Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Mérineau et Groupe Compass (Eurest/Chartwell)

2016 QCTAT 110

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Laval

 

Dossiers :

579377-61-1507    585802-61-1509

 

Dossier CNESST :

144665239

 

 

Laval,

le 11 janvier 2016

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Jean-François Beaumier

______________________________________________________________________

 

579377

585802

 

 

Line Mérineau

Groupe Compass (Eurest/Chartwell)

Partie demanderesse

Partie demanderesse

 

 

et

et

 

 

Groupe Compass (Eurest/Chartwell)

Line Mérineau

Partie mise en cause

Partie mise en cause

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 579377-61-1507

[1]           Le 2 juillet 2015, madame Line Mérineau (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST)[1] le 23 juin 2015, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST infirme une décision initialement rendue le 19 mai 2015 et déclare qu’elle est justifiée de suspendre, à compter du 19 mai 2015, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à la travailleuse puisque celle-ci a omis ou refusé, sans raison valable, de se soumettre à un examen médical le 5 mai 2015 demandé par le Groupe Compass (Eurest/Chartwell) (l’employeur).

Dossier 585802-61-1509

[3]           Le 25 septembre 2015, l’employeur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 21 septembre 2015, à la suite d’une révision administrative.

[4]           Par cette décision, la CSST confirme une décision initialement rendue le 10 septembre 2015 et déclare qu’elle est justifiée de refuser de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle la travailleuse a droit.

[5]           Une audience a lieu le 8 octobre 2015 à Laval. La travailleuse et l’employeur sont présents, ce dernier par l’entremise de madame Sandra Côté, coordonnatrice santé-sécurité. Le dossier est mis en délibéré le même jour.

[6]           Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[2] (la LITAT) est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail.

[7]           Dans le présent dossier, l’audience s’est tenue devant le commissaire Jean - François Beaumier, juge administratif à la Commission des lésions professionnelles, qui était accompagné de monsieur Luc St-Hilaire, membre issu des associations d’employeurs et de madame Michelle Desfonds, membre issue des associations syndicales. L’article 260 de la LITAT prévoit que le mandat des membres autres que les commissaires prend fin le 31 décembre 2015 et que ces membres ne terminent pas les affaires qu’ils avaient commencées. Comme l’affaire n’était pas terminée en date du 31 décembre 2015, l’avis des membres issus des associations syndicales et d’employeurs n’a pas à être rapporté.

[8]           La présente décision est donc rendue par le soussigné en sa qualité de membre du Tribunal administratif du travail.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossier 579377-61-1507

[9]           La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la CSST et de rétablir le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 19 mai 2015.

Dossier 585802-61-1509

[10]        L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la CSST et de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à la travailleuse à compter du 19 août 2015.

LA PREUVE

[11]        La travailleuse occupe un emploi de superviseure dans une cafétéria scolaire. Le 2 février 2015, elle subit une lésion professionnelle. Les diagnostics retenus sont une entorse au poignet gauche, une déchirure du ligament luno-scaphoïdien gauche, une déchirure du tendon extenseur carpi-ulnaris gauche, une déchirure du fibro-cartilage triangulaire gauche et une synovite du poignet gauche[3].

[12]        Vers le 28 avril 2015, l’employeur convoque la travailleuse à une expertise médicale chez son médecin désigné, le docteur Carl Giasson, au 625, avenue du Président-Kennedy, bureau 1100 (11e étage), à Montréal. Cette expertise doit avoir lieu le 5 mai 2015 à 9 h.

[13]        À la note évolutive de la CSST du 28 avril 2015, l’employeur communique avec l’agente de la CSST pour lui mentionner qu’elle a convoqué la travailleuse à une expertise, mais que cette dernière lui mentionne ne pas pouvoir s’y rendre puisqu’elle ne peut monter les marches, qu’elle a peur dans les ascenseurs et que monter onze étages serait trop pour elle.

