Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Marmen inc.

2012 QCCLP 7509

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Hyacinthe

22 novembre 2012

 

Région :

Yamaska

 

Dossier :

428551-62B-1012

 

Dossier CSST :

132034059

 

Commissaire :

Guylaine Henri, juge administratif

 

Assesseur :

Jean-Yves Dansereau, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Marmen inc.

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

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DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 21 décembre 2010, Marmen inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 11 novembre 2010 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme deux décisions qu’elle a initialement rendues le 6 août 2010. Elle déclare qu’il n’y a pas de relation entre le handicap de Monsieur Kevin Lonergan (le travailleur) et la lésion professionnelle du 17 juillet 2007 et que l’employeur n’est pas obéré injustement par l’imputation des coûts des prestations liées à la lésion professionnelle. Elle conclut par conséquent que l’employeur doit assumer la totalité du coût de ces prestations.

[3]           Une audience est tenue en présence de l’employeur et de son avocate, le 17 janvier 2012. Le dossier est mis en délibéré, le 9 février 2012, date de la réception de notes et autorités médicales complémentaires du Dr André Beaupré, orthopédiste, et de l’argumentation écrite de l’employeur.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande de déclarer que le coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée entre le 14 mai 2008 et le 20 janvier 2010, en raison de l’accident du travail survenu le 17 juillet 2007, doit être imputé aux employeurs de toutes les unités puisque l’imputation de ce coût à son dossier financier a pour effet de l’obérer injustement.

[5]           L’employeur demande également de déclarer qu’il a droit à un partage du coût des prestations au motif que le travailleur était déjà handicapé lors de la survenance de sa lésion professionnelle. Il demande un partage de l’ordre de 5 % à son dossier financier et de 95 % aux employeurs de toutes les unités.

LES FAITS

[6]           Le 17 juillet 2007, le travailleur, alors âgé de 20 ans, subit une lésion professionnelle qu’il décrit ainsi dans la réclamation soumise à la CSST :

Cela m’a fait mal mardi matin en tirant l’omniscan. Elle s’est décrochée et en voulant la rattraper, je me suis étiré quelque chose. Je sentais que cela tirait depuis mardi et ce matin (19/7/07), ça a craqué et je l’ai senti de mon cou jusqu’au milieu du dos.

[7]           Dans l’Avis de l’employeur et demande de remboursement, le travailleur précise que l’omniscan pèse entre 30 et 40 livres.

[8]           Le 19 juillet 2007, le Dr Cloutier, médecin du travailleur, retient le diagnostic de tendinopathie aigüe de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite.

[9]           Le travailleur effectue du travail d’assemblage de petits boulons, en position assise, jusqu’au 3 août 2007. Dans l’autorisation d’assignation temporaire du 24 juillet 2007, le Dr Cloutier prescrit que cette tâche doit s’exécuter avec les avant-bras en appui et dans des positions n’impliquant pas d’élever le bras droit ou de travailler à bout de bras, loin du corps.

[10]        Le 3 août 2007, le Dr Cloutier met fin à l’assignation temporaire jusqu’au prochain rendez-vous. Il fait de même le 22 août 2007, date à laquelle il prescrit une imagerie par résonance magnétique puisqu’il suspecte une rupture de la coiffe des rotateurs.

[11]        Il appert des notes évolutives du 22 août 2007 que la CSST accepte la réclamation du travailleur à titre d’accident de travail, soit une tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite.

[12]        Une résonance magnétique de l’épaule droite du travailleur est réalisée le 13 septembre 2007. Le radiologiste interprète les résultats de cet examen comme suit :

Pour ce qui est de la coiffe des rotateurs, il semble en effet y avoir un peu de tendinose et tendinite surtout extra-articulaire et surtout jonction sous-épineux vers le sus-épineux, mais je n’ai pas d’évidence de déchirure.

Il y a une minime languette de liquide probablement en sous-deltoïdien dans une petite bursite, mais ceci est très discret et il y a un peu plus de liquide qui vient se localiser en sous-coracoïdien, mais sans grande particularité.

Malgré l’absence de contraste intra-articulaire, le labrum m’apparaît grossièrement normal tout comme la longue portion du tendon du biceps. Le sous-scapulaire est sans grande particularité.

Cependant, j’identifie un peu d’arthrose de la jonction acromio-claviculaire qui apparaît un peu plus inflammatoire sur le versant acromial avec un peu d’inflammation supérieure, mais l’acromion a une pente un peu descendante, ce qui pourrait entraîner un peu d’abutement et est type II selon la classification de Bigliani.

[13]        Le 21 septembre 2007, le Dr Jacques retient les diagnostics de tendinite et de bursite démontrés par l’imagerie par résonance magnétique.

[14]        Le 28 septembre 2007, le Dr Cloutier autorise que le travailleur effectue l’assignation temporaire suivante : passer les documents périmés à la déchiqueteuse, effectuer de l’inspection visuelle et distribuer/classer des documents. Le 3 octobre 2007, il réduit l’horaire de cette assignation temporaire.

[15]        Le 9 octobre 2007, la CSST conclut qu’il y a relation entre le nouveau diagnostic de bursite de l’épaule droite et l’événement du 17 juillet 2007, décision qu’elle confirme le 11 janvier 2008, à la suite d’une révision administrative.

[16]        Le 16 octobre 2007, le Dr André Beaupré, orthopédiste, examine le travailleur à la demande de l’employeur. Dans le rapport signé le lendemain, il note que le travailleur décrit l’événement comme ayant impliqué un mouvement de traction vers le bas au niveau du membre supérieur droit avec le bras droit en adduction et avec une légère flexion antérieure de l’épaule. Il conclut que l’événement du 17 juillet est relativement mineur et ne peut être à l’origine de la symptomatologie du travailleur à l’épaule droite. Il est également d’avis que le travailleur n’a pas de tendinite ou de bursite à l’épaule et n’a pas subi de lésion professionnelle le 17 juillet 2007.

[17]        Le 30 octobre 2007, le Dr Sirois refuse de renouveler l’autorisation d’assignation temporaire du travailleur en raison d’une aggravation de la douleur depuis la reprise des travaux légers.

