Décision

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Labrèche et Vitre-Art Cab 1988 inc.

2014 QCCLP 5144

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gaspé

11 septembre 2014

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

504877-71-1303

 

Dossier CSST :

139989164

 

Commissaire :

Louise Desbois, juge administrative

 

Membres :

Christine Arcard, associations d’employeurs

 

Jennifer Smith, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

Daniel Labrèche

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Vitre-Art Cab 1988 inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 9 octobre 2013, Vitre-Art Cab 1998 inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il demande la révision de la décision rendue le 27 août 2013 par cette instance.

[2]         Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille la requête de monsieur Daniel Labrèche (le travailleur), infirme la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 24 janvier 2013 à la suite d’une révision administrative et déclare que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 13 juillet 2012 consistant en une dépression majeure et un trouble d’adaptation avec humeur mixte.

[3]         Lors de l’audience tenue à Montréal le 16 avril 2014, le travailleur est présent. Il n’est pas représenté. Monsieur Sébastien Guyon est présent pour l’employeur et est représenté.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           L’employeur demande la révision de la décision rendue le 27 août 2013, invoquant que celle-ci est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider, mais, surtout, la découverte d’un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           La membre issue des associations d’employeurs et la membre issue des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête de l’employeur devrait être rejetée. Ils considèrent plus particulièrement que la présence d’un vice de fond dans la décision n’a pas été démontrée et que les faits postérieurs à l’audience, allégués à titre de fait nouveau, ne peuvent être considérés à ce titre et justifier la révision de la décision.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]           Le travailleur, actuellement âgé de 53 ans, est menuisier chez l’employeur à compter du début de juillet 2012. Le 7 septembre 2012, une réclamation pour lésion professionnelle de nature psychique est déposée par le travailleur à la CSST.

[7]           Lors de l’audience devant le premier juge administratif, le travailleur et le directeur des ressources humaines de l’employeur sont présents et sont entendus. Aucune des parties n’est alors représentée.

[8]           Le travailleur rapporte alors la survenance de divers événements survenus à compter de son embauche par l’employeur, et impliquant plus particulièrement une collègue de travail, ainsi qu’un climat de travail conséquent ayant selon lui et son médecin, qui a produit des rapports à la CSST en conséquence, entraîné la dépression majeure et le trouble d’adaptation diagnostiqués à compter du 12 août 2012.

[9]           Le premier juge administratif précise que le travailleur nie la survenance de tout événement personnel ayant pu entraîner ces lésions ainsi que toute consultation antérieure pour des problèmes de nature psychique.

[10]        Le premier juge administratif rapporte par ailleurs que le directeur des ressources humaines reconnaît le caractère difficile de la collègue évoquée par le travailleur et le fait que l’employeur ait dû lui servir des avertissements à ce sujet, bien qu’il estime qu’en l’occurrence il s’agisse d’un simple conflit personnel découlant notamment de préjugés du travailleur à l’endroit de la travailleuse, ce conflit ne pouvant à son avis être considéré comme justifiant la reconnaissance d’une lésion professionnelle. L’employeur ne soumet aucune autre preuve au premier juge administratif.

[11]        Le premier juge administratif, après avoir rapporté la législation applicable et la jurisprudence en semblable matière, conclut que la preuve est prépondérante quant au fait que les événements décrits par le travailleur débordent du cadre habituel, normal ou prévisible auquel on est en droit de s’attendre dans un milieu de travail et qu’ils constituent des microtraumatismes assimilables dans leur ensemble à un accident du travail, les lésions psychiques diagnostiquées de façon contemporaine constituant de ce fait des lésions professionnelles.

[12]        Le premier juge administratif rapporte notamment le témoignage du travailleur comme suit, soulignant par la suite que ce témoignage est crédible et n’a pas été contredit :

[7]        Il indique que lors de sa première journée d’embauche, madame Barette, employée des ressources humaines, lui présente une consœur de travail, madame Brosseau. Lorsqu’il débute le déballage de ses outils, cette dernière lui passe des commentaires désobligeants et lui mentionne qu’elle ne veut pas qu’il utilise ses propres outils. Le travailleur précise qu’à compter de ce moment, elle n’a cessé de lui donner des ordres même si elle n’avait aucune responsabilité hiérarchique envers lui.

