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[1] Le 20 juillet 2004, monsieur Stéphane Éthier (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 10 juin 2004 à la suite à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 17 février 2004 et déclare que le travailleur n’a pas démontré de motifs raisonnables permettant de le relever de son défaut et déclare irrecevable sa réclamation, puisqu’il a présenté à l’extérieur des délais prévus par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) une réclamation pour une lésion professionnelle, ne respectant pas le délai de six mois pour présenter une telle réclamation.
[3] L’audience s’est tenue le 20 janvier 2005 à Gatineau. Le travailleur était présent et représenté et Gilles Cyr Aluminium enr. (l’employeur) était présent en la personne de monsieur Daniel Cyr, mais n’était pas représenté. La CSST, partie intervenante, était représentée.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle le 3 juillet 2003 et que sa réclamation a été présentée dans les délais prévus par la loi, car il avait un motif lui permettant de retarder à déposer sa demande auprès de la CSST.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Conformément à l’article 429.50 de la loi, le commissaire soussigné a obtenu l’avis des membres sur la question faisant l’objet de la contestation.
[6] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête du travailleur, car sa réclamation est irrecevable, le travailleur n’ayant pas produit celle-ci dans les six mois de la survenance de la lésion professionnelle alléguée. Il estime, de plus, que le travailleur n’a pas fait la preuve d’un motif raisonnable justifiant qu’il soit relevé de son défaut d’avoir respecté ce délai, puisque son intérêt à présenter une réclamation a pris naissance au moment où il a cessé de travailler et qu’il a pris des médicaments en raison de cette lésion et non pas lorsqu’il a été informé qu’il subirait une chirurgie nécessitant un arrêt de travail.
[7] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête du travailleur doit être accueillie, car il considère que le travailleur était justifié de ne pas présenter de réclamation à la CSST, puisque son médecin lui avait indiqué qu’il ne s’agissait pas d’une lésion professionnelle, mais plutôt d’une condition personnelle qui devenait symptomatique. Le travailleur n’ayant pas obtenu de rapport médical, tel que prévu aux dispositions de l’article 199 de la loi, ne pouvait déposer une réclamation, puisque son médecin n’établissait pas la relation entre son travail et la lésion qu’il présentait.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[8] Dans sa prise de décision, la Commission des lésions professionnelles a tenu compte de l’avis des membres, de l’ensemble de la preuve documentaire au dossier, du témoignage du travailleur ainsi que de l’argumentation des parties.
[9] Au soutien de sa décision, la Commission des lésions professionnelles réfère aux éléments de preuve tant documentaire que testimoniale pertinente à la détermination des questions en litige.
[10] Le 5 février 2004, le travailleur, menuisier-charpentier, présente une réclamation à la CSST dans laquelle il indique que, le 3 juillet 2003 dans l’avant-midi, il a subi une lésion professionnelle alors qu’il faisait des travaux de toiture. Il ajoute qu’il a ressenti des maux de dos et des engourdissements à la jambe gauche en éprouvant de plus en plus de difficulté à se porter sur sa jambe. La même journée, il complète le formulaire Avis de l’employeur et demande de remboursement où il précise qu’alors qu’il effectuait des travaux de toiture il a ressenti des engourdissements à la jambe gauche. À l’audience, le travailleur indique qu’il était en train d’effectuer ses travaux, qu’il était assis par terre avec une jambe étirée et une jambe repliée sur lui afin d’effectuer son travail. Il était penché vers l’avant pour exécuter ses tâches et, lorsqu’il s’est redressé, il a ressenti une vive douleur au dos qui a irradié à la jambe. Il s’agit là d’une démonstration que sa posture à entraîné l’apparition de sa symptomatologie.
[11] Le travailleur a consulté le 8 juillet 2003. Les notes de consultation révèlent que le travailleur a présenté une lombo-sciatalgie gauche depuis quatre à six semaines et une paresthésie plantaire gauche depuis environ une semaine. Il est mentionné que la symptomatologie a augmenté et que le travailleur n’a pas de faiblesse notable, mais a de la difficulté à faire des efforts. Il est mentionné que les signes du straight leg raising est positif à 80° à droite et à 30° à gauche. Les notes d’évolution ne font pas mention qu’il s’agit d’une lésion professionnelle en relation avec son travail.
[12] Durant cette période, le travailleur reçoit des traitements et des soins, et subit des examens médicaux. Ce n’est que le 3 février 2004 que le docteur Bertrand émet un rapport médical de la CSST dans lequel il indique que le travailleur présente une hernie discale L5-S1 et une radiculopathie S1, qu’il est en arrêt de travail depuis le 14 juillet 2004 et qu’il a fait de la physiothérapie. À l’audience, le travailleur témoigne à l’effet que, lorsqu’il a consulté son médecin, il lui a expliqué ce qui s’était passé dans le courant de la journée et, comme il avait déjà consulté en raison de problèmes de dos, son médecin lui a alors déclaré qu’il ne s’agissait que d’une manifestation de sa condition personnelle. Le travailleur n’a pas cru bon de mettre en doute l’opinion de son médecin et a suivi ses indications. Ce n’est que par la suite et au cours des rencontres subséquentes que le médecin a questionné plus avant son patient et, voyant que la symptomatologie demeurait et que la seule condition du travailleur ne pouvait pas l’expliquer, il a demandé de l’information supplémentaire concernant la description de ses tâches de travail. Le médecin a alors établi que le travailleur présentait une lésion professionnelle en raison de ses activités de travail et a alors émis un rapport médical, tel que prescrit par la CSST. Le travailleur a alors, dans les jours subséquents, présenté sa réclamation à la CSST. Est-ce que l’on peut imposer au travailleur le délai prévu à l’article 270 de la loi alors que celui-ci n’a eu, d’aucune façon, une confirmation ou une indication que sa lésion professionnelle originait du travail, ayant même de l’information contraire à cet effet, puisque son médecin lui indique qu’il s’agit d’une condition personnelle? L’article 270 de la loi prévoit :
270. Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est incapable d'exercer son emploi pendant plus de 14 jours complets ou a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ou, s'il décède de cette lésion, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la lésion ou du décès, selon le cas.
