Décision

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Carrier c. Mittal Canada inc.

2014 QCCA 679

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-022667-125

(500-17-066341-119)

 

DATE :

LE 4 AVRIL 2014

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

FRANÇOIS CARRIER

APPELANT - demandeur

c.

 

MITTAL CANADA INC.

INTIMÉE - mise en cause

et

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

MARIO CHAUMONT, en sa qualité de commissaire

MYRIAM BÉDARD, en sa qualité de commissaire

SOPHIE MIREAULT, en sa qualité de commissaire

ALAIN TURCOTTE, en sa qualité de commissaire

MIS EN CAUSE - défendeurs

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelant se pourvoit contre le jugement par lequel la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable William Fraiberg), en date du 18 avril 2012, rejette sa requête introductive d’instance en révision judiciaire de deux décisions de la Commission des relations du travail, l’une du 6 octobre 2010 (2010 QCCRT 0467) et l’autre, révisant la première, du 1er mars 2011 (2011 QCCRT 0121);

[2]           Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrivent les juges Chamberland et Vauclair, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE l’appel, pour partie;

[4]           INFIRME partiellement le jugement de première instance;

[5]           ACCUEILLE partiellement la requête introductive d’instance en révision judiciaire;

[6]           CASSE pour partie les décisions prononcées par la Commission des relations du travail les 6 octobre 2010 (2010 QCCRT 0467) et 1er mars 2011 (2011 QCCRT 0121) respectivement;

[7]           DÉCLARE que l’appelant a droit à l’indemnisation salariale prévue par l’article 128, paragr. 2, de la Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1, pour la période allant du 29 septembre 2008 au 28 septembre 2009 (indemnisation qui devra tenir compte des prestations reçues de la Commission de la santé et de la sécurité du travail) ainsi que pour la période commençant le 29 septembre 2009 et se terminant la veille du jour où s’est effectuée la réintégration ordonnée par la Commission des relations du travail le 6 octobre 2010 (2010 QCCRT 0467);

[8]           DÉCLARE que la Commission des relations du travail aurait dû octroyer les indemnités mentionnées au paragraphe [7] ci-dessus et condamner l’intimée en conséquence;

[9]           RENVOIE le dossier à la Commission des relations du travail pour qu’elle établisse le montant de l’indemnité due à l’appelant en vertu de l’article 128, paragr. 2, de la Loi sur les normes du travail et qu’elle en ordonne le paiement par l’intimée, le tout conformément aux paramètres que résument les paragraphes [146] à [148] des motifs ci-joints, sauf règlement amiable des parties;

[10]        MAINTIENT pour le reste les décisions de la Commission des relations du travail des 6 octobre 2010 (2010 QCCRT 0467) et 1er mars 2011 (2011 QCCRT 0121);

[11]        LE TOUT, avec dépens limités au débours tant devant la Cour que devant la Cour supérieure.

 

 

 

 

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

M. François Carrier

Personnellement

Appelant

 

Me Michel Carle

Norton Rose Fulbright Canada

Pour l'intimée

 

Date d’audience :

Le 13 janvier 2014


 

 

MOTIFS DE LA JUGE BICH

 

 

[12]        L’appelant est victime de harcèlement psychologique aux mains de collègues de travail, sans que l’intimée (son employeur), pourtant informée du problème, prenne quelque mesure protective que ce soit. Il se tourne vers la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST »), qui, reconnaissant le harcèlement et la lésion professionnelle qui en découle, lui accorde le bénéfice du régime d’indemnisation et de réhabilitation prévu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1]. Quelques semaines après s’être adressé à la CSST, l’appelant, se fondant sur l’article 123.6 de la Loi sur les normes du travail[2], dépose également, cette fois auprès de la Commission des normes du travail, une plainte pour harcèlement psychologique. Cette plainte sera déférée à la Commission des relations du travail (« CRT ») en vertu de l’article 123.12 L.n.t.

[13]        De façon concomitante, l’appelant dépose une autre plainte auprès de la Commission des normes du travail. C’est qu’en effet, la veille du jour où il présente sa demande à la CSST, il fait l’objet d’un congédiement qu’il estime être sans cause juste et suffisante au sens de l’article 124 L.n.t. Cette plainte sera également déférée à la CRT.

[14]        Dans un premier temps, la CRT accueille les deux plaintes, déclare l’appelant victime de harcèlement et annule le congédiement. Dans un second temps, les parties ne s’entendant pas à ce propos, elle se penche sur les mesures remédiatrices qu’il convient d’ordonner. Le sujet, qui fera l’objet de deux décisions de la CRT et d’un jugement de la Cour supérieure, donne lieu à un débat vigoureux, repris quasi intégralement dans le cadre du présent pourvoi. Plus précisément, l’appelant ayant été réintégré dans ses fonctions, ce que ne conteste pas l’intimée, seule la réparation pécuniaire est en jeu, ce qui soulève ici la question de la juxtaposition du régime d’indemnisation prévu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles aux mesures qu’édicte la Loi sur les normes du travail afin de remédier au harcèlement psychologique ainsi qu’au congédiement sans cause juste et suffisante.

[15]        Mais avant d’aller plus loin, il faut dresser un portrait plus complet de l’affaire.

I.          Contexte

[16]        Le 4 décembre 2009, la CRT, sous la plume du commissaire Mario Chaumont, prononce une première décision (décision CRT-1)[3]. Elle y fait droit, sur le fond, aux deux plaintes que l’appelant a formulées contre l’intimée le 6 octobre 2005. L’une de ces plaintes, régie par les articles 123.6 et s. L.n.t., vise le harcèlement psychologique dont il a été la cible, l’autre, régie par les articles 124 et s. L.n.t., son congédiement du 13 septembre 2005. Les paragraphes 1 et 2 de la décision précisent que :

[1]        Le 6 octobre 2005, François Carrier (le plaignant) dépose une plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (la Loi). Il prétend que Mittal Canada inc. (l’employeur) l’a congédié sans cause juste et suffisante le 13 septembre 2005.

[2]        Le 6 octobre 2005, le plaignant dépose une autre plainte, cette fois en vertu de l’article 123.6 de la Loi. Il prétend avoir subi du harcèlement psychologique dont la dernière manifestation est survenue le 19 août 2005.

[17]        La décision CRT-1 explique les tenants et aboutissants de ces plaintes et de la preuve à laquelle elles ont donné lieu. Il en ressort que, malgré leur concomitance, elles se rattachent à des événements distincts, sans lien l’un avec l’autre : 1° d’une part, l’appelant a fait l’objet de harcèlement psychologique, ce dont l’intimée ne s’est pas préoccupée, faisant plutôt montre d’un immobilisme blâmable[4]; 2° d’autre part, l’appelant a fait l’objet d’un congédiement administratif dont le fondement allégué - à savoir une incapacité chronique à exécuter son travail de gestionnaire - n’a pas été établi, l’intimée n’ayant en outre pas respecté sa propre politique d’évaluation ni prévenu le salarié qu’à défaut de s’amender, il risquait le renvoi[5].

[18]        Cette détermination est cruciale aux fins du problème qui nous occupe ici : la décision de congédier ne s’inscrit pas dans la séquence des incidents de harcèlement et elle n’en est ni le point culminant ni l’illustration ou la manifestation. Il y a plutôt ici des causes d’action séparées. Le dossier d’appel ne permet aucunement de remettre en question cette conclusion factuelle, et d’autant moins qu’il ne comporte qu’une partie de la preuve administrée devant la CRT.

[19]        Dans un autre ordre d’idées, soulignons que la CRT, dans ses motifs, rejette l’argument de l’intimée qui, prétextant l’abolition du poste de l’appelant, affirmait l’impossibilité de la réintégration prévue par l’article 128 L.n.t. Elle n’ordonne toutefois pas cette réintégration, reportant le débat à plus tard et préférant apparemment laisser les parties s’entendre à ce sujet comme sur les autres mesures réparatrices. Ainsi qu’on le verra, ce choix décisionnel n’ira pas sans créer certaines difficultés.

 

[20]        Cela dit, le dispositif de la décision CRT-1 est le suivant :

ACCUEILLE   la plainte en vertu de l’article 124 de la Loi;

ANNULE         le congédiement imposé le 13 septembre 2005;

RÉSERVE      sa compétence pour déterminer les mesures de réparations appropriées, le cas échéant;

ACCUEILLE   la plainte en vertu de l’article 123.6;

DÉCLARE      que François Carrier a été victime de harcèlement psychologique;

DÉCLARE      que Mittal Canada inc. a fait défaut de respecter ses obligations prévues à l’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail;

RÉSERVE      sa compétence pour déterminer les mesures de réparation appropriées.

* *

[21]        Considérons maintenant l’autre facette du dossier.

[22]        Le 14 septembre 2005, c’est-à-dire au lendemain de son congédiement et quelques semaines avant de déposer ses plaintes auprès de la Commission des normes du travail, l’appelant s’adresse également à la CSST, et ce, en vertu de l’article 44 L.a.t.m.p. Comme indiqué plus haut, sa réclamation est reçue favorablement : la CSST constate l’existence d’une lésion professionnelle résultant d’un harcèlement qui a causé chez lui une profonde dépression assortie de troubles divers le rendant inapte au travail[6].

[23]        L’appelant reçoit donc les prestations payables en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, et ce, pour toute la durée de son incapacité, soit du 14 septembre 2005 au 28 septembre 2008[7]. À compter de cette dernière date, et quoiqu’il soit alors jugé apte à reprendre son emploi prélésionnel, la CSST, en vertu de l’article 48 L.a.t.m.p., accepte néanmoins de lui verser des prestations pendant une année supplémentaire, jusqu’au 28 septembre 2009[8].

* *

[24]        Pour la bonne intelligence de ce qui suit, reproduisons immédiatement les dispositions de la Loi sur les normes du travail qui investissent la CRT du pouvoir réparateur rattaché aux deux plaintes dont elle était saisie :

Harcèlement psychologique

123.15.      Si la Commission des relations du travail juge que le salarié a été victime de harcèlement psychologique et que l'employeur a fait défaut de respecter ses obligations prévues à l'article 81.19, elle peut rendre toute décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, notam-ment :

 1° ordonner à l'employeur de réin-tégrer le salarié;

 2° ordonner à l'employeur de payer au salarié une indemnité jusqu'à un maximum équivalant au salaire perdu;

 3° ordonner à l'employeur de pren-dre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement;

 4° ordonner à l'employeur de ver-ser au salarié des dommages et intérêts punitifs et moraux;

 5° ordonner à l'employeur de ver-ser au salarié une indemnité pour perte d'emploi;

 6° ordonner à l'employeur de finan-cer le soutien psychologique requis par le salarié, pour une période raisonnable qu'elle détermine;

 7° ordonner la modification du dos-sier disciplinaire du salarié victime de harcèlement psychologique.

123.15.      If the Commission des relations du travail considers that the employee has been the victim of psychological harassment and that the employer has failed to fulfil the obligations imposed on employers under section 81.19, it may render any decision it believes fair and reasonable, taking into account all the circumstances of the matter, including

(1) ordering the employer to reinstate the employee;

 (2) ordering the employer to pay the employee an indemnity up to a maximum equivalent to wages lost;

 (3) ordering the employer to take reasonable action to put a stop to the harassment;

 (4) ordering the employer to pay punitive and moral damages to the employee;

 (5) ordering the employer to pay the employee an indemnity for loss of employment;

 (6) ordering the employer to pay for the psychological support needed by the employee for a reasonable period of time determined by the Commission;

(7) ordering the modification of the disciplinary record of the employee.

123.16.      Les paragraphes 2°, 4° et 6° de l'article 123.15 ne s'appliquent pas pour une période au cours de laquelle le salarié est victime d'une lésion professionnelle, au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001), qui résulte du harcèlement psycho-logique.

            Lorsque la Commission des relations du travail estime probable, en application de l'article 123.15, que le harcèlement psychologique ait entraîné chez le salarié une lésion professionnelle, elle réserve sa décision au regard des paragraphes 2°, 4° et 6°.

123.16.      Paragraphs 2, 4 and 6 of section 123.15 do not apply to a period during which the employee is suffering from an employment injury within the meaning of the Act respecting industrial accidents and occupational diseases (chapter A-3.001) that results from psychological harassment.

            Where the Commission des relations du travail considers it probable that, pursuant to section 123.15, the psychological harassment entailed an employment injury for the employee, it shall reserve its decision with regard to paragraphs 2, 4 and 6.

Congédiement sans cause juste et suffisante

128.     Si la Commission des relations du travail juge que le salarié a été congédié sans cause juste et suffisante, elle peut :

 1° ordonner à l'employeur de ré-intégrer le salarié;

 2° ordonner à l'employeur de payer au salarié une indemnité jusqu'à un maximum équivalant au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

 3° rendre toute autre décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circons-tances de l'affaire.

