[1] Les appelants se pourvoient contre deux jugements la Cour supérieure, district de Drummond (l’honorable Lise Matteau), l’un, interlocutoire et rendu le 28 juin 2011, qui a fixé un ordre de présentation des témoins en vue du procès, et l’autre, final, en date du 31 janvier 2013, qui a rejeté leur action en responsabilité professionnelle intentée contre les intimés, au motif d’absence de faute de la part de ces derniers.
[2] Pour les motifs du juge Morissette, auxquels souscrivent les juges Bich et St-Pierre;
LA COUR :
[3] REJETTE l’appel, avec frais de justice.
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MOTIFS DU JUGE MORISSETTE |
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[4] Les appelants portent en appel deux jugements rendus par l’honorable Lise Matteau de la Cour supérieure dans le district de Drummond. Le premier est un jugement interlocutoire du 28 juin 2011, prononcé dans des circonstances qui seront précisées plus loin. Le second est un jugement final[1] du 31 janvier 2013 qui rejette l’action en responsabilité médicale intentée contre les intimés. Par cette action, les appelants réclamaient des intimés 8 561 531 $ en leur qualité de tuteurs à leur enfant X. Ils réclamaient aussi, mais en leur qualité personnelle, 150 000 $ chacun à titre de dommages non pécuniaires, de même que, conjointement, une somme globale de 570 270 $ pour des soins et services rendus à leur enfant.
[5] La juge de première instance a conclu à une absence de faute de la part des intimés.
I. Cadre factuel du litige
[6] Le procès en Cour supérieure a duré vingt-six jours. Il s’est soldé par un jugement de 123 pages, en 781 paragraphes, où la juge de première instance décrit avec force détails les circonstances qui ont engendré le litige. J’y reviendrai, mais je me contenterai pour le moment de donner un aperçu succinct de la trame des faits, à la seule fin de situer l’affaire dans son cadre d’ensemble. Et je m’arrêterai de nouveau sur ces faits, en apportant les précisions qui me sembleront nécessaires, lorsque j’aborderai les différents volets du dossier.
[7] On parle ici, en somme, d’une faute professionnelle des médecins qui serait la cause d’un grave handicap pour la victime de cette faute.
[8] Les circonstances à l’origine du litige se situent en avril 2001.
[9] À cette époque, les intimés Nadeau et Lannes étaient respectivement pédiatre et anesthésiste à l’Hôpital Ste-Croix de Drummondville, un centre hospitalier de niveau secondaire. À la même époque, l’intimée Langis, aujourd’hui décédée, était pédiatre et professeure de médecine au Centre hospitalier de l’Université de Sherbrooke (le CUSE[2]), un hôpital de niveau tertiaire; la Dre Pesant, défenderesse en première instance[3], était une résidente en pédiatrie au CUSE. Les appelants sont quant à eux les parents de X, née prématurément le 29 avril 2001, après une grossesse de 33 semaines[4].
[10] X est atteinte d’une leucomalacie périventriculaire (une LPV ) et d’une paralysie cérébrale, conséquences d’une maladie des membranes hyalines. La thèse centrale en demande, réitérée en appel, consiste en ceci : la condition de X fut causée par diverses interventions, démarches ou omissions des intimés, toutes fautives selon les appelants, qui survinrent au cours des quelques heures après la naissance de l’enfant.
[11] Les principaux faits, présentés ici sans adopter l’une ou l’autre version des parties là où elles s’affrontent, semblent avoir été les suivants.
[12] Le 29 avril 2001, l’appelante L..., alors enceinte, ressent des douleurs abdominales. Sur le conseil d’une infirmière d’un CLSC consultée par téléphone, l’appelant G... la conduit à l’Hôpital Ste-Croix. Elle y est admise à 18 h 15 et elle y donne naissance à X à 19 h 05. S’agissant d’une prématurée de 33 semaines, l’enfant présente un risque de complications pulmonaires. Aussi le personnel infirmier la branche-t-elle sur un moniteur cardio-respiratoire, un saturomètre et un soluté intraveineux.
[13] À 20 h, la Dre Nadeau prend le cas en charge. À 20 h 30, elle inscrit au dossier l’annotation suivante qui consigne ses premières impressions diagnostiques :
Imp : 1) Prématurée de 33 3/7 sem.
2) Détresse respiratoire précoce - TTNN?
MMH?
Infection?
TTNN est l’abréviation de la « tachypnée transitoire du nouveau-né » et MMH celle de la « maladie des membranes hyalines ». De l’hypothèse d’une MMH découle une autre possibilité, celle qu’il faille rediriger l’enfant vers un centre hospitalier de niveau tertiaire équipé d’un médicament susceptible de pallier une carence de surfactant[5]. En effet, un tel médicament est requis pour le traitement de la MMH, mais la pharmacie de l’Hôpital Ste-Croix n’en conserve pas, à l’instar de la plupart des autres centres de soins secondaires ailleurs au Québec.
[14] Par la suite, et jusque 4 h 15 le lendemain, X demeure sous l’étroite surveillance de la Dre Nadeau, qui ne quitte son chevet que pour s’entretenir avec ses parents. Plusieurs signes vitaux et non vitaux sont observés de façon continue, quelques prélèvements sont effectués et la Dre Nadeau, assistée d’infirmières et d’une inhalothérapeute, utilise diverses techniques pour remédier à la détresse respiratoire de l’enfant. Un peu avant 1 h le 30 avril, alors qu’elle vient de recevoir de nouveaux résultats de prélèvements sanguins, la Dre Nadeau conclut qu’un transfert dans un centre hospitalier de niveau tertiaire s’impose probablement. Après avoir consulté les appelants sur leur préférence entre le CUSE et l’Hôpital Ste-Justine, elle contacte le CUSE par téléphone et s’entretient d’abord avec la Dre Pesant puis avec la Dre Langis, de qui elle sollicite l’envoi d’une équipe de transfert pourvue de surfactant.
[15] En raison de la détresse persistante de l’enfant, la Dre Langis recommande à la Dre Nadeau de procéder à l’installation d’un dispositif CPAP[6] nasal en attendant l’arrivée de l’équipe de transfert. La Dre Nadeau intervient dans ce sens à partir de 1 h 36. Les tentatives d’installation du CPAP demeureront cependant sans succès et seront accompagnées d’épisodes d’apnée et de bradycardie, de sorte que la Dre Nadeau décidera de procéder plutôt à une intubation par voie nasotrachéale en vue du transport par ambulance. Entre 1 h 57 et 2 h 10, elle essaie de le faire à quelques reprises mais elle échoue chaque fois. Cela dit, tant pendant la phase de tentative d’installation du CPAP que pendant celle de tentative d’intubation nasotrachéale, l’enfant demeure ventilée manuellement entre les essais infructueux afin de maintenir dans son sang un taux sécuritaire de saturation en oxygène. À 2 h 10, la Dre Nadeau communique avec l’anesthésiste, le Dr Lannes, qu’elle rejoint chez lui. Ce dernier s’assure alors que l’enfant respire spontanément, qu’elle ventile bien et que sa perfusion est acceptable. Après avoir récupéré ses instruments dans un autre service de l’hôpital, le Dr Lannes se présente au chevet de X à 2 h 47. Certains médicaments d’usage sont d’abord administrés à l’enfant et le Dr Lannes fait une première tentative d’intubation par voie nasale. Le tube endotrachéal se heurte à la glotte et un premier essai d’intubation échoue. Enfin, à 3 h 08, le Dr Lannes réussit une seconde tentative, cette fois par voie orotrachéale. Une radiographie pulmonaire effectuée après l’intubation fait voir, selon les notes de la Dre Nadeau, un « fin granité aux 2 plages. Donc MMH grade II ».
[16] Vers 4 h, une équipe composée de la Dre Pesant, d’une inhalothérapeute et d’une infirmière se présente à bord d’une ambulance en provenance du CUSE. On administre à X du surfactant ainsi qu’un sédatif pour l’apaiser. L’équipe de transfert parvient au CUSE à 6h45. X demeurera à l’unité de néonatalogie du CUSE jusqu’au 17 mai et sera intubée jusqu’au 3 mai. Au cours de cette période, elle connait des épisodes de désaturation et de bradycardie.
[17] Un diagnostic définitif porté à la suite d’un examen de X par résonnance magnétique du 16 septembre 2005 contient le passage qui suit :
CONCLUSION :
Atrophie sévère de la matière blanche périventriculaire avec anomalie de signal dans la matière blanche périventriculaire résiduelle telle que ci-haut décrite.
Proéminence secondaire du système ventriculaire, plus marquée au niveau des ventricules latéraux et en postérieur.
Ces trouvailles sont compatibles avec une leucomalacie périventriculaire post-ischémie ancienne.
[18] Le 31 août 2005, les appelants commençaient leur action en Cour supérieure.
II. Jugement entrepris
[19] Les appelants, des parents au comportement exemplaire envers leur fille X, ont voulu porter en justice des questions qui méritaient d’y être débattues. On ne peut que sympathiser avec eux.
[20] En dépouillant le dossier médical et en citant d’abondants extraits de la preuve documentaire (notes des médecins et des infirmières, résultats des prélèvements, etc.), la juge décrit d’abord les circonstances précises dans la soirée du 29 avril 2001 et dans la nuit du 30 qui ont entouré puis ont suivi la naissance de X. Elle relate ensuite les examens effectués et les traitements prodigués au CUSE et à l’Hôpital Ste-Croix dans les mois et les années postérieurs à ces deux dates.
[21] À partir du paragraphe [88] de ses motifs, la juge analyse le fond du litige. Elle écarte tout d’abord l’argument que les intimés faisaient valoir en invoquant la prescription du recours. Puis, elle se tourne vers la question centrale, soit celle de la responsabilité des intimés, en se penchant d’abord sur chacune des fautes alléguées. En premier lieu, elle tranche sept objections prises sous réserve pendant le procès. Elle délimite ensuite le cadre juridique du débat en reprenant un long passage d’un jugement récent de la Cour supérieure dans l’affaire Charbonneau c. Centre Hospitalier Laurentien[7]; dans ce dossier, le juge Delorme faisait le point sur le droit de la responsabilité médicale en citant plusieurs sources consacrées. Quelques paragraphes suivent sur le parcours professionnel de chacun des défendeurs. Sont ensuite examinées, avec dans chaque cas une synthèse préalable de la preuve, les diverses prétentions des appelants sur les fautes des intimés, en considérant dans l’ordre le rôle respectif des Drs Nadeau, Lannes et Langis. Ces prétentions, dont certaines soulèvent plusieurs sous-questions[8], concernent (i) la prise en charge et la consultation initiale, (ii) le déroulement des faits pendant la période entre 20 h 00 et 01 h 00, moment de l’appel au CUSE, (iii) les tentatives d’installation du CPAP, (iv) les tentatives d’intubation, (v) le délai d’intervention du Dr Lannes, (vi) l’administration du Propofol, et (vii) l’intervention de la Dre Langis. Au terme de cette analyse, la juge conclut à l’absence de faute de la part des intimés.
[22] La question de la causalité n’est évoquée qu’au paragraphe [626] des motifs de la juge et elle l’est en ces termes : « Vu la conclusion à laquelle il en arrive quant à la faute des défendeurs, le Tribunal n’estime pas opportun de se prononcer sur le lien de causalité ».
[23] Puis, la juge consacre une vingtaine de pages à la question des dommages, dont elle dit traiter « brièvement … en n’abordant que les points de divergence qui existent entre [les parties] à cet égard ». Outre quelques témoins profanes, plusieurs experts furent entendus de part et d’autre sur cette question : deux actuaires, deux ergothérapeutes et une experte en employabilité.
[24] Après avoir tranché quelques objections à la preuve, la juge s’arrête en premier lieu sur les dommages réclamés au nom de X puis sur ceux réclamés par ses parents. Au chapitre des dommages non pécuniaires, elle estime qu’il y aurait lieu d’accorder 235 000 $ à X et 175 000 $[9] à chacun de ses deux parents. Les dommages-intérêts pécuniaires réclamés au nom de X se montaient à 8 249 531 $ (aux titres de la perte de capacité de gains, des dépenses supplémentaires futures, d’une provision d’impôt et de frais de gestion). Par ailleurs, les appelants réclamaient aussi à titre personnel des dommages-intérêts pécuniaires de 570 270 $ (pour les « services rendus aux [sic] lieu et place de personnel spécialisé » selon la requête introductive d’instance ré-réamendée). En tenant principalement compte du rapport conjoint des ergothérapeutes Labrecque (entendue en demande) et Gagnon (entendue en défense), ainsi que du rapport conjoint des actuaires Morissette (entendu en demande) et Guertin (entendu en défense), la juge réduit sensiblement le quantum des dommages-intérêts qui lui aurait semblé approprié vu la preuve faite. Ses motifs ne permettent cependant pas de chiffrer avec précision le total des dommages-intérêts pécuniaires qu’elle aurait accordés car dans certains cas elle se contente d’indiquer la démarche qu’elle aurait suivie pour en fixer le montant. Ainsi, au titre des frais de gestion, elle écarte comme « nettement exagéré » le montant de 1 161 860 $ mentionné par l’expert Morissette, et mentionne qu’elle aurait préféré les « données soumises par M. Guertin » (qui évaluait les frais de gestion à 571 110 $). Elle ajoute toutefois au paragraphe [758] de ses motifs, en expliquant la raison de cette divergence, qu’elle aurait accordé des frais de gestion calculés dès la date du versement du capital, contrairement à l’expert Guertin pour qui ces frais ne devaient être compensés qu’à partir des 18 ans de X, « soit l’âge à compter duquel elle devient adulte et aurait dû être en mesure de s’occuper de ses affaires ». Cela dit, il ne peut faire de doute que la somme globale qui aurait été accordée aux appelants s’ils avaient eu gain de cause en première instance n’aurait représenté qu’une fraction des 9 431 801 $ réclamés par eux (et en marge desquels ils demandaient en première instance et demandent toujours en appel que leur soient réservés « les recours pour dommages additionnels dans les trois ans du jugement à intervenir »).
III. Moyens d’appel
[25] Je citerai d’abord les quatre moyens d’appel que soulèvent les appelants, dans l’ordre et dans les termes qu’ils utilisent dans leur mémoire, sans mentionner pour le moment les quinze sous-thèmes qu’ils dégagent de trois de leur quatre moyens. Ils formulent ces derniers comme autant d’affirmations. En voici la teneur :
1. La juge de première instance a commis une erreur de droit en ne se prononçant pas sur la causalité, et ce vice dans le syllogisme juridique a vicié l’ensemble de son raisonnement.
2. Il y a eu violation des principes de justice naturelle et les appelants ont été privés de leur droit à un procès juste et équitable.
3. Les demandeurs ont été privés des présomptions graves, précises et concordantes et du renversement de preuve dont ils auraient dû bénéficier.
4. Sur les dommages, le jugement de première instance constitue un obiter dictum qui contrevient cependant aux principes reconnus d’indemnisation du préjudice, ou les contourne, et qui filtre la preuve au point de les dénaturer.
[26] L’une des complications que présente le pourvoi, et non la moindre, résulte du fait que les parties ne sont pas parvenues à lier contestation sur un énoncé des mêmes griefs contre le jugement de première instance - et je précise que les intimés ne sont pas nécessairement les seules parties à blâmer pour cette confusion. On verra plus loin que les moyens des appelants se détaillent d’une manière qui en rend difficile la juxtaposition avec les arguments des intimés. Ces derniers formulent trois questions dont les deux premières se subdivisent en dix sous-questions :
A. La juge de première instance a-t-elle commis des erreurs de droit révisables par la Cour d’appel?
B. La juge de première instance a-t-elle commis des erreurs de fait manifestes et dominantes permettant l’intervention de la Cour d’appel?
C. Subsidiairement, la juge de première instance a-t-elle commis des erreurs de droit ou des erreurs manifestes et dominantes de faits [sic] dans l’évaluation des dommages?
IV. Fond du pourvoi
[28] Les appelants discutent du premier reproche mentionné au paragraphe précédent dans l’exposé de leur second moyen (« Il y a eu violation des principes de justice naturelle et les appelants ont été privés de leur droit à un procès juste et équitable ») et ils le font précéder du sous-titre suivant : « Il y a eu immixtion dans la preuve des appelants afin de les empêcher de faire entendre, en chef, les intimés ».
