Décision

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Décision

9179-0212 Québec inc. c. Légaré

2019 QCRDL 38444

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Saint-Jérôme

 

Nos dossiers :

437150 28 20190115 V

Voir annexe 1 pour liste des dossiers

No demande :

2833011

 

 

Date :

04 décembre 2019

Régisseurs :

Marie-Louisa Santirosi, juge administrative

Marc Lavigne, juge administratif

 

9179-0212 Québec inc.

 

Locateur - Partie demanderesse

(Pour tous les dossiers à l’annexe 1)

c.

Alexandre Légaré et les autres locataires

 

Locataires - Partie défenderesse

(Voir Annexe 2 - Liste des locataires)

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le locateur se pourvoit devant le tribunal de la Régie du logement, siégeant en révision, à l’encontre d’une décision rendue le 25 juillet 2019. Le jugement rejette sa demande de modifier les conditions au bail afin d’ajouter la clause qui suit :

« Il est strictement interdit de consommer du cannabis sur votre terrain de location, dans votre résidence ainsi que sur tout le terrain du Camping de la diable et le Parc de maison mobile de la Diable (sans exception). Nous sommes une entreprise familiale qui veut entretenir un environnement sain pour le bien-être de tous. La culture et la vente de cannabis est strictement interdite. Toute personne ne respectant pas ses règlements se verra expulser immédiatement, et ce, sans préavis. »

[2]      Une mise en contexte s’impose.

[3]      Le locateur exploite un parc de maisons mobiles. Certains résidents habitent le camping à l’année.

[4]      Suite à la légalisation du cannabis, le législateur a voulu qu’un locateur puisse inclure dans les baux une clause interdisant de fumer le cannabis, comme il peut le faire pour le tabac. Pour ne pas pénaliser les locateurs qui détenaient des baux en vigueur, l’article 107 de la Loi encadrant le cannabis[1] (ci-après « la Loi ») prévoyait entre le 17 octobre 2018, date d'entrée en vigueur de la législation, et le 15 janvier 2019 la possibilité pour ces derniers de modifier un bail déjà existant.

[5]      L’article 107 de la Loi se lit comme suit :

« 107. Un locateur peut, d’ici le 15 janvier 2019, modifier les conditions d’un bail de logement en y ajoutant une interdiction de fumer du cannabis.


À cette fin, le locateur remet au locataire un avis de modification décrivant l’interdiction de fumer du cannabis applicable à l’utilisation des lieux.

Le locataire peut, pour des raisons médicales, refuser cette modification. Il doit alors aviser le locateur de son refus dans les 30 jours de la réception de l’avis. Dans un tel cas, le locateur peut s’adresser à la Régie du logement dans les 30 jours de la réception de l’avis de refus pour faire statuer sur la modification du bail.

En l’absence de refus, l’interdiction est réputée inscrite au bail 30 jours après la réception par le locataire de l’avis de modification. »

[6]      Le présent locateur, désireux de se prévaloir de la possibilité de modifier le bail, notifie les locataires de son intention d’inclure la clause précitée dans le délai imparti.

[7]      En audience, le Tribunal a réuni les dossiers des locataires ayant refusé la modification. L’argument principal des locataires se lit comme suit :

« [...] étant donné que nous sommes propriétaires de nos maisons mobiles et locataires seulement des terrains, vous ne pouvez nous empêcher de consommer du cannabis dans notre propre maison et de ce fait, votre « droit de gérance » ne s'applique pas. [...] »

[8]      Le Tribunal donne raison aux locataires et rejette la demande du locateur au motif que la Loi encadrant le cannabis s’applique uniquement à des logements et que malgré l’article 1892 du Code civil du Québec (C.c.Q.) qui assimile la location de terrains destinés à recevoir des maisons mobiles au bail résidentiel, il ne le transforme par pour autant en logement. Le jugement exclut du champ d’application de la Loi le locateur de terrains de maisons mobiles.

[9]      Le locateur se pourvoit en révision parce qu’il désire répliquer à l’aspect de l’application de loi qui ne fut jamais abordé en audience.

[10]   Il n’est pas contesté que le tribunal de révision en vertu de l’article 90 de la Loi instituant la Régie du logement possède le pouvoir de reconsidération, ce qui lui permet d'entendre de nouveau la cause, en tout ou en partie, pour cause.

[11]   Dans la présente affaire, le Tribunal a permis au locateur d’exposer son argumentation sur l’aspect de l’application de la Loi. Le locateur argumente que le juge a erré sur l’interprétation de l’article 1892 C.c.Q.

[12]   Cette disposition se lit comme suit :

« 1892. Sont assimilés à un bail de logement, le bail d'une chambre, celui d'une maison mobile placée sur un châssis, qu'elle ait ou non une fondation permanente, et celui d'un terrain destiné à recevoir une maison mobile.

