Bernard et Services Matrec inc. |
2008 QCCLP 1668 |
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[1] Le 10 juillet 2006, monsieur Paul Bernard (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue le 27 juin 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable, parce que hors délai, la demande de révision de la décision initiale du 17 janvier 2006 refusant la réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation subie le 24 octobre 2005. La CSST réclame la somme de 881,40 $ versée par Services Matrec inc. (l'employeur) du 25 octobre au 7 novembre 2005.
[3]
Dans sa décision, la révision administrative confirme la décision
initiale du 25 avril 2006 et refuse d’appliquer l’article
[4] À l’audience tenue à Longueuil le 13 décembre 2007, le travailleur est présent et représenté. L'employeur est représenté tout comme la CSST.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5]
Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de
le relever de son défaut d’avoir contesté la décision du 17 janvier 2006 dans
le délai prescrit et de déclarer qu’il a subi une récidive, rechute ou
aggravation le 24 octobre 2005. Il demande subsidiairement d’appliquer
l’article
LES FAITS
[6] Le travailleur est né le 27 août 1969 et est éboueur chez l'employeur depuis six à sept ans lorsque survient l’événement du 3 septembre 2004 à l’origine du présent litige et qui est décrit comme suit dans le formulaire de réclamation du travailleur à la CSST :
Je travailler comme d’habitude, a ramasser les vidanges tout en pivottant. Quand je me suis pencher en pivottant pour ramasser quand je me suis redressie ça barré. [sic]
[7] Cet événement a été reconnu comme un accident du travail ayant causé une entorse dorsolombaire.
[8] Une résonance magnétique lombaire passée le 1er mars 2005 révèle la présence d’une légère arthrose facettaire bilatérale en L3-L4 et L4-L5 et d’une discopathie dégénérative d’un degré léger à modéré, d’une dégénérescence discale et d’une hernie discale à large rayon de courbure postérieure au niveau L5-S1, mais sans sténose foraminale.
[9] Le 1er avril 2005, le docteur Serge Ferron signe un rapport final dans lequel il consolide la lésion le même jour, avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles.
[10] Devant une divergence d’opinions médicales entre le docteur Ferron et le médecin désigné de l'employeur, l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale est demandé.
[11] Dès le 31 mai 2005, le dossier du travailleur est transféré en réadaptation puisque l’évaluation médicale faite par le docteur Ferron prévoit une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles qui ne lui permettront très probablement pas de refaire son emploi prélésionnel.
[12] Le 13 juin 2005, la conseillère en réadaptation affectée au dossier du travailleur rencontre ce dernier afin de faire connaissance et d’obtenir des informations. À cette date, seules les limitations fonctionnelles du docteur Ferron sont connues. Comme ces dernières feront en sorte que le travailleur ne pourra plus faire son emploi d’éboueur, d’autres emplois potentiels chez l'employeur sont envisagés dont ceux de chauffeur, chauffeur-ramasseur et préposé au centre de tri.
[13] Le 20 juin 2005, le docteur Pierre-Paul Hébert, orthopédiste, examine le travailleur à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale. Son avis porte sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.
[14] À l’examen physique, le docteur Hébert mesure des amplitudes articulaires de la colonne lombosacrée diminuées dans presque tous les axes, soit une inclinaison à 20° à gauche alors qu’elle est normale à 30° à droite, des rotations limitées à 20° de chaque côté, une extension lombaire limitée à 20° et une flexion antérieure ne dépassant pas 70°. Il n’y a cependant aucun déficit neurologique ni signe de tension radiculaire. Le docteur Hébert semble en effet considérer normale une élévation des membres inférieurs à 80°. C’est pourquoi il retient 2 % de déficit anatomophysiologique pour une entorse lombaire avec séquelles objectivées en raison d’une perte de mobilité lombaire multidirectionnelle. Il retient les limitations fonctionnelles suivantes :
En tenant compte du diagnostic retenu par la CSST d’entorse lombaire et en tenant compte de l’examen objectif réalisé aujourd’hui, je suggère que ce travailleur évite les gestes répétés de :
- Tirer, pousser, soulever, manipuler des objets de plus de 20 kilos.