[14]        Le même jour, la travailleuse explique à l’agente de la CSST qu’elle ne pourra aller à l’expertise demandée par l’employeur car elle a une condition personnelle qui l’empêche de prendre l’ascenseur sur plusieurs étages et que l’expertise doit avoir lieu au 11e étage. De plus, elle ne peut prendre les escaliers à cause d’un problème de hanche.

[15]        Le 30 avril 2015, l’agente de la CSST contacte l’employeur et l’avise de la condition personnelle de la travailleuse. Elle lui demande de communiquer avec elle. Les notes évolutives de la CSST ne montrent pas de suivi de cet appel.

[16]        Le 5 mai 2015, la travailleuse ne se présente pas à l’examen médical demandé par l’employeur.

[17]        Le même jour, l’employeur demande à la CSST de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à la travailleuse à compter de cette date puisque celle-ci a omis de se présenter à l’expertise médicale prévue.

[18]        À la note évolutive du 19 mai 2015, l’agente de la CSST discute avec une représentante de l’employeur (madame Anne-Marie Vignola) et écrit ceci :

[…]

Nous lui demandons les raisons pour lesquelles, lors du dernier dossier CSST de 2012, elle avait été en mesure de pouvoir changer son expertise.

 

Elle nous explique que, lors de cette expertise, E [l’employeur] avait cru sur parole que la T [travailleuse] avait une condition personnelle l’empêchant de prendre l’ascenseur, mais les choses ont changés depuis que E a été informé que T doit prendre, et ce de façon quotidienne, pour son travail l’ascenseur. Elle doit monter et descendre de la nourriture.

De plus, lors de cet événement, T avait une problématique au niveau de la hanche ce qui n’est plus le cas. Elle mentionne donc que T est en mesure de monter les escaliers pour se rendre au rdv. Elle comprend que c’est plusieurs étages à monter, mais T peut prendre son temps et pourrait également alterner entre marches et ascenseur.

 

E ajoute qu’en aucun temps, un billet médical n’a été consigné au dossier médical (RH) pour confirmer la condition personnelle de T et qu’elle n’était pas en mesure de prendre les ascenseur.  [sic]

 

 

[19]        Le 19 mai 2015, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse de donner suite à la demande de l’employeur du 8 mai 2015 à l’effet de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 19 mai 2015. Cette décision est infirmée le 23 juin 2015, à la suite d’une révision administrative, d’où la requête de la travailleuse.

[20]        À la note évolutive du 1er juin 2015, l’agente de la CSST note que la travailleuse mentionne être harcelée, qu'elle a des relations conflictuelles avec l’employeur et de l’insatisfaction au travail. L’agente de la CSST note ceci :

E demande si nous pouvons donner suite à sa demande de suspension en vertu de 142, elle dit avoir donné de l’information à l’AI [agente d’indemnisation] précédente. […] E mentionne que T prend les ascenseurs. T a pris les ascenseurs samedi dernier alors qu’elle n’était pas au travail, elle est venue aider à la cuisine, elle a monté des plats par l’ascenseur, elle a monté 2 étages et elle est redescendue par celle-ci [sic], seule, pour aller chercher des ustensiles. E dit qu’elle ne la croit plus quand elle mentionne être claustrophobe. E dit être bloquée dans le suivi du dossier à cause de ça et qu’elle ne peut la faire expertiser par un médecin de son choix.

 

 

[21]        L’employeur ajoute que la travailleuse a pris l’ascenseur sans faire de crise d’angoisse ou autre en lien avec sa condition.

[22]        Le 3 juin 2015, la travailleuse est suspendue pour deux jours[4].

[23]        Sur le formulaire de contestation de la Commission des lésions professionnelles du 2 juillet 2015, la travailleuse écrit qu’elle est claustrophobe depuis des années et que son employeur est au courant. Il est peu fréquent que la travailleuse doive prendre l’ascenseur au travail. Si elle doit le prendre, ce qui se produit au maximum dix fois par an, elle s’assoit par terre, a peur et panique. Elle est souvent accompagnée. Elle choisit souvent de prendre les escaliers (environ 15 marches).

