Décision

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RÉGIE DES ALCOOLS, DES COURSES ET DES JEUX

 

 

NUMÉRO DU DOSSIER

:

40-0313007-002

[ACCES]

 

DATES DE L’AUDIENCE

:

2014-10-16 à Montréal;

2014-10-17 à Montréal;

2014-12-15 à Montréal;

2015-06-11 à Montréal;

2015-08-13 à Montréal;

2015-08-19 à Montréal

 

RÉGISSEURS

:

Mme Yolaine Savignac

Me Jean Lepage

 

TITULAIRE

:

Ten Pin Tap Room inc.

 

RESPONSABLE

:

M. Roger Boustany

 

NOM DE L’ÉTABLISSEMENT

:

Au Sexe d'Or

 

ADRESSE

:

7507, boul. Décarie

Montréal (Québec)  H4P 2G9

 

PERMIS ET LICENCE EN VIGUEUR

:

Bar avec autorisation de danse et spectacles avec nudité

2e étage (86 personnes)

No 569699

 

Licence d’exploitant de site d’appareils de loterie vidéo

No 729024

 

 

ET

 

DEMANDERESSE

:

9253-0815 Québec inc.

 

RESPONSABLE

:

M. Qi Chen

 

NOM DE L’ÉTABLISSEMENT

:

Au Sexe d’Or

 

ADRESSE

:

7507, boul. Décarie

Montréal (Québec)  H4P 2G9

 

DEMANDE

:

Permis de bar et licence de loteries vidéo suite à une cession

 

NUMÉRO DE LA DEMANDE

:

109784

 

NATURE DE LA DÉCISION

:

Contrôle de l’exploitation et demande

 

DATE DE LA DÉCISION

:

2016-02-02

 

NUMÉRO DE LA DÉCISION

:

40-0007153

 

 

DÉCISION

 

 

[1]          Le 29 juillet 2014, la Régie des alcools, des courses et des jeux (la Régie) a adressé à la titulaire-demanderesse un avis de convocation à une audition.  Cette audience a pour but d’examiner et d’apprécier les allégations décrites aux documents annexés à l’avis, d’entendre tout témoignage utile aux fins de déterminer s’il y a eu ou non manquement à la loi et, le cas échéant, suspendre ou révoquer les permis et la licence de la titulaire-demanderesse.

[2]          La Régie doit également compléter son analyse concernant la demande de permis d’alcool pour l’exploitation d’un bar avec autorisation de danse, de spectacles avec nudité, d’une capacité de 86 à 89 personnes et d’une licence d’exploitant de site d’appareils de loterie vidéo.

 

LES FAITS

 

[3]          Les faits qui ont donné ouverture à la convocation se résument comme suit à l’avis :

[Transcription conforme]

Demande de convocation devant la Régie

Le 21 mars 2014, la Régie des alcools, des courses et des jeux a reçu une demande de convocation en date du 12 mars 2014 de la part du Service de police de la Ville de Montréal en ce qui concerne votre établissement. Les motifs invoqués par le SPVM au soutient de sa demande sont consécutifs à divers événements mettant en cause la tranquillité publique, lesquels sont survenus à votre établissement ainsi qu’au manque de collaboration de M. Roger Boustany avec le SPVM. (Document 1)

*****

Demande faite au bénéfice d’une personne autre / Capacité et intégrité

Le 19 juillet 2012, les policiers ont rencontré le représentant de la demanderesse, M. Qi Chen ainsi que son gérant, M. Roger Boustany. Lors de cette rencontre M. Boustany argumentait avec les policiers et le représentant de la demanderesse, M. Qi Chen. Il refusait de collaborer avec les policiers et son patron en ce qui concerne les sujets de la prostitution et des danses contacts. (Document 7)

Le 1er février 2012, les policiers ont rencontré le représentant de la demanderesse, M. Qi Chen. Ce dernier leur a déclaré être associé à Mme Aizen Li. Or, cette dernière n’apparaît dans aucun des documents déposés à la Régie ni au Registraire des entreprises concernant la demanderesse 9253-0815 Québec inc. (Document 7)

*****

Emploi d'une personne mineure

Le 5 mars 2014, les policiers ont constaté, dans votre établissement, que 1 personne mineure travaillait comme Danseuse nue. (Document 2)

*****

Entrave à une personne dans l'exercice de ses fonctions

Le 5 mars 2014, dans votre établissement, vous ou votre préposé avez entravé un policier agissant dans l'exercice de ses fonctions en tentant de l’induire en erreur durant son enquête. (Document 2)

Le 10 mars 2013, lors d'une vérification à l'intérieur de votre établissement, vous ou votre préposé avez entravé un policier agissant dans l'exercice de ses fonctions en commettant des voies de faits sur sa personne. (Document 3)

Le 19 juillet 2012, les policiers ont rencontré le représentant de la demanderesse, M. Qi Chen ainsi que son gérant, M. Roger Boustany. Lors de cette rencontre M. Boustany argumentait avec les policiers et le représentant de la demanderesse, M. Qi Chen. Il refusait de collaborer avec les policiers et son patron en ce qui concerne les sujets de la prostitution et des danses contacts. (Document 7)

Le 16 janvier 2010, lors d'une vérification à l'intérieur de votre établissement, vous ou votre préposé avez entravé des policiers agissant dans l'exercice de leurs fonctions en tentant de leurs dissimuler des faits et en refusant de s’identifier auprès d’eux. Ils ont dû procéder à l’arrestation de votre employé. (Document 6A)

*****

Actes de violence

Le 10 mars 2013, lors d'une vérification à l'intérieur de votre établissement, une de vos danseuses a agressé physiquement l'un des policiers, lui causant ainsi des lésions corporelles. (Document 3)

*****

Gestes ou actes à caractère sexuels / Maison de débauche

Le 13 juillet 2012, des agents d’infiltration présents dans votre établissement ont été témoins durant leur visite de plusieurs attouchements sexuels entre les danseuses. Les agents ont également conclu une entente avec l’une des danseuses visant à lui faire des attouchements sexuels moyennant rétribution. (Document 4)

Le 8 août 2011, les policiers ont reçus une plainte à l’effet qu’à partir de septembre 2011, la Direction de votre établissement exigerait des danseuses qu’elles offrent des contacts sexuels à votre clientèle. (Document 5)

Le 16 janvier 2010, lors d’une visite à votre établissement, les policiers ont été témoins d’attouchements sexuels entre une danseuse et un client alors qu’ils étaient à l’intérieur de l’un de vos isoloirs. (Document 6A)

*****

Employés et jeux sur appareils de loterie vidéo

Le 9 juillet 2010, les policiers ont constaté à l’intérieur de votre établissement qu’un membre du personnel, soit M. Roger Boustany, jouait sur les appareils de loterie vidéo. (Document 6B)

*****

AUTRES INFORMATIONS PERTINENTES

La titulaire

Vous êtes autorisée à exploiter cet établissement depuis le 27 août 1979.

La date d'anniversaire du permis est le 1er décembre.

Le 30 janvier 2003, la Régie rendait une décision suite à une convocation laquelle suspendait les permis de la titulaire pour une durée de six (6) jours. Cette convocation faisait suite, entre autres, à la présence de mineurs et au défaut de déclarer un changement d’actionnaires. (Document 6)

Le 3 février 2003, une requête a été déposée au Tribunal administratif du Québec afin d’en appeler de la décision rendue par la Régie.

Le 22 juillet 2003, la titulaire se désistait de son recours au TAQ.

Le 30 juin 2008, la Régie rendait une décision suite à une convocation suivant laquelle elle n’intervenait pas contre la titulaire. Cette convocation faisait suite à des reproches d’avoir, entres autres, employé une personne mineure. (Document 6)

Le 7 mars 2011, la Régie a reçu une déclaration modificative démontrant que M. Roger Boustany était maintenant le seul actionnaire de la titulaire.

Le 31 mars 2011, la Régie a reçu une résolution de la titulaire faisant état de la vente des actions de Mme Francine Hallé et de M. Casba Cseko à M. Roger Boustany.

La demanderesse

Le 17 janvier 2012, la demanderesse a déposée une demande à la Régie pour l’obtention des mêmes permis, autorisation et licence, suite à la cession de l’établissement, avec une augmentation de la capacité de 86 à 89.

M. Qi Chen est sur les documents déposé, le seul actionnaire de 9253-0815 Québec inc. et le seul administrateur.

Le 27 janvier 2012, un avis concernant cette demande est acheminée à la Ville de Montréal.

Le 15 février 2012, la Régie a reçu une opposition en date du 9 février 2012 de la part de la Ville de Montréal relativement à cette demande au motif que le demandeur n’avait pas de certificat d’occupation.

La Ville de Montréal a retiré cette opposition en date du 21 mars 2012.

Le 3 février 2012, il y a eu publication de la demande, laquelle s’est terminée le 4 mars 2012. Aucune opposition n’a été reçue suite à cette publication.

Le 5 mars 2012, une première AET a été émise à la demanderesse. Cette AET a par la suite été renouvelée de façon continue, la dernière venant à échéance le 31 août 2014.

Le 19 avril 2012, un avis d’intention de refus a été acheminé à la demanderesse suite au défaut de fournir les documents requis pour le traitement de la demande.

Le 1er mai 2012, les documents manquants ont été reçus à la Régie.

 

L’AUDIENCE

 

[4]          L’audience a eu lieu au Palais de justice de Montréal les 16, 17 octobre, 15 décembre 2014 ainsi que le 11 juin 2015, le 13 août et le 19 août 2015 en présence de M. Qi Chen, responsable de la demanderesse, de son représentant Me David Beaudoin et Me Stéphane Cossette pour la Direction du contentieux de la Régie.

[5]          Me David Beaudoin, représentant de la demanderesse, dépose un cahier d’autorités.

 

Preuve de la Direction du contentieux

Audience du 16 octobre 2014

Témoignage de l’agent Michelle Lanteigne, SPVM, matricule 5184

[6]          Mme Lanteigne est sergent détective au Service de police de la ville de Montréal (SPVM). À l’emploi du SPVM depuis mai 2001, elle a été agent patrouilleur durant plusieurs années, puis assignée à la section Moralité-Ouest et depuis janvier 2014. Lors des événements elle occupait le poste de sergent enquêteur pour la section des enquêtes multidisciplinaires coordination jeunesse section Ouest (SEMCJO).

Sous l’exploitation par la titulaire (jusqu’au 17 janvier 2012)

[7]          Mme Lanteigne témoigne sur les événements décrits aux documents 6A, 6B et 8.

[8]          Mme Lanteigne se réfère au document 6A pour décrire les événements qui se sont produits le 16 janvier 2010 à l’établissement Au Sexe D’Or, alors exploité par la titulaire.

[9]          L’agent Hugo Dumas, accompagné d’agents du groupe Éclipse, visitent l’établissement. Ils constatent qu’un isoloir, contrairement aux autres, est fermé à l’aide d’un rideau opaque allant du plancher au plafond. Ils ouvrent le rideau et voient qu’un client à l’intérieur fait des attouchements aux parties génitales de la danseuse. L’agent Dumas mentionne n’avoir jamais vu d’actes aussi flagrants en 9 ans de carrière. Le client et la danseuse quittent l’établissement et les agents procèdent à l’arrestation du gérant, M. Jahidi Driss, pour entrave et refus de coopérer.

[10]      Depuis cet évènement, le SPVM sait que des actes de prostitution ont lieu dans cet établissement et que le gérant refuse de collaborer lors d’interventions policières.

[11]      Le 9 juillet 2010, l’agent Lanteigne et le sergent Monchamp effectuent une visite de dépistage à l’établissement tel qu’il appert au document 6B. Ils s’y présentent en civils puis constatent que M. Roger Boustany, le responsable de la titulaire, joue à un appareil de loterie vidéo (ALV). Un rapport d’infraction est rédigé.

[12]      Lors de cette même visite, ils se dirigent vers les isoloirs situés du côté gauche de la porte d’entrée. Elle et son confrère constatent 5 petites cabines fermées par des portes battantes d’une hauteur d’environ 5 pieds, à 2 pieds du sol. Mme Lanteigne souligne qu’à une hauteur de 7 pieds il est impossible de voir la tête des personnes dans les isoloirs et que les portes battantes fabriquées de lattes de bois serrées et inclinées ne permettent pas non plus de contrôler ce qui s’y passe.

[13]      Ayant questionné une danseuse sur les services offerts dans l’isoloir, Mme Lanteigne a appris qu’une danse coûte 12 $ et que le client peut la toucher partout sauf aux parties génitales et qu’il est impossible d’avoir davantage. Elle ajoute qu’il y a des caméras dans les isoloirs afin que son patron puisse regarder ce qui s’y passe. L’agent Lanteigne rappelle que ce soir-là, le propriétaire Monsieur Roger Boustany, jouait à un appareil de loterie vidéo et ne contrôlait pas, par caméras, les isoloirs. 

[14]      En contre-interrogatoire, Mme Lanteigne précise que le 5 janvier 2010 elle n’était pas présente lors de l’intervention policière menée par les agents Dumas, Rousseau et Séguin (document 6A). Ces agents avaient raison de croire que plusieurs danseuses de l’établissement étaient sous l’emprise de M. William Toussain, un proxénète connu du SPVM.

[15]      Me Beaudoin précise que rien dans le rapport de police ne mentionne la présence de M. Toussain à l’établissement le 5 janvier 2010 et le 9 juillet 2010 lors de la visite de dépistage, affirmation à laquelle Mme Lanteigne ajoute qu’outre des actes de prostitutions aucun autre reproche n’est adressé à la titulaire.

Témoignage de Mme Mélissa Garon, SPVM, matricule 5584

[16]      Mme Garon est agent enquêteur et travaille au SPVM depuis janvier 2003. Elle est assignée à la section Moralité-Ouest depuis mars 2011.