            Cependant dans le cas d'un domestique ou d'une personne dont la fonction exclusive est d'assumer la garde ou de prendre soin d'un enfant, d'un malade, d'une personne handicapée ou d'une personne âgée, la Commission des relations du travail ne peut qu'ordonner le paiement au salarié d'une indemnité correspondant au salaire et aux autres avantages dont l'a privé le congédiement.

128.     Where the Commission des relations du travail considers that the employee has been dismissed without good and sufficient cause, the Commission may

 (1) order the employer to reinstate the employee;

 (2) order the employer to pay to the employee an indemnity up to a maximum equivalent to the wage he would normally have earned had he not been dismissed;

(3) render any other decision the Commission believes fair and reasonable, taking into account all the circumstances of the matter.

      However, in the case of a domestic or a person whose exclusive duty is to take care of or provide care to a child or to a sick, handicapped or aged person, the Commission des relations du travail may only order the payment to the employee of an indemnity corresponding to the wage and other benefits of which he was deprived due to dismissal.

[25]        Il n’est pas inutile de reproduire en outre l’article 438 L.a.t.m.p., disposition sur laquelle s’appuient, pour partie, les décisions et le jugement faisant l’objet du présent appel :

438.     Le travailleur victime d'une lésion professionnelle ne peut intenter une action en respon-sabilité civile contre son employeur en raison de sa lésion.

438.     No worker who has suffered an employment injury may institute a civil liability action against his employer by reason of his employment injury.

* *

[26]        Les parties ne s’étant pas entendues à la suite de la décision CRT-1 du 4 décembre 2009, l’appelant présente sa demande de réparation à la CRT (en l’occurrence au commissaire Chaumont) et, selon ce que décrit la décision qui sera rendue le 6 octobre 2010 (décision CRT-2), il réclame ce qui suit :

[3]        Le 13 janvier 2010, le plaignant produit une réclamation de 902 229,70 $ qui se divise comme suit :

-     pertes salariales et intérêts pour la période allant de son congédiement au 5 août 2010 : 655 833,22 $;

-     frais judiciaires et administratifs : 51 891,80 $;

-     dommages moraux : 90 000 $;

-     dommages exemplaires et punitifs : 37 000 $;

-     impacts négatifs sur l’évolution de la carrière professionnelle : 60 000 $;

-     intérêts sur un emprunt et impôt retenu sur un encaissement d’un REER : 5 835,81 $;

-     frais médicaux : 1 671,87 $.

[4]        Lors de la dernière journée d’audience, le plaignant soustrait de sa réclamation les sommes et avances reçues de l’employeur durant son congédiement, soit 9 179,52 $.

[5]        Le plaignant demande également d’être réintégré dans l’entreprise. L’employeur s’y oppose. Dans l’éventualité où il ne le serait pas, le plaignant réclame dix mois de salaire à titre d’indemnité visant à compenser la perte de son emploi.

[27]        Cette réclamation est accueillie pour partie.

[28]        Tout d’abord, pour remédier au congédiement précédemment annulé, la CRT ordonne la réintégration de l’appelant en vertu de l’article 128, paragr. 1, L.n.t. Déjà, dans la décision CRT-1, elle avait statué que la réintégration était possible nonobstant l’abolition du poste qu’occupait l’appelant au moment de son renvoi. Elle décide maintenant que rien d’autre ne fait obstacle à cette mesure, qui lui paraît réalisable dans les circonstances. On doit comprendre ici que, le congédiement n’étant pas lié au harcèlement, cette ordonnance de réintégration est fondée uniquement sur l’article 128, paragr. 1, et non sur l’article 123.15, paragr. 1, L.n.t.

[29]        Ensuite, quant aux mesures pécuniaires destinées à pallier les effets du congédiement et ceux du harcèlement, voici comment statue la CRT.

[30]        Premièrement, en ce qui touche les réclamations salariales régies par l’article 128, paragr. 2, L.n.t., la CRT estime que, pour la période 2005-2009 (c’est-à-dire pendant que l’appelant reçoit des prestations de la CSST[9]), elle ne peut accorder, en principe, aucune indemnisation sous ce chef, pour la raison suivante :

[27]      La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001, (la LATMP) prévoit une indemnisation lorsqu’une lésion professionnelle est reconnue. Il s’agit d’un régime public complet d’indemnisation financé par les cotisations des employeurs. En contrepartie, le législateur a prévu à l’article 438 de cette loi qu’un employeur ne pouvait être l’objet d’action en responsabilité civile pour cette lésion.

438.      Le travailleur victime d'une lésion professionnelle ne peut intenter une action en responsabilité civile contre son employeur en raison de sa lésion.

[28]      La CSST prend en considération les heures supplémentaires, les bonis ou autres avantages pour le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu. La LATMP prévoit :

[…]

[29]      La jurisprudence a statué qu’une réclamation en vertu d’un grief ou d’une plainte selon l’article 128 de la Loi était assimilable à une action en responsabilité civile selon l’article 438.

[30]      Ce régime d’indemnisation sans égard à la faute, empêche la Commission d’ordonner à l’employeur de rembourser la différence entre le salaire que le plaignant aurait gagné n’eut été du congédiement et les sommes versées par la CSST, sauf exception.

[Je souligne.]

[31]        Par exception, justement, considérant la politique interne de l’employeur en matière de congés de maladie et d’invalidité, la CRT accorde à l’appelant, pour les 26 semaines suivant le congédiement[10], la différence entre son salaire de l’époque (avec un léger rajustement[11]) et les prestations reçues de la CSST pour la même période[12]. Elle s’explique ainsi :

[31]      Dans les conditions de travail du plaignant, il y est prévu qu’en cas d’invalidité pour cause de maladie, l’employeur verse 100 % du salaire durant une période de 26 semaines. Celui-ci déduit des versements toutes indemnités reçues à la suite de l’application « de toute loi sur les accidents du travail ». Or, parce qu’il a été congédié (sans cause juste et suffisante), le plaignant n’a pas eu droit à ces versements. Cela constitue une exception à la règle de non-remboursement décrite au paragraphe précédent. L’absence du paiement de ce bénéfice ne découle pas de la lésion professionnelle, mais du congédiement.

[32]        La CRT ne peut toutefois quantifier précisément cette différence, la preuve ne le permettant pas[13], et le dispositif de sa décision contient donc une ordonnance générale à cet égard[14].

[33]        Toujours par exception, la CRT accorde également à l’appelant un montant qui découle du régime de participation des employés aux bénéfices de l’intimée et qu’il aurait reçu en 2006 (4 046,05 $)[15].

[34]        Quant à la période subséquente au 28 septembre 2009, alors que l’appelant ne reçoit plus de prestations de la CSST, la CRT décide que :

[39]      Quant à la période allant du 28 septembre 2009 à aujourd’hui, le plaignant ne peut recevoir de remboursement salarial. Il n’a effectué aucune démarche de recherche d’emploi alors qu’il avait l’obligation de mitiger ses dommages. En l’absence de preuve qui justifierait son inaction, le seul dépôt d’un certificat médical est insuffisant, la Commission rejette ce poste de réclamation.

[35]        Indiquons tout de suite que si le bât blesse dans le présent dossier, c’est là. J’y reviendrai.

[36]        Côté harcèlement, on comprend par ailleurs de la décision, même si elle ne s’exprime pas exactement en ces termes, qu’en ce qui concerne les indemnités salariales prescrites ordinairement par l’article 123.15, paragr. 2, L.n.t., la CRT est d’avis que l’article 123.16, premier al., L.n.t. y fait obstacle, l’appelant ayant été victime d’une lésion professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et la réparation salariale étant entièrement à la charge de la CSST en vertu de cette loi.

[37]        Deuxièmement, en ce qui touche les mesures de réparation régies par l’article 128, paragr. 3 (en rapport avec le congédiement) et par l’article 123.15 L.n.t. (en rapport avec le harcèlement), la CRT accorde à l’appelant le remboursement des honoraires et frais liés aux deux plaintes qu’elle a accueillies (soit : 17 000 $ d’honoraires et 3 392,26 $ de frais divers, pour un total de 20 392,26 $[16]). Elle s’estime cependant (à raison) sans compétence pour accorder le remboursement des sommes dépensées pour défendre la cause de l’appelant devant la CLP[17], l’intimée ayant contesté sa réclamation à la CSST. La CRT ordonne par ailleurs le remboursement à l’appelant de frais médicaux de 1 688,50 $, que l’intimée reconnaît devoir[18], mais, en revanche, décide que le premier doit remettre à la seconde des avances de 9 179,52 $, qui seront payables par voie de compensation[19].

[38]        La CRT se penche également sur la question des dommages moraux que réclame l’appelant. Pareils dommages peuvent être octroyés, le cas échéant, en vertu de l’article 128, paragr. 3, L.n.t. (congédiement) ou en vertu de l’article 123.15, paragr. 4, L.n.t. (harcèlement), mais, en l’occurrence, la CRT les refuse. Elle juge en effet que tous les dommages moraux réclamés par l’appelant se rattachent non pas au congédiement, mais uniquement au harcèlement psychologique dont il a été victime[20]. L’article 128, paragr. 3, n’en permet donc pas l’octroi. Quant à l’article 123.15, paragr. 4, quoique la CRT ne l’écrive pas de cette façon, il ressort de sa décision qu’elle estime cette disposition inapplicable en raison de l’article 123.16, premier al., L.n.t. et ne peut donc accorder compensation à l’appelant pour les dommages moraux résultant du harcèlement.

[39]        Sa décision est la même en ce qui concerne les dommages exemplaires. D’une part, vu « l’absence d’atteinte illicite et intentionnelle au sens de l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne et de la jeunesse (sic), L.R.Q., c. C-12, de la part de l’employeur lors du congédiement »[21], il n’y a pas lieu d’accorder de tels dommages en ce qui concerne le congédiement. D’autre part, et cela est sous-entendu, il n’y a pas lieu d’en accorder en vertu de l’article 123.15, paragr. 4, vu l’empêchement que crée l’article 123.16, premier al., L.n.t.

[40]        L’appelant réclamait aussi des dommages liés à l’impact négatif du congédiement sur l’évolution de sa carrière et sur son salaire, réclamation que rejette la CRT. Celle-ci estime en effet que, jusqu’en septembre 2009, cette réclamation est entièrement couverte par l’indemnité que l’appelant reçoit de la CSST[22]. Pour la période subséquente (entre septembre 2009 et la date de la réintégration), l’appelant, estime-t-elle, n’aurait pas eu de promotion[23] et n’a subi aucun dommage sous ce chef.

[41]        Finalement, la CRT refuse la réclamation de l’appelant au sujet d’un emprunt et de l’encaissement d’un REER, jugeant la preuve insuffisante[24].

* *

[42]        Insatisfait de cette décision, l’appelant en demande la révision en vertu de l’article 127, paragr. 3, C.t. Son recours est rejeté le 1er mars 2011 par les commissaires Myriam Bédard, Sophie Mireault et Alain Turcotte (décision CRT-3).

[43]        Mentionnons que, devant les commissaires réviseurs, l’appelant fait valoir certaines difficultés liées à l’exécution de l’ordonnance de réintégration prononcée dans la décision CRT-2[25]. Les commissaires estiment, à bon droit, qu’ils n’ont pas à se prononcer sur ces difficultés. La solution de celles-ci relève plutôt du commissaire ayant rendu la décision CRT-2[26].

[44]        L’appelant demande également aux commissaires réviseurs de statuer sur une requête en rejet sommaire annoncée par l’intimée lors d’une conférence préparatoire antérieure à la décision CRT-1. Les commissaires réviseurs refusent de se prononcer au motif que l’intimée n’aurait pas donné suite à cette requête[27], ce qui paraît inexact, ladite requête ayant plutôt été rejetée sommairement[28] en 2008. Cela ne change toutefois rien à la justesse de leur conclusion : si la requête en question a été rejetée, il n’y a pas lieu de revenir sur la question; si l’intimée n’y a pas donné suite, elle est désormais caduque; quoi qu’il en soit, l’on n’a bien sûr pas à se préoccuper d’une requête en rejet sommaire lorsque la décision sur le fond a été prononcée. Dans tous les cas, sur ce point précis, la décision des commissaires est donc la bonne.

[45]        Pour le reste, les commissaires réviseurs confirment la décision CRT-2, concluant que celle-ci n’est entachée d’aucun vice de fond au sens de l’article 127 C.t.

