M.S. et Compagnie A |
2011 QCCLP 3682 |
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[1] Le 20 octobre 2009, le travailleur, monsieur M... S..., conteste devant la Commission des lésions professionnelles la décision rendue le 6 octobre 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initialement rendue le 15 mai 2009. Elle déclare que le diagnostic de dépression multiple n’est pas en relation avec l’événement du 14 septembre 2000 et que le travailleur n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) en regard de ce diagnostic.
[3] Le 8 mars 2010, une audience a été tenue à Joliette à laquelle assistaient le travailleur et son procureur de l’époque, Me Jean Desrosiers. À l’issue de cette séance, le travailleur obtenait un délai pour compléter sa preuve et soumettre ses arguments.
[4] L’échéance a été reportée à quelques reprises parce que l’état de santé du procureur du travailleur ne lui permettait pas d’agir. Depuis le 5 juillet 2010, sans cesser d’occuper, Me Desrosiers n’est plus intervenu.
[5] En août 2010, la juge administrative soussignée a requis, elle-même, la copie des documents médicaux attendus. Le 25 octobre 2010, elle a transmis à Me Desrosiers ce qui avait été obtenus des docteurs François Pigeon et Sylvie Forget. Elle requerrait alors le dépôt d’une argumentation écrite au plus tard le 19 novembre 2010.
[6] Le 25 octobre 2010, Me André Laporte comparaissait pour le travailleur en remplacement de Me Desrosiers. Quelques jours plus tard, il demandait un délai additionnel pour produire une argumentation écrite ce que le tribunal a autorisé. L’échéance a été établie au 7 janvier 2011.
[7] Le 6 janvier 2011, la Commission des lésions professionnelles recevait cette argumentation accompagnée de documents et autorités. Le dossier a été mis en délibéré à ce moment.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[8] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le diagnostic de dépression est en relation avec la lésion professionnelle du 14 septembre 2000 et avec les rechutes ultérieures.
LES FAITS
[9] Le travailleur occupe un emploi de mécanicien. Il est au service de l’employeur, [la Compagnie A], depuis 9 mois lorsqu’il se blesse au travail.
[10] Le 14 septembre 2000, il chute d’un camion remorque et se blesse au dos, aux membres inférieurs ainsi qu’au poignet et à l’épaule du côté droit. Le diagnostic final est établi par le docteur Denis Laflamme du Bureau d’évaluation médicale qui retient que le travailleur a subi une entorse lombaire sur une discopathie étagée ainsi qu’une entorse au poignet droit. Ces lésions sont consolidées le 18 décembre 2000, sans besoin de traitement ultérieur et sans séquelle permanente.
[11] Pendant la période de consolidation, le travailleur développe des symptômes psychiques. En novembre 2000, le docteur Bégin mentionnait une dépression surajoutée. Un antidépresseur est prescrit ce qui apporte une certaine amélioration.
[12] En mars 2001, le travailleur produit une nouvelle réclamation à la CSST en rapport avec l’événement lésionnel du 14 septembre 2000. Il explique qu’il a tenté un retour au travail le 13 février 2001. Il a été incapable de monter dans un camion.
[13] Cette réclamation est acceptée par la CSST à titre de rechute, récidive ou aggravation survenue le 13 mars 2001.
[14] Selon les notes du docteur Pigeon, le diagnostic retenu est une hernie discale. Un arrêt de travail de 3 semaines est recommandé. Une prescription de médicaments est faite.
[15] Le 28 mars 2001, le docteur Pigeon inscrit aux notes cliniques que le travailleur ressent une lombalgie chronique en raison de l’arthrose et de la hernie discale L4-L5. Il mentionne que le travailleur doit être vu en neurochirurgie.
[16] Le 6 juin 2001, le travailleur subit une discectomie L4-L5 gauche pratiquée par le docteur Robert Lefrançois. Il est suivi par ce médecin qui, par la suite, constate une excellente évolution post-opératoire. Il prévoit une consolidation vers le 5 novembre 2001.