[24]        À la note évolutive du 3 juillet 2015, l’agente de la CSST note qu’elle a reçu une « prescription » demandant de ne pas faire voir la travailleuse en expertise dans un endroit nécessitant de prendre les ascenseurs. À la note évolutive du 7 juillet 2015, madame Vignola confirme avoir reçu un billet médical précisant que la travailleuse souffre de claustrophobie et qu’elle ne peut utiliser les ascenseurs.

[25]        L’employeur convoque la travailleuse à une expertise qui a lieu le 10 août 2015.

[26]        Le 10 août 2015, le docteur Mitchell S. Pantel examine la travailleuse à la demande de l’employeur au bureau de la Clinique Cyclone Santé à Dollard-des-Ormeaux. Le docteur Pantel procède à l’examen physique de la travailleuse, plus particulièrement des poignets. Il note ce qui suit :

L’inspection des poignets démontre absence de déformation. Nous retrouvons absence de kyste, œdème et érythème. La température des deux poignets est égale. Madame offre une collaboration très partielle et très peu d’efforts aux mouvements actifs du poignet gauche.

 

Les amplitudes du mouvement du poignet droit sont normales avec une flexion à 70 degrés, extension à 60 degrés, déviation cubitale à 30 degrés, déviation radiale à 20 degrés.

 

Du côté gauche, elle bouge à peine le poignet à 5 degrés dans tous les plans de mouvement. Lorsqu’on demande à madame si elle pourrait bouger son poignet davantage, elle n’offre aucune collaboration additionnelle. On tente d’obtenir la collaboration de madame avec la flexion opposée des deux poignets l’un contre l’autre, ainsi que l’extension opposée des deux poignets, dont madame refuse d’appuyer le dorsum de la main ou région palmaire de la main l’une contre l’autre pour effectuer cette épreuve.

 

Au simple effleurement de la peau au dorsum du poignet gauche, madame nous dit que ceci cause de la douleur. On ne peut effectuer le Tinel ou Phalen. On ne peut effectuer les mouvements passifs du poignet, madame refuse alors la palpation, les mouvements actifs ou passif et l’examen du poignet gauche devient impossible.

[…]

On demande à madame si elle pourrait nous offrir sa collaboration pour fins de palpation du poignet et pour fins de la mobilisation de son poignet soit en mouvement actif ou passif. À ce moment, madame refuse davantage qu’on lui touche. Elle nous dit que « même son médecin traitant ne lui touche pas ». Elle me dit « si vous me causez une fracture, docteur, je serais pas mieux » et « c’est moi qui a mal ».

 

Cette évaluation a débuté à 13 h 10 et a terminé à 13 h 42, sans compter l’étude du dossier ainsi que la rédaction et la correction du présent rapport. Nous ne sommes pas en mesure de poursuivre l’évaluation. Nous respectons que madame pourrait avoir des douleurs au niveau de son poignet, mais offre un très faible effort et très faible collaboration, soit en mouvement actif, passif ou d’offrir la palpation de son poignet dans son entier. Nous ne pouvons pas effectuer les épreuves spécifiques en mouvement résisté. Nous ne pouvons pas évaluer la force d’appréhension. L’évaluation a pris fin avec un examen incomplet du poignet.  [sic]

 

 

[27]        À la note évolutive du 10 août 2015, l’agente de la CSST note, lors d’une conversation téléphonique avec la travailleuse, que celle-ci confirme avoir vu le médecin désigné par l’employeur. Celui-ci lui aurait fait faire des mouvements et lui a pesé sur l’os qui est fracturé et où il y a une déchirure. La travailleuse a crié. Le médecin lui a demandé de sortir de son bureau. La travailleuse dit avoir les doigts bleus, elle a pris des photos et a mis de la glace.    

[28]        Le 19 août 2015, l’employeur demande une nouvelle fois à la CSST de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à la travailleuse. Il soutient que lors de l’expertise du 10 août 2015, la travailleuse aurait refusé que le médecin désigné la touche au poignet ou près de celui-ci et qu’elle aurait refusé de coopérer aux tests cliniques. L’employeur en conclut que la non-collaboration de la travailleuse a rendu impossible l’évaluation du site de la lésion, ce qui correspond à un refus de la part de la travailleuse de se soumettre à une expertise médicale.

