnelle;

 

-           permettre au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles, dans la mesure du possible, soit tenir compte de sa scolarité et de son expérience de travail;

 

-           présenter une possibilité raisonnable d’embauche, ce qui ne signifie pas que l’emploi doit être disponible. Cette possibilité doit par ailleurs s’apprécier en regard du travailleur et non de façon abstraite.

 

Quant au territoire par rapport auquel doit s’apprécier cette « possibilité raisonnable d’embauche », il doit, en accord avec l’esprit d’une jurisprudence importante au sein de la Commission des lésions professionnelles , s’apprécier en fonction de la situation particulière du travailleur, soit notamment en fonction de son âge, de sa mobilité professionnelle antérieure, du fait qu’il demeurait, au moment de sa lésion professionnelle, dans une zone urbaine ou non urbaine et de sa capacité physique à se déplacer chaque jour pour aller travailler.  Il semble généralement acquis par ailleurs qu’un rayon d’au moins 50 kilomètres du domicile est à peu près toujours considéré comme raisonnable.

 

-           ne pas comporter de danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité du travailleur compte tenu de sa lésion, soit, notamment, ne pas comporter de risque réel d’aggravation de l’état du travailleur ou de risque d’accident en raison des limitations fonctionnelles.

__________

11             [2001] C.L.P. 24.

 

 

[48]        Puis, le premier juge administratif reprend chaque argument du procureur de la travailleuse, quant à la question de l’emploi convenable, et procède à leur analyse comme suit :

[109]    En l’espèce, le procureur de la travailleuse reproche à la CSST de ne pas avoir considéré la condition globale de la travailleuse en vue de déterminer l’emploi convenable, mais de s’être attardée uniquement aux limitations fonctionnelles retenues par le Bureau d’évaluation médicale.

 

[110]    Plus précisément, le procureur de la travailleuse soutient qu’en raison de la médication que cette dernière doit prendre, elle éprouve des difficultés dans ses déplacements en automobile, de même qu’au sujet de sa capacité de concentration.

 

[111]    À son avis, la preuve prépondérante offerte démontre que la travailleuse n’a pas la capacité d’occuper un emploi à temps plein en raison des douleurs ressenties, de la forte médication qu’elle doit prendre afin de tenter de les atténuer et des effets sur le plan cognitif que cette médication a sur elle. Il insiste aussi sur les céphalées dont souffre la travailleuse qui la force à prendre une médication additionnelle et l’incommode considérablement.

 

[112]    Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal ne partage pas la position défendue par le procureur de la travailleuse pour les motifs ci-après exposés.

 

[113]    Le tribunal constate que la position majoritaire de la Commission des lésions professionnelles est d’avis que, dans le cadre de la détermination de l’emploi convenable, la CSST doit tenir compte de la condition globale de la travailleuse. La soussignée partage cette position.

 

[114]    Néanmoins, comme l’a rappelé la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Rollin et Entreprises construction Ptarmigan (I)12, lors de la détermination d’un emploi convenable, il faut évaluer la condition globale du travailleur et les effets secondaires des médicaments qu’il consomme13. Cependant, comme le souligne la Commission des lésions professionnelles dans cette affaire, il faut que la preuve démontre les effets secondaires des médicaments pour le travailleur, et ce, de façon particularisée.

 

[115]    Le tribunal s’exprime comme suit à cette fin :

 

[151]       Lors de la détermination d’un emploi convenable, il faut évaluer la condition globale du travailleur4 et les effets secondaires des médicaments qu’il consomme5 doivent être pris en considération.

[152]       Mais encore faut-il que la preuve démontre quels sont les effets secondaires des médicaments pour le travailleur, et ce, de façon particularisée. Le simple dépôt des fiches médicaments mentionnant que les médicaments peuvent causer des étourdissements ou de l’endormissement et des sensations de fatigue ne permet pas au tribunal de conclure que le travailleur souffre de ces effets ni comment ils l’empêchent d’effectuer les tâches de l’emploi de préposé à la billetterie.

[153]       De plus, la soussignée estime que le témoignage du travailleur voulant qu’il puisse tomber endormi à la caisse offre peu de fiabilité dans un contexte où lors de la détermination de l’emploi convenable, le travailleur croit ne pas pouvoir travailler à temps plein et que son représentant ajoute qu’il va essayer d’obtenir des limitations fonctionnelles de classe IV par le biais d’une réclamation pour une récidive, une rechute ou une aggravation, le tout, afin de faire déclarer que le travailleur est invalide.

