Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Chabot et Lafarge Groupe matériaux construction

2014 QCCLP 5678

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

9 octobre 2014

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte - Nord

 

Dossier :

474035-09-1206

 

Dossier CSST :

006417752

 

Commissaire :

Jacques David, juge administratif

 

Membres :

Jeannot Minville, associations d’employeurs

 

Gino Pineault, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Jeannôt Chabot

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Lafarge Groupe matériaux construction

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 6 décembre 2012, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose une requête selon l'article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) à l'encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 22 octobre 2012.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles déclare que monsieur Jeannôt Chabot (le travailleur) a droit au remboursement du coût d'achat du bois de chauffage pour les années 1992 à 2011, sous réserve de la production à la CSST des reçus attestant le paiement pour chacune de ces années.

[3]           Le travailleur et le procureur de la CSST sont présents à l’audience sur la requête en révision ou révocation tenue à Sept-Îles le 7 février 2014.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           La CSST demande de réviser la décision rendue le 22 octobre 2012 et de déclarer que le travailleur a droit au remboursement du bois de chauffage de sa résidence pour la période écoulée depuis le 20 septembre 2009 s’il présente des pièces justificatives.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Le membre issu des associations de travailleurs et le membre issu des associations d'employeurs émettent un avis unanime. Ils considèrent que la décision sous révision contient un vice de fond de nature à l’invalider quant à l’application de l’article 352 de la loi. Ils accueilleraient la requête de la CSST. Quant au fond du litige, ils sont d’avis qu’il y a lieu d’appliquer le délai de prescription de trois ans prévu au Code civil du Québec[2] (le Code civil).

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si elle doit réviser ou révoquer la décision du 22 octobre 2012.

[7]           L’article 429.49 de la loi prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :

429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu’une affaire est entendue par plus d’un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l’ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s’y conformer sans délai.

____________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[8]           Le recours en révision et en révocation est prévu à l’article 429.56 de la loi :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendue :

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[9]           Compte tenu de l’article 429.49 de la loi, une décision ne peut être révisée ou révoquée que s’il est établi un motif prévu à l’article 429.56.

[10]        La Commission des lésions professionnelles a jugé à de nombreuses reprises que les termes de l’article 429.56 de la loi font référence à une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation[3]. Ce principe a été retenu maintes fois. Il a été décidé également que le recours en révision ou en révocation ne peut être assimilé à un appel ni ne doit constituer un appel déguisé.

[11]        Dans le présent cas, la CSST invoque que la décision comporte un vice de procédure ou de fond qui est de nature à l’invalider. Cette expression a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles[4] comme étant une erreur manifeste, de droit ou de fait, ayant un effet déterminant sur l’issue du litige.

[12]       Dans l'arrêt Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[5], la Cour d'appel du Québec fait état des mêmes règles :

[21]      La notion (de vice de fond de nature à invalider une décision) est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments1.

____________

1.             Voir : Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-508. J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol. 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129.

 

 

[13]        La Cour d'appel reprend les mêmes règles dans l'arrêt Commission de la santé et de la sécurité du travail et Fontaine[6]. Elle ajoute que le vice de fond prévu à l’article 429.56 de la loi est assimilable à une « faille » dans la première décision, laquelle sous-tend une « erreur manifeste », donc voisine d’une forme d’incompétence.

[14]        Dans l’affaire Guénette et Commission scolaire des Hautes-Rivières[7], la Commission des lésions professionnelles a bien résumé la notion de vice de fond :

[16]      Le vice de fond de nature à invalider une décision a été interprété par la Commission des lésions professionnelles comme étant une erreur manifeste de fait ou de droit ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation. Il peut s’agir, entre autres, d’une absence de motivation, d’une erreur manifeste dans l’interprétation des faits lorsque cette erreur constitue le motif de la décision ou qu’elle joue un rôle déterminant, du fait d’écarter une règle de droit qui est claire, du fait de ne pas tenir compte d’une preuve pertinente5 ou de tirer une conclusion en l’absence totale de preuve6.