[46]        Les commissaires réviseurs rejettent aussi les prétentions de l’appelant qui soutient devant eux avoir été congédié parce qu’il a déposé une plainte pour harcèlement et qui invoque à ce sujet la présomption qui naîtrait de l’application de l’article 17 C.t. Les commissaires expliquent que cette disposition aurait pu être invoquée si l’appelant avait fait une plainte en vertu de l’article 122 L.n.t., ce qui n’est toutefois pas le cas. Ils auraient pu ajouter, ce qu’ils n’ont pas fait mais qui confirme le bien-fondé de leur décision, que les articles 123.14 et 127 L.n.t. prévoient tous deux explicitement que les articles 15 à 19 C.t. (ce qui inclut donc l’art. 17 C.t.) ne s’appliquent ni en matière de plainte pour harcèlement psychologique ni en matière de plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante.

[47]        Il convient par ailleurs de reproduire les propos des commissaires réviseurs sur la question de l’obligation de mitigation incombant à l’appelant, propos qui renchérissent sur ceux de la décision CRT-2 :

[48]      Le requérant soutient que le congédiement étant annulé par la décision CRT 1, il n’avait pas à chercher un emploi. Concernant ce raisonnement, il n’y a pas de vice de fond dans la décision CRT 2. On peut constater des conclusions de la décision CRT 1 que le requérant n’a pas été réintégré dans son emploi. Ce n’est que par la décision CRT 2 de 2010 qu’il l’a été. Il ne peut donc prétendre avoir été dispensé de faire la recherche d’un emploi avant le 6 octobre 2010.

[49]      De plus, dans la décision CRT 2, la Commission applique le principe bien connu de droit civil utilisé dans de nombreuses décisions en matière de relations du travail. Il s’agit du principe de mitigation des dommages qui signifie qu’un salarié congédié doit faire des efforts raisonnables pour se trouver un emploi dans le même domaine ou dans un domaine connexe, afin de réduire les dommages qu’il subit. Cette obligation provient du Code civil du Québec :

Article 1479 : La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l’aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter.

[50]      Selon la preuve relatée dans la décision CRT 2, le requérant n’a pas fait de recherche d’emploi. Il a déposé un certificat médical du 29 mars 2010 prescrivant un retour progressif, mais n’a pas fait témoigner son médecin. La Commission, en première instance, a estimé que cela était insuffisant. Le requérant n’est pas d’accord, mais ne démontre aucun vice invalidant cette décision.

[48]        Au chapitre des dommages moraux et punitifs, les commissaires réviseurs confirment la décision CRT-2 et renvoient à l’« immunité de l’employeur en vertu du régime de la LATMP »[29], la preuve démontrant que l’indemnisation de la CSST « couvre tous les événements de harcèlement »[30].

* *

[49]        L’appelant s’adresse alors à la Cour supérieure, contestant les décisions CRT-2 et CRT-3 par voie de révision judiciaire[31]. Le 18 avril 2012, le juge Fraiberg rejette sa requête introductive d’instance. Je me permets de résumer ici son jugement, dans ses très grandes lignes.

[50]        Quant à la décision CRT-2, il faut, selon le juge, recourir à la norme de la décision raisonnable, sauf en ce qui concerne la question de l’impact des articles 438 L.a.t.m.p. et 123.16 L.n.t. sur les réparations que la CRT peut accorder au salarié victime de harcèlement ou congédié sans cause juste et suffisante. Il s’agirait là, en effet, d’une question de compétence assujettie à la norme de la décision correcte. Quant à la décision CRT-3, comme elle ne modifie pas la décision CRT-2, on peut appliquer la norme de la décision raisonnable (la question étant : était-il raisonnable pour la CRT, siégeant en révision, de ne pas intervenir?).

[51]        Sur le fond, le juge de première instance estime que la décision CRT-2 a correctement appliqué les articles 438 L.a.t.m.p. et 123.16 L.n.t.[32].

[52]        Pour le reste, le juge est d’accord avec la décision CRT-2[33], qu’il estime raisonnable, c’est-à-dire intelligible, transparente et suffisamment étayée par la preuve. Il écrit :

[90]      CRT 1 satisfait amplement à ces critères. Le commissaire Chaumont a motivé sa décision d'une manière consciencieuse, transparente et limpide et cette dernière appartient aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[91]      Mis à part le manque de compétence de la CRT d'accorder son plein salaire à monsieur Carrier durant la période d'invalidité, son refus d'accueillir la presque totalité des autres demandes monétaires de monsieur Carrier était justifié par l'absence de preuve à leur appui.

[92]      Par ailleurs, le Tribunal considère déraisonnable sa prétention qu'il n'avait aucune obligation de mitiger ses dommages en tentant de trouver un autre poste durant l'année de grâce accordée par la CSST de fait qu'il attendait la réintégration à son emploi chez Mittal que la CRT a éventuellement ordonnée.

[93]      Si on l'acceptait, le traitement de salariés congédiés ayant porté plainte en vertu de l'article 124 LNT serait aléatoire et injuste : ceux dont la demande de réintégration était acceptée auraient pu profiter d'une longue période de congé rémunéré, alors que ceux dont une telle demande était refusée seraient doublement pénalisés.

[94]      Le choix de chercher ou de ne pas chercher un travail durant la période d'attente serait donc un jeu de pari assujetti à la condition suspensive de réintégration.

[95]      Ceux qui sont réintégrés à leur poste ne seraient pas soumis à l'obligation de mitiger tandis que tous les autres le seraient.

[96]      L'obligation de mitiger ne devra jamais être imposée en rétrospective mais ceux qui y sont soumis doivent forcément se trouver tous dans le même état d'incertitude.

[97]      Sinon, l'on dénaturerait l'obligation de mitiger du droit commun et l'on ferait abstraction du pouvoir discrétionnaire de la CRT sous l'article 128 (3) LNT de rendre toute autre décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire en lui imposant l'obligation de payer le plein salaire au salarié réintégré sans égard à l'absence d'effort de se trouver un travail rémunérateur en attendant.

[53]        Le juge rejette au passage un argument apparemment nouveau de l’appelant, argument fondé sur l’article 260 L.a.t.m.p. Il est d’avis que cette disposition ne s’applique que dans le cas d’une plainte régie par l’article 32 L.a.t.m.p. Or, l’appelant n’a pas fait une telle plainte (ajoutons qu’une plainte de ce type ne relèverait pas de la CRT, mais bien des instances créées par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles).

[54]        Le juge conclut finalement, à propos de la décision CRT-3, que celle-ci « s’est conformée aux deux normes de contrôle applicables en l'espèce, soit la norme de la décision correcte pour la question d’immunité consécutive à la survenance de la lésion professionnelle, et celle de la décision raisonnable pour l’attribution de dommages consécutifs au congédiement »[34].

II.         Appel

[55]        Le 1er juin 2012, l’appelant, qui n’est pas représenté par avocat[35], est autorisé à se pourvoir contre le jugement de première instance[36]. Ses moyens d’appel paraissent reprendre, tout en les reformulant et en les précisant, l’ensemble des arguments qu’il a soumis à l’attention de la Cour supérieure, dans une version parfois majorée.

[56]        Pour l’essentiel, ces nombreux moyens convergent vers un seul objectif, à savoir ce qu’il estime être son droit à la réparation intégrale du préjudice matériel et moral subi par suite du harcèlement et du congédiement ainsi que son droit à l’attribution de dommages punitifs, le tout sans égard au fait qu’il a bénéficié de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. C’est ainsi que, par exemple, il s’oppose à l’application de l’article 123.16 L.n.t. et conteste le fait qu’on ne lui ait accordé aucune compensation en vertu des paragraphes 2 et 3 de l’article 128 L.n.t. Sur ce dernier point, il soutient que 1° la CRT a erré en appliquant l’article 438 L.a.t.m.p. à une plainte régie par l’article 124 L.n.t. et 2° qu’elle a erré en lui reprochant d’avoir manqué à son devoir de mitigation.

[57]        Pour les raisons expliquées ci-dessous, il n’est pas possible de faire droit aux moyens principaux que présente l’appelant. Il faut toutefois lui donner gain de cause sur la question de la mitigation.


III.        Analyse

1.         Détermination de la norme de contrôle

[58]        Quelques mots sur la norme de contrôle applicable à l’espèce.

[59]        À l’instar du juge de première instance, l’on doit conclure qu’en ce qui concerne l’interprétation et l’application des articles 438 L.a.t.m.p. et 123.16 L.n.t., on doit s’en rapporter à la norme de la décision correcte, la question touchant la délimitation des compétences respectives de la CRT, en vertu de la Loi sur les normes du travail, et des instances chargées de l’application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[37].

[60]        La révision de tous les autres aspects de la décision CRT-2, qui est au cœur du pourvoi, appelle cependant la norme de la décision raisonnable. En effet, la CRT, organisme protégé par une clause d’inattaquabilité absolue, a statué dans la présente affaire sur des questions qui relèvent de son champ d’expertise décisionnelle ainsi que de la mission spécialisée et exclusive que lui confie le législateur, questions se rattachant par ailleurs à une loi dont l’application lui est au premier chef réservée[38]. Cette norme s’applique tant au droit, c’est-à-dire à l’interprétation que la CRT fait de la Loi sur les normes du travail[39], qu’aux faits, c’est-à-dire à l’évaluation de la preuve et aux inférences pouvant être tirées de celle-ci.

[61]        Dans le cas de la décision CRT-3, c’est en principe la norme de la décision raisonnable qui s’applique[40]. La question est de savoir si la CRT, en révision, a statué raisonnablement en ne détectant pas de vice de fond dans la décision CRT-2. Là encore, par exception, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique au débat relatif à l’interprétation des articles 438 L.a.t.m.p. et 123.16 L.n.t. Comme la décision CRT-3 confirme ici la décision CRT-2, c’est de toute façon cette dernière qui se trouve au centre du débat.

2.         Application de la norme de contrôle

[62]        L’appelant, on le sait, a fait deux plaintes, l’une en vertu de l’article 123.6 L.n.t., visant le harcèlement psychologique dont il a été victime chez l’intimée jusqu’en août 2005, et l’autre en vertu de l’article 124 L.n.t., concernant le congédiement administratif dont il fut l’objet le 13 septembre 2005. Selon la décision CRT-1, confirmée en cela par la décision CRT-2, ces plaintes, comme je l’ai signalé plus haut (voir supra, paragr. [17] et [18]), sont porteuses de deux causes d’action séparées et sans rapport l’une avec l’autre, le congédiement n’étant ni la manifestation ni la suite du harcèlement psychologique infligé à l’appelant.

[63]        J’ai déjà souligné[41] que le dossier d’appel ne permet pas de réviser cette détermination qui paraît du reste raisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir, précité. Sans doute certains éléments de la preuve documentaire reproduite par l’appelant semblent-ils indiquer autre chose et sans doute son mémoire paraît-il, par moments, lier les deux événements, mais cela ne justifie aucunement de remettre en question la conclusion de la CRT à ce sujet. Mentionnons simplement que les décisions CRT-1 et 2 ont été précédées de plusieurs jours d’audition (17 dans le cas de CRT-1[42]). Or, nous n’avons rien des témoignages entendus lors des audiences en question, ce qui rend évidemment impossible que la Cour statue à ce propos autrement que la CRT.

[64]        Qui plus est, et cela seul est déterminant, la décision CRT-1 n’a pas été contestée par l’appelant et a donc l’autorité de la chose jugée.

[65]        En somme, sur ce point, la Cour est liée par les décisions CRT-1 et 2 : la plainte pour harcèlement psychologique et la plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante sont distinctes et ne reposent pas sur les mêmes faits; les événements sous-tendant ces plaintes, quoique parallèles à certains égards, sont indépendants les uns des autres.

[66]        Il faut par conséquent examiner séparément la question des remèdes que l’on peut octroyer à l’appelant pour chacune de ces deux plaintes, qui furent jugées bien fondées, étant entendu que la situation de fait créée par la lésion professionnelle de l’appelant n’est pas sans impact sur l’indemnisation à laquelle il peut prétendre.

