3087-4036 Québec inc. (Portes unies St-Michel 1993) c. 4229177 Canada inc. |
2013 QCCQ 4349 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
500-22-193384-123 |
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DATE : |
1er mai 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
HENRI RICHARD, J.C.Q. |
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3087-4036 QUÉBEC INC. (Les Portes Unies St-Michel 1993) |
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Demanderesse |
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c. |
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4229177 CANADA INC. |
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et |
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CONSTRUCTION SOPRA INC. |
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Défenderesses |
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JUGEMENT |
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[1] Par son action en inopposabilité, 3087-4036 Québec inc. (« PUSM ») demande que soit déclaré inopposable à son égard un acte de vente intervenu le 24 octobre 2006 entre 4229177 Canada inc. (« 422 ») et Construction Sopra inc. (« Sopra »).
[2] Seule 422 conteste l’action de PUSM et plaide sa bonne foi.
Question en litige
[3] 422 est-elle de bonne foi lorsqu’elle acquiert un immeuble de Sopra le 24 octobre 2006 ?
Les faits
[4] Un promoteur immobilier, François Milani, agissant par une compagnie dont il est le seul administrateur, Cortim S.A., entreprend de convertir trois vieux bâtiments industriels en unités de copropriété divise.
[5] Cette conversion s’effectue en trois phases successives qui donnent naissance à trois projets connus sous les noms de Le Spazio, Le Solstice et Le Sopra.
[6] Afin de réaliser ces projets de conversion et de construction, François Milani est mis en contact avec Pierre Despatie qui œuvre dans le domaine de l’investissement immobilier.
[7] Afin de démarrer la première phase du projet en cause, Le Spazio, M. Despatie et sa famille remettent deux chèques au montant total de 600 000 $ datés du 10 octobre 2003 libellés au nom du procureur de Cortim S.A.
[8] Il est prévu qu’en échange de cet investissement, une compagnie à être formée par M. Despatie et sa famille recevrait 49 % des actions des trois compagnies reliées aux trois projets concernés.
[9] Ainsi, en avril 2004, M. Despatie forme 422, dont il est administrateur avec son épouse et son fils.
[10] Il est admis que 422 détient 49 % des actions des trois compagnies créées pour la construction du Spazio, du Solstice et du Sopra. Cependant, M. Despatie n’est pas administrateur ni officier de l’une ou l’autre de ces compagnies.
[11] De plus, Pierre Despatie devient le directeur des ventes des unités de copropriété de ces trois projets avec un salaire calculé sur une base annuelle.
[12] MM. Milani et Despatie ne conviennent pas par écrit des termes de leur relation d’affaires. Le tout s’effectue verbalement, en échange de quoi 422 reçoit des actions des trois compagnies reliées aux trois projets de conversion et de construction. Il en est de même quant au partage des profits qui doit être déterminé ultérieurement.
[13] À la fin de la réalisation du premier projet, Le Spazio, la deuxième phase, Le Solstice, est entreprise. Les ventes vont bon train et M. Despatie témoigne n’avoir aucun doute quant au succès financier de ces projets.
[14] À l’automne 2004, au moment d’entreprendre la réalisation de la troisième phase, Le Sopra, M. Despatie est requis d’investir 100 000 $ additionnels. Deux chèques de 50 000 $ sont alors émis à la fin septembre et au début octobre 2004.
[15] Par la suite, bien que les ventes vont bon train, M. Despatie décide de mettre un terme à sa relation d’affaires avec M. Milani. Le 4 avril 2005, intervient une « Entente de remboursement et de finalisation des relations d’affaires » par laquelle Sopra se reconnaît endettée envers M. Despatie d’une somme de 700 000 $ et s’engage à lui rembourser 400 000 $ par le transfert d’une unité de copropriété divise et le solde au plus tard le 30 septembre 2006. En échange, M. Despatie s’engage à remettre et à endosser tout certificat d’actions que 422 détient dans les trois compagnies reliées aux trois projets.
[16] En juin 2006, 422 reçoit 140 000 $ en remboursement partiel des sommes investies par M. Despatie et sa famille. En août 2006, 422 reçoit 250 000 $ aux mêmes fins.
[17] Le 24 octobre 2006, par acte de vente sous seing privé, Sopra vend à 422 une unité de copropriété divise dont le montant de la contrepartie est de 400 000 $, aux fins de la détermination des droits de mutation. Aucun prix de vente n’est prévu.