[32] Mais il est vrai que, si l’on suit pour les fins de la démonstration l’argument déployé par les appelants, les conséquences qu’ils estiment néfastes pour eux de la décision du 28 juin 2011 ne seraient devenues apparentes qu’au cours de la preuve présentée en défense. Aussi est-il opportun d’y regarder de plus près pour répondre à ce moyen.
(1) Une décision de gestion d’instance irrégulière affectant l’ordre de présentation des témoins
[33] Plusieurs questions relatives au lieu et au déroulement du procès furent considérées lors de la conférence en question. L’une d’elles concernait l’ordre dans lequel seraient entendus les témoins cités en demande et en défense. En demande, l’avocat des appelants avait prévu faire d’abord entendre en preuve principale les défendeurs Nadeau, Lannes et Pesant, puis les appelants, suivis de quatre médecins experts. L’avocat des intimés s’est opposé à ce schéma d’audition. Il a soutenu que la façon de procéder était inhabituelle, qu’il revenait à la demande de faire sa preuve pour que les parties défenderesses sachent à quoi s’en tenir, et que ses clients ne devraient être appelés pour la première fois à la barre qu’au moment où commencerait la preuve principale en défense. La question fut débattue et la juge trancha en faveur des intimés.
[34] Le procès-verbal de cette conférence de gestion est succinct et la transcription sténographique du débat n’a pas été versée au dossier d’appel. On voit cependant que la juge soulève la question de l’horaire et du calendrier des témoignages. Quelques instants après 12 h 13, les avocats des parties interviennent à tour de rôle et à plusieurs reprises. L’extrait qui suit relate ce qui survient une trentaine de minutes plus tard :
12 h 47 |
Le Tribunal s’adresse à Me Boulanger et lui demande de confectionner, en tenant compte de ce qui a été discuté plus avant, un nouveau calendrier qu’il transmettra au Tribunal et aux procureurs des défendeurs au plus tard le 31 août 2011 aux fins qu’un calendrier commun soit confectionné au plus tard le 30 septembre 2011
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12 h 50 |
Remarques de Me Boulanger (Prévoir une contre-preuve).
Le Tribunal s’adresse à Me Boulanger. Il y aura une contre-preuve, si nécessaire.
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[35] Et de fait, le 30 août suivant, l’avocat des appelants écrivait à la juge et apportait certaines précisions sur sa compréhension des décisions de gestion prises en juin. Il joignait à sa lettre la « version originale » du calendrier d’audition d’abord proposé par lui, selon laquelle il interrogeait les intimés en demande aux jours 1, 2 et 3 du procès, ainsi qu’une « version amendée », selon laquelle il les interrogeait, toujours en demande, mais aux jours 14 et 15 du procès, après audition en demande de ses médecins experts et audition en défense des médecins experts de la défense. Après avoir signalé que le procès-verbal ne porte mention ni de la requête verbale des défendeurs d’écarter la façon de procéder que proposaient les demandeurs, ni de l’opposition des demandeurs à la décision de la juge, la lettre poursuit en ces termes :
En ce qui nous concerne, il est important que notre volonté de faire témoigner les défendeurs avant nos experts soit formellement notée au procès-verbal. La Cour se rappellera que nous avions même offert que la défense fasse entendre les défendeurs dans sa preuve, après quoi nos experts seraient entendus. Cet accommodement avait été refusé par la défense. Pour nous, il est clair que la défense veut tenter d’apporter des faits nouveaux après la preuve d’experts de la demande et avant que ses propres experts soient entendus et ainsi les favoriser grandement. Nous avons aussi dénoncé cette tactique qu’aucun contre-interrogatoire ne peut corriger. L’un des éléments du dossier est une pauvreté d’informations au dossier médical. On comprendra dès lors que nous nous opposerons à toute tentative que les « trous » du dossier soient bouchés et le dossier reconstitué à la faveur des intérêts des défendeurs, surtout après le passage de nos experts qui se basent sur le dossier réellement constitué.
Quelques jours plus tard, la juge correspondait avec les avocats des parties et répondait comme suit à l’avocat des appelants :
Dans un premier temps, le Procès-verbal du 22 [sic] juin 2011 fait dûment état des échanges qui se sont tenus relativement à la confection d’un calendrier, plus particulièrement à l’ordre des témoins (voir p. 4 de 5 : 12 h 45 et p. 5 de 5 : 13 h 00), et de la conclusion qui a résulté de ces échanges. Le débat est donc clos à cet égard.
[36] À mon avis, ce moyen doit échouer, pour trois raisons.
(a) L’appel de la décision du 28 juin 2006
[37]
Tout d’abord, il ne faut pas confondre les mots et les choses : ce
n’est pas parce qu’une décision survient dans un cadre qu’on qualifie de « conférence
de gestion » qu’il faut nécessairement conclure à l’inapplicabilité de
l’article
[38]
Lors de l’audience en appel[10],
l’avocat des appelants a affirmé qu’il s’agissait d’une décision de gestion
d’instance et non un jugement interlocutoire visé par l’article
[39] Je crois que cette vision des choses tronque la réalité.
[40]
En vertu de l’art.
[41] Au nom d’une Cour suprême unanime, les juges LeBel et Wagner écrivaient récemment[12] :
[25] Même si les pouvoirs d’intervention du
juge dans la conduite de l’instance civile sont devenus de plus en plus
importants, en règle générale, ce dernier ne participe pas activement à la
recherche de la vérité (L. Ducharme et C.-M. Panaccio, L’administration de
la preuve (4e éd. 2010), p. 7; Technologie Labtronix Inc. c. Technologie
Micro Contrôle Inc.,
[42]
En intervenant comme elle l’a fait, la juge devait aussi respecter le
droit de toute partie d’être entendue, tel qu’il est énoncé à l’art.
20. - Il en résulte, selon nous, de cet article, que
toute personne a le droit de soumettre au tribunal, dans le respect des règles
de preuve, toute preuve pertinente. Si, par suite de la violation de ce droit,
une partie n’obtient pas gain de cause, elle peut, dans son pourvoi à
l’encontre du jugement ainsi rendu, demander à la Cour d’appel de l’infirmer et
de retourner le dossier en première instance, afin qu’elle puisse y présenter
la preuve que le juge de première instance avait irrégulièrement refusé de
recevoir. Il y aurait également déni de justice si un juge, par ses agissements
au cours de l’instruction d’une cause, empêchait une partie de faire valoir un
droit. Avant d’intervenir pour ordonner une nouvelle enquête, la Cour d’appel
exige la démonstration qu’une partie a réellement été empêchée de faire sa
preuve. C’est ainsi que la Cour d’appel a refusé, à quelques reprises, de
sanctionner la conduite répréhensible du juge de première instance au motif que
l’appelant avait quand même réussi à faire valoir son point de vue. Dans une
affaire particulière, elle a considéré que l’appelant aurait dû se prévaloir de
l’article
[43] La dernière phrase de la citation qui précède renvoie aux motifs du juge LeBel dans l’arrêt Bernard Proulx Inc. c. Proulx[14] :
L'appel met également en cause la conduite du premier
juge. Selon l'appelante, celui-ci serait intervenu indûment et agressivement
dans le cadre de sa preuve et l'aurait empêchée de compléter celle-ci. Ses
interventions auraient été si graves qu'elles constitueraient même une
violation de son droit fondamental à une audition juste et impartiale en vertu
de l'article
Dans l'ensemble, l'appelante n'est pas parvenu [sic] à démontrer l'existence de motifs de réformation des conclusions du premier juge quant à la responsabilité de l'appelante et celle du Procureur général. Seule la fixation des dommages exigera les corrections. Par ailleurs, une lecture attentive du dossier indique que la conduite du premier juge ne mérite pas la censure que réclame l'appelante.
Je traiterai d'abord de cette question. Le procès a
donné lieu, comme cela arrive assez fréquemment, à des objections et à
l'occasion, à des accrochages avec le premier juge. A lire tout ce qui a été
reproduit tant dans le mémoire de l'appelante que dans celui des intimés, l'on
constate que si le premier juge a été parfois irritable, dans un cas au moins,
ses interventions s'expliquaient en grande partie par la conviction que la
défense présentée par l'appelante était incomplète et ne permettait pas la
preuve qu'elle désirait entamer. Il a d'ailleurs cessé de s'objecter à cette
partie de la preuve une fois que l'appelante eut demandé et obtenu la
permission d'amender son plaidoyer (voir m.i. p. 85). D'autres incidents ont
arrêté des éléments de la preuve de l'appelante. Je n'y vois pas cependant une
manifestation de partialité de la part du premier juge. Bien ou mal fondée, ses
décisions, qui n'ont pas été remises en cause devant nous, appartiennent à
celles qu'une cour de première instance est obligée de prendre dans la conduite
d'un procès. De toute façon, elles n'ont pas la gravité que leur prête
l'appelante. Elles constituent un exemple de ce genre de débat auquel un avocat
doit s'apprêter à faire face lorsqu'il plaide une cause. D'ailleurs, avant
de se plaindre d'une violation des droits constitutionnels, l'avocat pourrait
au moins tenter de se servir des recours que lui accorde l'article
[Soulignements ajoutés]
[44] Cette lecture est identique à celle faite par le juge Pelletier dans SNC-Lavalin, environnement inc. c. Béton Laurentide inc.[15]. Saisi d’une requête pour permission d’appeler d’une ordonnance rendue lors de la gestion de l’instance, le juge Pelletier souligne que pareille ordonnance ne pourra faire l’objet d’un appel qu’en des circonstances exceptionnelles, ce qui sera notamment le cas lorsque l’ordonnance attaquée est susceptible de porter atteinte à un droit fondamental (ici le droit à une défense pleine et entière) :
[6] Il est exact que le juge a prononcé ses ordonnances dans un contexte de gestion. Vu sous cet angle, son jugement ne pourrait faire l'objet d'un appel que pour des motifs exceptionnels. Ceci est d'autant plus vrai que la gestion efficace de dossiers de cette envergure est essentielle pour parvenir à l'objectif de rendre justice. Or, l'appel de jugements interlocutoires perturbe la marche de tels dossiers et peut, en pratique, annihiler les efforts déployés en première instance. Voilà pourquoi la permission ne peut être accordée à la légère.
[7] Ainsi, s'il ressortait assez clairement du texte du jugement que le juge n'a pas mis de côté de façon déterminante certains volets de la défense envisagée par les requérants, mais qu'il a seulement géré de façon préliminaire le déroulement d'une partie des interrogatoires préalables à des fins d'efficacité, j'aurais sans nul doute opté pour le rejet de la requête. Toutefois, la facture du jugement se prête trop aisément à la lecture qu'en font les requérants. Ils plaident que le juge s'est commis prématurément quant à la pertinence d'éléments cruciaux relatifs à la responsabilité. Après analyse, j'estime qu'il n'est pas exclu que leur droit à une défense pleine et entière soit mis en péril.
[8] Je suis en conséquence d'avis que la
requête satisfait les exigences de l'article
[45] En somme, il y avait matière ici pour qu’un juge de la Cour d’appel se penche de près sur la décision du 28 juin 2011, et on ne peut écarter l’hypothèse que la permission d’appeler aurait été accordée. Une transcription de la conférence de gestion aurait suppléé à l’absence de mention au procès-verbal. Et il suffit de consulter les interrogatoires au préalable pour écarter rapidement l’argument que les intimés fondent sur eux : ils soutiennent que ces interrogatoires pouvaient suppléer à ceux que les appelants ont été empêchés de mener au procès. Or, il n’y a pas de commune mesure entre les interrogatoires au préalable, effectués le 13 avril 2006, et ce qu’auraient pu révéler six ans plus tard des interrogatoires en preuve principale du 16 avril 2012, alors que le dossier était complet et qu’il contenait désormais toutes les expertises des médecins cités de part et d’autre par les parties.
(b) La possibilité de présenter une contre-preuve
[46] La question n’est pas vidée pour autant.
[47] Le procès-verbal du 28 juin 2006 fait explicitement état de la possibilité de faire une contre-preuve que se réservait l’avocat des appelants.
[48] Ici encore, lors de l’audience en appel, l’avocat a précisé sa position. Selon lui, les intimés se seraient très certainement opposés à la présentation en contre-preuve d’éléments additionnels portant essentiellement sur les mêmes faits que ceux déjà établis en preuve principale. Mais, lorsqu’on y regarde de plus près, cette version paraît elle aussi réductrice.
[49] Je rappelle brièvement quelle est la fonction d’une contre-preuve. Il est vrai qu’une affaire aujourd’hui ancienne avait limité celle-ci à la contradiction des allégations de la défense, une contre-preuve, selon cette jurisprudence, ne pouvant servir à étayer ou fortifier la preuve de la demande[16]. Mais beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis ce jugement de 1902 et les tribunaux savent faire preuve de flexibilité lorsque les circonstances paraissent indiquées pour le faire.
[50] Voici ce qu’écrivent à ce sujet les auteurs Ducharme et Panaccio, déjà cités plus haut[17] :
Selon nous, la règle de principe selon laquelle la
contre-preuve ne doit pas servir à renforcer une preuve déjà faite en preuve
principale devrait être appliquée avec souplesse. D’ailleurs, comme le tribunal
a discrétion, en vertu de l’article
[Références omises]
Or, ici, aucune tentative n’a été faite pour offrir une contre-preuve.
[51] Il semblerait pourtant que l’occasion était bonne pour le faire. D’une part, après le débat du 28 juin 2006, dont on peut supposer qu’il fut assez soutenu, la juge avait expressément réservé aux demandeurs le droit de faire une contre-preuve, de sorte qu’elle aurait probablement été réceptive s’ils avaient souhaité en présenter une. D’autre part, comme on le verra plus loin avec plus de détails, la preuve d’expert administrée en demande recelait une méprise spécifique (mais explicable) sur les caractéristiques ou la configuration du CPAP que la Dre Nadeau utilisa à compter de 1 h 36 dans la nuit du 30 avril 2001. Il est difficile de croire qu’une contre-preuve, en la supposant utile, n’aurait pu être présentée sur ce point précis afin de clarifier les témoignages des experts en demande. Cela n’a pas été fait, et on ignore pourquoi, mais cela aurait pu être fait. Nul doute que, dans ce volet du pourvoi, la position maintenant prise par les appelants serait nettement plus convaincante si on les avait privés en connaissance de cause de la possibilité de faire une contre-preuve. Mais ils se sont abstenus d’agir.
(c) L’existence d’une preuve prépondérante
[52] Je reviens sur le paradoxe que j’évoquais plus haut aux paragraphes [30] et [31]. Les appelants ciblent plusieurs déterminations de fait de la juge de première instance et ils prétendent avoir présenté dans chaque cas une preuve prépondérante dont ils reprochent à la juge d’avoir sous-estimé la valeur probante. En dernière analyse, leur argument fondé sur la règle audi alteram partem et sur l’ordre de présentation des témoins devra demeurer présent à l’esprit et être apprécié de nouveau en faisant l’étude de ces diverses questions de fait. Mais s’il appert que ces déterminations par la juge sont exemptes d’une erreur manifeste et dominante, il ne saurait être question d’en tirer la conclusion que cette absence d’erreur résulte du fait que les appelants ont été empêchés de faire leur preuve à leur guise. D’ailleurs, ce n’est pas ce qu’ils ont plaidé devant la Cour d’appel.
(2) Des erreurs relatives à la recevabilité de la preuve
[53] Comme le grief précédent, les erreurs de ce type sont invoquées au soutien du second moyen des appelants (« Il y a eu violation des principes de justice naturelle et les appelants ont été privés de leur droit à un procès juste et équitable ») et elles le sont elles aussi à titre subsidiaire. Le paradoxe précédemment identifié demeure donc entier. Néanmoins, malgré l’argument des intimés cité dans ce dernier paragraphe, il y a lieu ici encore d’examiner de plus près les prétentions des appelants. Ces erreurs se détaillent en deux points distincts.