__________

5                      Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733.

6           General Motors du Canada ltée et Ouellet, C.L.P. 94174-64-9802, 11 janvier 2000, S. Mathieu; Montambeault et Hydro-Québec (Prod. therm. et nucléaire), C.L.P. 136996-04B-0004, 12 juillet 2001, M. Allard; Carter et Primeteck électroniques inc., C.L.P. 140851-62-0006, 6 mars 2003, M. Zigby; Desbiens et Produits forestiers Domtar inc., C.LP. 155003-08-0101, 7 avril 2003, P. Simard, (03LP-26); Poulin et Métro Ste-Marthe, C.L.P. 182842-64-0204, 20 octobre 2003, L. Nadeau, (03LP-190); Patenaude et Hôtel Vallée des Forts, C.L.P. 288234-62A-0604, 6 février 2008, S. Di Pasquale, (07LP-293); Caron et Planures Nord-Ouest inc., C.L.P. 364232-08-0811, 19 mars 2010, C.-A. Ducharme; Société de Transport de Montréal et Carrière, 2011 QCCLP 1000.

 

 

[15]        Ainsi, l’omission d’appliquer une règle de droit claire ou l’application erronée d’une disposition législative constitue une erreur révisable[8]. Plus récemment, la Commission des lésions professionnelles écrivait :

[11]      Notons que la jurisprudence a établi que l’omission ou le refus d’appliquer les dispositions législatives ou réglementaires pertinentes à un cas précis ou une mauvaise interprétation de celles-ci équivaut à méconnaître une règle de droit et constitue une erreur de droit manifeste qui a un effet déterminant sur le sort du litige4. [9]

__________________

4       CSST et Del Grosso, [1998] C.L.P. 866; Côté et Inerballast inc., [2000] C.L.P. 1125; Doré et Autobus Trans-Nord ltée, 152762-64-0012, 23 avril 2002, M. Bélanger; Opron inc. et C.L.P. et P.G. du Québec et CSST, C.S. Longueuil, 505-17-001370-032, 12 avril 2002, J. Verrier, juge; Services Aéroportuaires Natesco inc. et CSST, 159169-64-0104, 23 avril 2004, N. Lacroix (décision accueillant une requête en révision); Terrassements Lavoie ltée et Conseil Conjoint (FTQ) [2004] C.L.P. 194; Champagne et Ville de Montréal, 236011-63-0406, 23 février 2006, S. Di Pasquale. I.M.P. Group limited et CSST, [2007] C.L.P. 1558; Caron et Gaston Turcotte & fils inc., 312869-03B-0703, 28 septembre 2009, Monique Lamarre.

 

 

[16]        Le tribunal doit déterminer si la décision du premier juge administratif comporte un vice de fond ou de procédure qui est de nature à l’invalider.

[17]        Dans le cas présent, le premier juge administratif était saisi d’une contestation du travailleur à l’encontre d’une décision rendue par la CSST au sujet du remboursement du coût d’achat du bois de chauffage de sa résidence.

[18]        Le premier juge administratif a considéré que le travailleur conserve une atteinte permanente grave à la suite de la lésion professionnelle de 1990. Cela n’est pas remis en question ici. Il a considéré également que le chauffage au bois constitue le principal mode de chauffage de sa résidence. Cela le rend admissible au remboursement du coût d’achat par la CSST. Cela n’est pas remis en question dans le cadre de la révision.

[19]        Il conclut que le travailleur a droit au remboursement du coût d’achat du bois de chauffage pour les années 1992 à 2011, sous réserve de la production à la CSST des reçus attestant le paiement pour chacune de ces années. Il s’exprime ainsi :

[31]      Le tribunal retient du témoignage très crédible de monsieur Chabot et des documents qu'il a déposés que le chauffage au bois constitue le principal mode de chauffage de sa résidence, ce qui le rend admissible au remboursement du coût d'achat du bois de chauffage.

 

[32]      Pour y avoir droit, des factures doivent toutefois être produites. Or, à l'exception de quelques années (1992, 1994, 20126), monsieur Chabot ne semble pas être en mesure de produire des reçus à la CSST.

