Rabouin et Société canadienne des postes |
2015 QCCLP 5884 |
______________________________________________________________________
DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
______________________________________________________________________
[1] Le 6 octobre 2014, madame France Rabouin (la travailleuse) dépose une requête en vertu de l'article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) à l'encontre d'une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 3 octobre 2014.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la contestation de la travailleuse, confirme une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 21 mars 2013 et confirme que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 3 décembre 2012.
[3] La travailleuse seule, son représentant ayant opté pour des arguments écrits, et une procureure de la Société canadienne des postes sont présents à l’audience tenue sur la requête en révision le 24 mars 2015 à Saint-Hyacinthe au moyen de la visioconférence.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La travailleuse demande au tribunal de réviser ou de révoquer la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 3 octobre 2014 au motif que le premier juge administratif n’a pas motivé sa décision quant au rejet de l’objection soumise quant à l’admissibilité d’un rapport d’expertise de l’employeur et qu’il a commis une erreur manifeste et déterminante en concluant au renversement de la présomption légale de lésion professionnelle. Elle demande donc de reconnaître qu’elle a subi une lésion professionnelle le 3 décembre 2012.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] La membre issue des associations de travailleurs retient que le premier juge administratif n’a pas commis d’erreur révisable en ne motivant pas par écrit le rejet de l’objection du représentant de la travailleuse au sujet de l’admissibilité du rapport d’expertise du docteur Charles Gravel. Par contre, elle considère qu’il a commis une erreur manifeste et déterminante en concluant que l’employeur avait réussi à renverser la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi. Elle réviserait la décision.
[6] Le membre issu des associations d'employeurs émet un avis similaire au sujet du rejet de l’objection. Toutefois, il considère, quant au renversement de la présomption de lésion professionnelle, que la travailleuse n’a pas démontré que la décision sous révision contient un vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider. La travailleuse recherche une nouvelle appréciation de la preuve, ce qui n’est pas possible en matière de révision ou révocation.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si elle doit réviser ou révoquer la décision du 3 octobre 2014.
[8] L’article 429.49 de la loi stipule qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[9] La loi prévoit toutefois un recours en révision et en révocation à l’article 429.56 :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[10] Compte tenu de l’article 429.49 de la loi, une décision ne peut être révisée ou révoquée que s’il est établi un motif prévu à l’article 429.56. Il est connu que cela s’inscrit dans le contexte des principes de finalité et de stabilité des décisions.
[11] Ici, la travailleuse invoque que la décision rendue par le premier juge administratif comporte un vice de fond de nature à l’invalider. La Commission des lésions professionnelles a jugé à de nombreuses reprises que les termes vices de fond référent à une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation[2]. Ce principe a été retenu maintes fois. Il a été décidé également que le recours en révision ou en révocation ne peut être assimilé à un appel ni ne doit constituer un appel déguisé.
[12] Dans l'arrêt Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[3], la Cour d'appel du Québec partage ces règles :
[21] La notion (de vice de fond de nature à invalider une décision) est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne remplit pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments1.
_______________
1 Voir: Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-508. J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol. 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129.
[13] La Cour d'appel reprend les mêmes règles dans l'arrêt Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine[4]. Elle ajoute que le vice de fond prévu à l’article 429.56 de la loi est assimilable à une « faille » dans la première décision, laquelle sous-tend une « erreur manifeste », donc voisine d’une forme d’incompétence :
[51] En ce qui concerne la raison d’être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s’agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d’être décrites. Il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première[51]. Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le tribunal administratif «commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions»[52]. L’interprétation d’un texte législatif «ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique»[53] mais, comme «il appartient d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter»[54] un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision)[55]. Enfin, le recours en révision «ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits» : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut «ajouter de nouveaux arguments» au stade de la révision[56].
_________________
[51] Voir l’arrêt Godin, supra, note 12, paragr. 47 (le juge Fish) et 165 (le juge Chamberland) et l’arrêt Bourassa, supra, note 10, paragr. 22.
[52] Ibid., paragr. 51.
[53] Arrêt Amar, supra, note 13, paragr. 27.
[54] Ibid., paragr.26.
[55] Supra, note 10, paragr. 24.
[56] Ibid., paragr. 22.
[Le tribunal souligne]
[14] Comme l'indique la juge administrative Nadeau dans Savoie et Camille Dubois (fermé)[5], ces décisions de la Cour d'appel invitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d'une très grande retenue dans l'exercice de son pouvoir de révision :
[18] Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morrissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée.