[17] Le docteur Lefrançois constate finalement que la lésion professionnelle est consolidée le 3 décembre 2001, et que le travailleur reste avec des séquelles permanentes dont un déficit anatomophysiologique de 6% en raison d’une perte d’amplitude articulaire en flexion antérieure et d’une discectomie à un niveau lombaire.
[18] À cette date, le travailleur ne prend plus d’analgésique. Il ne semble pas y avoir de symptômes résiduels puisque le docteur Lafrançois indique que la symptomatologie a régressé. Il ne rapporte pas de plainte de la part du travailleur. D’ailleurs, environ un mois auparavant le docteur Pigeon avait noté une amélioration à 90 %.
[19] Au début de l’année 2002, le travailleur est admis en réadaptation.
[20] Le 8 novembre 2002, la CSST rend une décision relative à la capacité de travail du travailleur. Elle retient un emploi convenable de chauffeur d’autobus scolaire que le travailleur est en mesure d’occuper à compter du 30 octobre 2002.
[21] Le travailleur est alors informé qu’il recevra une pleine indemnité de remplacement du revenu jusqu’au 29 octobre 2003 et par la suite une indemnité de remplacement du revenu réduite.
[22] Le travailleur voit son médecin en décembre 2002 et en décembre 2003. Il se plaint, entre autres, de douleurs lombaires.
[23] Le tribunal comprend que l’état psychique du travailleur s’est détérioré de sorte que le 8 janvier 2004, il se présente au Centre hospitalier Pierre Legardeur. Le médecin consulté diagnostique une dépression majeure avec idée suicidaire. Le travailleur se plaint de douleurs chroniques au niveau lombaire également. Il est hospitalisé et le restera 31 jours.
[24] Le 9 février 2004, le médecin qui signe le congé indique que le trouble psychique dont souffre le travailleur est relié en partie aux douleurs chroniques avec composante psychologique. Il mentionne également que le trouble de l’humeur est lié à la consommation de cannabis. On lit aussi que, durant l’hospitalisation, le travailleur a pu avouer un crime dont il était complice il y a plusieurs années ce qui a réduit son anxiété. Le médecin écrit que le travailleur « quitte aujourd’hui non déprimé, non suicidaire après avoir bénéficié de deux congés d’essai fructueux ». Le médecin lui prescrit une médication. Le travailleur est suivi par la suite à la clinique externe de psychiatrie.
[25] Pendant l’hospitalisation, une radiographie de la colonne lombosacrée est réalisée. La radiologue Francine Fontaine indique que l’image présente des anomalies compatibles avec une diminution de l’espace L4-L5 par rapport à celle de 2000 ainsi qu'une progression des modifications arthrosiques.
[26] Le 8 mars 2004, la psychiatre Sylvie Forget évalue le travailleur. Elle rapporte une hospitalisation antérieure, soit en 1998, pour une dépression majeure résolue avant l’année 2000. Elle indique des antécédents toxicologiques et ajoute qu’au moment de la dernière hospitalisation, le travailleur consommait du cannabis quotidiennement. Outre les douleurs, la psychiatre Forget identifie plusieurs éléments de stress, comme les difficultés financières et l’incapacité physique reliée à la douleur.
[27] Le 10 mars 2004, le travailleur subit un électromyogramme. La docteure Liliana Rosu mentionne alors que le travailleur souffre de douleurs lombaires irradiant à la fesse droite et à la face postérieure de la cuisse jusqu’aux orteils. Le malaise est présent depuis environ un an.
[28] Elle pratique un examen médical. Elle observe une mobilité réduite de la colonne lombaire. Le Lasègue est positif à 30o du côté droit. Il y a également une hypoesthésie au niveau de la racine S1 droite. Elle indique qu’il y a des signes de radiculopathie chronique surtout dans le territoire de S1 droit. Elle suggère une résonance magnétique.
[29] Du mois d’avril au mois de décembre 2004, le docteur Pigeon transmet à la CSST des rapports médicaux en raison de problèmes lombaires du côté droit. Il indique que les lombalgies sont en augmentation. Il demande une résonance magnétique et il prescrit de la physiothérapie. Il produit un rapport final le 15 décembre 2004 indiquant, entre autres, une lombalgie chronique pour laquelle il ne peut offrir aucun traitement additionnel.