(a) Les objections limitant la preuve en demande
[55] La première objection, que la juge tranche aux paragraphes [108] à [111] de ses motifs, visait une partie du témoignage où le témoin s’expliquait sur la nécessité ou non d’administrer du surfactant. L’avocat des intimés faisait valoir que cette question n’avait jamais été abordée par le témoin dans ses rapports d’expertise du 1er décembre 2006 et du 3 février 2009 et il s’exprimait dans les termes suivants :
Il n'y a aucune... absolument aucune mention d'un grief à l'effet qu'on aurait pu ou on aurait dû avoir du, donner du surfactant à Ste-Croix. C'est pas du tout du tout mentionné dans le rapport. Alors, la preuve pertinente devant le Tribunal, c'est ce qui est énoncé dans les rapports. Il me semble qu'on a eu toute latitude... donné toute latitude au docteur Belik d'expliquer ce qu'il avait à dire dans ses rapports.
S’appuyant sur un jugement de la Cour supérieure[18], la juge écarte cette partie du témoignage en invoquant « la règle élémentaire qui veut qu'un témoignage d'opinion ne porte que sur les sujets déjà connus et annoncés ». Ce faisant, elle se borne à réitérer une règle simple et à l’appliquer à une situation claire; il n’y a rien à redire sur la façon dont elle a tranché l’objection. Et de toute manière, comme le soulignent les intimés dans leur mémoire, le témoignage en question n’était certainement pas concluant dans le sens suggéré par les appelants.
Alors, quand le docteur Lannes se présente au chevet d'un enfant, il arrive avec son bagage de connaissances, de formation, d'expérience qui appartient à l'anesthésiste. Lui, il a fait cinq ans d'études en anesthésie, une année en surspécialisation et, non, il n'est pas un néonatalogiste. Et, par définition, n'étant pas qualifié comme anesthésiologiste, n'ayant pas une formation ni l'expérience, un néonatalogiste [comme le Dr Belik] ne peut pas éclairer la Cour sur ce qu'aurait dû être la conduite, la pratique d'un anesthésiste dans les mêmes circonstances. Et entendre le témoignage d'un néonatalogiste commenter la conduite du docteur Lannes forcerait le Tribunal à rendre une décision concernant la responsabilité professionnelle d'un anesthésiste en se fondant sur les commentaires et l'opinion de ceux qui n'appartiennent pas à la spécialité. Alors que, je vous répète, il y en a six cent quarante et un (641) au Québec. Or, la preuve pertinente elle est disponible. On a fait le choix pour des raisons qui leur appartiennent de ne pas avoir d'expert en anesthésie, et le docteur Karsdon, par exemple, lui, pour sa part, avait décliné de donner une opinion sur le Propofol.
[57] En faisant droit à l’objection, la juge relève notamment, aux paragraphes [113] et suivants de ses motifs, que le témoin en question « n’a aucune formation ni aucune expérience dans le domaine de l’anesthésie » et qu’il a lui-même reconnu « qu’il n’est pas habileté à émettre une opinion sur la conduite du Dr Lannes qui est un anesthésiste. » La distinction est pertinente et s’appuie sur l’idée, sanctionnée en jurisprudence, que la norme du praticien raisonnablement prudent doit être adaptée au champ de spécialisation dans lequel il exerce : la juge réfère avec raison à l’arrêt Ter Neuzen c. Korn[19] avant de conclure que l’opinion qu’émettrait le témoin sur cette question « déborde le cadre de ses compétences ». Ce jugement n’est entaché d’aucune erreur.
(b) La portée des notes d’une infirmière dans le dossier médical
[58] Les appelants invoquent l’arrêt Ares c. Venner[20] et reprochent à la juge de ne pas avoir accordé à une annotation inscrite au dossier médical de X la portée qu’elle était légalement tenue de lui prêter. Ils ont raison de soutenir que cet arrêt consacre une exception, d’ailleurs bien connue, à la règle du ouï-dire. En effet, le juge Hall, qui rédigeait les motifs d’une formation unanime de cinq juges, formulait la chose en ces termes[21] :
… je pense qu'il serait bon que la Cour aborde cette question comme point de droit … Il y a lieu de statuer s'ils sont admissibles comme preuve prima facie de la vérité des déclarations qui y sont consignées ou s'ils ne sont pas admissibles en vertu de l'interdiction du ouï-dire.
Les dossiers d'hôpitaux, y compris les notes des infirmières, rédigés au jour le jour par quelqu'un qui a une connaissance personnelle des faits et dont le travail consiste à faire les écritures ou rédiger les dossiers, doivent être reçus en preuve, comme preuve prima facie des faits qu'ils relatent. Cela ne devrait en aucune façon empêcher une partie de contester l'exactitude de ces dossiers ou des écritures, si elle veut le faire. Dans cette affaire, si l'intimé avait voulu contester l'exactitude des notes des infirmières, ces dernières étaient présentes en Cour et disponibles pour témoigner à la demande de l'intimé.
Cela dit, les appelants font de cet arrêt une interprétation qui en dénature la portée.
[59] Le dossier tenu par l’Hôpital Ste-Croix comprend un formulaire intitulé « Notes d’évolution en soins infirmiers » et rempli à la main par l’infirmière qui assistait la Dre Nadeau au chevet de X dans la nuit du 30 avril 2001. Cette infirmière décrit en ces termes ce qu’elle observe à 1 h 36 :
heure |
traitement |
observations, interventions, signature |
01 : 36 |
CP Nasal |
Installation d’un CP Nasal, infructueuse à ce moment, arrêt respiratoire avec chute du rythme cardiaque à ≈ 50/min
|
|
Ventilation ≈ 3-4 min |
Par Dr Nadeau, reprise lente du rythme cardiaque à 102/min |
|
Aspiration c O2 |
Catheter # 10, sécrétions blanches épaisses au masque en permanence |
[60] Commentant ce passage dans ses motifs, la juge s’exprime comme suit :
[469] S’il est vrai que l’infirmière Lessard a inscrit qu’il y avait eu une « reprise lente du rythme cardiaque à 102 ∕ min »[22] (Le Tribunal met l’emphase), la preuve ne révèle toutefois pas ce que le terme « lente » signifiait pour elle puisque l'infirmière Lessard n’a pas été entendue.
[470] Par ailleurs, dans le cadre des notes qu'elle a consignées au dossier médical de X, la Dre Nadeau a écrit à 2 h 45 « (…) apnée importante + brady I 50 ∕ min. à la suite nécessitant ventilation x 3-4 min - SPO2 90-92 % x 5-10 min. sécrétions +++, aspiration à plusieurs reprises - Par la suite, 2 autres apnées significatives et respiration superficielle entre les épisodes (…) »[23]. (Le Tribunal met l’emphase)
[471] Force est donc de constater que le rythme cardiaque de X est rapidement remonté à un niveau sécuritaire et que ce sont plutôt les apnées qui ont été significatives.
Pour les appelants, il existe une contradiction fondamentale entre d’une part, la mention « reprise lente du rythme cardiaque » dans l’annotation de l’infirmière et d’autre part, ce que la juge tire de la preuve lorsqu’elle écrit « le rythme cardiaque de X est rapidement remonté à un niveau sécuritaire ».
[61] On peut noter en premier lieu que le mot « lente » n’avait sûrement pas échappé à la juge puisqu’elle le cite en caractères gras. Elle s’est plutôt interrogée sur une divergence apparente entre différents éléments de preuve au dossier et elle a apprécié, comme il lui revenait de le faire, ce qui lui paraissait le plus probant. Le mot « lent » avait valeur de preuve prima facie. Il est cependant sujet à interprétation (ce n’est pas une annotation chiffrée, comme l’est le rythme cardiaque ou le taux de saturation sanguine). Or, comme on le verra plus loin, il ne s’agissait pas du seul élément de preuve sur lequel elle pouvait s’appuyer. Sur ce sujet, les intimés répondent ce qui suit dans leur mémoire :
Lors du procès, les intimés ont administré une preuve démontrant que lors de la bradycardie à 50 bpm survenue lors de l’installation du CPAP, le rythme cardiaque de la Patiente est rapidement remonté dans une zone sécuritaire pour progressivement atteindre 102 bpm. La Dre Nadeau, qui était présente au chevet de la Patiente, a effectivement témoigné en ce sens. De plus, lors de son interrogatoire au préalable, la Dre Nadeau a témoigné que le rythme cardiaque de cette dernière lors de la bradycardie a 50 bpm « a récupéré assez rapidement ». Or, cet extrait des transcriptions n’avait pas été traduit en anglais pour les experts des appelants, tel que l’a admis le Dr Belik.
[Références omises]
[62] La question de la portée de cette preuve reviendra à la surface lorsqu’il s’agira d’étudier le quatrième moyen des appelants, ce que je ferai sous le sous-titre « (4) Plusieurs erreurs dans l’appréciation de la preuve » (infra, parag. [75] et s.). Mais ce qui précède suffit à ce stade pour écarter l’argument fondé sur l’arrêt Ares c. Venner : la juge s’est conformée aux directives qu’y énonce la Cour suprême.
(3) Une erreur de droit commise en scindant l’analyse de la faute et celle de la causalité
[63] C’est surtout en plaidoirie que les appelants ont mis l’accent sur ce moyen car, entre le dépôt de leur mémoire en décembre 2013 et l’audition du pourvoi en décembre 2014, la Cour d’appel, le 12 décembre 2014, avait rendu jugement dans le dossier St-Germain c. Benhaim[24] (St-Germain). Au moyen d’une analogie avec le raisonnement développé dans cet arrêt, les appelants prétendent que l’analyse de la faute (ou des fautes) des intimés par la juge de première instance souffre d’une faille importante.
[64] Les membres de la formation de la Cour qui ont entendu l’affaire St-Germain partagent les mêmes conclusions quant au sort à donner au pourvoi mais ils ont livré deux séries distinctes de motifs. Les juges Kasirer et Bélanger divergent sur un point de l’analyse offerte par le juge Fournier, ce que le juge Kasirer, auteur de cette seconde série de motifs, exprime ainsi[25] : « [w]e have, however, arrived at our conclusion that the respondents’ fault caused the losses suffered by a different route from that proposed by Justice Fournier. » Cernant ce qui pour eux constitue la question centrale soulevée par le pourvoi, ils ajoutent au paragraphe suivant :
[144] With due respect for the trial judge, we are of the view that she erred in law in finding that the fault of the respondent physicians was not the probable cause of the losses associated with the death of Mr. Émond.
[65] C’est sur les motifs des juges Kasirer et Bélanger que s’appuie ici la thèse des appelants.
[66] Il faut rappeler brièvement quel était l’enjeu de l’arrêt St-Germain. Un patient asymptomatique, M. Émond, subit en novembre 2005 une radiographie des poumons qui laisse voir une opacité (un nodule) d’étiologie incertaine. Le radiologue recommande une deuxième radiographie, ce qui est fait en janvier. Le radiologue constate de nouveau la présence de ce nodule et suggère qu’une troisième radiographie soit prise dans quelques mois. Cela n’est pas fait, par erreur. Au mois de décembre 2006, une troisième radiographie révèle que le nodule a augmenté en volume. Une série de tests permet de conclure au mois de janvier suivant que le patient est atteint d’un cancer de stade IV incurable. Il décédera 17 mois plus tard, ou 31 mois après la radiographie initiale. Face à ces faits, la juge de première instance avait conclu à la négligence des défendeurs, ce qu’ils ne contestaient plus en appel, mais elle avait estimé que les demandeurs n’avaient pas prouvé de lien causal entre cette faute et le préjudice infligé au patient.
[67] Je précise que la preuve permettait par ailleurs de conclure que le patient était dans la quarantaine et en excellente santé en 2005, que la probabilité était forte (de l’ordre de 78 %) qu’il était atteint d’un cancer de stade I lors du premier examen radiographique de novembre 2005, et que la probabilité était également forte (de l’ordre de 70 %) qu’un traitement administré au stade I de son cancer aurait mené à une guérison ou à tout le moins à une rémission durable.
[68] La principale difficulté dans ce dossier concernait la causalité car la faute, contestée mais constatée en première instance, n’était plus en litige en appel. Se posait alors le problème des conséquences à titrer de certaines présomptions de fait et, en particulier, de la preuve décrite au paragraphe précédent. En traitant de ce problème, le juge Kasirer revient assez longuement sur les arrêts Snell c. Farrell[26] et St-Jean c. Mercier[27]. Je rappelle que, dans ce dernier arrêt, le juge Gonthier, rédigeant pour une cour unanime, écrivait ceci[28] :
111 […]
Selon Royer, pour éviter la confusion terminologique en matière de fardeau de
preuve, les auteurs et la jurisprudence ont préféré utiliser une
« inférence défavorable » contre le défendeur plutôt qu'un
renversement du fardeau de la preuve. Un des exemples cités est Snell c.
Farrell,
112 Le C.c.Q. lui-même évoque une telle inférence ou renversement du fardeau de preuve à l'art. 2847 lorsqu'il précise qu'une présomption simple peut être repoussée par une preuve contraire. Jutras, loc. cit., note 24, fait une analyse exacte des conséquences du renversement de la charge de preuve pour le défendeur : « Le défendeur peut la renverser en montrant que la survenance du préjudice est tout aussi compatible avec l'absence de faute qu'avec l'existence d'une faute. » Néanmoins, le fardeau ultime de la preuve continue d'incomber au demandeur.
[69] Puis, le juge Kasirer donne raison aux appelants lorsqu’ils affirment qu’une « inférence défavorable » découlait ici des chiffres présentés par leurs experts (je ne citerai ici que les composantes fondamentales du raisonnement, sans revenir sur les nuances avec lesquelles le juge Kasirer relate la preuve et ses interprétations possibles) :
[174] In order for an adverse inference to be drawn, the Court in Snell explained that the plaintiff must generally show more than the mere fact that the defendant has negligently created causal uncertainty. In the quotation cited above, Sopinka J. wrote of the requirement of “very little affirmative evidence” in this connection. In our case, this affirmative evidence was the statistical proof adduced by the appellants. They presented evidence, accepted by the respondents’ experts, indicating that there was a 78% chance that the disease was at stage I because Mr. Émond’s cancer was discovered fortuitously. They produced further statistical evidence suggesting that if the cancer was indeed at stage I, the rate of cure by surgery would have been 70% and that if it had been at stage II, the rate of cure would have been 55%.
[…]
[177] [Apellants] contend that the respondents then had to answer that prima facie statistical evidence with what Sopinka J. called in Snell as “evidence to the contrary”. Specifically, they had to show that Mr. Émond was among the 22% of persons for whom a fortuitous discovery of cancer would have been at a later, inoperable stage.
[…]
[217] The respondents failed,
however, to rebut the unfavourable inference that fell to them at law when the
appellants showed, statistically, that it was probable that Mr. Émond was at
stage I in November 2005. They might have done so by bringing direct evidence
to the contrary: they did not. They might have done so by raising competing
statistical proof that showed that Mr. Émond was among the 22% of patients for
whom a fortuitously discovered lung cancer is at a late stage: they did not.
They might have done so by presumption of fact, by showing that Mr. Émond was
at stage III or IV by inference from other known facts: they did not. It bears
recalling, in this latter respect, that the judge did not find that the
evidence adduced by the respondents gave rise to a presumption of fact,
pursuant to article
[…]
[221] To conclude, the appellants have succeeded in showing that the judge erred in law in failing to apply the rule relating to the “unfavourable inference” of causation against the respondents. They have succeeded in showing that this error was an overriding one in respect of her conclusion that they had failed to prove causation on the balance of probabilities.
[70] Cet arrêt, on l’a vu plus haut, fait désormais l’objet d’un pourvoi au fond en Cour suprême du Canada.
[72] L’argument mérite qu’on s’y arrête mais, à la réflexion, il ne tient pas, et ce pour plusieurs raisons. Une différence fondamentale entre l’arrêt St-Germain et l’affaire en cours est que, dans ce premier cas, la faute avait été constatée en première instance et qu’elle était admise en appel. La juge, ici, a conclu à l’absence de faute, faute qui n’a d’ailleurs jamais été admise ni en première instance ni en appel par les intimés. Ceux-ci ont raison lorsqu’ils rappellent qu’en matière de responsabilité médicale, c’est à la partie demanderesse qu’il incombe de prouver par prépondérance de preuve la faute de la partie défenderesse. Et il est difficile de concevoir une situation où il serait possible d’induire une conclusion de faute à partir de la seule démonstration d’une forme de causalité. En effet, une « inférence défavorable » de causalité ne peut avoir de sens aussi longtemps que n’est pas établi avec une spécificité suffisante ce par quoi la partie défenderesse a pu causer ce qu’on lui reproche d’avoir causé, le préjudice. Aussi ressort-il avec netteté de l’arrêt St-Germain que l’inférence défavorable à tirer jusqu’à sa réfutation par la partie défenderesse se rattachait nécessairement au défaut d’avoir suivi la recommandation du radiologiste traitant, où si l’on préfère à l’absence de tout suivi médical pendant la période postérieure à l’identification du risque d’une étiologie cancéreuse. Cette faute, je le répète, était admise devant la Cour d’appel.
