______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 5 mars 2001, Aliments Vermont inc. (l’employeur) déposent à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle ils contestent une décision rendue le 28 mars 2001 par un conciliateur-décideur de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST).
[2] Par cette décision, le conciliateur décideur déclare bien fondée une plainte en vertu de l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) faite par madame Guylaine Turgeon (la travailleuse) et ordonne à l’employeur de verser sa cotisation pour la prime d’assurance dentaire pour la période du 28 juin au 22 août 2001.
[3] L’employeur est présent et représenté à l’audience tenue devant la Commission des lésions professionnelles. La travailleuse est présente et représentée.
[4] L’affaire a été prise en délibéré le 15 avril 2003, après que le représentant de la travailleuse ait produit un exemplaire de la police d’assurances et que l’employeur ait informé le tribunal qu’il n’avait pas de commentaire additionnel à faire.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la travailleuse n’a pas été l’objet d’une mesure prohibée par l’article 32 de la loi.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis d’accueillir la contestation de l’employeur. La mesure adoptée par l’employeur ne va pas à l’encontre des dispositions de la loi.
[7] Le membre issu des associations syndicales est d’avis contraire. Le fait pour l’employeur d’avoir interrompu le paiement de sa cotisation d’assurance dentaire pendant l’absence au travail de la travailleuse en raison de sa lésion professionnelle constitue une mesure de représailles.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a été l’objet d’une mesure ou d’une sanction visée par l’article 32 de la loi qui se lit comme suit :
32. L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi.
Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253.
__________
1985, c. 6, a. 32.
[9] Après avoir pris connaissance de la preuve, pesé les arguments des parties, après avoir reçu l’avis des membres issus des associations syndicales et d’employeurs et sur le tout délibéré, la Commission des lésions professionnelles conclut que la travailleuse n’a pas fait l’objet d’une mesure prohibée par l’article 32 de la loi. Cette conclusion repose sur les éléments suivants.
[10] Il est établi que le 27 juin 2000, la travailleuse subit une lésion professionnelle et doit s’absenter du travail jusqu’au 23 août 2000, date où la lésion professionnelle est consolidée.
[11] Il est aussi établi par un document apparaissant au dossier et par le témoignage de la travailleuse qu’à son retour au travail, elle apprend par l’intermédiaire d’un membre du syndicat, responsable de l’administration du régime de soins dentaires, que l’employeur a interrompu le versement de sa cotisation pendant son absence.
[12] Devant le refus de l’employeur exprimé par son directeur des ressources humaines, la travailleuse dépose une plainte en vertu de l’article 32 de la loi et obtient gain de cause, d’où, le présent litige.
[13] Le procureur de l’employeur et le représentant de la travailleuse ont développé leurs arguments respectifs.
[14] Le procureur de l’employeur invoque l’article 21.05 de la convention collective qui se lit comme suit :
À compter du 1er février 2000, l’employeur verse à une compagnie d’assurance déterminée par le syndicat, pour chacun des salariés, quinze cents (0,15$) par heure régulière travaillée ou payée, maximum de quarante (40) heures par semaine.
[15] Il plaide que cette disposition de la convention collective, tout comme l’ensemble de la convention collective, est l’expression d’une entente à laquelle l’employeur et le syndicat en sont arrivés. Or, la volonté des parties fait en sorte que l’on parle des heures travaillées. La seule obligation de l’employeur consiste à payer la cotisation prévue à l’article 21.05 à savoir en l’occurrence, 0,15 $ x 0 heures travaillées. Exécuter la volonté des parties n’est pas contraire à l’ordre public.
[16] Le procureur de l’employeur plaide ensuite que l’employeur n’est pas une partie contractante à ce régime d’assurance dentaire. Le régime de soins dentaires en vigueur est celui dont le syndicat a bien voulu se doter.
[17] Le procureur de l’employeur soumet aussi qu’il n’y a pas de preuve à l’effet que la décision de l’employeur d’agir comme il l’a fait a rendu la travailleuse inadmissible au programme de soins dentaires pour la période en question. Il n’y a pas de preuve non plus à l’effet que la travailleuse a été traitée différemment de d’autres travailleurs en arrêt de travail. Sur ce point, madame Nancy Laliberté, qui est à l’emploi de l’employeur depuis janvier 2000 et qui est responsable de l’administration de la convention collective, a expliqué au tribunal qu’en cas d’absence d’un employé, que ce soit à cause d’un accident du travail, d’une maladie ou d’un congé, l’employeur ne paie pas la cotisation mentionnée à l’article 21.05 de la convention collective.