- Ramper, grimper.
- Travailler en position accroupie.
- Effectuer des mouvements lombaires dans toutes les directions.
- Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne lombaire.
[15] Comme le docteur Hébert signale que ces limitations fonctionnelles correspondent à la classe I de l’Institut de recherche en santé et sécurité du travail, il y a lieu de reprendre ces dernières dans leur texte original qui se lit comme suit :
COLONNE LOMBOSACRÉE
CLASSE I : Restrictions légères
Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :
∙ soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kg
∙ travailler en position accroupie
∙ ramper, grimper
∙ effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire
∙ subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale.
[16] Le 18 juillet 2005, une deuxième rencontre avec le travailleur est faite toujours avec la conseillère en réadaptation. À cette date, la CSST a reçu l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale et les limitations fonctionnelles de classe I qu’il a retenues. La conseillère demande au travailleur de dresser une liste de dix emplois qu’il aimerait faire et de la lui faire parvenir par la poste.
[17] Le 21 septembre 2005, une rencontre a lieu à l’établissement de l'employeur. À cette date, tous s’entendent pour dire que l’emploi d’éboueur ne respecte pas les limitations fonctionnelles du travailleur. L'employeur propose alors le poste de préposé au centre de tri. Le travailleur n’est pas d’accord car, selon lui, c’est un emploi sans potentiel. Après explications de la définition de l’emploi convenable au travailleur, les personnes présentes regardent si l’emploi de trieur respecterait les limitations fonctionnelles du travailleur telles qu’émises par le membre du Bureau d’évaluation médicale.
[18] En regard de la limitation fonctionnelle d’éviter des mouvements lombaires dans toutes les directions, le travailleur est d’avis que cette limitation ne serait pas respectée. Il dit mesurer cinq pieds et dix pouces et demi et que partant, il serait obligé de faire une flexion du tronc pour prendre les différents contenants sur la chaîne de montage. La conseillère en réadaptation est cependant d’avis que lors de ses visites au centre de tri, elle n’a pas remarqué que les travailleurs avaient l’obligation de faire des mouvements répétés de la colonne lombaire. À la suite de ces considérations, le travailleur dit qu’il croit que s’il fait ce travail, il va faire une rechute. De plus, il signale qu’il aimerait un poste d’inspecteur qu’il a eu l’occasion de faire en assignation temporaire. Or, selon l'employeur, le travailleur ne possède pas les qualifications pour un tel poste. Il est noté que le travailleur a beaucoup de difficulté à contenir sa colère à la fin de la visite.
[19] Contrairement à ce qui avait été prévu, un rapport d’un ergothérapeute, dans un autre dossier, ne peut pas être appliqué au cas du travailleur parce que les limitations fonctionnelles sont très différentes dans les deux cas. La conseillère en réadaptation demande donc à l'employeur de faire une autre visite du poste pour prendre les mesures afin de s’assurer que les limitations fonctionnelles du travailleur soient respectées.
[20] Le 18 octobre 2005, une nouvelle visite du poste est effectuée chez l'employeur. Avant cette rencontre, la conseillère en réadaptation a rencontré le travailleur et la responsable des ressources humaines chez l'employeur afin de donner des précisions sur les limitations fonctionnelles retenues par le membre du Bureau d’évaluation médicale. Ainsi, comme ce dernier réfère à la classe I selon l’Institut de recherche en santé et sécurité du travail, elle donne la description textuelle de ces limitations.
[21] Comme la conseillère en réadaptation a retenu que le travailleur ne devait pas effectuer des mouvements lombaires d’amplitude « extrême » dans toutes les directions, selon le texte de l’Institut de recherche en santé et sécurité du travail, bien que le membre du Bureau d’évaluation médicale ne l’ait pas précisé, elle est d’avis, après observation du poste de travail et mesures de la largeur du convoyeur et de sa hauteur, que les préposés au tri n’ont pas à faire de mouvements extrêmes de la colonne lombaire dans toutes les directions. Elle reconnaît qu’il y a des torsions et des flexions impliquées mais que celles-ci ne sont jamais extrêmes.