[74] Telle que formulée, l’hypothèse d’une « erreur de droit commise en scindant l’analyse de la faute et celle de la causalité » tombe, et elle doit donc être écartée.
(4) Plusieurs erreurs dans l’appréciation de la preuve
[76] Quelles que soient les questions de fait soulevées en appel, la norme d’intervention qui leur est applicable et qui fut constamment réitérée dans la jurisprudence[29] est celle de l’erreur « manifeste et dominante » ou « manifeste et déterminante » (en anglais, « palpable and overriding »). Cette norme contraignante a pour assise un principe fermement ancré en droit judiciaire, celui selon lequel il n’appartient pas à une cour d’appel de refaire les procès[30]. Le passage ci-dessous, tiré d’un arrêt de la Cour maintes fois cité et suivi, explicite la raison d’être de ce principe[31] :
Dans le domaine des faits, les rôles respectifs d’une juridiction de première instance et d’une juridiction d’appel sont dictés en grande partie par des considérations institutionnelles. Un juge de première instance, tout le monde le sait, a l’avantage de scruter la preuve documentaire ou matérielle, de voir et d’entendre les témoins, et d’assister au déroulement linéaire de la preuve, au rythme auquel les parties l’administrent. Un juge d’appel a l’avantage d’être saisi longtemps avant l’audience d’un dossier qui, en principe, contient déjà toute la preuve, ou du moins tout ce qui est pertinent au pourvoi. Il peut donc d’emblée demander aux avocats des éclaircissements sur le contenu du dossier et, comme il travaille avec les transcriptions des témoignages (ce qui est rarement le cas en première instance), il peut faire des recoupements pour confronter les informations contradictoires ou divergentes que contiennent presque tous les dossiers litigieux. Mais il ne voit ni n’entend les témoins et, surtout, les contraintes de temps que lui impose sa fonction ne lui permettent pas de refaire ce que l’on attend d’un juge de première instance, c’est-à-dire un examen minutieux de la preuve au rythme auquel elle fut présentée par les parties au procès. Hors les cas qui ne laissent pas de place au doute, il est donc mal placé pour réévaluer la crédibilité des témoins. Il lui faut par ailleurs compter sur l’assistance des avocats pour repérer et évaluer les prétendues erreurs de fait sur lesquelles se fonde une partie. D’où il suit qu’affirmer sans plus de précision qu’une conclusion de fait « est contraire à l’ensemble de la preuve » n’est d’aucune utilité en appel. Et prétendre qu’une chose est « manifeste » ne suffit pas à la rendre telle. À mon avis, c’est dans ce sens que doivent se comprendre les propos du juge Fish quand il écrivait ce qui suit dans l’arrêt H.L. c. Canada (Procureur général) :
… en plus de sa résonance, l'expression « erreur manifeste et dominante » contribue à faire ressortir la nécessité de pouvoir « montrer du doigt » la faille ou l'erreur fondamentale. Pour reprendre les termes employés par le juge Vancise, [TRADUCTION] « [l]a cour d'appel doit être certaine que le juge de première instance a commis une erreur et elle doit être en mesure de déterminer avec certitude l'erreur fatale » (Tanel, p. 223, motifs dissidents, mais pas sur ce point).
« Montrer du doigt » signifie autre chose qu’inviter la Cour à porter un regard panoramique sur l’ensemble de la preuve : il s’agit de diriger son attention vers un point déterminé où un élément de preuve univoque fait tout simplement obstacle à la conclusion de fait attaquée. Si cette conclusion de fait, dont on a ainsi démontré qu’elle était manifestement fausse, compromet suffisamment le dispositif du jugement, l’erreur sera qualifiée de déterminante et justifiera la réformation du jugement.
Il doit donc s’agir d’une erreur identifiable avec une grande économie de moyens, sans que la chose ne provoque un long débat de sémantique, et sans qu’il soit nécessaire de revoir des pans entiers d’une preuve documentaire ou testimoniale qui est partagée et contradictoire, comme c’est très généralement le cas dans les dossiers litigieux de quelque difficulté qui se rendent à procès.
[77] Bien que les idées qui précèdent soient dénuées de complexité, et qu’elles soient même limpides à plusieurs égards, on peut se demander si elles sont bien comprises par tous les membres du Barreau. En effet, il demeure trop fréquent en appel que les juges saisis d’un pourvoi soient invités par une partie à réexaminer dans le menu détail la majeure partie de la preuve versée au dossier afin d’y déceler une prétendue erreur « manifeste et dominante ». Étayée de cette façon, la prétention apparaît instantanément suspecte, car elle contrevient à la règle de conduite que j’énonçais dans les dernières lignes du précédent paragraphe. C’est sans doute ce qui explique que les cours d’appel aient encore fréquemment recours à des métaphores robustes pour rappeler en quoi consiste cette norme d’intervention. Ainsi, récemment dans ses motifs de l’arrêt Canada v. South Yukon Forest Corporation[32], le juge Stratas de la Cour d’appel fédérale écrivait ce qui suit (je le citerai en anglais, car il est clair que le jugement fut rédigé dans cette langue, et j’en soulignerai certains passages) :
[41] In this Court, the Crown attempted to challenge a number of findings of fact on the basis of palpable and overriding error.
[42] The parties devoted a considerable portion of their argument to the issue of whether the Federal Court's judgment must be set aside because it rested upon faulty findings of fact.
[43] The parties agreed that in order to succeed on this, the Crown must show the presence of palpable and overriding error. However, during oral argument, it became evident that the parties had a fundamentally different understanding of the meaning of palpable and overriding error, particularly in a long and complex case such as this. For this reason, I consider that some broader observations on this issue are warranted.
[44] In defining palpable and overriding error, South Yukon and Liard Plywood relied heavily upon the guidance given by the Court of Appeal for Ontario concerning palpable and overriding error in Waxman v. Waxman (2004), 186 O.A.C. 201 at paragraphs 278-84. They forcefully submitted that palpable and overriding error is a highly deferential standard of review and that the Federal Court judge's factual findings in this case cannot be disturbed.
[45] On this, I agree with the respondents.
[46] Palpable and
overriding error is a highly deferential standard of review: H.L. v. Canada
(Attorney General),
[47] In applying the concept of palpable and overriding error, it is useful to keep front of mind the reasons why it is an appropriate standard in a complex case such as this.
[48] In this case, there were 40 days of trial stretched out over 6 months, with 19 witnesses and over 1,000 documents, many of which were intricate and technical. In clear and thorough reasons showing considerable synthesis and assessment of the complex evidence before her, the Federal Court judge made key findings of fact. Some of these were founded upon her assessment, clearly expressed, of the credibility of the witnesses before her. Her credibility findings concerning most of the Department's officials who testified are quite negative.
[49] Immersed from day-to-day and week-to-week in a long and complex trial such as this, trial judges occupy a privileged and unique position. Armed with the tools of logic and reason, they study and observe all of the witnesses and the exhibits. Over time, factual assessments develop, evolve, and ultimately solidify into a factual narrative, full of complex interconnections, nuances and flavour.
[…]
[52] In this Court, the Crown submitted that a number of the Federal Court's findings of fact should be set aside on the basis of palpable and overriding error.
[53] In my view, the Crown failed to establish palpable and overriding error as it has been articulated above. The Federal Court judge had a basis in the record for her key factual findings. The Crown views the basis for some of them expressed in the reasons as being rather thin. In some regards that may be so but, as I have explained, thinness alone is not palpable and overriding error.
[54] Therefore, in this appeal, I shall proceed on the basis that every one of the Federal Court's findings of fact must stand.
Comme le dit éloquemment le juge Stratas, l’erreur doit être évidente et, une fois identifiée, c’est l’arbre entier qui doit tomber en raison de cette erreur. En d’autres termes, une erreur manifeste et dominante tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil. Et il est impossible de confondre ces deux dernières notions.
[78] Un exemple récent, et fort utile à des fins didactiques, de ce que peut être une erreur manifeste et dominante, nous est fourni par l’arrêt Vidéotron, s.e.n.c. c. Bell ExpressVu, l.p.[33], au paragraphe 45 des motifs de la Cour. En l’espèce, l’erreur survint au cours d’un procès de 57 jours et du délibéré qui suivit. Explicable en raison de la complexité de la preuve versée au dossier et d’un élément d’information susceptible d’induire le juge en erreur, mais évidente malgré tout, cette erreur avait amené ce dernier à ne tenir aucun compte, parce que « non prouvées », des 37 675 pages de données techniques et de documentation chiffrée sur lesquelles s’étaient appuyés les experts juricomptables des demanderesses. Or, le contenu de ces données et de ces documents était admis par la partie défenderesse. Voilà une erreur de fait manifeste. Elle était aussi dominante ou déterminante puisque, à cause d’elle, la Cour d’appel substituerait, à des condamnations totalisant (intérêts et indemnité additionnelle non compris) un peu plus d’un million de dollars, des condamnations totalisant (intérêts et indemnité additionnelle non compris) près de 85 000 000 $. Je ne prétends pas que seule une erreur étroitement assimilable à celle-là peut présenter les caractéristiques d’une erreur révisable en appel. En revanche, il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’un long ressassage vétilleux de la preuve n’est absolument pas ce qu’attend une cour d’appel d’une partie qui se présente devant elle pour plaider de prétendues erreurs de fait. L’arrêt Vidéotron donne une bonne idée de la gravité et de l’évidence de l’erreur à corriger, quelle que soit, par ailleurs, l’envergure pécuniaire de l’enjeu entre les parties.
[79] En outre, comme je le mentionnais plus haut, la preuve dans les dossiers qui engendrent des procès de longue durée est souvent très contradictoire. Ce fut assurément le cas ici, les experts cités de part et d’autre s’étant entendus sur fort peu de choses et s’étant contredits sur beaucoup d’autres. Lorsqu’une telle situation se présente, le rôle de la Cour d’appel n’est pas de recommencer en entier, et comme s’il lui revenait de prendre la place du juge qui présidait le procès, l’exercice d’appréciation de la force probante respective des dépositions, exercice ardu auquel doit s’astreindre le juge de première instance. Précisant le rôle d’une cour d’appel, le juge Stratas écrivait à ce sujet, dans South Yukon Forest Corporation : « The Federal Court judge had a basis in the record for her key factual findings ». Il en va nécessairement de même ici, où la Cour doit se demander, et se borner à se demander, si les déterminations de fait de la juge de première instance trouvent un appui dans la preuve.
[80] Ces précisions étant apportées, il convient de dégager du dossier les prétentions des appelants quant aux erreurs qu’aurait commises la juge en tranchant des questions de fait. J’ai déjà signalé au paragraphe [27] qu’en abordant son analyse des questions relatives à la responsabilité de la Dre Nadeau, analyse à laquelle elle consacre 417 paragraphes dans ses motifs, la juge de première instance mentionne que les appelants « font flèche de tout bois ». Ce constat n’a rien d’une exagération. À cette difficulté s’ajoute le fait que plusieurs des reproches qu’ils formulent en appel apparaissent et réapparaissent en plusieurs endroits dans leur mémoire mais sous des rubriques différentes. L’essentiel de leur thèse, pour ce qui concerne la Dre Nadeau, consiste néanmoins en ceci, énoncé aux paragraphes [28] et [84] de leur mémoire :
[28] Dre Nadeau, sans esprit de direction (c'est successivement la Dre Langis, la Dre Pesant et le Dr Lannes qui lui disent quoi faire), paralysée (elle n'a pas de Surfactant) et techniquement incompétente, puis incapable d'intuber par voie nasotrachéale, incapable d'obtenir un gaz artériel, incapable d'obtenir un gaz veineux, un échec d'une grande rareté de son propre aveu, qui ne fait pas de prélèvement par cathéter veineux ombilical, incapable de lire le film radiologique correctement, a placé X dans une situation d'urgence où, en définitive, ce sont d’autres qui agissent : le Dr Lannes qui parvient à intuber par voie orotrachéale, facilement faut-il le rappeler, et la Dre Pesant (prise de tension artérielle, interprétation correcte du film pulmonaire et administration immédiate et salutaire de Bles (c.-à-d. Surfactant), lorsqu'elle vient du CHUS quérir l'enfant à 4 h du matin).
[…]
[84] L’utilisation du Propofol, dont l’incapacité de la Dre Nadeau d’intuber est la cause originelle et ses effets sur X, selon la balance des probabilités, commandait que le Tribunal pose un regard judiciaire aigu sur l’absence de sens d’anticipation de la Dre Nadeau. Eût-elle transféré X que les problèmes liés à l’utilisation du Propofol n’auraient pu survenir, comme si elle eût installé des lunettes nasales plutôt que d’aller dans l’oropharynx, l’arrière-gorge, les amygdales. Eût-elle été autre chose qu’inapte à intuber (au moins six échecs) ou encore eût-elle prévu un plan « B » avant toute tentative d’intubation/CPAP que les désaturations de 3 h 02 à 3 h 08 et les quatre arrêts respiratoires (1 h36, 1 h 44, 1 h 51 et 1 h 59) ne seraient pas survenus.
Là-dessus, l’exposé fouillé que les intimés ont présenté dans leur mémoire et dans leur compendium se révèle utile pour dégager chacune des nombreuses propositions à considérer. Il y en a quinze et pour chacune d’entre elles c’est aux appelants qu’il incombait de faire une preuve prépondérante. Dans les pages qui suivent, je les réunirai sous cinq rubriques afin de mieux structurer le débat.
[81] La juge de première instance a elle aussi subdivisé son analyse en plusieurs parties, dont chacune respecte le même ordre de présentation, ce qui facilite l’examen de ses motifs. Encore une fois, il s’agit ici de savoir si l’analyse qu’elle a effectuée de chaque prétention des appelants était étayée par la preuve faite au procès. Pour une meilleure intelligence des développements qui suivent, il convient d’abord de rappeler la présentation que la juge fait dans ses motifs des médecins entendus comme experts au procès :
Ø En demande
· Dr Jean-Claude Décarie, spécialiste en neuroradiologie pédiatrique, Hôpital Sainte-Justine, Montréal;
· Dr Jeffrey Karsdon, spécialiste en néonatologie et périnatologie, The New York Downtown Hospital, New York;
· Dr Jaques Belik, spécialiste en néonatologie, The Hospital for Sick Children, Toronto;
· Dr Orlando Carter Snead III, spécialiste en neuropédiatrie, The Hospital for Sick Children, Toronto;
· Dr Derek Armstrong, spécialiste en neuroradiologie pédiatrique, The Hospital for Sick Children, Toronto.
Ø En défense
· Dr Gilles Fortin, spécialiste en neurologie pédiatrique qui, de 1987 jusqu’à sa retraite en 2009, a œuvré à l’Hôpital Sainte-Justine, Montréal;
· Dr Bruno Piedboeuf, spécialiste en néonatologie, CHUL, Sainte-Foy;
· Dr Christian Lachance, spécialiste en néonatologie, Hôpital Sainte-Justine, Montréal;
· Dre Josée Lavoie, spécialiste en anesthésie pédiatrique, Hôpital de Montréal pour enfants, Montréal.
[82] J’examinerai maintenant sous chacun de ses aspects le traitement administré à X entre sa naissance le 29 avril 2001 et l’arrivée de l’équipe de transfert vers 4 h dans la nuit du 30 avril. Les appelants ont développé leur argumentation en ne négligeant aucun détail, de sorte qu’il est parfois difficile de saisir l’idée maîtresse sous-jacente à chacune de leurs prétentions. Compte tenu de cela, il me semble indiqué de diviser cette période de quelque huit heures en segments. D’ailleurs, à l’audience, allant à l’essentiel, l’avocat des appelants a particulièrement mis l’accent sur la période de 1 h 36 à 2 h 10.
