Leroux et Mistras services inc. |
2019 QCTAT 1793 |
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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL |
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(Division de la santé et de la sécurité du travail) |
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Région : |
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Dossier CNESST : |
140 174 582 |
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Montréal, |
le 12 avril 2019 |
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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF : |
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667 354 |
688 269 |
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Yanick Leroux |
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Partie demanderesse |
Partie demanderesse |
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et |
et |
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Mistras services inc. |
SPG Hydro international inc. (F) |
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Partie mise en cause |
Partie mise en cause |
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APERÇU
Dossier 667354-62C-1805
[1] Le 24 mai 2018, monsieur Yanick Leroux, le travailleur, conteste une décision rendue par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) le 11 avril 2018 à la suite d’une révision administrative. Cette décision refuse de reconnaître que le travailleur a subi des récidives, rechutes ou aggravations les 27 juin et 23 août 2017 de sa lésion professionnelle survenue le 12 décembre 2012, et déclare qu’il n’a pas droit au remboursement du coût de la polygraphie cardiorespiratoire du sommeil.
Dossier 688269-62C-1901
[2] Le 18 janvier 2019, le travailleur conteste une décision rendue par la Commission le 17 janvier 2019 qui déclare irrecevable la demande de révision à l’encontre de la décision rendue en première instance par la Commission le 30 novembre 2017. Cette décision refuse d’assurer la part des cotisations exigibles au régime de retraite offert dans l’industrie de la construction, malgré que le travailleur soit diagnostiqué porteur d’une invalidité grave et prolongée au sens de l’article 93 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi), car il était sans emploi au moment où est survenue la lésion.
Dossiers 667354-62C-1805 et 688269-62C-1901
[3] Le travailleur demande au Tribunal administratif du travail (le Tribunal) de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle à titre de récidive, rechute ou aggravation le 27 juin 2017. La demande pour la récidive, rechute ou aggravation du 23 août 2017 n’est que la continuité de la récidive, rechute ou aggravation alléguée du 27 juin 2017. Il demande aussi de déclarer qu’il a droit au remboursement du coût de la polygraphie cardiorespiratoire. Il demande finalement d’ordonner à la Commission de payer la part de l’employeur pour le régime de retraite offert dans l’industrie de la construction et qu’il assurera sa part.
ANALYSE
[4] Le 12 décembre 2012, le travailleur est scaphandrier pour Mistras services inc./SPG Hydro international inc., l’employeur, lorsque dans le cadre de son travail, alors qu’il est en plongée, une palplanche de 1 700 livres tombe sur son tuyau ombilical, l’emprisonnant sous l’eau. Afin de déplacer la palplanche en tentant de la soutenir, il se blesse à l’épaule gauche et au niveau cervical.
[5] Dans le cadre de la réclamation, une décision rendue le 5 avril 2016 par le Tribunal[2] reconnaît que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 12 décembre 2012, que la lésion professionnelle du travailleur n’était pas consolidée le 3 mai ou le 23 juillet 2013 et nécessitait toujours des soins et traitements jusqu’à la consolidation du 25 novembre 2013. Le Tribunal confirme aussi les décisions rendues par la Commission les 14 octobre et 5 novembre 2014.
[6] La décision du 14 octobre 2014 est à l’effet de déclarer que le travailleur a droit à une indemnité pour préjudice corporel et qu’il a toujours droit aux indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce que la Commission se prononce sur sa capacité à reprendre son emploi.
[7] La décision du 5 novembre 2014 est à l’effet de reconnaître que le travailleur conserve une atteinte permanente de 4,40 %.
[8] La décision du Tribunal du 5 avril 2016 précitée[3] reconnaît aussi que le travailleur conserve des limitations fonctionnelles et qu’il a subi une récidive, rechute ou aggravation le 6 octobre 2014 de sa lésion professionnelle initiale du 12 décembre 2012 et retourne à la Commission le dossier pour qu’elle en effectue le suivi.
[9] Le travailleur allègue que sa douleur s’est aggravée au cours des années, devenant de plus en plus intense et incapacitante. Le travailleur présente une réclamation le 27 juin 2017 ainsi qu’une autre le 23 août 2017 : il précise qu’il s’agit de la même réclamation, car il conserve la même situation physique depuis le 27 juin 2017.