[18] À cet acte, il est fait référence à quatre hypothèques légales de la construction publiées, de même qu’à deux hypothèques conventionnelles. De plus, l’acte prévoit :
« 23. La présente vente est faite dans le but d’acquitter en partie une dette due par le vendeur (Sopra) à l’acquéreur (422). Le vendeur donne à l’acquéreur quittance totale et finale pour le paiement du prix de vente. »
[19] PUSM est un fabricant de portes et le fournisseur pour les trois projets. Un solde de 35 740,99 $ lui est dû par Sopra. Le représentant de PUSM, M. Fabien Tremblay, rencontre M. Milani à la fin juin ou au début juillet 2006 afin d’être payé. Malgré les promesses de M. Milani, il n’entend plus parler de lui.
[20] Ceci étant, à la fin octobre 2006, PUSM entreprend devant la Cour du Québec des procédures en réclamation du solde de 35 740,99 $ (dossier numéro 500-22-128399-063).
[21] Sopra conteste cette réclamation et produit une demande reconventionnelle.
[22] Un mois avant la date prévue pour le procès dans ce dossier, les 5 et 6 décembre 2007, les avocats de Sopra informent ceux de PUSM avoir reçu des instructions de ne pas présenter de défense et de demande reconventionnelle.
[23] PUSM procède donc par défaut et le 27 décembre 2007, la Cour du Québec condamne Sopra à payer à PUSM 35 740,99 $ avec intérêts et dépens[1].
[24] À la suite du jugement rendu en sa faveur, PUSM entreprend les procédures d’exécution et constate l’insolvabilité de Sopra, en plus d’apprendre le transfert à 422 d’une unité de copropriété divise intervenu en octobre 2006, qui fait l’objet de son action en inopposabilité.
Analyse
[25] L’action en inopposabilité de PUSM est fondée sur les articles 1631 et suivants du Code civil du Québec (« C.c.Q. »). Les articles 1631 , 1632 , 1634 et 1635 C.c.Q. prévoient :
« 1631. Le créancier, s'il en subit un préjudice, peut faire déclarer inopposable à son égard l'acte juridique que fait son débiteur en fraude de ses droits, notamment l'acte par lequel il se rend ou cherche à se rendre insolvable ou accorde, alors qu'il est insolvable, une préférence à un autre créancier.
1632. Un contrat à titre onéreux ou un paiement fait en exécution d'un tel contrat est réputé fait avec l'intention de frauder si le cocontractant ou le créancier connaissait l'insolvabilité du débiteur ou le fait que celui-ci, par cet acte, se rendait ou cherchait à se rendre insolvable.
1634. La créance doit être certaine au moment où l'action est intentée; elle doit aussi être liquide et exigible au moment du jugement sur l'action.
La créance doit être antérieure à l'acte juridique attaqué, sauf si cet acte avait pour but de frauder un créancier postérieur.
1635. L'action doit, à peine de déchéance, être intentée avant l'expiration d'un délai d'un an à compter du jour où le créancier a eu connaissance du préjudice résultant de l'acte attaqué ou, si l'action est intentée par un syndic de faillite pour le compte des créanciers collectivement, à compter du jour de la nomination du syndic. »
[26] Quant aux conditions relatives au créancier, en l’occurrence PUSM, la qualité de sa créance ne fait aucun doute. Elle est certaine au moment où son action en inopposabilité est intentée, en juin 2008. Elle est aussi liquide et exigible à la date du présent jugement, en conséquence du jugement rendu le 27 décembre 2007 par la Cour du Québec.
[27] Aussi, la créance de PUSM est antérieure à l’acte de vente du 24 octobre 2006, notamment en raison de la promesse de paiement de M. Milani effectuée auprès du représentant de PUSM, M. Fabien Tremblay, à la fin juin ou au début juillet 2006.
[28] Quant à l’article 1635 C.c.Q., l’action de PUSM est intentée de façon diligente puisqu’elle a connaissance de l’« acte attaqué » après le jugement de la Cour du Québec du 27 décembre 2007, alors qu’elle intente son action en inopposabilité en juin 2008.