[154]       Il n’est aucunement fait mention dans les notes évolutives des rencontres de poursuite de l’exploration professionnelle que le travailleur considère que les effets secondaires des médicaments l’empêchent d’occuper l’emploi de préposé à la billetterie.

[155]       Par ailleurs, le docteur Legault écrit dans son Rapport médical du 21 mars 2012 qu’il prescrit de la Codéine Contin et de l’Emtec au travailleur, mais il ne précise pas que ces médicaments ont des effets indésirables pour ce dernier. Il en est de même dans le Rapport médical rédigé le 6 juin 2012 alors que le docteur Legault mentionne un changement de médicament pour de l’Oxynéo et l’Oxycocet.

[156]       Lors de sa rencontre avec le docteur Sylva Legault le 20 décembre 2012, le travailleur relate qu’il n’aime pas les effets secondaires du Dilaudid Contin surtout au point de vue de la constipation sans mention à l’égard de la somnolence et de la fatigue.

[157]       Ce n’est que le 10 janvier 2013, lors de la rencontre avec le docteur Bernard Chartrand qui doit produire un rapport d’expertise médicale à la demande de son représentant, que les effets secondaires des médicaments sont documentés. Même là, le travailleur allègue simplement qu’il est beaucoup plus fatigué qu’il ne l’était il y a quelques années et qu’il doit se reposer le jour à cause de cette fatigue et de la médication. Il ne mentionne pas d’étourdissements ni de somnolence.

[158]       Dans un contexte où le travailleur recherche une déclaration d’invalidité, soit par la reconnaissance d’une récidive, d’une rechute ou d’une aggravation afin de faire établir des limitations de classe IV ou par la reconnaissance de son inemployabilité à cause des effets secondaires des médicaments qu’il consomme, le tribunal accorde peu de foi aux déclarations faites par le travailleur au docteur Chartrand quant aux effets qu’il ressent à la suite de la prise de médicaments et, du coup, estime que l’opinion de ce dernier quant à la capacité du travailleur à occuper l’emploi convenable n’offre pas de force probante.

[159]     De plus, le docteur Chartrand ne précise pas en quoi la prise de médicaments empêche le travailleur d’occuper cet emploi. Il se contente d’écrire que :

De plus, pour obtenir un certain soulagement, il doit prendre une médication qui altère certaines fonctions intellectuelles. Ceci, pas au point de l’empêcher de fonctionner dans la vie de tous les jours, mais il ne pourrait pas fonctionner adéquatement pour les activités intellectuelles nécessaires à la vente de billets dans un horaire régulier.

[…]

__________

                        4        Voir notamment : Fortin et Entr. Peinturlure inc., C.L.P. 200948-01A-0302, 31 octobre 2004, C. A. Ducharme (décision accueillant la requête en révision); Nadeau et Les Produits Paradis 1988 inc. (fermé), C.L.P. 249285-62B-0411, 16 mai 2005, J.-M. Dubois, révision rejetée, 5 décembre 2005, B. Lemay; Ricard et Liquidation Choc, [2004] C.L.P. 433, révision accueillie, 217112-62C-0310, 14 juin 2005, G. Godin, (05LP-106), révision accueillie, 10 février 2006, C.-A. Ducharme, (05LP-299); Boulianne et Les Transports Chaumont inc., C.L.P. 292602-63-0606, 16 août 2007, D. Besse; Maheux et Les Gypses de Beauce, 366542-03B-0812, 15 juin 2009, G. Marquis; Cadoret et Quincaillerie R. Durand inc., C.L.P. 309906-03B-0702, 22 décembre 2009, A. Quigley.

5           Voir notamment : Côté et Scierie Leduc, division Stadacona, C.L.P. 305434-02-0612, 4 mai 2007, P. Simard; Lapierre et Para-Net Buanderie-Nettoyage à sec, C.L.P. 315211-31-0704, 5 décembre 2007, J. L. Rivard (07LP-225).

 

[116]    Dans le dossier à l’étude, le tribunal constate qu’eu égard à la médication, la travailleuse a effectivement produit la liste des ordonnances, de même que la fiche descriptive de chacun des médicaments pris incluant les effets indésirables de ceux-ci.

 

[117]    De plus, dans le cadre de son témoignage, elle a indiqué à plusieurs occasions que la médication la rendrait « droguée », non fonctionnelle.