[67]        Examinons d’abord les remèdes auxquels la CRT pouvait recourir après avoir accueilli la plainte de harcèlement psychologique et ceux qu’elle pouvait accorder après avoir accueilli la plainte de congédiement sans cause juste et suffisante.

a.         Remèdes au harcèlement psychologique

[68]        Le travailleur victime de harcèlement psychologique peut s’adresser à la CSST et obtenir, en cas de lésion professionnelle découlant de ce harcèlement, le bénéfice du régime établi par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Le même travailleur, s’il a statut de salarié au sens de la Loi sur les normes du travail (ce qui est ici le cas), peut aussi, concurremment, se plaindre du harcèlement à la Commission des normes du travail en vertu de l’article 123.6 L.n.t. À moins d’être réglée à l’amiable, la plainte est déférée à la CRT en vertu de l’article 123.12 L.n.t. Dans le cas où la CRT accueille la plainte, elle peut ordonner les mesures réparatrices prévues par l’article 123.15 L.n.t., sous réserve cependant des restrictions qu’énonce l’article 123.16 L.n.t. Par commodité, je reproduis de nouveau ces deux dispositions :

123.15.      Si la Commission des relations du travail juge que le salarié a été victime de harcèlement psychologique et que l’employeur a fait défaut de respecter ses obligations prévues à l’article 81.19, elle peut rendre toute décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, notam-ment :

 1° ordonner à l’employeur de réin-tégrer le salarié;

 2° ordonner à l’employeur de payer au salarié une indemnité jusqu’à un maximum équivalant au salaire perdu;

 3° ordonner à l’employeur de pren-dre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement;

 4° ordonner à l’employeur de ver-ser au salarié des dommages et intérêts punitifs et moraux;

 5° ordonner à l’employeur de ver-ser au salarié une indemnité pour perte d’emploi;

 6° ordonner à l’employeur de finan-cer le soutien psychologique requis par le salarié, pour une période raisonnable qu’elle détermine;

 7° ordonner la modification du dos-sier disciplinaire du salarié victime de harcèlement psychologique.

 

123.15.      If the Commission des relations du travail considers that the employee has been the victim of psychological harassment and that the employer has failed to fulfil the obligations imposed on employers under section 81.19, it may render any decision it believes fair and reasonable, taking into account all the circumstances of the matter, including

(1) ordering the employer to reinstate the employee;

 (2) ordering the employer to pay the employee an indemnity up to a maximum equivalent to wages lost;

 (3) ordering the employer to take reasonable action to put a stop to the harassment;

 (4) ordering the employer to pay punitive and moral damages to the employee;

 (5) ordering the employer to pay the employee an indemnity for loss of employment;

 (6) ordering the employer to pay for the psychological support needed by the employee for a reasonable period of time determined by the Commission;

(7) ordering the modification of the disciplinary record of the employee.

123.16.      Les paragraphes 2°, 4° et 6° de l’article 123.15 ne s’appliquent pas pour une période au cours de laquelle le salarié est victime d’une lésion professionnelle, au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001), qui résulte du harcèlement psycho-logique.

            Lorsque la Commission des relations du travail estime probable, en application de l’article 123.15, que le harcèlement psychologique ait entraîné chez le salarié une lésion professionnelle, elle réserve sa décision au regard des paragraphes 2°, 4° et 6°.

123.16.      Paragraphs 2, 4 and 6 of section 123.15 do not apply to a period during which the employee is suffering from an employment injury within the meaning of the Act respecting industrial accidents and occupational diseases (chapter A-3.001) that results from psychological harassment.

            Where the Commission des relations du travail considers it probable that, pursuant to section 123.15, the psychological harassment entailed an employment injury for the employee, it shall reserve its decision with regard to paragraphs 2, 4 and 6.

[Je souligne.]

 

[69]        L’article 123.16, premier al., est limpide : les paragraphes 2, 4 et 6 de l’article 123.15 « ne s’appliquent pas pour une période au cours de laquelle le salarié [en l’occurrence l’appelant] est victime d’une lésion professionnelle, au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ». La CRT se trouve ainsi privée du pouvoir d’octroyer au salarié victime d’une lésion professionnelle découlant du harcèlement psychologique les remèdes que prévoient les paragraphes en question de l’article 123.15, c’est-à-dire : l’indemnité salariale (paragr. 2), les dommages moraux et punitifs (paragr. 4), le financement du soutien psychologique (paragr. 6). Ces remèdes sont en quelque sorte subsumés dans le régime d’indemnisation établi par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et le législateur interdit qu’on les réclame autrement qu’à travers le régime mis sur pied par cette loi.

[70]        Cela étant, l’on n’a pas besoin de recourir ici à l’article 438 L.a.t.m.p. D’ailleurs, ce serait une erreur, puisque le recours prévu par les articles 123.6 et s. L.n.t. peut manifestement coexister avec celui de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Cependant, en pareil cas, le législateur prescrit que les pouvoirs réparateurs de la CRT sont restreints aux remèdes prévus par les paragraphes 1, 3, 5 et 7 de l’article 123.15 L.n.t.[43]. En ce sens, bien sûr, l’article 123.16 L.n.t. obéit à un objectif analogue à celui de l’article 438 L.a.t.m.p., mais ce n’est pas ce dernier qui justifie ici les décisions CRT-2 et 3 à l’égard de la perte salariale ou des dommages moraux découlant du harcèlement ou à l’égard des dommages punitifs liés à celui-ci, c’est plutôt l’article 123.16 L.n.t.

[71]        Cela dit, le résultat est le même pour l’appelant, qui, en raison de cette disposition, ne peut prétendre aux indemnités prévues par les paragraphes 2, 4 et 6 de l’article 123.15 L.n.t. Le choix législatif exprimé par l’article 123.16 L.n.t. est clair et l’on ne peut y échapper.

[72]        Notons au passage que, contrairement à ce que soutient l’appelant, aucun argument ne peut être tiré de l’article 260 L.a.t.m.p., disposition qui se rapporte au recours exercé par un travailleur victime d’une mesure interdite par l’article 32 L.a.t.m.p. Ces dispositions ne sont nullement applicables à l’espèce et, inutile de le dire, la CRT n’est aucunement habilitée à les appliquer, pas plus qu’elle ne pourrait, en prenant appui sur celles-ci, contourner l’interdiction qui lui est faite par l’article 123.16 L.n.t.

[73]        Y aurait-il eu lieu pour la CRT, cependant, de faire usage en faveur de l’appelant des paragraphes 1, 3, 5 ou 7 de l’article 123.15 L.n.t.? Une réponse négative s’impose, la situation ne donnant pas prise à l’application de l’un ou l’autre de ces paragraphes.

[74]        Ainsi, le congédiement n’étant pas dû au harcèlement et n’y étant pas rattaché, il n’y avait pas matière à appliquer les paragraphes 1 ou 5 de l’article 123.15 (réintégration qui, de toute façon, a été obtenue en vertu de l’article 128 L.n.t.). De plus, les circonstances révélées par la preuve (et notamment le départ des harceleurs et le temps écoulé entre le moment du harcèlement et celui de la décision CRT-2) faisaient en sorte qu’il n’était pas approprié de rendre l’ordonnance prévue au paragraphe 3 du même article. Enfin, la mesure prévue par le paragraphe 7 n’était ni pertinente ni opportune, l’appelant n’ayant d’ailleurs rien réclamé sous ce chef.

[75]        Bref, il n’y avait ouverture ici ni aux remèdes prévus par les paragraphes 1, 3, 5 et 7 de l’article 123.15 L.n.t., vu les faits, et pas davantage aux remèdes prévus par les paragraphes 2, 4 et 6 du même article, vu le premier alinéa de l’article 123.16 L.n.t. La CRT n’a donc pas erré lorsqu’elle a décidé de n’attribuer ni dommages moraux ni dommages punitifs en rapport avec le harcèlement dont l’appelant a été la victime, pas plus qu’en lui refusant, au chapitre de l’indemnisation salariale, la différence entre les prestations reçues de la CSST et les émoluments que, n’eût été sa lésion professionnelle, il aurait gagnés au cours de la période pendant laquelle il a perçu lesdites prestations.

b.         Remèdes au congédiement sans cause juste et suffisante

[76]        L’appelant, on le sait, a été congédié le 13 septembre 2005 et s’en est plaint en vertu de l’article 124 L.n.t. La CRT a jugé que les raisons administratives invoquées par l’intimée au soutien du renvoi n’existaient pas ou étaient insuffisantes. Elle a donc accueilli la plainte et annulé le congédiement par sa décision du 4 décembre 2009 (décision CRT - 1). Elle s’est penchée par la suite sur les mesures réparatrices qu’il convenait d’ordonner. Ces mesures sont celles que prévoit l’article 128 L.n.t., disposition que je me permets de reproduire de nouveau, encore une fois par commodité :

128.     Si la Commission des relations du travail juge que le salarié a été congédié sans cause juste et suffisante, elle peut :

 1° ordonner à l'employeur de ré-intégrer le salarié;

 2° ordonner à l'employeur de payer au salarié une indemnité jusqu'à un maximum équivalant au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

 3° rendre toute autre décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circons-tances de l'affaire.

            Cependant dans le cas d'un domestique ou d'une personne dont la fonction exclusive est d'assumer la garde ou de prendre soin d'un enfant, d'un malade, d'une personne handicapée ou d'une personne âgée, la Commission des relations du travail ne peut qu'ordonner le paiement au salarié d'une indemnité correspondant au salaire et aux autres avantages dont l'a privé le congédiement.

128.     Where the Commission des relations du travail considers that the employee has been dismissed without good and sufficient cause, the Commission may

 (1) order the employer to reinstate the employee;

 (2) order the employer to pay to the employee an indemnity up to a maximum equivalent to the wage he would normally have earned had he not been dismissed;

(3) render any other decision the Commission believes fair and reasonable, taking into account all the circumstances of the matter.

      However, in the case of a domestic or a person whose exclusive duty is to take care of or provide care to a child or to a sick, handicapped or aged person, the Commission des relations du travail may only order the payment to the employee of an indemnity corresponding to the wage and other benefits of which he was deprived due to dismissal.

[77]        La CRT ne peut imposer d’autres mesures que celles-là.

[78]        Conformément à l’article 128, paragr. 1, la CRT, dans sa décision CRT-2, a imposé la réintégration. Il semble que, dans les faits, l’appelant a été réintégré chez l’intimée le 22 octobre 2010.

[79]        Comme on l’a vu[44], au chapitre des indemnités susceptibles d’être octroyées en vertu des paragraphes 2 et 3 de l’article 128, la CRT n’a accordé que des montants limités, ce que l’appelant lui reproche. Avec tous les égards, cependant, il est impossible de faire droit à ses prétentions, sauf en ce qui touche la question de l’indemnisation salariale pour la période allant du 29 septembre 2008 au jour précédant la réintégration. Pour en faire la démonstration, j’examinerai tour à tour le paragraphe 2, puis le paragraphe 3 de l’article 128.

            i.          Article 128, paragr. 2, L.n.t. : indemnisation salariale

[80]        Conformément à l’article 128, paragr. 2, L.n.t., la CRT peut accorder au salarié dont elle accueille la plainte « une indemnité jusqu’à un maximum équivalant au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié » (« an indemnity up to a maximum equivalent to the wage he would normally have earned had he not been dismissed »). On remarquera la manière dont la disposition est libellée. Elle indique clairement que la CRT ne peut accorder un montant supérieur à celui du salaire qui aurait été gagné en l’absence du congédiement, mais qu’elle peut accorder moins.

[81]        Cette façon d’exprimer les choses impose à la CRT de faire un exercice qui tient compte de la situation réelle du salarié pendant la période allant du congédiement à la réintégration (ou au refus de la réintégration). Par exemple, si le salarié, pendant cette période, a travaillé chez un autre employeur, on déduira le salaire qu’il a gagné chez ce dernier du montant de l’indemnité. On tient compte aussi du fait que le salarié, durant cette période, a pu connaître des phases d’inaptitude au travail. Inversement, on tiendra compte des augmentations salariales octroyées dans l’entreprise, s’il en est, de la bonification des avantages sociaux pendant la période, etc. Il ne s’agit pas, en effet, de surindemniser ou de sous-indemniser le salarié, mais de mesurer sa véritable perte, en faisant comme si le lien d’emploi n’avait jamais été rompu, tout en tenant compte des aléas qui l’affectent inévitablement. L’exercice, bien sûr, comporte sa part d’incertitude et d’imprécision, mais cherche à s’approcher d’aussi près que possible de ce qu’aurait été la situation du salarié en l’absence du congédiement.

[82]        Qu’en est-il en l’espèce?

[83]        Il faut distinguer ici la période allant du 14 septembre 2005 (date du début de l’invalidité engendrée par la lésion professionnelle) au 28 septembre 2008 (la CSST ayant considéré l’appelant apte au travail à compter du 29) de la période allant du 29 septembre 2008 au 28 septembre 2009 (date marquant la fin des prestations de la CSST) et, de là, jusqu’à la date de la réintégration. Il faut également se pencher sur la question de la mitigation.

 

[84]        Période du 14 septembre 2005 au 28 septembre 2008. Il ressort du dossier que s’il n’avait pas été congédié, l’appelant n’aurait tout de même pas reçu de salaire entre le 14 septembre 2005 et le 28 septembre 2008, puisqu’il était alors entièrement inapte au travail en raison de la lésion professionnelle engendrée par le harcèlement psychologique dont il fut victime. Il n’aurait donc pas été en mesure d’offrir sa prestation et ne peut donc être indemnisé pour la perte d’un salaire auquel il n’aurait pas eu droit. On sait que, pendant cette même période, il n’a pas été sans revenu, puisqu’il était bénéficiaire des prestations de la CSST. Son inaptitude au travail explique cependant pourquoi il ne peut avoir droit à la différence entre ces prestations et le salaire qui lui aurait été versé s’il était resté au travail.