[29] La Cour d’appel résume ainsi les conditions nécessaires à l’exercice d’une action en inopposabilité:
« 1. Le demandeur doit avoir, contre son débiteur qui aliène, une créance valable et antérieure à l’acte d’aliénation;
2. L’acte d’aliénation doit causer préjudice au créancier-demandeur;
3. Le débiteur doit avoir agi avec l’intention de frauder;
4. Celui qui a contracté avec le débiteur n’était pas de bonne foi. »[2]
[30] Dans son action en inopposabilité, PUSM prétend que l’acte de vente sous seing privé du 24 octobre 2006 « a, à sa face même, été fait sans contrepartie valable ». La preuve démontre le contraire. Le but de cet acte est d’acquitter en partie l’investissement de M. Despatie et sa famille, qui est devenu celui de 422, par le transfert d’une unité de copropriété divise alors évaluée à 400 000 $. Il s’agit donc d’un contrat à titre onéreux, au sens de l’article 1632 C.c.Q.
[31] À première vue, l’article 1632 C.c.Q. donne raison à PUSM. 422 connaissait l’insolvabilité de Sopra qui ne paie pas plusieurs fournisseurs, tel qu’il appert notamment de l’inscription de nombreuses hypothèques légales de la construction.
[32] Par la simple connaissance par 422 de l’insolvabilité de Sopra, l’article 1632 C.c.Q. prévoit que le contrat du 24 octobre 2006 est « réputé » fait avec l’intention de frauder. Il s’agit d’une présomption dite irréfragable, en vertu du deuxième alinéa de l’article 2847 C.c.Q. :
« 2847. La présomption légale est celle qui est spécialement attachée par la loi à certains faits; elle dispense de toute autre preuve celui en faveur de qui elle existe.
Celle qui concerne des faits présumés est simple et peut être repoussée par une preuve contraire; celle qui concerne des faits réputés est absolue et aucune preuve ne peut lui être opposée.»
(soulignement du Tribunal)
[33] Cependant, les auteurs Baudouin, Jobin et Vézina sont d’avis que « c’est sans doute par inadvertance que le législateur n’a pas saisi le lien apparent entre l’emploi du terme « réputé », comme dans l’ancien Code, et la nouvelle disposition qui présente désormais une définition légale de ce terme. Le maintien du droit antérieur n’est d’ailleurs pas dénué de logique.[3] ». De plus, ces auteurs ajoutent : « En outre, il n’est pas certain que la définition légale de l’article 2847 soit contraignante; elle peut se concevoir comme une disposition interprétative que le juge pourrait écarter lorsque le contexte le veut. Il nous semble donc permis de conclure que tout en permettant de faire tomber la présomption générale de bonne foi établie par l’article 2805, la connaissance de l’insolvabilité du débiteur par le tiers n’empêche pas ce débiteur de faire la preuve de sa bonne foi ».
[34] La position de ces auteurs est reprise avec approbation par la majorité de la Cour d’appel, sous la plume du juge André Forget, dans Banque Nationale du Canada c. S.S. (« Banque Nationale du Canada »)[4]. Les passages suivants méritent d’être soulignés :
« [54] S'il fallait retenir l'interprétation suggérée par la Banque, il faudrait conclure que tout paiement qui entraîne l'insolvabilité du débiteur, à la connaissance du créancier, serait nécessairement «frauduleux» même s'il est fait dans le cours ordinaire des affaires.[…]
[56] Il est vrai que le ministre ajoute que les «exigences de la bonne foi sont resserrées» et que «la connaissance de l'état d'insolvabilité, atteinte ou recherchée, du débiteur constitue désormais un obstacle à la bonne foi»; par contre, il précise que «comme dans le passé, il (l'article 1632 C.c.Q.) préserve les droits du tiers de bonne foi qui a fourni valeur, en contrepartie du contrat ou du paiement». Si la présomption est irréfragable, je ne peux voir comment les droits du tiers de bonne foi seront protégés et je ne peux davantage comprendre pour quelle raison le législateur décréterait, de façon incontestable, qu'un créancier est de mauvaise foi alors que ce n'est manifestement pas le cas et qu'il est en mesure de le démontrer.
[57] Il est certain que le tribunaux doivent respecter l'intention du législateur (sauf évidemment si la validité de la loi est contestée) lorsqu'elle est clairement exprimée, ce qui ne me semble pas être ici le cas. Certes, il eût été préférable - comme le soulignent certains des auteurs précités - que la clarification ait été apportée par le législateur afin de maintenir une interprétation cohérente de l'article 2847 C.c.Q. Toutefois, cela n'a pas été fait.
