Sraidi et RMB extermination inc. |
2011 QCCLP 4382 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Montréal |
23 juin 2011 |
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Région : |
Montréal |
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Dossier CSST : |
132347212 |
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Commissaire : |
Lina Crochetière, juge administratif |
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Membres : |
André Guénette, associations d’employeurs |
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Luce Beaudry, associations syndicales |
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Assesseur : |
Pedro Molina-Negro, médecin |
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Aziz Sraidi |
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Partie requérante |
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et |
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RMB extermination inc. |
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Partie intéressée |
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et |
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
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Dossier 409651-71-1004
[1] Le 28 avril 2010, monsieur Aziz Sraidi (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 17 mars 2010, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, l’instance de révision confirme la décision du 12 janvier 2010 qui suspend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 11 janvier 2010.
Dossier 418239-71-1008
[3] Le 23 août 2010, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 8 juillet 2010, à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, l’instance de révision confirme la décision initiale rendue le 7 avril 2010 et refuse de reconnaître l’existence d’une relation causale entre un diagnostic de dépression majeure et l’événement du 9 octobre 2007.
[5] L’audience est tenue à Montréal le 22 mars 2011. Le travailleur est présent et non représenté. La compagnie RMB Extermination inc. (l’employeur) est représentée. La CSST n’est pas représentée. La cause est prise en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
Dossier 409651-71-1004
[6] Le travailleur demande d’annuler la suspension de son indemnité de remplacement du revenu du 11 janvier 2010 au 11 février 2010.
Dossier 418239-71-1008
[7] Le travailleur demande de reconnaître que le diagnostic de dépression majeure est en relation avec sa lésion professionnelle du 9 octobre 2007.
L’AVIS DES MEMBRES
Dossier 409651-71-1004
[8] La membre issue des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête au motif que la CSST n’était pas justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu car aucune preuve ne démontre que le voyage au Maroc a retardé la guérison du travailleur.
[9] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête au motif que la CSST était justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu car elle avait informé le travailleur que l’autorisation ne valait que jusqu’au 24 décembre 2009.
Dossier 418239-71-1008
[10] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis de rejeter la requête au motif qu’aucune preuve médicale prépondérante ne démontre l’existence d’une relation causale entre le diagnostic de dépression majeure et l’événement du 9 octobre 2007.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[11] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST était justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période du 11 janvier 2010 au 11 février 2010 et si le diagnostic de dépression majeure mentionné au rapport médical du 2 mars 2010 émis par le médecin qui a charge du travailleur est en relation avec la lésion professionnelle du 9 octobre 2007.
[12] Le travailleur est technicien en extermination chez l’employeur depuis mai 2007. Il est originaire du Maroc, vit au Canada depuis le 13 août 2004 et est âgé de 31 ans au moment de sa réclamation.
[13] Le 9 octobre 2007, il subit une lésion professionnelle lorsqu’il veut déplacer un lit pour appliquer un traitement et que le lit manque de tomber sur un meuble en vitre. Le travailleur essaie de le bloquer et ressent un étirement puis une douleur au dos.
[14] Le 10 octobre 2007, le travailleur consulte le docteur Paul-André Pelletier, rhumatologue, qui le prend en charge, diagnostique une lombosciatalgie aiguë et prescrit un arrêt de travail.
[15] Le 31 octobre 2007, le docteur Pelletier demande une résonance magnétique de la colonne lombo-sacrée et écrit les renseignements cliniques suivants :
Lombalgies récidivantes : 3e épisode aigu le 09 oct 2007. A déjà eu scialtagie dte.
Aujourd’hui 31-10-07 : douleur persiste.
[16] Le 15 novembre 2007, la résonance magnétique révèle la présence d’une hernie discale para-centrale droite au niveau L3-L4 comprimant la racine de L4 à droite et d’une hernie discale intra-foraminale gauche au niveau L5-S1 comprimant la racine de L5 à gauche.
[17] Le 5 décembre 2007, le docteur Pelletier réfère le travailleur en neurochirurgie.
[18] Le 13 février 2008, le docteur Pelletier demande une deuxième résonance magnétique, le neurochirurgien consulté aurait vu une hernie discale au niveau L2-L3.