[22] Après la visite, la conseillère en réadaptation a rencontré le travailleur avec la représentante des ressources humaines de l'employeur afin d’avoir leurs commentaires. Le travailleur parle alors du problème qu’il aurait à travailler debout. La conseillère en réadaptation lui précise que ce problème ne fait pas partie de ses limitations fonctionnelles. Il répond qu’il y a cependant beaucoup de mouvements de torsion du tronc.
[23] Comme le travailleur se dit disposé à faire un essai pour vérifier sa capacité à exercer cet emploi, la conseillère en réadaptation l’informe qu’elle va rendre une décision de capacité puisqu’elle est d’avis que l’emploi de préposé au tri respecte ses limitations fonctionnelles. Ils s’entendent pour qu’une décision de capacité soit rendue le 24 octobre 2005.
[24] Le travailleur affirme cependant qu’il fera le travail car il n’a pas le choix mais que s’il a des douleurs, il est certain qu’il retournera voir son médecin pour arrêter le tout. La conseillère en réadaptation a expliqué au travailleur les critères permettant de reconnaître une récidive, rechute ou aggravation et la nécessité d’une preuve objective d’aggravation. L'employeur a également informé le travailleur que ce poste pouvait être temporaire en attendant que d’autres s’ouvrent et qu’il se qualifie.
[25] Le 24 octobre 2005, la conseillère en réadaptation écrit dans ses notes que la lettre de décision de capacité est faite en date de ce jour car il était entendu que le travailleur commençait l’emploi convenable à cette date. Elle précise qu’elle confirmera le salaire par la suite, dès qu’elle aura l’information de l'employeur.
[26] Un peu plus tard, ce même 24 octobre 2005, l'employeur téléphone à la conseillère en réadaptation pour l’aviser que le travailleur s’est rendu au travail le matin même et qu’il a quitté après une heure en disant qu’il allait voir son médecin. L'employeur lui a offert une ceinture lombaire pour poursuivre son travail, mais le travailleur l’a refusée.
[27] Le premier médecin qui a vu le travailleur le 24 octobre 2005, à la même clinique que son médecin traitant, ne l’a pas examiné mais a écrit dans ses notes qu’il s’agit d’un patient suivi par un collègue pour lombalgie et qui a commencé à travailler ce jour. Il écrit que le travailleur a fait deux heures et que « ça brûle comme du feu ». Le médecin lui suggère de communiquer avec la CSST et de prendre un rendez-vous avec son médecin traitant.
[28] Le 25 octobre 2005, le travailleur communique avec la conseillère en réadaptation pour l’informer qu’il a fait une tentative de travail la veille et que cela n’a pas fonctionné. Il dit ne pas pouvoir faire ce travail car la douleur reprend. C’est pourquoi il est allé à l’urgence.
[29] Le 28 octobre 2005, le travailleur revoit le docteur Décarie, son médecin traitant. Ce dernier écrit dans ses notes que le travailleur a repris le travail, le lundi 24 octobre, au triage, debout, et qu’après deux heures, la douleur a repris. À l’examen, le docteur Décarie dessine une étoile de Maigne qui illustre que le travailleur a des limitations d’amplitude de sa colonne dorsolombaire dans tous les axes, mais sans les mesurer. Il parle également de douleur à L5-S1 gauche. Le tripode est cependant négatif et le Lasègue est plus ou moins à 75°. Le docteur Décarie retient le diagnostic de lombalgie (entorse lombaire) et écrit que le travail est non compatible avec les limitations fonctionnelles émises par le membre du Bureau d’évaluation médicale.
[30] Le 1er novembre 2005, le travailleur informe sa conseillère en réadaptation qu’il a vu son médecin le vendredi 28 octobre 2005 qui lui a remis un rapport médical sur lequel il parle de récidive de douleur avec le travail au centre de triage et du fait que ce travail n’est pas compatible avec les limitations fonctionnelles retenues par le membre du Bureau d’évaluation médicale.