 

[18]        Le Dr Jean-Pierre Dalcourt, membre du Bureau d’évaluation médicale, examine le travailleur le 8 janvier 2008. Dans l’avis signé le 14 janvier suivant, il estime que le travailleur a « probablement présenté une légère bursite ou tendinite de son épaule droite, sur une condition préexistante d’une tendinose de la coiffe des rotateurs, non symptomatique, mais surtout présenté une tendinite de l’angulaire de l’omoplate droite, associée à une trapézite post-traumatique ». Le Dr Dalcourt conclut que le diagnostic à retenir est une bursite de l’épaule droite probable et une tendinite de l’angulaire de l’omoplate droite associée à une trapézéite post traumatique droite. Il est d’avis que la lésion professionnelle n’est pas consolidée et que le travailleur a encore besoin de soins et traitements.

[19]        La CSST donne suite à l’avis du Dr Dalcourt, le 18 janvier 2008, décision qui est confirmée, le 10 mars suivant, à la suite d’une révision administrative. La CSST déclare qu’elle est liée par l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale concernant le diagnostic de bursite à l’épaule droite, de tendinite de l’angulaire de l’omoplate droite associée à une trapézéite post-traumatique droite, ainsi que par la conclusion concernant la non-consolidation de la lésion et la nécessité de traitements. Elle déclare également qu’il y a relation entre le diagnostic de tendinite de l’angulaire de l’omoplate droite associé à une trapézéite post-traumatique droite et la lésion professionnelle initiale.

[20]        Le 1er février 2008, le Dr Cloutier refuse d’autoriser l’assignation temporaire du travailleur à l’assemblage de boulons de moins de 2 livres puisque ce travail a déjà été tenté et a entraîné l’augmentation des symptômes.

[21]        Dans le rapport médical du 24 avril 2008, le Dr Cloutier réitère le diagnostic de tendinite de l’angulaire de l’omoplate droite et rapporte une augmentation de douleur à la région du trapèze droit. Elle prolonge pour 6 semaines, soit jusqu’au 7 juin suivant, l’invalidité du travailleur. Elle note qu’une consultation en orthopédie est prévue le 5 mai suivant et qu’elle transfère le dossier du travailleur à Montréal vu son déménagement.

[22]        Le 2 mai 2008, Madame Isabelle Bournival, représentante de l’employeur communique avec l’agente de la CSST. Elle l’informe qu’elle avait préparé une nouvelle demande d’assignation temporaire pour le travailleur, mais se demande à qui la transmettre compte tenu du dernier rapport médical faisant état du déménagement du travailleur. La CSST lui conseille de l’envoyer au Dr Cloutier.

[23]        Le 5 mai 2008, le Dr Marc Antoniades, orthopédiste, examine le travailleur et diagnostique une myosite du trapèze droit et une tendinite de l’épaule.

[24]        Le 6 mai 2008, le Dr André Beaupré, examine de nouveau le travailleur. Dans le rapport du même jour, il réitère ses conclusions antérieures voulant que le travailleur n’ait pas subi de lésion professionnelle le 17 juillet 2007. Il retient les diagnostics de discopathie dégénérative cervicale et brachialgie d’origine cervicale, sans rapport avec l’événement et estime que le travailleur ne conserve ni atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. Compte tenu du résultat de son examen, il estime que le travailleur peut effectuer un travail léger.

[25]        Le travailleur, qui habitait jusqu’alors à Trois-Rivières, déménage à Montréal le ou vers le 11 mai 2008.

[26]        Le 14 mai 2008, le Dr Cloutier informe l’employeur qu’il ne peut traiter la demande d’assignation temporaire du travailleur puisqu’il a transféré son dossier. L’employeur communique cette réponse à la CSST le 21 mai 2008 qui l’informe qu’elle ignore l’identité du nouveau médecin qui a charge du travailleur.

[27]        Entre les mois de mai 2008 et septembre 2009, la CSST fait plusieurs démarches auprès du travailleur afin qu’il identifie son nouveau médecin traitant. Il appert des notes évolutives au dossier que le travailleur allègue que, son médecin de famille ayant refusé de prendre charge de son dossier CSST, il s’est inscrit sur plusieurs listes d’attentes afin d’obtenir une consultation en orthopédie. Ces démarches s’avèrent infructueuses. La CSST considère un moment que le Dr Antoniades est le médecin qui a charge du travailleur, d’où des demandes de rapports médicaux complémentaires, mais ce dernier s’y oppose alléguant qu’il n’a jamais considéré ce médecin comme son médecin traitant et que c’est plutôt l’orthopédiste qu’il consultera éventuellement qui le deviendra.

[28]        En mai 2009, la CSST décide de faire examiner le travailleur par un médecin en vertu de l’article 204 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) afin de clarifier sa situation médicale. Elle mandate donc le Dr Serge Tohmé, orthopédiste.

[29]        Le Dr Tohmé examine le travailleur le 8 juin 2009. Il consolide la lésion professionnelle au jour de son examen et estime que le travailleur conserve une atteinte permanente de 2% pour atteinte des tissus mous du membre supérieur avec séquelles fonctionnelles, sans limitations fonctionnelles.

[30]        Du mois d’août 2008 au 15 mai 2009, le travailleur travaille à temps partiel dans un kiosque de Bell Mobilité. De plus, en février 2009, le travailleur informe l’agent de la CSST qu’il est étudiant à temps complet à l’université.

[31]        Le 11 septembre 2009, le travailleur informe la CSST qu’il a commencé, la veille, une formation d’agent immobilier d’une durée de 12 semaines.

[32]        Le Dr Danielle Desloges, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, examine le travailleur le 6 octobre 2009. Dans l’avis signé le 26 octobre suivant, elle confirme la date de consolidation et le pourcentage d’atteinte permanente retenus par le Dr Tohmé, mais estime que le travailleur conserve une limitation fonctionnelle, à savoir éviter les gestes répétitifs au-delà de l’horizontale avec le membre supérieur droit.

