Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Vézina et Gil-Ber inc.

2013 QCCLP 2344

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Joliette

11 avril 2013

 

Région :

Lanaudière

 

Dossier :

441298-63-1106

 

Dossier CSST :

136262896

 

Commissaire :

Manon Gauthier, juge administrative

 

Membres :

Francine Melanson, associations d’employeurs

 

Robert P. Morissette, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Gilles Vézina

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Gil-Ber inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 13 juin 2011, monsieur Gilles Vézina (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 16 mai 2011, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 15 novembre 2011 et déclare que l’indemnité de remplacement du revenu est suspendue à compter du 12 novembre 2010 et que le travailleur est capable, à compter de cette date, d’exercer son emploi, le tout à la suite de la lésion professionnelle survenue le 14 mai 2010.

[3]           L’audience était initialement prévue le 28 mars 2012, mais elle a été suspendue parce que les parties ont procédé tout d’abord sur la question de la reconnaissance de la lésion professionnelle survenue le 14 mai 2010, dont la décision a été rendue le 13 juillet 2012[1].

[4]           La Commission des lésions professionnelles a donc poursuivi l’audience de la présente affaire à Joliette les 13 et 14 mars 2013, à laquelle assistent le travailleur et l’employeur, tous deux représentés.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la CSST n’était pas justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu et qu’il n’était pas capable de reprendre son travail prélésionnel le 12 novembre 2010. Par conséquent, il demande la reprise du versement de l’indemnité de remplacement du revenu.

LA PREUVE

[6]           La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance du dossier médico-administratif qui lui a été soumis, des documents déposés dans le cadre de l’audience et entendu le travailleur et son fils Patrick Vézina. Du côté de Gil-Ber inc. (l’employeur), elle a entendu monsieur Simon Martin. Elle retient les faits suivants.

[7]           Monsieur Vézina est chauffeur d’autobus scolaire chez l’employeur depuis 1999 lorsque le 14 mai 2010, il est victime d’une lésion professionnelle au dos. Il est alors âgé de 63 ans.

[8]           Il consulte le 17 mai 2010 et le diagnostic d’entorse lombaire est posé. Un arrêt de travail est recommandé avec prise de médication. Ultérieurement, des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie seront prescrits.

[9]           Les tests d’imageries réalisés seront interprétés comme démontrant de la dégénérescence discale multiétagée avec sténose spinale.

[10]        Le 21 juillet 2010, le docteur Coulombe, le médecin ayant charge, autorise un retour au travail léger, et indique que le travailleur doit éviter de soulever des charges de plus de 5 livres et faire des mouvements répétés de la colonne lombaire.

[11]        Le 16 août 2010, le docteur Coulombe indique que le travailleur peut effectuer des travaux légers avec les mêmes restrictions.

[12]        Lors des visites médicales subséquentes, le docteur Coulombe maintient la recommandation d’effectuer des travaux légers. Dans les faits, le travailleur n’est jamais retourné au travail chez l’employeur.

[13]        En ce qui concerne plus particulièrement la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu, la CSST a procédé à la suspension de celle-ci à la suite d’une demande formulée par l’employeur en ce sens.

[14]        Il appert des notes évolutives que le 1er octobre 2010, plusieurs échanges ont eu lieu entre l’agente d’indemnisation au dossier, madame Francoeur et madame Sophie Tremblay, représentante de la mutuelle de prévention et gestionnaire des réclamations pour l’employeur[2].

[15]        Madame Francoeur communique tout d’abord avec madame Tremblay pour lui demander si l’employeur a des travaux légers à offrir au travailleur.

[16]        Madame Tremblay rappelle madame Francoeur et lui laisse un message indiquant que l’employeur ne veut absolument pas offrir de tels travaux au travailleur, car il ne se sent pas du tout respecté par ce dernier, compte tenu de ses activités personnelles.

