Décision

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Gabarit EDJ

Pomerleau c. Girard

2014 QCCS 2823

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

 

 

N° :

200-01-182166-144

 

 

 

DATE :

24 mars 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

LOUIS DIONNE, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

SERGE POMERLEAU

Accusé-REQUÉRANT

c.

BRIGITTE GIRARD, en sa qualité de

directrice de l’établissement de détention

d’Orsainville

Intimée

et

DIRECTEUR DES POURSUITES

CRIMINELLES ET PÉNALES

          Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

sur

REQUÊTE POUR L’OBTENTION DE CONDITIONS DE DÉTENTION

PERMETTANT LA PRÉPARATION D’UNE DÉFENSE PLEINE ET ENTIÈRE

(Ordinateur portable)

______________________________________________________________________

 

INTRODUCTION

[1]           Le requérant Serge Pomerleau est accusé conjointement avec trois autres personnes de complot pour trafic, de trafic, de trafic au profit d’une organisation criminelle et d’avoir chargé une personne de commettre une infraction suite à une vaste opération policière en Abitibi-Témiscamingue connue sous le nom « Opération Écrevisse ».

[2]           Le requérant est présentement détenu à l’Établissement de détention de Québec (EDQ) depuis le 11 mars 2014 suite au renvoi de l’affaire dans le district judiciaire de Québec le 17 février dernier.

[3]           Bien qu’ayant déjà accès à un poste informatique sécurisé à l’EDQ (PIS), le requérant demande d’avoir accès à un ordinateur portable dans sa cellule et à l’audience afin de pouvoir préparer sa défense.

CONTEXTE FACTUEL

[4]           La preuve communiquée aux requérants, d’abord par l’entremise d’un site Internet et ensuite sous forme d’un disque dur externe et de CD-ROM, est particulièrement volumineuse.

[5]           Selon le poursuivant, la preuve utile pour le procès représente environ 100 gigaoctets de données.

[6]           Au fil du temps, 14 divulgations ont été nécessaires pour communiquer la preuve, chacune d’elles comprenant des fichiers de diverses natures incluant, entre autres, des fichiers de type Excel.

[7]           Afin que le requérant et ses coaccusés puissent consulter cette preuve, l’intimée a aménagé un local à l’EDQ où se trouvent quatre PIS à l’usage exclusif de ces derniers. Le requérant a accès à ce local selon l’horaire suivant : du lundi au vendredi de 9 h à 11 h; de 13 h à 15 h 30; et de 18 h à 21 h. Les samedis et dimanches, de 13 h à 15 h 30 et de 18 h à 21 h.

[8]           Par ailleurs, il est prévu qu’au besoin, le requérant pourrait avoir accès audit local du lundi au dimanche jusqu’à 22 h.

[9]           Il est également possible d’installer un autre PIS dans les locaux de la détention situés au palais de justice de Québec pour usage exclusif du requérant et de ses coaccusés, et ce, pour la durée du procès.

POSITION DES PARTIES

[10]        La demande du requérant repose essentiellement sur des motifs d’efficacité dans la préparation de sa défense.

[11]        Le requérant plaide qu’il utilise déjà au maximum la salle d’ordinateur mise à sa disposition, qu’il existe, au Québec, des précédents en la matière et que l’intimée n’a pas fait la preuve d’un risque réel relié à la possession d’un ordinateur portable dans sa cellule ou à l’audience.

[12]        Il ajoute que le juge Richard Grenier, j.c.s., a accueilli une requête semblable relativement à l’Établissement de détention d’Amos, le 13 décembre 2012, lui permettant d’avoir un ordinateur portable en sa possession à l’audience. Cet ordinateur portable, acheté par le requérant, ne lui a pas été remis par les autorités carcérales de l’Établissement de détention d’Amos, car il n’a pas été sécurisé convenablement.

[13]        Le requérant se dit disposé à assumer les coûts d’achat d’un tel ordinateur, des logiciels nécessaires et de sa sécurisation afin d’en retirer toutes fonctions de communication avec autrui.

[14]        L’intimée s’oppose à cette demande pour des motifs de sécurité.

[15]        Selon l’intimée, l’introduction d’un ordinateur portable à l’EDQ pose des risques quant à la capacité qu’un tel appareil peut avoir pour communiquer avec l’extérieur.

[16]        L’expérience limitée du personnel de l’EDQ pour en vérifier les capacités et l’usage prévu pose problème. Cela est encore plus vrai, selon l’intimée, si le requérant est autorisé à avoir ledit ordinateur en tout temps dans sa cellule.

[17]        Finalement, il s’agit, pour l’intimée, d’un objet pouvant servir d’arme.

[18]        On plaide que le requérant n’a pas démontré de violation ou de violation anticipée de son droit à une défense pleine et entière.

[19]        On plaide également que le cas qui était devant le juge Brunton, dans l’affaire Auclair[1], était vraiment un cas d’espèce qui n’a rien de comparable avec la présente affaire.

ANALYSE

[20]        Le Tribunal retient que la preuve communiquée sur support informatique dans la présente affaire est volumineuse et que le procès est commencé depuis le 17 mars dernier.

[21]        La preuve que la poursuite entend utiliser lors du procès occupe un espace disque d’environ 100 gigaoctets.

[22]        Il est impossible d’enregistrer un fichier sur le disque dur externe présentement à la disposition du requérant.