[10] Le dossier montre un suivi médical régulier et constant.
[11] Le 27 juin 2017, le docteur Matthieu Vincent produit un rapport médical dans lequel il indique que le travailleur présente un état de stress post-traumatique, une hernie discale C5-C6 et il prescrit des traitements de physiothérapie au niveau scapulaire.
[12] Le 1er juillet 2017, la docteure Margaret-May Raymond examine le travailleur et note dans son rapport médical qu’il présente une déchirure au tendon de l’épaule droite et une dysfonction scapulo-thoracique. La docteure Raymond précise que le travailleur est suivi à la Clinique de la douleur.
[13] Le 18 juillet 2017, la docteure Caroline Guay examine le travailleur et pose le diagnostic de hernie discale C5-C6 en relation avec l’événement de 2012. Elle note qu’il y a apparition de douleur au membre supérieur droit, présence d’une déchirure du supra-épineux et présence d’une radiculopathie du membre supérieur droit en raison de surutilisation.
[14] Ces opinions médicales sont basées sur un examen par résonance magnétique du 26 avril 2017 qui révèle une déchirure des fibres supérieures du tendon supra-épineux de l’épaule droite ainsi qu’une tendinopathie modérée des fibres inférieures du tendon infra-épineux et une légère bursite sous acromio-deltoïdienne.
[15] Un autre examen par résonance magnétique du 23 août 2017 de la colonne cervicale indique ceci :
C5-C6, petite hernie discale médiane mesurant 1,1 x 0.3 cm (TR,AP) qui a légèrement progressé en taille depuis 2013. Il en résulte une sténose foraminale gauche sévère, inchangée. Développement d’une légère sténose foraminale droite.
CONCLUSION :
Progression de l’hernie discale C5-C6 avec sténose foraminale gauche sévère et droite modérée.
[16] En effet, un examen par résonance magnétique effectué le 13 mars 2013 a mis en évidence une légère protrusion discale au niveau C5-C6 avec un rétrécissement modéré du foramen gauche avec possible irritation sur le trajet de la racine C6 gauche.
[17] Toutefois, la hernie discale au niveau C5-C6 n’a pas été reconnue comme lésion professionnelle, les seuls diagnostics présents au dossier sont ceux d’entorse cervicale, d’étirement du trapèze gauche, de dysfonction scapulo-thoracique gauche et d’état dépressif majeur.
[18] Il appert que les constatations médicales démontrent une détérioration de l’état physique du travailleur au niveau cervical, scapulo-thoracique et du trapèze depuis la consolidation de la lésion professionnelle.
[19] Le travailleur a été acheminé à la Clinique de la douleur du Centre universitaire de santé McGill où il est suivi depuis de nombreuses années, et sa médication n’a cessé d’augmenter, passant de 100 à 150 milligrammes.
[20] Le travailleur a aussi développé des problèmes de sommeil importants. Afin de l’aider à effectuer ses activités quotidiennes, le coût d’une polygraphie cardiorespiratoire du sommeil doit être remboursé au travailleur, car cet examen lui a été prescrit en raison de son état physique et psychologique qui nuit à son sommeil et à sa qualité de vie.
[21] L’augmentation de la symptomatologie à l’épaule droite du travailleur constatée par les médecins examinateurs et la modification de la médication, qui n’étaient pas présentes auparavant, permettent de déclarer que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 27 juin 2017 par surutilisation de son membre supérieur droit.
[22] La Commission refuse la réclamation du travailleur pour les rechutes des mois de juin et août 2017 au motif que le diagnostic sur le rapport du 27 juin 2017 concerne la hernie discale C5-C6 qui n’a pas été reconnue à titre de lésion professionnelle par la Commission. Toutefois, les diagnostics dysfonction scapulo-thoracique et entorse cervicale quant à eux ont été reconnus à titre de lésion professionnelle. La dysfonction scapulo-thoracique droite est responsable, avec les séquelles d’entorse cervicale survenue sur une condition personnelle de hernie C5-C6, de la détérioration de l’état du travailleur. Les éléments médicaux montrent une augmentation de la douleur nécessitant des mesures thérapeutiques. Les soins et les traitements n’étant pas reliés exclusivement au diagnostic de hernie discale. Concernant le diagnostic de stress post-traumatique, il fait référence au diagnostic d’état dépressif majeur qui, lui, a été reconnu.