[17]        Un peu plus tard, madame Tremblay indique à madame Francoeur qu’elle lui fera parvenir une demande de suspension de l’indemnité de remplacement du revenu, car le travailleur a été vu en train de participer à une course d’accélération ou « drag » à l’autodrome St-Eustache. Elle indique qu’elle a deux vidéos provenant de YouTube, l’un où on voit le nom du travailleur inscrit sur la voiture et l’autre où le véhicule entre dans un mur.

[18]        La représentante de l’employeur indique que l’employeur a demandé à un enquêteur d’effectuer une surveillance à l’autodrome St-Eustache, mais le jour où il s’y est présenté[3], le travailleur n’y était pas.

[19]        Elle ajoute que le championnat dans cette catégorie se déroulait du 30 juillet au 24 septembre 2010, tel qu’en fait foi un extrait du classement des voitures qui démontre que le travailleur a effectivement participé à celui-ci.

[20]        Madame Tremblay ajoute qu’on voit le travailleur, le 20 septembre 2010[4], se coucher pour vérifier l’état de son véhicule.

[21]        Madame Tremblay transmet ensuite des courriels à madame Francoeur indiquant les liens pour voir les vidéos sur YouTube.

[22]        Un peu plus tard, madame Francoeur communique à nouveau avec madame Tremblay, lui laissant un message indiquant avoir reçu son courriel, mais qu’elle n’a pas accès aux vidéos, et lui demande de lui transmettre une copie sur disque compact. Elle indique qu’elle fera un suivi auprès du travailleur en ce sens et demande si l’employeur a rencontré le travailleur à ce sujet.

[23]        La lettre de demande de suspension de l’indemnité de remplacement du revenu du 1er octobre 2010 transmise par madame Tremblay se lit comme suit :

Nous sommes mandatés par Gil-Ber inc., membre de la Mutuelle de prévention de l’Association du transport écolier du Québec (Mutuelle 00074), pour effectuer la gestion, le suivi et les représentations nécessaires dans le dossier cité en titre.

 

Par la présente, nous demandons une suspension des indemnités de remplacement du revenu pour le travailleur GilIes Vézina en vertu de l’article 142 effective à ce jour. M. Gilles Vézina est présentement en arrêt de travail pour son emploi de conducteur d’autobus scolaire pour une entorse lombaire et nous avons des preuves démontrant qu’il participe à un championnat de «drags» à l’autodrome St-Eustache. Sur le site de l’autodrome il est inscrit que le championnat «drags TNT» a eu lieu tous les vendredis du 30 juillet au 24 septembre 2010 à l’exception du 13 août 2010. Un tableau de classement est également affiché sur le site Internet de l’autodrome. Nous avons imprimé ce tableau en date du 27 août et constatons que M. Gilles Vézina est inscrit comme pilote du véhicule Vega #291, qu’il est en positon 7 et qu’il a 20 points de cumulés. Or, le système de points alloués est de 2 pour chaque présence et 2 par ronde gagnés. Je vous fais également parvenir le tableau de classement du 10 septembre et du 24 septembre 2010 Il n’en était donc pas à sa première course, Nous avons également visionné une vidéo diffusée sur le site Internet «youtube» où nous pouvons voir à 1:49 minutes la voiture accidentée suite à une collision avec un mur Véga #291, à 2:06 nous voyons M. Vézina se pencher et se coucher sous le véhicule pour regarder la mécanique et à 2:19 nous pouvons voir qu’il est inscrit sur la fenêtre du côté conducteur le non «Gilles Vézina». Nous avons engagé la firme BCS investigation pour effectuer un rapport de surveillance le vendredi 17 septembre 2010. Or, les pilotes s’inscrivent pour les courses le vendredi soir. Il n’y a pas d’inscription faite à l’avance. Le 17 septembre 2010. M. Vézina était absent en raison des bris occasionnés sur sa voiture par l’accident la semaine précédente. Nous vous faisons tout de même parvenir notre rapport de surveillance même si celui-ci n’est pas concluant puisque le travailleur n’y était pas ce soir-là.

[…]

 

[Sic]

 

 

[24]        Le 4 octobre 2010, sans avoir rencontré le travailleur, l’employeur lui transmet par courrier recommandé une lettre lui indiquant qu’il est suspendu de ses fonctions sans solde parce qu’il a obtenu des informations indiquant qu’il pratique des activités incompatibles avec son état de santé.