[29]        À la note évolutive du 20 août 2015, la travailleuse précise à l’agente de la CSST qu’elle n’a jamais refusé que le médecin la touche. Elle décrit toutes les manœuvres que le médecin lui a demandé de faire, y compris le « petit marteau » que celui-ci a utilisé pour taper sur ses bras. La travailleuse soutient que c’est lorsque le médecin a appuyé son pouce sur l’os, à l’endroit de sa déchirure, qu’elle a retiré sa main et dit au médecin qu’il lui avait fait mal. C’est à ce moment que le médecin lui a dit de sortir de son bureau.

[30]        Le 9 septembre 2015, la travailleuse est congédiée.

[31]        Le 10 septembre 2015, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse de donner suite à la demande de l’employeur du 19 août 2015 d’appliquer l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[5] (la loi). Cette décision est confirmée le 21 septembre 2015, à la suite d’une révision administrative, d’où la requête de l’employeur.

Témoignage de madame Line Mérineau, la travailleuse

[32]        La travailleuse explique qu’elle ne peut prendre les ascenseurs; elle souffre de claustrophobie et cela lui cause des crises d’angoisse. Elle a en parlé à son agente de la CSST peu après la convocation de l’employeur à l’expertise et celle-ci en a parlé avec l’employeur. Elle croyait que ce dernier changerait le lieu de l’expertise, puisque c’est ce qu’il a fait deux ou trois ans auparavant, lors d’une précédente lésion professionnelle. Or, l’employeur a maintenu la convocation au même endroit. La travailleuse s’est rendue dans le portique de la clinique médicale où on l’a convoquée, mais elle n’a pas été capable de monter au 11e étage, lieu de l’expertise. Elle n’a pas avisé le médecin désigné de l’employeur. Elle est toutefois retournée au travail vers 10 h 15 et a travaillé toute sa journée. La travailleuse a été victime d’une lésion professionnelle en 2012 qui touche le dos et la hanche. L’employeur avait alors convoqué la travailleuse à une expertise, puis a changé le lieu de l’expertise une fois connue la claustrophobie de la travailleuse.

[33]        La travailleuse travaille dans un bâtiment, une école, qui comporte trois étages. La travailleuse prend les escaliers (17 marches) ou l’ascenseur. Dans ce dernier cas, elle est soit accompagnée, soit elle doit s’asseoir sur le plancher de l’ascenseur pendant le trajet. Elle a pris l’ascenseur une dizaine de fois dans les 18 mois où elle a travaillé à cette école. Selon la travailleuse, l’employeur est au courant de la situation.

[34]        En ce qui concerne l’examen effectué par le docteur Pantel le 10 juin 2015, la travailleuse mentionne que celui-ci a exercé une pression avec ses deux pouces sur son poignet. La travailleuse a senti une douleur et a retiré sa main. Elle a dit : « Vous m’avez fait mal ». Le docteur Pantel a mis fin à l’examen et lui a demandé de quitter. Lors de ses examens, le médecin traitant de la travailleuse lui demandait plutôt où elle avait mal et y plaçait sa main, manœuvre indolore selon la travailleuse.

[35]        En contre-interrogatoire, la travailleuse précise qu’elle a accepté de travailler le 26 mai 2015, sans y être obligée et sans être payée. Elle assistait deux collègues de travail, Marie et Mylène. Elle s’occupait d’un buffet. Elle a pris deux fois l’ascenseur pour aller chercher des cuillères. Elle ne pouvait prendre les escaliers car il y avait beaucoup de gens sur place qui les utilisaient.

[36]        La travailleuse précise qu’elle n’a jamais été en arrêt de travail. Elle a travaillé du 23 juin au 3 août 2015 sans être payée.