[31] Ce même 1er novembre 2005, le travailleur signe un formulaire de réclamation à la CSST dans lequel il décrit la survenance d’une récidive, rechute ou aggravation en date du 24 octobre 2005 en ces termes :
Mon employeur ma retourner travailler sur une lingne de travail a produition ou que ça demande des torsions dans le dos. J’ai été capable de suive la lingne pendant deux heures. Apres je n’était plus capable de faire le travail demander, causer par la douleur, il m’a offert une ceinture dorsal pour meder ou d’aller voir mon médecin, ce que j’ai fait. [sic]
[32] Le 2 novembre 2005, la CSST rend la décision concernant le salaire de l’emploi convenable de préposé au tri.
[33] Le 17 janvier 2006, la CSST rend la décision par laquelle elle refuse la réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation survenue le 24 octobre 2005.
[34] Le 20 janvier 2006, le docteur Décarie diagnostique une entorse lombaire et parle de récidive le 16 janvier 2006. Il est à noter que cette visite coïncide avec un voyage en Abitibi que le travailleur a effectué à cette période.
[35] À l’audience, le travailleur déclare que l’emploi au centre de tri ne l’intéressait pas. Il confirme que le 24 octobre 2005, il a travaillé sur un convoyeur d’une largeur de 36 pouces avec 6 ou 7 collègues. D’une main, il devait ramasser les contenants cirés et de l’autre, les contenants de plastique pour les lancer dans de grands bacs placés de chaque côté de lui. Comme le convoyeur lui arrivait à la hauteur du bassin, il dit qu’il devait nécessairement se pencher pour attraper les contenants et les mettre ensuite dans les bacs. Il reconnaît qu’après quelque temps, il a baissé la base sur laquelle il était, pour être moins haut par rapport à la courroie et ainsi diminuer les mouvements de flexion.
[36] Le travailleur déclare qu’il a fait du mieux qu’il pouvait mais qu’il était étourdi au point où il a failli perdre conscience. On lui a dit que c’était normal en commençant. Comme il essayait de s’adapter, le bas de son dos s’est mis à brûler comme du feu. C’était vers 9 heures, à l’heure de la pause. Un autre travailleur l’a aidé à se rendre au bureau du superviseur qui lui a offert une ceinture lombaire qu’il a refusée. C’est alors qu’il a quitté pour se rendre à l’urgence de la clinique médicale où pratique son médecin traitant.
[37] Le 20 janvier 2006, le travailleur appelle à la CSST et se dit très fâché de la décision du 17 janvier 2006 refusant sa réclamation pour une rechute.
[38] Le 17 mars 2006, le travailleur conteste la décision du 17 janvier 2006.
[39] Le travailleur déclare à l’audience qu’il se souvient avoir reçu la décision du 24 octobre 2005 déterminant l’emploi convenable qu’il était capable d’occuper à cette date, mais qu’il ne l’a pas contestée parce que durant cette période, il était préoccupé par la vente de sa maison. Il a compris qu’il n’avait pas le choix que d’accepter cet emploi et qu’à cette date, il n’avait pas d’avocat pour le conseiller.
[40] Quant à la décision du 2 novembre 2005 déterminant le salaire annuel de son emploi convenable de préposé au tri, le travailleur déclare ne pas l’avoir vue parce qu’il était en train de déménager durant cette période. Il n’a pas fait son changement d’adresse parce qu’il habitait tantôt chez sa mère, tantôt chez son frère, mais allait régulièrement, aux deux semaines, à son ancienne adresse pour voir si tout allait bien et en profitait pour prendre son courrier.
[41] Le travailleur déclare avoir fait son changement d’adresse à la CSST en février ou mars 2006 parce qu’avant, il ne savait quelle adresse donner.
[42] Interrogé sur la décision du 17 janvier 2006 refusant sa réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation le 24 octobre 2005, le travailleur déclare dans un premier temps que lorsqu’il l’a vue pour la première fois, il était déjà hors délai pour la contester. Un peu plus tard, il reconnaît qu’il l’a eue par les nouveaux propriétaires et croit que c’était au début ou à la mi-février. C’est alors que des amis lui ont conseillé de consulter un avocat.
[43] Le travailleur a finalement consulté sa procureure quelques semaines plus tard, soit le 17 mars 2006, date où cette dernière a fait parvenir la contestation de la décision du 17 janvier 2006 par télécopieur.