 

[118]    Cependant, le tribunal constate que lors de chacune des conversations ou rencontres avec les deux conseillères en réadaptation qui ont œuvré dans son dossier, en aucun moment, a-t-elle considéré que la médication constituait un frein à la détermination d’un emploi convenable de réceptionniste. Elle a plutôt allégué la douleur ressentie lorsqu’elle était en position statique trop longtemps pour demander de modifier l’horaire de formation.

 

[119]    De même, le tribunal retient de la preuve que, dans le cadre de la lettre qu’elle a rédigée le 17 avril 2014, la docteure Higgins ne s’est pas précisément prononcée sur l’impact de la médication par narcotique, préférant obtenir l’avis du docteur Tousignant, médecin de la clinique de la douleur de l’Hôtel-Dieu de Lévis.

 

[120]    Or, il appert de la lettre du docteur Tousignant du 28 juin 2014 qu’il était d’opinion que le travail de réceptionniste était adéquat, malgré la prise de médication antalgique.

 

[121]    Ainsi, le tribunal dispose d’une preuve prépondérante voulant que la médication prise par la travailleuse ne constitue pas un frein à la détermination de l’emploi convenable de réceptionniste. Cet argument ne peut donc être retenu.

 

[122]    Par ailleurs, en ce qui a trait à la prétention de la travailleuse, selon laquelle elle ne peut effectuer cet emploi à temps plein, le tribunal constate de la preuve offerte que bien que la docteure Higgins affirme que la travailleuse doit occuper un emploi à temps partiel, elle n’explique pas pourquoi il doit en être ainsi. Il en est de même du docteur Tousignant qui écrit « je ne crois pas qu’elle sera apte à effectuer un travail à temps plein », sans autre explication. Pourtant, au paragraphe suivant de sa lettre, il affirme que la travailleuse a la capacité d’occuper l’emploi de réceptionniste. Le tribunal accorde donc peu de valeur probante à ces deux opinions qui ne sont pas prépondérantes puisqu’elles ne comportent aucune explication sur la recommandation faite si ce n’est les allégations de la travailleuse, selon lesquelles elle ne peut travailleur [sic] plus de trois heures sans avoir des douleurs atroces.

 

[123]    Le tribunal retient également de la note de consultation du docteur Donald Rivest du 17 juin 2014 que la travailleuse est alerte, orientée, non ralentie et que les examens moteur, sensitif, les épreuves cérébelleuses, la démarche et le Romberg sont normaux. Le médecin insiste d’ailleurs sur la dimension psychologique présente au dossier qui complique le plan de traitements puisque la travailleuse présente une personnalité « borderline » ou limite. Il ne semble pas exclure un retour au travail à temps plein, indiquant que la travailleuse pourrait tenter un retour au travail adapté, à raison d’un jour par semaine pour un mois, deux jours par semaine pour un mois et trois jours par semaine en fonction de sa tolérance à l’effort et de ses myalgies. Il recommande qu’elle redevienne active. Cette note de consultation n’appuie donc pas les prétentions de la travailleuse. Le tribunal est conscient qu’elle est postérieure à la date de détermination de l’emploi convenable, mais retient du témoignage de la travailleuse que la condition qu’elle présentait alors était pire que celle prise en compte au moment de la détermination de l’emploi convenable. Le tribunal en déduit que sa capacité de concentration était alors mieux qu’au moment où elle a été évaluée par le docteur Rivest.

 

[124]    À cela s’ajoutent les commentaires formulés par les formateurs qui ont eu à évaluer la travailleuse à l’égard de ses capacités à utiliser des logiciels et ses connaissances en comptabilité. Il appert des notes évolutives résumées plus haut que la travailleuse se démarquait sur le plan des apprentissages et aurait même pu obtenir une certaine équivalence, particulièrement en comptabilité.

 

[125]    Ainsi, le tribunal retient de l’ensemble de la preuve que la recommandation du médecin qui a charge, la docteure Higgins, quant au fait de travailler à temps partiel, semble reposer sur les allégations de douleurs de la travailleuse. Pourtant, dans le cadre de la formation, la travailleuse ne semble pas avoir dénoncé ses douleurs aux formateurs comme le démontre le résumé des notes évolutives au dossier.

 

[126]    Par conséquent, le tribunal conclut que la travailleuse n’a pas démontré que l’emploi de réceptionniste ne respectait pas sa capacité résiduelle, même en considérant sa situation globale.

