On c. Gascon |
2021 QCTAL 12553 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
558034 31 20210222 G |
No demande : |
3183639 |
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Date : |
14 mai 2021 |
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Devant la juge administrative : |
Pascale McLean |
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Nang-Phu On
Thuc-Anh Ly |
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Locateurs - Partie demanderesse |
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c. |
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Jean-Christophe Gascon |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Les locateurs demandent l'autorisation de reprendre le logement occupé par le locataire afin d'y loger leur fille, Thuy-Lien On et sa famille, à compter du 1er août 2021.
[2] Un avis de reprise a été transmis le 27 janvier 2021. Le locataire n’a pas répondu à l’avis, il est donc réputé avoir refusé. La présente demande est déposée le 22 février 2021.
[3] Le locataire soulève, en moyen préliminaire, la validité de l’avis puisque remis hors délai.
[4] Subsidiairement, le locataire conteste la reprise et fait valoir qu'il s'agit d'un prétexte pour l’expulser du logement.
Questions en litige
[5] L’avis de reprise de logement a-t-il été remis au locataire dans les délais?
[6] Les locateurs ont-ils vraiment l'intention de reprendre le logement pour y loger leur fille et sa famille, ou s'agit-il d'un prétexte?
Moyen préliminaire soulevé par le locataire
[7] Le locataire témoigne que le bail initial a été signé pour la période du 1er août 2012 au 31 juillet 2013, au loyer mensuel de 953 $.
[8] Ce bail est renouvelé annuellement selon le même terme, jusqu’au 1er août 2017.
[9] Le locataire indique que l’avis d’augmentation de loyer et de modification d’une autre condition du bail daté du 12 février 2017 prévoit l’augmentation de loyer à 1 031 $ et le renouvellement du bail pour la période du 1er août 2017 au 30 juin 2018[1].
[10] Le locataire accepte la modification et paie l’augmentation à compter du 1er juillet pour les années subséquentes. Il considère alors que son bail est reconduit à chaque année pour la période annuelle du 1er juillet au 30 juin.
[11] Afin d’appuyer ses dires, il dépose l’avis d’augmentation de loyer daté du 10 février 2018 qui fait état que le bail est du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019[2].
[12] Il dépose également l’avis du 16 mars 2020 faisant état du renouvellement du bail pour la période du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021[3].
[13] La fille du locateur, Thuy Lien On, demande d’être relevée du défaut de remettre l’avis de reprise dans le délai de six mois requis par l’article 1960 C.c.Q. et ce, conformément à l’article 59 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.
[14] Elle explique qu’il s’agit d’une erreur de bonne foi en ce que le bail devrait continuer d’être pour la période du 1er août au 31 juillet. Elle considère que le locataire n’en subit aucun préjudice.
[15] Elle soutient que son père est vieillissant. Il n’est plus en mesure de s’occuper des logements sans aide. C’est son frère, Quoc-Cuong On, qui a commis l’erreur dans le renouvellement du bail du locataire. Quoc-Cuong On a assisté le locateur pendant près de quinze ans. Toutefois, il est inapte et incompétent, affirme-t-elle.
[16] Quoc-Huy On accompagne le locateur lors de l’audience. Il est un autre fils du locateur. Il explique que la date du 1er juillet est une erreur, même si son père a signé l’avis d’augmentation de loyer depuis 2017 en tenant compte du 1er juillet comme date de renouvellement du bail.
[17] Cette erreur est commise puisque les augmentations de loyer de tous les autres logements du locateur commencent le 1er juillet. C’était le seul logement qui prévoyait une augmentation de loyer au 1er août.
[18] Quoc-Huy On ajoute que son frère, Quoc-Cuong On, s’occupait de la gestion des immeubles avant 2020 et il a fait plusieurs erreurs. C’est pourquoi c’est lui qui s’en occupe depuis 2019, accompagné de sa sœur depuis la fin de l’année 2020.
[19] Puis, il affirme que le renouvellement du bail du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021 prévu à l’avis d’augmentation du 16 mars 2020 est une erreur qu’il a lui-même commise à la suite des erreurs de son frère. Il maintient tout de même que la fin du bail doit être le 31 juillet.
[20] Il ajoute que l’augmentation de loyer commence le 1er août même s’il est écrit au bail que le renouvellement commence le 1er juillet. Or, le locataire contredit cette information par son relevé bancaire qui démontre que le loyer du 1er juillet a été prélevé le 29 juin 2020 en tenant compte de l’augmentation prévue au 1er juillet 2020[4].
Le droit
[21] La procédure de reprise commence par l'envoi d'un avis formel au locataire, tel que prescrit par les articles 1960 et 1961 du Code civil du Québec (C.c.Q.) :
« 1960. Le locateur qui désire reprendre le logement ou évincer le locataire doit aviser celui-ci, au moins six mois avant l'expiration du bail à durée fixe; si la durée du bail est de six mois ou moins, l'avis est d'un mois.