 

[8]        Le travailleur indique que durant la première semaine de travail, madame Brosseau était constamment de mauvaise humeur lui donnant des ordres et ignorant ceux donnés par ses supérieurs.

 

[9]        À deux reprises, il avise ses deux superviseurs (Paulo et Maurice) de la mauvaise relation de travail avec madame Brosseau. À chaque fois, on lui dit qu’il lui appartient de trouver une solution à ce problème. Sur ce sujet, le travailleur rapporte qu’il lui était impossible de s’entendre avec madame Brosseau.

 

[10       Il mentionne également que la travailleuse avait un habillement qui n’était pas approprié pour l’emploi qu’elle occupait et qu’elle en a été avisée par l’employeur. Par ailleurs, il indique que le lundi matin, elle était encore plus de mauvaise humeur en raison de la quantité d’alcool qu’elle avait ingurgitée durant toute la fin de semaine.

 

[11]      Le travailleur affirme aussi que lorsqu’on lui demandait d’exécuter des tâches qui étaient plus importantes, la travailleuse se mettait au travers du chemin en l’empêchant de passer. Lorsqu’il réussissait à emprunter le chemin, elle le poussait.

 

[12]      Il relate notamment un événement alors que la travailleuse est accompagnée d’une autre employée et, s’adressant à lui-même, lui mentionne que « … le bois sent bon mais que lorsqu’il y a de la pourriture, ça pue ». Il ajoute qu’à cause des mauvaises méthodes de travail utilisées par madame Brosseau, il avait peur de se blesser. Il donne l’exemple où elle échappe des clous par terre, qu’elle ne les ramasse pas et lui interdit qu’il les ramasse lui-même, l’exposant ainsi à des chutes en pilant sur les clous.

 

[13]      Il arrivait aussi qu’elle crie lorsqu’elle lui adresse la parole et avait des termes disgracieux envers lui. Il précise qu’il travaillait constamment à proximité de madame Brosseau. Par ailleurs, il appert qu’elle avait le même comportement envers d’autres employés.

 

[14]      Dans une lettre qu’il fait parvenir à la CSST le 1er octobre 2012, le travailleur indique que madame Brosseau se sert de la cloueuse de façon non sécuritaire de sorte qu’il craint pour sa propre sécurité. Il relate également un événement au cours duquel elle monte sur la table de scie qu’il est en train d’utiliser. Elle tombe par terre. Le travailleur précise que lors de cette chute, il aurait pu se couper un doigt. Il ajoute qu’elle manœuvre des pièces de bois sans faire attention, l’exposant ainsi à des blessures. Il mentionne qu’il a demandé qu’on l’affecte à un autre département. Comme cette demande lui est refusée, il menace de quitter son emploi sans que son superviseur ne réagisse.

 

[15]      Le travailleur indique qu’il était grandement dérangé par ce climat de travail et qu’il faisait de plus en plus d’erreurs.

 

[nos soulignements]

 

[13]        Le représentant de l’employeur allègue, lors de la présentation de sa requête en révision, que dès le lendemain de l’audience tenue devant le premier juge administratif le 19 août 2013, le travailleur a commencé à appeler différentes personnes en autorité chez l’employeur pour les insulter et les menacer et que, si cela avait été connu du premier juge administratif, ce dernier aurait conclu différemment.

[14]        Le travailleur est entendu par le tribunal. Il confirme qu’à des moments qu’il ne peut préciser, mais qui se situent bien après son diagnostic de lésion psychique, et même après l’audience devant le premier juge administratif, il a effectivement appelé le directeur des ressources humaines ainsi que le propriétaire de l’entreprise. Il précise qu’il était alors toujours dépressif et qu’il était par ailleurs très frustré et très fâché des conditions de travail inacceptables qui lui avaient été imposées  et de l’attitude de son employeur dans ce dossier.

[15]        L’enregistrement et la transcription d’un message laissé au directeur des ressources humaines de l’entreprise le 14 novembre 2013 sont notamment déposés en preuve par l’employeur. Le travailleur s’y montre colérique et insultant envers l’entreprise et ses dirigeants.

[16]        Le travailleur reconnaît qu’il soit possible et même probable qu’il ait, lors de communications avec des dirigeants de l’employeur, évoqué des lacunes majeures dans la gestion et dans la sécurité des conditions de travail dans l’entreprise, dit que s’il perdait sa cause il ferait en sorte que des inspecteurs rendent visite à l’entreprise et qualifié les gestionnaires de l’entreprise de « trous de cul ».