[25]        Une rencontre au bureau de la CSST aura finalement lieu le 12 novembre 2010, à laquelle participent madame Francoeur, madame Riopel, chef d’équipe et le travailleur, après que l’employeur ait transmis à la CSST un DVD des vidéos provenant de YouTube, une description des tâches d’un conducteur d’autobus scolaire, le circuit que devait faire le travailleur, son horaire de travail, le type d’autobus.

[26]        En ce qui concerne l’aspect médical, il est noté aux notes évolutives que le travailleur a une douleur constante au dos et qu’il prend de la médication. Les positions les plus difficiles sont de conduire un véhicule ou se pencher vers l’avant sans fléchir les genoux. Il précise qu’il ne peut passer beaucoup de temps sur la route sans devoir arrêter pour récupérer.

[27]        Au rapport de physiothérapie du 9 novembre 2010, il est noté que la tolérance assise et à la conduite est de moins de 45 minutes et à la position debout est de 15 minutes.

[28]        Le travailleur indique que le docteur Coulombe avait autorisé des travaux légers, et qu’il devait bouger. Il indique qu’il peut faire des activités telles que râteler les feuilles, marcher avec ses chiens, et aider au cordage du bois en mettant un genou par terre, aller à la pêche.

[29]        L’agente invite le travailleur à visionner les vidéos avec son médecin afin de vérifier la nécessité des blocs facettaires.

[30]        En ce qui concerne la capacité à refaire son emploi, le travailleur indique que si l’employeur était d’accord pour retirer de l’air dans les pneus de son autobus, il pourrait refaire son travail, mais ce dernier ne veut pas.

[31]        En ce qui concerne l’aspect psychosocial, le travailleur indique qu’il fait effectivement de la course de voiture, que son automobile est très confortable, que les pneus sont faiblement gonflés à 5 livres et que la course se fait en ligne droite sur de l’asphalte en bon état.

[32]        Il est allé à quelques reprises à St-Eustache au cours de l’été; lorsqu’il y est allé, il « oubliait » sa douleur. Il précise qu’il y est allé en compagnie de son fils qui conduisait lors des courses et que pour sa part il ne faisait que les tours de chauffe.

[33]        Il a reçu la lettre de suspension de l’employeur qui n’y indique aucun motif, mais il croit que c’est peut-être parce que quelqu’un l’a vu faire de la course et plus tard, la déléguée syndicale lui a dit qu’il y avait des photos de lui circulant sur le Net.

[34]        C’est alors que l’agente l’informe qu’elle a reçu une demande de suspension de l’indemnité de remplacement du revenu considérant qu’il y a une preuve vidéo qu’il effectuait des activités qui contrevenaient à sa condition médicale.

[35]        Madame Francoeur écrit qu’à la suite du visionnement du vidéo et des informations apportées par le travailleur, elle a informé ce dernier que l’indemnité de remplacement du revenu est suspendue à compter de ce jour parce qu’il a fourni des informations inexactes. Elle écrit qu’une copie des vidéos lui est remise ainsi que les informations au sujet du classement du championnat à l’autodrome St-Eustache pour la période du 30 juillet au 24 septembre 2010.

[36]        Les vidéos n’ont pas été visionnés avec le travailleur. Il n’a pu visionner la copie qui lui a été remise, car illisible, mais il les a vus en compagnie de sa procureure sur YouTube. Il précise qu’on ne lui a pas remis les relevés de l’autodrome St-Eustache.

[37]        En ce qui concerne la capacité de travail, le 8 novembre 2010, le docteur Morel, médecin régional à la CSST, indique qu’il a visionné un DVD et écrit ce qui suit :

Après avoir visionné un DVD montrant le travailleur lors d’une activité de conducteur de course d’accélération (drag) dans laquelle il a eu un accident en frappant un mur et les explications qu’il fournit par la suite sur le film en comparant les rapports des médecins et les notes de physio et de son ostéopathe, ii appert qu’il y a des différences assez marquées.

