Décision

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Centre de coopération internationale en santé et développement (CCISD) c

Centre de coopération internationale en santé et développement (CCISD) c. Aide à l'enfance Canada/Save the Children Canada

2006 QCCS 911

JL3090

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-17-006271-050

 

 

 

DATE :

13 FÉVRIER 2006

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

MARC LESAGE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

CENTRE DE COOPÉRATION INTERNATIONALE EN SANTÉ ET DÉVELOPPEMENT (ccisd), personne morale de droit privé, ayant son siège social au pavillon de l'Est, 2180, chemin Sainte-Foy, 3e étage, Québec (Québec) G1K 7P4

Demanderesse

c.

AIDE À L'ENFANCE CANADA/SAVE THE CHILDREN CANADA, personne morale de droit privé, ayant son siège social au 4141 Yonge St., Suite 300, Toronto (Ontario) M2P 2A8

Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR EXCEPTION DÉCLINATOIRE

______________________________________________________________________

 

[1]                La défenderesse (ci-après AEC) présente une requête en exception déclinatoire basée sur les articles 68 , 159 et 163 du Code de procédure civile. Ce moyen préliminaire a été dénoncé régulièrement. La présentation de la requête introductive d'instance a été reportée à quelques reprises du consentement des parties. Le Tribunal permet la présentation du moyen déclinatoire produit par les procureurs de AEC.

[2]                Les motifs invoqués à la base de ce moyen préliminaire est l'absence de juridiction des tribunaux québécois. La requérante plaide que, tel qu'il appert de la requête introductive d'instance, AEC n'a aucun domicile dans la province de Québec, son siège social étant situé au 4141 rue Yonge, suite 300, Toronto dans la province de l'Ontario. AEC n'a aussi aucune place d'affaires ni ne possède de biens dans la province de Québec.

[3]                De plus, AEC plaide que la requête introductive d'instance ne démontre pas que toute la cause d'action du recours intenté ait pris naissance dans la province de Québec. Or, il appert de la procédure introductive que le recours de CCISD est un recours en dommages pur et simple et que les allégations doivent démontrer que toute la cause d'action a pris naissance au Québec. Bien plus, s'il y a faute d'omission, comme CCISD le prétend, elle a été commise en Ontario.

[4]                La requête en exception déclinatoire est appuyée de deux affidavits des personnes en autorité de AEC. Le procureur de CCISD soumet qu'il s'agit là d'une preuve apportée par la partie défenderesse qui introduit des éléments nouveaux en alléguant et voulant prouver par ces affidavits que toute la cause d'action n'a pas pris naissance au Québec. Il demande donc d'établir par un complément de preuve que son recours est intenté devant la bonne juridiction.

[5]                L'avocate de AEC réplique que les allégations de la requête introductive d'instance se doivent, prima facie, d'établir que la Cour supérieure du district de Québec a compétence sinon l'action doit être rejetée. Le Tribunal a permis la preuve sous réserve. Il y a lieu de se prononcer immédiatement à ce sujet.

[6]                Les professeurs Hubert Reid et Claire Carrier[1] résument ainsi les principes tirés de l'arrêt Baird c. Matol Botanical International Ltd, (1994) R.D.J. 282 (C.A.) :

68/1      Le demandeur doit alléguer tous les éléments nécessaires pour justifier la compétence territoriale du tribunal devant lequel l'action est intentée. Si cette compétence est mise en question par une requête pour exception déclinatoire et si les faits sont contestés, le demandeur a le fardeau de prouver, par une preuve présentée dans le cadre de la requête, tous les éléments justifiant la compétence du tribunal.

68/40    Lorsque les faits allégués à la déclaration ne sont pas contestés et que seule la compétence du tribunal l'est, celui-ci n'a pas l'obligation d'entendre des témoins. Cependant, lorsque le défendeur allègue dans sa requête en exception déclinatoire que, contrairement à ce que prétend le demandeur, toute la cause d'action n'a pas pris naissance dans le district judiciaire où l'action est intentée, le tribunal se doit d'entendre la preuve.