 

[33]      Lors de l'audience, le représentant de la CSST a soumis que monsieur Chabot n'avait pas droit au remboursement du coût d'achat du bois de chauffage pour les années antérieures à septembre 2009 parce qu'en l'absence de délai prévu à la loi pour présenter une telle réclamation, il y a lieu d'appliquer, à titre supplétif, la prescription de trois ans prévue à l'article 2925 du Code civil du Québec (le code civil), lequel se lit comme suit :

 

 

2925. L'action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont la prescription n'est pas autrement fixée se prescrit par trois ans.

 

[34]      Il dépose à ce sujet une décision de la Cour supérieure, Sinclair c. Commission des lésions professionnelles7,dans laquelle celle-ci refuse de réviser une décision de la Commission des lésions professionnelles8 qui a appliqué la prescription de trois ans à une demande de prestations d'aide personnelle à domicile.

 

[35]      La même approche a été adoptée dans la décision Charron et Marché André Martel inc.9 où la juge administrative procède à une analyse de la question. À l'inverse, un autre courant retient plutôt qu'il n'y a pas de délai10 .

 

[36]      Le tribunal estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner davantage cette question puisque peu importe le courant jurisprudentiel retenu, il en vient à la même conclusion.

 

[37]      En effet, dans l'hypothèse où l'on devrait appliquer à une demande faite en vertu de l'article 165 de la loi, la prescription de trois ans prévue au code civil, il demeurerait possible de remédier au défaut d'avoir respecté ce délai par application de l'article 352 de la loi, lequel se lit comme suit :

 

 

352.  La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.

__________

1985, c. 6, a. 352.

 

[38]      C'est la conclusion à laquelle en viendrait le tribunal après avoir considéré que le retard de monsieur Chabot a présenté une réclamation pour être remboursé du coût d'achat annuel de son bois de chauffage est imputable à la décision erronée que lui a communiquée le conseiller en réadaptation en novembre 1994, conclusion qui n'a pas fait l'objet d'une décision écrite que monsieur Chabot aurait pu contester par le dépôt d'une demande de révision.

 

[39]      L'argument du représentant de la CSST voulant qu'il ne s'agissait pas d'une décision en 1994 puisque n'ayant pas produit une facture, monsieur Chabot, n'avait pas valablement présenté une réclamation, n'est pas retenu. La même situation n'a pas empêché la CSST de rendre la décision 22 décembre 2011 qui est à l'origine du présent litige.

 

[40]      Après considération de la preuve au dossier, des arguments présentés et de la jurisprudence sur la question, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que monsieur Chabot a droit au remboursement du coût d'achat annuel du bois de chauffage pour les années 1992 à 2011, sous réserve de la production à la CSST des reçus attestant le paiement pour chacune de ces années. [sic]

____________

6           Il convient de noter que le litige ne concerne pas l'achat effectué en 2012 pour la saison hivernale 2012-2013.

7           2011 QCCS 3637.

8           Sinclair et Prévost Car inc. (Division Novabus), 2010 QCCLP 4729.

9           2010 QCCLP 5362, révision sur une autre question rejetée, 2011 QCCLP 5854; au même effet : St-Cyr et Cascades Récupération (Sherbrooke), 2010 QCCLP 8190; Grondin et Entreprises Dominique Grondin inc., 2012 QCCLP 305.

10          Trad et Tabac Dynasty inc., 2010 QCCLP 5299.

 

[Nos soulignements]

 

 

[20]        En révision, la CSST reconnaît d’emblée que le travailleur a droit au remboursement de ce coût, mais seulement pour les années 2009 et suivantes.

[21]        Elle soutient toutefois que le premier juge administratif a commis des erreurs de droit manifestes et déterminantes en accordant la possibilité de remboursement pour les années antérieures à 2009.