La CSST a reconnu une entorse lombaire le 14 mai 2010 alors que le travailleur a appuyé sur le frein rapidement de l’autobus qu’il conduisait pour éviter un accident. Un arrêt de travail fut prescrit depuis l’accident, car le travail allégé ne serait pas disponible selon les notes du médecin. Un antécédent professionnel pour une hernie discale lombaire avec séquelles date de 1985.

Le rapport de la clinique d’ostéopathie du 12 octobre2010 décrit un patient avec des limitations de arc de mouvement de la moitié en flexion antérieure, une inclinaison à droite se faisant au 1/4 de la normale et au 2/3 à gauche, alors que l’on voit dans le film un mouvement du tronc pour examiner le dessous de l’auto sans aucune hésitation avec une flexion et une inclinaison droite importante avec un geste de retour tout aussi rapide sans aucune apparence de douleur ou geste des bras pour diminuer ‘effort au niveau du tronc et ce après l’accident d’auto lors de sa course.

La capacité d’être assis dans une petite auto de course et les déplacements nécessaires pour faire ses courses permettent de considérer que ce travailleur présente peu de difficultés à demeurer assis (idem dans un autobus) pendant une certaine période.

Le travailleur demeure debout par la suite dans le vidéo sans beaucoup de mouvement (presque sur place) pour discuter de l’accident sans que l’on retrouve de boiterie ou une possible douleur lombaire démontrée par des gestes réflexes.

Les rapports de physio et d’ergo de septembre décrivent un homme avec une endurance limitée par la douleur, car, dès qu’il bouge les douleurs augmentent ainsi que sa boiterie et l’ergo indique le 29 septembre que la tolérance aux efforts demeurent limitée par rapport aux exigences de son emploi. La description des tâches de ce conducteur d’autobus scolaire fournie par l’employeur permet de considérer que le travailleur apparaît capable de faire presque toutes les tâches qui y sont inscrites.

 

[Sic]

 

[38]        La CSST rend le 12 novembre 2010 ses décisions portant sur la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu et sur la capacité d’exercer l’emploi.

[39]        La CSST retient que considérant les plaintes de douleurs du travailleur et que les rapports des thérapeutes sont discordants, qu’il fait des activités sollicitant son dos telles que râteler des feuilles, ramasser et corder du bois, ramer lors d’une sortie de pêche, ou faire de la petite mécanique sur ses véhicules personnels, qu’il a dit qu’il pouvait conduire son autobus scolaire et faire ses tâches si les pneus de l’autobus sont moins gonflés, qu’il a participé à une course automobile le 10 septembre 2010 avec impact et considérant l’avis du médecin régional qui a vu le vidéo, le travailleur peut refaire son emploi.

[40]        À l’audience, le travailleur rappelle que son médecin traitant lui avait indiqué qu’il pouvait aller aux courses pour se divertir et parce qu’il devait bouger, ce qu’il a fait, sans participer à celles-ci à l’exception des tours de chauffe. Il n’a effectivement pas fait part à la CSST de cette activité, ne sachant pas qu’il devait le faire et n’a jamais eu l’intention de le cacher, ce fait étant connu de son employeur. Il avait l’autorisation de faire des travaux légers et il suivait régulièrement ses traitements de physiothérapie et d’ergothérapie, tout en prenant de la médication.

[41]        Il précise cependant que le fait d’être assis quelques secondes dans sa voiture de course pour effectuer le tour de chauffe n’était pas du tout préjudiciable pour son dos, puisque la suspension et les pneus de sa voiture sont très confortables, contrairement à son autobus scolaire, dont les pneus sont gonflés à 100 livres de pression, dont la suspension est à lames et sur une route en moins bonne condition que l’asphalte de l’autodrome.

[42]        Sur le plan médical, le travailleur indique qu’il a poursuivi le suivi auprès de son médecin traitant et bénéficié de traitements de chiropractie. La lésion a finalement été consolidée le 26 octobre 2011 dans un rapport final où le docteur Coulombe indique qu’elle n’a pas entraîné d’atteinte permanente à l’intégrité physique ni de limitations fonctionnelles, mais précise tout de même que le travailleur doit conduire un autobus avec suspension à air.