[17]        Le travailleur ajoute ensuite qu’il n’est pas du tout quelqu’un de colérique, que, d’ailleurs, personne ne l’a jamais vu colérique au travail à l’époque et qu’il n’a aucun dossier judiciaire. Il déclare que tout ce qui s’est passé au travail chez cet employeur était hors du commun, l’a frustré et l’a mis dans cet état de colère et de dépression.

[18]        Le tribunal doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 27 août 2013 par le premier juge administratif.

[19]        Le tribunal souligne d’emblée qu’en vertu de la Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles[1] (la loi), les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel :

429.49.  Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

[20]        Bien qu’aucun appel d’une décision de la Commission des lésions professionnelles ne soit permis, une révision ou une révocation de celle-ci est possible, lorsque des conditions très strictes sont satisfaites, lesquelles sont énoncées à l’article 429.56 de la loi :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[21]        En l’occurrence, l’employeur invoque la présence d’un vice de fond de nature à invalider la décision au sens du troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi, mais également, et surtout, la découverte d’un fait nouveau au sens du second paragraphe de cet article.

La notion de vice de fond

[22]        Cette notion de « vice de fond ou de procédure de nature à invalider une décision » a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles à de multiples reprises[2], interprétation par ailleurs confirmée et précisée par la Cour d’appel à plus d’une occasion[3].

[23]        Il s’avère qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles ne peut être révisée en vertu du troisième paragraphe de l’article 429.56 que s’il est démontré par la partie qui en demande la révision qu’elle est entachée d’une erreur grave, manifeste (évidente) et déterminante.

[24]        Il a ainsi été précisé que le recours en révision ne s’apparente d’aucune façon à un appel et ne doit pas constituer un appel déguisé. La notion de vice de fond ne doit pas servir de prétexte à une répétition de la procédure initiale et à l’obtention d’une nouvelle appréciation des mêmes faits et arguments, ni constituer une occasion de bonifier ces derniers[4].

[25]        Ainsi, en 2005, la Cour d’appel, sous la plume du juge Morrissette, précise son interprétation de cette notion dans l’arrêt CSST c. Fontaine[5], devenu une référence en la matière :

[50]      En ce qui concerne les caractéristiques inhérentes d’une irrégularité susceptible de constituer un vice de fond, le juge Fish note qu’il doit s’agir d’un « defect so fundamental as to render [the decision] invalid » [46], « a fatal error » [47]. Une décision présentant une telle faiblesse, note-t-on dans l’arrêt Bourassa [48], est entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige ». […] On voit donc que la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire « un vice de fond de nature à invalider [une] décision ».

__________

[notes omises]

 

[26]        Encore récemment dans l’affaire A.M. et Régie de l’Assurance maladie du Québec[6], la Cour d’appel réaffirme ce principe selon lequel une très grande retenue est de mise en matière de révision, rappelant notamment qu’un « vice de fond de nature à invalider une décision est une erreur fatale qui entache l’essence même de sa décision, sa validité même ».

[27]        Or, en dépit du fait que ce motif soit allégué brièvement dans la requête de l’employeur, son représentant déclare lors de l’audience que son principal argument concerne la découverte d’un fait nouveau et qu’il ne plaidera que sur ce point.

[28]        Le tribunal constate par ailleurs à la lecture de la décision du premier juge administratif que, contrairement à ce qui est brièvement allégué dans la requête écrite de l’employeur, le premier juge administratif explique de façon rationnelle et conforme à la jurisprudence du tribunal le fait que la preuve soit prépondérante quant à la survenance d’un accident du travail, aucune erreur grave, manifeste et déterminante sur ce point ne ressortant de la décision et n’en justifiant la révision.

