Décision

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Protection de la jeunesse — 212877

2021 QCCA 999

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-08-000544-215, 500-08-000545-212, 500-08-000546-210

(505-24-000082-196, 505-41-008894-174)

 

DATE :

15 JUIN 2021

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARK SCHRAGER, J.C.A.

GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A.

LUCIE FOURNIER, J.C.A.

 

 

500-08-000544-215

 

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DEs droits de LA JEUNESSE

REQUÉRANTE - mise en cause

c.

 

DIRECTRICE DE LA PROTECTION DE LA JEUNESSE

intimée - appelante - demanderesse

et

A

B

X

intimés - intimés - parents

 

500-08-000545-212

 

X

requérante - intimée - adolescente

c.

 

DIRECTRICE DE LA PROTECTION DE LA JEUNESSE

intimée - appelante - demanderesse

et

A

B

intimés - intimés - parents

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE

intimée - mise en cause

 

500-08-000546-210

 

A

B

requérants - intimés - parents

c.

 

DIRECTRICE DE LA PROTECTION DE LA JEUNESSE

intimée - appelante - demanderesse

et

X

intimée - intimée - adolescente

et

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE

intimée - mise en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           La directrice de la protection de la jeunesse (Intimée) demande le rejet des appels logés par les requérants (la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse[1], l’Enfant[2] et les Parents[3]) au motif qu’ils seraient irrégulièrement formés puisque la déclaration d’appel et la requête pour permission d’appeler ont été déposées hors délai. Les requérants contestent estimant que les appels ont été logés dans le délai prescrit. Subsidiairement, ils demandent la permission d’appeler hors délai du jugement rendu le 1er février 2021 par l’honorable Yves Poirier[4].

[2]           Il convient de revenir brièvement sur le contexte du dossier.

[3]           Le 2 juillet 2019, l’honorable Mélanie Roy[5], j.c.q., prononce diverses ordonnances en vertu de l’article 91 de la Loi sur la protection de la jeunesse[6] (« LPJ ») concernant l’Enfant qui est alors âgée de 15 ans. Elle prolonge l’ordonnance d’hébergement et constate que les droits de l’Enfant ont été lésés à diverses occasions par l’Intimée. Elle ordonne plusieurs mesures correctrices, certaines concernant directement la situation de l’Enfant alors que d’autres, plus larges, visent la mise en place de protocoles et des modifications aux lieux physiques. La juge émet également plusieurs recommandations au niveau de la formation des intervenants, de l’organisation des dossiers médicaux et de la possibilité d’installer des caméras de surveillance.

[4]           L’Intimée en appelle de cette décision devant la Cour supérieure. Elle admet que les droits de l’Enfant ont été lésés, mais elle considère que certaines conclusions prononcées sont illégales puisqu’elles ne visent pas à corriger les droits de l’Enfant qui ont été lésés.

[5]           Le juge Poirier est d’avis que les conclusions de nature générale ne visent pas directement l’Enfant, mais qu’elles pouvaient être prononcées à titre de recommandations. Il modifie donc les conclusions en conséquence afin qu’elles s’appliquent nommément à l’Enfant.

A-   La formation de l’appel

[6]           Le jugement Poirier est signé le 1er février 2021. Le 2 février 2021, l’adjointe du juge de première instance en transmet une copie de courtoisie aux avocats des parties.

[7]           L’avocate de l’Enfant s’informe auprès du greffe de la Cour supérieure afin de connaître la date à laquelle l’avis de jugement sera transmis.

[8]           Le 3 mars 2021, un membre du personnel du greffe du palais de justice de Longueuil confirme que l’avis de jugement devrait être transmis sous peu, mais qu’il sera daté du 25 février ou du 1er mars en raison d’un problème informatique.

[9]           Le 4 mars 2021, une technicienne du greffe de la chambre de la jeunesse écrit avoir reçu confirmation de la Cour supérieure qu’aucun avis de jugement ne sera transmis puisqu’il s’agit d’un jugement en matière de jeunesse.

[10]        Le 11 mars 2021, l’adjointe de la juge Chantal Lamarche, juge coordonnatrice de la Cour supérieure pour le district de Longueuil, confirme que le jugement a été capté au plumitif le 25 février 2021.