[33]        Le 4 novembre 2009, la CSST rend deux décisions donnant suite à l’avis du Dr Desloges. Elle déclare que la lésion du travailleur est consolidée depuis le 8 juin 2009 et qu’il en résulte une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique de 2,20% ce qui lui donne droit à une indemnité correspondante. Étant donné qu’il conserve des limitations fonctionnelles, le travailleur a droit de recevoir des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce que la CSST se prononce sur sa capacité d’exercer un emploi.

[34]        Le 16 novembre 2009, la CSST rend une décision par laquelle elle conclut que le travailleur ne peut plus occuper son emploi habituel et détermine l’emploi convenable d’agent immobilier.

[35]        Le 18 novembre 2009, la CSST rend une décision dans laquelle elle conclut que le travailleur a droit à la réadaptation puisqu’il conserve une atteinte permanente attribuable à la lésion professionnelle.

[36]        Le 20 janvier 2010, la CSST détermine que le travailleur est capable d’exercer l’emploi convenable d’agent immobilier à compter du 20 janvier 2010 et qu’il a droit au versement des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’il ait trouvé un emploi ou, au plus tard, le 19 janvier 2011.

[37]        Madame Sylvie Autote, conseillère principale aux ressources humaines chez l’employeur, affirme, lors de l’audience que, pendant toute la période où le travailleur a reçu des indemnités de remplacement du revenu, la tâche d’assemblage de boulons était disponible au sein du service de pré-assemblage des éoliennes. Cette tâche consiste à visser des écrous et des boulons ensemble et s’effectue en position assise ou debout devant une table de travail.

[38]        Madame Autote dépose la fiche technique d’un omniscan qui fait état d’un poids de 9,65 livres. Toutefois, le poids de celui pesé avant l’audience est de 13 livres.

[39]        Madame Autote dépose un enregistrement qu’elle a fait, peu avant l’audience, d’un autre employé que le travailleur qui opère l’omniscan.

[40]        Lors de l’audience, le Dr André Beaupré, orthopédiste, témoigne et dépose un rapport en date du 17 janvier 2012.

[41]        Le Dr Beaupré raconte qu’il a visité le poste où on opère l’omniscan chez l’employeur et qu’un superviseur lui a dit que cet appareil ne se détachait pas de lui-même : pour le détacher, il faudrait que l’opérateur effectue un mouvement volontaire de torsion en tenant l’omniscan avec les 2 mains. Le Dr Beaupré a également visionné l’enregistrement réalisé par Madame Autote.

[42]        Tenant compte de ce visionnement et de la visite chez l’employeur, le Dr Beaupré remet en question la survenance de l’événement à l’origine de la lésion professionnelle décrit par le travailleur. Il ajoute cependant que, même en retenant la description donnée par le travailleur, l’événement est, tout au plus, bénin puisque l’omniscan pèse 13 livres et non 30 ou 40 comme le travailleur l’a mentionné dans l’Avis de l’employeur et demande de remboursement.

[43]        Le Dr Beaupré reconnaît que les notes cliniques contemporaines à l’événement du 17 juillet 2007 démontrent que le travailleur présentait des signes cliniques de bursite ou de tendinite. Il est toutefois d’avis que le mécanisme décrit par le travailleur ne produit pas de contrainte excessive au niveau de la coiffe des rotateurs de sorte que l’événement du 17 juillet 2007 ne peut être à l’origine de ces pathologies.

[44]        De l’avis du Dr Beaupré, il est également anormal que la condition de l’épaule du travailleur n’était pas améliorée lors de son examen d’octobre 2007, d’autant plus que cet examen démontre que le travailleur ne présente plus de signe clinique de bursite ou de tendinite. De l’avis du Dr Beaupré, le travailleur souffre plutôt, à cette époque, d’un syndrome de douleur chronique. Le Dr Beaupré affirme qu’une bursite ou une tendinite de l’épaule est normalement « résorbée » après trois semaines. Il cite à cet effet un guide américain[2] qui mentionne que le temps moyen de retour au travail pour un syndrome douloureux de la coiffe des rotateurs ou d’autres muscles de l’épaule est de 7 à 15 jours et de 28 jours pour les travailleurs manuels appelés à soulever des charges au-dessus des épaules.

[45]        Le Dr Beaupré est en désaccord avec la conclusion que les diagnostics de tendinite de l’angulaire de l’omoplate et de trapézéite traumatique droite, posés le 14 janvier 2008 par le membre du bureau d’évaluation médicale Dalcourt, sont reliés à l’événement du 17 juillet 2007. Il en prend notamment pour preuve le fait que les examens contemporains à cet événement démontrent que le travailleur ne présentait pas, à cette époque, de signes cliniques de ces pathologies. Le Dr Beaupré est également en désaccord, tenant compte de l’âge du travailleur et de la banalité de l’événement du 17 juillet 2007, avec la limitation fonctionnelle retenue par le Dr Desloges.

 

[46]        Concernant l’existence de déficiences antérieures au 17 juillet 2007, le Dr Beaupré rappelle que l’examen par résonance magnétique du 13 septembre suivant démontre que le travailleur présente de l’arthrose acromio-claviculaire, un acromion de type II (ci-après acromion II) et une tendinose de la coiffe des rotateurs.

[47]        Le Dr Beaupré affirme que la présence d’arthrose acromio-claviculaire chez une personne âgée de 20 ans dévie de la norme biomédicale et est un facteur prépondérant dans la survenance de l’événement du 17 juillet 2007, lequel est mineur. Un travailleur de 20 ans avec une musculature normale n’aurait souffert ni de tendinite ni de bursite après un tel événement.

[48]        Au soutien de ses prétentions, le Dr Beaupré cite un extrait d’un article du Dr André Roy[3] qui mentionne que la moyenne d’âge d’apparition des symptômes attribuables à une lésion de la coiffe des rotateurs est estimée à 55 ans, mais qu’elles sont plus fréquentes après 40 ans.

[49]        Le Dr Beaupré produit un document émanant d’un site internet[4] qui mentionne que bien que pour les individus, une blessure à la coiffe des rotateurs soit souvent à l’origine des symptômes à ce niveau, cette blessure était précédée d’années de dégénérescence des tendons qui ont peut-être rendu cette blessure inévitable.