[43]        Monsieur Vézina n’est jamais retourné au travail depuis. Il a remis ce rapport médical à son employeur qui lui a dit qu’il l’analyserait, mais il ne l’a jamais rappelé bien qu’il ait complété les obligations relatives à l’attribution des circuits. Il a compris que son employeur ne voulait pas lui faire bénéficier de ce type d’autobus, et il n’a pas cherché un autre emploi.

[44]        La Commission des lésions professionnelles a aussi entendu monsieur Patrick Vézina, fils du travailleur.

[45]        Ce dernier explique de quelle manière fonctionne le Championnat des « Vendredis Drags TNT », qui a eu lieu du 30 juillet au 24 septembre 2010, avec relâche le 13 août 2010, à l’autodrome St-Eustache.

[46]        Les courses d’accélération ont lieu les vendredis soirs. Il y a une période d’inscription de la voiture (et non d’un pilote); 2 points sont alloués pour la présence de la voiture et 2 points sont alloués par ronde gagnée. Le nombre de courses varie selon le nombre de véhicules participants; il y a en général de 5 à 6 courses par soir. L’inscription est de 20 $ par présence. Il s’agit de courses d’amateurs qui existent depuis une vingtaine d’années.

[47]        Une fois l’inscription faite, il y a une période de préparation du véhicule, et il y a 2 ou 3 tours de pratique de quelques secondes chacun afin de voir comment se comporte le véhicule et quelle est la traction de l’asphalte. Il y a par la suite un temps d’attente afin que la colle fasse son effet.

[48]        Par la suite, il y a la course d’accélération proprement dite, qui dure quelques secondes, car le parcours est de 200 mètres, ou 1/8 de mile.

[49]        Il est lui aussi amateur de ces courses et y participe depuis 1989. Il a aussi été propriétaire d’un véhicule jusqu’en 2009 et il a depuis vendu sa voiture.

[50]        Il a participé à ce championnat cet été-là à quelques reprises au volant du véhicule de son père à la demande de ce dernier, qui ne pouvait pas courir, mais qui a fait quelques tours de chauffe. Des points ont été attribués pour la présence de la voiture et pour les quelques courses qu’il a gagnées, ce qui explique tout à fait le total des points accumulés.

[51]        Le 27 août 2010, la voiture appartenant à monsieur Gilles Vézina portant le nom de « Vega » avait accumulé 20 points, et le même nombre de points était enregistré le 24 septembre 2010.

[52]        La Commission des lésions professionnelles a par la suite entendu monsieur Simon Martin, supérieur du travailleur, au sujet de la manière dont l’employeur a obtenu l’information au sujet des vidéos provenant de YouTube.

[53]        Monsieur Martin indique qu’il s’agit d’une découverte tout à fait fortuite, alors qu’il effectuait des recherches sur internet en septembre 2010. Il ne s’agit pas d’une information qu’il a obtenue par délation, car il était déjà au courant que monsieur Vézina participait à des courses d’accélération.

[54]        Il a découvert l’existence du vidéo en tapant « Gilles Vézina ».

[55]        Il a par la suite été consulter le site internet de l’autodrome St-Eustache d’où proviennent les relevés de classement à la suite des courses tenues les 27 août et 24 septembre 2010.

[56]        Il ne sait pas qui a mis ces vidéos sur YouTube, ni à quel moment ils ont été réalisés.

[57]        Le tribunal a pris connaissance des vidéos provenant de YouTube et des documents provenant du site internet de l’autodrome St-Eustache relativement au Championnat des Vendredis Drags TNT qui s’est tenu du 30 juillet au 24 septembre 2010, avec relâche le 13 août 2010.

[58]        Sur la copie de la page consultée sur YouTube[5], la mention suivante apparaît : « Vega crash in the wall drag autodrome st eustache ».

[59]        Il y a un second vidéo portant la même mention avec l’ajout de « part 2 ».