[7]                Ceci étant, le Tribunal, vu une telle contestation de la part de AEC, permet la preuve et considère celle entendue. Par cette preuve, la partie demanderesse CCISD veut démontrer que le troisième intervenant mentionné à la requête introductive d'instance, soit l'Agence canadienne de développement international (ACDI) et par qui le projet de coopération entre les deux parties transigent, a son siège social et sa place d'affaires à Gatineau dans la province de Québec.

[8]                Mme Lina Fournier, responsable des affaires institutionnelles, membre du conseil d'administration et directrice par intérim de la demanderesse, témoigne et dépose des lettres démontrant que, effectivement, l'ACDI avec laquelle les parties transigent a bien son bureau d'affaires sur la rue Portage, dans le secteur Hull de la ville de Gatineau, dans la province de Québec.

[9]                En application pure et simple de l'ancien article  68  C.p.c., le Tribunal ne trouverait pas cette preuve pertinente car l'ACDI n'est pas une partie à la procédure introductive d'instance. Mais cette preuve peut-elle être pertinente sous un autre aspect…?

[10]            En l'espèce, nous sommes en présence de deux parties résidant dans deux provinces distinctes du Canada. Le Code civil du Québec énonce alors que ce sont les règles prévues à son livre dixième et concernant le droit international privé qui s'appliquent :

Art. 3077          Lorsqu'un État comprend plusieurs unités territoriales ayant des compétences législatives distinctes, chaque unité territoriale est considérée comme un État.

[11]            D'ailleurs l'article 68 C.p.c. a été modifié pour préciser qu'il s'applique sous réserve des dispositions entre autres du livre X au Code civil du Québec. Madame la juge France Thibault de la Cour d'appel écrit à ce sujet :

L'objet des articles 3148 C.c.Q. et 68 C.p.c. est différent. Alors que l'un détermine la compétence des autorités québécoises, l'autre établit le district dans lequel une action doit être intentée.

[12]            D'autre part, il est reconnu par les deux parties que le recours intenté est en dommages-intérêts. Il s'agit donc d'un recours personnel d'ordre patrimonial. Demeurant dans le domaine du droit international privé, il faut alors référer à l'alinéa 3 de l'article 3148 C.c.Q., les autres alinéas ne trouvant application en l'espèce.

Art. 3148.         Dans les actions personnelles à caractère patrimonial, les autorités québécoises sont compétentes dans les cas suivants :

3o Une faute a été commise au Québec, un préjudice y a été subi, un fait dommageable s'y est produit ou l'une des obligations découlant d'un contrat devait y être exécutée.

[13]            Et la Cour d'appel réitère dans l'affaire Capital Factors Inc. and Union Planters Bank of Florida c. Royal Bank of Canada[2] :

2 It is well established that if any one of the grounds mentioned in article 3148 of the Civil Code of Quebec is found to exist, the Superior Court does have jurisdiction to entertain the claim, even if none of the other grounds mentioned in that provision are present.

[14]            Il faut donc qu'un seul des éléments générateurs d'attribution de compétence survienne au Québec pour donner compétence à la Cour supérieure du Québec en l'instance. Mais comme le précise le juge LeBel de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Spar Aerospace c. American Mobile Satellite[3] :

La requête en exception déclinatoire permet toutefois au défendeur de contester les faits allégués par le demandeur. En l'espèce, les appelantes ont effectivement présenté des éléments de preuve (…) Il n'en demeure pas moins que le rôle du juge des requêtes lui commande de s'abstenir d'apprécier la preuve des parties à moins que celles-ci ne contestent spécifiquement les faits.

(…)

En l'espèce, comme la juge des requêtes, j'estime que l'intimée a établi prima facie qu'elle avait subi un préjudice au Québec. Même si le siège social de l'intimée se trouve en Ontario, le témoignage de Gerald Bush (vice-président et directeur général de Spar) démontre que l'entreprise exploitée à Ste - Anne‑de‑Bellevue avait établi sa propre réputation indépendamment de la réputation nationale de l'intimée.

[15]            Le Tribunal doit donc apprécier si prima facie un des éléments énoncés à l'article 3148 alinéa 3 du Code civil du Québec apparaît et lui donne juridiction. De plus, comme la défenderesse conteste que toute la cause d'action ait pris naissance dans le district de Québec, le Tribunal peut apprécier le témoignage de Mme Lina Fournier quant à un des éléments attributifs de compétence de l'article 3148, 3o C.c.Q. Ce sont ces éléments susceptibles d'accorder la compétence territoriale et non l'exigence que toute la cause d'action ait pris naissance à Québec dont le Tribunal doit tenir compte.