[Le tribunal souligne]
[15] La jurisprudence reconnaît par ailleurs que de façon générale, un juge administratif n’a pas à traiter de tous les arguments qui lui sont soumis[6]. Toutefois, il doit motiver sa décision de façon intelligible et donc, considérer les éléments pertinents à la prise de décision dans le contexte des litiges dont il est saisi[7].
[16] Il ne suffit plus d’invoquer un vice de motivation pour avoir gain de cause en révision. Les tribunaux supérieurs ont émis ces dernières années et encore tout récemment des nuances importantes au sujet de la motivation des décisions. Généralement, l’absence totale de motivation constitue un manquement aux règles de justice naturelle, de l’équité procédurale, alors que l’insuffisance de la motivation ne l’est pas. S’il existe des motifs alors la décision soit être analysée sous l’angle du caractère raisonnable du résultat[8].
[17] Dans la mesure où un décideur n’a pas à tout rapporter ni tout exposer dans ses motifs, la jurisprudence retient qu’il faut considérer les motifs implicites de la décision sous révision. Cela a été analysé par la juge administrative Martine Montplaisir dans l’affaire Rochon et Pytonga Fish & Game Club[9].
[68] En s'inspirant de nouveau de l'arrêt Newfoundland22, la Cour supérieure écrit, dans une autre affaire23, qu’elle doit déterminer si les motifs permettent de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si sa conclusion fait partie des issues raisonnables. Elle rappelle que l’insuffisance de motifs n’emporte pas un manquement à une obligation d’équité procédurale et ne peut être remise en question qu’en appliquant la norme du caractère raisonnable de la décision.
[69] La Cour supérieure24 conclut que selon les principes établis par Newfoundland25, et Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association26, « un tribunal administratif ne cesse pas d’avoir droit à la déférence parce que sa décision est implicite », c'est pourquoi « toutes les questions sur lesquelles le commissaire ne s’est pas expressément prononcé constituent des décisions implicites qui doivent être révisées […] en utilisant la norme de la décision raisonnable ». La Cour supérieure conclut qu’aucune des quatre questions, à l’égard desquelles la demanderesse reproche l’omission de motivation, n’apparaît avoir reçu une réponse implicite ou explicite déraisonnable de la part du commissaire.
[70] Saisie de cette affaire27, la Cour d'appel écrit que « le rôle du premier décideur n’est pas d’emporter l’adhésion enthousiaste de toutes les parties qui s’affrontent devant lui mais d’apporter une solution raisonnable à un différend qui survient en application de la loi » [sic]. Ce principe en droit administratif implique « qu’une pluralité de critères est en jeu, que chacun d’entre eux relève en priorité de l’appréciation de ce décideur, et qu’il se dégage de part et d’autre du litige quelque chose comme une équipollence des propositions, il faut accepter qu’un "résultat faisant partie des issues possibles" puisse consister en une chose de même que son contraire ».
[...]
[74] La soussignée retient de cette revue jurisprudentielle que lorsqu'elle rend une décision, la Commission des lésions professionnelles n'a pas à trancher tous les arguments qui lui sont soumis pourvu que ses motifs permettent de comprendre le raisonnement qu'elle a suivi, l'implicite ayant sa place dans le jugement.
__________
22 Précitée, note 17.
23 Béton Brunet ltée c. Vignola, 2013 QCCS 3774.
24 Béton Brunet ltée c. Vignola, précitée, note 23.
25 Précitée, note 17.
26 [2011] 3 R.C.S. 654.
27 Béton Brunet ltée c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 700 (SCEP), 2015 QCCA 188.
[Le tribunal souligne]
[18] Tout récemment, la Cour supérieure du Québec a résumé à nouveau le rôle du tribunal en révision dans l’affaire Beaupré-Gâteau c. Commission des relations du travail[10].
[51] Dans l’arrêt précité Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador, madame la juge Abella, parlant du rôle de la Cour de justice, écrit:
[15] [...] Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs a ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.
[52] Si une Cour de justice peut «examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat», la CRT, siégeant en révision administrative, peut certes se permettre un tel examen d’autant plus que son rôle est de déterminer si la décision contestée est entachée ou non «d’un vice de fond ou de procédure de nature à l ‘invalider.»
[53] Comme la CRT le précise elle-même au paragraphe [23] de sa décision, elle doit déterminer si la décision contestée contient une erreur grossière, un accroc sérieux et grave à la procédure, une décision ultra vires, c’est-à-dire rendue sans que la Commission ait eu la compétence pour le faire, une décision rendue en l’absence de preuve ou en ignorant une preuve évidente. II faut aussi que soit démontrée la nécessité d’une correction à cause de ce vice sérieux.