(a) La prise en charge de X
[83] Sur ce point, la juge formule sa conclusion au paragraphe [269] de ses motifs : la « décision [de la Dre Nadeau] de prendre charge de X et la consultation initiale qu'elle a effectuée correspond en tous points à la conduite qu’aurait eue un pédiatre prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances ».
[84] Les appelants prétendent au contraire que la décision de transférer X au CUSE s’imposait d’emblée en raison du tableau symptomatique qu’elle présentait en tant que prématurée de 33 semaines et en raison de l’absence de surfactant à l’Hôpital Ste-Croix. Le Dr Karsdon a témoigné que, placé dans les mêmes conditions, il aurait demandé sans tarder le transfert vers un centre tertiaire. Le Dr Belik a soutenu que tout centre hospitalier qui garde et traite des prématurés devrait conserver du surfactant en pharmacie (tout en reconnaissant par ailleurs que la condition de X ne requérait pas l’administration de ce médicament à son arrivée à l’unité de pédiatrie). Pour les appelants, l’omission d’entreprendre immédiatement un transfert était donc fautive : « le transfert de X vers un centre tertiaire aurait dû être demandé dans les minutes qui ont suivi sa naissance »[34].
[85] Sur le premier point, le Dr Belik, expert de la demande, a témoigné comme suit en contre-interrogatoire :
Q. |
You state that you agree that it was appropriate to continue to provide care for a premature infant such as X at Hôpital Ste-Croix after birth?
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A. |
Yes.
|
Q. |
For thirty-three and three-sevenths (33 3/7), of a weight of two thousand two hundred grams (2200 g.)?
|
A. |
Yes.
|
Q. |
So the fact that it's thirty-four (34), if it's three (3) days less but we have a good weight, it's, it's... |
A. |
Hum, hum..
|
Q. |
... it's not clear-cut at one precise day...
|
A. |
Hum, hum.
|
Q. |
... because of the weight of the baby...
|
A. |
Hum, hum.
|
Q. |
... it was good, correct?
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A. |
Correct.
|
[86] La Dre Langis, interrogée après défense par l’avocate des appelants, déclare ce qui suit sur le même point :
Q. |
… est-ce qu'avec Sainte-Croix quand un bébé naît en bas de tant de semaines, il y a un transfert automatique?
|
R. |
Je pense qu'entre trente-deux (32) et moins, c'est automatique là, en fait, on espère toujours qu'ils vont transférer la maman avant qu'elle accouche là mais c'est sûr qu'à trente-deux (32) semaines, on va immédiatement chercher le bébé. Quand on s'approche de trente-quatre (34) semaines, je pense qu'on y va souvent au cas par cas en discutant avec le médecin à l'autre bout du téléphone pour voir d'abord comment est la condition de l'enfant, comment, comment le médecin se sent à l'aise aussi avec une situation comme celle-là, tout en précisant. évidemment, les attentes qu'on a en terme de soins, que ce soit soins nursing, soins médicaux pour un enfant de cet âge-là dans cette condition-là.
|
Sur ce dernier point, l’expérience du praticien responsable du cas (« …comment le médecin se sent à l’aise aussi avec une situation comme celle-là… »), le témoignage de la Dre Langis recoupe un autre passage du témoignage du Dr Belik.
[87] Entre autres compétences, le Dr Piedboeuf a présidé une table sectorielle constituée de représentants des quatre milieux directement intéressés par les soins aux nouveau-nés et aux prématurés, le milieu universitaire, les agences de santé, les spécialités médicales (obstétrique, néonatalogie, etc.) et le ministère de la Santé. Il témoigne comme suit :
Q. |
Alors, pourriez-vous commenter cette prise en charge par la docteure Nadeau lorsqu'elle se rend à l'Hôpital Sainte-Croix, prendre connaissance de la condition de l'enfant, prendre connaissance du dossier pour écrire par la suite sa note de consultation?
|
R. |
Madame la juge, je serais de l'avis de l'expert des demandeurs, docteur Belik, que la prise en charge initiale de X a été exemplaire. Si on détaille un peu la note, on voit qu'il s'agit d'un accouchement précipité. Et dans un monde idéal, la maman aurait été transférée à Sherbrooke, mais c'était tout à fait impossible, trente (30) minutes, donc ce qui a été fait devait être fait, c'est-à-dire qu'on ne transfère par une mère en ambulance si elle est à risque d'accoucher de façon imminente et on l'accouche à ce moment-là dans l'hôpital de niveau 2.
[…]
|
Q. |
Qu'est-ce que vous pensez du plan, là, devant cette enfant X après son évaluation, quelle est votre évaluation de la conduite de docteure Nadeau qui est reflétée dans le plan qu'elle a écrit à vingt heures trente (20 h 30)?
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R. |
C'est une conduite prudente puis je n'aurais pas fait différemment de ça. Donc, elle a fait des prélèvements pour éliminer l'infection, elle a débuté des antibiotiques en attendant le résultat de ses examens, elle a mis un soluté parce que le bébé ayant une détresse respiratoire légère, elle ne voudrait pas l'alimenter tout de suite, puis elle l'a monitoré de façon adéquate pour pouvoir le suivre.
[…]
|
Q. |
Est-ce que ce type de monitoring correspond à ce qui pourrait être fait dans un milieu tertiaire?
|
R. |
C'est ce qui est fait partout, ce qui est fait dans le milieu tertiaire.
|
[88] La déposition du Dr Lachance va dans le même sens. Appelé à commenter un passage de son expertise écrite, il s’exprime en ces termes :
Q. |
«On devait se permettre une période d'observation» de quel ordre de grandeur, de temps avez-vous en tête?
|
R. |
La maladie de membranes hyalines chez le bébé pas très prématuré, donc comme on avait lieu ici, c'est quelque chose qui évolue progressivement sur une période de quarante-huit (48) heures. En fait, on a des patients, nous, qui sont intubés seulement au bout de vingt-quatre, trente-six (24-36) heures d'évolution. Donc, pour moi, un délai de trois, quatre, cinq (3-4-5) heures était tout à fait adéquat d'observation initiale. Évidemment, c'est fonction de la condition de l'enfant puis c'est fonction de l'évaluation qui en est faite. Et la description du tableau qui m'est faite ici était très rassurante dans la mesure où le bébé n'avait pas besoin d'oxygène au départ ou très peu.
[…] |
Q. |
Que pensez-vous du fait que docteure Nadeau est restée au chevet de cette enfant-là après cette consultation initiale?
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R.
|
Je suis content qu'on me permette de le dire, parce que je pense que c'est exceptionnel, j'ai revu des tonnes de dossiers dans mes activités d'évaluation de qualité de l'acte et pour moi, c'est vraiment particulier, en fait, cette présence-là du docteur Nadeau au chevet du patient pendant, entre vingt heures (20 h) et quatre heures (4 h) du matin. Et même en milieu tertiaire, cette qualité de surveillance médicale là, je ne pense pas qu'on serait capables de l'assurer. C'était une présence très très... très très importante.
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[89] En ce qui concerne le second point, l’absence de surfactant à l’Hôpital Ste-Croix, la preuve révèle aussi ce qui suit. Selon la Dre Langis, « à cette époque-là [en 2001], les hôpitaux « référants » n’avaient pas en leur possession le surfactant. Depuis, si ma mémoire est bonne, la Société canadienne de pédiatrie a encouragé les centres de niveau secondaire à avoir du surfactant sur place… ».
[90] Sur le même sujet, le Dr Piedboeuf s’exprime ainsi :
Q. |
Et par rapport à la détresse respiratoire, quelle devait être la conduite d'un médecin raisonnablement prudent et compétent en face d'un cas comme celui de X à vingt heures trente (20 h 30), au moment où docteure Nadeau écrit sa conduite dans la consultation aux pages 42 et 41?
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R. |
La patience. La patience. Se retenir de trop intervenir. […] Il n'y a pas grand... il y a peu de choses à faire sinon de laisser l'enfant tranquille, de ne pas le déranger. C'est une enfant qui a une petite détresse respiratoire, on veut voir l'évolution. Il n'y a pas de traitements actuellement qui sont requis, qui vont changer l'évolution de la maladie. Clairement, chez un bébé de trente-trois (33) semaines qui a une détresse respiratoire légère, il serait à mon point de vue totalement contre-indiqué d'aller lui donner du surfactant immédiatement parce que c'est une... pour ce faire, il aurait fallu lui mettre un tube dans la trachée et c'est quelque chose qui aurait été très agressif pour un bébé de trente-trois (33) semaines et c'est clairement non recommandé par les société [sic] savantes de faire... de traiter de façon anticipée un bébé prématuré de trente-trois (33) semaines avec du surfactant. Et il faut attendre, pour ces trente-trois (33) semaines, que la détresse respiratoire soit installée et qu'il y ait des indications d'intuber le bébé pour donner le surfactant.
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Plus loin dans son témoignage, amené à répondre au rapport du Dr Karsdon sur la disponibilité du surfactant dans une unité qui reçoit et traite certains prématurés, il ajoutera :
R. |
Madame la juge, j'ai deux (2) éléments à ma réponse. La première, c'est qu'il n'y a pas de relation entre la détresse respiratoire et la leucomalacie ou pas de relation directe, je ne pense pas. Je suis convaincu que ce n'est pas la détresse respiratoire de X qui est la cause de la leucomalacie. C'est deux (2) phénomènes séparés. Donc, on peut discuter par intérêt du traitement de la membrane hyaline, mais de rentrer dans les détails, je ne suis pas sûr que c'est vraiment pertinent. Par ailleurs, X n'avait pas besoin d'un traitement rapide de surfactant, il n'était pas indiqué de donner à X du surfactant dans les premières heures de vie. C'est une pratique qui est limitée aux prématurés extrêmes. Les prématurés de trente-trois (33) semaines, on est plus à leur donner du surfactant s'ils rencontrent des critères pour être intubés, mais on n'ira pas intuber le bébé pour lui donner du surfactant, ce qu'on fait chez des grands prématurés. Et donc, il n'y avait pas de nécessité d'avoir du surfactant. L'autre chose aussi et mon troisième point, c'est, contrairement à ce que docteur Karsdon prétend, je prétends que la maladie de membrane hyaline chez un prématuré de trente-trois semaines et demie (33 1/2) est un phénomène rare qui touche une minorité d'enfants, trente pour cent (30 %), vingt (20) à trente pour cent (30 %) que j'avais mentionné, et c'est une minorité de ces enfants-là qui auront besoin d'être intubés et ce n'est que les bébés intubés chez qui on va donner du surfactant. Donc, on se retrouverait peut-être à un dix pour cent (10 %) des enfants de trente-trois (33) semaines qui ont besoin de surfactant. C'est loin d'être la majorité.
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Le Dr Lachance dépose dans le même sens lorsqu’il fournit la réponse suivante à une question posée en interrogatoire principal :
A. |
On a souligné l'absence de surfactant à la pharmacie de l'Hôpital Sainte-Croix, est-ce qu'il était prudent de prendre en charge X en l'absence de surfactant à l'Hôpital Sainte-Croix?
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R. |
C'eût été imprudent de prendre un bébé de vingt-cinq (25) semaines en charge en absence de surfactant parce que ce bébé très prématuré aurait absolument eu besoin de surfactant, l'utilisation du surfactant à trente-trois et trois septième semaines est beaucoup moins claire et je pense que les experts même entre eux ne s'entendent pas à savoir si X avait vraiment besoin de surfactant. Donc, dans le cas qui nous intéresse, je ne pense pas que c'est une question importante. La pratique courante actuellement, si on veut référer à mon expérience, c'est que très peu de centres ont du surfactant. Les centres qui ont du surfactant sont des centres très éloignés, comme Rouyn-Noranda où là vraiment c'est très long avant que les équipes arrivent. Les autres centres comptent habituellement sur l'équipe de transport qui vient chercher le bébé, qui arrive avec le surfactant comme ça s'est passé ici. Donc, encore en deux mille douze (2012), ça se passe comme ça s'est passé dans le cas de X.
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[91] En somme, sous ce premier chef, la preuve en défense était abondante et plus que suffisante pour conclure soit à la réfutation complète des prétentions des appelants, soit à l’absence d’une preuve prépondérante en faveur des mêmes prétentions. On ne peut soutenir que, sur ces questions, le jugement est entaché d’une ou de plusieurs erreurs manifestes et déterminantes.
(b) Les examens et les traitements entre 20 h 30 et 1 h 36
[92] Les appelants reprochent à la juge de ne pas avoir qualifié de fautes certains gestes ou certaines omissions de la Dre Nadeau postérieurs à 20 h 30. Ainsi, la Dre Nadeau se serait montrée incapable de porter le bon diagnostic, soit celui d’une MMH qui commence à se manifester chez X. Elle aurait mal interprété une radiographie pulmonaire qui aurait dû la mettre sur la bonne voie et elle aurait omis à tort de faire un prélèvement sanguin par cathéter veineux ombilical.
[93] En réalité, chacune de ces propositions a fait l’objet de commentaires spécifiques par les experts entendus en défense. Je me contenterai ici d’en résumer la teneur sans citer les dépositions car, au stade de l’audition du pourvoi, ce n’est pas sur ces aspects du dossier que les avocats des appelants ont insisté. Néanmoins, ils méritent qu’on s’y arrête brièvement.
[94] Selon le premier reproche, la preuve aurait démontré que la Dre Nadeau a tardé à diagnostiquer une MMH, ayant confondu les symptômes précoces de cette maladie avec ceux d’une tachypnée transitoire du nouveau-né, ou TTNN.
[95] Au procès, les experts ont été entendus sur cette question. Le Dr Belik, en demande, a témoigné que si le travail au moment de l’accouchement dure moins de six à huit heures (et en l’occurrence, l’accouchement a duré moins de deux heures), l’enfant naît avec un fluide dans les poumons, ce qui justifie qu’on redoute une TTNN. Ce premier diagnostic, selon le témoin, était tout à fait approprié.
[96] Le Dr Piedboeuf, quant à lui, a notamment déclaré qu’à 2 ½ heures de vie, il n’y a pas d’indice d’une MMH sur la radiographie. Plus on attend pour la radiographie, plus elle livre des éléments d’information utiles. Il faut plusieurs heures pour établir un diagnostic de détresse respiratoire. En l’occurrence, la radiographie prise à 21 h 50 et dont le résultat fut connu à 23 h 30 donnait peu d’indices d’une MMH et permettait de penser que la TTNN demeurait une possibilité importante. C’est lors de la conversation avec les Dres Pesant et Langis que la possibilité d’une MMH devient une probabilité et que le transfèrement sera décidé. L’analyse de la composition sanguine, mise en rapport avec la saturation, démontre que la détresse respiratoire de X n’était pas si sévère, même si elle progressait. La décision de procéder au transfert a été prise au moment indiqué, quand l’évolution de X montrait qu’elle développait une MMH et non une TTNN. S’il avait été à la place de la Dre Langis, il aurait lui aussi accepté le transfert.
[97] Pour le Dr Lachance, le diagnostic va se préciser en fonction de l’évolution du tableau clinique. Les risques d’une immaturité pulmonaire chez un prématuré de 33 2/7 ou 33 3/7 sont vraiment très faibles. La MMH dans ce cas évolue sur 48 heures et certains patients ne sont intubés qu’au bout de 24 à 36 heures. Un délai d’observation initial de 3 à 5 heures était tout à fait adéquat.
[98] Un second reproche a trait à la preuve relative à l’interprétation par la Dre Nadeau d’une radiographie effectuée à 22 h 15 et dont le résultat parvient à la Dre Nadeau à 22 h 30. Le Dr Piedboeuf exprime un doute sur la présence d’un radiologiste à l’hôpital Ste-Croix au moment où il fallait interpréter ce résultat mais il ajoute que, de toute manière, un pédiatre est tout aussi en mesure d’interpréter une radiographie pulmonaire d’un nouveau-né qu’un radiologiste. Le Dr Lachance, invité à commenter la note que la Dre Nadeau inscrit au dossier (« Hile changé, liquide scissure, peu d’évidence de granité ») déclare : « Je suis totalement d’accord avec cette interprétation-là de la radiographie, pour l’avoir vue moi-même ».