[11]        Dans les faits, il semble qu’aucun avis ou copie du jugement, outre celle transmise par courtoisie, n’a été acheminé aux parties et à leurs avocats

[12]        La requête pour permission d’appeler et la déclaration d’appel sont produites au greffe de la Cour à l’intérieur du délai de trente jours de la saisie du jugement au plumitif.

[13]        Les requérants soutiennent donc que leurs appels ont été logés dans les délais prescrits à l’article 360 C.p.c alors que l’Intimée estime qu’ils sont hors délai.

[14]        Force est de constater qu’il semble exister un certain flou relativement à la formation d’un appel d’une décision de la Cour supérieure en matière de jeunesse.

[15]        Il convient de revenir sur les principes applicables.

[16]        Le chapitre V de la LPJ prévoit les règles pertinentes à l’intervention judiciaire. L’article 85 énonce les dispositions du Code de procédure civile qui s’appliquent dans le cadre du dossier devant la Cour du Québec. Il s’agit des livres I (le cadre général de la procédure civile) et II (la procédure contentieuse) sous réserve de certains articles qu’il écarte nommément.

[17]        C’est le cas de l’article 335 C.p.c. qui prévoit l’obligation, dès l’inscription d’un jugement, autre que celui rendu à l’audience en présence des parties, de notifier un avis de jugement aux parties et à leurs avocats. Bien que l’article ne le précise pas, il s’infère que cet avis est notifié par le greffier.

[18]        L’article 94 de la LPJ vient encadrer la communication de la décision. Contrairement à l’article 335 C.p.c. qui prévoit l’envoi d’un avis indiquant que le jugement a été rendu, le législateur impose la transmission, sans délai, non pas d’un avis, mais d’une copie de la décision ou de l’ordonnance à la fois au directeur, aux parents, à l’enfant âgé de plus de 14 ans et aux avocats des parties.

[19]        La décision rendue par la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, est appelable devant la Cour supérieure. L’appel est alors formé dans les 30 jours de « la date à laquelle l’ordonnance est consignée par écrit par le dépôt d’une déclaration d’appel »[7].

[20]        La LPJ ne prévoit aucune disposition spécifique concernant la transmission du jugement rendu par la Cour supérieure. Elle précise simplement que l’article 85 de la LPJ, qui exclut l’article 335 C.p.c., s’applique à l’appel devant la Cour supérieure avec les adaptations nécessaires[8] et incorpore l’article 94 à cette section de la Loi. Il est donc possible d’en déduire, qu’une copie du jugement doit être transmise sans délai par le greffe conformément aux exigences de cet article.

[21]        La décision de la Cour supérieure est également appelable sur permission devant la Cour si la partie démontre « un intérêt suffisant à faire décider d’une question de droit seulement »[9].

[22]        L’article 117 de la LPJ précise que l’appel est régi par le titre IV du livre IV (l’appel) du Code de procédure civile alors que l’article 129 de la LPJ incorpore, une fois de plus, l’article 85 de la LPJ.

[23]        Les critères pour la formation de l’appel sont donc ceux énoncés à l’article 360 du C.p.c. La computation du délai d’appel se fait à partir de la date de l’avis de jugement ou de la date du jugement rendu à l’audience en présence des parties.

[24]        Dans la mesure où la LPJ n’incorpore pas les exigences de l’article 335 C.p.c., il convient de déterminer quel est le point de départ de la computation du délai d’appel d’un jugement de la Cour supérieure siégeant en appel de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse.

[25]        Contrairement à ce que propose l’intimée, le point de départ ne peut être la date de la transmission du jugement par l’adjointe du juge Poirier. En effet, la Cour a, à plus d’une reprise, réitéré que l’avis de jugement dont il est question à l’article 360 C.p.c. réfère à l’avis transmis par le greffe et non à la copie de courtoisie envoyée par le juge de première instance[10]. L’envoi d’une telle copie se fait souvent de façon aléatoire et varie selon la pratique de certains juges. Le courriel est généralement transmis avant même l’inscription du jugement au plumitif comme ce fut le cas dans le présent dossier. Au surplus, l’envoi fait par l’adjointe du juge Poirier n’est pas conforme aux exigences de l’article 94 de la LPJ puisqu’il n’a pas été transmis au directeur, à l’enfant et aux parents, mais uniquement aux avocats des parties. Enfin, une copie du jugement devra être transmise à toutes les parties et à leurs avocats lors de sa captation au plumitif.

