Caisse d'économie solidaire Desjardins c. Ouimette

2019 QCCA 339

 

COUR D’APPEL

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 

N° :

500-09-028079-192

 

(500-22-242893-173)

 

 

 

DATE :

 26 février 2019

 

 

 

 

 

DEVANT

L'HONORABLE

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

 

 

 

CAISSE D’ÉCONOMIE SOLIDAIRE DESJARDINS

 

REQUÉRANTE - tierce saisie

 

c.

 

 

 

JACQUES OUIMETTE

 

INTIMÉ - demandeur

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

 

 

 

 

[1]           La requérante sollicite la permission d’appeler d’un jugement rendu le 7 décembre 2018 par l’honorable Éric Dufour de la Cour du Québec, district de Montréal, lequel l’a condamné à payer 48 634,43 $ à l’intimé avec intérêts au taux légal et indemnité additionnelle[1].

[2]           Les faits ne sont pas contestés.

[3]           Le 17 novembre 2017, l’intimé obtient jugement au montant de 48 634,43 $ contre Organisation du sommet mondial du design (OSMD) à la suite de l’homologation d’une transaction.

[4]           Vu le défaut d’OSMD de payer cette créance, l’huissier mandaté par l’intimé signifie un avis d’exécution en mains tierces à la requérante. La signification a lieu le vendredi 24 novembre 2017, à 14 h. À cette date, 53 865,74 $ sont portés au crédit du compte d’OSMD auprès de la requérante.

[5]           L’avis est signifié à l’établissement de la requérante sur le boulevard de Maisonneuve Est à Montréal, et non à son siège social à Québec. Les employés de la requérante qui reçoivent signification de la procédure l’envoient par courrier interne au siège social. Elle y arrivera le lundi 27 novembre 2017.

[6]           Le lendemain, soit le 28 novembre 2017, la requérante gèle le compte d’OMSD et fait une déclaration positive annonçant détenir 40 319,37 $ au compte d’OSMD. Des paiements totalisant 13 546,37 $ sont retirés du compter le 27 novembre 2017.

[7]           Le 8 décembre 2017, un autre avis d’exécution est émis pour une créance de l’Agence du Revenu du Québec de 21 750,23 $.

[8]           Le 13 décembre 2017, l’huissier mandaté par l’intimé demande à la requérante de lui verser les sommes détenues dans un délai de 10 jours.

[9]           Le 18 décembre 2017, avant que la requérante ait versé les sommes détenues à l'huissier, OSDM dépose un avis d’intention en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« Lfi »). Le lendemain, le syndic de faillite d’OSMD dépose un avis de suspension des procédures en vertu de l’article 69 Lfi qui empêche l’intimé de toucher à la somme saisie, qui sera éventuellement remise à OMSD dans le cadre de sa proposition.

[10]        Le 20 juin 2018, l’intimé demande une condamnation personnelle contre la requérante. L’intimé allègue la négligence de la requérante en ne gelant pas le compte d’OMSD dès le 24 novembre 2017 et la fausseté de la déclaration, qui déclare la somme détenu de 40 319,37 $ plutôt que la somme de 53 865,74 $ qui aurait dû être détenu.

[11]        Le juge accueille la demande et condamne la requérante à payer 48 634,43 $ à l’intimé.

[12]        D’abord, il rejette l’argument de la requérante sur la validité de la signification à l’établissement plutôt que le siège. Il retient que ce motif est théorique parce que les employés de la succursale ont envoyé l’avis au siège social. Il ne commente pas le moment où naît l’obligation de retenir les sommes dans le compte.

[13]        Poursuivant son analyse, le juge note deux erreurs dans le comportement de la requérante lors de la réception de l’avis. Le juge lui reproche d’avoir traité la saisie comme la saisie d’un particulier et de ne pas avoir gelé immédiatement le compte d’OSMD, le délai de quatre jours entre ladite signification et le gel ayant permis à OSMD de retirer plus de 13  000 $  de son compte.

[14]        Par ailleurs, le juge retient que la requérante a tardé à répondre à la demande de paiement de l’huissier mandaté par l’intimé du 13 décembre 2017, même si elle est à l’intérieur du délai fixé par l’huissier, et que par son omission d’y répondre rapidement, la somme est tombée sous le contrôle de la Lfi, empêchant l’intimé de la recevoir.