[23] Rappelons que le travailleur a été déclaré invalide et que pour lui il n’y aura aucune modification au niveau des indemnités de remplacement du revenu. Seule une reconnaissance au niveau de l’atteinte permanente est possible.
[24] Le 30 novembre 2017, la Commission reconnaît que le travailleur est, au sens de l’article 93 de la Loi, porteur d’une invalidité grave et prolongée, donnant ouverture à l’application de l’article 116 de la Loi, mais refuse au travailleur de reconnaître qu’il a le droit de continuer à contribuer à son régime de retraite offert dans l’industrie de la construction au motif qu’il n’était plus un travailleur, car il était sans emploi.
[25] Le travailleur avait demandé à son représentant de l’époque de contester la décision du 30 novembre 2017. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’il est informé que cette décision n’a pas fait l’objet d’une demande de révision; le travailleur fait donc cette demande lui-même le 21 septembre 2018. Le 17 janvier 2019, la Commission en révision administrative déclare hors délai la demande de révision et qu’aucun motif n’a été démontré permettant que le travailleur soit relevé du défaut d’avoir respecté le délai de l’article 358 de la Loi.
[26] Le 26 septembre 2018, dans une lettre adressée au Tribunal, le représentant du travailleur a reconnu que le travailleur lui avait demandé, le 4 décembre 2017, de présenter une demande de révision de la décision du 30 novembre 2017, ce qui n’a pas été fait en raison d’une réorganisation et de plusieurs changements organisationnels au bureau du représentant. Ceci a fait en sorte qu’il n’a pas été donné suite à la demande du travailleur. Ce qui constitue un motif permettant de reconnaître que le travailleur a des motifs pour le relever du défaut d’avoir respecté le délai de l’article 358 de la Loi.
[27] Le motif de la Commission pour refuser au travailleur le droit de continuer à contribuer au régime de retraite de la construction est à l’effet que le travailleur était sans emploi. Ce motif doit être écarté, car à la suite de l’événement accidentel du 12 décembre 2012, le travailleur n’a jamais été en mesure de reprendre un emploi. La réclamation du travailleur avait été contestée par l’employeur et ce n’est que le 5 avril 2016 que la reconnaissance de la lésion professionnelle est devenue finale. Ce qui techniquement permettrait de déclarer que le travailleur a le droit de continuer à participer à son régime de retraite de l’industrie de la construction tel que prévu à l’article 116 de la Loi.
[28] Toutefois, le soussigné a pris connaissance de la décision rendue le 23 janvier 2019 dans l’affaire Archambault et Les Constructions Lachapelle inc.[4] qui, de manière précise, démontre que les travailleurs de la construction sont exclus des dispositions de l’article 116 de la Loi. Ce choix de législation est questionnable, mais il n’appartient pas au soussigné de le remettre en question, même s’il apparaît comme inéquitable pour les travailleurs de la construction d’assurer leur avenir au niveau financier une fois que les indemnités de remplacement du revenu prennent pris fin.
[29] Le Tribunal, pour fin de compréhension, reprend ici des extraits de la décision Archambault :
[21] Puisque l’article 2 de la Loi réfère spécifiquement à la Loi sur la santé et la sécurité du travail4, la LSST, afin de définir ce qui constitue un « établissement » et un « chantier de construction », il y a lieu de se référer aux définitions contenues à l’article 1 de cette loi. Le Tribunal ne retient donc pas l’argument selon lequel la référence à la LSST est une erreur dans le cas présent.
[22] La LSST définit ces notions comme suit :
« établissement » : l’ensemble des installations et de l’équipement groupés sur un même site et organisés sous l’autorité d’une même personne ou de personnes liées, en vue de la production ou de la distribution de biens ou de services, à l’exception d’un chantier de construction ; ce mot comprend notamment une école, une entreprise de construction ainsi que les locaux mis par l’employeur à la disposition du travailleur à des fins d’hébergement, d’alimentation ou de loisirs, à l’exception cependant des locaux privés à usage d’habitation.