[16]            Le Tribunal prend pour acquis, pour les fins de la requête introductive d'instance, que les pièces alléguées font partie intégrante de la requête. Ainsi les allégations une et deux indiquent que la demanderesse a une expérience notoire et reconnue au niveau québécois, national et mondial dans la lutte contre le sida en Afrique et ailleurs comme en Haïti (pièce P-1). Les parties ont des expertises complémentaires et c'est la raison pour laquelle le projet envisagé conduisait au protocole d'entente entre elles.

[17]            La demanderesse réclame pour dommages pécuniaires et atteinte à sa réputation alléguant l'inaction de la défenderesse en rapport avec ce projet ayant conduit l'ACDI a refusé d'y contribuer à cause des délais engendrés. De plus, l'ACDI, dont la place d'affaires indiquée sur sa lettre du 16 janvier 2005 est à Gatineau, confirme à la demanderesse que les délais encourus depuis le dépôt de la proposition initiale qui devait par ailleurs être présentée conjointement avec AEC sont responsables de la perte des subventions mises de côté pour le projet envisagé (pièce P-9).

[18]            L'avocate de AEC réfère au jugement rendu par la juge Suzanne Courteau dans l'affaire Énergie Innovation Écotech inc. c. Apkon Engineering[4] :

[40]       Le Tribunal se doit de suivre les enseignements de la Cour d'appel qui tout récemment, en 2004, s'est à nouveau prononcée sur le fait qu'un dommage économique ou une réclamation financière en dommage n'étaient pas suffisants pour conférer juridiction à la Cour supérieure du Québec.

[19]            En l'espèce, le Tribunal est d'avis que ce n'est pas uniquement le préjudice pécuniaire dont la demanderesse se plaint. C'est bien plus la perte du projet de lutte au sida et d'aide aux enfants qui est le but de ses activités, la raison de son existence. C'est l'atteinte à sa réputation auprès d'organismes comme l'ACDI de qui sa survie dépend.

[20]            C'est en ce sens que le Tribunal considère les allégations de la requête introductive d'instance tendant à démontrer prima facie que la demanderesse a subi un préjudice dans la province de Québec. Elle y a son siège social, y fait ses affaires et y monte ses projets selon la procédure et les pièces produites et le témoignage de sa directrice générale adjointe.

[21]            Selon les dispositions du Code civil du Québec réglementant le droit international privé, le Tribunal retient que la cause d'action a pris naissance au Québec où la demanderesse y allègue avoir subi un préjudice certain.

[22]            Quant au moyen subsidiaire plaidé, à savoir de transférer le dossier dans le district de Montréal, dans un but de commodité, le Tribunal rejette également cette demande vu le motif invoqué. À l'audience, il a référé la défenderesse à la disposition du Code de procédure civile, article 75.0.1 pour l'instruction exceptionnelle d'une cause dans un autre district, et ce dans l'intérêt des parties.

[23]            PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[24]            REJETTE la requête en exception déclinatoire;

 

[25]            AVEC DÉPENS.

 

 

__________________________________

MARC LESAGE, j.c.s.

 

Me Jean-Éric Guindon

Bélanger Sauvé

Procureurs de la demanderesse

90, rue des Casernes, C.P. 365

Trois-Rivières (Québec)  G9A 5G9

 

Me Karine Bourgeois

Paquette Gadler

Procureurs de la défenderesse

300, Place D'Youville, bur. B-10

Montréal (Québec)  H2Y 2B6

 

Date d’audience :

3 février 2006

 



[1] Alter Ego, Code de procédure civile, 19e  Éd., 2003, Wilson & Lafleur.

[2] REJB 2004-81258 , C.A.M. 500-09-014760-045 décision du 29 octobre 2004, J.J. Nuss, Hilton, Bich, J.C.A.

[3] [2002] 4 R.C.S. 205 , 223,224.

[4] SOQUIJ AZ-50292546 , J.E. 2005-543 , C.S.M. 500-17-022941-044, jugement du 2 février 2005.

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