[85]        À cela, la CRT fait une exception, qui n’en est pas une en réalité et dont traitent les paragraphes 30 à 37 de la décision CRT-2. En vertu du régime d’assurance-invalidité établi par l’employeur et qui fait partie des conditions de travail de l’appelant, celui-ci avait en effet droit, pendant ses 26 premières semaines d’absence, au paiement de la différence entre son salaire et les prestations versées par la CSST. La CRT a donc ordonné à l’employeur de verser une indemnité équivalant à cette différence. Notons qu’on pourrait considérer cette indemnité comme un paiement visé par l’article 128, paragr. 3 (puisqu’il s’agit d’une prestation due en vertu d’un régime d’assurance), mais, de toute façon, l’appelant y avait droit, que l’on considère la chose sous l’angle du paragraphe 2 ou du paragraphe 3 de l’article 128. On sait qu’après ces 26 semaines, le régime d’assurance en question étant moins généreux que celui de la CSST, la CRT a considéré qu’elle ne pouvait rien accorder de plus sous ce chef (voir décision CRT-2, paragr. 38).

[86]        J’ajoute que ni la preuve dont font état les décisions CRT-1, CRT-2 et CRT-3 ni le jugement de première instance ne permettent de conclure que, s’il n’avait pas été congédié, l’appelant n’aurait pas souffert de la lésion professionnelle engendrée par le harcèlement ou qu’il s’en serait remis plus vite et aurait donc pu offrir sa prestation de travail, contre rémunération, entre septembre 2005 et septembre 2008, en totalité ou en partie. Comme on l’a vu, la décision CRT-1 distingue clairement le harcèlement du congédiement, les causes et les conséquences du premier n’étant pas celles du second et ce dernier n’étant pas un acte de harcèlement. La CRT conclut même, dans sa décision CRT-2, que la CSST a accepté la demande de l’appelant sans égard au congédiement :

[73]      Toutefois, une lecture attentive des motifs au soutien de la décision de la CSST d’accepter la réclamation du plaignant permet de constater que le congédiement même n’est pas un élément retenu. Il est alors possible, sous réserve d’une preuve en ce sens, de réclamer des dommages moraux ou exemplaires reliés au congédiement.

[Je souligne.]

[87]        Il est vrai que, tel que ses propos sont rapportés, par exemple, dans le rapport du Bureau d’évaluation médicale du 4 juin 2008, l’appelant semble rattacher son congédiement au harcèlement dont il était l’objet[45]. Mais ce n’est pas ce que retient la CRT. Seule une fraction de la preuve faite devant elle se trouvant au dossier d’appel, il nous est impossible d’en venir à une autre conclusion que la sienne ou de déclarer celle-ci déraisonnable (voir supra, paragr. [18] et [62] à [65]).

[88]        Bref, vu son inaptitude au travail jusqu’au 28 septembre 2008[46], l’appelant, incapable d’exécuter sa prestation, n’aurait pas reçu de salaire pendant cette période. La CRT a donc statué de manière raisonnable - et même correcte - lorsque, dans la décision CRT-2, elle ne lui accorde aucune indemnité pour cette période, en vertu de l’article 128, paragr. 2, L.n.t. (sauf les sommes dues en vertu du régime d’assurance-invalidité de l’employeur pour les 26 premières semaines d’absence).

[89]        Période du 29 septembre 2008 au 28 septembre 2009, puis du 29 septembre 2009 à la date de la réintégration. Qu’en est-il maintenant de la période allant du 29 septembre 2008 au 28 septembre 2009, puis de la période allant du 29 septembre 2009 à celle de la réintégration (ou, à tout le moins, à la date de la décision CRT-2)?

[90]        Quant à la première de ces périodes (29 septembre 2008 au 28 septembre 2009), il ressort du dossier que : 1° la CSST considère l’appelant apte au travail et apte à réintégrer son emploi à compter du 29 septembre 2008[47], mais que 2° son employeur refuse de le réintégrer (manifestement en raison du congédiement), malgré que les conditions d’une telle réintégration, au regard de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, soient remplies. Par conséquent, vu le refus de l’employeur[48], la CSST, se fondant sur l’article 48 L.a.t.m.p., prolonge d’une année la durée des prestations de remplacement du revenu, afin de permettre à l’appelant de trouver un emploi[49].

[91]        Peut-on, aux fins de l’article 128, paragr. 2, L.n.t., conclure que n’eût été du congédiement, l’intimée aurait réintégré l’appelant à compter du 29 septembre 2008 et aurait recommencé à lui payer son plein salaire? On le peut. Et si c’est le cas, l’appelant ne se trouve-t-il pas à avoir subi, du fait du congédiement, une perte qui n’a rien à voir avec sa lésion professionnelle, c’est-à-dire une perte équivalente à la différence entre son plein salaire (net) et les prestations que lui a versées la CSST pendant la même période? On serait de prime abord tenté de dire que c’est le cas.

[92]        Mais voilà qu’entre en jeu l’article 438 L.a.t.m.p., qui énonce ce qui suit, ainsi qu’on l’a vu plus tôt :

438.     Le travailleur victime d'une lésion professionnelle ne peut intenter une action en respon-sabilité civile contre son employeur en raison de sa lésion.

438.     No worker who has suffered an employment injury may institute a civil liability action against his employer by reason of his employment injury.

[93]        Puisque l’appelant, malgré qu’il fût redevenu apte au travail, a reçu des prestations de la CSST de septembre 2008 à septembre 2009, cette disposition empêche-t-elle, pour cette période, toute indemnisation en vertu de l’article 128, paragr. 2, L.n.t.?

[94]        J’estime qu’il y a lieu, dans les circonstances, de répondre à cette question par la négative, me fondant sur un raisonnement semblable à celui de la CRT dans Smith et Willis Brazolot & Cie inc.[50]. On doit considérer en effet que l’article 438 L.a.t.m.p. ne s’applique, comme l’écrivent les commissaires dans cette décision, qu’à l’égard des « événements constitutifs de la lésion professionnelle »[51] et non des effets d’un congédiement qui n’est pas lié à cette lésion.

[95]        En l’espèce, le congédiement, on l’a vu, n’est pas un événement constitutif de la lésion professionnelle. Il est distinct du harcèlement, provient d’une séquence d’événements distincts et, comme le souligne la décision CRT-2, la CSST a reconnu la lésion professionnelle de l’appelant sans égard au congédiement de celui-ci. Par ailleurs, lorsqu’il réclame la différence entre son salaire (net) et les prestations qu’il a reçues de la CSST au cours de cette période, l’appelant ne réclame rien qui soit rattaché à sa lésion professionnelle. L’article 438 L.a.t.m.p. indique bien que « [l]e travailleur victime d'une lésion professionnelle ne peut intenter une action en responsabilité civile contre son employeur en raison de sa lésion » (« No worker who has suffered an employment injury may institute a civil liability action against his employer by reason of his employment injury »). Tenant pour acquis (mais sans en discuter) que le recours prévu par l’article 124 L.n.t. est assimilable à un recours en responsabilité civile, on doit tout de même constater que la réclamation de l’espèce n’est pas liée à la lésion professionnelle de l’appelant et n’est pas faite en raison de celle-ci, mais bien de son congédiement.

[96]         Vu le caractère particulier de cette situation en quelque sorte dichotomique, je ne vois pas pourquoi le régime de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ne pourrait pas coexister ici avec celui de la Loi sur les normes du travail, chacun visant à corriger un préjudice n’émanant pas de la même source.

[97]        Imaginons ainsi qu’un salarié victime d’un accident du travail de nature physique (une chute, par exemple, qui causerait d’importantes lésions au dos de l’individu) soit concomitamment congédié pour vol. À supposer que le congédiement soit subséquemment annulé et que le salarié, redevenu apte au travail, soit dans la même situation que l’appelant, pourquoi ne lui accorderait-on pas, durant la période couverte par l’article 48 L.a.t.m.p., le bénéfice de son salaire (net), déduction faite des prestations de la CSST? L’article 438 L.a.t.m.p. ne peut faire obstacle à cela.

[98]        Bref, afin d’assurer une juste indemnisation en vertu de l’article 128, paragr. 2, L.n.t., la CRT était habilitée et pouvait accorder à l’appelant redevenu apte au travail, mais non réintégré en raison du congédiement, une pleine compensation salariale à compter du 29 septembre 2008, et ce, jusqu’au 28 septembre 2009, déduction faite des prestations reçues de la CSST. Autrement dit, l’appelant aurait droit en principe à une indemnité équivalente à la différence entre son plein salaire de l’époque et les prestations reçues de la CSST. Il n’est pas possible de faire le calcul précis du montant qui serait dû, et ce, pour des raisons analogues à celles qu’indique le paragraphe 37 de la décision CRT-2 (la CSST verse une indemnité représentant 90 % du salaire net, alors que le calcul de l’indemnité salariale prévue par le paragraphe 128(2) L.n.t. est fait en fonction du salaire brut; or, il manque au dossier d’appel les données permettant ce calcul).

[99]        Par la suite, en ce qui concerne la période allant du 29 septembre 2009 jusqu’à la date de la réintégration, l’appelant ne recevant plus de prestations de la CSST, la CRT pouvait appliquer l’article 128, paragr. 2, L.n.t. comme elle l’aurait fait dans tout autre cas.

[100]     Cela dit, si la CRT pouvait octroyer à l’appelant l’indemnité prévue par l’article 128, paragr. 2, L.n.t., y avait-il lieu pour elle de le faire? Cette question nous amène à traiter maintenant de l’obligation de mitigation incombant à l’appelant.

[101]     Obligation de mitigation. En ce qui concerne la période allant de septembre 2008 à septembre 2009, la décision CRT-1 ne se prononce pas sur le sujet de la mitigation, du moins pas explicitement. Ayant décidé qu’elle ne pouvait accorder d’indemnisation pour la période se terminant en septembre 2009, parce que l’appelant était prestataire de la CSST, elle n’a envisagé la mitigation qu’en rapport avec la situation postérieure au 28 septembre 2009. Là-dessus, elle conclut, comme on le sait, que l’appelant a manqué à son obligation et ne mérite de ce fait aucune indemnisation pour cette période[52]. Les commissaires réviseurs[53] et la Cour supérieure[54] ont confirmé cette conclusion.

[102]     Il ressort du dossier que l’appelant n’a pas davantage fait d’efforts de recherche d’emploi au cours de la période précédente, c’est-à-dire du 29 septembre 2008 au 28 septembre 2009. On peut raisonnablement inférer que les commissaires et la Cour supérieure auraient réagi pareillement s’ils avaient cru utile de se poser la question et auraient conclu à l’absence d’indemnisation vu l’absence de mitigation. C’est bien ce que laisse entendre, du reste, le juge de première instance lorsqu’il écrit ce qui suit au paragraphe 92 de son jugement :

[92]      Par ailleurs, le Tribunal considère déraisonnable sa prétention qu’il n’avait aucune obligation de mitiger ses dommages en tentant de trouver un autre poste durant l’année de grâce accordée par la CSST de fait qu’il attendait la réintégration à son emploi chez Mittal que la CRT a éventuellement ordonnée.

[103]     Cela dit, y avait-il lieu d’appliquer ici le principe de mitigation et, dans l’affirmative, l’a-t-on appliqué de manière raisonnable?

[104]     Sur le premier point, la jurisprudence de la CRT (dont les décisions CRT-2 et 3 sont un bon exemple) considère majoritairement (pour ne pas dire quasi unanimement) que cette obligation s’intègre au cadre défini par l’article 128, paragr. 2, L.n.t. Elle applique donc couramment le « principe de mitigation des dommages qui signifie qu’un salarié congédié doit faire des efforts raisonnables pour se trouver un emploi dans le même domaine ou dans un domaine connexe, afin de réduire les dommages qu’il subit »[55], obligation qui résulte de l’article 1479 C.c.Q. :

1479.   La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l'aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter.

1479.   A person who is liable to reparation for an injury is not liable in respect of any aggravation of the injury that the victim could have avoided.

[105]     Même si l’article 128, paragr. 2, L.n.t. pouvait être interprété autrement[56], les décisions CRT-2 et 3 s’inscrivent dans un fort courant jurisprudentiel souvent confirmé par les tribunaux supérieurs et inspiré du Code civil du Québec. Il faut reconnaître également que l’interprétation de l’article 128 L.n.t. revient d’abord et avant tout à la CRT, dont les décisions méritent à cet égard déférence et sont assujetties à la norme de la raisonnabilité. Or, on ne peut pas dire que l’interprétation généralement donnée par la CRT au paragraphe 2 de l’article 128 soit déraisonnable. On peut en effet interpréter le texte en ce sens et y lire, implicitement, l’incorporation de l’obligation de mitigation, qui fait partie des principes de base du Code civil du Québec en matière de réparation du préjudice, un code qui est, faut-il le rappeler, le fondement des autres lois québécoises, ainsi que le souligne son préambule.