Les dispositions de la présente section régissent également les baux relatifs aux services, accessoires et dépendances du logement, de la chambre, de la maison mobile ou du terrain, ainsi qu'aux services offerts par le locateur qui se rattachent à la personne même du locataire.

Cependant, ces dispositions ne s'appliquent pas aux baux suivants:

 1° Le bail d'un logement loué à des fins de villégiature;

 2° Le bail d'un logement dont plus du tiers de la superficie totale est utilisée à un autre usage que l'habitation;

 3° Le bail d'une chambre située dans un établissement hôtelier;

 4° Le bail d'une chambre située dans la résidence principale du locateur, lorsque deux chambres au maximum y sont louées ou offertes en location et que la chambre ne possède ni sortie distincte donnant sur l'extérieur ni installations sanitaires indépendantes de celles utilisées par le locateur;

 5° Le bail d'une chambre située dans un établissement de santé et de services sociaux, sauf en application de l'article 1974. »

[13]   Le locateur plaide que les baux de maisons mobiles sont assimilés à un bail de logement par le législateur, dans le sens où ces contrats doivent être traités de la même façon et non de les exclure comme pour le bail de villégiature ou celui d’une chambre.

[14]   À son avis, si le législateur avait voulu exclure du champ d’application de la Loi la location les terrains destinés à accueillir les maisons mobiles, il l’aurait spécifié et non le contraire.

[15]   Le locateur ne croit pas non plus que le droit de propriété des maisons mobiles entrave la possibilité d’interdire la consommation de cannabis même à l’intérieur de ces habitations.


[16]   Il considère le terrain comme l’immeuble principal et la maison mobile, un bien meuble accessoire, comme le seraient par exemple une voiture stationnée sur son terrain ou la location d’un lot l’été pour installer une tente. Le locateur ayant la possibilité d’interdire la consommation de cannabis peut élargir son droit pour l’étendre à l’habitation installée sur le terrain.

Analyse et application du droit

[17]   L’adage selon lequel « l'accessoire suit le principal », Accessorium sequitur principale, s’emploie principalement dans le domaine du cautionnement, puisque la finalité de la sûreté consiste à renforcer l’efficacité des créances. Mais l’expression ne se limite pas à cette catégorie du droit. Elle peut également servir pour qualifier un droit ou une prérogative attachée à un droit principal.

[18]   Dans la présente affaire, il s’agit de l’argument du locateur qui voit dans le terrain, immeuble par nature, le principal à laquelle le droit de propriété de la maison mobile est subordonné, étant l’accessoire de la location.

[19]   Selon une jurisprudence majoritaire, la maison mobile serait un bien immeuble par attache au sol ou réunion[2], mais il existe également un autre courant de jurisprudence qui le qualifie de bien meuble[3].

[20]   Dans la présente affaire, il s’agit d’un faux débat.

[21]   Le locateur a fait de son droit de propriété du sol une entreprise de location de terrain pour accueillir entre autres des maisons mobiles, destinées à être habitées à l’année. Chaque partie est propriétaire de son bien respectif. Les droits rattachés à la propriété du terrain ne sont pas subordonnés aux droits du propriétaire de la maison mobile et vice versa.

[22]   Le lien juridique réside dans le bail de location et c’est ce contrat qui détermine les droits et obligations des parties. Il n'existe aucune subordination entre les droits de propriété légitimes des parties.

[23]   L’usage de la maison mobile à des fins d’habitation résidentielle est le motif le plus logique pour lequel le législateur « assimile » la location du terrain à un bail à logement. Le contrat conserve toutefois la particularité des dispositions particulières à ce type de baux aux articles 1996 à 2000 C.c.Q. La lecture de ces dispositions ne laisse aucun doute sur l'intention du législateur de différencier les droits du locateur du terrain de ceux du locateur de logements. Il s'agit cependant de différences qui résultent de la nature inhérente de l’objet loué.

[24]   Le terrain n’est donc pas un logement en soi et la location d’un terrain visant à permettre l’installation d’une maison mobile n’est pas un bail de logement. Toutefois, le premier doit, selon l’article 1892 C.c.Q., être traité comme la location d’un logement, lorsque les circonstances s’y prêtent.

[25]   Il n’y a aucun rapprochement à faire, comme le prétend le procureur du locateur, avec une voiture stationnée sur le terrain du locateur ou la location de terrain pour installer des tentes, puisque ces biens meubles ne servent pas d’habitation résidentielle et ne sont pas visés par l’article 1892 C.c.Q.

[26]   Dans cette perspective, le locateur d’un terrain ne peut restreindre le mode de vie du propriétaire de la maison mobile.

[27]   Dans les circonstances, le Tribunal ne voit aucun motif pour réviser la décision du 25 juillet 2019.

[28]   Le Tribunal tient également à faire une remarque supplémentaire. L’article 107 de la Loi permet au locateur de modifier son bail pour interdire de fumer le cannabis et non la consommation de la substance sous d’autres formes.