[30] Pendant son suivi, le docteur Pigeon avait obtenu les résultats d’une résonance magnétique effectuée le 1er octobre 2004. Le docteur Pierre Lacaille-Bélanger qui interprétait les résultats de l’examen, indiquait une image de lombarisation complète de la vertèbre S1. Au niveau du site de la chirurgie, il ne voyait pas de récidive herniaire. Il notait la présence de matériel hypo intense comblant le récessus latéral gauche suggérant une fibrose péridurale entourant la racine gauche.
[31] Parallèlement au suivi du docteur Pigeon, le travailleur est vu en clinique externe de psychiatrie. L’un des stresseurs est lié aux douleurs lombaires non soulagées. Le médecin qui suit le travailleur indique que le soulagement des malaises du travailleur est primordial pour sa santé mentale. Le travailleur prend de la médication en rapport avec sa condition psychique.
[32] Le 12 janvier 2005, le travailleur voit la psychiatre Forget qui le suit depuis son hospitalisation. Il mentionne que son incapacité totale a été confirmée par un médecin. Il veut entreprendre des démarches avec un avocat afin de faire changer la décision de la CSST. Son état psychique est mieux. Il ne consomme plus de cannabis depuis quelques semaines. Il veut se sevrer de sa médication. La médecin maintient la prescription du Seroquel, de l’Effexor et de l’Elavil.
[33] À la visite suivante, la docteure Forget note que le travailleur a cessé l’Effexor de lui-même en raison de problème financier. Malgré une tendance à l’impulsivité présente de longue date, l’état du travailleur est stable avec la prise du Seroquel.
[34] En septembre 2005, l’Effexor est de nouveau prescrit à la suite d’une consultation en urgence. À ce moment, les stresseurs sont issus de difficultés familiales, des douleurs chroniques, de plaintes des voisins, de difficultés financières et administratives :
Les stresseurs sont les suivants : dispute avec son gendre il y a quelques mois, persistance de douleur chronique (même s’il semble résigné à vivre avec cette douleur) mais surtout des plaintes répétées de la part des voisins concernant ses activités « professionnelles » (réparation de voiture) dans une zone résidentielle. Il y a 2 infractions notifiées par écrit il y a un mois et demi avec la possibilité d’une amende s’il y a persistance des dites infractions (ce qui ne ferait qu’empirer la situation et serait un stress supplémentaire étant donné ses revenus limités). Il comprend mieux maintenant les récriminations des voisins et le rôle de la ville de faire respecter la loi, ce qui n’était pas le cas et provoquait beaucoup de rage avec idées de vengeance chez lui. C’est d’ailleurs ce genre d’idées qui l’ont amené à consulter à l’urgence. Cependant, il persiste à dire qu’il continuera à réparer ses propres véhicules et ceux de ses enfants et ce, malgré les conséquences possibles …
Autre stresseur important, il n’a pas rencontré le paiement d’une dette résidentiel à l’assurance-chômage de 2 600 $ en mai dernier. Il ne faut pas négliger non plus le stresseur chronique qu’est la contestation du montant versé par la CSST.
[35] La docteure Forget donne un diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur anxiodépressive et perturbation des conduites. Elle indique que la douleur chronique peut avoir une influence sur la condition psychique mais que le principal élément qui influence l’état du travailleur vient des problèmes de voisinage.
[36] Le suivi en psychiatrie reprend et permettra de solutionner une condition découlant de difficulté conjugale liée à la condition physique du travailleur. La docteure Forget interrompra les visites en psychiatrie au mois de septembre 2006 avec le maintien de la médication à prendre et un suivi à faire par le docteur Pigeon.
[37] Le 15 mars 2006, le docteur Pigeon revoit le travailleur lequel se plaint toujours de douleurs lombaires. Le médecin note que son patient est peu mobile en raison des douleurs. Les manœuvres du tripode et du Lasègue sont cependant négatives.