Témoignage de madame Anne-Marie Vignola, gestionnaire de réclamations SST

[37]        Madame Vignola précise qu’en 2012, la travailleuse souffrait de claustrophobie, ce qui l’empêchait de prendre l’ascenseur, et avait des problèmes aux hanches, ce qui l’empêchait de prendre les escaliers. Or, ce dernier élément n’existe pas en 2015. La travailleuse n’a plus de lésion à la hanche. L’employeur tient à faire expertiser la travailleuse par un médecin en particulier puisque c’est son choix et que l’employeur a établi une relation de confiance avec ce médecin.

Témoignage de madame Marie Charpentier, superviseure à l’exploitation

[38]        Madame Charpentier confirme avoir vu la travailleuse prendre l’ascenseur lors d’un gala Méritas à l’école le 25 mai 2015. Or, la travailleuse n’était pas obligée de prendre l’ascenseur. Madame Charpentier n’était pas au courant que la travailleuse était claustrophobe. Elle l’a su le 25 mai 2015 par la travailleuse. La travailleuse a pris l’ascenseur quatre ou cinq fois en 18 mois.

Témoignage de madame Dominique Ratelle-Gendron, gérante à l’exploitation

[39]        Madame Ratelle-Gendron a vu la travailleuse prendre l’ascenseur cinq ou six fois. La travailleuse n’était pas « à l’aise » de prendre l’ascenseur.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[40]        Le Tribunal doit décider si les deux décisions rendues par la CSST, celles des 23 juin et 21 septembre 2015, sont bien fondées.

[41]        La décision du 23 juin 2015 accepte de suspendre, à compter du 19 mai 2015, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse puisque celle-ci a omis ou refusé, sans raison valable, de se soumettre à un examen médical le 5 mai 2015. La deuxième, du 21 septembre 2015, refuse de suspendre, à compter du 10 août 2015, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à la travailleuse pour des motifs contraires.

[42]        La loi prévoit qu’un travailleur doit se soumettre à un examen médical demandé par son employeur :

209.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut exiger que celui-ci se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'il désigne, à chaque fois que le médecin qui a charge de ce travailleur fournit à la Commission un rapport qu'il doit fournir et portant sur un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

 

L'employeur qui se prévaut des dispositions du premier alinéa peut demander au professionnel de la santé son opinion sur la relation entre la blessure ou la maladie du travailleur d'une part, et d'autre part, l'accident du travail que celui-ci a subi ou le travail qu'il exerce ou qu'il a exercé.

__________

1985, c. 6, a. 209; 1992, c. 11, a. 14.

 

210.  L'employeur qui requiert un examen médical de son travailleur donne à celui-ci les raisons qui l'incitent à le faire.

 

Il assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre.

__________

1985, c. 6, a. 210.

 

 

[43]        Un travailleur qui entrave, refuse ou omet de se soumettre, sans raison valable, à un tel examen médical peut voir le versement de son indemnité réduite ou suspendue :

142.  La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :

[…]

2° si le travailleur, sans raison valable :

 

a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;

[…]

__________

1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.

 

 

L’examen médical prévu le 5 mai 2015

[44]        Le Tribunal estime que la travailleuse avait une raison valable de ne pas se soumettre à l’examen médical demandé par l’employeur et qui devait avoir lieu le 5 mai 2015.

[45]        La preuve a établi que la travailleuse est claustrophobe et ne peut prendre l’ascenseur. Le certificat médical émis par le médecin traitant de la travailleuse et acheminé à la CSST en juillet 2015 ne vient que confirmer une situation connue par la CSST et l’employeur. La preuve montre que ce dernier était au courant du handicap de la travailleuse et qu’il a même modifié le lieu d’une expertise médicale demandée dans le cadre d’une lésion professionnelle antérieure. De plus, la travailleuse a prévenu l’employeur et la CSST avant la date de l’expertise médicale. L’employeur a refusé de modifier le lieu de l’expertise.