[Le tribunal souligne]
[19] Pour les motifs qui suivent, le tribunal en révision est d’avis que la décision du premier juge administratif ne comporte aucun vice de fond de nature à l’invalider.
Le contexte
[20] Sommairement, le premier juge administratif est saisi de l’admissibilité d’une lésion professionnelle subie par une agente de l’État fédéral dont le diagnostic serait une entorse cervicale et une cervico-brachialgie. Le 3 décembre 2012, elle effectuait la livraison du courrier en zone rurale.
[21] Le premier juge administratif a considéré d’abord que la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi peut bénéficier à la travailleuse bien qu’elle soit visée à la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État[11]. Cela n’est pas remis en question en révision.
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 28.
[22] Pour ce faire, la travailleuse devait démontrer l’existence des trois éléments de la présomption soit l’existence d’une blessure, sur les lieux du travail, alors qu’elle était au travail.
[23] Le premier juge administratif considère être lié par les diagnostics d’entorse cervicale et de cervico-brachialgie. Il retient que l’entorse à tout le moins permet de conclure à l’existence d’une blessure. Considérant la travailleuse crédible, il croit la preuve suffisante pour conclure que celle-ci a « présenté une blessure qui est arrivée sur les lieux du travail alors qu’elle était à son travail ». Il a donc retenu que la présomption de lésion professionnelle s’applique à la situation de la travailleuse.
[24] Par la suite, il s’est appliqué à vérifier si cette présomption a été repoussée. Il a conclu « que l’employeur a effectivement établi l’absence de relation entre l’événement survenu au travail et la lésion de la travailleuse ».
[25] Cette conclusion s’appuie notamment sur l’opinion émise par le docteur Charles Gravel, expert de l’employeur, le 23 avril 2014 qui retient que la travailleuse est porteuse d’une radiculopathie C7 droite[12], une condition personnelle, sans lien avec l’événement traumatique. L’examen par résonance magnétique pratiquée en février 2013 révélait une discopathie dégénérative prédominante C5-C6 et C6-C7. Cela est repris par le docteur Roy dans un rapport de juin 2013.
[26] Cette conclusion s’appuie également sur l’incompatibilité entre les traitements administrés et le diagnostic retenu suite à l’événement, de même que la très longue convalescence « qui n’en finit plus de finir ». Le premier juge administratif s’appuie explicitement aussi sur un rapport de la docteure Muriel Haziza daté du 7 mars 2014 produit au tribunal au début avril 2014 où il est fait mention des infiltrations facettaires. Il retient que ces soins sont « bien plus appropriés pour le traitement de changements dégénératifs, où il s’avère nécessaire de procéder à une infiltration au niveau de la racine, que pour une simple entorse ».
[27] De tout cela, le premier juge administratif conclut à l’absence de lésion professionnelle.
Les motifs de révision ou révocation
[28] La travailleuse invoque en fait deux motifs de révision ou révocation. Le premier vise une décision sur une objection à la preuve et le second s’attaque à l’appréciation de la preuve et du droit de la part du premier juge administratif.
La décision sur l’objection au dépôt d’un rapport d’expertise de l’employeur
[29] Dès le début de l’audience devant le premier juge administratif le 28 avril 2014, le représentant de la travailleuse formule une objection au dépôt, le 24 avril 2014, d’un rapport d’expertise sur dossier préparé par le docteur Gravel le 23 avril 2014 au motif de tardiveté compte tenu de l’article 12 du Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles[13] (le règlement).
[30] Cette disposition se lit comme suit :
12. Un rapport d'expert est déposé au dossier de la Commission au moins 15 jours avant la date fixée pour la tenue de l'audience.
Un commissaire peut toutefois autoriser la production tardive d'un tel rapport aux conditions qu'il détermine.
D. 217-2000, a. 12.
[31] Il s’en est suivi un long débat entre les représentants des parties et le premier juge administratif.
[32] Il est apparu que cette expertise faisait suite au dépôt par le représentant de la travailleuse le 3 avril 2014 de plusieurs documents médicaux, notamment une expertise effectuée par la docteure Haziza, physiatre, le 7 mars 2014.