[38] La condition du travailleur évolue en dents de scie. Par exemple en septembre 2006, le docteur Pigeon écrit au dossier clinique du travailleur que la lombalgie droite avec irradiation au membre inférieur droit est présente depuis trois semaines. En octobre, le travailleur se plaint également de douleurs dorsales. En juin 2007, le docteur Pigeon écrit cette fois : « lombalgie va et vient ».
[39] Pendant cette période, le moral du travailleur est rapporté comme bon par le docteur Pigeon. La médication (Effexor et Seroquel) est maintenue.
[40] En avril 2008, l’état psychique du travailleur se détériore quelque peu. Le docteur Pigeon écrit aux notes cliniques que la lombalgie persiste. Le travailleur éprouve de la difficulté à la marche prolongée. Il ne peut pas rester debout plus de 15 minutes. Le moral est plus ou moins bon.
[41] En novembre 2008, le travailleur est de nouveau hospitalisé pour une dépression majeure. Le médecin mentionne trois causes, soit une séparation conjugale, des douleurs chroniques et un abus de cannabis. Il obtient un congé le 10 décembre 2008.
[42] Pendant l’hospitalisation, le travailleur se plaint de douleurs lombaires irradiant derrière la jambe droite ainsi que de parésie et de paresthésie aux membres inférieures. Un anti-inflammatoire et un analgésique sont prescrits.
[43] Le 9 décembre 2008, le travailleur subit une résonance magnétique. La radiologue Julie Labrosse en interprète les résultats. Elle indique que depuis l’examen précédent, il semble y avoir eu récidive de hernie entraînant des sténoses foraminales modérées.
[44] Le 15 janvier 2009, le docteur Pigeon transmet une attestation médicale à la CSST. Il indique que le travailleur connaît une récidive de hernie discale et qu’il éprouve des douleurs importantes. Il demande une consultation en orthopédie.
[45] Ce 15 janvier 2009, le docteur Pigeon signe une note où il indique que la dépression majeure du travailleur et l’anxiété ont pour origine la lombalgie et l’invalidité secondaire à la hernie discale.
[46] Le 19 janvier 2009, le travailleur fait une réclamation à la CSST en raison de la récidive de la hernie discale et la dépression majeure.
[47] En avril 2009, le travailleur voit le docteur Gilles Maurais, en orthopédie, qui lui prescrit une épidurale lombaire. Un avis similaire est donné un peu plus tard par le docteur Yves Bergeron de l’Institut de physiatrie.
[48] Le 28 avril 2009, la CSST accepte la réclamation du travailleur en ce qui concerne la condition lombaire. Elle juge qu’il y a une récidive de la hernie discale L4-L5. Elle indemnise le travailleur en conséquence.
[49] Quelques semaines plus tard, elle refuse de reconnaître une relation entre la dépression majeure et la lésion professionnelle d’origine. On trouve aux notes évolutives les motifs de cette conclusion :
CONSIDÉRANT qu’à la lecture des notes cliniques, le travailleur a une condition personnelle psychologique depuis au moins 2004 (problèmes d’argent, familiaux, etc.);
CONSIDÉRANT que contemporainement à la demande de rechute, récidive ou aggravation de janvier 2009, les stresseurs dépressifs mentionnés dans les notes cliniques en psychiatrie sont multifactoriels et la preuve au dossier ne démontre pas, de manière prépondérante que c’est sa lésion physique qui a engendré ce diagnostic de dépression. On retrouve et ce, malgré l’aggravation de sa hernie discale, plusieurs facteurs personnels importants qui ont influencé sur le psychique du travailleur et pour lesquels il est en suivi médical depuis 2004 et sous médication;
PAR CONSÉQUENT, la dépression multiple ne peut être mise en relation avec l’événement du 14 septembre 2000.
[50] Par la suite, le travailleur reste sous les soins du docteur Maurais lequel lui prescrit du Supeudol et du Neurontin. Le médecin demande une consultaiton en psychosomatique.
[51] Après une tentative de soulager le travailleur avec des traitements conservateurs, le 15 septembre 2010, le docteur Maurais signe le rapport final. Le travailleur reste avec des séquelles permanentes au plan physique et des limitations fonctionnelles importantes si bien que la CSST le considère totalement incapable.
