Therrien c. Great-West, compagnie d'assurance-vie |
2018 QCCQ 7930 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Chambre de pratique » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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LOCALITÉ DE |
QUÉBEC |
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« Chambre civile » |
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N° : |
200-22-081460-172 |
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DATE : |
22 octobre 2018 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
DOMINIQUE LANGIS, J.C.Q. (JL4155) |
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JEAN-PHILIPPE THERRIEN |
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Demandeur |
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c. |
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LA GREAT-WEST COMPAGNIE D’ASSURANCE-VIE |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] La Great-West, compagnie d’assurance-vie (Great-West) demande que Jean-Philippe Therrien se soumette à deux évaluations, l’une concernant ses capacités fonctionnelles et l’autre en orientation et habilités transférables, dans le cadre d’une action en réclamation de prestations d’invalidité et en dommages-intérêts qu’il a intentée.
LE CONTEXTE
[2] M. Therrien est directeur de production chez Vox Populi 1 inc. et bénéficie de la police d’assurance collective no [...], émise par la Great-West à son employeur.
[3] La police d’assurance prévoit une protection contre l’invalidité selon les termes suivants[1] :
« Pendant la période d’évaluation initiale, laquelle est constituée de la période d’attente et des 24 mois d’invalidité suivants, le salarié est réputé souffrir d’invalidité :
1. Si une maladie ou une blessure l’empêche de s’acquitter des tâches essentielles de sa profession habituelle; et
2. S’il n’occupe aucun emploi lui procurant un revenu égal ou supérieur à la rente d’invalidité prévue par le présent régime (…)
Après la période d’évaluation initiale, le salarié est réputé souffrir d’invalidité s’il ne peut exercer un emploi rémunéré par suite d’une maladie ou d’une blessure.
On entend par « emploi rémunéré » tout emploi :
1. Que l’état de santé du salarié lui permet d’exercer;
2. Pour lequel le salarié possède la qualification minimum nécessaire;
3. Qui garantit au salarié un revenu au moins égal à 50 % de sa rémunération mensuelle; et
4. Qui est offert dans la province ou le territoire de résidence du salarié (…)
Il n’est pas tenu compte de la disponibilité de l’emploi dans l’évaluation de l’invalidité. »
[4] Le 12 août 2016, la Great-West reçoit le formulaire pour une demande de prestations d’invalidité de la part de M. Therrien.
[5] Son neurologue indique qu’il souffre de maux tête et d’hypertension intracrânienne idiopathique.
[6] Le 19 janvier 2017, après avoir obtenu l’opinion de son conseil médical, la Great-West refuse la réclamation.
[7] Le 6 juillet 2017, M. Therrien intente les présentes procédures et soumet le rapport d’expertise du Dr Louis Verret, neurologue.
[8] Celui-ci émet l’opinion que l’arrêt de travail est justifié mais qu’il ne peut établir un diagnostic précis à ce moment et qu’il n’y en a pas de fort probable au dossier. Le pronostic à moyen et long terme est impossible à déterminer[2].
[9] Le 31 août 2017, Vox Populi 1 inc. doit mettre un terme à l’emploi de M. Therrien.
[10] À la demande de la Great-West, M. Therrien rencontre le Dr Alain Ptito, neuropsychologue, pour évaluer les symptômes cognitifs rapportés.
[11] Le 19 octobre 2017, le Dr Ptito conclut que M. Therrien a des limites fonctionnelles au plan cognitif qui peuvent affecter sa capacité de travail comme directeur de production chez Vox Populi 1 inc. mais qu’elles ne rendent pas M. Therrien totalement invalide puisqu’il présente de nombreuses forces au niveau cognitif[3].
[12] Selon lui, il serait donc apte à occuper un emploi rémunérateur moins exigeant qui tiendrait compte de ses limitations.
[13] Sur réception de ce rapport, le 17 novembre 2017, la Great-West verse à M. Therrien les arrérages de prestations d’invalidité pour la période du 3 juillet 2016 au 2 décembre 2017 et rétablit les prestations mensuelles à compter de janvier 2018 donnant ainsi plein effet au contrat d’assurance, considérant que la définition d’invalidité est rencontrée par M. Therrien pour la période d’évaluation initiale se terminant le 2 juillet 2018, puisqu’il est incapable d’occuper son emploi de directeur de production.
[14] Le 30 novembre 2017, à la demande M. Therrien, les neuropsychologues, Pierre Carpentier et Pier-Luc Massicotte, produisent un rapport, lequel conclut que M. Therrien est inapte à occuper tout autre emploi rémunérateur pour le moment au sens de la deuxième définition du contrat d’assurance eu égard à l’importance de déficit cognitif observé[4].
[15] Ils suggèrent de réévaluer l’aptitude au travail de M. Therrien en novembre 2018 pour émettre une opinion définitive au regard de son inaptitude complète à exercer un emploi.
[16] Le 17 janvier 2018, le neuropsychologue Ptito produit un rapport complémentaire pour commenter le rapport des neuropsychologues Carpentier et Massicotte[5]. Il maintient son opinion et considère qu’il serait utile de mener une évaluation des capacités de travail de M. Therrien.
[17] Le 7 février 2018, le neuropsychologue Pier-Luc Massicotte produit à son tour un rapport complémentaire où il mentionne que lui et le Dr Carpentier maintiennent leur opinion que M. Therrien doit être considéré inapte à tout emploi pour le moment mais en effectuant un nouveau bilan neuropsychologique en novembre 2018[6].