[18] Le procureur de l’employeur plaide ensuite que l’interprétation donnée à l’article 235 dans le cas qui nous concerne est pernicieuse dans la mesure où l'on fait dire à cette disposition davantage que ce que le législateur a dit. L’article 235 n’est pas au même effet que l’article 242 de la loi : l’article 235 n’a pas pour effet qu’une fiction juridique est créée qui transforme les heures non travaillées en heures travaillées comme le veut l’interprétation de l’article 242. De plus, ces dispositions traitent de deux situations différentes, selon que le travailleur est absent de son travail et lorsqu’il retourne au travail. Ces dispositions se lisent comme suit:
235. Le travailleur qui s'absente de son travail en raison de sa lésion professionnelle:
1° ...
2° continue de participer aux régimes de retraite et d'assurances offerts dans l'établissement, pourvu qu'il paie sa part des cotisations exigibles, s'il y a lieu, auquel cas son employeur assume la sienne.
...
__________
1985, c. 6, a. 235.
242. Le travailleur qui réintègre son emploi ou un emploi équivalent a droit de recevoir le salaire et les avantages au même taux et conditions que ceux dont il bénéficierait s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence.
...
__________
1985, c. 6, a. 242.
[19] Le procureur termine sa plaidoirie en soulignant que la situation serait différente si l’employeur avait décidé d’exclure la travailleuse de sa participation au régime d’assurance collective.
[20] Le représentant de la travailleuse plaide que le fait que l’employeur ait appliqué sa politique sans problème dans le passé n’est pas pertinent.
[21] Il rappelle que le refus de l’employeur de verser sa part de cotisation repose dans son interprétation de ce que sont les heures travaillées. À cet égard, il demande à la Commission des lésions professionnelles d’adopter l’interprétation voulant que le temps d’absence en raison d’une lésion professionnelle soit considéré comme du temps travaillé et cela afin de rencontrer l’objectif visé par la loi voulant qu’un travailleur soit indemnisé de la lésion professionnelle subie et de ses conséquences.
[22] Il mentionne également que le texte de l’article 235 est clair et va dans le sens où la mesure prise par l’employeur a pour effet d’enlever un droit à la travailleuse.
[23] Il plaide ensuite que la loi est d’ordre public et que l’on ne peut y déroger dans une convention que si cela est plus avantageux pour le travailleur.
[24] La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance de la police d’assurance couvrant les employés du Syndicat des employés des Aliments Vermont. Sa lecture nous apprend que le Preneur de la police est le Syndicat des employés des Aliments Vermont, l’assureur étant SSQ Vie. Les parties au contrat sont le Preneur de la police et l’adhérent d’une part, et l’assureur d’autre part.
[25] Le raisonnement tenu par la Commission des lésions professionnelles va dans le sens des arguments développés par le procureur de l’employeur.
[26] D’abord, si l’on réfère aux termes mêmes de l’article 32 de la loi, la Commission des lésions professionnelles considère qu’il n’a pas été démontré que l’employeur a exercé à l’égard de la travailleuse des mesures discriminatoires ou de représailles en raison de la survenance d’une lésion professionnelle.
[27] Dans un premier temps, elle écarte l’application de l’article 242 de la loi, lequel traite de la détermination du salaire et des avantages devant être versés à un travailleur lors de son retour au travail, ce qui n’est pas l’objet du litige dont elle est saisie.
[28] Le litige dont doit disposer la Commission des lésions professionnelles concerne plutôt la question du paiement de la cotisation pour assurance dentaire pendant l’absence de la travailleuse en raison de sa lésion professionnelle. Or, il se trouve que l’article 235 de la loi traite justement de la participation au régime d’assurance pendant l’absence d’un travailleur pour cause de lésion professionnelle.
[29] Si tant est naturellement que l’on puisse assimiler la participation à un régime d’assurance avec la question du paiement des cotisations.
[30] À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles conclut que la mesure exercée par l’employeur pendant l’absence de sa travailleuse ne contrevient pas aux dispositions de l’article 235 de la loi.