 

[127]    Pour en venir à cette conclusion, le tribunal prend en considération les limitations fonctionnelles ayant servi à la détermination de l’emploi convenable, la médication prise par la travailleuse qui, de l’avis même du médecin qui la suit à la clinique de la douleur, ne constitue pas un frein à l’occupation d’un emploi de réceptionniste et les céphalées dont elle se plaint qui ne sont pas documentées par le Bureau d’évaluation médicale ou par son médecin avant la détermination de l’emploi convenable et même par la suite. D’ailleurs, le tribunal retient de la note de consultation du docteur Rivest que les céphalées alléguées par la travailleuse ne sont pas d’origine cervicogénique, structurale ou liées à une surconsommation médicamenteuse, et ne semblent pas nuire à son fonctionnement sur le plan cognitif à l’examen auquel il procède en juin 2014.

 

[128]    Dans ce contexte, le tribunal est d’avis que l’emploi de réceptionniste est approprié au sens où l’entend l’article 2 de la loi puisqu’il respecte les intérêts et aptitudes de la travailleuse.

 

[129]    À ce propos, le tribunal se réfère particulièrement aux notes évolutives où la travailleuse a exprimé, à plus d’une occasion, son désir de travailler avec le public dans des tâches de nature plutôt cléricales où elle donnerait de l’information au téléphone ou en personne, idéalement dans un environnement relié à la santé. L’emploi de réceptionniste peut être exercé dans un tel contexte et satisfait donc à ce premier critère.

 

[130]    Relativement à l’utilisation de sa capacité résiduelle, le tribunal se réfère aux motifs énoncés plus haut.

 

[131]    Quant à l’utilisation des qualifications professionnelles, c’est le cas puisque les expériences passées de la travailleuse sont transférables, étant détentrice d’un diplôme d’études secondaires et d’une expérience professionnelle de quatre ans comme préposée aux permis et de quelques années à titre d’agente de recouvrement.

 

[132]    Par ailleurs, quant à la possibilité raisonnable d’embauche, elle n’a pas été remise en cause par la travailleuse et les documents sur lesquels s’appuie la CSST démontrent que les perspectives sont acceptables, tant pour la région de la Chaudière-Appalaches que celle de la Capitale-Nationale.

 

[133]    De même, cet emploi ne comporte pas de danger pour la santé et la sécurité ou l’intégrité physique de la travailleuse puisqu’il respecte ses limitations fonctionnelles et qu’il s’agit d’un emploi à caractère sédentaire.

 

[134]    Quant à la prétention de la travailleuse voulant qu’elle ne puisse l’occuper qu’à temps partiel, le tribunal ne la retient pas puisqu’elle n’est pas démontrée à l’aide d’une preuve prépondérante. Tout au plus le tribunal dispose-t-il d’une affirmation de la part de la docteure Higgins et du docteur Tousignant, sans explication sur le fondement de cette affirmation. Le fardeau de la preuve appartenait à la travailleuse qui ne l’a pas satisfait dans les circonstances.

 

______________

12                   2013 QCCLP 5643.

13             Côté et Scierie Leduc, division Stadacona, C.L.P. 305434-02-0612, 4 mai 2007, P. Simard; Lapierre et Para-Net Buanderie - Nettoyage à sec, C.L.P. 315211-31-0704, 5 décembre 2007, J.-L. Rivard (07LP-225); CSSSAE (Centre d’hébergement Sacré-Cœur), C.L.P. 397618-04B-0912, 25 mars 2010, M. Lamarre; Beauchemin et Jeans Warwick Industrie inc., C.L.P. 379246, 26 octobre 2009, M.-A. Roiseux; Courroux et Construction Edelweiss inc., 2013 QCCLP 656.

 

 

[49]        Quant à la question du remboursement de frais, il expose ses motifs aux paragraphes [136]  à [148] :

[136]    Relativement à la demande de remboursement de frais d’entretien courant du domicile, soit le nettoyage du four, du bain et pour passer l’aspirateur sur une base hebdomadaire, le tribunal n’y fait pas droit pour les motifs ci-après exposés.

 

[137]    L’article 158 de la loi prévoit la possibilité, pour un travailleur ou une travailleuse, d’obtenir le versement d’une allocation d’aide personnelle à domicile visant les tâches domestiques telles que le ménage léger et le ménage lourd. Cet article se lit comme suit :

 

158.  L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.

__________

1985, c. 6, a. 158.