Le fait nouveau

[29]        Il est bien établi au sein de la jurisprudence, tant de la Commission des lésions professionnelle que des tribunaux judiciaires[7], que trois éléments doivent être démontrés de façon prépondérante pour qu’une décision puisse être révisée ou révoquée en vertu du premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi :

1.    La découverte, postérieurement à la décision, d’un fait qui existait au moment de l’audience;

2.    La non-disponibilité de cet élément de preuve au moment de l’audience initiale;

3.    Le caractère déterminant de cet élément sur l’issue du litige s’il avait été connu en temps utile.

[30]        Ainsi, dans l’affaire Cormier c. Commission des lésions professionnelles[8], la Cour supérieure s’exprime comme suit sur cette question, confirmant que le fait nouveau allégué doive avoir été existant au moment de l’audience initiale, mais ne pas alors avoir été disponible :

[43]      Comme cette décision est basée sur l’interprétation donnée au fait nouveau, regardons comment l’auteur Jean-Pierre VilIaggi  définit un fait nouveau :

 

« En pratique, les paragraphes 1o et 2o du premier alinéa des articles 154 L.j.a. et 429.56 L.A.T.M.P. ne posent guère de difficultés d’interprétation. Ainsi, découvrir un fait nouveau au sens du paragraphe 1 de ces articles signifie que l’on découvre pour la « première fois » après l’audience un fait nouveau, et ce, malgré des démarches adéquates. Découvrir un fait nouveau ne signifie donc pas « obtenir » après l’audience une information pertinente. De plus, découvrir un fait nouveau ne veut pas dire découvrir un témoignage de plus au sujet d’un fait déjà discuté au procès. En fait, trois éléments sont nécessaires pour que l’on puisse parler de la découverte d’un fait nouveau : « 1o la découverte, postérieure à la décision, d’un fait nouveau; 2o la non-disponibilité de cet élément au moment de l’audition; 3o le critère déterminant qu’aurait eu cet élément sur le sort du litige, s’il eût été connu en temps utile ». Soulignons ainsi qu’une nouvelle interprétation jurisprudentielle n’est pas un fait nouveau au sens du paragraphe 1 de ces articles. Ne serait pas non plus un fait nouveau que d’invoquer un nouvel argument de droit. »

 

[44]      Donc, il est exact comme le souligne le commissaire, Alain Suicco, qu’un fait nouveau doit avoir existé au moment de la première audience. […]

 

[…]

 

[46]      Il s’agit donc d’un fait qui existait au moment de l’audition du 1er septembre 2007, mais qui était inconnu et impossible à connaître puisque la CSST elle-même ne le savait pas selon ce qu’elle a écrit. Donc, il n'était pas disponible.

 

[47]      Il reste maintenant le troisième critère établi par les auteurs : est-ce que ce fait nouveau était déterminant que s’il avait été connu, il aurait modifié le sort du litige. […]

 

[nos soulignements]

 

 

[31]        Dans l’affaire Bouchard (Succession de) et Construction Norascom inc.[9], la Commission des lésions professionnelles rappelle également que le recours en révision ne peut permettre à une partie de compléter ou de bonifier sa preuve et que, notamment, il ne peut permettre à une partie d’introduire en preuve un fait postérieur à l’audience initiale.

[32]        Le tribunal rappelle alors que les décisions du tribunal sont finales et sans appel et que l’admission en preuve, en révision, de faits survenus postérieurement à l’audience initiale impliquerait la possibilité de révision perpétuelle de ces décisions à la faveur de nouveaux éléments, ce qui va à l’encontre du principe de la stabilité de la justice et de la finalité des décisions :

[39]      De toute évidence, ces éléments ne peuvent constituer des faits nouveaux. Il s’agit de littérature et d’études existantes, qu’il était possible de déposer lors de l’audience de février 2007. Il est bien établi que le recours en révision ne peut pas permettre de compléter ou bonifier une preuve.

 

[…]

 

[42]      La Commission des lésions professionnelles estime qu’il ne peut s’agir d’un fait nouveau au sens du premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi. Il ne s’agit pas d’un fait qui existait au moment de l’audience.

 

[…]

 

[44]      Accepter l’ajout d’une «preuve future» permettrait de réviser de façon perpétuelle les décisions de la Commission des lésions professionnelles qui sont finales et sans appel.

 

[45]      En résumé, les éléments de preuve auxquels réfère l’ergonome Côté ne constituent pas des faits nouveaux. On ne peut pas permettre de compléter la preuve avec des études et de la littérature déjà existantes, qui n’ont pas été produites lors de la première audience. On ne pas permettre la réouverture d’un dossier en invoquant un éventuel mémoire. Agir ainsi compromettrait le principe de stabilité et de finalité des décisions.