L'employeur assiste le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, dans la rédaction de sa réclamation et lui fournit les informations requises à cette fin.
Le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, remet à l'employeur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.
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1985, c. 6, a. 270.
[13] La loi prévoit qu’un travailleur doit obtenir un rapport médical émis sur les formulaires de la CSST. Le fait que le médecin du travailleur ait retardé avant de se prononcer ne peut être reproché au travailleur, puisque celui-ci s’en est remis exclusivement à l’opinion de son médecin et a suivi ses directives et ses indications.
[14] Sur cette question, le témoignage du travailleur a toujours été le même, puisqu’en date du 12 février 2004 le travailleur est entré en communication avec la CSST et a indiqué que son médecin ne croyait pas qu’il y avait une relation entre son travail et qu’il ne connaissait pas la loi. Le travailleur a aussi donné la description de l’événement qui apparaît ainsi dans les notes évolutives : « j’étais à genoux lorsque j’ai ressenti un engourdissement à la jambe gauche genoux sur le bord de la toiture, le lendemain j’avais mal au dos. » [sic] Il mentionne qu’il ne s’était rien produit d’anormal, qu’il n’a pas fait de faux mouvements et qu’il devait enlever du « papier pour toiture ». À l’audience, le travailleur a donné des précisions sur cette description indiquant qu’il était de longues périodes penché vers l’avant avec le dos courbé.
[15] Les notes de consultation durant cette période font toutes la démonstration que le travailleur présente, au niveau discal, des signes positifs tout au long des examens. Ce n’est que le 2 février 2004 qu’il est mentionné dans les notes du médecin qu’il devrait y avoir une ouverture de dossier à la CSST.
[16] La preuve démontre que le travailleur a une condition personnelle sous-jacente, mais que, possiblement, les gestes et la position adoptée dans le cadre de ses tâches de travail ont rendu symptomatique cette condition en l’aggravant. La symptomatologie, devenant permanente, a entraîné une incapacité de travail nécessitant des soins et des traitements.
[17] Le tribunal est d’avis que le travailleur a fait la démonstration que les gestes effectués à son travail sont susceptibles d’avoir entraîné une aggravation de sa condition personnelle sous-jacente, que cette lésion constitue une lésion professionnelle au sens de la loi et que le travailleur a valablement présenté sa réclamation à la CSST. Le travailleur a suivi les directives de son médecin qui n’établissait pas encore la relation entre les gestes effectués au travail et la condition personnelle du travailleur. Ce n’est que lorsque le médecin a constaté l’évolution de la lésion qu’il a été d’avis que les activités du travailleur étaient responsables de la lésion.
[18] Le délai pour le travailleur de présenter sa réclamation débute au moment où le médecin lui indique que sa lésion professionnelle origine de son activité de travail, ce qui n’a été fait qu’en février 2004. Le travailleur ne pouvait pas présenter de réclamation avant cette période, puisque la CSST demande à ce qu’un rapport médical, en respect avec les dispositions de l’article 199 et suivants de la loi, soit émis par le médecin qui prend en charge le travailleur, ce qui n’aurait pas été possible au moment de la première consultation médicale.
[19] La blessure du travailleur est une blessure qui a été diagnostiquée à titre de hernie discale. Le travailleur présentait déjà une condition personnelle sous-jacente qui est assimilable à une maladie professionnelle et les gestes effectués dans la journée du 3 juillet 2004 ont accentué cette condition personnelle en l’aggravant et en augmentant la symptomatologie, ce qui est assimilable à une lésion professionnelle.
[20] Concernant la mention à l’article 270 de la loi qui indique que le travailleur doit aviser la CSST d’un arrêt de travail de 14 jours complets en raison d’une lésion professionnelle dans les six mois, le travailleur n’était pas informé qu’il avait une lésion professionnelle au moment de l’arrêt de travail, car son médecin était d’avis qu’il s’agissait de la manifestation de sa condition personnelle. Il y a plus, le travailleur était doublement justifié de ne pas présenter de réclamation, puisqu’il ne croyait pas avoir subi de lésion professionnelle, car aucun événement hors de l’ordinaire pouvant être assimilable à un accident du travail ne s’était produit, selon lui. Pourtant l’on sait qu’une position contraignante peut entraîner une lésion professionnelle comme c’est le cas en l’espèce.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Stéphane Éthier;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 10 juin 2004 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Stéphane Éthier a valablement déposé sa réclamation à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, celui-ci ayant un motif lui permettant d’être relevé du défaut d’avoir respecté les délais prévus à l’article 270 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
DÉCLARE que monsieur Stéphane Éthier a subi une lésion professionnelle le 3 juillet 2004 et qu’il a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Simon Lemire |
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Commissaire |
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Monsieur Christian Major |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Julie Perrier |
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PANNETON LESSARD |
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Représentante de la partie intervenante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.