[99] Un troisième reproche est celui d’avoir échoué dans une tentative d’effectuer un prélèvement artériel ou veineux et d’avoir omis de faire un prélèvement par cathéter veineux ombilical. La Dre Nadeau a témoigné au procès de la difficulté d’effectuer sur X un prélèvement artériel ou veineux, ce que l’infirmière qui l’assistait n’était pas parvenue à faire. Quant au prélèvement au talon, il y avait lieu de l’interpréter à la lumière de l’état clinique de l’enfant. Le Dr Piedboeuf et le Dr Lachance ont tous deux confirmé la Dre Nadeau sur ce point. Et ils ont tous deux témoigné que le cathéter ombilical est une technique contre-indiquée dans les circonstances telles que celles des 29 et 30 avril 2001; bien que simple en soi, cette technique comporte trop de risques de complications. Pour le Dr Lachance, elle sert principalement à des fins thérapeutiques, par exemple pour une perfusion de soluté. Pour le Dr Piedboeuf, qui n’a jamais vu cette technique utilisée au Québec dans le seul but d’obtenir un gaz, elle n’aurait été appropriée qu’en présence d’un nouveau-né « super malade » de qui il n’existe aucun autre moyen d’obtenir un prélèvement. Enfin, même si l’on accepte la proposition du Dr Karsdon pour qui le cathéter ombilical permet d’obtenir une lecture « idéale » du gaz veineux, là n’est pas, au regard des règles de l’art, la norme de comportement à l’aune de laquelle la juge devait déterminer si la responsabilité professionnelle de la Dre Nadeau était enclenchée.
(c) L’évolution de la situation de 1 h 36 à 2 h 10
[100] Aux paragraphes [26] à [29] de ses motifs, la juge de première instance reproduit de longs extraits du dossier médical de X à l’Hôpital Ste-Croix. Ces extraits, qui s’étendent sur une dizaine de pages dans son jugement, sont tirés des notes de la Dre Nadeau, de celles du Dr Lannes, des infirmières et de l’inhalothérapeute au chevet de l’enfant, ainsi que des observations en oxygénothérapie et des résultats de prélèvements sanguins. Ils indiquent pour la plupart l’heure précise à laquelle surviennent les diverses interventions du personnel médical ou infirmier, ce qui comprend la période que les appelants considèrent critique. D’autres extraits du dossier médical figurent aussi dans le jugement entrepris, mais je me référerai pour l’instant, et sans les reproduire ici, aux documents cités aux paragraphes [26] à [29] du jugement. De concours avec la preuve testimoniale, ils permettent de mieux cerner ce qui s’est vraisemblablement produit entre 1 h 36 et 1 h 51 dans la nuit du 30 avril 2001.
[101] Deux séries de manœuvres seront effectuées, sans succès, au cours de cette période, qui survient après la décision de la Dre Nadeau de demander au CUSE l’envoi d’une équipe de transfert. La détresse respiratoire de l’enfant constatée en début de soirée va en augmentant et la Dre Nadeau consulte la Dre Langis à ce sujet. Aussi essaiera-t-elle en premier lieu, mais en vain, d’installer un dispositif CPAP[35] sur X. Elle tentera ensuite de l’intuber, mais sans y parvenir. À 2 h 10, la Dre Nadeau rejoindra le Dr Lannes chez lui et lui demandera d’intervenir. Les extraits pertinents des « notes d’évolution » que la Dre Nadeau et les infirmières inscrivirent au dossier médical pendant cette période sont reproduits, respectivement, aux pages sept et huit, puis dix et onze, du jugement de première instance.
[102] Se fondant sur le dossier médical et la preuve testimoniale, la juge de première instance résume comme suit la période qui précède immédiatement les tentatives de mise en place du CPAP :
[292] À minuit, comme elle souhaite administrer de l’oxygène à X à l’aide d’une cagoule, la Dre Nadeau demande à l’infirmière d’appeler l’inhalothérapeute. À 00 h 15, l’inhalothérapeute installe la cagoule à X. Dans les minutes qui suivent, ses besoins en oxygène diminuent aux environs de 25 % - 26 % alors que son taux de saturation se maintient à 94 % - 95 %.
[293] À 00 h 40, la Dre Nadeau note que le rythme respiratoire de X est pour la première fois supérieur à la normale.
[294] À 00 h 47 et 00 h 57, la Dre Nadeau reçoit les résultats des deux (2) prélèvements sanguins qui ont été effectués par voie capillaire à 00 h 40.
[295] Elle note alors que la valeur du PH a diminué, alors que celle de la PCO2 a augmenté. La Dre Nadeau explique que ces deux (2) constats constituaient des indices à l’effet que X « commençait à se fatiguer ». Là encore, les résultats ne correspondent toutefois pas avec la condition clinique de X dont les besoins en oxygène sont stables depuis qu’on lui a installé une cagoule.
[295] La Dre Nadeau explique ici que bien qu’elle soit compétente pour pratiquer une telle technique, elle n'a jamais envisagé d’installer un cathéter veineux ombilical, puisqu’il s'agit d’une technique à laquelle sont associés des risques importants d’infection, d’arythmie et de thrombose veineuse. Elle ne l’utilise donc qu’en situation d’urgence, pour des fins thérapeutiques ou pour effectuer une transfusion sanguine.
[296] Ceci étant, en raison de l’évolution de la condition clinique de X et des résultats des prélèvements capillaires, la Dre Nadeau est d’avis qu’une MMH est en voie de s’installer.
[297] À 1 h 00, elle décide donc d’appeler au CUSE aux fins que X soit transférée avant que sa condition ne s’aggrave.
[299] Elle discute d’abord avec la Dre Pesant de l’évolution de la condition clinique de X depuis sa naissance et des constats qu'elle a effectués.
[300] La Dre Langis la rappelle quelques minutes plus tard et lui suggère d’installer un CPAP nasal à X et de diminuer le débit de son soluté.
Cette description reflète fidèlement la preuve versée au dossier.
[103] On sait aussi que, peu avant 1 h le 30 avril, le diagnostic de MMH se précise. La Dre Langis, qui, je le répète, était décédée au moment du procès, a témoigné après défense dans les termes qui suivent lorsqu’on lui a demandé en quoi aurait consisté sa conversation téléphonique avec la Dre Nadeau :
Bien écoutez, il s'est probablement écoulé un quinze (15), vingt minutes (20 min) entre les deux (2) appels. Donc je lui aurais sûrement demandé comment était l'état actuel de l'enfant. J'aurais probablement essayé de précisé [sic] certaines petites choses là et puis, finalement, souvent ce qu'on fait c'est qu'on essaie de voir quelles sont les ressources disponibles dans le centre « référant » pour voir finalement aux besoins immédiats de l'enfant, en attendant que, nous, on puisse être sur place pour prendre la relève.
Donc ça se constitue finalement à stabiliser le bébé, en attendant notre arrivée, puis voir jusqu'où on peut aller aussi en terme d'intervention avec ce qui est disponible dans le milieu « référant ».
Alors c'est sûr que, t'sais, en lisant si on a tenté le CPAP nasal c'est parce que ça avait sûrement été discuté parce que ne sont pas tous les centres « référants » qui vont faire du CPAP nasal.
Alors quand c'est une technique qui est disponible, qui est connue, ça nous apparaît l'étape suivante là à la petite cagoule par laquelle l'enfant reçoit de l'oxygène pour lui permettre d'avoir un certain soutien respiratoire.
Et évidemment devant l'échec du CPAP, on sait très bien qu'on s'en va probablement vers une intubation qui est quand même une technique plus invasive, et on sait qu'avec le CPAP, on peut parfois prévenir l'intubation chez un petit bébé qui fait une maladie de membrane hyaline.
[104] Les Drs Karsdon et Belik, experts de la demande, se sont prononcés sur la mise en place d’un CPAP. Ils ont exprimé leur surprise devant les difficultés rencontrées par la Dre Nadeau qui, après plusieurs tentatives infructueuses, renoncera à installer le CPAP. Selon ces mêmes experts, cette procédure d’application simple ne devrait provoquer ni apnée ni bradycardie sur un nouveau-né prématuré. L’échec d’un CPAP, comme l’explique le Dr Karsdon dans sa déposition, est généralement suivi d’un PEEP (positive end-expiratory pressure), ou d’une intubation, point sur lequel son témoignage coïncide avec celui de la Dre Langis. Et de fait, c’est ainsi que se dérouleront les événements entre 1 h 36 et 3 h 8, lorsque le Dr Lannes parviendra à intuber X par voie orotrachéale.
[105] Il est un point essentiel, cependant, sur lequel les témoignages des experts en demande et en défense ont nettement divergé. Les Drs Karsdon et Belik fondaient leurs conclusions sur une prémisse précise, soit que le CPAP utilisé par la Dre Nadeau était le dispositif connu sous le nom de Infant Flow - d’où leur étonnement devant les difficultés rencontrées par la Dre Nadeau. En effet, ce dispositif a l’avantage d’être très peu invasif, et il ne provoque pas chez l’enfant le réflexe vagal observé par la Dre Nadeau sur X. Le renvoi ici à d’assez longs extraits de la preuve s’impose pour bien situer les choses.
[106] Témoignant au procès, la Dre Nadeau apporte les précisions suivantes en cours d’interrogatoire :
Q. |
Alors, pouvez-vous rapporter à la Cour ce qui survient lorsque l'on procède à l'installation du CPAP, mais peut-être en expliquant avant tout qu'est-ce qu'un CPAP?
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R. |
Oui, bien, en fait, je pense que ça demande une précision. Le CPAP qu'on utilisait à l'Hôpital Sainte-Croix en deux mille un (2001), ce n'est pas le même appareil que docteur Belik a décrit la semaine dernière. Ce que docteur Belik a décrit, c'était des petites canules qui étaient insérées dans les deux (2) narines du bébé, c'est une canule qui est très courte, là, ça a un ou deux (2) centimètres au maximum, et c'est ajusté avec comme des petits élastiques de chaque côté de la tête du bébé.
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LA COUR :
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Q. |
Celui que le docteur Belik...
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R. |
Ça, c'est celui que le docteur Belik... Alors, tu sais, ça ne rentre pas très loin dans le nez, là.
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Me ROBERT-JEAN CHÉNIER procureur de la défense :
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Q. |
Ce qu'il a appelé un Infant Flow.
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R. |
Oui, c'est un Infant Flow, alors c'est ce qu'on utilise actuellement dans notre pratique, mais ce n'était pas disponible en deux mille un (2001) à Drummondville, puis il y a plusieurs unités néonatales où ce n'était pas disponible non plus. Alors, ce qu'on utilisait pour faire du CPAP nasal, c'était un tube qui est le même tube qu'on prend pour faire l'intubation, mais qu'on coupe plus court, on insère le tube par une narine du bébé...
[…]
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Q. |
Donc, vous le coupez?
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R. |
Donc, on le coupe, on l'insère par la narine du bébé et ça va à peu près jusque dans l'arrière-gorge, là.
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Q. |
Oui?
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R. |
Donc, c'est un tube qui est de la même grosseur que le tube qu'on utilise pour l'intubation. Le fait d'insérer le tube par la narine, puis d'aller chatouiller un peu l'arrière-gorge, ça peut provoquer chez le bébé des bradycardies ou des apnées. Alors, c'est ce qui s'est passé dans ce cas-ci. Donc...
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Q. |
Parce que ça va toucher...
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R. |
Ça va toucher dans le fond de la... tu sais, dans le fond de la gorge, alors c'est sûr que ça dérange le bébé, ça provoque un réflexe vagal et ça peut entraîner une bradycardie ou une apnée. Alors, c'est des choses qu'on voit couramment, ça, avec ce genre de dispositif là, mais on ne voit pas ça avec l'Infant Flow parce que ce n'est pas assez long comme tube, ça a vraiment... ça rentre juste à l'entrée des narines, ça ne va pas dans l'arrière-gorge.
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Puis, plus loin, contre-interrogée par l’avocat des appelants, elle ajoute ceci sur le même sujet :
Q. |
Alors, dans cette... cette question d'organisation, avez-vous en tout temps, entre le mois d'août et puis le mois d'avril, informé les gens du CUSE du type d'appareil CPAP que vous aviez? Non pas des petites lunettes nasales, là, mais ce que vous avez décrit hier comme étant essentiellement - et vous me corrigerez - mais un tube d'intubation que vous coupez un petit peu plus court?
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R. |
C'est ça. En fait, je ne me souviens pas qu'on ait informé le CUSE spécifiquement, mais c'était la technique qui était utilisée à l'époque dans la plupart des hôpitaux, là. L'Infant Flow n'était pas encore disponible, donc c'est ce qu'on utilisait couramment. Donc, on n'a pas décrit en détail la technique de CPAP, ça sous-entendait que c'était celle-là qu'on utilisait, là, celle avec le tube qu'on insère dans le nez et après ça le bébé est branché sous un respirateur, le même type qui peut faire de la... de la ventilation une fois le bébé intubé.
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Q. |
Donc, c'est votre témoignage que docteure Langis, sans avoir été formellement prévenue par vous ou quelqu'un de l'Hôpital de Sainte-Croix du type d'appareil CPAP que vous aviez, que raisonnablement on peut penser, là, probablement elle savait qu'est-ce que c'est que vous aviez comme appareil?
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R. |
Elle savait, ils savaient quelle clientèle de patients on avait à Drummondville, il y avait déjà eu des discussions informelles lors de transferts précédents, donc les néonatologistes connaissaient les patients qu'on gardait à Drummondville, puis ce qu'on était en mesure d'offrir comme soins et des appareils dont on disposait.
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[107] Sur ce point, et sur l’opportunité d’utiliser un CPAP au moment où la Dre Nadeau, après avoir consulté la Dre Langis, essaie de l’installer, tous les experts entendus en défense convergent. Je reproduirai ici quelques extraits représentatifs de leurs dépositions.
[108] Ainsi, invité à donner son avis sur le bien-fondé de la recommandation faite par la Dre Langis à la Dre Nadeau, le Dr Lachance dit ce qui suit :
Q. |
Quelle est votre appréciation de ces conseils du docteur Langis, à ce moment-là?
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R. |
On revient au concept d'intervention bénéfices/risques et c'est une prise en charge d'un bébé qui pourrait avoir une acidose respiratoire, mais dont on n'est pas certains, avec une intervention qui est relativement bénigne par rapport au geste de l'intubation. C'est la première ligne de traitement, en deux mille douze (2012), des bébés qui présentent une détresse respiratoire, je pense qu'un des témoins qui a rapporté que lui aurait installé un CPAP plus précocement, je pense qu'en deux mille douze (2012), beaucoup de gens mettent des CPAP plus précocement, mais en deux mille un (2001), c'était le standard d'attendre qu'il y ait une détresse respiratoire bien établie avant de commencer ce traitement-là. Donc moi, je suis totalement à l'aise, c'est encore ce que je fais aujourd'hui et même les patients qui naissent à Sainte-Justine, ma première ligne de traitements, c'est le CPAP nasal, même sur une hypercapnie. Donc là non plus, je ne suis pas d'accord avec les experts qui prétendent qu'une hypercapnie nécessitait automatiquement [une intubation]. Et c'est beaucoup moins risqué que de tenter une intubation. |
Puis, en contre-interrogatoire, il s’exprime en ces termes :
Q. |
Alors, les autres étapes possibles que l'on peut envisager, docteur, dans votre esprit, suivant l'information qu'on a là, sont lesquelles?
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R. |
Dans le... dans l'algorithme de prise en charge d'un bébé qui a une détresse respiratoire, la première étape est le CPAP et si ça ne fonctionne pas, l'étape subséquente sera l'intubation si nécessaire et l'administration de surfactant. […] Et ça, c'est un algorithme que tous les résidents connaissent, dès la première année de résidence. Alors, je pense que ça serait très étrange de penser que docteure Nadeau ne savait pas que la prochaine étape serait d'administrer du surfactant.
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Q. |
D'accord. Alors, cette prochaine étape lui est manifestement inaccessible, il n'y en a pas de surfactant à l'hôpital, d'accord?
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R. |
Oui…
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Q. |
Alors, le plan de traitement discuté avec le docteur Langis en apparence, en toute vraisemblance, selon l'algorithme dont vous me parlez, est impossible à respecter? Cette option-là n'existe pas?
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R. |
Elle n'existe pas à Drummondville et puis c'est ce qui explique la demande de transfert, en partie.
[…]
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Q. |
Alors, nous replaçant en deux mille un (2001), on sait qu'il y a une possibilité ou un risque que l'essai ne fonctionne pas, êtes-vous d'accord avec ça?