[33] Le premier juge administratif a alors posé plusieurs questions aux représentants. À l’évidence, le représentant n’a pas prétendu être pris par surprise. D’ailleurs, il n’a pas requis un report de l’audience malgré que cela lui a été offert. Effectivement, il savait dès après le dépôt de ses propres documents médicaux que l’employeur voulait produire une « contre-expertise ».
[34] De façon très explicite, le premier juge administratif a demandé au représentant de la travailleuse si le dépôt de cette expertise « l’empêchait de procéder ». Il a répondu par la négative, mentionnant toutefois vouloir « peut-être » produire un autre rapport de la docteure Haziza.
[35] Durant le débat, le premier juge administratif a fait part de sa préoccupation de demeurer équitable envers chacune des parties afin de permettre de produire toute preuve et de leur permettre de répliquer. Il a par la suite suspendu l’audience quelques minutes.
[36] Au retour de la suspension, le premier juge administratif informe les parties qu’il a consulté les membres et qu’il rejette l’objection, permet le dépôt de l’expertise hors délai et que les motifs seront écrits dans la décision sur le fond du litige. Il offre une dernière fois un ajournement au représentant de la travailleuse. Ce dernier refuse.
[37] L’audience se poursuit donc. Toutefois, elle doit être ajournée sans que les parties aient eu l’occasion d’argumenter. Une seconde journée est donc retenue pour la poursuite de l’audience, plusieurs mois plus tard, soit le 17 septembre 2014.
[38] Dans l’intervalle, le représentant de la travailleuse produit un complément de preuve médicale le 27 mai 2014, cette fois par le docteur Claude-Édouard Châtillon, neurochirurgien. Il s’agit en quelque sorte d’une réponse à l’expertise du docteur Gravel. À la reprise de l’audience, le premier juge administratif confirme qu’il a pris connaissance de ce document. Il a donc admis ce document en preuve.
[39] La décision du premier juge administratif est rendue le 3 octobre 2014. Cette décision ne fait pas état de l’objection ni des motifs explicites de son rejet à l’audience du 28 avril 2014.
[40] C’est ainsi que le représentant de la travailleuse reproche au premier juge administratif de n’avoir pas suffisamment motivé cette décision. Il réclame la révocation de la décision au mérite de l’affaire.
[41] Il est exact que le premier juge administratif n’a pas élaboré explicitement de motif pour le rejet de l’objection formulée au début de la première journée de l’audience. Il eut été certainement préférable de le faire. Y a-t-il là un vice de fond ou un manquement à la règle de l’équité procédurale?
[42] Afin de répondre à cette question, au risque d’être redondant, il est primordial de considérer le contexte dans lequel s’est inscrite l’objection à la preuve tant au moment où elle a été formulée que par la suite.
[43] Le rapport d’expertise du docteur Gravel écrit le 23 avril et produit le 24 avril doit être considéré comme une réplique à l’expertise de la docteure Haziza écrite le 7 mars 2014 et produite le 3 avril 2014, un mois plus tard, par le représentant de la travailleuse. Dès ce moment, il était pratiquement impossible pour la procureure de l’employeur de produire une réponse à l’intérieur du délai imparti à l’article 12 du règlement pour ce faire. La procureure a affirmé en avoir informé le représentant de la travailleuse par téléphone dès après le 3 avril. Cela n’est pas nié par ce dernier.
[44] Au moment de plaider sur l’objection, le représentant de la travailleuse n’a pas allégué être pris par surprise d’ailleurs, il n’a pas requis le report de l’audience, mais seulement, peut-être, la possibilité de « répliquer » au rapport du docteur Gravel au moyen d’une autre preuve médicale. Le premier juge administratif à l’évidence était d’accord avec cela.
[45] Le représentant a simplement insisté sur le respect de l’article du règlement et qu’il devait y avoir un motif pour passer outre alors que l’ancienne procureure de l’employeur avait déclaré sa preuve complète.
[46] L’actuelle procureure de l’employeur a alors exposé qu’il est apparu requis de répondre à la docteure Haziza, ce qui n’avait pas lieu avant, forcément, puisqu’il n’y avait pas d’autre expertise de ce type au dossier.
[47] Par la suite au moment de rejeter l’objection, le premier juge administratif a de nouveau offert au représentant de la travailleuse de reporter l’audience. Cela a été décliné quitte à produire un complément de preuve médicale à l’issue de l’audience.
[48] Mais précisément, le déroulement de l’audience a fait en sorte qu’une seconde journée a été requise, soit le 17 septembre 2014. Dans l’intervalle, l’affaire n’a pas été mise en délibéré et le 27 mai, le représentant de la travailleuse a produit notamment le rapport du docteur Châtillon.