[52] Le 10 décembre 2010, le psychiatre Serge Gauthier produit une expertise dans le dossier. Il examine le travailleur après avoir fait la revue du dossier. Il mentionne que le travailleur vit de nouveau avec sa conjointe. Il ne consomme plus de cannabis depuis le 1er septembre 2009. Il prend encore un analgésique, un anxiolotique et un hypnotique. Le travailleur lui dit qu’il se sent souffrant, irritable et anxieux. Il vit un certain découragement. Il est peu actif.
[53] Le docteur Gauthier indique que la condition du travailleur au plan psychique découle de l’accident du 14 septembre 2000 et à l’incapacité qui en a résulté. Il mentionne également les préoccupations du travailleur face à l’avenir.
[54] À l’audience, le travailleur relie ses problèmes psychiques à ses douleurs chroniques. Il relate les principaux éléments du suivi psychiatrique. Il mentionne que ses problèmes lombaires ont progressé jusqu’à avoir mal à tous les membres inférieurs. Au début la douleur était tolérable. Il y a eu aggravation au fil du temps.
[55] Il explique qu’il prenait du cannabis pour calmer la douleur. Il a consulté en psychiatrie pour la première fois lorsque les prestations de la CSST ont diminué significativement.
[56] Il raconte qu’il a eu des démêlés avec certains voisins lorsqu’il a fait la réparation de voitures à domicile. Il ajoute que ces problèmes conjugaux découlent de ses problèmes physiques.
L’AVIS DES MEMBRES
[57] Le membre issu des associations d’employeurs accueillerait en partie la contestation du travailleur. Il considère que la réclamation vaut pour l’épisode de juin 2008 liée en partie aux douleurs chroniques. Il ajoute qu’il y a eu par le passé des épisodes de dépressions multiples pour lesquelles il n’y a pas de réclamation. De sorte qu’on ne peut faire rétroagir la reconnaissance du caractère professionnel de la dépression multiple à une période antérieure. À son avis, le délai de six mois de l’article 270 de la loi n’a pas été respecté pour ces périodes sans preuve et motifs raisonnables pour excuser l’inaction.
[58] Le membre issu des associations syndicales accueillerait la contestation du travailleur. Il croit que les médecins, qui ont soigné le travailleur, établissent sans contredit une relation entre les douleurs chroniques, l’invalidité physique qui en découle et les troubles psychiques. Le travailleur a droit aux prestations prévues par la loi en relation avec cette incapacité.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[59] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le diagnostic de dépression multiple posé par le médecin traitant le docteur Pigeon est en relation avec la lésion professionnelle et ses conséquences physiques.
[60] Peut-il s’agir d’une aggravation de la lésion professionnelle du 14 septembre 2000 ? Le tribunal juge que la preuve prépondérante va dans ce sens.
[61] La loi définit l’expression «lésion professionnelle» à son article 2 :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[62] Il y a donc trois formes de lésion professionnelle : la lésion causée par un accident du travail, la maladie professionnelle et la rechute, récidive, aggravation d'une lésion professionnelle antérieure.
[63] Le travailleur ne soutient pas avoir subi un accident du travail. Il ne prétend pas non plus être atteint d’une maladie professionnelle au sens de la loi et il n'a offert aucune preuve en ce sens.
[64] Le Tribunal doit donc analyser la preuve soumise en rapport avec les éléments qui permettent d'établir l'existence d'une rechute, récidive ou aggravation.
[65] La loi ne définit pas cette expression autrement qu'en précisant qu'elle est comprise dans la notion de lésion professionnelle. Ainsi, la Commission des lésions professionnelles en retient le sens courant, à savoir une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence d'une lésion ou de ses symptômes.
[66] La recherche de la relation entre la rechute, récidive, aggravation alléguée et la lésion professionnelle antérieure exige une analyse des faits qui tient compte des paramètres suivants : la gravité de la lésion initiale, l'existence de limitations fonctionnelles ou d'une atteinte permanente découlant de cette lésion, les conditions de retour au travail, la continuité des symptômes, le suivi médical depuis le retour au travail, les conditions de nature personnelle, la compatibilité des symptômes allégués au moment de la rechute, récidive, aggravation avec la lésion initiale. Aucun de ces paramètres n'est, en soi, déterminant. La preuve doit être analysée globalement.[2]
[67] Dans le présent dossier, le travailleur a développé une lombalgie chronique à la suite de son accident du travail du 14 septembre 2000. Les symptômes se sont graduellement compliqués de douleurs aux membres inférieurs.