[31] Dans un premier temps, la Commission des lésions professionnelles considère que l’article 235 de la loi traite de la continuité de la participation d’un travailleur au régime de retraites et d’assurances pendant la durée de son absence au travail pour cause de lésion professionnelle alors que le litige dont elle est saisie réside dans le fait que l’employeur n’a pas versé sa part de cotisation pendant l’absence de la travailleuse pour cause de lésion professionnelle. Il s’agit là de deux situations différentes, la seconde n’étant pas expressément prévue par l’article 235 de la loi.
[32] Ensuite, elle retient qu’effectivement, l’employeur n’est aucunement partie au contrat d’assurance dentaire qui lie le Syndicat des employés des Aliments Vermont et l’assureur. C’est en effet ce qui ressort de la lecture du contrat liant les parties.
[33] Mais, il y a encore plus. La section de la police d’assurances intitulée Terminaison de l’assurance qui se trouve à la page 7 du document nous apprend ce qu’il advient dans le cas ou un adhérant cesse de travailler activement en raison d’une maladie ou d’une blessure : l’adhérent peut demeurer assuré à la condition que le Preneur de la police, soit le syndicat et l’adhérent payent la prime de l’adhérent.
[34] L’employeur, pour sa part, respecte l’obligation à laquelle il s’est engagé par la signature de la convention collective. Ce faisant, il ne déroge pas aux dispositions de l’article 235 de la loi qui prévoit que la travailleuse continue à participer au régime d’assurances pourvu qu’elle paie sa part de cotisations exigibles auquel cas son employeur assume les siennes à savoir, ce qui est prévu par la convention collective.
[35] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette situation ne va pas à l’encontre de l’article 4 de la loi :
4. La présente loi est d'ordre public.
Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.
__________
1985, c. 6, a. 4.
[36] Dans une affaire[2] où une travailleuse n’avait pu adhérer au régime d’assurances en place chez l’employeur parce qu’elle n’avait pas accumulé l’ancienneté requise dans la police d’assurances en raison de la survenance de la lésion professionnelle, la Commission des lésions professionnelles a refusé de considérer que cette situation était contraire à l’ordre public parce que le texte de l’article 4 vise une convention entre employeur et employé et non une convention qui implique aussi un tiers, en l’occurrence, un assureur. Or, en l’espèce et tel que déjà dit, l’employeur n’a rien à voir dans le contrat d’assurance dentaire qui lie le syndicat et l’adhérent d’une part, et l’assureur d’autre part.
[37] Ces raisons mises ensemble mènent à la conclusion selon laquelle la travailleuse n’a pas subi de mesures prohibées par la loi au sens de l’article 32.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête produite le 5 mars 2001 par l’employeur, Aliments Vermont inc. (Les);
INFIRME la décision rendue le 28 mars 2001 par le conciliateur-décideur de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
DÉCLARE que la travailleuse n’a pas été l’objet d’une mesure prohibée par l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
|
|
|
Lise Collin |
|
Commissaire |
|
|
|
|
SYLVAIN TOUPIN |
|
Denis, Comtois inc. |
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
|
|
JEAN DESJARDINS |
|
C.S.N. |
|
Représentant de la partie intéressée |
|
|
JURISPRUDENCE CITÉE PAR LA TRAVAILLEUSE
- Benoit et C.H. régional du Suroît, C.L.P. 193527-62C-0211, 21 janvier 2003, M. Sauvé.
JURISPRUDENCE CITÉE PAR L’EMPLOYEUR
- Minerais Lac ltée et Meilleur, C.A.L.P. 15984-08-8912, 19 février 1991, A. Leydet;
- Fontaine et Mines Sigma Québec ltée, C.A.L.P. 55018-08-9311, 20 juillet 1994, S. Moreau;
- Placer Dome Canada ltée/Mines Sigma et C.A.L.P., C.S. 615-05-000174-940, 19 août 1996, Juge St-Julien;
- Martin et Régie intermunicipale Police Lennoxville, C.A.L.P. 70089-05-9506, 22 janvier 1996, M. Duranceau;
- Société Lucas Aérospace et Malandrakis, C.L.P. 125481-61-9910, 23 février 2000. M. Denis.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.