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R. |
Oui, et puis on aura bien du temps pour voir si ça fonctionne ou non. Et si docteure Nadeau avait, de son plein gré, débuté un CPAP nasal dans un milieu qui n'est pas habitué à en faire, sans demander le transfert, on pourrait se poser des questions, mais ici c'est à la recommandation de l'équipe qui s'en venait chercher X : «En attendant, débutez le CPAP, on s'en vient.» Moi ça me paraît tout à fait standard.
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Q. |
Bon. Si le CPAP ne fonctionne pas, on a parlé du surfactant, bon...
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R. |
De l'intubation en fait, peut-être qu'on devrait préciser...
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Q. |
L'intubation, oui, c'est ça, c'est là que je viens...
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R. |
... c'est plutôt l'intubation que le surfactant.
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Et plus loin, toujours en contre-interrogatoire :
Q. |
Savez-vous... excusez-moi, je vais... une autre question. Le CPAP dont on parle, dont vous parlez, est-ce un CPAP dont on a... dont on coupe le tube, comme un tube endotrachéal, dont on coupe une certaine longueur?
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R. |
C'est ma compréhension du dossier, c'est un tube endotrachéal qui est utilisé, mais qui est amené moins loin que lorsqu'on intube le patient.
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Q. |
D'accord. Alors, c'était en deux mille un (2001) ce genre de CPAP que vous utilisiez à Sainte-Justine, c'est exact?
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R. |
Je pense que les autres modes de CPAP apparaissaient, mais c'était un mode qu'on utilisait de façon prioritaire, oui, c'était le mode le plus couramment utilisé. |
Q. |
Le mode de CPAP dont le docteur Belik et Karsdon ont parlé, est-ce que celui-là était disponible, accessible à Sainte-Justice en deux mille un (2001)?
[…]
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R. |
Moi, j'ai des doutes, mais honnêtement je ne suis pas absolument certain, j'ai des doutes, parce que le système Infant Flow, là, qui est utilisé maintenant, puis que c'est vraiment eux [allusion, apparemment, au Hospital for Sick Chikldren de Toronto] qui ont développé le masque particulier, est disponible seulement depuis quelques années.
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[109] La Dre Lavoie se prononce dans le même sens :
Q. |
Alors, passons maintenant à un autre sujet dans l'ordre chronologique qui est l'installation du CPAP comme telle. L'installation a été faite par l'inhalothérapeute en présence du docteur Nadeau et de l'infirmière. Est-ce que ça correspond aux normes habituelles?
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R. |
Oui. Chez nous, le CPAP est installé par l'inhalothérapeute.
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Q.
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Il y a un sujet que j'ai oublié de vous demander tout à l'heure. Quand on parle de CPAP, est-ce qu'on peut penser à un Infant Flow en deux mille un (2001)?
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R. |
Non, pas du tout. Pas du tout. Nous-mêmes à l'Hôpital de Montréal pour enfants en deux mille un (2001) on n'avait pas le Infant Flow, c'est venu beaucoup plus tard, peut-être même dans les cinq (5) dernières années chez nous. Alors, je ne crois pas du tout qu'on puisse parler d'Infant Flow à Sainte-Croix.
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Q. |
Pouvez-vous expliquer à la Cour ce que vous comprenez comme... en quoi consiste un CPAP?
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R. |
O.K. La première chose, l'installation du CPAP est vraiment le rôle de l'inhalothérapeute et de l'infirmière, ce n'est pas le médecin habituellement qui met le CPAP, c'est nos infirmières, nos inhalos qui le font. Alors, à l'époque, les CPAP parce que, en révisant le compte-rendu des témoignages des experts des demandeurs, ils vous ont parlé du Infant Flow, mais à l'époque, au début des années deux mille (2000), ce qu'on avait, c'était des tubes nasals. Donc, c'est un peu le même tube qu'on utilise quand on intube un bébé, qu'on met dans la trachée, mais on coupe le tube plus court. C'est ça qu'on utilisait pour faire notre CPAP, on n'avait pas encore les Infant Flow qui sont un système avec des... les Infant Flow qu'on utilise aujourd'hui, c'est du caoutchouc plus mou, c'est moins traumatisant tandis qu'à l'époque, c'était un tube plus dur et un peu plus traumatisant, c'était ce qu'on avait à l'époque, ça fonctionnait, mais pas aussi efficacement que l'Infant Flow et un peu plus traumatisant que l'Infant Flow. Alors, la première chose qu'ils font quand ils veulent installer le CPAP, c'est d'aspirer les sécrétions parce que les bébés, quand ils font des détresses respiratoires, des fois ils avalent un peu moins... ils produisent plus de sécrétions, avalent moins bien un peu, donc ils vont aspirer les sécrétions. Et quand on relit les notes du dossier, on s'aperçoit que X, même dans la soirée, avait beaucoup de sécrétions. Et donc, ils aspirent et il y a beaucoup de sécrétions. Et quand on va aspirer des sécrétions, quand on va dans le pharynx, dans l'arrière-gorge, ça crée un réflexe qu'on appelle un réflexe vagal, donc ça ralentit le cœur, ça ralentit la respiration. Et à mon point de vue, c'est ce qui est arrivé avec X.
Alors, dans le processus d'installation du CPAP, on a aspiré abondamment et le fait de mettre le tube, on favorise aussi les sécrétions, donc on a aspiré et, en aspirant, X a ralenti son rythme cardiaque, a ralenti sa respiration. Heureusement, docteure Nadeau était là et s'est occupée de X. Et pendant une période de trois (3) à quatre (4) minutes, elle a supporté de façon intermittente X en la ventilant. Donc, on a un masque avec un... on appelle ça un ballon qu'on compresse pour ventiler. Donc, elle était au chevet de X. Et il y avait beaucoup de sécrétions, donc elles l'ont aspirée à plusieurs reprises. Et c'est sûr que chaque fois qu'on l'aspire et on reproduit le réflexe vagal, donc ça peut expliquer aussi pourquoi l'épisode a duré un certain temps ou le rythme cardiaque avant de monter à cent cinquante (150) parce qu'on l'aspirait. Ce qu'on note cependant, c'est qu'à aucun moment donné durant cette période-là X n'a manqué d'oxygène. La saturation est restée normale. Et pourquoi elle est restée normale? C'est parce que même si X faisait des apnées, donc ne respirait pas de façon spontanée, docteure Nadeau la ventilait.
C'est aussi certain que quand on supporte un bébé comme ça, on y va, on arrête de façon progressive. On n'arrête pas... alors, quand on parle... quand on évalue une période de trois, quatre (3-4) minutes, ce n'est pas trois, quatre (3-4) minutes où est-ce qu'on ventile le bébé puis après ça, on arrête tout d'un coup. On ventile, on ralentit, on observe, on redonne un peu, on aspire, on observe. Et donc, ma compréhension, c'est le trois, quatre (3-4) minutes, c'est le trois, quatre (3-4) minutes dans lequel docteure Nadeau a été au chevet avec son masque et mettre une petite pression. Des fois, on fait juste maintenir la pression, même pas ventiler, on appelle ça un "peep", mais on maintient un peu de pression avec un peu d'oxygène. Donc, elle a été au chevet pendant trois, quatre (3-4) minutes. Mais je n'ai jamais interprété cet événement comme trois (3) ou quatre (4) minutes où X avait un rythme cardiaque à cinquante (50).
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[111] Le dossier fait voir, aussi, qu’avant les interventions commencées à 1 h 36 par la Dre Nadeau, le personnel infirmier avait déjà constaté la survenance d’une bradycardie. chez X. À 20 h 47, l’infirmière Biron note sur le relevé du « moniteur d’apnée » que l’enfant est éveillé, présente une coloration normale et respire, mais fait une bradycardie à 68 bpm « durant aspiration ». À cela s’ajoute une propension à la détresse respiratoire constatée par la Dre Nadeau en début de soirée le 29 avril.
[112] Il est vrai, en revanche, que certaines composantes du dossier médical de X étaient de nature à susciter de la part des appelants de légitimes interrogations. Ainsi, l’inscription « arrêt respiratoire » qui apparaît trois fois dans les notes colligées par les infirmières, respectivement à 1 h 36, 1 h 44 et 1 h 51, appelait une explication. Il convient de noter, cependant, que l’expression « arrêt respiratoire » dans les notes des infirmières, prise isolément, ne donne aucune indication précise de la condition respiratoire de l’enfant[36], tout comme d’ailleurs l’expression « apnée importante » que l’on retrouve dans les notes de la Dre Nadeau[37]. Les témoignages des experts, tant en demande qu’en défense, font ressortir pourquoi il importe d’en clarifier le sens à partir d’éléments de contexte. On trouve aussi au dossier d’autres éléments probants qui permettent de relativiser le sens de ces annotations, et d’atténuer par le fait même la gravité que pourrait leur attribuer, à tort, un observateur profane qui n’est pas au fait de l’ensemble du dossier.
[113] Les notes de la Dre Nadeau recèlent quant à elles les mentions suivantes, qui correspondent à la même période : « apnée importante + brady 50/min à la suite », « Par la suite, 2 autres apnées significatives » et « Décision d’intuber en raison des apnées répétées ». On notera qu’il n’est pas question ici d’« arrêts respiratoires ». Les observations de l’inhalothérapeute à compter de 1 h 30 font état, d’abord, d’une « pause respiratoire », puis énoncent « CPAP nasale [sic] installé, brady + apnée ». Ici encore, il n’est pas question d’« arrêts respiratoires ».
[114] Témoignant au procès, la Dre Nadeau s’est exprimée sur le sujet et l’on peut résumer sa déposition comme ceci. Quand survient la chute du rythme cardiaque (tombé à 50 bpm) en raison du réflexe vagal, il faut retirer le tube qui provoque le réflexe et ventiler l’enfant afin que son rythme redevienne normal (il s’agit d’une pause respiratoire et non d’un « arrêt respiratoire »; l’infirmière ici aurait fait erreur, un point sur lequel la Dre Nadeau est formelle). Dès le début de l’épisode, donc, on retire le tube et l’on ventile en appliquant le masque, ou l’Ambu, sur le visage du bébé. Il est clair pour la Dre Nadeau que l’enfant n’est pas demeuré plus de 30 secondes sous un rythme cardiaque de 69 bpm car la Dre Nadeau lui aurait alors donné un massage cardiaque, ce qu’elle n’a pas eu besoin de faire. L’intervention est immédiate car le médecin et les infirmières ont le saturomètre sous les yeux. La mention dans le dossier d’une ventilation de 3 à 4 minutes ne réfère pas à la durée de la bradycardie mais au laps de temps nécessaire pour que l’enfant, qui est alors ventilée, remonte à 102 bpm, récupère et reprenne sa respiration stable (ou normale). L’on ne saurait assimiler cet enchaînement de circonstances à l’« arrêt respiratoire » au sens que la Dre Nadeau donne à cette expression ou à celui que lui prêtent les appelants au paragraphe 19 de leur mémoire.
[115] Je signale l’ambiguïté qui persiste dans l’emploi imprécis, comme c’est ici le cas, d’expressions qui se répartissent sur un continuum : détresse respiratoire, pause respiratoire, apnée (importante ou non, en fonction de sa durée) et arrêt respiratoire complet.
[116] Le Dr Piedboeuf, pour sa part, a souligné le caractère abondant et explicite des notes des infirmières, chose qui selon lui ne se voit pas en milieu tertiaire, mais il a exprimé une réserve : « J’aurais parlé d’apnée plutôt que d’arrêt respiratoire. Et c’est probablement un peu l’inexpérience de l’infirmière de nuit qui est habituellement une jeune infirmière. » Mais, précise-t-il, dans le passage précité au paragraphe [110], « je n'ai jamais interprété cet événement comme trois (3) ou quatre (4) minutes où X avait un rythme cardiaque à cinquante (50) ». En outre, il a été mis en preuve au procès, notamment dans les témoignages des Drs Piedboeuf et Fortin, que les épisodes d’apnée et de bradycardie sont fréquents chez les enfants prématurés.
[117] Face à cette preuve, la juge pouvait conclure, comme elle le fait aux paragraphes [466], [471], [479], [480] et [506] de ses motifs, que les diverses interventions de la Dre Nadeau avaient « rapidement » rétabli le rythme respiratoire normal de X après les apnées ou bradycardies observées en cours de traitement. La mention d’une « reprise lente du rythme cardiaque » dans les « notes d’évolution en soins infirmiers », sans autre précision ou éclaircissement, ne pouvait à elle seule faire échec à cette conclusion, alors même que les experts en défense qualifiaient d’adéquate la condition cardio-respiratoire de X.
[118] En outre, sur l’hypothèse d’une relation causale entre les apnées ou les bradycardies observées les 29 et 30 avril, ou après, et la condition dont est atteinte X, le Dr Piedboeuf a apporté de nombreuses nuances en témoignant :
Q. |
On a déjà vu avec la Cour différents événements qui sont survenus au CUSE, soit de désaturation ou de bradycardie. Quelle est votre opinion quant au fait que X ait pu continuer à présenter des épisodes comme ça dans un centre tertiaire, même après qu'on l'ait désintubée?
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R. |
C'est attendu, c'est normal que nos bébés prématurés présentent des apnées bradycardiques. Si on se rappelle, dans sa première note, docteure Nadeau avait mentionné qu'elle prévoyait garder le moniteur d'apnée jusqu'à trente-cinq (35) semaines au moins parce qu'on sait que, avant trente-cinq (35) semaines, nos bébés sont hautement à risque de faire des apnées bradycardiques et c'est vraiment le pain quotidien pour nos bébés dans nos unités néonatales. Et les apnées bradycardiques sont fréquentes, on en compte de nombreuses. Il y a des études qui suggèrent qu'on pourrait même en tolérer jusqu'à deux (2) par heure. Deux (2) par heure, c'est vingt-quatre (24) épisodes par jour... «c'est vingt-quatre (24)», c'est quarante-huit (48) épisodes par jour. C'est une feuille complète pleine d'événements. C'est vraiment très nombreux. Donc, de présenter deux (2), trois (3), quatre (4), cinq (5) épisodes par jour, c'est de la routine, c'est de la routine pour nos bébés dans nos unités.
Nos prématurés extrêmes en présentent de très nombreuses et ils ne sont pas réintubés, mis sous respirateur parce qu'ils présentent trois (3) ou quatre (4) apnées. Et c'est ce qui avec X... c'est ce qui a été fait et à Sherbrooke, ils n'ont pas décidé de la remettre sous respirateur parce qu'elle présentait des apnées brady. On n'est pas inquiet. Comme je vous disais, Madame la juge, c'est l'immense majorité ou la totalité de nos prématurés qui vont présenter des apnées brady et c'est une minorité, une infime minorité heureusement qui vont avoir des séquelles sévères comme X, et même quand on parle de nos prématurés extrêmes qui font beaucoup plus encore d'apnées brady et des apnées brady plus sévères que ce que X a pu faire.
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Q.
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Alors, j'aimerais que vous développiez un peu plus votre pensée à cet égard-là quant à la relation entre des apnées brady et la leucomalacie périventriculaire. Est-ce que vous voyez un lien dans le cas de X entre les événements d'apnées bradycardie et la survenance de la leucomalacie périventriculaire?
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R. |
Il y a, Madame la juge, plusieurs moyens de regarder ça. Le premier, c'est de se dire que si on parle... on pourrait prendre les prématurés extrêmes qui sont plus à risque, cent pour cent (100 %) vont faire des apnées brady et moins de dix pour cent (10 %) vont faire de la leucomalacie périventriculaire. Donc, la relation directe entre apnée brady et leucomalacie n'existe pas, sinon on s'attendrait à ce que tous nos bébés prématurés fassent de la leucomalacie. L'autre chose aussi, c'est de voir si on a pu montrer chez nos bébés des relations entre le nombre d'apnées brady et la leucomalacie périventriculaire. Et de façon assez étonnante, il y a peu d'éléments dans la littérature qui soutiennent ça, malgré le fait qu'on traite nos apnées brady, on les traite relativement agressivement, on leur donne des médicaments, on les surveille, des fois on les met sous respirateur non invasif pour les apnées brady, malgré tout ça, il y a peu d'éléments qui nous montrent qu'on influence le devenir neurologique des bébés. Donc, ça demeure, cette relation. Une seule étude, et que je cite dans mon rapport, montre une relation enter apnée brady et leucomalacie pour dire que les bébés qui continuent à faire des apnées brady tardivement quand ils ne devraient plus, ces bébés-là sont plus à risque d'avoir de la leucomalacie. À mon point de vue, ce que nous dit cette étude-là, c'est que les apnées brady ne sont pas la cause, mais la conséquence des dommages cérébraux ou les apnées brady persistantes. Les apnées brady persistantes après le moment où est-ce qu'elles auraient dû disparaître, donc à trente-six (36) semaines où est-ce qu'on s'attend à ce que le bébé en fasse moins, les bébés qui continuent à en faire beaucoup sont plus à risque. Donc, ça devient la cause. Les dommages cérébraux causent des apnées brady, pas les apnées brady causent des dommages cérébraux.