[44] Madame Christine Guy, conseillère en réadaptation, a témoigné à l’audience. Elle rappelle que les limitations fonctionnelles de classe I consistent à éviter de façon répétée des mouvements lombaires d’amplitude extrême. Elle rappelle que selon l’évaluation du membre du Bureau d’évaluation médicale, le travailleur peut faire une flexion antérieure du tronc de 70° et une extension à 20°. Elle est d’avis que selon son observation, le poste de travail n’exige pas une flexion antérieure de plus 70°. Quant aux mouvements de torsion, elle signale que le travailleur peut bouger les pieds pour les éviter. Quant à la hauteur du convoyeur, elle rappelle que le travailleur pouvait ajuster sa base pour qu’elle lui arrive à la hauteur du nombril afin d’éviter les mouvements de flexion.
[45] La conseillère en réadaptation déclare ensuite qu’elle n’a pas fait faire une évaluation par un ergothérapeute parce que le travailleur se plaignait surtout qu’il avait de la difficulté à garder la position debout pendant une longue période. Or, rappelle-t-elle, cette limitation fonctionnelle n’a pas été retenue par le membre du Bureau d’évaluation médicale. De plus, elle réitère que selon les limitations fonctionnelles de classe I de l’Institut de recherche en santé et sécurité du travail, le travailleur doit éviter les mouvements extrêmes de la colonne lombosacrée, ce qui est, selon son observation, absolument absent dans le travail au centre de tri.
L’AVIS DES MEMBRES
[46] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis de relever le travailleur de son défaut d’avoir contesté la décision du 17 janvier 2006 dans les délais prescrits. Ils croient en effet qu’il a fait montre de diligence en manifestant son désaccord par téléphone à la CSST dans les délais et en se cherchant un procureur dès après avoir reçu la décision environ deux semaines après son expédition. Ils croient cependant que le travailleur n’a pas démontré avoir subi une récidive, rechute ou aggravation le 24 octobre 2005 puisque les seules notes médicales du docteur Décarie en date du 28 octobre 2005 ne permettent pas de conclure à une détérioration objective de sa condition à cette date.
[47]
Le membre issu des associations d'employeurs est également d’avis que
l’article
[48]
Le membre issu des associations syndicales considère pour sa part que
l’article
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[49] La Commission des lésions professionnelles doit d’abord décider si le travailleur a démontré un motif raisonnable permettant de le relever de son défaut d’avoir contesté la décision du 17 janvier 2006 dans les délais prescrits.
[50] Les articles 358 et 358.2 sont nécessaires à la solution de cette question et se lisent comme suit :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365 .
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1 .
358.2. La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.
[51] En vertu de l’article 358, le travailleur avait 30 jours à compter de la réception de la décision du 17 janvier 2006 pour la contester. Or, il a reconnu à l’audience l’avoir reçue au début ou à la mi-février 2006. Sa contestation du 17 mars 2006, par sa procureure, était donc hors du délai de 30 jours prévu à la loi.
[52] Le tribunal considère cependant que le travailleur a démontré un motif raisonnable permettant de le relever de son défaut. En effet, il a fait montre de diligence en communiquant son désaccord à la CSST, dès le 20 janvier 2006. De plus, il y a lieu de retenir que le 17 janvier 2006, le travailleur n’avait plus d’adresse fixe, ayant été contraint de vendre l’immeuble où il habitait. Enfin, le délai pour contester par écrit est attribuable au temps qu’il a mis pour se trouver un représentant.
[53] La Commission des lésions professionnelles examinera donc si le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 24 octobre 2005 de sa lésion professionnelle du 3 septembre 2004.
[54] La lésion professionnelle est définie à la loi en ces termes :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
[…]
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
[55] Il n’y a pas de définition, à la loi, du concept de récidive, rechute ou aggravation. C’est pourquoi la jurisprudence a élaboré différents critères permettant d’en analyser l’existence. Parmi ces critères, retenons l’identité du site de lésion et du diagnostic, la gravité de la lésion initiale, la consolidation de cette lésion avec ou sans atteinte permanente et limitation fonctionnelle, le temps écoulé entre la date de consolidation et la rechute et le suivi médical entre les deux. Il a également été retenu que le travailleur devait démontrer, à la date alléguée de sa récidive, rechute ou aggravation, une détérioration objective de son état de santé.