[50]        Le Dr Beaupré reconnaît qu’il n’existe pas de statistiques dans la littérature médicale concernant la prévalence de l’arthrose acromio-claviculaire dans la population en général ou dans le groupe d’âge du travailleur. Il affirme cependant qu’il est tout à fait inhabituel de présenter une telle pathologie, sans avoir subi de traumatisme à l’épaule. Le Dr Beaupré cite Salter[5], qui rapporte qu’on estime qu’après 60 ans, 25 % des femmes et 15% des hommes ont des symptômes reliés à l’arthrose articulaire dégénérative (degenerative joint disease). Le Dr Beaupré rappelle que le travailleur a affirmé n’avoir jamais subi de traumatisme et conclut que présenter ne serait-ce qu’un peu d’arthrose à 20 ans, est une condition déviante de la normale.

[51]        Concernant l’acromion II, le Dr Beaupré explique qu’il n’y a pas d’unanimité concernant l’origine, acquise ou congénitale, de cette condition, mais que plusieurs études suggèrent qu’il s’agirait d’une condition acquise. Le Dr Beaupré soutient que les études démontrent que cette condition dévie de la norme.

[52]        Invité par le tribunal à commenter la prévalence de l’acromion II dans la population selon des études[6] dont fait état une décision du tribunal[7], le Dr Beaupré produit, après l’audience, un rapport complémentaire et de la littérature médicale concernant l’acromion II et la tendinose.

[53]        Dans ce rapport complémentaire, le Dr Beaupré dépose des extraits de Rockwood[8] qui font état des études évoquées à l’audience. L’une de ces études mentionne que la prévalence de l’acromion II dans la population en général est de 30 %. Le Dr Beaupré rappelle que la majorité des spécimens de l’étude d’Edelson[9] étaient âgés entre 40 et 60 ans alors que ceux de l’étude de Bigliani avaient un âge moyen de 74 ans. Le Dr Beaupré conclut qu’il n’existe pas de documentation médicale permettant d’établir le pourcentage d‘acromion II chez un travailleur de 20 ans, mais affirme que « l’ensemble de la littérature mentionne que l’on retrouve rarement une telle déformation dans la population en bas de 30 ans ».

[54]        Le Dr Beaupré explique à l’audience que les mouvements d’abduction de l’épaule, l’arthrose acromio-claviculaire, l’acromion II ou la tendinose de la coiffe peuvent provoquer une irritation de la coiffe des rotateurs et entraîner une tendinopathie, une tendinite ou une bursite. Le travailleur n’ayant décrit aucun mouvement d’abduction lors de l’événement du 17 juillet 2007, ce sont ses pathologies déviantes de la norme qui sont à l’origine de la tendinite de la coiffe des rotateurs.

[55]        Le Dr Beaupré cite McCollister[10] qui mentionne que les bursites traumatiques résultent généralement d’un traumatisme direct sur la coiffe des rotateurs, comme dans les sports de contact. Cet ouvrage ajoute que l’irritation chronique des tendons peut entraîner une inflammation qui provoque une tendinite.

[56]        Or, le travailleur n’a pas décrit de traumatisme direct au niveau de l’épaule, mais plutôt un traumatisme par traction pour retenir l’omniscan. Dans ces circonstances, bien qu’il reconnaisse que les notes cliniques contemporaines à l’événement font état de signes cliniques de bursite, le Dr Beaupré est d’avis que la bursite du travailleur ne résulte pas de l’événement, mais plutôt des pathologies déviantes du travailleur vu l’absence de traumatisme direct au niveau de l’épaule. Il est d’avis que l’événement a plutôt aggravé la bursite ou la tendinite préexistante du travailleur.

[57]        Le Dr Beaupré cite l’étude réalisée par Yamagushi[11] au soutien de son argument voulant que la tendinose et l’arthrose acromio-claviculaire du travailleur, âgé de 20 ans, dévient de la norme. Cette étude mentionne que les maladies de la coiffe des rotateurs (rotator cuff disease) sont hautement reliées à l’âge. Dans cette étude, réalisée sur 588 patients, la moyenne d’âge des patients sans « rotator cuff tear » est de 48.7 ans alors que celle des patients qui présentent un « rotator cuff tear » était de 62,8 ans.

[58]        Le Dr Beaupré affirme que la tendinose du travailleur est une condition antérieure à l’événement qui a évolué au fil des ans. Dans son rapport complémentaire, il cite Rockwood[12] qui mentionne que l’incidence de la dégénérescence de la coiffe des rotateurs est rare avant l’âge de 40 ans et qu’elle augmente progressivement entre 50 et 60 ans.

[59]        Le Dr Beaupré conclut que la tendinose de la coiffe des rotateurs, l’acromion II et  l’arthrose acromio-claviculaire du travailleur, âgé de 20 ans lors de l’événement, sont des conditions préexistantes et déviantes de la norme biomédicale. Ces conditions déviantes expliquent, à son avis, la survenance de la lésion professionnelle, son évolution clinique, la durée, les traitements, l’atteinte permanente et la limitation fonctionnelle du travailleur.

[60]        Interrogé sur le mécanisme permettant d’expliquer comment l’arthrose acromio-claviculaire, surtout localisée au niveau supérieur de l’articulation, a pu contribuer à une lésion de la coiffe apparue à la suite d’un traumatisme survenu alors que l’épaule du travailleur est en position de flexion basse, le Dr Beaupré retient que le traumatisme est mineur et peu contraignant pour la coiffe des rotateurs. Il en conclut que la symptomatologie du travailleur n’est pas reliée à l’événement et que ce sont donc les conditions personnelles et préexistantes du travailleur qui expliquent sa symptomatologie.

[61]        Compte tenu de la durée d’absence normale pour les pathologies de l’épaule,[13] le Dr Beaupré estime que 2 mois était largement suffisants pour guérir la lésion professionnelle du travailleur. La période d’invalidité aurait donc dû se terminer au plus tard à la date de l’imagerie par résonance magnétique, le 13 septembre 2007. Après cette date, le Dr Beaupré estime que le travailleur souffre d’un syndrome de douleur chronique qui ne peut être expliqué par l’événement du 17 juillet 2007.