 

[nos soulignements]

 

[138]    Pour bénéficier de cette aide personnelle à domicile, la travailleuse devait démontrer qu’elle est incapable de prendre soin d’elle-même et d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’elle effectuerait normalement et, qu’au surplus, cette aide s’avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.

 

[139]    En l’espèce, le tribunal ne dispose d’aucune preuve permettant de conclure que la travailleuse a droit à l’aide personnelle à domicile puisqu’elle n’a pas témoigné en ce sens et que son procureur n’a fait aucune représentation, laissant le tout à l’appréciation du tribunal. Or, la preuve documentaire contenue au dossier ne permettant pas de conclure que la travailleuse satisfait aux conditions d’application de cet article.

 

[140]    Une revue de la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles permet de constater qu’elle est partagée lorsque l’article 158 de la loi ne peut s’appliquer et qu’un travailleur réclame le remboursement des frais engagés pour exécuter des travaux d’entretien ménager, en vertu de l’article 165 de la loi. Fait à noter, en l’espèce, le procureur de la travailleuse n’a pas spécifié sur quel article il appuie sa demande.

 

[141]    La position majoritaire14 établit que lorsque les conditions prévues à l’article 158 de la loi pour bénéficier d’une allocation d’aide personnelle à domicile ne sont pas satisfaites, les frais engagés pour faire exécuter les travaux d’entretien ménager peuvent néanmoins être remboursés, en vertu de l’article 165, sous réserve des conditions énoncées à cet article qui se lit comme suit :

 

165.  Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d’une lésion professionnelle et qui est incapable d’effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile qu’il effectuerait normalement lui-même si ce n’était de sa lésion peut être remboursé des frais qu’il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu’à concurrence de 1 500 $ par année.

__________

1985, c. 6, a. 165.

 

[nos soulignements]

 

[142]    Ainsi, pour pouvoir bénéficier du remboursement des frais d’entretien courant, la travailleuse doit démontrer qu’elle a subi une atteinte permanente grave et qu’elle est incapable d’effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile qu’elle effectuerait normalement, si ce n’était de sa lésion. Selon les renseignements contenus au dossier, la travailleuse réclame le remboursement de frais pour le nettoyage de son four, de sa baignoire et pour passer l’aspirateur.

 

[143]    Par ailleurs, selon le courant minoritaire, l’entretien ménager constitue une tâche domestique exclusivement visée par l’article 158 de la loi. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 165 à une demande visant les travaux d’entretien ménager, même lorsque le travailleur n’a pas droit à une allocation d’aide personnelle à domicile.

 

[144]    Que le tribunal retienne l’un ou l’autre de ces courants jurisprudentiels ne changera rien à l’issue du litige en l’espèce.

 

[145]    En effet, selon le courant majoritaire, la travailleuse doit démontrer qu’elle conserve une atteinte permanente grave. Dans les faits, à la suite de la récidive, rechute ou aggravation du 7 mai 2012, la travailleuse ne conserve pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique supplémentaire. Néanmoins, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles a établi que, même en l’absence d’atteinte permanente à l’intégrité physique, la travailleuse peut avoir droit au remboursement des frais d’entretien courant si elle conserve des limitations fonctionnelles qui affectent sa capacité résiduelle à effectuer les travaux visés par l’article 165 de la loi.

 

[146]    Dans la présente affaire, la travailleuse conserve des limitations fonctionnelles de classe II, selon l’IRSST, ainsi décrites par le docteur Parent, physiatre et membre du Bureau d’évaluation médicale :

 

Restriction de classe 2 de l’IRSST, soit en plus des restrictions de classe1 :

 

Colonne cervicale

 

-       Éviter des activités qui impliquent de soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges dépassant environ 15 kilos,

-       Éviter d’effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension, de torsion de la colonne cervicale même de faible amplitude.

 

[…]

 

[147]    Or, la travailleuse n’a fourni aucun détail relativement aux travaux qu’elle prétend ne plus être en mesure de faire. Le tribunal ne peut donc pas conclure que ces limitations fonctionnelles affectent sa capacité résiduelle à effectuer les travaux de nettoyage du four et du bain et sa capacité à passer l’aspirateur.

 

[148]    Dans ce contexte, le tribunal conclut que la travailleuse n’a pas satisfait au fardeau de la preuve qui lui incombait et ne peut donc pas avoir droit au remboursement des travaux de nettoyage du four et du bain et pour passer l’aspirateur, que ce soit en vertu des articles 158 ou 165 de la loi.