[19] Le 26 février 2008, la résonance magnétique est reprise et donne les mêmes résultats. Le radiologiste explique que le travailleur présente une lombarisation de S1 et que le neurochirurgien a probablement fait erreur dans le décompte lorsqu’il a considéré que la hernie était au niveau L2-L3 plutôt qu’au niveau L3-L4.
[20] Le 14 mai 2008, le docteur Pelletier note que la sciatique droite a pratiquement disparu.
[21] Le 19 juin 2008, le docteur Pelletier écrit que le travailleur présente une lombosciatalgie bilatérale et a besoin d’analgésiques, de physiothérapie et d’ergothérapie.
[22] Le 2 juillet 2008, le docteur Pelletier constate une légère amélioration mais mentionne que certains traitements entraînent une exacerbation des lombalgies et sciatalgies. Il recommande la poursuite de la physiothérapie et de l’ergothérapie dans l’attente de l’avis d’un physiatre et d’un neurochirugien.
[23] Le 22 août 2008, la CSST reconnaît l’existence d’une relation causale entre ces diagnostics de hernies discales et l’événement du 9 octobre 2007.
[24] Le 4 février 2009, la docteure Jacqueline Ancoye Chan, physiatre, recommande une infiltration épidurale au niveau L4 droite.
[25] Le 5 mars 2009, une troisième résonance magnétique est demandée par le docteur Pelletier. Une nouvelle interprétation est faite. La hernie discale rapportée au niveau L3-L4 en 2008 se situe plutôt au niveau L4-L5 et est légèrement plus prohéminente. La hernie discale au niveau L5-S1 n’a pas changé.
[26] Le 20 avril 2009, le docteur Rizkallah Rizkallah, chirurgien orthopédiste, recommande des blocs facettaires.
[27] Le 20 mai 2009, madame Marie-Claude Côté de la CSST discute avec le travailleur qui relate ses symptômes de douleurs constantes. Les docteurs Chan et Giguère ont tous deux conseillé des infiltrations mais, selon le travailleur, le docteur Pelletier désire obtenir l’opinion de d’autres médecins avant de prescrire ces infiltrations. Madame Côté donne de l’information générale au travailleur quant à l’existence de divers traitements :
[…]
Je m’informe auprès du T si son médecin ou lui-même a déjà penser à d’autres types de traitements qui pourraient l’aider à gérer sa douleur? T dit que non pour le moment. Mentionne qu’il existe différents types de programmes : hygiène posturale, clinique de la douleur, développement de capacité, ergothérapie en piscine. Il mentionne que l’ergothérapeute avait fait quelques suggestions. L’invite à transmettre ses suggestions à son médecin traitant. [sic]
[…]
[28] Le 29 mai 2009, le docteur Pelletier mentionne que la condition lombaire du travailleur est aggravée, qu’il verra un neurochirurgien et fera des exercices en piscine.
[29] En juillet et août 2009, à de nombreuses reprises, le travailleur s’absente de ses traitements de physiothérapie car il souffre de zona.
[30] Le 16 juillet 2009, la docteure Radia Bakalem-Louli suggère, pour la condition lombaire, une infiltration foraminale.
[31] Le 14 septembre 2009, le docteur Pelletier écrit sur un formulaire de prescription (et non sur un rapport CSST) :
Demande de consultation en psychologie
- CSST en 2007
- depuis : peu soulagé par Tx conservateurs
- lésions cutanées reliées au (illisible)?
[32] Le 18 septembre 2009, monsieur Léger de la CSST écrit aux notes évolutives avoir reçu un message du travailleur dans sa boîte vocale portant sur la recommandation du neurochirurgien de recevoir des infiltrations et portant sur le fait que « son médecin traitant le réfère en psychologie pour l’aider à gérer son deuil par rapport aux pertes de capacités qu’il a suite à son accident ».
[33] À la suite d’une conversation tenue le même jour, monsieur Léger écrit que le travailleur déclare avoir consulté un neurochirurgien qui lui a suggéré des infiltrations mais que le docteur Pelletier a toujours été contre les infiltrations. Le travailleur ne sait pas si ce dernier changera d’idée. Si le docteur Pelletier lui prescrit l’infiltration, le travailleur se propose de retourner voir la docteure Chan ou de se présenter à l’Institut de physiatrie. Monsieur Léger n’ajoute rien concernant la référence en psychologie.