[26]        Il est clair qu’en adoptant l’article 360 C.p.c. le législateur souhaitait établir un point de départ objectif et non arbitraire qui n’est pas tributaire du moment où la partie a, dans les faits, eu connaissance du jugement. La date de la transmission de l’avis de jugement par le greffe est, sauf exception, la même pour tous.

[27]        Si l’on fait le parallèle en matière de jeunesse, le point de départ de la computation du délai en appel n’est pas l’avis de jugement prévu à l’article 335 C.p.c., mais bien la date de la transmission de la copie du jugement de la Cour supérieure par le greffe aux personnes mentionnées à l’article 94 de la LPJ.

[28]        Cette interprétation est conforme à l’économie de la LPJ et à la volonté exprimée par le législateur en adoptant l’article 360 C.p.c. Elle ne cause aucun préjudice aux parties puisque le jugement en matière de jeunesse demeure exécutoire malgré l’appel[11]. De plus, rien n’empêche une partie de loger l’appel dès qu’elle prend connaissance du jugement si l’urgence de la situation l’exige.

[29]        Le greffe ne semble pas avoir transmis la copie du jugement du juge Poirier aux parties comme indiquées à l’article 94 de la LPJ. Chose certaine, selon la preuve présentée, cela ne s’est pas fait avant le 25 février 2021, date à laquelle le jugement a été saisi au plumitif.

[30]        Dans les circonstances, il y a lieu de rejeter les requêtes en rejet d’appel puisque les appels ont été régulièrement formés dans le délai de 30 jours prescrit par l’article 360 C.p.c. Les requêtes pour permission d’appeler de bene esse deviennent donc sans objet.

B-   Permission d’appeler du jugement du juge Poirier.

[31]        Le droit d’appel d’une décision de la Cour supérieure rendue en appel d’une décision de la Cour du Québec en matière de droit de la jeunesse se limite à des questions de droit[12].

[32]        Essentiellement, les requérants soutiennent que le juge a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’arrêt Protection de la jeunesse - 123979[13] en concluant que certaines des ordonnances prononcées n’étaient pas en lien avec l’enfant dont les droits ont été lésés.

[33]        Ils ajoutent que l’erreur de droit est déterminante, car elle limite le pouvoir de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, de prononcer les ordonnances à large portée requises dans un contexte de lésion de droits.

[34]        Bien que la Cour se soit déjà prononcée sur l’étendue de ce pouvoir[14], il semble exister un certain flou dans la jurisprudence de la Cour du Québec [15]relativement à la portée de telles ordonnances. Il s’agit d’une question de droit qui mérite l’examen par la Cour.

[35]        Les requérants ajoutent qu’en raison de cette erreur du juge, les nouvelles ordonnances prononcées ne sont pas susceptibles d’exécution. Bien que cette dernière question s’apparente davantage une question mixte qu’une véritable question de droit, elle demeure étroitement liée à la question précédente.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

Dans le dossier 500-08-000544-215 :

[36]        ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler, le tout frais à suivre l’issue de l’appel;

[37]        DÉCLARE sans objet la requête pour permission d’appeler de bene esse;

[38]        REJETTE la requête en rejet d’appel avec les frais de justice;

Dans le dossier 500-08-000545-212 :

[39]        ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler, le tout frais à suivre l’issue de l’appel;

[40]        DÉCLARE sans objet la requête pour permission d’appeler de bene esse;

[41]        REJETTE la requête en rejet d’appel avec les frais de justice;

Dans le dossier 500-08-000546-210 :

[42]        ACCUEILLE la requête modifiée pour permission d’appeler, le tout frais à suivre l’issue de l’appel;

[43]        DÉCLARE sans objet la requête pour permission d’appeler de bene esse;

[44]        REJETTE la requête en rejet d’appel avec les frais de justice;

Dans les dossiers 500-08-000544-215, 500-08-000545-212 et 500-08-000546-210 :

[45]        DÉCLARE que les dossiers seront réunis en vue d’une gestion et d’une audience commune;