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[119] Enfin, l’on ne peut s’empêcher de noter que ni les infirmières Biron et Lessard[38], signataires de « notes d’évolution en soins infirmiers », du relevé du « moniteur d’apnée » et des « observations en oxygénothérapie », ni l’auteur(e) inconnu(e)[39] du document intitulé « prescription d’inhalothérapeute », n’ont été appelé(e)s à témoigner au procès.
[120] Face à cette preuve fort contrastée mais prêtant à interprétation, on ne peut conclure comme le font les appelants que la juge de première instance a commis une erreur manifeste et déterminante en concluant à l’absence de faute de la part de la Dre Nadeau lors de ses tentatives d’installation du CPAP et d’intubation en l’absence du Dr Lannes.
(d) L’intervention du Dr Lannes
[121] Les « notes d’évolution en soins infirmiers » relatent ce qui suit. Appelé chez lui à 2 h 10 et arrivé sur les lieux à 2 h 47, le Dr Lannes administre à X une dose de Propofol à 2 h 57 et tente une première intubation par voie nasale. Le tube endotrachéal se heurte à la glotte. À 3 h 08, une seconde tentative par voie buccale réussit et X, à compter de ce moment, est intubée.
[122] Le Dr Karsdon, expert en demande, a admis qu’il ne formulait aucun reproche contre le Dr Lannes personnellement. Son témoignage, dans la mesure où il avait une quelconque pertinence ici, consistait plutôt à critiquer l’absence d’un anesthésiste sur place à la naissance de X. Outre le reproche, peu documenté, d’avoir fait partie de l’« équipe de soins fautifs », il est fait grief au Dr Lannes d’avoir eu recours au sédatif Propofol avant de tenter l’intubation. J’ai déjà abordé, aux paragraphes [54] et [56], l’objection qu’avait suscitée le témoignage et, surtout, les rapports, du Dr Belik sur la question de l’utilisation du Propofol. Dans son premier rapport du mois de décembre 2006, le Dr Belik mentionnait certaines contre-indications concernant l’usage de ce médicament sur des prématurés. Dans un rapport complémentaire de février 2009, en réponse aux experts de la défense, il soulignait que les sources tirées de la documentation médicale et citées par eux pour justifier l’utilisation du Propofol étaient postérieures à 2001, époque à laquelle l’administration d’une dose de 4,5 mg/kg pour un prématuré « was not a standard therapy ».
[123] La juge, on l’a vu, a fait droit à l’objection des intimés. Mais cela importe peu car il suffit de se reporter au témoignage de la Dre Lavoie, qualifiée au procès d’expert anesthésiste pédiatrique, pour en apprendre plus long sur le Propofol et son emploi en milieu hospitalier local. En voici la teneur partielle :
Q. |
Donc, que pensez-vous de cette médication qui a été... qui apparaît à la note à la page 43 du dossier dans la note du docteur Lannes?
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R. |
Donc, moi, quand je vois ça c'est typiquement anesthésique. C'est le genre de médication que moi j'utilise régulièrement chez tous mes patients pédiatriques. Alors, en prévision de l'intubation, on a donné l'atropine pour les deux (2) raisons que j'ai mentionnées un peu plus tôt, la première étant on veut réduire la quantité de sécrétions et la deuxième étant qu'on veut prévenir le réflexe vagal qui pourrait provoquer une bradycardie, la diminution du rythme cardiaque. Alors, l'atropine a été donnée, ça c'est le standard, la règle de l'art à ne jamais omettre avant d'intuber un petit bébé.
Deuxièmement, on veut endormir, parce que je vous mentionnais tout à l'heure qu'une laryngoscopie c'est extrêmement douloureux, on les faisait à froid avant parce qu'on pensait que les petits bébés ne ressentaient pas la douleur, mais au contraire ils ressentent la douleur, alors il faut vraiment anesthésier. Et donc l'anesthésiste a choisi le Propofol, qui est un médicament bien connu des anesthésistes, beaucoup utilisé par nous.
Donc, Propofol huit (8) milligrammes, suivi de la succinylcholine. Et la succinylcholine c'est un médicament qui paralyse les muscles, mais non seulement les muscles, ça va aussi paralyser les fameuses cordes vocales et on mentionnait, si je ne me trompe pas hier, qu'une des raisons pour lesquelles il y a eu difficulté à intuber lorsque docteur Nadeau a fait ses tentatives, c'est que les cordes vocales étaient très réactives. Il y avait ce fameux réflexe vagal là qui provoquait la fermeture des cordes vocales et qui entraînait la difficulté vue par docteur Nadeau à bien intuber bébé, ça, surajouté au fait que bébé était légèrement sédationné, mais X n'était pas complètement endormie. Elle maintenait une respiration spontanée et donc, avec les mouvements, c'est toujours un peu plus difficile d'intuber les bébés.
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Q.
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Q. J'aimerais vous parler de la dose de Propofol. Docteur Lannes a écrit dans sa note à la page 43 qu'il a donné huit (8) milligrammes intraveineux. C'est exact?
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R. |
Oui, c'est exact. Alors, est-ce que... vous avez fait référence dans votre rapport d'expertise à cette dose-là?
[…]
Donc, réponse 4 à la page 4, dans le bas, dans la note du docteur Lannes, ça, c'est que moi j'écris :
«Écrite sur le formulaire de consultation et signée de sa main, celui-ci a écrit avoir administré une dose de Propofol de huit (8) milligrammes, soit trois point un (3.1) milligrammes par kilo.»
Mais en refaisant le calcul, je me suis rendu compte, là, de mon erreur ici. Et la dose, il s'agit bien de trois point six (3.6) milligrammes par kilo, qui ne change pas mon avis, mon opinion comme de quoi que cette dose est conforme aux normes de pratique. |
Et plus loin :
Q. |
Le Propofol est-il utilisé seulement en pédiatrie?
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R. |
Non, non, pas du tout, il est utilisé en adulte aussi.
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Q. |
Et est-ce que vous dites que c'est... ce médicament est-il utilisé dans une faible ou une moyenne ou une grande proportion des inductions?
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R. |
Une grande proportion des inductions intraveineuses, puis même en complément lorsqu'on fait des inductions au gaz. Parce qu'on endort encore aussi certains enfants avec les gaz, le petit masque et le gaz, et on complète souvent l'induction au gaz avec une petite quantité de Propofol intraveineuse.
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Q. |
Depuis combien de temps utilisez-vous le Propofol comme le docteur Lannes l'a utilisé ici, là, chez les prématurés?
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R. |
Depuis aussi longtemps que je fais de l'anesthésie pédiatrique, vingt (20) ans.
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Q. |
Depuis vingt (20) ans?
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R. |
Oui.
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Q. |
Alors, depuis vingt (20) ans vous avez pu faire combien d'anesthésies où vous avez utilisé le Propofol?
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R. |
Écoutez, on fait... je n'ai pas fait le décompte total de toutes les anesthésies que j'ai faites, mais je peux vous dire que le gros de ma pratique se fait depuis quatre-vingt-quinze (95) au Children's, qu'on fait certainement deux mille (2 000) anesthésies par année, avec la proportion d'anesthésistes qu'on a je fais sûrement un dixième (1/10) à peu près de ces anesthésies-là, donc certainement deux cents (200) par année, et qu'il y a une forte proportion de ce nombre-là annuel où j'utilise le Propofol.
C'est tellement commun, c'est... je ne peux pas en arriver avec un chiffre exact, là, je suis désolée, mais c'est extrêmement commun.
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[124] En somme, il y avait amplement assise dans la preuve pour conclure que l’intervention du Dr Lannes s’était déroulée en toute conformité avec les règles de l’art tenues pour applicables en 2001.
(e) La responsabilité de la Dre Langis
[125] Mis à part la notion d’« équipe de soins » ou d’« équipe de soins fautifs » qui fait surface en quelques endroits dans le mémoire des appelants, mais sur laquelle les appelants n’insistent nulle part, rien au dossier ne permet de quelque façon que ce soit de fonder une condamnation pour faute civile envers la Dre Langis. On peut même s’étonner que les intimés en reprise d’instance figurent encore parmi les parties au pourvoi.
(5) Remarques finales
[126] Compte tenu de la conclusion globale à laquelle j’en arrive, il est inutile de traiter de la causalité ou du préjudice qui aurait résulté des fautes alléguées contre les intimés si celles-ci avaient été démontrées.
[127] Les appelants, des parents au comportement exemplaire envers leur fille X, surmontent avec elle une situation qui demeure difficile à plus d’un égard. Avec raison, ils ont voulu porter devant la Cour supérieure des questions qui méritaient d’y être débattues. On ne peut que sympathiser avec eux en saluant leur grand mérite ainsi que celui de leur fille.
[128] Le dossier du pourvoi soulevait presque exclusivement des questions de fait. Réitérant en appel ce qu’ils avaient fait valoir en première instance, les appelants ont soutenu que les conclusions contraires à leurs prétentions résultaient d’erreurs manifestes et dominantes, mais sans pointer celles-ci du doigt. La Cour a donc été contrainte de faire cela même que le droit judiciaire en matière de normes de contrôle sert à prévenir : une relecture exhaustive d’une preuve entendue en première instance pendant une enquête de 21 jours. Un argument de droit qui aurait pu avoir un certain mérite, et qui fut plaidé à l’audience, doit échouer en dernière analyse pour les raisons que j’ai expliquées ci-dessus aux paragraphes [71] à [73].
[129] Tout au long de leur mémoire, les avocats des appelants ont donné à leur argumentation des accents incisifs et parfois voisins de l’indignation. En de nombreux endroits, ils usent d’un langage particulièrement réprobateur envers la juge; il s’en faudrait de peu pour qu’on le qualifie de méprisant.
[130] Certes, on attend de la partie appelante qu’elle critique, même avec vigueur, ce qui selon elle est erroné dans le jugement attaqué. Mais on s’attend aussi à ce que cette argumentation soit mesurée. En l’espèce, le mémoire, par le ton qu’il adopte, se démarque nettement d’une analyse à la fois critique et mesurée : il verse fréquemment dans une surenchère qui relève du commentaire éditorial tendancieux, voire antagoniste. Ce procédé rhétorique ne peut suppléer aux déficiences d’une démonstration d’erreur manifeste et déterminante. Sauf rares exceptions, c’est aux tribunaux de première instance, et primordialement à eux, que ressortit l’appréciation fine de la prépondérance d’une preuve en demande face à une preuve contraire en défense. La démonstration d’une erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation de la preuve s’inscrit dans un tout autre registre : elle requiert, par exemple, qu’on établisse que le juge de première instance n’a tenu aucun compte de l’absence complète d’une preuve nécessaire, ou qu’il a jugé probante une preuve équivoque réfutée par une preuve accablante. Or, absolument rien de tel n’est observable ici. En l’absence d’une démonstration claire, à partir du dossier lui-même, de ce qui est présenté comme moyen d’appel, prétendre entre autres choses que la juge de première instance a « travesti » les faits, qu’elle les a « ignorés » et les a « dénaturés », avec « complaisance », allant même jusqu’à tirer de la preuve une conclusion qui « tient de la pensée magique », n’est que de l’enflure rhétorique. Cela n’est pas le moindrement de nature à rendre plus vraisemblable une argumentation qui, pour l’essentiel, ne mobilise que de pures questions de fait.
V. Conclusion
[131] Pour les motifs qui précèdent, j’estime que le jugement interlocutoire du 28 juin 2011 ne peut être attaqué à ce stade. Sur le fond, je rejetterais l’appel, avec frais de justice.
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YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A. |
[1]
J.G. c. Nadeau,
[2] Cet acronyme est celui utilisé par la juge de première instance dans ses motifs. Pour éviter toute confusion, je ferai de même.
[3] Le 18 avril 2012, au deuxième jour du procès, les appelants se sont désistés de leur recours contre la Dre Pesant.
[4] Soit 45 jours avant la date anticipée de l’accouchement.
[5] Cette substance est produite naturellement dans les poumons, mais seulement vers le huitième mois de la vie fœtale. En fonction du développement de ses capacités respiratoires, le nouveau-né prématuré est susceptible de manquer de surfactant.
[6] Acronyme de Continuous Positive Air Pressure.
[7]
[8] Ainsi, pour la période de 20 h à 1 h, la juge considère (i) les mesures de tension artérielle, (ii) les résultats de prélèvements capillaires, (iii) l’installation d’un cathéter veineux et d’un masque laryngé, (iv) l’interprétation des radiographies pulmonaires et (v) l’appel au CUSE.
[9] Ce montant excède celui réclamé sous ce chef et à titre personnel par chacun des deux appelants, mais la juge explique au paragraphe [768] qu’elle « tient compte également des soins et des services que Monsieur G... et Madame L... ont rendus dans le passé à X aux (sic) lieu et place du personnel spécialisé ».
[10] Audience du 18 décembre 2014, 9 h 51.
[11] RLRQ, c. C-25.01.
[12]
Pétrolière Impériale c. Jacques,
[13] Léo Ducharme et Charles-Maxime Panaccio, L’administration de la preuve, 4e éd., Wilson & Lafleur, 2010, p. 11 (notes de bas de page omises).
[14]
[15] 2010 QCCA 2124.
[16] Crompe c. Compagnie du chemin de fer urbain de Montréal, (1902) 8 R. de J. 277 (C.S.).
[17]
Supra, note 13, p. 211-2. Au soutien de leur première
assertion, ces auteurs citent l’arrêt Lanthier c. Vincent,
[18]
St-Pierre c. 9136-8316 Québec Inc. (Cours Cosmopolis),
[19]
[20]
[21] Ibid., p. 622 et p. 625.
[22] Précité, note 2, p. 6.
[23] Id. p. 39.
[24]
[25] Ibid., paragr. [139].
[26]
[27]
[28] Les références sont tirées de Jean-Claude Royer, La preuve civile, 2e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 1995, p. 518 et de Daniel Jutras, « Expertise scientifique et causalité » dans Congrès annuel du Barreau du Québec (1992), Montréal : Service de la formation permanente, Barreau du Québec, 1992, p. 897.
[29]
Ainsi, encore tout récemment, voir Laforest c. Boudreault,
[30]
Homsani c. Kurdi,
[31]
P.L. c. Benchetrit,
[32]
[33] 2015 QCCA 422, requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada rejetée (C.S.Can., 2015-10-15), no. 36414.
[34] Jugement de première instance, paragr. 210.
[35] Supra, note 6.
[36] Je note que les termes employés par l’infirmière qui se trouve au chevet de l’enfant sont imprécis. À 1 h 44, celle-ci note un deuxième « arrêt respiratoire » mais, dans les secondes qui suivent, elle ajoute que la condition de l’enfant est une apnée (« Ventilée par docteur Nadeau. Pouls légèrement irrégulier pendant l'apné (sic) »).
[37] L’apnée peut elle aussi être qualifiée d’« arrêt respiratoire » puisqu’il y a bien un arrêt (temporaire) de la respiration. Les témoignages des experts, notamment ceux des Drs Belik et Lachance, démontrent en quoi ces termes sont imprécis, d’où la nécessité de préciser les circonstances attenantes dans le contexte desquelles l’enfant reçoit des soins.
[38] Et non « Lussier», comme le laisse croire la pièce retranscrite au paragraphe [29] du jugement entrepris.
[39] Dont la Dre Nadeau a témoigné lors de son contre-interrogatoire au procès qu’elle ne se souvenait plus de son nom.
AVIS :
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du plumitif s'avère une précaution utile.