[60]        Ceux-ci ont été mis en ligne par une personne portant le pseudonyme « ranger 228 » le 4 septembre 2010 indiquant « smash dans le mur accident ».

[61]        Il n’y a aucune date ou élément permettant de savoir à quel moment ces vidéos, réalisés visiblement avec un téléphone cellulaire, ont été faits, ni quel est son auteur. Le premier vidéo a une durée totale de 2 minutes 8 secondes, où on voit une course d’accélération avec une voiture qui glisse et percute un mur. Sur le second vidéo, d’une durée totale de 5 minutes 15 secondes, on voit la même voiture portant le nom de « Vega » et sur laquelle apparaît également le nom de monsieur Vézina ainsi que le numéro 291. On peut clairement voir et entendre ce dernier, qui est à côté de la voiture, et on le voit se mettre à genoux pour regarder sous son véhicule.

[62]        Le tribunal a aussi reçu le classement au 20 août 2010, alors que la voiture Vega avait accumulé 14 points à ce moment.

L’AVIS DES MEMBRES

[63]        Conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[6] (la Loi), la soussignée a reçu l’avis des membres ayant siégé avec elle sur la question en litige.

[64]        Le membre issu des associations syndicales estime que la requête du travailleur doit être accueillie. La preuve vidéo sur laquelle l’employeur et la CSST se fondent pour tout d’abord suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu et établir la capacité d’exercer l’emploi prélésionnel n’est pas fiable donc non pertinente puisqu’on ne sait pas qui l’a prise, ni à quelle date.

[65]        Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la CSST même sans la preuve vidéo était justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu et de déclarer que le travailleur était capable d’exercer son emploi au 12 novembre 2010 parce que le travailleur n’a pas nié avoir participé au championnat de course d’accélération en 2010 et qu’il n’a pas produit de preuve médicale prépondérante établissant qu’il avait le droit d’effectuer de telles courses.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[66]        La Commission des lésions professionnelles doit décider des deux questions en litige.

 

 

[67]        Elle doit tout d’abord décider si la CSST était justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 142 de la Loi à compter du 12 novembre 2010, et elle doit par la suite décider si monsieur Gilles Vézina était capable, à compter du 12 novembre 2010 également, d’exercer son emploi prélésionnel et qu’il y a fin de l’indemnité de remplacement du revenu.

[68]        La Commission des lésions professionnelles a attentivement analysé la preuve qui lui a été soumise et pris en compte les arguments des représentants des parties. Elle rend en conséquence la décision suivante.

[69]        Tout d’abord, la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu.

[70]        Le droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu est prévu aux articles 44 et suivants de la Loi :

44.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.

 

Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.

__________

1985, c. 6, a. 44.

 

 

45.  L'indemnité de remplacement du revenu est égale à 90 % du revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi.

__________

1985, c. 6, a. 45.

 

 

46.  Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.

__________

1985, c. 6, a. 46.

 

 

[71]        La fin du droit à l’indemnité de remplacement du revenu est aussi prévue à l’article 57 de la Loi :

57.  Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :

 

1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article  48 ;

 

2° au décès du travailleur; ou

 

3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.

__________

1985, c. 6, a. 57.

[72]        Comme prévu à l’article 44 de la Loi, un travailleur a le droit de recevoir l’indemnité de remplacement du revenu lorsqu’il est incapable d’exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle.

[73]        Cependant, la CSST a ici suspendu le versement de l’indemnité de remplacement du revenu le 12 novembre 2010.

[74]        C’est en vertu de l’article 142 de la Loi que la CSST peut réduire ou suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu, si l’une des conditions y apparaissant est rencontrée :

142.  La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :

 

1° si le bénéficiaire :

 

a)  fournit des renseignements inexacts;

 

b)  refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;

 

2° si le travailleur, sans raison valable :

 

a)  entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;

 

b)  pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;

 

c)  omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;

 

d)  omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;

 

e)  omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article  180 ;

 

f)  omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article  274 .

__________

1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.

 

 

[75]        Ici, la CSST a décidé de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 12 novembre 2010 parce que le travailleur lui aurait soumis des renseignements inexacts relativement à sa condition physique et après avoir pris connaissance qu’il exerçait des activités jugées incompatibles avec sa condition.