[22]        Elle soutient d’abord que le premier juge administratif n’était pas saisi du droit au remboursement du bois de chauffage depuis 1992. Il n’y a aucune réclamation, ni décision, ni litige couvrant cette période, sauf pour l’année 1994 où la CSST a «informé» le travailleur du refus pour cette année-là.

[23]        Elle expose que le pouvoir accordé à la Commission des lésions professionnelles par l’article 377 ne peut s’exercer que dans le cadre du litige dont elle est saisie, soit le refus de remboursement pour l’année 2011.

377.  La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

 

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

__________

1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[24]        Selon elle, le premier juge administratif ne pouvait se saisir de la possibilité d’octroyer le remboursement pour les années 1992 à 2009 puisque les décisions de la CSST contestées devant lui ne concernent pas ces années.

[25]        En somme, la procureure plaide qu’en se prononçant sur les années antérieures à 2009, le premier juge administratif s’est substitué au premier palier décisionnel désigné par le législateur à l’article 349 de la loi. La compétence de la Commission des lésions professionnelles est tributaire d’une décision de la CSST tel que le prévoient les articles 358 et 359 de la loi.

349.  La Commission a compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée dans la présente loi, à moins qu'une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme.

__________

1985, c. 6, a. 349; 1997, c. 27, a. 12.

 

 

358.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.

 

Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.

 

Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1.

 

Une personne ne peut demander la révision du taux provisoire fixé par la Commission en vertu de l'article 315.2.

__________

1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.

 

 

359.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.

__________

1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.

 

 

[26]        Le tribunal en révision considère que ce reproche n’est pas fondé. En effet, la première formation du tribunal était valablement saisie d’une contestation du travailleur. Il appartenait au premier juge administratif d’en préciser la portée.

[27]        La procureure de la CSST soutient également que le premier juge administratif a commis une autre erreur en ce qu’il n’a pas été conséquent avec ses propos tenus à l’audience et dans la salle d’attente et qu’il a ainsi commis un excès de compétence en brimant l’expectative légitime du procureur de la CSST au sujet de la décision à intervenir.

[28]        L’écoute attentive de l’enregistrement de l’audience devant le premier juge administratif et la lecture de la transcription produite révèlent que ce reproche n’est pas fondé. Le tribunal en révision ne peut retenir qu’effectivement le premier juge administratif a clairement et définitivement laissé entendre aux parties que s’il reconnaissait le droit du travailleur au remboursement du coût du bois de chauffage de sa résidence, il ne ferait pas rétroagir ce droit au-delà de l’année 2009. Le procureur de la CSST devant le premier juge administratif a possiblement cru cela, mais il s’agit d’une perception erronée de sa part. La réflexion du juge administratif n’était pas terminée au moment de l’audience.

[29]        Elle plaide enfin que le premier juge administratif ne pouvait appliquer l’article 352 de la loi afin de «relever» le travailleur du défaut d’avoir respecté le délai de prescription du Code civil. La procureure soutient que dans ce contexte, le premier juge administratif a commis une erreur de compétence lorsqu’il a refusé d’appliquer à titre supplétif le délai de prescription de trois ans prévu à l’article 2925 du Code civil.

[30]        À tout événement, mentionne la procureure de la CSST, il n’y a eu aucune décision de la CSST couvrant ces années. Il n’est donc pas possible de relever le travailleur d’un quelconque défaut au sens de l’article 352, si tant est que cette disposition puisse être utilisée par la Commission des lésions professionnelles sans que la CSST ait au préalable exercé le pouvoir qu’elle prévoit :

352.  La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.

__________

1985, c. 6, a. 352.

 

[Notre soulignement]

 

 

[31]        À ce sujet, dans sa décision, le premier juge administratif procède à une analyse sommaire des arguments qu’avait présentés le procureur de la CSST de l’époque quant à l’application à titre supplétif de la prescription prévue à l’article 2925 du Code civil. Il fait état d’un jugement de la Cour supérieure et de quelques décisions de la Commission des lésions professionnelles, dont l’une ne fait pas état de l’article 2925 du Code civil, sans les analyser. Toutefois, il ne tranche pas la question de l’application de cette disposition à une demande formulée selon l’article 165 de la loi. 