 

_______________

14             Lebel et Municipalité Paroisse de St-Éloi, C.L.P. 124846-01A-9910, 29 juin 2000, L. Boudreault; Charlebois et G-Net Universel ltée, [2005] C.L.P. 266; Pitre et Entreprises Gérald Pitre enr.,C.L.P. 251305-01C-0412, 16 décembre 2005, J.-F. Clément; Paul et Garderie chez Tatie,C.L.P. 370403-71-0902, 29 septembre 2009, A. Vaillancourt; Côté et Pulvérisateur MS inc.,2011 QCCLP 3169; Delisle et Allianz Madvac inc. (fermé), 2011 QCCLP 5144; Parent et Alcoa ltée, 2013 QCCLP 169.

 

 

[50]        La travailleuse dépose une requête en révision/révocation à l’encontre de cette décision. Elle invoque principalement un manquement à son droit d’être entendue. Ce manquement découlerait notamment de la stratégie adoptée par son avocat, du fait qu’on ait mentionné qu’elle puisse présenter une personnalité limite « bordeline » et d’une référence à une maladie intercurrente. La travailleuse est d’avis qu’elle n’a pu s’exprimer pleinement sur ces sujets non plus qu’elle n’a pu témoigner concernant le second volet de sa contestation, soit l’assistance personnelle et domestique. Elle reproche à son avocat d’avoir laissé le tout à l’appréciation de la Commission des lésions professionnelles.

[51]        Au moment de l’audience de la présente requête, la travailleuse reprend ses différents motifs en les élaborant davantage. Elle réitère sa grande insatisfaction quant à la stratégie adoptée par son avocat de l’époque. Elle revient sur plusieurs éléments de la preuve, suggérant ainsi une appréciation toute autre de sa capacité à exercer, à temps plein, l’emploi convenable de réceptionniste à compter du 23 août 2013 et d’assumer les tâches d’entretien courant de son domicile. Elle revient sur les effets négatifs de ses médicaments ou sur ses céphalées.

[52]        La travailleuse a voulu déposer plusieurs nouveaux documents, pour apporter des correctifs ou des précisions à son dossier. Le tribunal a alors rappelé à la travailleuse le cadre spécifique de la révision/révocation, lequel ne peut permettre une bonification de la preuve ou de l’argumentation présentée devant le premier juge administratif. Les documents n’ont donc pas été reçus.

[53]        C’est ainsi qu’elle demande une révision/révocation de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 27 novembre 2014[11].

[54]        Pour sa part, la procureure de la CSST plaide qu’il n’y a pas matière à révision/révocation de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 27 novembre 2014. Cette décision n’est entachée d’aucun vice de fond de nature à l’invalider. La travailleuse recherche une nouvelle appréciation de la preuve. Le recours en révision/révocation ne peut servir à cette fin.

[55]        Avec respect, le tribunal ne peut faire droit à la requête en révision/révocation de la travailleuse. La décision de la Commission des lésions professionnelles du 27 novembre 2014 n’est entachée d’aucun vice de fond de nature à l’invalider.

[56]        D’emblée, le tribunal constate que la travailleuse a pu faire valoir ses moyens. Ainsi, on ne peut conclure qu’il y aurait eu manquement à son droit d’être entendue.

[57]        En effet, une audience a lieu le 16 septembre 2014 à laquelle assistent la travailleuse et son procureur. La travailleuse peut déposer des documents additionnels et elle peut également témoigner. À ce titre, elle est interrogée par son procureur puis contre-interroger par la procureure de la CSST.

[58]        Dans le cadre de son témoignage, en plus de ce qui est déjà consigné au dossier constitué, la travailleuse peut donner des détails sur sa capacité d’exercer l’emploi convenable de réceptionniste à temps plein de même que sur ses activités de la vie quotidienne ou domestiques.

[59]        Son procureur fait des représentations particulières quant à la question de l’emploi convenable, laissant à l’appréciation du premier juge administratif la question de l’aide personnelle à domicile ou d’entretien courant du domicile.

[60]        Avec respect pour l’opinion contraire, ceci ne démontre pas un manquement au droit de la travailleuse d’être entendue, mais davantage un désaccord sur la stratégie adoptée par son procureur, notamment en décidant de ne faire aucune représentation particulière concernant le second aspect du litige (aide personnelle à domicile ou entretien courant du domicile).