[76]        L’article 142 de la Loi, comme l’a indiqué encore récemment le tribunal[7], est un moyen de coercition permettant à la CSST de réduire ou de suspendre le paiement d’une indemnité lorsqu’un travailleur tente de se soustraire à ses obligations en vertu de la loi. La preuve qu’elle doit recevoir doit alors démontrer que le travailleur a fait ce qu’il ne devait pas faire ou omis de faire ce qu’il devait faire et que la contravention ou l’omission l’a été sans raison valable[8].

[77]        La réduction ou la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu est une mesure draconienne qui doit être utilisée de façon judicieuse[9]. L’article 142 de la Loi doit donc être interprété de façon restrictive puisque cette mesure constitue une dérogation au droit du travailleur aux indemnités prévues par la Loi en raison de sa lésion professionnelle[10]. Pour suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu, il faut être en présence d’un motif sérieux qui soit assimilable à de la négligence ou à de la mauvaise foi de la part du travailleur.

[78]        Ici, la CSST se fonde essentiellement sur les vidéos provenant de YouTube fournis par l’employeur pour décider de la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu.

[79]        Quelle est la valeur probante de cette preuve?

[80]        YouTube est un site internet de partage de contenu, en l’occurrence d’échange de vidéos, de musique, de films, d’émissions, etc., qui permet aux utilisateurs enregistrés d’y verser entre autres des vidéos qui pourront ensuite être visionnés par tout internaute à l’aide d’un outil de recherche par mots-clés.

[81]        Le tribunal considère que la fiabilité de l’information apparaissant sur les vidéos fait ici problème et pour ce motif, il ne peut reconnaître une force probante à celle-ci.

[82]        Ni l’employeur ni la CSST n’ont fait la preuve de la date où les vidéos ont été réalisés. La seule chose que l’on sait, c’est la date où ils ont été mis en ligne, soit le 4 septembre 2010, mais cela ne fait pas foi de la date de leur réalisation. Ceux-ci auraient pu avoir été réalisés l’année précédente ou même avant, alors que le travailleur participe à des courses d’accélération depuis plusieurs années.

 

 

[83]        On ne sait pas non plus quelle est la source de ces vidéos, puisque son auteur a enregistré ceux-ci sous un pseudonyme; il n’y a pas de corroboration indépendante, on ne sait pas non plus si le contenu d’origine a été ou non modifié et il n’est pas possible de vérifier l’objectivité de la personne qui les a mis en ligne.

[84]        Nonobstant la preuve vidéo, un autre élément nous permet de ne pas retenir la survenue d’un accident en septembre 2010.

[85]        Le travailleur ne nie pas qu’il a pris part au Championnat Vendredis Drags TNT en 2010 puisque des points ont été enregistrés pour la présence de son véhicule et son fils a indiqué qu’il avait pris part à quelques courses alors que son père a effectué des tours de chauffe.

[86]        La revue des relevés de classement nous indique qu’au 27 août 2010, 20 points ont été alloués pour la voiture Vega, et selon le relevé du 24 septembre 2010, le même nombre de points y apparaît.

[87]        L’employeur allègue que l’accident serait survenu en septembre 2010, mais soumet des dates différentes, soit les 10 ou 20 septembre; or, il n’y a pas de différence de pointage entre le 27 août 2010 et le 24 septembre 2010. Si l’accident s’était effectivement produit en septembre 2010, comme l’allègue l’employeur, des points auraient au moins été alloués pour la présence de la voiture, ce qui n’a pas été le cas.

[88]        Pour ces motifs, le tribunal considère que la CSST n’était pas justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 12 novembre 2010, puisque la preuve sur laquelle elle s’est basée pour rendre sa décision n’est pas fiable et n’a pas de valeur probante.

[89]        En ce qui concerne maintenant la capacité d’exercer l’emploi prélésionnel, la CSST a établi que le travailleur était capable d’exercer son emploi à compter du 12 novembre 2010, même si la lésion n’était pas consolidée par le médecin ayant charge.