[32]        Il retient que peu importe le courant jurisprudentiel retenu, c'est-à-dire peu importe si cette disposition du Code civil doit être appliquée ou non, il considère que l’article 352 de la loi permet de remédier au défaut d’avoir respecté le délai de prescription prévu au Code civil.

[33]        Cette affirmation du premier juge administratif constitue une erreur de droit. L’article 352 de la loi mentionne essentiellement la possibilité de prolonger un délai prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles pour l’exercice d’un droit et non pas d’un délai de prescription extinctive prévu au Code civil du Québec.

[34]        Aucune disposition du Code civil ne prévoit la possibilité de relever une personne du défaut de respecter un délai de prescription extinctive. Le Code civil prévoit des cas de suspension de la prescription. Ainsi, la prescription est suspendue notamment dans le cas de l’impossibilité d’agir d’une personne, soit par elle-même, soit par l’intermédiaire d’un représentant[10]. Ce n’est d’ailleurs pas le critère retenu par l’article 352 de la loi. Il existe des cas d’interruption de la prescription extinctive également, généralement par l’exercice du droit en cause avant l’arrivée du terme. Les autres situations sont totalement étrangères à la situation du travailleur ici[11].

[35]        Le tribunal en révision retient donc que d’appliquer les dispositions de l’article 352 de la loi dans le cas présent constitue une erreur de droit manifeste. Il convient toutefois de déterminer s’il s’agit d’une erreur déterminante. Comme l’enseigne la jurisprudence, si l’erreur commise n’a pas ce caractère, il ne peut y avoir révision de la décision.

[36]        Dans le cas présent, le premier juge administratif a utilisé la forme conditionnelle afin d’exposer son raisonnement. Ainsi il mentionne que s’il devait appliquer l’article  2925 du Code civil, il appliquerait l’article 352 de la loi pour relever le travailleur du défaut de respecter le délai de prescription. Or cette application constitue une erreur de droit. Il convient donc de déterminer ce qu’il reste de la décision une fois écartée la possibilité de remédier à un défaut par l’utilisation de l’article 352 de la loi.

[37]          Ainsi, deux hypothèses sont possibles.

[38]        La première suppose que le délai de prescription du Code civil ne s’applique pas. Dans ce cas, étant donné que l’article 165 de la loi ne prévoit aucun délai, le travailleur peut soumettre une demande de remboursement du coût d’achat du bois de chauffage en tout temps pour toutes les années antérieures. Il n’a pas à être relevé d’un quelconque défaut. Il n’y a pas de défaut tout simplement. Il peut donc réclamer le remboursement pour les années 1992 à 2011.

[39]        La seconde suppose que le délai de trois ans prévu au Code civil s’applique et aucune disposition législative ne permet de passer outre à ce délai. Ainsi au moment de réclamer le remboursement du coût d’achat du bois de chauffage, la période couverte ne peut excéder trois ans. Dans ce cas, il faudrait conclure que le remboursement ne peut couvrir que les coûts du bois de chauffage encourus durant les années 2011, 2010 et 2009 seulement.

[40]        À l’évidence, l’application de l’une ou l’autre des hypothèses conduit à des résultats bien différents. Il y a là un impact déterminant.

[41]        Or, le premier juge administratif ne s’est pas prononcé sur l’application à titre supplétif du délai de prescription de l’article 2925 du Code civil compte tenu de l’erreur de droit qu’il a commise au sujet de l’application de l’article 352 de la loi. En d’autres termes, il n’a pas choisi entre les deux hypothèses parce qu’il s’est induit en erreur.

[42]         Ainsi, il en découle que l’erreur de droit manifeste au sujet de l’application de l’article 352 de la loi revêt le caractère déterminant sur le sort de la décision requis pour donner ouverture à la révision.

[43]        La décision du premier juge administratif comporte un vice de fond de nature à l’invalider et elle doit être révisée. Toutefois, cette révision ne vise pas le droit au remboursement du coût d’achat du bois de chauffage, cela n’est pas remis en question en révision. Elle ne vise que la période couverte par la possibilité de remboursement.