[62]        Dans ces circonstances, il soutient qu’un partage de coûts de 5% pour l’employeur et de 95% aux employeurs de toutes les unités est approprié parce que ce sont les conditions personnelles préexistantes du travailleur, qui dévient de la norme, qui expliquent ce pourcentage des coûts de la lésion professionnelle.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

Article 326 de la loi

[63]        La Commission des lésions professionnelles doit d’abord déterminer si l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur du 14 mai 2008 au 20 janvier 2010 doit être imputée aux employeurs de toutes les unités au motif que l’imputation de ces coûts à son dossier aurait pour effet de l’obérer injustement au sens de l’article 326 de la loi :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

[64]        Le premier alinéa de cet article énonce la règle générale en matière d’imputation voulant que le coût des prestations versées en raison d’un accident du travail soit imputé au dossier financier de l’employeur du travailleur.

[65]        La loi prévoit toutefois certaines exceptions à cette règle, notamment, au second alinéa de l’article 326 de la loi, lorsque son application aurait pour effet « d’obérer injustement un employeur ».

[66]        L’interprétation des termes « obéré injustement » retenue dans l’affaire Location Pro-Cam inc. et CSST[14] a été reprise dans plusieurs décisions[15] et la soussignée souscrit à cette interprétation.

[67]        Suivant Location Pro-Cam[16], afin d’obtenir un transfert de coûts pour le motif qu’il est « obéré injustement », l’employeur doit démontrer qu’il subit une situation d’injustice, soit une situation étrangère aux risques qu’il doit normalement assumer, et que celle-ci entraîne pour lui un fardeau financier significatif par rapport aux coûts découlant de la lésion professionnelle :

[22]      De l’avis de la soussignée, l’employeur sera « obéré injustement » dans la mesure où le fardeau financier découlant de l’injustice alléguée est significatif par rapport au fardeau financier découlant de l’accident du travail. Ainsi, la notion « d’obérer », c’est-à-dire « accabler de dettes », doit être appliquée en fonction de l’importance des conséquences monétaires de l’injustice en cause par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail lui-même. La notion d’injustice, pour sa part, se conçoit en fonction d’une situation étrangère aux risques que l’employeur doit assumer, mais qui entraîne des coûts qui sont rajoutés au dossier de l’employeur.

[23]      Donc, pour obtenir un transfert des coûts basé sur la notion « d’obérer injustement », l’employeur a le fardeau de démontrer deux éléments :

Ø  une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques qu’il doit supporter;

Ø  une proportion des coûts attribuables à la situation d’injustice qui est significative par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail en cause.

[68]        La première étape de l’analyse d’une demande de transfert de coûts fondée sur une obération injuste consiste donc à déterminer si l’employeur a démontré qu’il subit une situation d’injustice, à savoir une situation étrangère aux risques qu’il doit normalement supporter.

[69]        Qu’en est-il dans le présent dossier?

[70]        L’employeur rappelle qu’à partir du 14 mai 2008, le travailleur n’avait plus de médecin qui a charge, à la suite de son déménagement à Montréal. Il soutient que cette situation l’a empêché d’obtenir une autorisation d’assignation temporaire suivant l’article 179 de la Loi et ce, pour des motifs totalement étrangers aux risques qu’il doit normalement supporter. Il s’agit là, à son avis, d’une situation d’injustice qui l’a privé de l’opportunité de réduire l’impact financier découlant de la lésion professionnelle du travailleur dans une proportion significative des coûts découlant de la lésion professionnelle du travailleur.

[71]        De l’avis du tribunal, l’employeur a démontré qu’il a été empêché de soumettre une demande d’autorisation temporaire, en raison de l’absence de médecin qui a charge du travailleur et que cette situation a eu pour effet de l’obérer injustement au sens du second alinéa de l’article 326 de la loi.

[72]        La preuve démontre d’abord que l’employeur a fait preuve de diligence dans la gestion des demandes d’assignation temporaire du travailleur : dès la survenance de la lésion professionnelle, il a régulièrement soumis au médecin du travailleur des demandes d’autorisation d’assignation temporaire, lesquelles ont été acceptées à quelques reprises. Il a, de plus, communiqué avec la CSST dès qu’il a appris le déménagement du travailleur, le 2 mai 2008, afin de savoir à qui transmettre une nouvelle demande d’assignation temporaire, mais, faute de médecin qui a charge, cette demande n’a pas eu de suite.

[73]        La preuve démontre également qu’après son déménagement à Montréal et malgré plusieurs demandes de la CSST à cet effet, le travailleur n’a pas identifié de médecin qui a charge.

[74]        De plus, le témoignage de madame Autote convainc le tribunal qu’en tout temps pertinent aux présentes, les travaux légers de visser des boulons à des écrous, tâche qui s’effectuait assis ou debout devant une table de travail où sont disposés ces objets, étaient disponibles chez l’employeur.

[75]        L’employeur soutient que le point de départ de l’assignation temporaire que le travailleur aurait pu effectuer est le 14 mai 2008, date de la réponse du Dr Cloutier à la dernière demande d’assignation temporaire. Le tribunal est cependant d’avis que le début de cette assignation temporaire ne peut être établi avant le 7 juin 2008. En effet, le 24 avril 2008, le Dr Cloutier prolonge de nouveau  l’arrêt de travail du travailleur jusqu’au 7 juin 2008. Il est raisonnablement permis de croire que, si le Dr Cloutier avait été le médecin qui a charge du travailleur, le 14 mai 2008, il n’aurait pas mis fin à l’arrêt de l’arrêt de travail du travailleur, avant la date précédemment établie du 7 juin 2008.