[49] Lors de la reprise de l’audience en septembre 2014, le représentant de la travailleuse s’est simplement informé à savoir si le premier juge administratif a bien reçu le complément de preuve et dans l’affirmative plus rien n’a été dit au sujet de la question.
[50] Dans ces circonstances, à l’évidence non seulement le représentant de la travailleuse n’a pas été pris par surprise, mais rien ne peut démontrer un manquement à la règle de l’équité procédurale.
[51] Ces circonstances font partie du contexte dans lequel a évolué le premier juge administratif au moment de prendre l’affaire en délibéré et de rendre la décision sur le mérite de l’affaire. Le premier juge administratif a certainement considéré tout cela au moins de façon implicite. À l’évidence, à ce moment, il ne pouvait plus y avoir une quelconque iniquité procédurale. Tant l’objection du départ que la décision sur celle-ci, motivée ou non, étaient devenues sans objet. Elles étaient obsolètes complètement.
[52] À tous égards donc, bien qu’il eut été préférable de traiter au moins de façon minimale de l’objection dans la décision finale puisque cela avait été annoncé le premier jour de l’audience, il ne s’agit pas là d’une erreur qui peut être qualifiée de manquement aux règles de justice naturelle ni un vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision. Si vice il y a ici, il ne s’agit pas d’un vice sérieux qui requiert une correction sur le mérite de l’affaire[14]. Il n’y a pas matière à passer outre au principe de la stabilité des décisions finales.
[53] Il n’y a aucun motif de révision ou de révocation pour ce motif.
L’appréciation de la preuve et du droit
[54] La requête en révision initiale du représentant de la travailleuse produite le 7 octobre 2014 ne fait état d’aucun reproche au premier juge administratif quant à l’appréciation de la preuve et du droit. Ce n’est que dans le plaidoyer écrit qu’il ajoute que la décision est « soit incohérente dans l’énumération des faits, soit contradictoire dans la logique » et qu’il a « refusé » d’appliquer l’article 30 de la loi.
[55] L’ajout de motif pourrait faire l’objet d’un débat étant donné l’article 429.57 de la loi qui prévoit que les motifs de révision ou révocation doivent être formulés dans la requête même. Toutefois, le plaidoyer du représentant de la travailleuse a été produit au tribunal le 5 novembre 2014, soit à l’intérieur du délai raisonnable de 45 jours de la décision attaquée.
[56] La travailleuse reproche au juge une incohérence en ce qu’il qualifie la travailleuse de très crédible et reconnaît qu’une blessure est survenue au travail alors que la travailleuse était à son travail et ensuite, il retient que les traitements l’ont été pour une autre condition qu’une entorse, soit une cervico-brachialgie qu’il ne retient pas comme étant une blessure.
[57] Il lui reproche aussi d’avoir analysé l’affaire que sous l’angle de l’article 28 et non sous les articles 2 et 30 de la loi. Il semble affirmer que le premier juge administratif a reconnu que la travailleuse a été victime d’un événement imprévu et soudain qui revêt les formes d’un accident du travail et que par la suite, il ne le reconnaît plus.
[58] Le représentant de la travailleuse ne s’est pas présenté à l’audience en révision, la présente formation n’a pu lui demander de préciser sa pensée.
[59] Le tribunal en révision croit que le représentant de la travailleuse se méprend sur le mode de reconnaissance d’une lésion professionnelle.
[60] Le premier juge administratif s’est bien dirigé en droit lorsqu’il a considéré les éléments propres à reconnaître l’application de la présomption de lésion professionnelle. Il a retenu que le diagnostic d’entorse cervicale est un diagnostic de blessure. Quant à la cervico-brachialgie, il ne l’a pas écartée, mais il n’a pas cru utile de déterminer s’il s’agissait ou non d’une blessure au sens de l’article 28.
[61] Retenant que la travailleuse était crédible quant à la survenance de la blessure, l’entorse à tout le moins, sur les lieux de son travail alors qu’elle était au travail, il a conclu à l’application de la présomption de lésion professionnelle. Il ne peut y avoir erreur ici. Il s’agit de l’appréciation de la preuve, laquelle n’apparaît aucunement arbitraire ou capricieuse.
[62] Une fois établie l’application de la présomption, le premier juge administratif devait déterminer si elle avait été repoussée par la preuve de non-relation causale mise en lumière ou produite par l’employeur. Il s’agit là d’un motif reconnu pour renverser la présomption[15].