[23]        Pour l’instant, si le requérant souhaite travailler dans sa cellule, il doit nécessairement procéder à l’impression de documents. À ce jour, l’impression de documents, par les accusés, dont le requérant, tient dans plusieurs grands sacs en papier qu’ils ne peuvent pas emporter en totalité dans leur cellule pour des raisons de sécurité demeurées floues à l’audience (pièce PG-3).

[24]        La preuve entendue ne permet pas de conclure que la présence d’un ordinateur portable dans la cellule du requérant compromettrait la sécurité de l’Établissement de détention ou de l’audience. À ce sujet, la preuve de l’intimée est plutôt mince et se limite aux risques de communication avec l’extérieur et au fait qu’il peut être utilisé comme une arme.

[25]        Dans l’affaire Desjardins[2], le juge Labrie mentionne ce qui suit :

[71]       Questionné sur l’existence d’incidents avec les 30 portables mis à la disposition de certains accusés dans le dossier SharQc, M. Landreville rapporte deux incidents. Dans un cas, un détenu a visionné un film pornographique avec l’ordinateur. Dans un autre cas, un détenu a tenté d’ouvrir le boîtier de l’ordinateur. On soupçonne qu’il ait voulu trafiquer l’ordinateur pour communiquer avec l’extérieur. On ne peut toutefois le prouver avec certitude.

[26]        De la preuve entendue, le Tribunal conclut que pour qu’un ordinateur portable puisse être utilisé en détention, il doit être préalablement sécurisé, c’est-à-dire que toutes les fonctions de communication avec autrui doivent être désactivées. Il ne doit pas posséder de programmes autres que ceux utiles à la consultation de la preuve communiquée et il doit pouvoir être fouillé et vérifié par les autorités correctionnelles compétentes.

[27]        Le requérant offre d’assumer les coûts d’achat et de désactivation de toutes les fonctions de communication avec autrui dudit ordinateur portable (pièce R-4).

[28]        Le Tribunal ne peut conclure qu’en l’espèce, l’octroi d’un ordinateur portable au requérant pose des problèmes de sécurité.

[29]        La tenue de procès d’envergure comportant une preuve sur support informatique volumineuse est maintenant une réalité depuis les opérations Printemps 2001 et SharQc à laquelle tous doivent s’adapter.

[30]        Reprenant l’affaire A.S.B. c. Nicole Quesnel[3] dans sa décision de Plouffe c. Gagnon[4], le juge Brunton mentionne ce qui suit :

[19]       Le droit reconnaît qu’en l’absence de mauvaise foi, de malice ou de comportement manifestement déraisonnable du pouvoir gouvernemental, le  Tribunal ne doit pas intervenir dans ses décisions ou dans l’exercice de ses pouvoirs discrétionnaires.

[31]        Ceci étant dit, le requérant n’a pas fait la preuve de la mauvaise foi ou de la malice de l’intimé, cependant le Tribunal estime qu’il n’est pas raisonnable, en l’espèce, face à une preuve sur support informatique aussi volumineuse, de ne pas faire droit à la demande du requérant.

[32]        À ce sujet, voici comment s’exprime le juge Labrie dans l’affaire Desjardins[5]  :

[88]       Le volume de la preuve divulguée sur support informatique et l’échéance que constitue la date de l’enquête préliminaire font en sorte que nous sommes ici dans un cas d’espèce qui commande une grande efficacité du requérant dans sa préparation et dans la communication de ses notes à ses avocats, et ce, au nom du droit à une défense pleine et entière.

[89]       En l’espèce, ce droit à une défense  pleine et entière commande une maximisation du temps de préparation du requérant.

[33]        Le Tribunal fait siens les propos du juge Labrie et conclut qu’en l’espèce, l’obligation de communiquer la preuve a pour corollaire la possibilité de consulter celle - ci et de préparer sa réponse aux accusations. Il en va du droit à une défense pleine et entière.

[34]        Il y a donc lieu d’accueillir la requête.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[35]        ACCUEILLE la requête du requérant;

[36]        ORDONNE à l’intimée de permettre au requérant d’avoir accès à un ordinateur portable équipé uniquement des logiciels nécessaires à l’étude de la preuve relative à son dossier, lequel sera à l’usage exclusif du requérant;

[37]        ORDONNE à l’intimée de permettre au requérant d’avoir ledit ordinateur portable dans sa cellule ou à l’audience, le cas échéant;

[38]        ORDONNE au requérant de payer pour l’acquisition de l’ordinateur portable, l’équipement et les logiciels nécessaires à la préparation de sa défense;

[39]        ORDONNE au requérant de voir, à ses frais, à la désactivation de toutes fonctions de l’ordinateur portable permettant une communication avec autrui;

[40]        ORDONNE au requérant de soumettre son ordinateur portable à la vérification par l’intimée de la désactivation des fonctions permettant la communication avec autrui.

 

 

 

 

__________________________________

LOUIS DIONNE, j.c.s.

 

Me Mathieu Poissant

Procureur de l’accusé-REQUÉRANT

 

Me Jean-François Paré

Procureur de l’intimée

 

Me Antoine Piché

Procureur de la mise en cause

 



[1] Auclair c. Établissement de détention de Montréal, 210 QCCS 167.

 

[2] Raynald Desjardins c.François Landreville, 7 octobre 2013, 705-36-000583-136, CSQ.

[3] A.S.B. c. Nicole Quesnel, AZ-50108725 (C.S. Qué.) conf. AZ-50443132 (C.A. Qué.).

[4] Plouffe c. Gagnon, 2010 QCCS 4858.

[5] Préc., note 2.

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