[76]        Par ailleurs, bien que le Dr Cloutier ait, au mois de février 2008, refusé d’autoriser l’assignation temporaire du travailleur à l’assemblage de boulons parce que ce travail avait entraîné l’augmentation des symptômes, le tribunal est d’avis que la preuve démontre que le ou vers le 7 juin 2008, le travailleur était en mesure d’accomplir de nouveau cette tâche. Le tribunal constate en effet ce qui suit :

·      La seule limitation fonctionnelle que le travailleur conserve à la suite de la lésion professionnelle est celle d’éviter les gestes répétitifs au-delà de l’horizontale avec le membre supérieur droit;

·      Le travail de visser les boulons respecte cette limitation fonctionnelle : il s’effectue en position debout ou assise à une table sur laquelle les objets sont posés, ce qui ne nécessite pas d’utiliser le membre supérieur au-delà de l’horizontale;

·      D’ailleurs, lorsqu’il autorise l’assignation temporaire du travailleur à cette tâche, le 24 juillet 2007, le Dr Cloutier prescrit qu’elle doit notamment s’exécuter dans des positions n’impliquant pas d’élever le bras droit;

·      Il appert de plus que le travailleur était capable d’effectuer diverses tâches « légères » à compter de l’été 2008 puisqu’en août 2008, il occupe, à temps partiel, un emploi dans un kiosque de Bell mobilité et, en février 2009, est aux études à temps plein à l’université.

[77]        L’employeur a donc démontré qu’il a été injustement empêché d’assigner le travailleur à des travaux légers conformément à l’article 179 de la loi, de sorte qu’il s’est déchargé de la première partie du fardeau de preuve qui lui incombe en vertu du second alinéa de l’article 326 de la loi.

[78]        L’employeur doit cependant également démontrer que la proportion des coûts attribuables à cette situation d’injustice est significative par rapport aux coûts découlant de l’accident de la lésion professionnelle.

[79]        De l’avis du tribunal, l’employeur a également fait cette preuve.

[80]        L’employeur soutient que la période d’indemnités de remplacement du revenu qui doit être soustraite de son dossier doit se terminer le 20 janvier 2012, date à laquelle la CSST détermine que le travailleur est capable d’exercer l’emploi convenable d’agent d’immeuble.

[81]        Le tribunal est plutôt d’avis que l’assignation temporaire du travailleur n’aurait pu être prolongée au-delà de la date où la CSST détermine qu’il a droit à la réadaptation, soit le 18 novembre 2009. L’article 145 de la loi prévoit en effet qu’un travailleur qui subit une atteinte permanente, ce qui est le cas du travailleur, a droit à la réadaptation que requiert son état. Si l’employeur était en désaccord avec la mesure de réadaptation retenue, il lui fallait contester cette décision, ce qu’il n’a pas fait.

[82]        La preuve démontre que l’employeur a été privé de la possibilité d’affecter le travailleur à des tâches en assignation temporaire du travailleur du 7 juin 2008 au 18 novembre 2009, soit pendant 17 mois. De l’avis du tribunal, le fait d’être empêché d’obtenir une autorisation d’assignation temporaire plus de la moitié de la durée de la lésion professionnelle, qui s’est étendue sur une période de 28 mois, constitue une proportion significative de coûts par rapport à l’ensemble des coûts découlant de la lésion professionnelle survenue le 17 juillet 2007.

[83]        L’employeur a donc démontré qu’il est obéré injustement, au sens du second alinéa de l’article 326 de la loi parce qu’il a été privé, pour des raisons étrangères aux risques qu’il doit supporter, de procéder à une assignation temporaire du 7 juin 2008 au 18 novembre 2009.

[84]        Dans ces circonstances, le tribunal est d’avis que les coûts résultant du versement des indemnités de remplacement du revenu du 7 juin 2008 au 18 novembre 2009 doivent être transférés aux employeurs de toutes les unités.

Article 329 de la loi

[85]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a droit à un partage d’imputation en vertu de l’article 329 de la loi qui se lit comme suit :

329.  Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

[86]        Pour bénéficier d’un partage de coûts en vertu de cet article, l’employeur doit démontrer que le travailleur était déjà handicapé lorsque la lésion professionnelle est survenue le 17 juillet 2007.

[87]        Les termes « travailleur déjà handicapé » font l’objet d’une interprétation largement partagée par la Commission des lésions professionnelles depuis l’affaire Municipalité Petite-rivière St-François et C.S.S.T. [17]. Il s’agit d’une personne qui présente une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences. La déficience constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut être congénitale ou acquise et peut exister à l’état latent, sans s’être manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle, mais elle doit exister antérieurement à l’apparition de la lésion professionnelle[18].

[88]        Pour bénéficier de l’application de l’article 329 de la loi, l’employeur doit donc d’abord démontrer que le travailleur présente une déficience préexistante à la lésion professionnelle et que cette déficience a joué un rôle dans l’apparition de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences. Certains critères sont utilisés pour analyser la relation entre la déficience et la lésion professionnelle. On tient compte de la nature et de la gravité du fait accidentel, du diagnostic initial de la lésion professionnelle, de l’évolution du diagnostic et de la condition du travailleur, de la durée de la période de consolidation compte tenu de la lésion professionnelle, de la compatibilité entre le plan de traitement prescrit et le diagnostic de la lésion professionnelle, de l’existence ou non de séquelles découlant de la lésion professionnelle, de l’âge du travailleur et des opinions médicales à ce sujet[19].

[89]        Le tribunal est d’avis que, comme le soutient l’employeur, la tendinose de la coiffe des rotateurs et l’arthrose acromio-claviculaire, démontrées à la résonance magnétique réalisée 5 mois après l’événement, étaient certainement présentes avant la lésion professionnelle et qu’elles doivent également être considérées comme une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique au sens de la jurisprudence.

[90]        Reste à savoir si l’employeur a démontré que ces altérations de structure ou de fonctions dévient de la norme biomédicale et qu’elles ont entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences.

[91]        Le Dr Beaupré soutient que l’arthrose acromio-claviculaire et la tendinose de l’épaule sont rares chez une personne de 20 ans et qu’il s’agit de conditions hors norme.

[92]        Au soutien de cette affirmation, le Dr Beaupré cite Rockwood[20] qui mentionnerait que l’incidence de la dégénérescence de la coiffe des rotateurs est rare avant l’âge de 40 ans et qu’elle augmente progressivement entre 50 et 60 ans. Selon le Dr Beaupré, cet auteur mentionnerait également que seulement trois lésions de la coiffe des rotateurs ont été trouvées chez les patients plus jeunes que 40 ans et que des lésions de la coiffe des rotateurs ont été retrouvées chez des patients plus jeunes que 30 ans à la suite de luxation de l’épaule.