Toutefois, lorsque le bail est à durée indéterminée, l'avis doit être donné six mois avant la date de la reprise ou de l'éviction. »
« 1961. L'avis de reprise doit indiquer la date prévue pour l'exercer, le nom du bénéficiaire et, s'il y a lieu, le degré de parenté ou le lien du bénéficiaire avec le locateur.
L'avis d'éviction doit indiquer le motif et la date de l'éviction.
Toutefois, la reprise ou l'éviction peut prendre effet à une date postérieure, à la demande du locataire et sur autorisation du tribunal. »
[22] En matière de reprise de logement, la rigueur la plus stricte doit être exercée à l'égard des exigences imposées par la loi puisque cette procédure fait échec au droit du locataire au maintien dans les lieux[5].
[23] Dans l’affaire Karunathan c. Brizzi[6], qui porte sur le délai de production de la demande de reprise de logement, la juge administrative Sophie Alain écrit :
[12] Ainsi, l'autorisation de reprendre le logement d'un locataire est soumise à une procédure légale formelle qui relève d'une condition de fond, par opposition à une condition de forme. Le respect des dispositions du Code civil du Québec qui régissent la reprise du logement est impératif et d'ordre public (1) afin de garantir et d'assurer le respect du droit des locataires au maintien dans les lieux. Par conséquent, tout vice affectant l'avis de reprise ou la demande d'autorisation sera fatal à l'exercice du recours par le locateur. » (références omises) (nos soulignements)
Analyse et décision
[24] En l’instance, la preuve soumise conduit le Tribunal à conclure que l’avis de reprise est invalide, puisqu’il a été remis moins de six mois avant l'expiration du bail.
[25] L’avis de reprise est signifié par huissier le 27 janvier 2021.
[26] Le Tribunal retient que le bail en cours a été renouvelé pour la période du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021, tel que l’indique l’avis d’augmentation de loyer daté du 16 mars 2020[7].
[27] L’avis de reprise devait donc être transmis au plus tard le 31 décembre 2020.
[28] Les enfants du locateur, Quoc-Huy On et Thuy Lien On, invoquent que leur frère, Quoc-Cuong On, a commis une erreur en renouvelant le bail à compter du 1er juillet depuis l’avis du 12 février 2017. Le bail aurait dû être renouvelé à compter du 1er août de chaque année comme c’était le cas en 2012, soutiennent-ils.
[29] Or, cet argument ne tient pas la route. Il ressort clairement des documents déposés que le locateur a changé le début du bail à compter de l’avis daté du 12 février 2017[8] afin que les renouvellements commencent le 1er juillet de chaque année par la suite.
[30] Chacun des avis sont signés par le locateur. Bien qu’il soit âgé de 91 ans et nécessite l’assistance de ses enfants pour la gestion de ses immeubles, il n’est pas inapte selon le témoignage même de Quoc-Huy On.
[31] De plus, il ressort du témoignage du locateur et de Quoc-Huy On que la gestion est plus simple lorsque l’augmentation de loyer commence le 1er juillet, comme c’est le cas pour tous les autres logements détenus par le locateur.
[32] D’ailleurs, Quoc-Huy On a lui-même assisté son père pour le renouvellement du bail du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021.
[33] Par conséquent, le Tribunal accueille le moyen préliminaire soulevé par le locataire et rejette la demande de reprise sur le motif invoqué.
[34] Mais il y a plus.
[35] Même si l’avis avait été notifié dans les délais, le Tribunal ne pourrait faire droit à la reprise puisque les locateurs ne répondent pas aux exigences prescrites par la loi.
[36] L’article 1963 C.c.Q. prévoit :
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. » (nos soulignements)
[37] À cet égard, la soussignée fait siens les propos de la juge administrative Sophie Alain dans l’affaire Dinel c. Brousseau[9] quant à la preuve exigée des locateurs en matière de reprise de logement:
« [20] Le législateur impose des conditions au locateur pour protéger le droit du locataire qui perd irrévocablement son droit au maintien dans les lieux. Dans ce cadre, le locateur a le fardeau de démontrer de manière prépondérante que son projet repose sur des faits raisonnables et probables et non sur de faux prétextes et d'en convaincre le Tribunal (4).
[21] Ainsi, le Tribunal doit vérifier si ces motifs n'ont pas pour but de mettre fin au droit au maintien dans les lieux du locataire par un moyen détourné. En effet, plusieurs décisions des tribunaux démontrent que la reprise de logement constitue un « terrain propice aux manœuvres répréhensibles de certains locateurs » (5). L'auteur Pierre-Gabriel Jobin qualifie ainsi l'intention d'un locateur qui désire reprendre le logement :
[...] la bonne foi exigée par la loi doit être prouvée non seulement relativement à l'intention (du locateur) d'habiter (les lieux), mais aussi relativement aux intentions qui l'ont poussé et motivé à faire la demande de repossession. (6)
[22] Bref, l'intention d'un locateur doit être scrutée à la lumière des faits exposés, mêmes incidents, pour pouvoir la révéler (7). Cette appréciation implique nécessairement de vérifier notamment la crédibilité du locateur, les raisons personnelles, les motivations à faire la demande et même l'état des relations locateur-locataire.