[106]     J’estime néanmoins que l’application qu’on a faite de cette règle est en l’espèce déraisonnable. À mon avis, refuser toute indemnité à l’appelant parce qu’il n’aurait pas tenté de trouver un autre emploi est une injustice qui n’appartient pas aux issues possibles raisonnables au regard des faits et du droit.

[107]     Dans Gareau (Groupe Gareau inc.) c. Brouillette[57], où la juge de première instance, en raison de l’insuffisance des efforts de mitigation, avait réduit de manière draconienne l’indemnité due à un salarié en vertu de l’article 2091 C.c.Q., le juge Rochon, pour la Cour, écrivait récemment ceci :

[37]            L'obligation de la victime de mitiger ses dommages est énoncée à l'article 1479 C.c.Q. qui prévoit que :

1479.    La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l'aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter.

[38]            Plus particulièrement, dans le cadre des contrats de travail, cette obligation a deux volets qui ont été décrits sous la plume du juge Jean-Louis Baudouin dans l'arrêt Standard Radio inc. c. Doudeau [renvoi omis] de la façon suivante :

Le premier emporte celle de faire un effort raisonnable pour se retrouver un emploi dans le même domaine d'activités ou un domaine connexe; le second est de ne pas refuser d'offres d'emploi qui, dans les circonstances, sont raisonnables.

[39]            Il me paraît utile de rappeler que l'obligation de la victime de minimiser ses dommages est une obligation de moyen. Le test est objectif. Il consiste à examiner la conduite qu'aurait empruntée une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.

[…]

[53]      Soit dit de nouveau avec égards, la juge de première instance a imposé une charge à Brouillette qui va au delà de ce que l'on peut exiger d'une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. Je retiens que l'obligation de minimiser ces dommages est une obligation de moyen et non une obligation de prendre tous les moyens que l'on puisse imaginer pour y parvenir. Apprécié sous le prisme objectif de la conduite d'une personne raisonnable, j'en viens à la conclusion que Brouillette a agi de façon raisonnable afin de réduire son préjudice. Il faut accorder à l'employé congédié après 20 années de service une période adéquate pour absorber le choc du congédiement et penser à l'orientation de sa carrière. Il faut également tenir compte que, en l'espèce, la recherche d'emploi à la période des fêtes de Noël et du Jour de l'An n'est pas sans poser quelque difficulté. Par conséquent, il y a lieu de réduire de six mois à un mois l'amputation au délai-congé retenue par la juge de première instance.

[108]     Ces passages décrivent bien l’obligation de mitigation incombant au salarié congédié, que cette obligation soit considérée dans le cadre d’une action civile régie par l’article 2091 C.c.Q. ou d’une plainte pour congédiement régie par l’article 124 L.n.t. (sous réserve des commentaires qui suivent, infra, paragr. [114] et s.)

[109]     La Cour, dans Levy c. Standard Desk Inc.[58], ajoute que :

[48]            Le défaut de mitiger est une faute dont la conséquence est de réduire ou même d'anéantir le droit à l'indemnité tenant lieu de préavis. Ceci étant, pour en venir à ce résultat, il faut que la faute soit causale. Or, il ne fait aucun doute que les efforts de l'appelant pour se trouver un travail équivalent se seraient soldés par un échec. S'il s'agit d'une faute, elle n'a rien changé.

[110]     Je suis en accord parfait avec l’idée que l’absence de mitigation doit, pour être considérée, avoir causé l’aggravation du préjudice subi par le salarié. Il est en effet des situations où, en toute probabilité, les efforts de mitigation n’auraient rien donné ou si peu que pas. On ne peut dès lors reprocher au salarié de n’avoir pas fait les efforts en question, étant entendu, par ailleurs, qu’il n’a pas à remuer mers et mondes pour tenter de se trouver un autre emploi le plus rapidement possible, le standard étant ici celui des efforts raisonnables.

[111]     Je rappelle en effet que l’article 1479 C.c.Q. dit simplement que le débiteur de l’obligation de réparer (en l’occurrence, l’employeur) ne répond pas de l’aggravation du préjudice que le créancier (en l’occurrence, le salarié) pouvait éviter. Cette disposition ne dit pas que le créancier doit tout mettre en œuvre pour éviter ou neutraliser le préjudice et y remédier lui-même. Il y a une nuance importante entre les deux propositions, la décision CRT-2 et celles qui l’ont suivie ayant appliqué la seconde plutôt que la première. Plus encore, dans le cadre de la relation de travail (relation dont la Cour suprême du Canada a déjà écrit qu’elle était généralement marquée par l’inégalité de pouvoir[59], avalisant même une définition qui fait de cette relation un acte de soumission dans sa conclusion et un acte de subordination dans son fonctionnement[60] et concluant à la vulnérabilité des employés), il ne peut s’agir, par le biais de l’obligation de mitigation, de rendre en définitive le salarié responsable du fait qu’il ne se trouve pas un autre emploi après avoir été congédié. De façon générale, même l’absence d’efforts de mitigation, dans le contexte d’un congédiement, justifiera très rarement la privation complète de toute indemnisation.

[112]     Il faut tenir compte également - ce qu’ont ignoré les décisions CRT-2 et 3 ainsi que le jugement de première instance - de ce que c’est à l’employeur d’établir non seulement que le salarié a manqué à son obligation de mitigation, mais que ce manquement a aggravé son préjudice. Dans l’affaire Evans c. Teamsters Local Union No. 31[61], la Cour suprême indique clairement « qu’il incombe à l’employeur de démontrer, d’une part, que l’employé n’a pas fait d’efforts raisonnables pour trouver du travail et, d’autre part, qu’il aurait pu en trouver (Red Deer College c. Michaels, [1976] 2 R.C.S. 324) »[62]

[113]     Bien qu’il s’agisse d’une affaire de common law, le même principe doit valoir en droit civil québécois (il est d’ailleurs conforme au second al. de l’art. 2803 C.c.Q.), appliqué et adapté au domaine du travail.

[114]     Sans compter, enfin, que l’idée de mitiger ses dommages en trouvant un nouvel emploi doit être appliquée en tenant compte du contexte et doit en l’occurrence être conjuguée avec le fait que l’on a affaire ici à une plainte régie par les articles 124 et s. L.n.t., dont l’objectif est la réintégration du salarié dans l’emploi dont l’aurait injustement privé le congédiement. Je m’explique.

[115]     En ce qui concerne le droit du travail, l’obligation de mitiger du salarié a été développée largement dans le contexte de la résiliation unilatérale du contrat de travail à durée indéterminée, en vertu de ce qui est aujourd’hui l’article 2091 C.c.Q. Or, il faut se rappeler que, selon cette disposition (tout comme c’était le cas en vertu du Code civil du Bas-Canada), l’employeur possède la faculté de résilier unilatéralement le contrat de travail à durée indéterminée et a donc le droit de remercier le salarié de ses services, à condition de lui donner un délai de congé raisonnable[63] ou de lui en verser l’équivalent pécuniaire. S’il ne le fait pas, il s’expose à une action en justice dans laquelle on ne peut lui réclamer que cet équivalent pécuniaire[64].

[116]     C’est dans ce cadre qu’on impose au salarié la double obligation de mitigation décrite dans l’arrêt Gareau, précité, c’est-à-dire l’obligation de faire des efforts raisonnables pour trouver un autre emploi comparable (ce qui devrait en principe réduire le temps nécessaire pour se trouver un tel emploi) et celle de ne pas refuser une offre d’emploi raisonnable qui lui serait faite. Il est normal que le salarié ait cette obligation vu la rupture définitive du lien d’emploi. La seule manière de minimiser son dommage et la durée du préavis auquel il aurait droit est effectivement de chercher un nouvel emploi et de ne pas refuser une offre d’emploi raisonnable.

[117]     Dans le cas où l’employeur met fin prématurément, et sans motif sérieux, au contrat à durée déterminée, le droit commun ne reconnaissant pas[65] la possibilité de la réintégration (c’est-à-dire à l’exécution en nature du contrat jusqu’à son terme), on comprend que le principe de mitigation prévu désormais par l’article 1479 C.c.Q. joue pareillement.

[118]     La situation est différente en matière de congédiement sans cause juste et suffisante au sens de la Loi sur les normes du travail. L’article 124 de celle-ci interdit à l’employeur de congédier sans une telle cause le salarié qui a deux ans de service dans l’entreprise. L’employeur qui enfreint cette norme d’ordre public[66] s’expose à une plainte qui, si elle est accueillie, mènera à l’annulation du congédiement et, sauf exception, à la réintégration du salarié. Aux fins de l’article 128, paragr. 2, L.n.t., il faut, je pense, tenir compte de ce contexte lorsqu’on examine l’obligation de mitigation incombant au salarié, peu importe qu’il obtienne ou pas, en définitive, cette réintégration.

[119]     Tout cela étant et considérant que l’appelant était apte au travail depuis le 29 septembre 2008, j’estime qu’il était, dans les circonstances, déraisonnable de le priver de toute indemnité salariale pour la période allant de cette date à celle de la réintégration, au motif qu’il n’aurait fait aucun effort de mitigation. Car s’il est exact que l’appelant, postérieurement à septembre 2008, n’a pas cherché un autre emploi, on ignore si pareils efforts auraient été susceptibles de porter fruit, l’intimée n’ayant apparemment rien établi à cet égard et les décisions CRT-2 et 3 de même que le jugement de la Cour supérieure étant muets sur le sujet, qui est complètement éludé.

[120]     À vrai dire, on peut même croire que pareils efforts auraient été vains en ce qui touche la période allant du 29 septembre 2008 au 28 septembre 2009, alors que la CSST continuait de verser des prestations à l’appelant en vertu de l’article 48 L.a.t.m.p. Me fondant uniquement sur les faits que rapportent les commissaires et le juge de première instance, j’estime que la conclusion suivante s’impose : l’appelant, selon toute probabilité, n’aurait pas, même s’il avait fait des efforts raisonnables en ce sens, trouvé d’emploi - et l’on entend par là un emploi comparable - à celui qu’il occupait chez l’intimée. Car il faut être réaliste : après trois ans de dépression et d’absence totale du marché du travail, l’on ne peut guère s’illusionner sur les chances de succès de l’appelant qui, ayant par ailleurs contesté le congédiement dont il a fait l’objet et espérant sa réintégration, est à la recherche d’un tel emploi comparable. La situation ne lui est guère favorable (sauf à cacher la vérité, ce qui ne peut guère être recommandé) et l’on ne peut permettre à l’intimée de se dérober à l’obligation d’indemnisation décrite plus haut[67] au motif que le salarié n’aurait pas fait d’efforts pour chercher un poste qu’il n’aurait vraisemblablement pas trouvé pendant cette période.

[121]     Qu’en est-il maintenant de la période commençant le 29 septembre 2009? À mon avis, c’est là qu’on peut se demander s’il y a lieu de sanctionner le manquement de l’appelant au chapitre de la mitigation. La CSST lui avait donné un an de prestations supplémentaires afin qu’il se cherche un emploi. Il ne l’a pas fait. Absolvons-l’en pour les raisons mentionnées précédemment. Il a continué toutefois à ne rien faire par la suite (supposant que cela ait pu être fructueux, sujet auquel les décisions CRT-2 et 3 ne se sont pas intéressées). Doit-on pour autant conclure qu’aucune indemnité ne peut lui être octroyée?

[122]     Une réponse négative s’impose, l'affaire comportant des particularités dont on ne peut pas ne pas tenir compte.

[123]     Car voilà que le 4 décembre 2009, dans sa décision CRT-1, la CRT annule le congédiement, sans toutefois ordonner la réintégration. Je n’entreprendrai pas de statuer de manière générale sur la question de savoir si le salarié dont le congédiement est annulé sans que la réintégration soit immédiatement prononcée a toujours, dans l’intervalle, l’obligation de mitiger ses dommages. Je me limiterai à dire que, dans l’espèce, imposer cette obligation à l’appelant était déraisonnable.