[15]        Le juge conclut qu’il s’agit d’un défaut de déclarer et de déposer qui rend la requérante responsable du plein montant de la créance de l’intimé, en vertu de l’article 717 C.p.c., parce que l’intimé aurait reçu ce montant sans les fautes de la requérante. Il rejette l’argument que l’intimé n’aurait rien récupéré du compte vu la proposition d’OMSD.

[16]        Les jugements rendus en matière d’exécution ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur permission accordée par un juge de la Cour d’appel lorsque celui-ci considère que la question en jeu en est une qui doit être soumise à la Cour, notamment parce qu’il s’agit d’une question de principe, d’une question nouvelle ou d’une question de droit faisant l’objet d’une jurisprudence contradictoire (art. 30 al. 2, paragr. 8 et al. 3 C.p.c.).

[17]        De plus, la permission peut être accueillie s’il s’agit d’une question de justice. Dans Dell Canada inc. c. Saragro[2], le juge Gascon, alors à cette Cour, autorise une permission d’appeler par un tiers saisi condamné à payer le plein montant de la dette à la suite de son omission de déclarer :

[3]        Je partage le point de vue exprimé par certains collègues de la Cour voulant que, en matière d'exécution comme c'est le cas ici, le jugement qui soulève une question de justice, particulièrement envers un tiers non concerné par la créance qui fait l'objet de la saisie, soulève une question qui doit être soumise à la Cour d'appel. C'est, à mon avis, la situation en l'espèce.

[18]        Je suis d’accord que l’appel soulève une question de justice. En effet, il n’est pas clair, selon la trame factuelle présentée devant moi, que la requérante a commis une faute suffisamment sérieuse ou que l’intimé aurait reçu les sommes détenues si la requérante les avait remis à l’huissier plus tôt, vu l’autre saisie et l’application de la Lfi.

[19]        De plus, il m’apparaît que le dossier comporte des questions qui méritent l’attention de la Cour : l’effet de la signification non conforme sur l’obligation de retenir les sommes saisies, l’interrelation entre l’article 717 C.p.c. et la Lfi et l’exercice de discrétion du juge en vertu de l’article 717 C.p.c.

[20]        J’estime que le pourvoi doit procéder par voie accélérée, avec dépôt d’exposés plutôt que de mémoires.

POUR CES MOTIFS, LE SOUSSIGNÉ:

[21]         ACCUEILLE la requête;

[22]        ACCORDE à la requérante la permission d'en appeler du jugement de la Cour du Québec, district de Montréal (l'Honorable Éric Dufour), rendu le 7 décembre 2018 dans le dossier 500-22-242893-173;

[23]        ORDONNE que le pourvoi procède par voie accélérée et avec le dépôt d'exposés;

[24]         ORDONNE à la partie appelante, après avoir fait signifier copie à la partie intimée, de déposer au greffe au plus tard le 29 mars 2019, quatre exemplaires d'un exposé n'excédant pas 15 pages, des pièces qui auraient normalement formé les Annexes I, II et III du mémoire et de ses sources;

[25]        ORDONNE à la partie intimée, après avoir fait signifier copie à la partie appelante, de déposer au greffe, au plus tard le 3 mai 2019, quatre exemplaires d'un exposé n'excédant pas 15 pages, d'un complément de documentation et de ses sources;

[26]         ORDONNE aux parties de déposer leur exposé sur un format 21,5 cm X 28 cm (8 ½ X 11 pouces), rédigé à au moins un interligne et demi (sauf quant aux citations qui doivent être à interligne simple et en retrait), avec des caractères à l'ordinateur de douze points, le texte ne devant pas compter plus de douze caractères par 2,5 cm, l'utilisation de la police ARIAL-12 étant fortement recommandée;

[27]        ORDONNE que les documents déposés par les parties soient paginés de façon continue, ou soient séparés par des onglets, et comprennent une page de présentation et  une table des matières;

[28]        DÉFÈRE le dossier au Maître des rôles pour qu'il fixe le pourvoi pour une audience d'une durée de 60 minutes (30 minutes pour chaque partie) lorsqu'il sera en état;

[29]        SANS FRAIS DE JUSTICE, vu la renonciation par la requérante.

 

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

Me Mathieu Renaud

Me David Choinière

DUNTON, RAINVILLE

Pour la requérante

 

Me Luc Lachance

ASTELL LACHANCE DU SABLON DE SUA

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

22 février 2019

 



[1]     Ouimette c. Organisation du sommet mondial du design, 2018 QCCQ 9775.

[2]     Dell Canada inc. c. Saragro, 2013 QCCA 391.

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