[58] Quoi qu'il en soit, s'il subsiste une ambiguïté à l'article 1632 C.c.Q., je préfère maintenir le droit du créancier de bonne foi, plutôt que de l'en priver injustement.
[59] Enfin, il faut le rappeler, selon l'article 1631 C.c.Q. - qui établit les paramètres de l'action en inopposabilité - le créancier qui subit un préjudice doit prouver l'intention frauduleuse de son débiteur et, par implication nécessaire, la mauvaise foi du tiers. Or, je suis incapable de conclure que S... S... était de mauvaise foi. »
[35] Dans l’état actuel du droit québécois, même si 422 a connaissance de l’insolvabilité de Sopra au moment de signer l’acte attaqué du 24 octobre 2006, elle peut contrer l’action en inopposabilité de PUSM en démontrant sa bonne foi. Qu’en est-il ?
[36] Tel qu’indiqué, contrairement aux allégations et prétentions de PUSM, l’acte attaqué est un contrat à titre onéreux, ce qui écarte l’application de l’article 1633 C.c.Q. :
« 1633. Un contrat à titre gratuit ou un paiement fait en exécution d'un tel contrat est réputé fait avec l'intention de frauder, même si le cocontractant ou le créancier ignorait ces faits, dès lors que le débiteur est insolvable ou le devient au moment où le contrat est conclu ou le paiement effectué. »
[37] Après analyse, le Tribunal conclut que 422 est de bonne foi lorsqu’elle conclut l’acte sous seing privé du 24 octobre 2006.
[38] Bien que 422 ait connaissance de l’insolvabilité de Sopra, cet acte est fait « dans le cours ordinaire des affaires », pour reprendre les termes du juge Forget dans Banque Nationale du Canada. Il en est ainsi puisque cet acte fait suite à un investissement réel de 700 000 $ dont une partie est remboursée par chèques en juin et août 2006, alors que le solde est payé par le transfert de l’unité de copropriété divise visée par cet acte.
[39] PUSM peut reprocher à M. Despatie le manque de diligence dans la gestion de ses affaires et l’absence d’écrit dans ses relations d’affaires avec François Milani et ses compagnies. Cependant, ces reproches n’établissent pas la mauvaise foi de M. Despatie.
[40] En fait, l’acte attaqué est la dernière étape de la terminaison des relations d’affaires entre 422 et Sopra. Pour reprendre une expression connue dans le monde des affaires, par cet acte, M. Despatie et sa famille reprennent leurs « billes », correspondant à l’investissement initial.
[41] En conséquence, vu l’absence de preuve de mauvaise foi de la part de 422 et de son président, Pierre Despatie, le Tribunal rejette l’action en inopposabilité de PUSM. Cependant, exerçant sa discrétion judiciaire, le Tribunal n’impose aucuns frais.
PAR CES MOTIFS, le Tribunal:
REJETTE l’action en inopposabilité de 3087-4036 Québec inc. (Les Portes Unies St-Michel 1993), chaque partie payant ses frais.
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__________________________________ Henri Richard, J.C.Q. |
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Me Réjean Kingsbury, |
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(TALBOT KINGSBURY) |
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pour la demanderesse |
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Me Régis Nivoix, |
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(DOYON IZZI NIVOIX) |
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pour la défenderesse 4229177 Canada inc. |
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Dates d’audience : |
10 et 11 avril 2013 |
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[1] 3087-4036 Québec inc. c. Construction Sopra inc., 2007 QCCQ 13685 .
[2] Duchesne c. Labbé, (1973) C.A. 1002 ; Provost c. Terrassement MRD inc., J.E. 2006-1894 (C.A.); Duchesne c. Demers, [2004] R.J.Q. 2909 (C.A.), Peluso c. Réalisations Mont-Chatel inc., [1998] R.J.Q. 2245 (C.A.); Berthiaume c. Ginsberg, Gingras & Associés inc., J.E. 2007-274 (C.A.); Réserve de bois Morin et Blanchette inc. c. Tremblay, J.E. 2012-381 (C.A.).
[3] Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les Obligations, 6e édition, Éditions Yvon Blais, 2005, par Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, par. 764.
[4] [2000] R.J.Q. 658 (C.A.).
AVIS :
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