[17]      Le SPVM s’oppose à la cession de l’établissement Au Sexe D’Or tel qu’il appert au document 1 annexé à l’avis de convocation

Sous l’exploitation par la demanderesse (à partir du 17 janvier 2012)

[18]      Mme Garon fait le récit des évènements relatifs à une visite policière effectuée par le groupe Éclipse le 5 mars 2014 et à laquelle elle n’a pas participé. Elle se réfère au document 2 pour résumer les faits.

[19]       Lors de leur arrivée dans l’aire de stationnement de l’établissement les agents ont remarqué du mouvement à travers les fenêtres embuées d’un taxi stationné. Ils en ont conclu qu’une jeune fille et un homme se livraient à des activités. Les agents sont intervenus et ont procédé à l’identification de la jeune fille, qui après vérification s’est révélée être une mineure de 17 ans. Elle a dit aux policiers qu’une fausse carte d’identité lui a été fournie par son proxénète pour danser nue Au Sexe D’Or, ce qu’elle fait depuis un mois, 6 soirs par semaine.

[20]      Les policiers ont escorté la danseuse mineure pour qu’elle récupère ses affaires personnelles au vestiaire de l’établissement, mais M. Driss Jahidi leur a refusé l’entrée ajoutant ne pas connaître la jeune fille.

[21]      M. Jahidi a affirmé aux policiers que le propriétaire, M. Boustany, était absent.

[22]      Lors de leur entrée dans le bar les policiers ont constaté que la jeune fille était connue des clients qui l’interpellaient par le nom « Molly » et ils ont aperçu M. Boustany dans le vestiaire des danseuses.

[23]      Selon Mme Garon les faits relatés démontrent que la titulaire a toléré la présence d’une personne mineure dans son établissement.

[24]      Les policiers ont l’impression que M. Boustany demeure le propriétaire de l’établissement malgré la cession à M. Qi Chen, qui n’est pas présent pour contrôler ce qui se passe au bar.

[25]      Se référant au document 3, Mme Garon relate un autre événement, survenu le 10 mars 2013, relatif à la présence d’un groupe criminalisé à proximité de l’établissement Au Sexe D’Or.

[26]      Au cours de cette visite d’inspection, un bref et vif échange verbal entre une danseuse et une policière s’est terminé par des voies de fait infligées par la danseuse à la policière.

[27]      L’agent Garon témoigne d’un autre événement, lequel est détaillé au document 4.

[28]      Lors d’une visite de dépistage se déroulant 13 juillet 2012, les policiers habillés en civils ont constaté que deux danseuses sur la scène simulaient entre elles des actes à caractères sexuels. Un client s’est joint à elles et s’est couché sur la scène avec un billet de banque dans sa bouche qu’une des danseuses a pris.

[29]      Au cours de cette soirée, les agents ont conclu avec une des danseuses une danse à 10 $ dans un isoloir, ce qu’ils qualifient de contrat de nature sexuelle.

[30]      Me Beaudoin précise qu’aucun acte de prostitution n’aurait été posé puisqu’il est question de simulation et non d’actes sexuels. De plus, malgré l’entente conclue avec la danseuse, aucun agent n’est allé dans l’isoloir avec la danseuse.

Sous l’exploitation par la titulaire

[31]      Le document 5 relate les faits relatifs à une plainte d’une danseuse de l’établissement. Cette dernière a témoigné auprès du SPVM avoir été informée le 8 août 2011, par le propriétaire, que l’établissement deviendrait un « bar à gaffe » et que la présence de proxénètes y serait accrue. Les danseuses auraient été avisées d’offrir des contacts sexuels aux clients. Elle a aussi informé les policiers que le propriétaire et le gérant faisaient du « transvidage » de bouteilles de boissons alcooliques.

Sous l’exploitation par la demanderesse

[32]      En se référant au document 7, Mme Garon relate l’altercation survenue entre M. Roger Boustany et M. Qi Chen lors d’une rencontre tenue par le SPVM le 19 juillet 2012. M. Boustany est devenu agressif lorsque M Chen a rappelé l’avoir déjà averti que les danses contact n’étaient pas permises à son bar. M. Boustany affirme être convaincu du contraire.

[33]      Me Cosette dépose sous la cote R-3 un rapport d’incident et un précis des faits sur l’arrestation de M. Serge Murendi, le 19 juin 2014, pour proxénétisme et traite de personne. La policière témoigne à l’effet qu’il était Au Sexe D’Or le 3 septembre 2014 et qu’ils ont procédé à son arrestation sur les lieux pour bris de conditions.

[34]      Mme Garon valide que rien dans le rapport sous la pièce R-3 n’établit que M. Murendi fait du proxénétisme Au Sexe D’Or ou qu’il s’y tient régulièrement.

 

Audience du 17 octobre 2014

Contre-interrogatoire de l’agent Mélissa Garon, SPVM, matricule 5584

[35]      Mme Garon mentionne que M. Qi Chen et son épouse sont propriétaires des établissements suivants, dont certains sont des lieux où la danse nue est autorisée: le Bar Mania, Le Garage, le Bar Champion et le Bar Trix. Elle spécifie que le Bar Chez Diane 2000, ayant appartenu à l’épouse de M. Chen, est reconnu par le SPVM pour être un bar « à gaffe ».

[36]      Elle ajoute que M. Qi Chen est propriétaire du Sexe Mania depuis janvier 2012. Me Cosette dépose en pièce R-4 les rapports d’observation du 2 août 2012 et du 9 août 2012. Elle s’y rapporte pour confirmer qu’effectivement des danses contact sont pratiquées au Sexe Mania et ce, depuis l’exploitation de M. Qi Chen.

[37]      Mme Garon affirme que M. Qi Chen a toujours coopéré avec le service de police ce qui n’est pas le cas de M. Jahidi et M. Boustany.


Témoignage de M. Qi Chen, demandeur

[38]      M. Qi Chen est propriétaire des établissements suivants :

• Hôtel La Lauraine, à Lachute, depuis 2012;

• Resto Bar 1323 (Bistro Bar le Grill), à Laval, depuis 2012;

• Café Montana, à Terrebonne, depuis 2014;

• Bar Champion, à Laval, depuis janvier 2010;

• Bar Le Garage, à Mirabel, depuis 2012

• Bar Mania, anciennement nommé Bar Sexe Mania et ce, depuis 2011.

[39]      Le Bar Champion, Le Garage ainsi que le Bar Mania sont des bars de danseuses. Le Bar Trix, qui n’est pas un bar de danseuses nues, appartient à sa conjointe depuis 2009. Il mentionne que le Bar Panet et le Bar Salon Sherbrooke ont été vendus.

[40]      M. Qi Chen, en partenariat avec Mme Aizen Li, devait acheter l’établissement Au Sexe D’Or, mais pour des raisons personnelles elle s’est retirée du projet. M. Chen est alors devenu le seul actionnaire et administrateur de l’établissement.

[41]      Lorsque M. Chen achète un nouvel établissement, il prend le temps d’observer comment les employés fonctionnent avant de se prononcer sur quelconques modifications. C’est comme cela qu’il fonctionne dans tous ses bars. Il ajoute que M. Roger Boustany connaissait très bien l’établissement puisqu’il en avait été le propriétaire durant 10 ans. C’est pourquoi il l’a engagé à titre de gérant pour un certain temps.

[42]      M. Boustany était responsable des commandes de boissons alcooliques et du respect des lois en matière de tranquillité et sécurité publiques.

[43]      Suite à l’événement de la danseuse mineure survenu en mars 2014, M. Chen a avisé M. Boustany de son congédiement. C’est M. Driss Jahidi qui l’a remplacé à titre de gérant, poste qu’il avait occupé durant dix ans sous l’exploitation par M. Boustany.

[44]      M. Qi Chen travaille environ 40/50 heures semaine. Il va Au Sexe D’Or un minimum de 2 fois par semaine. Il fait de même dans ses autres établissements.

[45]      M. George Zammare travaille pour M. Qi Chen depuis 2009. Hebdomadairement il se rend dans les établissements de M. Chen pour en contrôler la gérance.

[46]      Les boissons alcooliques sont achetées à la Société des alcools du Québec (SAQ) et la bière directement du brasseur. M. Chen n’a jamais eu d’infractions à cet effet pour aucun de ses établissements de même que pour la présence de clients mineurs. Ses employés ont pour instruction de contrôler l’âge des clients l’entrée du bar à l’aide de deux cartes d’identité avec photo, telles qu’un permis de conduire et une carte d’assurance maladie ou un passeport. M. Qi Chen est catégorique, si un employé ne respecte pas cette consigne il est congédié.

[47]      M. Chen spécifie que seize caméras sont installées Au Sexe D’Or: deux sont dans le stationnement, deux autres à l’entrée du bar, douze à l’intérieur, incluant celles des isoloirs qui ne sont pas fonctionnelles. Il revient au gérant de surveiller les isoloirs aux quinze minutes.

[48]      Me Beaudoin dépose les 17 photos de l’établissement en pièce D-4 en liasse. M. Qi Chen décrit les photos et mentionne que les règles à l’établissement Au Sexe D’Or sont claires : les clients ne peuvent, en aucun cas, toucher le corps des danseuses et ces dernières ne peuvent pas toucher les clients. Des affiches le précisant sont affichées dans toutes les cabines pour rappeler à chacun ces interdictions.

[49]       M. Chen explique que les portes des isoloirs n’ont pas été modifiées et  qu’aucun policier ne lui a dit qu’il devait les enlever. Il déclare que si on lui demandait de les retirer, il le ferait.

[50]      Il ajoute que son établissement est petit et que les clients s’attendent à une certaine intimité avec la danseuse lorsqu’ils paient pour une danse, d’où la présence d’isoloirs. Il admet cependant que l’espace dans les isoloirs est très restreint.

[51]      Depuis le départ de M. Boustany, M. Driss Jahidi est responsable du choix des danseuses que lui réfèrent les agences.

[52]      En ce qui a trait au processus d’embauche des danseuses, M.Qi Chen précise qu’il s’assure que les danseuses présentes à son bar ne sont pas mineures grâce au premier tri préalablement fait par l’agence. Puis, la première fois qu’elles se présentent à l’établissement, M. Jahidi exige deux pièces d’identité avec photo et une fiche d’identification est complétée tel qu’il appert à la pièce D-5.

[53]      La fiche d’identification contient des renseignements personnels et énonce les règles à suivre, notamment celles interdisant les actes de nature sexuelle. Les fiches sont conservées trois mois.

[54]      Il précise qu’il est strictement interdit aux employés et aux danseuses de jouer aux appareils de loterie vidéo lorsqu’ils travaillent. De plus, M. Chen précise que des caméras sont installées pour surveiller la clientèle qui y joue.

 

Audience du 15 décembre 2014

[55]      Le contentieux fait entendre l’agent Dumas du groupe Éclipse afin qu’il témoigne sur le document 2 et le document 6A.

Témoignage de M. Hugo Dumas, SPVM, matricule 5233

[56]      M. Dumas est policier enquêteur au SPVM depuis le mois de mai 2001 et il a fait parti du groupe Avance jusqu’à la conception du groupe Éclipse. Il est à l’emploi de ce groupe depuis le tout début.

[57]      L’agent Dumas réitère et confirme le témoignage de Mme Mélissa Garon concernant l’événement du 5 mars 2014 concernant la jeune danseuse mineure repérée dans un taxi et escortée par les policiers à l’intérieur de l’établissement pour qu’elle y récupère ses effets personnels (document 2).

[58]      Selon M. Dumas aucun élément apparaissant au rapport de police ne permet d’affirmer qu’il y aurait eu des actes de nature sexuelle entre la danseuse mineure « Molly »  et le client dans la voiture de taxi.

[59]      La jeune fille n’a jamais été revue par les policiers au bar Au Sexe D’Or.

[60]      En se référant au document 6A et à l’information obtenue selon laquelle des danseuses se prostitueraient pour le proxénète William Toussaint, mais l’agent Dumas précise ne l’avoir jamais aperçu personnellement à l’établissement Au Sexe D’Or. Il relate la visite policière en lien avec ce constat.

[61]      Le 16 janvier 2010 (document 6A), les policiers se sont rendus à l’établissement. Après un temps d’attente à la porte située au deuxième étage, les policiers sont entrés et ont visité les isoloirs. À l’isoloir « VIP » , l’agent Dumas ouvre un rideau opaque du plafond au plancher et voit « un client faire des attouchements au niveau de la vulve d’une danseuse » qui « ne porte pas de petite culotte ». Il referme le rideau et les policiers demandent à ce que tous quittent l’établissement à l’exception du client fautif qu’ils identifient. Une dispute et une altercation surviennent entre le gérant et l’agent Dumas.

Suite du témoignage de Mme Mélissa Garon, SPVM, matricule 5584

[62]      Me Cosette dépose, comme pièce R-6 en liasse, un complément d’enquête du SPVM puis, comme pièce R-7 en liasse, un document contenant 4 photos du site Internet « barsdedanseuses.com ».

[63]      La pièce R-6 résume certaines interventions policières liées à des allégations de trafic de stupéfiants. Mais, dans le cadre du présent dossier, ce complément d’enquête vise essentiellement à relater les observations qu’un agent a faites sur les services sexuels qu’il a obtenus d’une danseuse dans un isoloir de l’établissement, en novembre 2014. Dans ce document, les faits sont décrits en ces termes aux pages 3 et 4 :

[Transcription conforme]

(…)

En novembre 2014, la section EMCJO-Moralité demande à un agent source d’effectuer une visite au bar le Sexe d’or afin de valider s’il y a toujours de la prostitution qui s’y produit. La source se rend à l’établissement en soirée. Il doit sonner à la porte pour entrer à l’intérieur de l’établissement. Un frais de 3 $ est exigé comme « cover ». La source s’assoit initialement près de la scène. Il voit un total de trois danseuses faire des danses nues chacune leur tour. Suite à cela, une danseuse vient s’asseoir à côté de lui et commence à lui parler. Elle veut qu’il aille avec elle dans un isoloir.