[93]        Le passage de Rockwood auquel le Dr Beaupré fait référence est le suivant[21] :

In all clinical reports, the incidence of cuff defects is relatively low before the age of 40, begins to rise in the 50- to 60-year-old age group, and continues to increase in the 70-year and older age group. Of 55 patients with arthrographically verified cuff tears, Bakalim and Pasila […] found only 3 who were younger than 40 years. Yamada and Evans found no cuff tears in 42 shoulders younger than 40 years. […] In their series of shoulder dislocations, Reeves […] and Moseley […] found the incidence of cuff tears in patient younger than 30 to be very low. […]

[Citations omises et soulignements ajoutés]

[94]        De l’avis du tribunal, ce passage ne permet pas de tirer de conclusion sur la prévalence de la tendinose de la coiffe ou d’arthrose acromio-claviculaire avant l’âge de 40 ans. L’auteur utilise en effet le terme « cuff defects », différent de celui de « tendon degeneration » qu’il utilise ailleurs dans ce chapitre. De plus, bien qu’il ne définisse pas « cuff defects », la lecture de ce passage permet de supposer que Rockwood fait plutôt référence à des pathologies plus graves que la simple dégénérescence, telle la déchirure de la coiffe des rotateurs, puisqu’il en prend pour preuve des études qui font état de ce dernier type de pathologie. Cette citation démontre, tout au plus, que les déchirures de la coiffe sont peu fréquentes chez les moins de 40 ans, ce qui n’est pas pertinent pour la solution du litige puisque le travailleur ne souffre pas de déchirure de la coiffe dans le présent dossier.

[95]        Pour des motifs similaires, il en est de même de l’étude de Yamagushi[22] : le tribunal comprend mal le lien qu’on veut faire entre une étude portant sur la prévalence des déchirures de la coiffe des rotateurs en fonction de l’âge et le caractère déviant de la tendinose et de l’arthrose acromio-claviculaire.

[96]        L’avocate de l’employeur cite également Rockwood[23] au soutien de son affirmation que la tendinose et l’arthrose acromio-claviculaire chez une personne de 20 ans sont anormales et constituent donc une déviation par rapport à une norme biomédicale :

Although cuff strength may be compromised by inflammatory arthritis and steroids, the primary cause of tendon degeneration is aging.

[…]

Kumagai and colleagues […] studied the attachment zone of the rotator cuff tendons to determine how degenerative changes affect the pattern of collagen fiber distribution. Degenerative changes were found in all elderly tendons but not in tendons from younger subjects.

[…]

[97]        Ce document ne précise ni l’âge des « jeunes » sujets ni quand débute le processus du « vieillissement ». Par ailleurs, comme on précise que la principale cause de la dégénérescence est le vieillissement, on pourrait penser que la présence d’un tel phénomène à 20 ans dévie de la norme. Il convient toutefois de rappeler que la résonance magnétique du 13 septembre 2007 fait état d’un peu de tendinose et d’un peu d’arthrose acromio-claviculaire, ce qui peut être interprété comme un simple début de ces conditions.

[98]        Cependant, même en tenant pour acquis que présenter un peu de tendinose et un peu d’arthrose acromio-claviculaire à 20 ans dévie de la norme biomédicale, aucune preuve n’a été présentée permettant de conclure que ces conditions aient joué un rôle dans la survenance de la lésion professionnelle du 17 juillet 2007 ou sur son évolution.

[99]        Le Dr Beaupré soutient que la tendinose et l’arthrose acromio-claviculaire peuvent entraîner une irritation de la coiffe des rotateurs qui peuvent entraîner une tendinite ou une bursite sans étayer cette affirmation.

[100]     À l’audience, il n’a pu expliquer en quoi un peu d’arthrose acromio-claviculaire, entre autre localisée au versant supérieur de l’articulation, a pu contribuer à la survenance d’une lésion de la coiffe dans le cadre d’un traumatisme survenu lors d’un mouvement tel que celui décrit par le travailleur autrement qu’en remettant en question la description de l’événement du 17 juillet faite par le travailleur ou en affirmant qu’il est tellement banal que seules les conditions préexistantes peuvent expliquer tant la survenance de la lésion que ses conséquences.

[101]     Or, le tribunal rappelle que la CSST a conclu qu’une lésion professionnelle est survenue le 17 juillet 2007 dans les circonstances décrites par le travailleur et que les décisions à cet égard sont devenues finales. Le tribunal ne peut, dans le cadre d’une demande de transfert de coûts, écarter les déclarations du travailleur concernant la survenance de cette lésion professionnelle puisqu’il n’est pas saisi de la contestation de cette lésion professionnelle d’autant plus que le travailleur n’a pas été entendu dans le cadre du présent dossier.

[102]     De plus, le tribunal retient que le Dr Dalcourt, membre du Bureau d’évaluation médicale, a précisé que le travailleur avait probablement subi une bursite de l’épaule, mais qu’il avait surtout présenté une tendinite de l’angulaire de l’omoplate droite, associée à une trapézéite post-traumatique.

[103]     Or, l’employeur n’a présenté aucune preuve permettant de conclure que la tendinose de la coiffe des rotateurs et l’arthrose acromio-claviculaire du travailleur ont eu un quelconque rôle sur l’apparition de ces diagnostics ou sur ses conséquences.

[104]     De l’avis du Dr Beaupré, clairement exprimé lors de l’audience, ces deux diagnostics ne sont pas reliés à l’événement du 17 juillet 2007 et que le travailleur souffre plutôt alors d’un syndrome douloureux.

[105]     Le tribunal ne peut toutefois tenir compte de cette opinion parce qu’il est lié par la décision de la CSST, qui est devenue finale, reconnaissant la relation entre ces diagnostics et l’événement du 17 juillet 2007.