[56] Nous avons vu que l’accident du travail du 3 septembre 2004 a entraîné une entorse dorsolombaire pour laquelle le travailleur conserve un déficit anatomophysiologique de 2 % et les limitations fonctionnelles de classe I émises par le membre du Bureau d’évaluation médicale. Nous savons également que cette lésion a été consolidée le 1er avril 2005.
[57] Le seul examen contemporain à l’arrêt de travail du 24 octobre 2005, pour lequel le travailleur demande la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation, est celui du docteur Décarie, le 28 octobre 2005. Or, à cette date, le docteur Décarie parle de limitations d’amplitudes de la colonne dorsolombaire dans tous les axes, mais sans en préciser les degrés. Nous savons que lors de son examen du 20 juin 2005, le docteur Hébert, membre du Bureau d’évaluation médicale, avait lui aussi mesuré des amplitudes articulaires diminuées dans tous les axes en en précisant par ailleurs les degrés. De plus, il avait mesuré une élévation des membres inférieurs à 80° qu’il considérait dans les limites de la normale. Dans ce contexte, le seul Lasègue à plus ou moins 75°, rapporté par le docteur Décarie dans son examen du 28 octobre 2005, n’est pas suffisant à lui seul pour conclure à une détérioration objective de l’état de santé du travailleur à cette date. En effet, son examen semble trop flou ou trop approximatif pour conclure objectivement à une détérioration de la condition du travailleur.
[58]
Le tribunal retient également que les circonstances dans lesquelles
survient cette consultation. En effet, et nous y reviendrons dans l’analyse de
l’application de l’article
[59] Le tribunal retient également le fait que pour appuyer sa demande de récidive, rechute ou aggravation, le travailleur ne possède que l’examen du 28 octobre 2005 puisque la deuxième visite au docteur Décarie est le 20 janvier 2006, alors que ce dernier parle d’une récidive en date du 16 janvier 2006 référant, selon la preuve, à un voyage en Abitibi par le travailleur à cette date.
[60] À cet égard, la décision Chassé[2] déposée par la procureure du travailleur ne peut aider sa cause. En effet, dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles avait à décider de la capacité d’une travailleuse à exercer son emploi prélésionnel qui n’existait plus au moment de la décision. Or, cet emploi était très exigeant physiquement puisque la travailleuse devait soulever de lourds chaudrons et des malles dont le poids n’avait pas été mesuré par l’ergonome, non plus que les espaces de travail.
[61] Dans le cas sous étude, dans un premier temps, la CSST a tout de même déclaré le travailleur incapable de refaire son travail lourd d’éboueur. Finalement, c’est avec l’aide de l’employeur qu’elle a trouvé un emploi convenable dont elle a observé le poste à deux reprises et mesuré les plans de travail afin de s’assurer que les limitations fonctionnelles soient respectées. Il devient dès lors extrêmement inopportun de comparer les deux situations puisque, faut-il le rappeler, dans le dossier qui nous occupe, l’emploi convenable n’a pas été contesté.
[62] Pour toutes ces raisons, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur n’a pas démontré, par une preuve prépondérante, qu’il a subi une récidive, rechute ou aggravation le 24 octobre 2005.
[63]
Reste maintenant à décider si le travailleur peut bénéficier de
l’application de l’article
51. Le travailleur qui occupe à plein temps un emploi convenable et qui, dans les deux ans suivant la date où il a commencé à l'exercer, doit abandonner cet emploi selon l'avis du médecin qui en a charge récupère son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par la présente loi.
Le premier alinéa ne s'applique que si le médecin qui a charge du travailleur est d'avis que celui-ci n'est pas raisonnablement en mesure d'occuper cet emploi convenable ou que cet emploi convenable comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur.
[64] Pour bénéficier de l’application de cet article, un travailleur doit démontrer qu’il a occupé à plein temps un emploi convenable; qu’il a dû l’abandonner dans les deux ans de la date où il a commencé à l’exercer et qu’il a obtenu préalablement l’avis d’un médecin à l’effet qu’il n’est pas raisonnablement en mesure d’occuper cet emploi ou encore que cet emploi comporte un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique.