Il demande à la danseuse s’il pourra la toucher et avoir des services, mais elle reste flou et lui laisse sous-entendre qu’il aura du plaisir sans vouloir préciser. Il se rend donc dans un isoloir avec elle. Une fois à l’intérieur, il lui touche les seins tant qu’il le veut et les fesses. Elle baisse son g - string et se frôle sur lui, lui causant une érection. Elle le caresse et s’assure qu’il demeure en érection tout au long des 4 chansons qu’il y restera en le touchant de temps en temps. Il entre également ses doigts entre les fesses de la danseuse. Il lui demande une fellation, mais elle lui dit ne pas faire cela ici et lui donne un numéro de téléphone pour la rejoindre à l’extérieur. Il remet 40 $ à la danseuse, soit 10 $ par chanson.

Il constate également que tous les isoloirs sont occupés sauf deux. Il mentionne que l’espace des isoloirs est plutôt restreint, environ 30 pouces de largeur par 36 pouces de profondeur. Le client est assis sur une chaise dans le fond de l’isoloir et la danseuse est devant la porte. Les portes des isoloirs ferment bien, mais un ou deux isoloirs ont des barreaux brisés.

Il relate avoir vu, lorsqu’il était assis près de la scène, le portier pousser les portes battantes des isoloirs après quelques chansons pour regarder. Le portier semblait être le seul employé sur les lieux outre la serveuse. Finalement, il a vu des affiches interdisant les danses contacts à l’extérieur des isoloirs, mais aucune à l’intérieur.

(…)

[64]      Concernant la pièce R-7 en liasse, Mme Garon mentionne avoir fait des recherches Internet sur le site « bardedanseuse.com », et y a constaté que le bar Au Sexe D’Or y annonçait des danses contact à 10 $.

[65]      En contre-interrogatoire Mme Garon affirme de nouveau que le bar Au Sexe D’Or n’est pas un établissement reconnu pour la vente de stupéfiant.


Suite du témoignage de M. Qi Chen, demandeur 

[66]      Me Beaudoin dépose les pièces suivantes :

• Pièce D-6 : la résolution de l’administrateur unique de la compagnie 9253-0815 Québec inc. autorisant M. Qi Chen a faire les démarches pour obtenir un permis d’alcool et une licence d’appareils de loterie vidéo (ALV);

• Pièce D-7 : le sommaire des ventes du 20 octobre 2013 au 18 octobre 2014;

• Pièce D-8 : l’état financier du bar Au Sexe D’Or en date du 30 septembre 2013;

• Pièce D-9 : l’état financier du bar Au Sexe D’Or en date du 30 septembre 2014.

[67]      M. Qi Chen témoigne à l’effet que son établissement est ouvert 7 jours sur 7, de 16 h 30 à 3 h 00. M. Roger Boustany était payé comme un travailleur autonome et n’était pas sur la liste des employés. M. Chen paye les agences afin qu’elles lui procurent des danseuses. Il débourse entre 15 $ et 20 $ pour chacune d’elles.

[68]       Il continue en expliquant que le salaire des danseuses nues correspond en réalité aux pourboires laissés par les clients. Les danseuses ne sont pas payées par M. Qi Chen. Les agences de placements de danseuses prennent une cote sur ce qu’elles gagnent au cours de leur présence au bar et les danseuses donnent une partie de leur gain au gérant et au D.J. Or, les seules personnes qui reçoivent un chèque de paye sont les deux serveuses.

[69]      M. Driss Jahidi et le D.J. ne sont pas des salariés, la rémunération qu’ils se partagent se compose, entre autres, des pourboires des danseuses et du droit d’entrée d’environ 3 $ par client.

[70]      M. Qi Chen accueille entre 30 à 50 clients par soirée. Selon ses dires, les danseuses gagnent approximativement 100 $ par soir. Les dimanches et les lundis, il requiert les services de 2 ou 3 danseuses. Les autres jours de la semaine, plus achalandés, 8 à 12 danseuses sont présentes.

 

Audience du 11 juin 2015

Témoignage de M. Dominique Monchamp, lieutenant détective, SPVM, matricule 3822

[71]       Le contentieux dépose en pièce R-10 le curriculum vitae du lieutenant Dominic Monchamp et en pièce R-11 le sommaire du témoignage.

[72]      Préalablement à son témoignage, les qualifications de M. Monchamp en matière de prostitution, d’exploitation et de la traite de personnes sont présentées.

[73]      M. Monchamp est policier au SPVM depuis 21 ans. En 1999, il est devenu agent enquêteur à la section Moralité/alcool de la région Ouest, assigné aux dossiers de proxénétisme, maisons de débauche, réseaux de prostitution et pornographie juvénile. En 2003, il est promu sergent détective au Centre d’enquêtes de la région ouest, assigné aux dossiers de crimes contre la personne, vols qualifiés, extorsions, tentatives de meurtre et violence conjugale. En 2004, s’ajoutent à sa charge les dossiers de proxénétisme juvénile relié aux gangs de rue. En 2005, il est promu superviseur des enquêtes au Module exploitation sexuelle des enfants aux fins commerciales à la section Moralité/alcool de la région ouest, où sont traités les dossiers de proxénétisme, traite de personnes, réseaux de prostitution et pornographie juvénile.

[74]      Au cours de sa carrière, M. Monchamp a offert de nombreuses conférences et formations spécialisées dans son champ d’expertise autant au Québec qu’aux États-Unis. Reconnu témoin expert en exploitation sexuelle, pornographie juvénile et traite de personne par la Cour du Québec, il a été appelé à témoigner dans quatre causes entre 2006 et 2014.

[75]      L’avocat de la demanderesse admet l’expertise du Lieutenant Dominic Monchamp quant à l’expérience et la compétence du témoin.

[76]      Le Lieutenant détective Monchamp est déclaré témoin-expert par le tribunal de la Régie.

[77]      M. Dominic Monchamp explique les raisons pour lesquelles les bars avec autorisation de danse et spectacles avec nudité ont des isoloirs.

[78]      Il rapporte qu’il y a eu plusieurs contestations judiciaires au cours des dernières années en ce qui a trait aux actes de prostitution. Cela a entrainé de la confusion au sein du service de police, des tenanciers de bars et de la société relativement à la légalité de gestes sexuels rémunérés dans les bars.

[79]      Les isoloirs ont été implantés dans les années 80 afin de contrer l’indécence de la danse aux tables dénoncée par certains groupes de pression. L’indécence consistait à l’époque à toucher une danseuse. Puis, la jurisprudence est venue préciser que malgré le fait d’être caché par une porte, ces actes demeuraient indécents. Aujourd’hui, la Cour Suprême a établi que les danses contact aussi connues sous le nom de « danse à 10 » ou « lap dancing » sont des actes de prostitution.

[80]      Il indique que le tribunal a jugé que l’acte de prostitution en soi n’est plus illégal, mais que l’achat de services sexuels par le client est dorénavant illégal. Ainsi, un client qui paye une danseuse pour une danse et qu’il lui touche les seins ou les fesses est maintenant considéré comme un comportement illégal selon le Code criminel. Aucune distinction n’est faite quant à la nature des actes sexuels posés.

[81]      Il continue en expliquant que l’objectif de ces isoloirs est que le client ait de l’intimité avec la danseuse lorsqu’il paie pour la toucher et pour qu’elle le touche. Présentement tous les bars de danseuses dans la région de Montréal ont des isoloirs et l’objectif de ceux-ci est de bénéficier d’un contact physique avec la danseuse.

[82]      Il affirme que la majorité des bars de danseuses ont des affiches établissant les règles de conduite des danseuses et des clients dans les isoloirs.

[83]      Les isoloirs sont des endroits clos et très petits, il est donc plus difficile de surveiller ce qui s’y passe. Ils favorisent l’exploitation des jeunes femmes par leurs proxénètes puisque les limites sont difficiles à imposer et à suivre par le bar. M. Monchamp affirme que les agressions sexuelles sont fréquentes dans les isoloirs, d’où l’importance de veiller à la sécurité des danseuses. En quelques secondes des actes non désirés peuvent se produire dans des isoloirs fermés avec portes ou rideaux.

[84]      Le proxénète est un « parasite » du marché du sexe. Il force ses victimes à se prostituer, notamment dans les bars de danseuses nues. Pour maximiser le revenu que chacune peut lui rapporter, il exerce une pression pour qu’elles se livrent à des actes sexuels rémunérés dans les isoloirs.

[85]      Certains proxénètes utilisent les agences de placement comme intermédiaire pour faire travailler leurs victimes dans les bars et autres lieux de prostitution. La danseuse prise dans ce système se retrouve forcée de remettre une très grande partie de ses gains aux intermédiaires, qu’il s’agisse du propriétaire du bar, du D.J., de l’agence de placement et/ou du proxénète.

[86]      Les agences sont payées par les tenanciers de bar et dirigent les danseuses selon les services sexuels demandés. Les danseuses ne reçoivent aucune rémunération autre que celle provenant des clients pour qui elles dansent ou prodiguent des gestes à caractère sexuel.

[87]      M. Monchamp affirme que les agences de placement de danseuses sont majoritairement liées aux motards criminalisés. Les bars « à gaffe » - expression signifiant l’offre de divers services sexuels - sont connus des intervenants du milieu de la prostitution.

[88]      80 % des danseuses sont exploitées, à un moment ou un autre dans leur vie par un proxénète. Elles travaillent sous la menace, la violence physique, sexuelle ou psychologique. Comme elles ont peur pour leur sécurité et celle de leurs proches, elles se voient forcées d’offrir les services sexuels demandés.

[89]      D’autres danseuses travaillent à leur compte sans l’emprise d’un proxénète, mais elles savent être en danger.

[90]      Plusieurs études établissent que les bars de danseuses sont des endroits criminogènes. C’est la raison pour laquelle les portes d’entrée sont verrouillées rendant ainsi l’accès aux policiers plus difficile. En procédant de la sorte, les responsables de bars bénéficient d’un temps de réaction pour corriger une situation illégale. Les propriétaires de bars verrouillent aussi les portes pour se prémunir contre des ripostes de bandes criminalisées.

[91]      En contre-interrogatoire M. Monchamp confirme être le superviseur du présent dossier et n’avoir jamais vu personnellement M. Serge Murendi à l’établissement Au Sexe D’Or. Il précise que Murendi est accusé, mais n’a pas encore été déclaré coupable de proxénétisme et de traite de personnes.

[92]      Il mentionne que le bar n’est pas reconnu pour la vente, la consommation et l’échange de stupéfiants.

Suite du témoignage de M. Qi Chen, demandeur 

[93]      Me Beaudoin dépose, comme pièce D-10, le courriel et les photos qu’il a transmis à la Direction du contentieux le 6 novembre 2014 ainsi qu’une copie du permis de conduire et du relevé Moneygram de la danseuse mineure « Molly ».

[94]      M. Qi Chen revient sur les événements survenus en mars 2014 avec la danseuse mineure. Il précise que M. Roger Boustany, le gérant de l’époque, s’était déclaré satisfait des deux documents d’identification que lui avait fournis la danseuse et ce, malgré la consigne de M. Chen quant à la nécessité d’obtenir deux pièces d’identité officielles avec photos. C’est après cet événement qu’il a renvoyé M. Boustany.

[95]      M. Chen mentionne qu’il a également renvoyé la danseuse ayant eu l’altercation avec la policière le 10 mars 2013.

[96]      En ce qui concerne les caméras de surveillance, M. Chen précise qu’elles sont installées de façon à ce que les clients puissent les remarquer. M. Chen les regarde souvent, de son téléphone cellulaire ou de son ordinateur et une employée au bureau de l’établissement le Garage les vérifie régulièrement.

[97]      M. Chen n’installe pas de caméras dans les isoloirs puisqu’il juge qu’il fait trop sombre pour y filmer. Il ajoute être inconfortable de filmer les gestes d’intimité entre une danseuse et un client et qu’il craint que des personnes de mauvaise foi utilisent les vidéos à des fins lucratives.

[98]      M. Chen suggère d’agrandir les isoloirs et de retirer les portes pour qu’il soit plus facile de surveiller ce qui s’y passe. Il s’engage à transmettre un plan d’architecte faisant état des modifications proposées.

[99]      En contre-interrogatoire, M. Chen spécifie qu’il est le seul propriétaire du bar Au Sexe D’Or. Il souligne que Mme Aizen Li désirait s’associer avec lui, mais a changé d’avis pour des raisons médicales.

[100]  M. Chen précise que lors de soirées achalandées, si le portier est occupé c’est le D.J. qui surveille les isoloirs. Le D.J. peut voir ce qui se passe dans les 2 premières cabines et ce, de sa table à mixer, car les murs latéraux ont 1,5 mètre de hauteur. Pour les autres cabines, il doit se déplacer et vérifier devant les portes.

 

Audience du 13 août 2015

[101]   Visite de l’établissement Au Sexe D’Or.

[102]  Lors de la visite, il est constaté qu’aux abords et dans les toilettes de l’établissement des machines distributrices proposant, notamment, des condoms et accessoires sexuels sont à la disposition des clients et autres personnes présentes au bar.

[103]  Les isoloirs sont très exigus, au point où il est impossible qu’une danseuse y entre sans toucher au client assis sur la chaise ou le fauteuil.

[104]  Les caméras de surveillance installées aux isoloirs sont non fonctionnelles.

[105]  Les portes-persiennes des isoloirs sont opaques.

[106]  Seul l’isoloir adjacent au D.J. permet une légère surveillance sans en ouvrir les portes.

[107]   Les affiches de consignes, interdisant de toucher les danseuses et les clients, sont difficilement lisibles tellement les lieux sont sombres.

 

Audience du 19 août 2015

[108]  Me Cossette revient sur le plan d’aménagement proposé par l’architecte de M. Qi Chen en pièce D-12. Le plan représente une pièce ouverte de 15 pieds par 10 pieds dans laquelle sont installés 6 isoloirs, plus grands que les précédents, sans portes ni rideaux.