[106]     Quant à l’acromion II, il ne fait pas de doute que cette condition était antérieure à l’événement du 17 juillet 2007. L’employeur a toutefois le fardeau de démontrer qu’il s’agit d’une condition qui dévie de la norme biomédicale. Or, de l’avis du tribunal, l’employeur ne s’est pas acquitté de ce fardeau de preuve.

[107]     Le Dr Beaupré a affirmé dans son rapport complémentaire que l’ensemble de la littérature mentionne que l’on retrouve rarement une telle déformation dans la population en bas de 30 ans. Le tribunal n’a pu retrouver dans la documentation soumise la source de cette affirmation.

[108]     Par ailleurs, non seulement la preuve ne démontre pas que l’acromion II dévie de la norme biomédicale, mais la littérature médicale[24] démontre, au contraire, que ce type d’acromion est plutôt courant dans la population en général. Certaines études font état d’une incidence de 43 % voire 85 % et même plus selon le groupe d’âge, dont une forte prévalence chez les 40-50 ans[25] et chez les moins de 30 ans[26].

[109]     Au surplus, la jurisprudence récente de la Commission des lésions professionnelles statue que l’acromion de type II se retrouve trop fréquemment dans la population pour être considéré comme une déficience[27].

[110]     Compte tenu des conclusions du tribunal sur l’absence de preuve de caractère déviant de l’acromion II, il n’est pas nécessaire de déterminer si cette condition a pu jouer un rôle sur la survenance de la lésion professionnelle ou son évolution.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête de Marmen inc., l’employeur;

MODIFIE la décision rendue le 11 novembre 2010 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que les coûts du versement de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur pour la période du 7 juin 2008 au 18 novembre 2009 en raison de l’accident du travail subi le 17 juillet 2007 par monsieur Kevin Lonergan, le travailleur, doivent être imputés aux employeurs de toutes les unités;

DÉCLARE que, à l’exception des indemnités de remplacement du revenu versées pour la période entre le 7 juin 2008 et le 18 novembre 2009 mentionnées ci-dessus, le coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie le 17 juillet 2007, par le travailleur, doit être imputé à l’employeur.

 

 

 

__________________________________

 

Guylaine Henri

 

Me Marie-Josée Hétu

HEENAN  BLAIKIE

Représentante de la partie requérante



[1]               L.R.Q. c. A-3.001.

[2]               Official disability guidelines, 9th edition, 2004, Work Loss Data Institute, p. 154 et ss.

[3]               André ROY, Élisabeth LING et Thierry DAHAN, « L’épaule douloureuse chronique », septembre 2002, Le Clinicien, pp. 73-81.

[4]               http://wwwburlingtonsporttherapy.com, Physical therapy in Burlington Ontario for shoulder pain.

[5]               Robert Bruce SALTER, Textbook of disorders and injuries of the musculoskeletal system, 2nd edition, Williams and Wilkins, Baltimore/London.

[6]               Charles A. ROCKWOOD, Jr. et al., The Shoulder,3rd ed., vol. 2, 2004, Saunders Ed.; A. SANGIAMPONG et al., “The acromial morphology of thais in relation to gender and age : study in scapular dried bone”, (2007) 90 no. 3 J. Med. Assoc. Thai, 2007, p. 502.

[7]               Hôpital Santa Cabrini, C.L.P. 424662-71-1011, 20 octobre 2011, Anne Vaillancourt, paragraphe 46.

[8]               Charles A. ROCKWOOD, Jr. et al., The Shoulder,3rd ed., vol. 1, 2004, Saunders Ed., 111-112 et 813-814.

[9]               J. G. EDELSON, C. TAITZ, « Anatomy of the coraco-acromial arch », (1992) 74-B, No. 4. July, British Editorial Society of Bone and Joint Surgery, pp. 589-594.

[10]             C. MCCOLLISTER EVARTS, Surgery of the musculoskeletal system, 2nd edition, 1993, Churchill Livingstone, New York, 1394 et ss.

[11]             Ken YAMAGUSHI et al., “The demographic and morphological features of rotator cuffs disease”, (August 2006) volume 88, number 8, The Journal of Bone and Joint Surgery, pp. 1699-1704.

[12]             Charles A. ROCKWOOD Jr. et al., The Shoulder, précitée note 8, 812-813.

[13]             Official disability guidelines, précitée note 2.

[14]             C.L.P. 114354-32-9904, 18 octobre 2002, M.-A. Jobidon, ci-après Location Pro-Cam.

[15]             Voir les références à la jurisprudence apparaissant à la note 8 de l’affaire Auto Classique de Laval Inc., C.L.P. 394677-61-0911, 23 novembre 2010, L. Nadeau.

[16]             Précitée, note 14.

[17]             [1999] C.L.P. 779 , ci-après Municipalité Petite-Rivière Saint-François.

[18]             Id.

[19]             Hôpital Général de Montréal, [1999] C.L.P. 891 .

[20]             Charles A. ROCKWOOD Jr. et al., The Shoulder, 3rd ed., vol. 1, précité, note 8.

[21]             Id., p. 812-813.

[22]             Précitée, note 11.

[23]             Charles A. ROCKWOOD Jr. et al., The Shoulder, 3rd ed., vol. 1, précitée, note 8.

[24]             Charles A. ROCKWOOD, Jr. et al., The Shoulder, 3rd ed., Vol. 2, précitée note 6; A. SANGIAMPONG et als, “The acromial morphology of thais in relation to gender and age : study in scapular dried bone”, précitée note 6

[25]             Étude d’EDELSON, réalisée en 1995, et rapportée dans Charles A. ROCKWOOD, Jr. et al., The Shoulder, 3rd ed., Vol. 2, précitée, note 6.

[26]             A. SANGIAMPONG et als, “The acromial morphology of thais in relation to gender and age :study in scapular dried bone”, précitée, note 6.

[27]             Goodyear Canada inc., 2012 QCCLP 103 ; S.T.M. (Réseau du métro), 2012 QCCLP 649 ; O. Boucher & fils ltée, 2012 QCCLP 706 ; Industries maintenance Empire inc., 2012 QCCLP 1564 ; Buanderie Centrale de Montréal, 2012 QCCLP 2149 .

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