[124]     Dans la décision CRT-1, en effet, le commissaire ne se contente pas d’annuler le congédiement. Il rejette aussi, expressément, l’argument de l’intimée qui prétendait ne pouvoir réintégrer l’appelant en raison de l’abolition du poste qu’il occupait au moment de son renvoi. Il précise même qu’à son avis, n’eût été son congédiement, le plaignant serait toujours à l’emploi de l’intimée malgré l’abolition de son poste[68]. Malgré cela, le dispositif de la décision n’ordonne pas la réintégration, le commissaire se réservant plutôt de « déterminer les mesures de réparation appropriées, le cas échéant »[69], c’est-à-dire à défaut d’entente entre les parties. Cela, en fait, a donné à l’intimée une nouvelle occasion de contester l’opportunité de la réintégration, pour des motifs différents.

[125]     Évidemment, si la réintégration avait été ordonnée par la décision CRT-1 (en date du 4 décembre 2009), la question de la mitigation post-septembre 2009 ne se serait pas posée. Mais ce n’est que le 6 octobre 2010, par la décision CRT-2 (rendue après deux mois de délibéré), que cette réintégration fut ordonnée.

[126]     Peut-on faire grief à l’appelant d’avoir cru, dès décembre 2009, que l’affaire était réglée sur ce point et qu’il n’avait plus qu’à attendre sa réintégration sans avoir d’autres démarches à faire?

[127]     Dans son mémoire, l’intimée affirme ceci :

103.     En effet, la réintégration d’un salarié congédié injustement, bien que usuelle, n’est pas une mesure de réparation automatique. Au contraire, elle découle du pouvoir discrétionnaire de la CRT en matière de mesures de réparation. En effet, la CRT peut toujours opter pour la mesure alternative d’octroyer une indemnité pour perte d’emploi en lieu et place de la réintégration. Un employeur n’a aucune obligation de réintégrer un salarié avant que la CRT lui ordonne de le faire. Comme l’enseigne la doctrine :

« Le salarié qui dépose une plainte fondée sur l’article 124 de la Loi sur les normes du travail réclamera normalement sa réintégration dans son emploi. En effet, tel que l’enseigne une jurisprudence désormais constante, il s’agit là du remède normal lorsqu’une telle plainte est accueillie.

Ce pouvoir de redressement demeure néanmoins largement discrétionnaire. Le commissaire pourra ainsi, selon les circonstances propres à chaque cas, ordonner la réintégration du salarié dans son emploi ou, à l’inverse, refuser qu’il soit réintégré. Le juge Tingley a écrit ceci, à ce sujet, dans Location de voitures compactes (Québec) ltée c. Lalonde :

L’article 128 de la Loi sur les normes du travail confère à l’arbitre le pouvoir entre autres, de réintégrer l’employé quand il n’a pas été congédié pour cause juste et suffisante. Le congédiement sans « cause juste et suffisante » n’est pas en soi un motif valable pour la réintégration; c’est plutôt la condition qui permet à l’arbitre d’exercer un pouvoir discrétionnaire de réintégration.

[…]

La réintégration est ainsi refusée dans un certain nombre de décisions, la discrétion du commissaire, étant, à cet égard, entière. » [renvoi omis]

[128]     En tout respect, ces propos, sans être faux, ne sont pas exacts.

[129]     En fait, selon une jurisprudence constante, avalisée par notre cour dès 1985[70], la réintégration est le remède normal en cas de congédiement sans cause juste et suffisante. C’est l’objectif même du recours prévu par les articles 124 et s. L.n.t. - on pourrait même dire sa raison d’être - et ce qui le distingue du recours de droit commun. Ce n’est pas seulement que la réintégration peut être ordonnée par la CRT, elle doit l’être, à moins que le salarié y renonce ou que l’employeur ne démontre l’existence d’un obstacle réel et sérieux et l’impossibilité ou l’infaisabilité d’une telle mesure. Certes, la CRT jouit d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, mais d’un pouvoir discrétionnaire bien balisé qui ne peut faire fi du principe de la réintégration.

[130]     C’est ce qu’enseignent les arrêts suivants de la Cour, sans équivoque : Skorski c. Rio Algom Ltée[71]; Radex Ltée c. Morency[72] et, implicitement, Les Immeubles Bona ltée c. Labelle[73], allant dans le sens d’une abondante doctrine[74].

[131]     Tout cela pour dire qu’à compter de la décision CRT-1, en décembre 2009, l’appelant avait toutes les raisons de croire qu’il serait prochainement réintégré. Même si l’employeur, techniquement, n’était pas tenu de le réintégrer avant que la CRT ne le lui ordonne en toutes lettres, il reste que de contraindre l’appelant à chercher entre-temps[75] un emploi, alors qu’il sera vraisemblablement réintégré sous peu, le place dans une situation fort malaisée à l’endroit d’employeurs potentiels et donne à l’obligation de mitigation un caractère bien artificiel.

[132]     Or, les décisions CRT-2 et CRT-3 sont totalement indifférentes à ce contexte, se contentant d’une équation machinale : pas d’efforts de recherche d’emploi, pas d’indemnité. Elles ne se sont pas même posé la question de savoir si l’appelant aurait pu trouver un emploi quelconque s’il avait fait les efforts requis.

 

[133]     Cette manière de faire ignore l’approche contextuelle qui est de mise en pareil cas. Elle ignore aussi que, même en droit commun, l’absence d’efforts de mitigation ne peut pas, sauf cas exceptionnel peut-être, justifier l’absence totale de toute indemnité, ce qui se justifie encore moins dans le contexte de l’article 128, paragr. 2, L.n.t.

[134]     Dans ces circonstances, et pour toutes ces raisons, j’estime que la CRT aurait dû accorder une pleine indemnité salariale à l’appelant pour la période commençant le 29 septembre 2009, s’ajoutant à l’indemnisation partielle dont il a été question précédemment en ce qui concerne la période du 29 septembre 2008 au 28 septembre 2009. En appliquant comme elle l’a fait le principe de la mitigation, la CRT a rendu une décision déraisonnable, ne pouvant se justifier au regard du droit et des faits.

[135]     Je précise que, en ce qui concerne les deux mois et quelques jours entre le 29 septembre 2009 et le 4 décembre 2009, date de la décision CRT-1, l’intervalle est trop court pour qu’on puisse imposer à l’appelant une sanction pour sa passivité au cours de cette période.

[136]     Finalement, une coda, que nécessite l’un des arguments qu’expose l’appelant dans son mémoire, alors qu’il tente de lier à son état de santé le fait qu’il n’a pas cherché d’emploi après septembre 2008 ou 2009. En toute franchise, il est difficile de voir ce que veut dire exactement l’appelant, d’autant que l’une des pièces sur lesquelles il se fonde est une lettre de son médecin traitant datée du 22 novembre 2010[76], c’est-à-dire postérieure à la réintégration et postérieure, évidemment, à la décision CRT-2. Elle n’a donc certainement pas été portée à l’attention du commissaire Chaumont et il n’y a pas lieu de la considérer. Dans cette lettre, de toute façon, le médecin parle du fait que, vu la réintégration, l’appelant est maintenant en mesure de « mener une vie normale comme travailleur actif dans sa profession d’ingénieur ». Quant au certificat médical du 29 mars 2010[77], qui prévoyait, en prévision de la décision CRT-2, un retour au travail progressif sur une période de huit semaines, il n’a désormais plus aucune pertinence. Les décisions CRT-2 et 3, à raison, n’y ont pas accordé d’importance.

[137]     Aurait-on pu cependant considérer l’affirmation (un peu ambigüe, tout de même) que fait l’appelant comme une sorte d’aveu judiciaire de son inaptitude, qui ferait obstacle à toute indemnisation, en vertu de l’article 128, paragr. 2, L.n.t., pour la période 2008 à 2010 ou encore pour la seule période 2009-2010? Aucune des instances antérieures n’a jugé en ce sens et, l’intimée ne soulevant pas ce moyen, je m’abstiendrai de le faire.

* *

[138]     En somme, pour récapituler, voici ce à quoi a droit l’appelant en vertu de l’article 128, paragr. 2, L.n.t. :

-           Pour ce qui est de la période du 14 septembre 2005 au 28 septembre 2008 : aucune indemnité salariale ne peut être accordée à l’appelant, vu l’inaptitude de ce dernier au travail, sous réserve du paiement par l’intimée à l’appelant de la différence entre les prestations CSST et les montants dus en vertu du régime d’assurance-invalidité de l’intimée, pour les 26 premières semaines d’absence. Il n’y a rien à redire à la décision CRT-2 sur ce point et donc rien à redire à la décision CRT-3 ou au jugement de première instance à cet égard.

-           À compter du moment où l’appelant redevient apte au travail, l’article 438 L.a.t.m.p. ne peut empêcher l’indemnisation du préjudice salarial découlant du congédiement, ce dernier reposant en l’espèce sur une cause distincte de la lésion professionnelle. On doit dès lors s’en remettre aux règles qui régissent ordinairement l’application de l’article 128, paragr. 2, L.n.t.

-           Pour la période du 29 septembre 2008 au 28 septembre 2009, l’appelant a droit à une indemnité équivalente à la différence entre le salaire qu’il aurait gagné durant cette période s’il n’avait été congédié (et donc s’il avait été réintégré après que sa lésion professionnelle eut cessé) et les prestations reçues de la CSST. C’est dans ce cadre qu’on doit tenir compte de l’obligation de mitigation qui incombait à l’appelant.

-           Pour la période commençant le 29 septembre 2009, l’appelant a droit à l’indemnisation prévue par l’article 128, paragr. 2, L.n.t., c’est-à-dire au salaire qu’il aurait gagné s’il avait été à l’emploi de l’intimée.

-           Au chapitre de la mitigation, la CRT n’aurait pas dû sanctionner l’appelant pour son défaut de chercher un emploi. En imposant une telle sanction et en privant l’appelant de toute indemnité, elle a prononcé une décision déraisonnable en ce qu’elle a 1° ignoré que l’intimée a failli à son fardeau d’établir que l’appelant, s’il avait fait les efforts requis, se serait trouvé un emploi pendant les périodes en cause, ce qui est hautement improbable vu les faits, et 2° donné une portée manifestement indue et injuste au principe de mitigation, appliqué ici de manière mécanique et excessive, sans égard au contexte de l’affaire.

[139]     Dans un autre ordre d’idées, notons que sont sans mérite les prétentions de l’appelant au sujet du calcul du salaire qu’il aurait gagné grâce aux promotions qu’il aurait obtenues au cours de ces périodes s’il n’avait pas été congédié. 

[140]     Ce qui nous amène finalement au paragraphe 3 de l’article 128 L.n.t. dont il y a peu à dire.

 

            ii.         Article 128, paragr. 3, L.n.t. : autres indemnités

[141]     Quant aux autres mesures de réparation refusées à l’appelant, la décision CRT-2, telle que confirmée par la décision CRT-3 et par le jugement de la Cour supérieure, n’est pas déraisonnable.

[142]     Ainsi, les dommages moraux que l’appelant réclame étant rattachés non pas au congédiement, mais au harcèlement psychologique[78], la CRT, qui ne pouvait les accorder en raison de l’article 123.16 L.n.t., ne pouvait les octroyer en vertu de l’article 128, paragr. 3.

[143]     Par ailleurs, toujours selon la décision CRT-2, le congédiement ne s’est pas fait dans des conditions qui permettent de conclure à une atteinte illicite et intentionnelle à un droit garanti par la Charte des droits et libertés de la personne (art. 49). Cette détermination est raisonnable et rien dans le dossier d’appel ne justifie de la réviser. Aucune autre disposition législative ne permettant au commissaire d’octroyer des dommages punitifs (art. 1621 C.c.Q.), c’est donc à bon droit qu’il a rejeté la demande de l’appelant sous ce chef.

[144]     Pour le reste, la décision CRT-2 est entièrement raisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir : la preuve n’a pas été faite de l’impact négatif du congédiement sur l’évolution de la carrière de l’appelant (qui n’aurait eu, selon la CRT, aucune promotion même s’il n’avait pas été congédié); la condamnation aux honoraires extrajudiciaires est, de même, raisonnable et justifiée (la CRT ne pouvant par ailleurs accorder ceux-ci pour les frais de représentation de l’appelant devant la CLP); la CRT a eu raison de ne pas rajuster le salaire de l’appelant de la manière réclamée aux paragraphes 70 et s. du mémoire.

[145]     Enfin, quant aux autres demandes énoncées au paragraphe 12 du mémoire de l’appelant et ailleurs, elles sont sans fondement.

IV.       Conclusion

[146]     Pour ces raisons, je recommande d’accueillir l’appel pour partie et de faire droit à la requête en révision judiciaire de l’appelant en ce qui concerne l’indemnisation à laquelle il a droit, en vertu de l’article 128, paragr. 2, L.n.t., pour la période postérieure au 28 septembre 2008. Le dossier d’appel ne permettant pas de faire les calculs qui s’imposent, il conviendra de renvoyer l’affaire à la CRT afin qu’elle établisse les montants dus à l’appelant, d’une part, pour la période du 29 septembre 2008 au 28 septembre 2009 (différence entre le salaire et les prestations reçues de la CSST) et, d’autre part, pour la période subséquente au 28 septembre 2009 (indemnité salariale complète jusqu’à la veille du jour de la réintégration).