[109]  M. Qi Chen affirme que le plan proposé vise à respecter la loi ainsi que l’intimité des clients qui paient pour une danse, sans que les autres clients puissent en bénéficier sans frais.

[110]  Me Beaudoin dépose en pièce D-13, 5 photos prises par M. Driss Jahidi pour démontrer que M. Chen a fait retirer toutes les distributrices d’accessoires sexuels et autres dont la présence avait été remarquée par les soussignés et la Direction du contentieux lors de la visite de l’établissement le 13 août 2015.

 

Plaidoirie de Me David Beaudoin

[111]  Selon Me Beaudoin trois manquements survenus sous l’exploitation de la titulaire pourraient être imputables à la demanderesse si le tribunal applique le principe selon lequel lors d’une cession la demanderesse est responsable du passif de la titulaire. Selon lui, les actes à caractère sexuel échangés dans un isoloir 16 janvier 2010, l’infraction due à la présence dans l’établissement d’une danseuse d’âge mineur le 5 mars 2014 et l’altercation entre la danseuse et la policière ayant eu lieu le 13 mars 2013 pourraient être imputés à la demanderesse.

[112]  Me Beaudoin reconnait que M. Boustany, le responsable de la titulaire, n’était pas enclin à collaborer avec les policiers du SPVM contrairement au responsable de la demanderesse, M. Qi Chen. Il donne pour exemple les discussions houleuses intervenues entre M. Boustany et M. Chen, devant les policiers, au sujet des danses contact. M. Chen exigeait qu’aucune danse contact ne soit pratiquée dans son établissement alors que M. Boustany en affirmait la légalité.

[113]  La preuve a démontré qu’il y avait des danses contact sous l’exploitation par la titulaire et que cela s’est aussi produit sous l’exploitation par la demanderesse. Toutefois, dès que le SPVM a informé M. Qi Chen que les danses contact n’étaient plus tolérées, il a instauré des mesures afin que cette nouvelle directive soit respectée.

[114]  M. Chen sait que toutes les formes d’attouchements lors d’une danse sont interdites et illégales et constituent des actes de prostitution et agit de manière à respecter les exigences du SPVM, ainsi que celles établies par la loi et la jurisprudence.

[115]  Me Beaudoin rappelle qu’au cours des 2 dernières années M. Chen a fait des demandes de permis pour les établissements Bar Mania, Bar Champion et Le Garage. La Régie a fait droit à ces demandes de permis de bar avec autorisation(s) de danse et de spectacles avec nudité.

[116]  Résumant la preuve testimoniale entendue, Me Beaudoin plaide que la fiabilité du témoignage de l’agent Garon quant à l’événement de novembre 2014 est faible puisqu’elle relate ce que l’agent source a personnellement vu. La Direction du contentieux de la Régie aurait pu assigner l’agent source pour qu’il témoigne lui-même des faits.

[117]  Me Beaudoin souligne que contrairement aux dires de Mme Garon des affiches de consignes encadrant les danses sont apposées sur les murs des isoloirs. Il rappelle la transparence de M. Qi Chen sur la gestion de l’établissement et son étroite collaboration avec le SPVM.

[118]  Me Beaudoin remet en question la crédibilité du témoignage de l’agent Dumas. Il appuie ses dires en remémorant la décision déontologique qui conclut que l’arrestation de M. Driss Jahidi par l’agent Dumas était illégale et non fondée. Il précise que l’événement du 5 mars 2014, avec la danseuse mineure, est arrivé 7 jours après le jugement de culpabilité de l’agent Dumas. Me Beaudoin prétend que le témoignage de ce dernier laisse entrevoir un esprit de vengeance. Il recommande au tribunal de considérer ces faits dans l’évaluation de la crédibilité du témoin.

[119]  Il rappelle s’être objecté au témoignage de l’expert Dominic Monchamp sur le proxénétisme, puisqu’aucune preuve ne démontre la présence de cette problématique à l’établissement Au Sexe D’Or et ce malgré l’arrestation de M. Serge Murendi pour bris de conditions.

[120]  Me Beaudoin souligne que la porte de l’établissement est verrouillée pour empêcher l’accès d’une clientèle indésirable, tel que les individus violents, des membres de gang de rue ou encore des personnes mineures, non pas pour entraver le travail des policiers.

[121]  Me Beaudoin rappelle que M. Chen a instauré des mesures strictes relativement aux danses contact lui occasionnant des pertes de revenus alors que ces activités sont tolérées dans plusieurs bars de danseuses nues à Montréal. Il réaffirme la bonne foi de son client qui a soumis au tribunal, comme pièce D-12, un plan proposant des modifications d’aménagement des isoloirs.

[122]  Me Beaudoin demande aux soussignés d’accorder les changements présentés sur ce plan. Ces nouveaux isoloirs, sans portes, permettraient qu’aucun geste à caractère sexuel n’y soit posé.

[123]  Selon Me Beaudoin la politique de la Régie en matière de danse contact est désuète. Il rappelle que l’état du droit a évolué depuis l’affaire Thérèse Pelletier[1]. À cette époque, les danses contact étaient tolérées. Toucher les seins et les fesses des danseuses était admis, mais les gestes dépassant ces limites étaient considérés comme des actes de prostitution.

[124]   Il recommande à la Régie de réviser sa politique en la matière, tenant compte de la jurisprudence actuelle, et d’assurer son application, sans exception, à tous les bars de danseuses nues au Québec.

[125]  Au soutien de sa plaidoirie concernant les actes ou gestes à caractère sexuel, Me Beaudoin dépose de la jurisprudence établissant les balises en matière de prostitution, notamment la décision de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Marceau[2], la décision de la Cour suprême dans l’affaire Bedford[3] et complète par le dépôt des décisions suivantes de la Régie :

• Bar Le Ki Osk[4] : Suspension de 45 jours 

• Bar l’Érotika[5] : Suspension de 30 jours

• Miss Hiltop[6] : Suspension de 60 jours

• Bar Terrasse 112[7] : Révocation des permis

• Bar Le Coin du Pêcheur[8] : Révocation des permis 

• Sexy Hollywood[9] : Révocation du permis de danse avec nudité et suspension des permis pour une durée de 50 jours

[126]  MBeaudoin souligne qu’une révocation ou une suspension de permis est justifiée lorsqu’il est prouvé que des gestes à caractère sexuel se produisent régulièrement dans l’établissement, ce qui selon lui n’est pas le cas du dossier Au Sexe D’Or. 

[127]  MBeaudoin est d’avis que la demanderesse a la capacité et l’intégrité pour exploiter son établissement, tel qu’elle le démontre dans l’administration et la gestion de ses autres établissements, et demande au tribunal de faire droit à la demande.

[128]  Si le tribunal concluait devoir suspendre le permis de la titulaire pour les actes qui lui sont reprochés, Me Beaudoin demande à ce que la sanction soit de courte durée.

 

Plaidoirie de Me Cosette

[Transcription conforme]

(…)

Suite à la dernière audience concernant le présent dossier, il a été convenu que je déposerais des représentations écrites en lieux et place de représentations verbales.

 

L’administration de la preuve ayant requis plusieurs journées d’audition ainsi qu’une visite des lieux, beaucoup d’éléments de preuve ont été présentés au Tribunal. Je n’entends pas revenir sur l’ensemble de la preuve exposée devant vous dans ce dossier de peur d’être redondant. Par contre, il y a certains sujets d’importance qui ont été soulevés en audience et qui méritent toute notre attention. Voici les sujets en question :

 

1- la présence et l’emploi de personnes mineures dans l’établissement;

2- les gestes à caractère sexuels;

3- la porte d’entrée de l’établissement qui est verrouillée en permanence;

4- la présence d’isoloirs à l’intérieur de l’établissement.

 

Il s’agit selon moi des quatre points importants à évaluer en fonction des éléments de preuve au dossier ainsi que de l’état actuel du droit afin de déterminer si la demande de permis présentée par le demandeur suite à la cession de l’établissement doit lui être accordée tel que demandé.

 

1 - La présence et l’emploi de personnes mineures dans l’établissement

 

Le 5 mars 2014 à 01h50 (Document 2), les policiers ont constaté qu’une personne d’âge mineure était à l’intérieur d’une voiture taxi avec un homme. Ladite voiture était immobile dans le stationnement de l’établissement. Les deux personnes étaient assises sur le banc arrière du véhicule. Ce qui a attiré l’attention des policiers à ce moment, c’est le mouvement qu’il y avait à l’intérieur du véhicule ainsi que les vitres embuées. Après identification des personnes, il s’avère que la jeune fille est mineure (17 ans).

 

Elle a d’abord fourni un faux permis de conduire aux policiers et enfin, une carte d’étudiante du collège Dawson qui était authentique. Suite à son arrestation par les policiers, elle déclare qu’elle est danseuse nue à l’établissement Au sexe D’or depuis un (1) mois à raison de six (6) jours par semaine. Le propriétaire de la voiture taxi dit qu’il la connaît, car elle est danseuse Au sexe D’or.

 

Au moment où les policiers accompagne la jeune fille à l’intérieur de l’établissement afin qu’elle puisse récupérer ses effets personnels, le portier, M. Driss Jahidi tente d’induire les policiers en erreur en leur affirmant qu’il ne connaît pas la mineure en question. Il refuse même de les laisser entrer. Il leur dit également que M. Roger Boustany n’est pas présent. Après que les policiers eurent demandé l’assistance de leurs confrères, ils ont finalement été en mesure d’entrer à l’intérieur de l’établissement. La jeune fille mineure s’est dirigée vers son casier et a récupéré ses effets personnels. Des clients l’ont interpellé au passage par son nom de danseuse « Molly », afin de savoir si elle allait bien. À ce moment, les policiers constatent la présence de M. Roger Boustany qu’ils identifient comme étant le propriétaire de l’endroit.

 

Quelle conclusion devons nous tirer des faits ci-haut exposés? D’abord, M. Qi Chen ayant déposé sa demande de permis suite à la cession de l’établissement le 17 janvier 2012 a obtenu une première autorisation d’exploitation temporaire le 5 mars 2012. Ce faisant, ce dernier était l’exploitant temporaire au moment où le présent événement est survenu.

 

En second lieu, une mineure travaillait à l’établissement comme danseuse nue. En ce qui concerne l’identification de cette personne mineure, il y a lieu de préciser que le travail de tenancier de bar de danseuse expose ces derniers à des situations où les personnes désirant travailler dans un tel établissement peuvent vouloir dissimuler leur âge véritable.

 

La jurisprudence constante de la Régie est à l’effet que les tenanciers et employés de ces établissements se doivent de redoubler de prudence à ce sujet et prendre tout les moyens nécessaires afin d’éviter une telle situation, chose qui de toute évidence n’a pas été faite. À titre d’exemple, voir la décision Metric Bar .[10]

 

De plus, je vous soumets qu’étant donné la situation, la seule conclusion logique à laquelle nous pouvons en arriver en examinant les faits est que la mineure au moment où elle était dans le taxi, était en train de commettre un acte de prostitution. Bien sûr, aucun aveux en ce sens et les policiers n’ont pas eu le temps de constater les faits, mais vu la nature de la relation entre ces deux personnes, c'est-à-dire « client-danseuse », et qu’ils se connaissent depuis peu, il est beaucoup plus probable qu’il s’agisse d’un acte de prostitution qu’autre chose. En ce qui concerne l’attitude du portier, soit M. Driss Jahidi, il est clair que ce dernier a tenté d’entraver le travail des policiers en leur mentant. Il n’a offert aucune collaboration. Il faut garder en tête que, depuis le départ de M. Roger Boustany, c’est M. Driss Jahidi qui est le gérant actuel de l’établissement selon le témoignage de M. Qi Chen,

 

2 - Les gestes ou actes à caractère sexuel

 

Les faits en litiges concernant les gestes ou actes à caractère sexuel sont décrits aux documents 4, 5, 6A et R-6.

 

Au document (4), il s’agit d’un événement en date du 13 juillet 2012. M. Qi Chen était exploitant temporaire à ce moment. Les agents d’infiltration ont constaté que les danseuses sur scène s’adonnaient à des contacts sexuels avec les clients moyennant rétribution. Les agents ont eux-mêmes conclu une telle entente avec une danseuse.

 

Le 8 août 2011, (Document 5) les policiers ont même reçus une plainte à l’effet que M. Roger Boustany, gérant de l’établissement, exigeait des danseuses qu’elles offrent des services sexuels aux clients.

 

Le 16 janvier 2010, (Document 6A), les policiers ont eux même constaté à l’intérieur d’un isoloir qu’un client faisait des attouchements à une danseuse au niveau de la vulve.

 

En novembre 2014, (Document R-6), alors que M. Chen  était l’exploitant temporaire et que nous étions en période d’audition dans le présent dossier, un agent source du SPVM a conclu une entente de nature sexuelle avec une danseuse. À l’intérieur de l’isoloir, ce dernier lui a caressé les seins et les fesses et la danseuse a masturbé l’agent source. Ce dernier a même inséré ses doigts entre les fesses de la danseuse. Il a payé la danseuse 40,00 $.

 

Considérant les faits énoncé plus haut, nous sommes dans l’obligation de conclure que des actes de nature sexuelle moyennant rétribution monétaire avaient lieu avant l’arrivée de M. Chen à cet établissement et que depuis son arrivée la situation n’a pas changée. En effet, il faut être conscient du fait que le SPVM ne peut engager qu’une certaine quantité de ressources lors d’une enquête visant un tel établissement et qu’il n’est pas possible de pousser l’enquête plus loin. Par contre, nous sommes face à ce que je qualifierais de quatre « photographies » prises à intervalle régulier qui dresse le portrait d’une seule et même situation, soit que des services sexuels impliquant contact physique peuvent être achetés à cet établissement. Que ce soit avant ou après l’arrivée de M. Chen.