 

[46]      La Commission des lésions professionnelles conclut donc que les éléments de preuve soumis par la succession du travailleur ne constituent pas des faits nouveaux au sens du premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi. Il s’agit plutôt d’une tentative pour parfaire une preuve. Une partie ne peut pas tenter de venir combler les lacunes de la preuve qu'elle a eu l'occasion de faire valoir en premier lieu par le recours en révision. Sa requête est donc rejetée à cet égard.

 

[nos soulignements]

 

 

[33]        Il est répété dans la jurisprudence ayant suivi cette décision que le « fait nouveau » allégué ne doit pas être survenu ou avoir été créé après l’audience initiale, mais bien avoir existé à ce moment, tout en n’étant alors pas disponible[10].

[34]        La Commission des lésions professionnelles s’exprime notamment comme suit à ce sujet dans l’affaire Transport A. Heafey inc. et Pelletier[11] :

[19]      Ainsi, entre autres, un fait survenu postérieurement à l’audience initiale ne saurait être considéré à titre de « fait nouveau » au sens de l’article 429.56 de la loi, car cela équivaudrait à permettre l’ajout d’une « preuve future » à une enquête initiale déclarée close sur la base de laquelle une décision finale et sans appel a été rendue3:

 

[44]         Accepter l’ajout d’une «preuve future» permettrait de réviser de façon perpétuelle les décisions de la Commission des lésions professionnelles qui sont finales et sans appel.

 

[20]      Le troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi consacre, en effet, le caractère final et sans appel des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles :

429.49.

 

[…]

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

______________________

3              Bouchard (Succession) et Construction Norascon inc. et al., C.L.P. 210650-08-0306, 18 janvier 2008, L. Nadeau (07LP-259).

 

[nos soulignements]

 

[35]        En l’occurrence, le procureur de l’employeur allègue à titre de fait nouveau des agissements du travailleur ayant débuté le lendemain de l’audience tenue devant le premier juge administratif. Selon lui, ce « fait nouveau » affecte sérieusement la crédibilité du travailleur et démontre le caractère belliqueux de ce dernier, ce qui aurait entraîné une décision différente du premier juge administratif s’il en avait eu connaissance.

[36]        Or, d’entrée de jeu, le tribunal ne peut que constater que les agissements du travailleur invoqués par l’employeur sont postérieurs à l’audience tenue devant le premier juge administratif et ne rencontrent donc pas la première condition requise pour être qualifiés de « fait nouveau » au sens du premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi.

[37]        Comme mentionné précédemment, cette disposition ne permet pas à une partie de venir bonifier sa preuve et d’introduire en preuve des éléments postérieurs à l’audience, ce qui contreviendrait tout à fait au principe de la finalité et de la stabilité des décisions.

[38]        En outre, et bien que cela n’ait pas été spécifiquement plaidé, on pourrait déduire des représentations du représentant de l’employeur que le fait nouveau découvert après l’audience devant le premier juge administratif consiste en fait dans le caractère belliqueux du travailleur, révélé par ses agissements d’alors.

[39]        Or, le fait que le travailleur ait agi de façon belliqueuse, agressive et insultante après l’audience devant le premier juge administratif ne constitue pas une preuve prépondérante du fait qu’il s’agit d’un trait de caractère chez lui, déjà présent lors des événements considérés être assimilables à un accident du travail, plutôt que d’une réaction aux faits survenus chez l’employeur et à la lésion psychique qui en a découlé.

[40]        En d’autres termes, les agissements du travailleur après l’audience devant le premier juge administratif, de surcroît exclusivement à l’endroit des mandataires de l’employeur, ne démontrent pas de façon prépondérante que le travailleur présente un véritable trait de caractère belliqueux qui était présent avant ou lors de la survenance des faits qualifiés d’accident du travail par le premier juge administratif et qui se manifestait au surcroît au travail, plus particulièrement envers ses collègues.

[41]        Ainsi, même en considérant que l’employeur aurait découvert après l’audience devant le premier juge administratif que le travailleur peut avoir une attitude belliqueuse, que cela peut être considéré comme un fait nouveau, que, du fait que les agissements du travailleur ont débuté le lendemain de cette audience, cela démontre que c’était déjà le cas lors de l’audience et que, par ailleurs, cet élément de preuve n’était pas disponible au moment de l’audience, force est de conclure que la troisième condition requise pour la révision de la décision ne serait pas rencontrée.