[68] Depuis 2004, tous les médecins ont noté les plaintes du travailleur à cet égard. Ils ont relié l’aggravation de la condition psychique du travailleur à ces symptômes et à l’incapacité qui en a résultée. En toute vraisemblance, les troubles relationnels du travailleur sont issus également des difficultés à vivre avec la douleur.
[69] Le tribunal retient l’avis des docteurs Forget et Pigeon à cet égard puisque ces médecins ont suivi le travailleur sur une période de plusieurs années. Ils ont pu constater son état et donner un avis éclairé sur les causes de la dépression multiple. Le tribunal constate que la douleur et l’incapacité physique sont un élément qui revient constamment.
[70] D’autres facteurs sont également impliqués. Toutefois comme le psychiatre Forget l’indique le soulagement de la douleur chronique est un élément primordial à la santé mentale du travailleur. De l’avis du tribunal, cela en fait un facteur causal significatif et déterminant.
[71] De surcroît, le tribunal constate que la médication prise pour contrôler les symptômes psychiques a été prescrite à la suite de la première hospitalisation. Le travailleur la prend toujours. D’ailleurs, certaines récidives de symptômes sont justement survenues en raison de tentatives de sevrage contrôlé ou non.
[72] Il est vrai qu’antérieurement à l’accident du travail, le travailleur a connu un épisode dépressif. Toutefois, il apparaît que cet état était en complète rémission au moment de l’accident du travail dont il est question dans le présent dossier.
[73] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que la condition psychique du travailleur est une aggravation en relation avec la lésion professionnelle du 14 septembre 2000 et que celui-ci a droit aux prestations prévues par la loi en relation avec cette condition.
[74] Un commentaire doit être fait en ce qui concerne le délai de réclamation. L’employeur qui était absent à l’audience n’a pas soulevé cette question. La CSST a rendu une décision sur le fond de la réclamation du travailleur sans faire d’objection de la recevabilité de la réclamation. On peut donc inférer qu’elle a implicitement relevé le travailleur de son défaut de présenter une réclamation dans le délai prévu par la loi.
[75] De surcroît, iI faut souligner comme le prescrit l’article 2878 du Code civil du Québec qu’un tribunal ne peut soulever d’office le non respect d’un délai de prescription :
2878. Le tribunal ne peut suppléer d'office le moyen résultant de la prescription.
Toutefois, le tribunal doit déclarer d'office la déchéance du recours, lorsque celle-ci est prévue par la loi. Cette déchéance ne se présume pas; elle résulte d'un texte exprès.
[76] Or, le délai de réclamation prescrit aux articles 270 et 271 de la loi, que la CSST peut prolonger et dont le non respect peut être excusé pour un motif raisonnable, s’assimile à un délai de prescription.
[77] Le présent tribunal juge donc qu’il n’a pas lieu dans le cadre du présent litige de rendre une décision relativement au délai de réclamation puisqu’aucune des parties non plus que la CSST n’ont soulevé cette question et qu’il est implicite que la CSST a jugé la réclamation du travailleur recevable.
[78] Le procureur actuel du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de se prononcer sur les conséquences médicales de la lésion psychique du travailleur. Avec respect, le présent tribunal juge qu’il ne lui appartient pas de rendre une décision à cet égard considérant que la CSST ne s’est pas encore prononcée. La décision contestée ne porte que sur le caractère professionnel de la condition psychique du travailleur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la contestation du travailleur, monsieur M... S...;
INFIRME la décision rendue le 6 octobre 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la condition psychique du travailleur est une aggravation de la lésion professionnelle du 14 septembre 2000 et que celui-ci a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en raison de cette condition.
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Michèle Juteau |
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Me André Laporte |
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Laporte & Lavallée, avocats |
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Représentant de la partie requérante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.