 

3 - La porte d’entrée de l’établissement qui est verrouillée en permanence

 

La preuve a démontré durant l’audience que la porte principale de l’établissement était verrouillée en permanence. Le demandeur l’a admis et nous l’avons-nous même constaté lors de la visite des lieux. La raison invoquée par M. Chen est la suivante : Il s’agit de contrôler l’entrée de la clientèle. Personnellement, je ne suis pas d’accord avec cette affirmation. En effet, je vous réfère au témoignage de M. Dominic Monchamp à ce sujet qui a témoigné à titre d’expert dans le présent dossier. À son avis, il ne peut y avoir que deux raisons pour lesquelles une porte d’établissement demeure verrouillée en permanence.

 

D’abord, cela est nécessaire afin de fournir un temps de réaction aux personnes présentes dans l’établissement face à une action policière. On peut aisément penser, par exemple, qu’en cas de commission d’actes de prostitution entre un client et une danseuse, ces derniers auraient le temps de réagir et de faire le nécessaire afin de ne pas se faire prendre sur le fait par les policiers.

 

D’autre part, et toujours selon M. Monchamp, la porte verrouillée en permanence permet de se prémunir des ripostes de bandes rivales. Entendons par là que si des membres de groupes criminalisés adverses décidaient d’entrer dans l’établissement, ils se retrouveraient devant une porte barrée. Quoi qu’il en soit, il est très étrange vu la capacité et la grandeur de l’établissement et vu la présence d’un gérant sur place, qu’on se sente l’obligation de tenir la porte d’entrée verrouillée. Je vous soumets que l’explication de M. Chen à ce sujet ne tient pas la route. Qui plus est, il est à noter que les établissements avec permis d’alcool ne verrouillent généralement pas la porte d’entrée.

 

4 - La présence d’isoloirs à l’intérieur de l’établissement

 

En ce qui concerne la présence d’isoloirs à l’intérieur de l’établissement, j’aimerais tout d’abord attirer votre attention sur les dimensions restreintes de ces dernières. En effet, une visite des lieux ainsi que la mesure desdits isoloirs nous ont permis de constater qu’elles faisaient un peu plus d’un mètre carrée chacune, que la hauteur des portes ne permettait pas de voir à l’intérieur des cabines en regardant par-dessus et que les portes, malgré la présence de lattes de bois de type « persienne », ne permettaient pas de voir adéquatement ce qui se passe à l’intérieur.

 

En fait, sauf pour la première cabine près du D.J., on ne peut voir ce qui se passe à l’intérieur des isoloirs. L’espace étant restreint, lorsque deux personnes sont à l’intérieur, il est pratiquement impossible qu’elles ne se touchent pas, tout spécialement si une danseuse se trouve à l’intérieur avec un client et qu’elle danse. Tous ces éléments font en sorte de créer un environnement très propice aux contacts physiques entre un client et une danseuse.

 

Ce qui m’amène tout naturellement à me questionner sur l’utilité de tels isoloirs. En effet, la question a été clairement posée à M. Chen lequel a donné comme réponse que c’est ce que les clients voulaient. Lorsque je lui ai demandé pourquoi les clients ne voulaient pas de danses aux tables, la réponse qui nous a été donnée était que les clients qui paient pour une danse ne voulaient pas que les autres clients voient la danseuse s’exécuter. Je vous soumets respectueusement que le motif invoqué par M. Chen ne tient pas la route.

 

En effet, il fût une époque ou les isoloirs n’existaient pas et/ou seul les danses aux tables avaient cour. Objectivement parlant, il n’y a aucune différence entre voir une danseuse s’exécuter à la table du client ou dans un isoloir. Sauf que dans un isoloir, étant à l’abri des regards indiscrets de la clientèle, il est beaucoup plus facile de procéder à des attouchements de nature sexuelle, cela tombe sous le sens. Il est évident que la raison d’être de tels isoloirs, de par leurs dimensions ainsi que leurs caractères privés, est de faciliter les attouchements de natures sexuelles moyennant rémunération. Nous en avons des exemples concrets à la section (2) du présent argumentaire « gestes ou actes à caractères sexuels ».

 

Qui plus est, M. Chen a proposé, en audience, de modifier ses isoloirs. Ce dernier a proposé d’enlever les portes des cabines, mais aussi de déplacer lesdites cabines de façon à ce que la clientèle assise aux tables ne puisse voir ce qui se passe à l’intérieur des isoloirs. J’avais moi-même suggéré de laisser les isoloirs à l’emplacement où ils se trouvent actuellement et de seulement enlever les portes. De cette façon, la clientèle assise aux tables aurait pu voir ce qui se passe dans les isoloirs. Cette solution a été rejetée par M. Chen. Ce dernier tient absolument à maintenir le caractère « privé » de ce qui se passe dans les isoloirs.

 

Si l’on prend connaissance de la pièce D-12, on peut constater que la façon dont les isoloirs sont disposés permet de conserver le caractère « privé » de ce qui se passe dans les isoloirs. Là encore, je m’interroge sérieusement sur les motifs réels qui poussent M. Chen à vouloir conserver les isoloirs et surtout le caractère « privé » desdits isoloirs.

 

Ce qui m’amène à vous entretenir du témoignage de M. Dominic Monchamp, reconnu expert en exploitation sexuelle et traite de personnes devant la Régie mais aussi à plusieurs reprises devant les Tribunaux supérieurs comme nous pouvons le constater à la lecture de son curriculum vitae. Ce dernier a répondu, lors de son témoignage, à la question concernant l’utilité de la présence d’isoloirs dans de tels établissements et à l’intérieur de l’établissement Au sexe D’or.

 

En effet, de l’avis de M. Monchamp, l’objectif de la présence de tels isoloirs est de permettre la création d’une intimité avec la danseuse afin de pouvoir la toucher. Il nous a aussi expliqué l’ensemble des techniques utilisées par les proxénètes afin de pouvoir manipuler les femmes qui sont sous leur emprise. Une des manières utilisée par les proxénètes afin de les exploiter est de les faire danser dans les bars. Ces derniers les pousses à faire des danses avec contact et il y a beaucoup de pression exercée sur elles afin qu’elles se prostituent.

 

Les isoloirs étant des endroits clos, ceux-ci sont idéals pour favoriser ce type de comportement. De plus, les danseuses sont souvent victimes d’agressions sexuelles à l’intérieur des isoloirs. Toujours selon le témoignage de M. Monchamp, 80 % des danseuses seront exploitées sexuellement par un proxénète à un moment ou un autre. En somme, la présence d’isoloirs est là afin de faciliter le travail des proxénètes. Concernant la présence d’affiches interdisant les contacts entre les danseuses et les clients, le témoin nous dit qu’elles sont présentes dans l’établissement dans le but de protéger le tenancier des autorités plutôt que les danseuses. Selon lui, les bars de danseuses sont des endroits favorisant la criminalité (prostitution, drogue, violence) et c’est une des raisons pour laquelle ce type d’établissement a tendance à rendre difficile leur accès aux services de police, par exemple, en tenant leur porte d’entrée verrouillée.

 

5 - Le droit applicable

 

Dans l’affaire Sexy Hollywood[11], aux paragraphes 376 et suivants, la Régie a fait une excellente analyse de l’état actuel du droit concernant les danses contacts.

 

En résumé, cette décision vient dire que l’arrêt Marceau[12] déclare que les danses contactes constituent des actes de prostitution. Suite à cette décision, la Régie a adoptée une ligne jurisprudentielle suivant laquelle les danses contactes sont des gestes ou actes à caractère sexuel de nature à porter atteinte à la tranquillité publique puisqu’il s’agit d’actes de prostitution (Voir Bar Terrasse 112[13]). Elle traite également de l’affaire Bedford[14], ou après analyse, la Régie au paragraphe 415 et suivants conclut que l’arrêt Bedford n’est pas applicable à la Régie en ce qui concerne les sanction qu’elle peut imposer à un titulaire. En ce sens, la ligne jurisprudentielle adoptée par la Régie après l’arrêt Marceau demeure applicable après Bedford.

 

Enfin, cette décision révoque l’autorisation de danse et spectacles avec nudité et impose une suspension d’une durée de (60) soixante jours suite aux nombreux reproches adressés au titulaire et au demandeur. Une revue de la jurisprudence applicable en pareil matière est détaillée aux paragraphes 460 et suivants concernant les sanctions applicables dans différents cas de figure en ce qui a trait aux établissements détenant des autorisations de spectacles avec nudité visés par différents types de reproches dont, entre autres, les gestes ou actes à caractère sexuel.

 

Je n’ai pas l’intention ici de faire le même exercice et de passer en revue l’ensemble de la jurisprudence afin de tenter de déterminer quelles sont les décisions contenants des reproches semblables à notre dossier afin de vous suggérer d’intervenir de façon similaire.

 

L’approche que je vous propose est plutôt basée sur le témoignage de M. Dominic Monchamp. En effet, ce dernier est venu rendre témoignage à la Régie sur l’utilité de la présence des isoloirs dans l’établissement sous étude ainsi que dans les établissements similaires et ce, en tant qu’expert.  La jurisprudence en droit civil concernant la pertinence du témoignage d’un témoin expert sur des faits similaires est à l’effet que la preuve est généralement acceptée. Dans l’affaire Axa Assurances inc. c. Hydro Québec[15], le juge Rolland s’exprime ainsi aux paragraphes 24 à 26 :

 

Appliqué au présent dossier, le Tribunal constate que si Axa veut démontrer que le réseau de transport et de distribution d’Hydro Québec était trop vulnérable par rapport à ce qu’il aurait dû être, il semble pertinent de se référer à ce qui s’est produit au même moment auprès des services publiques d’électricité qui ont vécu cette tempête du verglas.

 

En bref, ce que nous devons comprendre ici, c’est que la preuve de faits similaires faite par un expert sera considérée comme étant pertinente et donc sera acceptée afin d’évaluer les faits dans un dossier sous étude.

 

En conséquence, M. Monchamp nous a offert une telle preuve en parlant de l’utilité de la présence des isoloirs dans un établissement détenant un permis de bar avec autorisation de spectacles avec nudité. Il a, au surplus, fait le lien avec l’établissement Au sexe D’or. La preuve apportée par ce témoin est non seulement pertinente, mais au surplus, elle est de la plus haute importance afin de correctement évaluer les faits dans le présent dossier. Je vous soumet que cette preuve ne devrait pas être écartée, mais plutôt être acceptée et que la décision à être rendue devrait lui accorder la plus haute importance compte tenu de la gravité du sujet qui ressort dans ce dossier, soit la prostitution ainsi que l’exploitation sexuelle de victimes de proxénètes, tel que nous l’a démontré M. Monchamp.

 

Au surplus, la jurisprudence constante des Tribunaux civils est à l’effet que le Tribunal devrait accepter le témoignage d’expert non contredit. En effet, dans la décision
L. (J.) c. Coopérative de l’Ébène[16], le juge Lortie au paragraphe 78 mentionne que :

 

« Dans le présent cas, le locateur exprime certaines craintes générales, mais la preuve ne révèle pas que la présence du chat soit problématique. De plus, la psychologue scolaire Constance Marchand et le pédopsychiatre Marc-Yves Leclerc témoignent dans leur rapport que l’animal est nécessaire à la santé de l’enfant. Or, comme l’écrit l’auteur Royer, le témoignage d’expert « non contredit ne peut être écarté arbitrairement et doit généralement être accepté » [La preuve civile, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, no 486, p. 316]. (j. Lortie) » (Les soulignés sont de nous)

 

Dans le même sens, la cour Suprême s’exprimait ainsi dans l’affaire
Remer Bros. Investment c. Robin[17] à la page 512 :

 

« […]La valeur marchande à cette époque ne pouvait adéquatement s’établir sans tenir compte des développements nombreux et considérables, des subdivisions, dans la région, et des fluctuations et hausses du marché en résultant. Voilà ce qui ressort de la seule preuve au dossier, de l’opinion non contredite de l’expert Giroux. […] » (Les soulignés sont de nous)

 

En ce qui nous concerne, le seul expert à avoir témoigné durant l’audience devant la Régie est M. Dominic Monchamp. Aucune autre preuve d’expert ne fût offerte par aucune autre partie au dossier afin de tenter de contredire le témoignage de M. Monchamp. En conséquence, son témoignage doit être accepté.

 

Enfin, je vous soumet que le dossier qui nous est soumis pour étude aujourd’hui doit être évalué non pas sous l’angle du nombre de reproches adressés au demandeur et au titulaire dans le but de déterminer quelle période de suspension serait la plus appropriée afin de rendre une décision, mais qu’il doit plutôt être évaluer sous l’angle de la raison, du motif de la présence d’isoloirs à l’intérieur de cet établissement. Pourquoi le demandeur tient-il mordicus à conserver lesdits isoloirs? Cela semble être tellement important pour lui qu’il est prêt à les modifier (dans la mesure où je vous l’ai exposé ci- haut) afin de pouvoir les conserver.

 

Vous avez entendu l’ensemble de la preuve, vous avez vous-même constaté sur place la disposition des lieux, vous avez entendu l’ensemble du témoignage de l’expert M. Monchamp, vous savez donc et la preuve en a été faite au-delà de la prépondérance des probabilités que l’utilité de tels isoloirs est uniquement de conférer une intimité à un client et à une danseuse afin que des actes de prostitutions puissent avoir lieu loin des regards de tous. C’est le but de la présence de tels aménagements. Je demande donc à ce Tribunal d’agir afin de ne pas faciliter l’exploitation sexuelle de personnes vulnérables qui sont pour la grande majorité, sous l’emprise d’individus sans scrupules dont le seul objectif est de faire des profits sur le dos de personnes démunies.

 

Il ne faut pas permettre que de tels crimes puissent avoir lieu et ainsi se rendre complice par association d’une situation qui porte atteinte non seulement à la tranquillité publique (article 24.1, 75 et 86 de la Loi sur les permis d’alcool), mais aussi et surtout qui cause un préjudice sévère à l’ensemble de notre société.