[90]        Il est vrai que la capacité à exercer un emploi et la consolidation sont des notions distinctes, et qu’un travailleur peut être capable d’exercer son emploi même si sa lésion n’est pas consolidée.

[91]        Cependant, comme indiqué à l’article 46 de la Loi, un travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.

 

 

[92]        La présomption d'incapacité prévue à l'article 46 n'est cependant pas irréfragable et peut être renversée par une preuve prépondérante même si aucun rapport final ne fait état de la consolidation de la lésion, il faut une preuve prépondérante et suffisamment d'indices graves, précis et concordants permettant de conclure au renversement de cette présomption.

[93]        Ici, la CSST s’est fondée sur la preuve vidéo et sur l’avis de son médecin régional sur la capacité du travailleur à exercer son emploi, qui s’est lui aussi fondé sur la preuve vidéo pour donner son opinion. Or, pour les motifs exprimés plus avant, cette preuve ne peut être retenue.

[94]        Il faut donc se référer aux opinions et observations médicales présentes au dossier et non contredites, à savoir l’opinion du docteur Coulombe, médecin ayant charge, et aux notes des thérapeutes qui ont vu le travailleur aux périodes pertinentes, qui ont indiqué que le travailleur n’était pas apte à reprendre son travail prélésionnel.

[95]        Le travailleur a confirmé qu’il exerçait certaines activités à la maison, mais il ne lui était pas interdit de bouger, le médecin lui ayant indiqué qu’il pouvait effectuer une assignation temporaire.

[96]        Ni la CSST ni l’employeur ne se sont prévalus de leur droit de faire examiner le travailleur afin de vérifier sa condition médicale et ensuite se prévaloir de la procédure d’évaluation médicale dans le cas d’avis divergents. Le tribunal demeure donc lié par l’opinion du médecin ayant charge, qui a indiqué, jusqu’à la production du rapport final en octobre 2011, que la lésion n’était toujours pas consolidée et que le travailleur a de surcroît reçu des soins pendant cette période.

[97]        Pour tous ces motifs, le tribunal conclut que la preuve prépondérante est à l’effet que monsieur Vézina n’était pas capable, le 12 novembre 2010, d’exercer son emploi prélésionnel et par conséquent, il avait droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de monsieur Gilles Vézina, le travailleur;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 16 mai 2011, à la suite d’une révision administrative;

ET

DÉCLARE que monsieur Gilles Vézina a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 12 novembre 2010.

 

 

__________________________________

 

Manon Gauthier

 

 

 

 

Me Naïsa Beaupré-Parent

Ouellet, Nadon et Associés

Représentante de la partie requérante

 

 

Monsieur Yves Brassard

Association du Transport Écolier du Québec

Représentant de la partie intéressée

 

 

 



[1]           Voir à cet effet la décision dans le dossier 422544-63-1010, 2012 QCCLP 4399 .

[2]           Voir à cet effet les notes apparaissant à la page 4 du dossier du tribunal.

[3]           Un rapport de surveillance indique qu’il y a eu visite d’un enquêteur de BCS Investigation le 17 septembre 2010.

[4]           Il s’agit bien de la date écrite dans les notes évolutives de la CSST.

[5]           Voir à cet effet la pièce T-3.

[6]           L.R.Q., c. A-3.001.

[7]           Dupont et Via Rail Canada inc., C.L.P. 434064-63-1103, 20 octobre 2011, P. Champagne;Dvorkin et Cie d’embouteillage Coca-Cola, 2012 QCCLP 7589 .

[8]           Manufacture Lingerie Château inc. et Duverglas, C.L.P. 352066-71-0806, 21 juillet 2009, G. Robichaud.

[9]           Barkley et Service Sani-Tri Cogeisi inc., C.L.P. 422805-08-1010, 7 avril 2011, S. Lemire.

[10]          Prévost Car inc. et Lamothe, C.L.P. 155022-03B-0102, 4 septembre 2001, G. Marquis, révision rejetée, 17 décembre 2001, P. Simard.

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