[46]        L’employeur allègue qu’il a perdu confiance en la version de la travailleuse puisque cette dernière a déjà utilisé l’ascenseur à son travail, notamment le 25 mai 2015. Or, la preuve montre que la travailleuse n’a utilisé l’ascenseur qu’une dizaine de fois en 18 mois. La travailleuse se résigne à prendre l’ascenseur en dernier recours, lorsqu’elle ne peut utiliser les escaliers. Lorsqu’elle doit prendre l’ascenseur, la travailleuse tente d’être accompagnée, sinon elle doit s’asseoir sur le plancher de l’ascenseur pendant le trajet. Le 25 mai 2015, un nombre important de personnes sont invitées lors d’un gala à l’école où travaille la travailleuse. Elle ne peut utiliser les escaliers. Une collègue de la travailleuse a confirmé que la travailleuse semblait mal à l’aise durant le trajet en ascenseur.

[47]        Dans Wal-Mart Canada inc. et Scott[6], la Commission des lésions professionnelles a notamment considéré comme une raison valable le fait que la travailleuse ne pouvait monter plus de deux étages dans un édifice en raison de crises de panique sévères.

[48]        Le soussigné estime aussi qu’il était déraisonnable d’exiger de la travailleuse qu’elle monte au 11e étage par les escaliers dans sa condition.

[49]        La requête de la travailleuse dans le dossier 579377-61-1507 doit être accueillie.

L’examen médical du 10 août 2015

[50]        Le Tribunal estime que la preuve ne montre pas que la travailleuse a refusé de se soumettre à l’examen médical demandé par l’employeur et pratiqué par le docteur Pantel le 10 août 2015.

[51]        La preuve montre plutôt que la travailleuse a ressenti une douleur à la palpation de son poignet gauche par le docteur Pantel et qu’elle a retiré sa main. Le docteur Pantel a conclu que la travailleuse refusait de se soumettre à son examen et y a mis fin.

[52]        Or, le rapport d’expertise produit par le docteur Pantel montre que la travailleuse s’est soumise à l’examen pratiqué par ce dernier. Certes, l’examen physique de la travailleuse s’est avéré ardu en raison des douleurs au poignet éprouvées par celle-ci.

[53]        Toutefois, le soussigné estime que la situation dans le présent dossier relève davantage d’un problème de communication et de compréhension entre la travailleuse et le médecin désigné par l’employeur. Or, la jurisprudence enseigne qu’un travailleur ne refuse pas de se soumettre à un examen médical lorsque le médecin désigné qui procède à cet examen y met fin en raison d’un problème de compréhension et de communication entre lui et le travailleur[7].

[54]        Le présent dossier ne saurait être assimilé à l’affaire Fodil et International Clothiers inc.[8], citée par l’employeur, où le travailleur affichait une attitude agressive, arrogante et impolie envers tous les intervenants et refusait de répondre aux questions pertinentes que le médecin-examinateur lui adressait lors de l’examen médical auquel il était convoqué.

[55]        La requête de l’employeur dans le dossier 585802-61-1509 doit donc être rejetée.

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

Dossier 579377-61-1507

ACCUEILLE la requête de madame Line Mérineau, la travailleuse;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 23 juin 2015, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail n’était pas justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu payable à la travailleuse, à compter du 19 mai 2015. 

 

Dossier 585802-61-1509

REJETTE la requête déposée par le Groupe Compass (Eurest/Chartwell), l’employeur;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 21 septembre 2015, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était justifiée de refuser de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle madame Line Mérineau, la travailleuse, avait droit.

 

 

__________________________________

 

Jean-François Beaumier

 

 

 

Madame Line Mérineau

Pour elle-même

 

 

Date de la dernière audience :      8 octobre 2015

 



[1]           Depuis le 1er janvier 2016 devenue la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail.

[2]          RLRQ, c. T-15.1.

[3]           Note évolutive de la CSST du 1er octobre 2015.

[4]           Note évolutive de la CSST du 3 juin 2015.

[5]           RLRQ, c. A-3.001.

[6]           C.L.P. 185495-62C-0206, 16 décembre 2002, M. Sauvé.

[7]           Soufiane et Via Rail Canada inc., C.L.P. 136134-72-0004, 7 octobre 2002, D. Taillon.

[8]           2007 QCCLP 3689.

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