 

En conclusion, le demandeur est ici en demande, il se doit donc de démontrer au Tribunal qu’il satisfait aux conditions imposées par l’article 41 de la Loi sur les permis d’alcool. Je vous soumet que considérant les actes de prostitutions ayant eu lieu dans les isoloirs durant la période ou il exploitait l’établissement au moyen d’une AET, que ce dernier n’a pas pris les moyens nécessaires afin d’éviter que de tels actes aient lieu (en supprimant les isoloirs par exemple) et qu’en conséquence, il n’a pas démontré au Tribunal qu’il avait la capacité ni l’intégrité requise afin d’obtenir un permis de bar avec autorisation de danse et spectacles avec nudité et donc que la demande doit être rejetée et les permis révoqués pour non respect des conditions objectives imposées par l’article 39 de la Loi sur les permis d’alcool.

 

À défaut et subsidiairement, je vous demande de révoquer l’autorisation de spectacles avec nudité et ce, considérant que des actes de prostitutions ont eu lieu à l’intérieur des isoloirs autant sous la direction du titulaire que du demandeur. Je vous soumet respectueusement que dès qu’il y a présence d’isoloirs et que des actes de prostitutions y ont été commis comme c’est le cas dans le présent dossier et que le titulaire ou le demandeur désire conserver lesdits isoloirs, que la révocation de l’autorisation de spectacles avec nudité est la seule sanction appropriée. (Voir Sexy Hollywood[18]) Le tout assortie d’une période de suspension dont je laisserai l’appréciation au Tribunal.

 

Le tout respectueusement soumis.

 

(…)

(nos soulignements)

Réplique de Me Beaudoin

[129]   Le représentant de la demanderesse transmet par écrit, une réplique suite aux représentations de Me Cosette.

[Transcription conforme]

(…)

Présence et emploi de personnes mineures dans l’établissement

D’abord, pour ce qui est de l’importance de mettre en place des mesures empêchant l’accès à l’établissement à des personnes mineures et, à plus forte raison, leur embauche, sachez que nous sommes du même avis que celui de Me Cossette et celui de la RACJ à l’effet que la protection de ces mêmes personnes se veut être une valeur fondamentale et sensible aux yeux de notre société.

Or, par la présence d’un portier en tout temps, d’une porte d’entrée verrouillée comme la très grande majorité des bars de danseuses, l’exigence d’exhiber deux cartes d’identité avec photographie tant pour les clients que pour les danseuses et la tenue d’un registre d’identification pour ce qui est de ces dernières, nous vous soumettons respectueusement que la demanderesse démontra justement sa capacité à empêcher la présence de personnes mineures dans son établissement.

Sans minimiser quoi que ce soit, il n’en demeure pas moins que le seul reproche pouvant être adressé à la demanderesse se veut d’avoir permis çà une personne mineure de danser à son établissement. Cependant, preuve fut faite que celle-ci présenta une fausse carte d’identité, de même qu’un relevé de transfert d’argent pour prouver sa majorité à l’endroit de monsieur Roger Boustany qui fut congédié suivant cet événement.

Quant à la décision Métric Bar sur laquelle Me Cossette fonda son argumentation en cette matière, force est de constater que des différences majeures existent entre ce dossier et celui de la demanderesse. En effet, dans Métric Bar, il s’agissait d’un établissement délinquant qui avait déjà été suspendu pour la présence de mineurs à maintes reprises dans son établissement, qui avait signé un engagement volontaire spécifique à cet effet et qui fit défaut de mettre en place et, par le fait même, d’assurer le respect de mesures correctives en cette même matière.

Avec respect pour l’opinion contraire, nous nous interrogeons donc sur la pertinence de cette décision en l’espèce qui, pour notre part, n’a rien à voir avec le présent dossier.

Par ailleurs, sachez que nous sommes d’avis que la conclusion de Me Cossette à l’effet qu’un acte de prostitution survint entre la danseuse mineure et le conducteur de taxi nous laisse perplexe. En effet, non seulement admit-il dans son argumentation que les témoins policiers impliqués ne constatèrent pas la commission d’un tel acte de prostitution, mais il appert que cette preuve ne fut d’aucune manière présentée devant vous. Il est donc impossible de conclure en ce sens.

Enfin, pour ce qui est de monsieur Driss Jahidi, nous nous en remettons à notre argumentation verbale présentée devant vous pour ce qui est de sa compétence et de son intégrité.

Gestes ou actes à caractère sexuel

Contrairement aux prétentions de Me Cossette à cet égard, nous vous soumettons respectueusement que l’arrivée en scène de la demanderesse, et plus particulièrement de son représentant qui possède d’autres bars de danseuses, changea la nature des services offerts par les danseuses du temps de l’exploitation de la titulaire. En effet, dès que ledit représentant fut avisé de la position du Service de police de Montréal quant à l’interdiction d’offrir des danses contacts, celui-ci donna instructions à ses employés, y compris monsieur Boustany, de ne plus permettre de telles danses.

D’ailleurs, lors d’une rencontre avec le même Service de police, une altercation verbale survint entre le représentant de la demanderesse et monsieur Boustany puisque celui-ci argumentait avec les policiers présents que tous les autres bars de danseuses sur le territoire montréalais continuaient à offrir des danses contacts à leur clientèle.

La réalité se veut être que de telles danses contacts ne sont plus permises depuis déjà longtemps à l’établissement visé. Qui plus est, la demanderesse entend maintenir cette même politique d’interdiction bien que la grande majorité de ses compétiteurs continuent toujours d’offrir de tels services, lesquels se veulent être contraires aux enseignements de la Cour d’appel du Québec, mais conformes à la politique inchangée et toujours en vigueur de la RACJ en matière de danses contacts. Au risque de nous répéter, le témoignage policier rendu sur la base d’informations rapportées par un agent source qui ne fut pas entendu pour des raisons qui nous apparaissent incompréhensibles, si ce n’est qu’on ne voulait pas qu’il soit contre-interrogé par manque de crédibilité et de fiabilité, se doit d’être rejeté.

Dans cette optique, nous vous invitons à faire preuve de clémence quant aux reproches pouvant être adressés à la titulaire en cette matière puisque c’est la demanderesse, qui elle respecta en tout temps la jurisprudence en vigueur pour ce qui est des danses contacts, qui subira les effets négatifs sur son exploitation dans la mesure où une période de suspension lui était décernée. Par le fait même, nous vous invitons à prendre en considération que la demanderesse collabora avec le Service de police de Montréal en interdisant les danses contacts aussitôt qu’une demande en ce sens lui fut présentée.

Porte d’entrée verrouillée en permanence

La preuve présentée fut effectivement à l’effet que la porte d’entrée de l’établissement est verrouillée en tout temps. Or, le représentant de la demanderesse expliqua les raisons pour lesquelles ladite porte est maintenue verrouillée, soit pour contrôler l’accès de la clientèle notamment mineure et, par surcroît, empêcher des individus indésirables d’entrer à l’intérieur ou de revenir après avoir été expulsés, le cas échéant.

Pour notre part, il s’agit de raisons justifiées qui permettent d’assurer la tranquilité et la sécurité publiques. En effet, contrairement à la prétention de Me Cossette à cet égard qui se base sur le témoignage de monsieur Dominic Monchamp, cette porte verrouillée n’a aucunement pour but de fournir un temps de réaction aux personnes présentes à l’intérieur de l’établissement face à une action policière, pas plus qu’elle permet de se prémunir contre des ripostes des bandes rivales.

D’ailleurs, monsieur Monchamp admit en contre-interrogatoire que l’établissement en cause, tant à l’époque de l’exploitation de la titulaire que de cette de la demanderesse, n’était pas un endroit reconnu comme offrant à sa clientèle des services sexuels de type fellation, masturbation ou relation sexuelle complète. Qui plus est, aucune preuve crédible de fut présentée par la Direction du contentieux à l’effet que des danses contacts étaient toujours offertes à l’établissement en cause.

Cela dit, monsieur Monchamp admit que beaucoup de bars de danseuses maintiennent leur porte d’entrée verrouillée et que ceux-ci ne sont pas des établissements reconnus pour permettre ou tolérer la commission de gestes ou d’actes à caractère sexuels. Il y a donc lieu de prendre en considération cette admission de monsieur Monchamp et de rejeter la prétention de Me Cossette à l’effet que les établissements titulaires de permis d’alcool ne verrouillent généralement pas leur porte d’entrée puisque celle-ci s’adresse à des établissements autres que des bars de danseuses.

Enfin, monsieur Monchamp admit également que l’établissement n’était pas fréquenté par des groupes criminalisés.

Il ressort donc que les raisons alléguées par le représentant de la demanderesse se veulent être autres que celles que constatées dans le cadre de l’exploitation d’établissements que nous qualifions de maison de débauche et qui menèrent à des sanctions distinctes, tel que dans le dossier Sexy Hollywood.

Présence d’isoloirs à l’intérieur de l’établissement

D’abord, pour ce qui est des questionnements de Me Cossette quant aux isoloirs actuels, nous vous soumettons respectueusement que cette partie de son argumentation n’est point pertinente compte tenu de l’intention de la demanderesse de démolir ceux-ci pour les remplacer par d’autres d’une dimension supérieure et sans aucune porte ni rideau.

Quant aux raisons que le représentant de la demanderesse énonça pour conserver la présence d’isoloirs à l’intérieur de l’établissement, vous comprenez que nous sommes en total désaccord avec la position de Me Cossette. Lesdites raisons se veulent être justifiées et permettront à ses clients de conserver une intimité avec la danseuse de leur choix sans pour autant s’adonner à des gestes ou des actes à caractères sexuels.

D’ailleurs, si demanderesse permettait la commission de gestes ou d’actes à caractères sexuels à l’intérieur de ses nouveaux isoloirs, elle s’exposerai à la suspension et/ou la révocation de son permis d’alcool et/ou des autorisations y étant rattachées. Cette seule possibilité permettra d’assurer le respect de la politique en vigueur à savoir que les danses contacts et, à plus forte raison, tout autre geste ou acte à caractère sexuel ne sont pas tolérés à l’intérieur l’établissement.

Pour ce qui est du témoignage de monsieur Monchamp en ce qui a trait à l’objectif de la présence d’isoloirs à l’intérieur d’un bar de danseuses, force est de constater que Me Cossette fait fausse route. En effet, bien que monsieur Monchamp témoigna à l’effet que des proxénètes contrôlent des danseuses en leur demandant de commettre des gestes ou des actes à caractère sexuel à l’intérieur des isoloirs présents dans certains bars de danseuses, celui-ci admit que l’établissement de la demanderesse n’était pas fréquenté par des proxénètes, pas plus que des danseuses sous leur contrôle étaient présentes audit établissement.

De l’aveu même de monsieur Monchamp, l’établissement en cause n’est donc un endroit fréquenté directement ou indirectement par des proxénètes qui usent de leur pouvoir sur des personnes en état de vulnérabilité à savoir les danseuses et surtout des personnes mineures en fugue. En conséquence, la théorie de monsieur Monchamp à cet égard, reprise par Me Cossette dans le cadre de son argumentation, ne trouve pas application en l’espèce, d’où la raison pour laquelle nous nous objectâmes à son témoignage sur la base de la pertinence en l’espèce.

En ce qui a trait aux affiches présentes à bon nombre d’endroits à l’intérieur de l’établissement, y compris à l’intérieur de chacun des isoloirs, il est faux de prétendre qu’elles visent à protéger le tenancier des autorités plutôt que les danseuses elles-mêmes. En effet, au-delà des profits réalisés par l’exploitation de son établissement, la demanderesse s’assure du bien-être physique et mental des danseuses et des employés exerçant leur profession à l’intérieur de son établissement qui assure le respect de la tranquillité et de la sécurité publique.

Enfin, quant à la prétention de monsieur Monchamp à l’effet que les bars de danseuses favorisent la criminalité en général (prostitution, drogue et violence), force est de constater, une fois de plus, que ce n’est pas le cas pour l’établissement en cause. D’ailleurs, tous les témoins policiers entendus y compris monsieur Monchamp admirent que ledit établissement n’était pas reconnu comme un endroit violent ou fréquenté par des personnes ayant une historique de violence, pas plus qu’un endroit où la vente , l’échange et la consommation de drogue n’est permise ou tolérée.

Droit applicable

D’entrée de jeu, nous vous soumettons respectueusement que les prétentions de Me Cossette quant au témoignage d’expert de monsieur Monchamp, lesquelles se veulent être appuyées sur des jugements non pertinents en l’espèce, se doivent d’être rejetées. En effet, bien que monsieur Monchamp fut reconnu comme expert et que son témoignage fut intéressant, il n’en demeure pas moins qu’il ne faut pas faire abstraction du contre-interrogatoire de celui-ci.

En effet, et au risque de nous répéter, nous sommes d’avis qu’il ressortit du contre-interrogatoire de monsieur Monchamp que les situations déplorables qu’il rapporta au tribunal ne trouvaient pas application en l’espèce. Nous vous référons à cet égard aux admissions ci-haut énoncées pour ne nommer que celles-là. Pour les mêmes raisons, il n’y avait aucune nécessité de faire entendre un autre expert qui serait venu contredire le témoignage de monsieur Monchamp.

En d’autres termes et pour l’essentiel de son témoignage, nous ne contredisons pas les dires de monsieur Monchamp. Par contre, pour que son témoignage soit apprécié en entier et avec toute la crédibilité qu’on lui doit, il aurait fallu que Me Cossette lui pose non seulement les questions qu’il lui adressa, mais également celles que le soussigné lui posa puisque ce qui était pertinent en l’espèce, ce n’est pas le portrait global du monde criminalisé s’adonnant au proxénétisme, mais plutôt si oui ou non il y a présence ou influence quelconque de ces proxénètes à l’établissement en cause.