[63] Il a donc analysé cette preuve composée des rapports médicaux, des examens cliniques et paracliniques et des expertises au dossier. Il conclut, sans nier l’existence d’une entorse ou d’une cervico-brachialgie, à l’absence de relation entre ces diagnostics et l’événement traumatique du 3 décembre 2012.
[64] À cet égard, la crédibilité de la travailleuse n’est pas pertinente.
[65] Une analyse du résultat de la décision eu égard à la preuve disponible permet de conclure que l’appréciation faite par le premier juge administratif s’appuie sur cette preuve. Il ne conclut pas de façon abstraite. Il ne fait aucune supposition contraire à cette preuve. Le raisonnement qu’il élabore est logique, voire probable. Il fait certainement partie des issues possibles. Il ne peut y avoir d’erreur manifeste et déterminante à ce sujet.
[66] La conclusion du premier juge administratif au sujet de l’absence de relation causale entre l’événement, le diagnostic et les traitements reçus le pousse à retenir que la présomption de lésion professionnelle est repoussée.
[67] Cette même conclusion implique également que la lésion professionnelle ne peut être reconnue sous l’angle d’un accident du travail défini à l’article 2 et même sous l’angle de la maladie professionnelle, si tant est qu’il aurait dû, comme le plaide le représentant de la travailleuse, se pencher sur cette dernière éventualité.
[68] Enfin, le représentant de la travailleuse n’a pas insisté sur la condition personnelle de la travailleuse rendue symptomatique par l’événement du 3 décembre 2012. Au contraire, il a martelé sur la présomption de lésion professionnelle et sur la relation causale directe entre le diagnostic reconnu et l’événement. Il ne peut maintenant en faire reproche au premier juge administratif au moyen d’une simple phrase dans un plaidoyer écrit[16].
[69] Le tribunal en révision croit finalement que la travailleuse est simplement en désaccord avec les conclusions du premier juge administratif puisqu’elle n’a pas eu gain de cause. Elle demande une nouvelle interprétation de la preuve en espérant que cette fois, elle ait gain de cause.
[70] Cela ne constitue pas un motif de révision. Intervenir dans ce contexte forcerait le présent tribunal à substituer son interprétation de la preuve et du droit à celle du premier juge administratif et à revoir son appréciation. À l’évidence, cela dénaturerait le recours en révision.
[71] Somme toute, la requête de la travailleuse n’est pas fondée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de la travailleuse.
|
|
|
Jacques David |
|
|
|
|
|
|
|
|
Me Éric Marsan |
|
LÉGER & MARSAN, ASSOCIÉS |
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
|
|
Me Anne-Marie Champoux |
|
SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES |
|
Représentante de la partie intéressée |
[1] LRLQ. c. A-3.001.
[2] Voir notamment Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783.
[3] [2003] C.L.P. 601 (C.A.).
[4] [2005] C.L.P. 626 (C.A.); également dans CSST c. Toulimi, 2005 QCCA 947.
[5] C.L.P. 224235-63-0401, 12 janvier 2006, L. Nadeau. Voir aussi Roy et Staples Canada Inc., 2011 QCCLP 3709.
[6] Manufacture Lingerie Château inc. c. Commission des lésions professionnelles, C.S. Montréal, 500-05-065039-016, 1er octobre 2001, j. Poulin; Drouin et Goodyear Canada inc., 2007 QCCLP 6640; voir plus récemment Légaré et Signalisation SMB inc., 2013 QCCLP 6231.
[7] Rodrigue c. Commission des lésions professionnelles, 2007 QCCS 6010; Drouin et Goodyear Canada inc. 2007 QCCLP 6640 et CSSS du Nord de Lanaudière, C.L.P. 346091-63-0804, 2 novembre 2009, C.-A. Ducharme; Rinfret et 360 Cayer ltée, 2010 QCCLP 8476.
[8] Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.
[9] 2015 QCCLP 3699.
[10] 2015 QCCS 1430.
[11] L.R.C. (1985), c. G-5.
[12] Il possiblement ici une erreur cléricale, puisque outre le docteur Gravel les médecins et les examens paracliniques révèlent plutôt qu’il s’agit du côté gauche.
[13] RLRQ, c. A-3.001, r. 12.
[14] Beaupré-Gâteau c. Commission des relations du travail, précitée note 11.
[15] Boies et CSSS Québec-nord, 2011 QCCLP 2775.
[16] Ayadi et Société canadienne des postes, 2014 QCCLP 5856.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.