[147]     Il est entendu que ce renvoi à la CRT ne permettra pas à l’appelant de formuler de nouveau les demandes qui ont déjà été rejetées en ce qui concerne les rajustements de son salaire et autres demandes du genre, ni de formuler de nouvelles réclamations. Il s’agit simplement pour la CRT de procéder, selon les déterminations qu’elle a déjà faites, au calcul de l’indemnité salariale due à l’appelant en vertu de l’article 128, paragr. 2, L.n.t., en respectant les paramètres indiqués dans les présents motifs. La CRT, inutile de le dire, n’entendra les parties qu’à cet égard et, s’il y a lieu pour elle d’accepter une preuve supplémentaire, ce ne pourra être qu’en relation avec l’établissement des montants en question. J’ajoute qu’un tel exercice peut comporter des imprécisions ou des imperfections dont l’appelant ne saurait se plaindre.

[148]     Il est entendu également que si, pour une raison ou une autre, la CSST exigeait le remboursement des prestations versées pour la période du 29 septembre 2008 au 28 septembre 2009, le montant de l’indemnité salariale payable par l’intimée en raison de l’article 128, paragr. 2, L.n.t. devrait être augmenté en conséquence (sauf si l’intimée préférait faire elle-même le remboursement en question).

[149]     Il est entendu enfin que les parties peuvent convenir entre elles, à l’amiable, du montant dû aux termes des présents motifs, ce qui serait d’ailleurs la voie la plus rapide et la moins coûteuse.

[150]     Sur tous les autres points, les déterminations et ordonnances de la CRT demeurent, et ce, telles qu’elles se trouvent dans la décision CRT-2.

[151]     L’appel sera accueilli selon ces termes, avec dépens limités aux débours, l’appelant n’étant pas représenté par avocat.

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 



[1]     RLRQ, c. A-3.001 (« L.a.t.m.p. »).

[2]     RLRQ, c. N-1.1 (« L.n.t.»).

[3]     Cette décision sera rectifiée le 5 janvier 2010.

[4]     Décision CRT-1, notamment aux paragr. 229 à 231 et 247. Précisons que la CRT ne retient pas tous les griefs de l’appelant au chapitre du harcèlement. En particulier, faute d’une preuve prépondérante, elle conclut à l’inexistence de certains comportements reprochés au directeur de l’entretien de l’intimée (décision CRT-1, paragr. 232 et 233). Ce directeur est celui qui a procédé au congédiement (décision CRT-1, notamment aux paragr. 147 et 213 à 219).

[5]     Décision CRT-1, paragr. 185 à 219.

[6]     L’intimée a contesté cette décision devant la Commission des lésions professionnelles, mais s’est désistée le 25 février 2009. Voir désistement, onglet 24 du vol. II du mémoire de l’appelant.

[7]     Selon ce que je comprends du rapport médical du Bureau d’évaluation médicale de la CSST (voir onglet 19 du vol. II du mémoire de l’appelant), sa lésion était consolidée en date du 19 décembre 2007, mais il fut décidé (vraisemblablement en vertu de l’art. 47 L.a.t.m.p.) qu’il avait encore besoin d’un certain soutien psychologique avant de redevenir pleinement capable d’exercer son emploi.

[8]     Voir la p. 6 du document intitulé « Sommaire des documents au dossier », notes de Normand Robert datées des 24 et 30 septembre 2008, onglet 22 du vol. II du mémoire de l’appelant, p. 274.

[9]     Les dates précises vont du 14 septembre 2005 au 28 septembre 2009.

[10]    Pour la période subséquente, couverte par le régime de l’employeur, la CRT n’accorde rien, les sommes payables en vertu de ce régime étant inférieures à celles qu’a versées la CSST. Voir décision CRT-2, paragr. 38.

[11]    Décision CRT-2, paragr. 35. Cet ajustement n’est pas celui que réclamait l’appelant, dont les prétentions sur ce point furent rejetées, avec raison du reste (voir décision CRT-2, paragr. 36).

[12]    Décision CRT-2, paragr. 31.

[13]    Décision CRT-2, paragr. 18 et 37.

[14]    Ordonnance que voici : « ORDONNE à Mittal Canada inc. de verser à François Carrier à titre d’indemnité, dans les huit (8) jours de la signification de la présente décision la différence entre l’indemnité prévue au régime d’invalidité courte durée et l’indemnité payée par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, et ce, pour les vingt-six semaines suivant le 13 septembre 2005, le tout portant intérêt à compter de chacune des semaines où un paiement est dû, conformément à l’article 100.12 du Code du travail; ».

[15]    Décision CRT-2, paragr. 40-41.

[16]    Décision CRT-2, notamment aux paragr. 66 à 70.

[17]    Décision CRT-2, paragr. 54.

[18]    Décision CRT-2, paragr. 82.

[19]    Décision CRT-2, paragr. 84 à 86.

[20]    Décision CRT-2, paragr. 72 à 74.

[21]    Décision CRT-2, paragr. 75.

[22]    Décision CRT-2, paragr. 78.

[23]    Décision CRT-2, paragr. 79.

[24]    Décision CRT-2, paragr. 80 et 81.

[25]    Décision CRT-3, paragr. 24 et 25.

[26]    La décision CRT-2 contient d’ailleurs une conclusion, typique, par laquelle l’organisme « RÉSERVE sa compétence pour régler toute difficulté résultant de la présente ordonnance ».

[27]    Décision CRT-3, paragr. 30.

[28]    Voir onglet 18 du vol. II du mémoire de l’appelant : « Requête pour rejet sommaire de conclusions recherchées, limitation de la portée de la preuve et suspension de l’instance », en date du 14 mai 2008. Il appert du procès-verbal (paragr. 11 à 13) d’une conférence préparatoire tenue les 22 avril et 22 mai 2008 (onglet 21 du vol. II du mémoire de l’appelant), que la CRT a rejeté cette requête et reporté à plus tard la question de l’indemnité à laquelle l’appelant pourrait avoir droit en ce qui concerne les honoraires déboursés en vue de se défendre contre cette requête.

[29]    Décision CRT-3, paragr. 52.

[30]    Décision CRT-3, paragr. 53.

[31]    Sa procédure introductive d’instance n’est pas reproduite au dossier d’appel.

[32]    Jugement de première instance, paragr. 77 et s.

[33]    Que le juge désigne par l’abréviation « CRT 1 ».

[34]    Jugement de première instance, paragr. 98.

[35]    Pas plus qu’il ne l’a été devant la CRT ou la Cour supérieure.

[36]    2012 QCCA 1020.

[37]    Voir : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, paragr. 61.

[38]    Voir : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, précité, note 37, paragr. 52 à 56; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, notamment aux paragr. 21, 31, 32 et 33.

[39]    Sauf l’exception déjà mentionnée.

[40]    Beauchesne c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301), 2013 QCCA 2069, J.E. 2013-2181, paragr. 83 et 84.

[41]    Supra, paragr. [18].

[42]    Le dossier ne permet pas de savoir combien de jours d’audition ont eu lieu au sujet des mesures réparatrices. La décision CRT-2 indique simplement : « date de la dernière audience : 5 août 2010 ».

[43]    Sur la coexistence des deux régimes et ses effets, voir : Robert P. Gagnon et Langlois Kronström Desjardins, Le droit du travail au Québec, 7e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2013, paragr. 290, p. 258 in fine, et paragr. 293, p. 259-260.

[44]    Voir supra, paragr. [30], [31], [33], [34] et [37] à [41].

[45]    Voir onglet 19 du vol. II du mémoire de l’appelant, p. 5 de 10.

[46]    La décision CRT-3, sur ce point, est erronée, puisqu’elle considère que l’appelant était inapte au travail jusqu’au 28 septembre 2009. Voir décision CRT-3, paragr. 40.

[47]    Sur ce point, la décision CRT-3 est factuellement erronée ou, du moins, imprécise. Au paragr. 47 de cette décision, les commissaires écrivent en effet que « [l]e requérant était considéré apte à l’emploi par la CSST après le 28 septembre 2009 », ajoutant que « [c]ette décision ne peut être contestée que devant les instances de la LATMP. Cela veut donc dire que la Commission doit se baser sur cette dernière date ».

[48]    On peut supposer que l’intimée refuse de réintégrer l’appelant non seulement parce que son droit de retour au travail est échu, mais aussi en raison des motifs qui l’ont par ailleurs poussée à le congédier. Il faut dire aussi qu’à l’époque, l’employeur conteste toujours l’existence de la lésion professionnelle, contestation dont il se désistera en février 2009.

[49]    Cette décision ne paraît pas avoir été contestée et nous n’avons donc pas à nous demander si elle était fondée.

[50]    2010 QCCRT 0244, [2010] R.J.D.T. 708.

[51]    Ibid., paragr. 43.

[52]    Décision CRT-2, paragr. 39, reproduit au paragr. [34] des présents motifs.

[53]    Décision CRT-3, paragr. 47 à 50.

[54]    Jugement de première instance, paragr. 92 et s., reproduits au paragr. [52] des présents motifs.

[55]    Décision CRT-3, paragr. 49.

[56]    Certains auteurs sont d’avis que l’application de cette obligation, dans le cadre de l’art. 128, paragr. 2, L.n.t., est douteuse. Voir Fernand Morin, Jean-Yves Brière, Dominic Roux et Jean-Pierre Villaggi, Le droit de l’emploi au Québec, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur ltée, 2010, paragr. V-36, p. 1477-1478, renvoyant au paragr. V-12, p. 1401 à 1403. On pourrait penser que l’obligation de mitigation se justifie davantage lorsqu’il est question des dommages ou de l’indemnisation que la CRT peut accorder en vertu de l’article 128, paragr. 3, L.n.t., mais cela est une autre affaire.

[57]    2013 QCCA 969, [2013] R.J.D.T. 535.

[58]    2013 QCCA 1473, J.E. 2013-1623. Dans cette affaire, l’on avait réduit à néant l’indemnité due au salarié en vertu de l’art. 2091 C.c.Q. en raison de l’absence d’efforts pour se trouver un nouvel emploi. La situation était particulière, le salarié étant, à l’époque du congédiement, âgé de 75 ans.

[59]    Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701, paragr. 92.

[60]    Id., citant P. Davies et M. Freedland, dans Kahn-Freund’s Labour and the Law (3e éd. 1983), à la p. 18.

[61]    [2008] 1 R.C.S. 661.

[62]    Ibid., paragr. 30.

[63]    C’est-à-dire un délai qui lui permette de trouver un emploi comparable.

[64]    Et autres dommages en cas d’abus de droit ou autre faute caractérisée, la réintégration étant exclue. Voir Ponce c. Montrusco & Associés inc., 2008 QCCA 329, [2008] R.J.D.T. 65 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2008-07-31), 32569).

[65]    Du moins pas encore.

[66]    Art. 93 L.n.t.

[67]    Voir supra, paragr. [98].

[68]    Décision CRT-1, paragr. 222 : « La question à laquelle la Commission doit répondre est la suivante : n’eut été du congédiement, le plaignant serait-il toujours à l’emploi de l’employeur après l’abolition de son poste? La réponse est oui. »

[69]    Décision CRT-1, p. 42.

[70]    La compétence sur les plaintes régies par l’art. 124 L.n.t. relevait à cette époque des arbitres et non des commissaires du travail.

[71]    D.T.E. 85T-840.

[72]    [1985] R.D.J. 583 (C.A., motifs du juge Bisson, auxquels souscrit le juge Nichols).

[73]    [1995] R.D.J. 397 (C.A.).

[74]    Voir par exemple : Fernand Morin, Jean-Yves Brière, Dominic Roux et Jean-Pierre Villaggi, op. cit., supra, note 56, paragr. V-36, p. 1471-1472; Robert P. Gagnon et Langlois Kronström Desjardins, op. cit., supra, note 43, paragr. 274, p. 245-246; Georges Audet, Robert Bonhomme, Clément Gascon et Magali Cournoyer-Proulx, Le congédiement en droit québécois, 3e éd. (feuilles mobiles), vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1991 (à jour au 1er juin 2013), paragr. 19.2.1 et s., p. 19-7 et s.

[75]    Sans compter qu’ici, l’affaire a été mise en délibéré devant la CRT le 5 août 2010, la décision ayant été rendue 2 mois plus tard, le 6 octobre 2010.

[76]    Onglet 38 du vol. II du mémoire de l’appelant.

[77]    Onglet 28 du vol. II du mémoire de l’appelant.

[78]    Décision CRT-2, paragr. 72 à 74.

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