Cela dit, pour ce qui est de la décision Sexy Hollywood que vous rendîtes, nous vous soumettons à nouveau respectueusement qu’il y a des différences notoires entre ce dossier et celui en l’espèce. En conséquence, la conclusion subsidiaire de Me Cossette se veut être mal fondée en faits en en droit. En effet, tout en nous référant à notre cahier de jurisprudence, force est de constater que nous ne sommes pas en présence ni d’un dossier où l’autorisation de danse et spectacles avec nudité doit être révoquée si d’un dossier où les isoloirs se doivent d’être retirés et ce, vu l’absence de récidive.

Conclusion

Pour les motifs ci-haut, de même que ceux exposés verbalement lors de notre argumentation devant vous, nous réitérons notre position à l’effet que la demanderesse est en droit de se voir délivrer le permis d’alcool avec autorisations de danse et spectacles avec nudité, de même que la licence d’exploitant de site d’appareils de loterie-vidéo demandés. En effet, au risque de nous répéter, le représentant de la demanderesse possède plusieurs autres établissements licenciés, y compris d’autres bars de danseuses, et l’exploitation de ceux-ci ne contrevient en rien à la tranquillité et à la sécurité publique. La demanderesse a donc démontré son intégrité et sa capacité à exploiter l’établissement en question.

Qui plus est, la demanderesse est également en droit de pouvoir aménager et permettre l’accès aux nouveaux isoloirs qu’elle vous proposa par le biais de la remise d’un nouveau schéma d’aménagement. Bien entendu, la capacité de l’établissement devra tenir compte de ce nouvel aménagement et de la grille de calcul de capacité afférente.

Quant à la suspension dudit permis d’alcool et de ladite licence d’exploitant de site d’appareils de loterie-vidéo, nous nous en remettons à votre appréciation et vous réitérons notre argumentation à cet égard qui vous fut présentée verbalement lors de la dernière journée d’audition.

(…)

 

LE DROIT

 

[130]  Les dispositions légales qui s’appliquent dans le présent dossier sont les suivantes :

[Transcription conforme]

Loi sur les permis d’alcool[19] (LPA)

24.1.      Pour l'exercice de ses fonctions et pouvoirs mettant en cause la tranquillité publique, la Régie peut tenir compte notamment des éléments suivants: (…)

2° les mesures prises par le requérant ou le titulaire du permis et l'efficacité de celles-ci afin d'empêcher dans l'établissement: (…)

c)  les gestes ou actes à caractère sexuel de nature à troubler la paix et la sollicitation y relative;

d)  les actes de violence, y compris le vol ou le méfait, de nature à troubler la paix des clients ou des citoyens du voisinage; (…)

f)  toute contravention à la présente loi ou à ses règlements ou à la Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques (chapitre I-8.1); (…)

3° le lieu où est situé l'établissement notamment s'il s'agit d'un secteur résidentiel, commercial, industriel ou touristique.

75.          Un titulaire d'un permis ne doit pas l'exploiter de manière à nuire à la tranquillité publique.

77.0.1.   Il est interdit, dans un établissement où est exploité un appareil de loterie vidéo, au titulaire du permis, son conjoint, ses enfants, à la personne chargée d'administrer l'établissement, aux membres du personnel ainsi qu'à toute personne qui participe à un spectacle dans l'établissement de jouer ou d'inciter un client à jouer avec cet appareil.

81.          Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi, ainsi que celles de leurs règlements, applicables à un permis et à son titulaire sont, compte tenu des adaptations nécessaires, applicables à une autorisation d'exploitation temporaire et à son titulaire.

86.          La Régie peut révoquer ou suspendre un permis si:

 1°  ce permis a été obtenu à la suite de fausses représentations;

 2° le titulaire du permis ou, si celui-ci est une société ou une personne morale visée par l'article 38, une personne mentionnée à cet article ne satisfait plus aux conditions exigées par l'article 36, les paragraphes 1° à 3 ° du premier alinéa de l'article 39 ou les paragraphes 1.1° à 2° du premier alinéa de l'article 41;

 3° (paragraphe remplacé);

 4° (paragraphe remplacé);

 5° (paragraphe remplacé);

(…)

 8° le titulaire du permis contrevient à une disposition des articles 70 à 72, 73, 74.1, 75, du deuxième alinéa de l'article 76, des articles 78, 82 ou 84.1 ou refuse ou néglige de se conformer à une demande de la Régie visée à l'article 110; (…)

La Régie doit révoquer ou suspendre un permis si:

 1° un titulaire de permis de brasserie, de taverne ou de bar a été déclaré coupable d'une infraction pour avoir employé un mineur ou lui avoir permis de présenter un spectacle ou d'y participer, dans une pièce ou sur une terrasse de son établissement où des boissons alcooliques peuvent être vendues; (…)

87.              La Régie peut, au lieu de révoquer ou de suspendre un permis pour un motif prévu par les paragraphes 2° et 6° à 8° du premier alinéa de l'article 86, ordonner au titulaire du permis d'apporter les correctifs nécessaires dans le délai qu'elle fixe.

111.           Un membre du personnel de la Régie désigné par le président ou, à la demande de la Régie, un membre d'un corps de police autorisé à cette fin par le ministre de la Sécurité publique ou un membre de la Sûreté du Québec peut, durant les heures d'ouverture d'un établissement, pénétrer dans l'établissement et dans ses dépendances et en faire l'inspection; il peut notamment examiner les produits qui s'y trouvent, prélever des échantillons, exiger la production des livres et des autres documents relatifs à l'achat et à la vente de boissons alcooliques ou de matières premières et d'équipements destinés à la fabrication domestique de bière ou de vin ou, dans le cas d'une épicerie, de tout produit, et requérir tout autre renseignement ou document utile à l'application de la présente loi et des règlements ainsi qu'obliger toute personne sur les lieux à lui prêter une aide raisonnable.

Un membre d'un corps de police autorisé à cette fin par le ministre de la Sécurité publique ou un membre de la Sûreté du Québec peut, dans l'exercice de ses fonctions pour vérifier l'application de la présente loi et de ses règlements, faire immobiliser un véhicule circulant sur un chemin public, s'il a des motifs raisonnables de croire que ce véhicule est utilisé par un titulaire de permis pour la livraison de boissons alcooliques, faire l'inspection des boissons alcooliques qui peuvent s'y trouver et examiner tout document relatif à l'application de la présente loi et de ses règlements.

112.                Il est interdit d'entraver l'action d'une personne visée à l'article 111 dans l'exercice de ses fonctions, de la tromper par réticence ou fausse déclaration, de refuser de lui fournir un renseignement ou un document qu'il a droit d'exiger ou d'examiner en vertu de la présente loi ou des règlements, de cacher ou détruire un document ou un bien pertinent à une enquête.

 

Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques[20] (LIMBA)

103.2. Un titulaire de permis de brasserie, de taverne ou de bar, ne peut admettre un mineur, permettre sa présence, l'employer, lui permettre de présenter un spectacle ou d'y participer, dans une pièce ou sur une terrasse de son établissement où des boissons alcooliques peuvent être vendues.

 

ANALYSE

 

[131]  L’article 75 de la Loi sur les permis d’alcool (LPA) établit qu’un titulaire d’un permis d’alcool ne doit pas l’exploiter de manière à nuire à la tranquillité publique.

[132]  En la matière, l’article 24.1 de la LPA précise que pour l’exercice de ses fonctions et pouvoirs mettant en cause la tranquillité publique, la Régie peut tenir compte notamment des mesures prises par le requérant ou le titulaire du permis et l’efficacité de celles-ci afin d’empêcher dans l’établissement les gestes ou actes à caractère sexuel de nature à troubler la paix et la sollicitation y relative.

(nos soulignements)

[133]  Dans la décision Sexy Hollywood la Régie a établi le cadre juridique actuel en matière de gestes à caractère sexuel en ces termes :

[378]          Dans l’affaire Marceau c. R, 2010 QCCA 1155 (CanLII) (ci-après nommée l’affaire « Marceau »), la Cour d’appel a déterminé que les danses dites contacts qui se déroulent dans des établissements titulaires de permis d’alcool constituent des actes de prostitution au sens du paragraphe 210(2)(b) Code criminel (C. Cr) :

[Transcription conforme]

[36]                Finally, the nature of the conduct in which the female appellants and their customers engaged were clearly intended to achieve the sexual stimulation of the customers, despite the fact that the customers remained clothed, and irrespective of whether they reached ultimate gratification. A reading of the judgment at trial and the testimony of the police officers who observed the activities in the cubicles leave little doubt in that respect. To characterize those activities as a form of entertainment, even if one were to accept that characterization, makes them no less acts of prostitution. For that matter, intercourse is not a necessary component of prostitution, as Parliament itself has recognized in paragraph 212(1)(bCr. C. by distinguishing between ''illicit sexual intercourse'' and ''prostitution''.

(…)

[38]                I therefore conclude that the appellants were all properly convicted of the offence in paragraph 210(2)(bCr. C. In agreement with the result at trial and on appeal to the Superior Court, but without necessarily agreeing with all of their reasons, I would dismiss the appeal.

[379]          Depuis l’affaire Marceau, la Régie a adopté une position jurisprudentielle à l’effet que les danses contact pratiquées dans les isoloirs des établissements titulaires de permis d’alcool constituaient des gestes à caractère sexuel nuisant à la tranquillité publique. Dans l’affaire Bar Terrasse 112[21], par exemple, la Régie s’est exprimée ainsi :

[Transcription conforme]

[68]                En somme, depuis cette dernière décision de la Cour d’appel, les danses contact pratiquées dans les isoloirs de l’établissement de la titulaire qui consistent à poser les gestes plus amplement décrit au paragraphe 58 des présentes, constituent des gestes à caractère sexuel qui, au sens des articles 24.1 c) et 75 de la LPA, trouble la tranquillité publique parce qu’ils constituent dorénavant des actes de prostitution.

[134]  Les gestes à caractère sexuel décrits dans la décision Bar Terrasse 112[22] de la Régie le sont en ces termes :

[58] D’ailleurs, M. Rousseau a expressément reconnu qu’encore aujourd’hui, les danseuses de son établissement offrent et pratiquent auprès des clients des danses dites contacts dans les isoloirs qui consistent à autoriser le client de toucher le corps de la danseuse (seins, fesses, cuisses). Il en est de même en regard de l’offre et de la pratique d’autres services sexuels, prenant le temps de préciser que ce qui se passe dans ces isoloirs demeure des activités privées entre adultes consentants.

[…]

[67] Pour les fins de l’exercice par la Régie de sa compétence, la récente décision rendue par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Marceau[23] marque un important changement quant aux critères et normes jusque-là applicables en matière de danses contacts.

[68] En somme, depuis cette dernière décision de la Cour d’appel, les danses contacts pratiquées dans les isoloirs de l’établissement de la titulaire qui consistent à poser les gestes plus amplement décrit au paragraphe 58 des présentes, constituent des gestes à caractère sexuel qui, au sens des articles 24.1 c) et 75 de la LPA, trouble la tranquillité publique parce qu’ils constituent dorénavant des actes de prostitution.

(nos soulignements)

Sur le contrôle de l’exploitation

[135]  La preuve a démontré que des infractions se sont produites sous l’exploitation de la titulaire et sous l’exploitation de la demanderesse entre janvier 2010 et novembre 2014.

[136]  Le principe voulant qu’un nouveau titulaire de permis à la suite d’une cession doive généralement assumer les avantages et les inconvénients associés à ce permis, y compris les agissements du titulaire précédent doit trouver application dans le présent dossier[24]. En effet, la preuve a établi que de manière continue, de 2010 à ce jour, le bar a été géré par M. Roger Boustany et M. Driss Jahidi. De plus, la plupart des événements allégués dans l’avis de convocation se sont produits alors que la demanderesse exploitait le permis de la titulaire en vertu d’une autorisation temporaire.

[137]  Sous l’exploitation de la demanderesse, M. Boustany, responsable de la titulaire, a été gérant de l’établissement jusqu’au printemps 2014. Puis, M. Jahidi, gérant de la titulaire depuis plus de dix ans, est devenu et est encore à ce jour gérant de l’établissement de la demanderesse. Au cours de la période où les infractions ont été commises, le lien de gestion est clairement continu.

[138]  Suite aux allégations décrites à l’avis et à la preuve documentaire et testimoniale présentée en audience, les infractions à caractère sexuel suivantes retiennent l’attention du tribunal.

[139]  Le 16 janvier 2010, l’agent Hugo Dumas du SPVM a été témoin d’attouchements sexuels aux parties génitales d’une danseuse par un client dans un isoloir de l’établissement. Ce constat, décrit au document 6A et lors du témoignage de l’agent, n’est pas contesté.

[140]  Le 13 juillet 2012, des agents d’infiltration du SPVM ont été témoins d’attouchements sexuels entre des danseuses, puis ils ont conclu une entente verbale de nature sexuelle avec l’une d’elles, moyennant rétribution. Les faits sont décrits en ces termes au rapport d’événement du SPVM (document 4) annexé à l’avis :

Lors de notre présence sur les lieux, nous avons assisté à plusieurs spectacles de danseuses nues sur la scène. Parmi les spectacles observés, nous avons observé un spectacle présentant deux danseuses sur la scène en même temps. Les danseuses s’embrassaient, se caressaient et simulaient des actes sexuels tel le cunnilingus. À deux reprises, un client (différent pour chaque fois) s’est couché sur le dos sur la scène avec un billet de banque dans la bouche. À chaque fois, une des danseuses récupérait le billet, puis se plaçait, soit les seins ou l’entrejambe sur le visage du client pour ensuite se frotter contre lui, simulant un acte sexuel. L’autre danseuse s’exécutait de la même façon, mais au niveau des parties génitales du client (le client demeurait vêtu). Ce scénario s’est produit une troisième fois, à notre départ, cependant, il n’y avait qu’une danseuse nue sur la scène.