« chantier de construction » : un lieu où s’effectuent des travaux de fondation, d’érection, d’entretien, de rénovation, de réparation, de modification ou de démolition de bâtiments ou d’ouvrages de génie civil exécutés sur les lieux mêmes du chantier et à pied d’œuvre, y compris les travaux préalables d’aménagement du sol, les autres travaux déterminés par règlement et les locaux mis par l’employeur à la disposition des travailleurs de la construction à des fins d’hébergement, d’alimentation ou de loisirs ;
[23] Les chantiers de construction sont donc expressément exclus de la notion d’établissement.
[24] Le législateur, en précisant que cet article vise la participation « au régime de retraite offert dans l’établissement où il travaillait au moment de sa lésion » a donc choisi d’exclure les travailleurs exécutant leur travail sur des chantiers de construction.
[…]
[27] Or l’article 235 de la Loi est situé dans la section I du chapitre IV de la Loi, qui conformément au deuxième alinéa de l’article 234 ne s’applique pas aux travailleurs de la construction.
[28] Ceci est une autre indication permettant d’appuyer la conclusion selon laquelle l’article 116 ne s’applique pas aux travailleurs de la construction.
[29] À ce sujet, le Tribunal après une analyse des dispositions pertinentes conclut dans l’affaire Ouellet et Constructeur GPC inc. (Syndic de)6 :
[39] Or, le second alinéa de l’article 116 ajoute que, pendant la période où l’employeur est tenu d’assumer sa part en vertu du second paragraphe du premier alinéa de l’article 235, la CSST sera dispensée de ce paiement.
[40] Il en ressort donc que l’article 116 se trouve à être le prolongement des droits prévus à l’article 235 paragraphe 2° de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[…]
[73] Il résulte donc de ces définitions que le législateur a spécifiquement exclu les chantiers de construction et, qu’en conséquence, à l’intérieur même de l’article 116, le législateur réitère, par ce biais, la distinction spécifiquement énoncée à l’article 234.
[74] Dès lors, force nous est de conclure que les travailleurs de construction ne peuvent bénéficier des dispositions des articles 235 paragraphe 2 et 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[30] Le Tribunal est donc d’avis que puisque le travailleur est un travailleur de la construction, il ne peut bénéficier de l’application de l’article 116 de la Loi.
________________
4 RLRQ, c. S -2,1.
6 C.L.P. 117232-02-9905, 2000-09-20, P. Simard. ; Voir également Y.L. et Compagnie A, précitée, note 4.
[30] Le travailleur doit donc effectuer des démarches, si cela n’a pas encore été fait, auprès de la Commission de la construction du Québec afin de pouvoir participer à son régime de retraite, tel que le Règlement sur les régimes complémentaires d’avantages sociaux dans l’industrie de la construction[5], si un tel régime existe.
[31] Les dispositions de l’article 453 de la Loi permettent à un travailleur, malgré qu’il soit à l’extérieur d’un délai, de présenter une réclamation pour un régime public ou privé accordant des bénéfices. Cet article stipule les éléments suivants :
453. Une demande de prestations à la Commission conserve au bénéficiaire son droit de réclamer les bénéfices de la Loi sur le régime de rentes du Québec (chapitre R-9) ou de tout autre régime public ou privé d’assurance, malgré l’expiration du délai de réclamation prévu par ce régime.
Ce délai recommence à courir à compter du jour de la décision finale rendue sur la demande de prestations.
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1985, c. 6, a. 453.
[32] Sur cette question, il y a donc lieu de déclarer que le travailleur ne peut bénéficier des dispositions de l’article 116 de la Loi.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
Dossier 667354-62C-1805
ACCUEILLE la contestation de monsieur Yanick Leroux;
INFIRME la décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail rendue le 11 avril 2018 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 27 juin 2017 et qu’il a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
DÉCLARE que monsieur Yanick Leroux a droit au remboursement de la polygraphie cardiorespiratoire du sommeil.
Dossier 688269-62C-1901
REJETTE la contestation de monsieur Yanick Leroux;
CONFIRME pour d’autres raisons la décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail rendue le 17 janvier 2019 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Yanick Leroux ne peut bénéficier des dispositions de l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Simon Lemire |
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M. Yanick Leroux |
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Pour lui-même |
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M. Olivier Tremblay |
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C.M.I. ET PRÉVENTIVE DU QUÉBEC INC. |
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Pour les parties mises en cause |
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Date de la dernière audience : 18 mars 2019 |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.