L’ANALYSE ET LA DÉCISION
[18] Outre la question des dommages-intérêts, il reste une question à déterminer au présent dossier : M. Therrien rencontre-t-il la deuxième définition d’invalidité prévue au contrat laquelle est entrée en vigueur le 2 juillet 2018?
[19] La Great-West a eu recours à une expertise neuropsychologique effectuée par le Dr Ptito en octobre 2017 laquelle s’est manifestement avérée suffisante pour déterminer que le demandeur rencontrait la première définition de l’invalidité prévue au contrat d’assurance.
[20] Toutefois, le Dr Ptito a exprimé l’opinion que M. Therrien conserve une capacité de travail qui lui permettrait d’occuper un emploi rémunéré aux termes de la deuxième définition d’invalidité soit celle qui entre en vigueur après la période d’invalidité initiale constituée de la période d’attente et de 24 mois d’invalidité suivants.
[21] Les experts neuropsychologues de M. Therrien ne partagent pas cette opinion sous réserve d’une réévaluation de sa condition neuropsychologique en novembre 2018.
[22] Dr Ptito croit utile d’évaluer les capacités de travail de M. Therrien. De là, la demande de la Great-West de faire évaluer M. Therrien concernant ses capacités fonctionnelles et en orientation et habilités transférables.
[23] En vertu de son contrat, la Great-West a le droit d’obtenir des évaluations médicales et professionnelles de M. Therrien afin de déterminer si les définitions d’invalidité prévues au contrat d’assurance sont rencontrées notamment lorsque survient la deuxième définition[7].
[24] Selon son procureur, chaque dossier d’invalidité qui franchit l’étape de la deuxième définition d’invalidité fait l’objet d’une analyse attentive afin de déterminer si l’assuré rencontre cette deuxième définition et si le paiement des prestations d’invalidité doit se poursuivre.
[25]
Cette demande de la Great-West s’inscrit aussi dans le cadre des
articles
[26] Selon le procureur de M. Therrien, considérant l’expertise du Dr Ptito, les évaluations additionnelles demandées par la Great-West sont prématurées eu égard à l’état actuel du dossier et à la nature de ces évaluations. Elles ne sont pas nécessaires ou justifiées, contraires au principe de proportionnalité prévu au Code de procédure civile ainsi qu’aux intérêts de la justice.
[27] Il précise que si le juge du fond retient la thèse de la défense à l’effet que M. Therrien est apte à occuper certains emplois comme l’affirme le Dr Ptito, le juge du fond pourra ordonner à M. Therrien de se soumettre aux examens additionnels sollicités par la Great-West.
[28] Le Tribunal est d’avis que la position de M. Therrien ne peut être retenue. Il est de l’intérêt de la justice que les évaluations demandées puissent se faire.
[29] La demande de la Great-West s’inscrit dans le cadre de son droit contractuel d’évaluer l’assuré et dans son droit à une défense pleine et entière dans un contexte litigieux.
[30] La jurisprudence établit que le juge saisit d’une demande de cette nature doit tenir compte de sa pertinence pour la solution du litige et de son utilité réelle[8].
[31] Le juge du procès sera appelé à déterminer si M. Therrien rencontre la deuxième définition d’invalidité prévue au contrat d’assurance. Il doit avoir en main tous les éléments utiles à cette fin. Ces évaluations constituent un outil qui permettra au juge du fond de se prononcer immédiatement, de façon éclairée et surtout complète sur la question en litige.
[32] La demande de la Great-West pourrait même permettre le règlement du litige en faveur de M. Therrien, du moins en ce qui concerne les prestations d’invalidité.
[33] Cette demande n'est pas déraisonnable. À ce jour, la Great-West n’a soumis M. Therrien qu’à une seule expertise, celle du Dr Ptito, lequel d’ailleurs émet l’opinion qu’il serait utile de mener une évaluation des capacités de travail de M. Therrien afin de compléter sa propre évaluation.
[34] Certes, ces évaluations additionnelles seront source d’inconvénients pour M. Therrien mais cela ne peut le soustraire à son obligation de permettre à la Great-West de mesurer le degré de son invalidité pour savoir s’il rencontre les critères contractuels prévus à la deuxième définition d’invalidité, d’autant plus que les sommes en jeu sont importantes.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE la demande de la défenderesse;
ORDONNE au demandeur Jean-Philippe Therrien de se soumettre à une évaluation de ses capacités fonctionnelles par un ergothérapeute et à une évaluation des orientations et habilités transférables par un conseiller en orientation, aux lieux, dates et heures à être confirmés par la défenderesse;
LE TOUT sans frais de justice.
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__________________________________ DOMINIQUE LANGIS, J.C.Q. |
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Me Frédéric St-Jean, casier 161 |
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Avocat du demandeur |
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Me Mélanie Dugré |
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La Great-West 2001, boulevard Robert-Bourassa, bureau
1275 |
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Avocats de la défenderesse |
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[1] Pièce P-1, p. D1.
[2] Rapport P-6.
[3] Rapport DGWL-1.
[4] Rapport P-7.
[5] DGWL-2.
[6] Rapport P-8.
[7] Contrat P-1, p. D16 et F1.
[8]
Maritime (La), compagnie d'assurance-vie c. Houle,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.