[65] Dans le cas sous étude, il est difficile de prétendre que le travailleur a occupé à plein temps l’emploi convenable déterminé. En effet, il a arrêté de travailler dès après deux heures de travail en alléguant une douleur au dos.
[66] Mais ce qui est plus important, dans cette affaire, ce n’est pas tellement le fait que le travailleur ait arrêté de travailler deux heures après le début de son travail, mais les circonstances entourant cet arrêt qui, selon l’avis du tribunal, le rendait tout à fait prévisible. En effet, dès le 21 septembre 2005, le travailleur démontrait une absence d’intérêt pour cet emploi qu’il trouvait sans potentiel. De plus, dès cette date, il affirme que s’il devait faire ce travail, il ferait rapidement une réclamation pour une rechute. Il précise d’ailleurs, à cette même date, qu’il préférerait le poste d’inspecteur pour lequel il n’a pas les qualifications, selon l’employeur. Il considère donc cet emploi comme une rétrogradation.
[67] Le tribunal constate également qu’avant même de débuter l’emploi convenable, le travailleur parle, à quelques occasions, de la difficulté qu’il aurait à travailler debout. Or, les limitations fonctionnelles retenues par le membre du Bureau d’évaluation médicale ne retiennent pas cette restriction. De plus, encore en octobre 2005, le travailleur prévoit déjà arrêter cet emploi à la moindre douleur.
[68] Le tribunal constate également que le travailleur quitte après seulement deux heures d’exercice de son emploi convenable après avoir refusé la ceinture lombaire que lui offrait son employeur. Ce refus illustre bien lui aussi, de l’avis du tribunal, que le travailleur n’a fait aucun effort pour tenter de s’habituer à ce nouvel emploi. De plus, il est étonnant de constater que le travailleur n’ait pas pensé à baisser la base sur laquelle il était pour avoir le convoyeur à une hauteur plus convenable à sa taille, alors qu’il connaissait très bien cette possibilité et le travail qu’il avait à faire.
[69]
Toutes ces considérations ne militent pas en faveur d’une tentative
sérieuse du travailleur d’exercer l’emploi convenable à temps plein. Il ne respecte
donc pas, à première vue, la première condition de l’application de l’article
[70] Quant à l’avis de son médecin à l’effet qu’il ne serait pas raisonnablement en mesure d’exercer l’emploi convenable, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que ce n’est pas tellement le fait que cet avis survienne après coup qui fait que les conditions d’application de l’article 51 ne sont pas respectées, mais également le fait que le travailleur, malgré qu’il en aurait eu l’occasion, n’ait pas discuté de cet emploi convenable avec son médecin avant de l’occuper. Qui plus est, non seulement il arrête de travailler deux heures après le début de son quart de travail, mais en plus, il n’a pas réussi, malgré ses tentatives, à démontrer qu’il a subi une récidive, rechute ou aggravation à la suite de cet arrêt de travail.
[71] Dans ce contexte, l’avis du docteur Décarie n’est pas concluant compte tenu de l’ensemble des circonstances du présent dossier.
[72] À cet égard, les trois décisions déposées par la représentante du travailleur ne convainquent pas le tribunal. En effet, les faits dans l’affaire Vallée[3] sont fort différents de ceux du cas sous étude. En effet, dans cette affaire, le travailleur était porteur de deux hernies discales L4-L5 et L5-S1 pour lesquelles il s’est vu reconnaître des limitations fonctionnelles de classe II.
[73] Le 29 septembre 2003, il débute l’occupation de l’emploi convenable déjà déterminé d’estimateur en sinistre. Un mois plus tard, soit le 30 octobre 2003, il consulte une première fois son médecin pour une exacerbation de ses douleurs. Ce dernier recommande un arrêt de travail, mais le travailleur poursuit quand même en réduisant son rythme.