[34] Le 22 septembre 2009, madame Lefebvre, conseillère en réadaptation, rencontre le travailleur et écrit aux notes évolutives à propos des consultations en psychologie :
T m’informe avoir pris l’initiative de consulter une psychologue pour des difficultés d’humeur qu’il ne seraient pas nécessairement toutes liées à sa lésion et ses conséquences, mais qui l’empêchent de reprendre sa vie en main selon lui. T dit avoir espoir d’y voir plus clair. [sic]
(le tribunal souligne)
[35] Le 22 septembre 2009, madame Lefebvre demande au travailleur s’il serait intéressé à bénéficier d’un programme de développement de capacité avec gestion de la douleur. Ce dernier se dit intéressé et manifeste sa préférence pour la Clinique d’Évaluation et de Réadaptation de l’Est (CERE). Madame Lefebvre s’engage à consulter le docteur Pelletier à ce sujet.
[36] Le 3 novembre 2009, le docteur Pelletier rapporte que le neurochirurgien, le docteur Jean-François Giguère, recommande des blocs facettaires.
[37] Le 6 novembre 2009, madame Karima Belani, psychologue, écrit :
[…]
Monsieur SRAID AZIZ est en suivi psychologique avec nous pour une dépression majeure.
Nous suggérons un voyage dans son milieu familial pour qu’il se ressource.
[…]
[38] Le 11 novembre 2009, le docteur Jacques Étienne Des Marchais, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur à la demande de la CSST.
[39] Au niveau des antécédents, le docteur Des Marchais rapporte que, depuis 15 ans, le travailleur souffre de maux de dos mais n’a pas été mis en arrêt de travail. Il rapporte aussi qu’au niveau systémique, le travailleur souffre de psoriasis depuis 17 ans. Après revue du dossier et examen clinique, le docteur Des marchais émet l’opinion suivante :
[…]
- Compte tenu qu’il s’agit d’un patient qui présentait dans le passé des lombalgies depuis plus de 15 ans, associées à un psoriasis;
- compte tenu des résultats de la résonance magnétique, en particulier la dernière qui montrait une augmentation de la hernie discale en L4-L5;
- compte tenu cependant qu’à l’examen clinique, le patient présente des amplitudes qui sont complètes, mais après beaucoup d’insistance;
- compte tenu que l’état du malade persiste depuis 2 ans sans qu’il n’ait bénéficié d’épidurale;
CONCLUSION
1. Nature nécessité et suffisance de traitements
Il nous apparaît impérieux que ce patient soit soumis à une série de 3 épidurales, et rapidement, si l’on veut éviter un processus de chronicisation qui est en train de s’installer.
2. Date de consolidation
Le patient n’est pas encore consolidé.
[…]
[40] Le 12 novembre 2009, madame St-Pierre de la CSST prend les messages téléphoniques suivants :
Titre : Référence en psychologie
- ASPECT MÉDICAL :
Message reçu de T : demande de retour d’appel car suite à une discussion avec l’agent, il était question que T puisse consulter un psychologue. T a maintenant 5 rencontre de fait et la psychologue est toujours dans l’attente d’un contrat et d’un paiement de la CSST. Numéro de Mélanie psychologue (…)
2ième message reçu de T : la psychologue lui a dit que la CSST n’était pas au courant pourtant T avait une prescription au dossier par le médecin traitant.
L’ancien agent aurait demandé uniquement le nom et le numéro de la psychologue et que ce serait payé. Il rapporte aussi avoir eu une conversation à ce sujet avec la conseillère le 21 septembre 2009.
L’agente transmet le message à la conseillère car il n’y a pas de diagnostic psychologique justifiant qu’en indemnisation ces traitements soient payés. [sic]
(le tribunal souligne)
[41] Le 12 novembre 2009, madame Lefebvre reçoit l’appel téléphonique de la psychologue, madame Belani, et consigne ce qui suit aux notes évolutives :
[…]
Madame est psychologue et dit avoir vu T à 5 reprises après qu’il ait dit que la CSST paierait. N’ayant toujours pas de contrat de la part de la CSST, celle-ci a mis fin aux rencontres le temps nécessaire pour clarifier la situation.
Je demande à mme si elle a eu une conversation avec un intervenant de la CSST au sujet de cette « référence »; mme dit que non, qu’elle a cru le T sur parole.