[61]        Un désaccord face à la stratégie adoptée par son procureur ne peut constituer un motif de révision/révocation. Si la travailleuse était en désaccord avec cette façon d’agir, elle pouvait et devait le manifester dès lors plutôt que de le faire, une fois le résultat de la décision connue.

[62]        En ce sens, il ne peut s’agir d’un motif de révision/révocation.

[63]        Il en va de même quant à la mention d’une personnalité de type « borderline » ou « limite ». Il ne peut s’agir non plus d’un motif de révision/révocation.

[64]        D’une part, cette information ne provient pas du premier juge administratif. Ce dernier ne fait que reprendre les informations livrées par le docteur Rivest dans son rapport du 17 juin 2014.

[65]        D’autre part, cette information ne s’avère pas déterminante dans la motivation du premier juge administratif, pour conclure à la capacité de la travailleuse d’exercer l’emploi convenable de réceptionniste.

[66]        En effet, cette information est, entre autres, mentionnée au paragraphe [123] de la décision :

[123]    Le tribunal retient également de la note de consultation du docteur Donald Rivest du 17 juin 2014 que la travailleuse est alerte, orientée, non ralentie et que les examens moteur, sensitif, les épreuves cérébelleuses, la démarche et le Romberg sont normaux. Le médecin insiste d’ailleurs sur la dimension psychologique présente au dossier qui complique le plan de traitements puisque la travailleuse présente une personnalité « borderline » ou limite. Il ne semble pas exclure un retour au travail à temps plein, indiquant que la travailleuse pourrait tenter un retour au travail adapté, à raison d’un jour par semaine pour un mois, deux jours par semaine pour un mois et trois jours par semaine en fonction de sa tolérance à l’effort et de ses myalgies. Il recommande qu’elle redevienne active. Cette note de consultation n’appuie donc pas les prétentions de la travailleuse. Le tribunal est conscient qu’elle est postérieure à la date de détermination de l’emploi convenable, mais retient du témoignage de la travailleuse que la condition qu’elle présentait alors était pire que celle prise en compte au moment de la détermination de l’emploi convenable. Le tribunal en déduit que sa capacité de concentration était alors mieux qu’au moment où elle a été évaluée par le docteur Rivest.

 

[Notre soulignement]

 

 

[67]        Il faut considérer que ce paragraphe [123] s’intègre à la motivation du premier juge administratif concernant la capacité de la travailleuse d’exercer à temps plein l’emploi convenable identifié (paragraphe [122]). Dans cette optique, on constate qu’au paragraphe [123], le premier juge administratif s’attarde particulièrement aux constats du docteur Rivest ayant trait au fait que la travailleuse est alerte, orientée, non ralentie et que les examens moteurs, sensitifs, les épreuves cérébelleuses, la démarche et le Romberg sont normaux.

[68]        Le premier juge administratif répond donc à l’argument concernant le fait que la travailleuse n’aurait pas la capacité d’exercer, à temps plein, l’emploi convenable de réceptionniste. Et dans sa motivation, il est aussi question de l’effet de la médication (paragraphes [114] à [121]) et du fait que la travailleuse se plaindrait de céphalées incommodantes (paragraphe [127]).

[69]        Ainsi, l’on constate bien que la référence aux propos du docteur Rivest s’inscrit dans un contexte d’analyse de l’argument voulant que la travailleuse n’ait pas la capacité d’exercer l’emploi convenable à temps plein. À ce sujet, les constats du docteur Rivest concernant le fait que la travailleuse est alerte, orientée et non ralentie s’avèrent davantage pertinents. Et la mention de ce dernier, rapportée par le premier juge administratif, quant à la personnalité de la travailleuse s’avère plutôt secondaire et non déterminante sur l’issue du litige.

[70]        D’autant que par la suite, toujours dans une optique de statuer sur la capacité de la travailleuse d’exercer l’emploi convenable de réceptionniste, le premier juge administratif analyse la question de l’utilisation des qualifications professionnelles de la travailleuse (paragraphe [131]), de la possibilité raisonnable d’embauche (paragraphe [132]) et de la question du danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique de la travailleuse (paragraphe [133]). Il y a donc une analyse détaillée de la preuve soumise et ce, en fonction des critères d’analyse de l’emploi convenable.