[42]        En effet, il ne s’agit pas d’un élément qui aurait pu avoir un effet déterminant sur l’issue du litige puisque cela ne constitue pas une preuve prépondérante de l’attitude et du comportement antérieur du travailleur au travail et, plus particulièrement, à l’époque des faits reconnus par le premier juge administratif être assimilables à un accident du travail.

[43]        Force est de noter que lors de l’audience devant le premier juge administratif, l’employeur n’a fait entendre aucun témoin direct des faits retenus par le premier juge administratif comme étant assimilables à un accident du travail et n’a mis en preuve aucun comportement de nature belliqueuse de la part du travailleur à l’époque pertinente.

[44]        Le témoignage du travailleur devant le premier juge administratif quant au fait qu’une collègue de travail a eu à son endroit un comportement agressif et même dangereux, exemples à l’appui, n’a alors aucunement été contredit par l’employeur. Le fait que le travailleur ait par la suite eu une attitude agressive envers les mandataires de l’employeur ne constitue pas une preuve permettant de renverser le caractère probant et prépondérant de son témoignage quant à ces événements ni de modifier la qualification d’accident du travail qui leur a été attribuée par le premier juge administratif.

[45]        Le tribunal souligne par ailleurs que si l’employeur voulait faire la preuve du caractère et du comportement belliqueux du travailleur à l’époque concernée par la réclamation de ce dernier, soit à l’époque pertinente aux fins du litige, il lui revenait de le faire devant le premier juge administratif, ce qu’il n’a pas fait et ne peut maintenant tenter de faire dans le cadre de son recours en révision. Comme mentionné précédemment, ce recours ne saurait constituer, pour une partie, l’occasion de parfaire ou de bonifier sa preuve.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision ou en révocation de l’employeur, Vitre-Art Cab 1988 inc.

 

 

 

 

 

Louise Desbois

 

 

Monsieur Gérald Corneau

GCO Santé & Sécurité

Représentant de la partie requérante

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]            Voir notamment : Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783.

[3]            Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.);  Bourassa c. CLP, [2003] C.L.P. 601 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 22 janvier 2004;  Amar c. CSST, [2003] C.L.P. 606 (C.a.); CSST c. Fontaine, [2005] C.L.P 626 (C.A.).

[4]            Voir notamment, outre les décisions précitées aux notes 2 et 3 : Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.);  R…B… et  S.T.M. (Réseau des autobus), C.L.P. 220183-62-0311, 13 juin 2008, J. -F. Clément.

[5]            Précitée, note 3.

[6]           2014 QCCA 1067.

[7]           Voir notamment : Bourdon c. Commission des lésions professionnelles, [1999] C.L.P. 1096 (C.S.); Cormier c. Commission des lésions professionnelles, 2009 QCCS 730; Pietrangelo et Construction NCL, 107558-73-9811, 17 mars 2000, Anne Vaillancourt; Nadeau et Framatome Connectors Canada inc., 110308-62C-9902, 8 janvier 2001, D. Rivard, 2000LP-165; Soucy et Groupe RCM inc., 143721-04-0007, 22 juin 2001, M. Allard, 2001LP-64; Provigo Dist. (Maxi Cie) et Briand, 201883-09-0303, 1er février 2005, M. Carignan; Lévesque et Vitrerie Ste-Julie, 200619-62-0302, 4 mars 2005, D. Lévesque; Roland Bouchard (succession) et Construction Norascon inc. et als, 210650-08-0306, 18 janvier 2008, L. Nadeau; Gariepy et xxx, C.L.P. 247770-63-0410, 4 mars 2008, L. Nadeau; Résidences Le Monastère-SEC enr. et Lavoie, C.L.P. 386105-05-0908, 12 novembre 2010, P. Perron; Kollbec Gatineau Chrysler Jeep inc. et Côté, 2014 QCCLP 3557.

[8]           Précitée, note 7.

[9]           Précitée, note 7.

[10]         Voir notamment : Hiloua et Presse Café, 2011 QCCLP 427 ; Martin et Industries de la Rive sud ltée (Les), 2011 QCCLP 3603; Beddawi et Pharmacies Jean Coutu et J. Kahwati, 2013 QCCLP 700; Transport A. Heafey inc. et Pelletier, 2013 QCCLP 5618; Montacier International inc. et Tardif, 2014 QCCLP 1903.

[11]         Précitée, note 10.

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