[29]   L’avis proposé par le locateur débordait largement du cadre législatif autorisé par le législateur, ce qui aurait permis de l’invalider pour ce motif.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[30]   REJETTE la demande en révision du locateur.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marie-Louisa Santirosi

 

 

 

Marc Lavigne

 

Présence(s) :

le mandataire du locateur

l’avocat du locateur

les locataires Thibault, Pilon, Deschênes, Labrosse, Cadieux et Viau

Date de l’audience :  

22 octobre 2019

 

 

 

 


 

 

ANNEXE 1

Liste de tous les dossiers concernés

 

 


437150

437260

437266

437270

437271

437273

437275

437279

437281

437415

437417

437419

437420

437423

437428

437430

437431

437433

437435


 

 

 

_____________________________

 

Liste des autres logements concernés

 

 


[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

 

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

 

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

 

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

 

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

 

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

 

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

 

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

 

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

 

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

 

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

 

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

 

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

 

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

 

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

 

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

 

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

 

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]


 

 


ANNEXE 2

Liste des locataires

 

 


ALEXANDRE LÉGARÉ

[...]

Mont-Tremblant (Québec) [...]

Locataire - Partie défenderesse

(437150)

 

GINETTE DESCHeNES

jean-robert richard

[...]

MONT-TREMBLANT (QUÉBEC) [...]

Locataires - Partie défenderesse

(437260)

 

brigitte duval

[...]

MONT-TREMBLANT (QUÉBEC) [...]

Locataire - Partie défenderesse

(437266)

 

marcel dufort

[...]

MONT-TREMBLANT (QUÉBEC) [...]

Locataire - Partie défenderesse

(437270)

 

RENÉ VIAU

[...]

MONT-TREMBLANT (QUÉBEC) [...]

Locataire - Partie défenderesse

(437271)

 

LOUISE LABROSSE

[...]

MONT-TREMBLANT (QUÉBEC) [...]

Locataire - Partie défenderesse

(437273)

 

nicole lafond

[...]

MONT-TREMBLANT (QUÉBEC) [...]

Locataire - Partie défenderesse

(437275)

 

JEAN-MAURICE MERCIER

et

SYLVIE PAQUETTE

[...]

MONT-TREMBLANT (QUÉBEC) [...]

Locataires - Partie défenderesse

(437279)

 

 

 

 

 

SUZANNE BONIN

[...]

MONT-TREMBLANT (QUÉBEC) [...]

Locataire - Partie défenderesse

(437281)

 

MARIE-EVE LANIEL

[...]

MONT-TREMBLANT (QUÉBEC) [...]

Locataire - Partie défenderesse

(437415)

 

FRANCE PILON

[...]

MONT-TREMBLANT (QUÉBEC) [...]

Locataire - Partie défenderesse

(437417)

 

NICOLE LADOUCEUR

[...]

MONT-TREMBLANT (QUÉBEC) [...]

Locataire - Partie défenderesse

(437419)

 

MICHEL LEMAY

[...]

MONT-TREMBLANT (QUÉBEC) [...]

Locataire - Partie défenderesse

(437420)

 

JEAN DUPONT

[...]

MONT-TREMBLANT (QUÉBEC) [...]

Locataire - Partie défenderesse

(437423)

 

DANIEL JUTEAU

[...]

MONT-TREMBLANT (QUÉBEC) [...]

Locataire - Partie défenderesse

(437428) (437430) (437431)

 

ANNE-MARIE THIBAULT

[...]

MONT-TREMBLANT (QUÉBEC) [...]

Locataire - Partie défenderesse

(437433)

 

NORMAND CADIEUX

[...]

MONT-TREMBLANT (QUÉBEC) [...]

Locataire - Partie défenderesse

(437435)


 


 



[1] Loi constituant la Société québécoise du cannabis, édictant la Loi encadrant le cannabis et modifiant diverses dispositions en matière de sécurité routière, projet de loi no 157, (sanctionné-12 juin 2018), 1e sess., 41e légis. (Qc), Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d'autres lois, projet de loi no C-45 (sanctionné-21 juin 2018), 1e sess., 42e légis. (Can.).

[2] Communauté régionale de l'Outaouais c. Groulx, EYB 1982-139922 (C.A.); Commission de la construction du Québec c. Coffrages St-Hubert inc., EYB 1996-30240 (C.Q.); Roy c. Bonin, EYB 2008-148141 (C.Q.). Pour en savoir davantage sur cette catégorie d'immeuble, voir les commentaires relatifs à l'art. 903 C.c.Q. EYB2008DCQ1012.

[3] Pierre-Claude LAFOND, Précis de droit des biens, Montréal, Éditions Thémis 1999 à la page 688 et ss. Cité dans 9079-8190 Québec inc. c. Bergeron, [2005] R.D.I. 463, 2005 QCCA 608, J.E. 2005-1197, EYB 2005-91696, jugement de la Cour d'appel, A. Brossard, J. R. Nuss et Y.-M. Morissette, j.c.a..

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