[23] En conséquence, il ne doit y avoir aucun doute dans l'esprit du Tribunal (8) sur la réalisation et la faisabilité du projet, que ce dernier soit suffisamment certain et circonscrit, qu'il soit permanent, excluant le court terme, et qu'il ne repose pas uniquement sur une base transitoire ou hypothétique. En cas de doute, la demande de reprise du logement sera rejetée. » (références omises)
[38] En l'instance, le Tribunal conclut que les locateurs ne répondent pas aux exigences prescrites par la loi en ce qu'ils n'ont pas établi, par prépondérance de preuve, qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre une autre fin.
[39] En effet, la force probante d'une preuve testimoniale dépend de la crédibilité de chaque témoin et de la qualité de son témoignage, eu égard à la façon de témoigner et au contenu des réponses, éléments que le tribunal considère en vue de rendre un jugement conforme au poids de la preuve.
[40] Le Tribunal, à qui il revient, en vertu de l'article 2845 du Code civil du Québec, d'apprécier la force probante des témoignages, considère qu'en l'espèce, le locateur et ses représentants n'ont pas offert le témoignage digne de la plus haute bonne foi.
[41] Le Tribunal ne croit pas le témoignage parfois confus de la bénéficiaire quant à son intention de reprise. Notamment, elle témoigne qu’aucun logement ne s’est libéré et ne pas avoir reçu d’avis de non-reconduction de bail concernant un immeuble qu’elle détient sur la rue Mousseau, situé près du domicile de ses parents. Confrontée par le locataire à une affiche[10] d’un logement à louer à cette adresse récemment, elle dit ne pas être au courant puisqu’un gestionnaire s’en occupe.
[42] Puis, d’emblée, la bénéficiaire témoigne qu’à travers les années, sa famille n’a jamais réclamé de cesser le bail du locataire malgré son comportement. Elle lui reproche d’avoir des colocataires malgré une demande de ne plus en avoir. Elle lui reproche également d’agir comme s’il était propriétaire.
[43] Elle ajoute qu’il connaît très bien la loi et qu’il stresse inutilement son père.
[44] Finalement, elle témoigne qu’elle peut maintenant faire du télétravail et qu’elle peut donc travailler de la maison même si son bureau est à Ottawa. Elle souhaite que son fils commence le Cegep en français au Québec. Elle a donc besoin d’une adresse au Québec.
[45] Le locateur témoigne. Il souhaite que sa fille reprenne le logement avec sa famille afin de veiller à la gestion de ses immeubles. Le logement concerné contient trois chambres, ce qui répond aux besoins de sa fille.
[46] Contre-interrogé par le locataire sur leurs relations, il soutient qu’il a une relation normale avec lui. Quand il y a un problème, il envoie son fils.
[47] Puis, il affirme qu’il reçoit des lettres du locataire pour le moindre souci. Il a l’impression que le locataire veut agir en propriétaire à sa place.
[48] Le locateur ajoute qu’il met trop de pression et il ne peut plus lui parler. Son fils qui s’est occupé du logement n’est plus là parce qu’il en a assez de ce locataire.
[49] Quant au locataire, il témoigne avec précision et sincérité sur les événements qui le lient au locateur. Son témoignage est appuyé par une preuve documentaire importante.
[50] Notamment, le locataire fait entendre une conversation qu’il a eue avec le fils, Quoc-Cuong On, au moment où il réclame de régler un dégât d’eau dans le sous-sol, le 26 avril 2020. Monsieur On finit par dire qu’il le mettra à la porte. Le même jour, le locataire prend une vidéo dans laquelle monsieur Quoc-Cuong On lui dit qu’il le fera partir.
[51] De la preuve et des témoignages entendus à l'audience, le Tribunal croit que la demande de reprise de logement est exercée comme moyen détourné pour régler les problèmes rencontrés avec le locataire.
[52] Il semble donc que cette demande de reprise pourrait servir de prétexte pour atteindre d'autres fins.
[53] En effet, à supposer même que l'intention des locateurs de loger leur fille et sa famille dans le logement soit réelle, le Tribunal n'est pas convaincu, au terme de la preuve, qu'il ne s'agisse pas là d'un prétexte ou d'un subterfuge pour obtenir le départ du locataire jugé indésirable.
[54] Conséquemment, une telle autorisation à la reprise ne peut être accordée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[55] REJETTE la demande d'autorisation des locateurs de reprendre de logement pour leur fille Thuy-Lien On et sa famille;
[56] DÉCLARE le bail reconduit à son terme.
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Pascale McLean |
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Présence(s) : |
les locateurs le mandataire des locateurs le locataire |
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Date de l’audience : |
6 mai 2021 |
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AVIS :
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