Lors de notre présence, une danseuse est également venue s’asseoir à notre table. Nous avons établi un contrat verbal de nature sexuel moyennant rétribution auprès de cette danseuse. La danseuse, s’identifiant par le nom de scène « Jennifer », nous informe qu’il nous coutera 10 $ chacun pour chaque danse dans l’isoloir si nous désirons être tous les deux présents. Une danse dure une chanson. Elle nous explique qu’elle garde seulement son « string » (petite culotte) et nous pouvons la toucher aux seins et aux fesses.

[141]  Le 5 mars 2014, les policiers ont constaté qu’une jeune femme mineure dansait nue pour l’établissement. Cette danseuse mineure était connue des clients. Elle a été interceptée par les policiers alors qu’elle était en compagnie d’un homme, en mouvement à l’arrière d’un taxi aux vitres embuées, stationné aux abords de l’établissement. Les faits ayant mené à cette allégation sont relatés au document 2 annexé à l’avis. Cette infraction pour emploi d’une personne mineure n’est pas contestée.

[142]  En novembre 2014, alors que le présent dossier était en audience depuis le 16 octobre 2014, un agent source du SPVM a obtenu d’une danseuse dans un isoloir de l’établissement des services à caractère sexuel contre rémunération. Les faits survenus dans l’isoloir sont décrits comme suit dans le complément d’enquête déposé comme pièce R-6 lors de l’audience :

Une fois à l’intérieur, il lui touche les seins tant qu’il le veut et les fesses. Elle baisse son g-string et se frôle sur lui, lui causant une érection. Elle le caresse et s’assure qu’il demeure en érection tout au long des 4 chansons qu’il y restera en le touchant de temps en temps. Il entre également ses doigts entre les fesses de la danseuse. Il lui demande une fellation, mais elle lui dit ne pas faire cela ici et lui donne un numéro de téléphone pour la rejoindre à l’extérieur. Il remet 40 $ à la danseuse, soit 10 $ par chanson.

[143]  Il est étonnant qu’au cours de l’audition en contrôle et demande, ces faits nouveaux, portant atteinte à la tranquillité publique, surviennent sous l’exploitation de la demanderesse, alors qu’elle sait que ces gestes graves, à caractère sexuel, affectent l’évaluation de sa capacité d’exercer avec compétence et intégrité les activités pour lesquelles elle sollicite son permis et licence.

[144]  Les faits et gestes décrits ci-dessus sont de même nature que ceux qui ont été observés dans l’affaire Marceau[25]. Comme il a été décidé dans cette décision de la Cour d’appel et dans les décisions subséquentes de la Régie[26], les danses contact, contre rétribution, pratiquées dans les isoloirs des établissements de titulaires de permis d’alcool constituent des gestes à caractère sexuel de nature à troubler la paix et portent atteinte à la tranquillité publique.

[145]  Pour ces infractions portant atteinte à la tranquillité publique, la Régie suspend le permis de la titulaire pour une période de 15 jours.

Sur la demande

[146]  M. Chen s’est porté acquéreur de sept établissements licenciés depuis janvier 2010. Quatre d’entre eux, Bar Champion, Le Garage, Bar Mania et Au Sexe D’Or sont des bars avec autorisation de spectacles avec nudité.

[147]   Le contrôle de la gérance de tous ses établissements est confié à  M. George Zammare qui les visite hebdomadairement.

[148]  M. Qi Chen travaille à l’administration de ses établissements 40 heures par semaine dans ses bureaux situés sur la Rive-Nord de Montréal. Il se rend dans chacun d’eux deux fois par semaine.

[149]  Les boissons alcooliques sont achetées à la Société des alcools du Québec (SAQ) et la bière directement du brasseur. M. Chen n’a jamais eu d’infraction à cet effet pour aucun de ses établissements.

[150]  Ses employés ont pour instruction de contrôler l’âge des clients à l’entrée du bar à l’aide de deux cartes d’identité avec photo, telles qu’un permis de conduire et une carte d’assurance maladie ou un passeport. M. Qi Chen est catégorique, si un employé ne respecte pas cette consigne il est congédié.

[151]  À l’établissement Au Sexe d’Or seize caméras sont installées: deux sont situées dans le stationnement, deux autres à l’entrée du bar, douze à l’intérieur, incluant celles des isoloirs qui ne sont pas fonctionnelles. Il revient donc au gérant de surveiller les isoloirs aux quinze minutes puisque seul l’isoloir adjacent au D.J. permet une légère surveillance sans en ouvrir les portes.

[152]  La visite de l’établissement, effectuée le 13 août 2015, a permis de constater que les isoloirs sont très exigus, au point où il est impossible pour une danseuse d’y entrer sans toucher le client assis sur la chaise ou le fauteuil. De plus, il est improbable, sinon impossible, qu’une danseuse puisse y danser pour le client sans avoir les jambes de ce dernier entre les siennes, ou l’inverse, et le haut de son corps frôlant le visage du client.

[153]  Les affiches de consignes, collées au mur des isoloirs, interdisant aux danseuses et clients de se toucher, sont non seulement impossibles à respecter vu l'exiguïté des isoloirs, mais difficilement lisibles tellement les lieux sont sombres.

[154]  Lors de cette visite, est aussi constaté, aux abords et dans les toilettes, la présence de machines distributrices proposant, notamment, des condoms et accessoires sexuels qui étaient à la disposition des clients et autres personnes présentes au bar.

[155]  Les déclarations de M. Qi Chen n’ont absolument pas convaincu les soussignés que des danses contact ne se produiront pas dans les isoloirs ni que la demanderesse prendra des mesures efficaces pour y empêcher les danses contact.

[156]  Eu égard aux évènements à caractère sexuels survenus entre 2010 et 2014, la présence d’isoloirs, quelle qu’en soit la configuration (actuelle ou telle que proposée en pièce D-12), est susceptible de porter atteinte à la tranquillité publique. D’autant plus, que la surveillance des isoloirs est directement liée à la volonté du gérant de l’effectuer adéquatement.

[157]  L’intérêt du gérant et du D.J. de surveiller les isoloirs pour empêcher qu’il s’y échange des gestes à caractère sexuels est douteux ou improbable puisque, n’étant pas salariés, une partie de leur rémunération dépend des pourboires des clients et des cotes que les danseuses leur remettent.

[158]  Les rémunérations du gérant et du D.J. sont composées des droits d’entrée au bar, des pourboires des clients et des cotes remises par les danseuses. Ces dernières ne reçoivent pas de salaire. Au contraire, elles remettent aux agences de placement, au gérant et au D.J. une partie de ce que les clients leur donnent à titre de rétribution pour les services offerts, notamment dans les isoloirs.

[159]  Ces modes de rémunération établis par le responsable de la demanderesse soulèvent des inquiétudes. Ne mettent-ils pas à l’épreuve la moralité et l’intégrité nécessaires au rôle de contrôle de la demanderesse, du gérant, du D.J. et, conséquemment, des danseuses, chacun y retirant un bénéfice?

[160]  Rappelons que les nouveaux articles 286.1 et 286.2 du Code criminel[27] adoptés dans la foulée de l’arrêt Bedford[28] prévoient que :

Obtention de services sexuels moyennant rétribution

286.1 (1) Quiconque, en quelque endroit que ce soit, obtient, moyennant rétribution, les services sexuels d’une personne ou communique avec quiconque en vue d’obtenir, moyennant rétribution, de tels services est coupable :

•      a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans, la peine minimale

•      b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois, la peine minimale étant étant

Avantage matériel provenant de la prestation de services sexuels

286.2 (1) Quiconque bénéficie d’un avantage matériel, notamment pécuniaire, qu’il sait provenir ou avoir été obtenu, directement ou indirectement, de la perpétration de l’infraction visée au paragraphe 286.1(1) est coupable d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans.

Avantage matériel provenant de la prestation de services sexuels d’une personne âgée de moins de dix-huit ans

(2) Quiconque bénéficie d’un avantage matériel, notamment pécuniaire, qu’il sait provenir ou avoir été obtenu, directement ou indirectement, de la perpétration de l’infraction visée au paragraphe 286.1(2) est coupable d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, la peine minimale étant de deux ans.

[161]  Le témoignage de l’expert Dominic Monchamp a bien circonscrit et détaillé le contexte dans lequel évoluent les danseuses qui offrent leurs services dans des établissements autorisant danses et spectacles avec nudité. Au Sexe d’Or ne fait pas exception au mode d’exploitation de cette économie souvent liée au proxénétisme et à la prostitution.

[162]  La politique de la Régie en matière de danses contact, adoptée le 15 août 2000, a été abrogée le 24 mai 2011 à la suite du rejet de la demande d’autorisation d’appel par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Marceau[29].

[163]  Il est reconnu que de toucher les seins, les fesses et les cuisses d’une danseuse constitue, non seulement des gestes à caractère sexuel, mais aussi des actes de prostitution[30].

[164]  Considérant les gestes à caractères sexuels commis entre 2010 et 2014 et les modes de rémunération du gérant, du D.J. et des danseuses, le tribunal conclut que la présence d’isoloirs dans l’établissement est susceptible de nuire à la tranquillité publique.

[165]  Comme dans l’affaire Sexy Hollywood[31], les soussignés en arrivent à la conclusion que la demanderesse n’a pas établi sa capacité d’exercer avec compétence et intégrité les activités reliées à une autorisation de danse avec nudité qu’elle sollicite avec son permis d’alcool. En conséquence, ladite autorisation ne lui sera pas accordée.

 

 


PAR CES MOTIFS,

la Régie des alcools, des courses et des jeux :

 

 

SUSPEND                                         pour une période 15 jours le permis de bar no 0569699 ainsi que la licence d’exploitant de site d’appareils de loterie vidéo no 729022 dont Ten Pin Tap Room inc. est titulaire, suspension débutant lors de la mise sous scellés des boissons alcooliques par un inspecteur de la Régie ou par le corps policier dûment mandaté à cette fin;

 

 

ORDONNE                                       pendant la période de suspension, la mise sous scellés des boissons alcooliques se trouvant sur les lieux, par un inspecteur de la Régie ou par le corps policier dûment mandaté à cette fin.

 

                                                           À l’expiration de la période de suspension :

 

RÉVOQUE                                        le permis de bar no 0569699 ainsi que la licence d’exploitant de site d’appareils de loterie vidéo no 729022 dont Ten Pin Tap Room inc. est titulaire à compter de la délivrance du permis à la demanderesse;

 

FAIT DROIT                                    à la demande de la demanderesse uniquement en ce qui concerne la délivrance d’un permis de bar;

 

REFUSE                                            à la demanderesse l’autorisation de danse et de spectacles avec nudité;

 

AUTORISE                                       la délivrance à la demanderesse, sur paiement des droits prescrits dans les trente (30) jours de la présente décision, du permis suivant :

 

 

CATÉGORIE

AUTORISATION

LOCALISATION

CAPACITÉ

Bar

s/o

2e étage

89

 

 

AUTORISE                                       la délivrance à la demanderesse de la licence d’exploitant de site d’appareils de loterie vidéo no 729022 à être rattachée au permis de bar no 0569699 sur la base du plan joint en annexe à la présente décision et approuvé par les régisseurs qui indique l’emplacement projeté pour l’installation des appareils de loterie vidéo à l’intérieur de l’établissement.

 

 

 

 

                                                          

                                                           YOLAINE SAVIGNAC                                                  

                                                           Régisseure

 

 

 

                                                          

                                                            JEAN LEPAGE, avocat                                                   

                                                           Régisseur

 

 

 

 



[1] Thérèse Blais Pelletier c. Sa Majesté la Reine [1999] 3 RCS 863, 1999 CanLII 644 (CSC)

[2] Marceau c. R., 2010 QC CA 1155 (CanLII)

[3] Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101

[4] Bar Le Ki Osk, 22 août 2012, décision no : 40-0005005, RACJ

[5] Rendez-vous Érotica, 5 juin 2006, décision no 40-0001404, RACJ

[6] Miss Hiltop, 2 mai 2012, décision no : 40-0004795, RACJ

[7] Bar Terrasse 112, 15 juillet 2011, décision no : 40-004240, RACJ

[8] Bar Le Coin du Pêcheur, 13 août 2012, décision no 40-0004986, RACJ

[9] Sexy Hollywood, 18 juin 2014, décision no 40-0006180, RACJ

[10] Métric Bar, 28 mai 2010, décision no 40-0003634, RACJ

[11] Supra note 9

[12] Supra note 2

[13] Supra note 7

[14] Supra note 1

[15] Axa Assurances inc. c. Hydro Québec, REJB 2001-24567, j. Rolland, par. 24 à 26 (QC CQ)

[16] L. (J.) c. Coopérative de l’Ébène, REJB 2004-81829, j. Lortie, par 78 (QC CQ)

[17] Remer Bros. Investment c. Robin, [1966] R.C.S. 506, j. Fauteux, Abbott, Martland, Judson et Ritchie,

    p. 512, (C.S.C.)

[18] Supra note 9

[19]             RLRQ, chapitre P-9.1

[20]             RLRQ, chapitre I-8.1

[21] Supra note 7;

   Voir, au même effet : supra note 4; supra note 6; supra note 8.

[22] Supra note 7

[23] Supra note 2

[24] Dépanneur Fortin c. Régie des alcools, des courses et des jeux, 2012 QCTAQ 05195.

[25] Supra note 2.

[26] Bar Terrasse 112, le 15 juillet 2012, décision no : 40-004240, RACJ; Miss Hiltop, le 2 mai 2012, décision no : 40-0004795, RACJ; Bar Le Ki Osk, le 22 août 2012, décision no : 40-0005005, RACJ;

Bar St-Thomas, le 4 mai 2012,  décision no 40-0004799, RACJ; Bar Le Coin du Pêcheur, le 13 août 2012, décision no 40-0004986, RACJ; Bar Chez Diane, le 2 juillet 2013, décision no : 40-0005558, RACJ.

[27] Code criminel, LRC (1985), chapitre C-46

[28] Bedford, 2013 CSC 72

[29] Supra note 2

[30] Supra note 7, paragraphes 58 et 68,

[31] Supra note 9

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