[46]        ORDONNE à chaque partie appelante de déposer au greffe, au plus tard le 13 août 2021, en cinq exemplaires, un exposé comprenant les documents qui auraient normalement formé les Annexes I, II et III de son mémoire selon l’article 45 du Règlement de procédure civile (R.p.c.), de même qu'une argumentation d'au plus 20 pages. L’exposé doit être notifié aux parties ayant déposé un acte de représentation ou de non-représentation conformément à l’article 25 R.p.c.;

[47]        ORDONNE à la partie intimée, après avoir notifié copie à la partie appelante, de déposer au greffe, au plus tard le 15 octobre 2021, en cinq exemplaires, un complément de documentation, de même qu'une argumentation d'au plus 20 pages;

[48]        ORDONNE aux parties de déposer leur exposé dans un format 21,5 cm x 28 cm (8½ x 11 pouces), rédigé à au moins un interligne et demi (sauf quant aux citations qui doivent être à interligne simple et en retrait). Le caractère à l’ordinateur est de 12 points et il n'y a pas plus de 12 caractères par 2,5 cm. Les marges ne doivent pas être inférieures à 2,5 cm;

[49]        ORDONNE que les documents produits comprennent une page de présentation, une table des matières et une pagination continue;

[50]        RAPPELLE aux parties la Directive G-3 du greffier (dernière révision : 20 avril 2021) qui les encourage fortement à joindre une version technologique du mémoire ou de l'exposé et du cahier des sources à chacun des exemplaires de la version papier de ces documents. Cette version technologique doit être enregistrée sur clé USB et confectionnée en format PDF permettant la recherche par mots-clés et comportant des hyperliens de la table des matières vers le mémoire, l'exposé ou le cahier des sources et, le cas échéant, de l'argumentation vers les annexes. Si disponible, les parties sont invitées à mettre sur la clé USB la version Word de leur argumentation;

[51]        DÉFÈRE le dossier au maître des rôles pour qu’il déclare le dossier en état et fixe une date d’audition selon l’article 70 R.p.c.

TEMPS D’AUDITION :                     Les parties appelantes :      60 minutes

                                                            La partie intimée :                 60 minutes

 

 

 

 

MARK SCHRAGER, J.C.A.

 

 

 

 

 

GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A.

 

 

 

 

 

LUCIE FOURNIER, J.C.A.

 

Me Sophie Papillon

BITZAKIDIS CLÉMENT-MAJOR FOURNIER

Pour la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

 

Me Julie Langlois

ÉTUDE LÉGALE DU CISSS DE LA MONTÉRÉGIE-EST

Pour la Directrice de la protection de la jeunesse

 

Me Stéphane Pouliot

PRINGLE & ASSOCIÉS

Pour les intimés A et B

 

Me Charlotte Vanier Perras

CENTRE COMMUNAUTAIRE JURIDIQUE DE LA RIVE-SUD

Pour l’intimée X

 

Date d’audience :

31 mai 2021

 



[1]     Dossier 500-08-000544-215.

[2]     Dossier 500-08-000545-212.

[3]     Dossier 500-08-000546-210.

[4]     X c. A et als., C.S. Longueuil, no 505-24-000082-196, 1er février 2021, Yves Poirier, j.c.s. [jugement entrepris].

[5]     193763, 2019 QCCQ 3616.

[6]     RLRQ. P-34.1.

[7]     Article 103 LPJ.

[8]     Article 111 LPJ.

[9]     Article 115 LPJ.

[10]    Martineau c. Ouellet, 2016 QCCA 142, paragr. 19; Les souscripteurs du Lloyd’ c. SNC Lavalin inc, 2021 QCCA 833.

[11]    Article 114 LPJ.

[12]    Article 115 de la LPJ.

[13]    2012 QCCA 1483.

[14]    Protection de la jeunesse-123979 2012 QCCA 1483.

[15]    Protection de la jeunesse-205249, 2020 QCCQ 5740, Protection de la jeunesse-201088, 2020 QCCQ 12234, Protection de la jeunesse-1966982, 2019 QCCQ 6029, Protection de la jeunesse-191256, 2019 QCCQ 1756, Protection de la jeunesse-187856, 2018 QCCQ 8376, Protection de la jeunesse-186443, 2018 QCCQ 6830,

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