[74] Par la suite, le 3 novembre, le 27 novembre et le 5 décembre 2003, le docteur Roy, chirurgien-orthopédiste, constate une aggravation de la condition du travailleur et détermine qu’il est à ce moment porteur de limitations fonctionnelles de classe III. Il recommande au travailleur de cesser son emploi convenable puisqu’il est d’avis qu’il ne respecte pas ses limitations fonctionnelles. Le travailleur cesse finalement d’occuper son emploi convenable le 19 décembre 2003, soit après près de trois mois de tentative.
[75] Enfin, en janvier 2004, le médecin qui a charge et le docteur Roy émettent tous les deux un avis que l’emploi convenable est incompatible avec les limitations fonctionnelles du travailleur.
[76] Ces faits diffèrent grandement de ceux du cas sous étude. En effet, dans cette affaire, le travailleur a poursuivi tant bien que mal son emploi convenable pendant près de trois mois, malgré les avis de son médecin traitant et d’un expert orthopédiste, qui lui suggéraient d’arrêter en raison d’une incompatibilité entre ses limitations fonctionnelles et son emploi. On ne peut donc, dans ce cas, douter de la bonne foi du travailleur pour tenter d’occuper l’emploi convenable déterminé. Qui plus est, le travailleur, dans cette affaire, a consulté à quatre reprises deux médecins différents avant de finalement cesser d’occuper son emploi. Ainsi, bien que non officiellement écrit, le travailleur avait pu bénéficier de l’avis de deux médecins différents dont un orthopédiste, à l’effet que son emploi convenable était incompatible avec ses limitations fonctionnelles. Dans le cas sous étude, faut-il le rappeler, non seulement le travailleur n’a consulté aucun médecin avant d’arrêter de travailler, mais en plus, il n’a même pas terminé une première journée de travail dans les circonstances décrites plus haut.
[77] La décision Gadbois[4] n’aide pas non plus le travailleur en ce que là encore, les faits sont fort différents de son cas. Également dans cette affaire, le travailleur était porteur d’une hernie discale L5-S1 pour laquelle il s’est vu reconnaître 14,40 % d’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles de classe III.
[78] Après la détermination de son emploi convenable, il a tenté de l’occuper pendant près de deux semaines avant de constater que sa condition physique se détériorait. À cet égard, l’employeur a corroboré le témoignage du travailleur à l’audience. Or, bien que le travailleur ne soit pas retourné à son travail pendant quelques jours pour se reposer avec l’accord de son employeur, ce n’est qu’après avoir consulté son médecin traitant qui a émis l’avis que ses limitations fonctionnelles étaient incompatibles avec son emploi convenable, qu’il a informé son employeur qu’il ne pourrait plus reprendre son emploi.
[79] Encore là, dans cette affaire, contrairement au cas sous étude, le travailleur a occupé à plein temps, pendant près de deux semaines, son emploi convenable et a finalement informé son employeur de son incapacité de le poursuivre après avoir obtenu l’avis de son médecin traitant. C’est dans ce contexte que l’article 51 a pu être appliqué.
[80]
C’est pourquoi la Commission des lésions professionnelles est d’avis que
le travailleur n’a pas démontré de façon prépondérante que l’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée le 10 juillet 2006 par monsieur Paul Bernard à la Commission des lésions professionnelles;
RELÈVE le travailleur de son défaut d’avoir contesté la décision du 17 janvier 2006 dans les délais prescrits;
CONFIRME la décision rendue le 27 juin 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Paul Bernard n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 24 octobre 2005 et qu’il devra rembourser la somme de 881,40 $ versée par Services Matrec inc. du 25 octobre au 7 novembre 2005;
DÉCLARE que l’article
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Me Hélène Marchand |
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Commissaire |
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Me Lysanne Dagenais |
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Représentante de la partie requérante |
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M. Gérald Corneau |
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GCO Santé et sécurité inc. |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me André Breton |
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Panneton, Lessard |
Représentant de la partie intervenante
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Chassé et Sœurs de la charité d’Ottawa, C.L.P. 157778-62-0103 et al., 20 février 2002, J.-F. Martel.
[3] Vallée et Construction & Rénovation M. Dubeau inc.,
C.L.P.
[4] Gadbois et Décorations Lemieux
& Lemieux ltée, C.L.P.
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