[44]        La jurisprudence maintenant nettement majoritaire du tribunal retient que dans le cas de l’aide personnelle à domicile[12] et les frais d’entretien du domicile[13] accordés dans le cadre d’un plan individualisé de réadaptation, il y a lieu d’appliquer le délai de prescription prévu à l’article 2925 du Code civil à titre supplétif, car la loi ne prévoit aucun délai dans ce cas précis[14].

[45]        Plusieurs décisions de la Commission des lésions professionnelles ont toutefois conclu à l’absence de délai pour réclamer une prestation conformément à ces dispositions[15]. Ces décisions ne traitent pas du délai prévu au Code civil. Il semble d’ailleurs que cela n’avait pas été plaidé.

[46]         Dans ce contexte, procédant à rendre la décision en révision, le présent tribunal considère approprié de s’inspirer de la jurisprudence nettement majoritaire de la Commission des lésions professionnelles laquelle a aussi été considérée raisonnable par la Cour supérieure. Il y a donc lieu d’appliquer à l’article 165 de la loi, le délai de prescription extinctive de trois ans prévu au Code civil à l’article 2925.

[47]        Étant donné que le délai de prescription extinctive ne peut être prolongé, le travailleur n’a droit au remboursement du coût d’achat du bois de chauffage que pour une période de trois ans antérieure à la date de sa demande de septembre 2011.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;

RÉVISE la décision rendue le 22 octobre 2012 par la Commission des lésions professionnelles;

ACCUEILLE en partie la contestation de monsieur Jeannôt Chabot, le travailleur;

INFIRME la décision rendue le 1er mai 2012 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement du coût d’achat du bois de chauffage pour les années 2009 à 2011, sous réserve de la production à la Commission de la santé et de la sécurité du travail des reçus attestant le paiement pour chacune de ces années.

 

 

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Jacques David

 

 

 

 

Me Sonia Grenier

VIGNEAULT, THIBODEAU, BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1]          L.R.Q. c. A-3.001.

[2]          RLRQ, c. C-1991.

[3]           Voir notamment Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783.

[4]           Id.

[5]           [2003] C.L.P. 601 (C.A.).

[6]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.); également dans CSST et Toulimi, C.A. 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette, Bich, 05LP-159.

[7]           2012 QCCLP 6414.

[8]           Latocca et Abattoir les Cèdres ltée, 249464-71-0411, 11 novembre 2005, M. Denis; Champagne et Ville de Montréal, 236011-63-0406, 23 février 2006, S. Di Pasquale; Olymel Vallée-Jonction et Donovan 2013 QCCLP 1155.

[9]           Montréal (Ville de) (Arrondissement Plateau-Mont-Royal) et Gagnon, 2014 QCCLP 2846.

[10]         Article 2904 du Code civil.

[11]         Articles 2989 et ss du Code civil.

[12]         Articles 158 et ss de la loi.

[13]         Article 165 de la loi.

[14]         Sinclair et Prévost Car inc. et CSST, 2010 QCCLP 4729, révision judiciaire rejetée, 2011, QCCS 3637; Charron et Marché André Martel inc., 2010 QCCLP 5362, révision rejetée sur une autre question, 2011 QCCLP 5854; Jovanovic et Laboratoires Shermont inc., 2011 QCCLP 6984; S… G… et Compagnie A, 2012 QCCLP 305; René et Mittal Canada inc., 2012 QCCLP 2246; Marcotte et Chemin de Fer Nationaux du Canada, 2012 QCCLP 1319; Bourbeau et Société des alcools du Québec, 2013 QCLP 6675; Pouliot et Coopérative forestière du Nord-Ouest, 2013 QCCLP. 4546.

[15]         Notamment, Montminy et St-Jérôme Bandag inc. (2008) C.L.P. 308; Trad et Tabac Dynasty inc., C.L.P. 399587-71-0912, 14 juillet 2010, S. Lévesque.

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