[71]        La décision du premier juge administratif est motivée. Cette motivation est intelligible. L’on comprend le raisonnement suivi pour arriver à conclure à la capacité de la travailleuse d’exercer, à temps plein, l’emploi convenable à compter du 23 août 2013. Et dans cette motivation, la question de l’effet de la médication ou des céphalées incommodantes est traitée.

[72]        Il en va de même quant à la motivation exprimée en ce qui concerne le besoin d’aide personnelle à domicile ou d’entretien courant de son domicile.

[73]        Ainsi, tant en ce qui a trait à la question de l’emploi convenable ou de celle concernant l’aide personnelle à domicile ou d’entretien, la travailleuse a eu l’occasion de faire valoir ses moyens. Le fait que son procureur ait, en ce qui concerne le second aspect du litige, soumis le tout à l’appréciation du premier juge administratif fait partie du choix stratégique. À ce sujet, le tribunal rappelle que la stratégie adoptée par son procureur ne peut constituer un motif de révision/révocation.

[74]        Ceci étant, il est à noter qu’aux paragraphes [136] à [148], le premier juge administratif procède à l’analyse de la question. Cette analyse se fait tant sous l’angle de l’aide personnelle à domicile (article 158) que sous celui de l’entretien courant du domicile (article 165).

[75]        De toute évidence, la travailleuse est en désaccord avec les conclusions retenues. Elle aurait, sans doute, souhaité des conclusions plus favorables. Elle revient d’ailleurs sur plusieurs éléments de preuve dont ceux ayant trait à la prise de médication ou au fait qu’elle souffre de céphalées incommodantes.

[76]        De l’avis du tribunal, il s’agit ni plus ni moins d’une demande d’apprécier de nouveau la preuve soumise à l’attention du premier juge administratif, espérant ainsi des conclusions plus favorables.

[77]        Or, il appartient au premier juge administratif d’apprécier le droit et la preuve et il s’agit de l’exercice auquel il s’est livré aux paragraphes [100] à [148] de sa décision.

[78]        Comme l’indique la Cour d’appel dans l’affaire précitée CSST c. Fontaine[12], il appartient d’abord au premier juge administratif d’interpréter la loi et la preuve soumise. C’est son interprétation qui, toutes choses étant par ailleurs égales, doit prévaloir. Il ne saurait s’agir pour le tribunal, agissant au stade du recours en révision/révocation, de substituer à l’opinion ou l’interprétation des faits ou du droit du premier juge administratif une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première[13].

[79]        Le tribunal rejette la requête en révision/révocation de la travailleuse.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision/révocation déposée le 8 janvier 2015 par madame Sylvie Bilodeau-Sirois, la travailleuse.

 

 

______________________________

 

SOPHIE SÉNÉCHAL

 

 

 

 

 

Me Odile Tessier

PAQUET THIBODEAU BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           [1998] C.L.P. 733; voir aussi Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783.

[3]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.).

[4]           Bourassa c. C.L.P., [2003] C.L.P. 601 (C.A.), requête pour permission de pourvoi à la Cour suprême rejetée.

[5]           CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A.).

[6]          2014 QCCA 1067.

[7]           Gilles PÉPIN et Yves OUELLETTE, Principes de contentieux administratif, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1982, p. 237-238.

[8]           Patrice GARANT avec la collab. de Philippe GARANT et Jérôme GARANT,  Droit administratif, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 609, 621, 634-636.

[9]          Valois et Service d’entretien Macco ltée, [2001] C.L.P. 823.

[10]         Centre hospitalier régional de l’Outaouais et Pelletier, C.L.P. 90565-07-9708, 11 mars 2001, M. Zigby; Buron et Jean-Paul Beaudry Ltée, C.L.P. 128210-72-9912, 3 octobre 2002, L. Landriault; Boivin et Bole inc. (fermé), C.L.P. 113675-32-9904, 13 mars 2002, H. Thériault; Lemieux et Aliments Fournier enr., C.L.P. 156761-01C-0103, H. Thériault; Kabran et Électrolux Canada Corporation et CSST, C.L.P. 343207-63-0803, 24 octobre 2009, C.-A. Ducharme; Résidences Le Monastère-SEC enr. et Lavoie, C.L.P. 386105-05-0908, 12 novembre 2010, P. Perron.

[11]         Bourque et Agence de personnel MCMEL inc. et CSST, C.L.P. 263106-72-0505, 12 décembre 2005, Anne Vaillancourt.

[12]         Précitée, note 3.

[13]         Voir également Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.); Amar c. CSST, [2003] C.L.P. 606 (C.A.).

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