J’informe mme que T n’a pas de lésion psy reconnue comme étant en lien avec son accident de travail et que cela signifie que nous n’aurions pas pu autoriser ce suivi; je l’informe que je vais pousser mes vérifications et lui revenir là-dessus rapidement. [sic]
(le tribunal souligne)
[42] Le 12 novembre 2009, madame Lefebvre téléphone au travailleur pour lui expliquer que les traitements en psychologie ne peuvent être assumés par la CSST parce qu’il n’y a aucune lésion psychique reconnue au dossier et aucune demande de récidive, rechute ou aggravation faite à cet égard. Elle l’informe aussi que le docteur Pelletier ne lui a pas répondu concernant la référence à un programme de développement des capacités et de gestion de la douleur.
[43] Le 17 novembre 2009, le docteur Pelletier se dit d’accord avec ce programme. Il rappelle avoir recommandé une psychothérapie le 14 septembre 2009 mais que cette thérapie n’a pas encore été approuvée par la CSST. Rappelons qu’en date du 17 novembre 2009, il n’a encore produit aucun rapport médical au dossier comportant un diagnostic de nature psychique. De plus, le docteur Pelletier écrit :
Pour des motifs physiques et psychiques, ce T doit retrouver son milieu familial, pour une durée indéterminée.
[44] Le 18 novembre 2009, madame St-Pierre écrit aux notes évolutives :
Titre : Refus de psychologie + vacances et suspension possible
[…]
T dit qu’il compte aller au Maroc du 24 novembre au 10 février 2010
Il rapporte que le médecin est d’accord avec la référence en gestion de la douleur mais T veut le faire à l’endroit de son choix c'est-à-dire dans une clinique de la douleur car il a mal. Il dit avoir le choix de ses médecin ce que l’agente confirme pour le médecin traitant mais pour ce qui est des références de réadaptation, il n’a généralement pas le choix des cliniques.
Donc le médecin est d’accord avec la proposition de la CSST et pour les infiltrations mais uniquement suite au retour du Maroc.
T fait toujours de la physio 3 fois par semaine.
[…]
T dit se sentir mal psychologiquement et physiquement, il ressent comme s’il étouffe.
T dit qu’il est en dépression majeure selon sa psychologue. Elle lui a aussi suggéré de changer d’air d’où l’idée d’aller au Maroc.
T dit que c’est nécessaire pour sa santé.
T dit avoir perdu toute jouissance de la vie, il n’a plus d’activités, il a de la difficulté à prendre une douche, à faire du ménage, il ne peut pas courir ni jouer au soccer, il dit avoir des problèmes au niveau sexuel et se sent déprimé.
T dit avoir un autre rendez-vous avec la psychologue demain.
L’agente rappelle au T qu’il n’y a pas d’autorisation qui a été donné par la CSST à ce sujet.
T n’a pas de diagnostic psychologique relié à l’événement d’origine.
Il n’y a donc pas de raison que la CSST paie pour le moment des traitements en psychologie.
L’agente rapporte que la conseillère a justement suggéré un développement de capacité avec gestion de douleur afin que T puisse bénéficier d’un soutien psychologique. T dit qu’il veut choisir son propre psychologue. L’agente dit au T qu’avant de s’engager dans des frais au nom de la CSST, il faut d’abord l’autorisation de la CSST chose qu’il n’avait pas fait.
T rapporte que l’ancien agent ne lui aurait pas dit que c’était refusé.
L’agente ajoute qu’il n’avait pas accepté non plus et que suite à une conversation à ce sujet, l’agent dit qu’il avait référé le T au CSSS car les services en psychologie sont gratuit.
- ASPECT LÉGAL
L’agente explique au T que puisqu’il a toujours des traitements, la CSST accorde au T d’être 1 mois à l’extérieur du Québec.
Un mois suite à son départ, il sera suspendu des indemnités c’est donc au choix de T pour la durée. [sic]
[…]
(le tribunal souligne)
[45] Le 19 novembre 2009, le docteur Pelletier écrit à la CSST :
- Auriez-vous l’amabilité de me préciser l’article de la LATMP qui oblige un T. à passer sa vie dans la ville où il a subi son accident pendant que son dossier est ouvert à la CSST?
- il existe une relation évidente, dans son cas, entre son accident et son état psychologique actuel (dépression majeure, avec psychothérapie).
- M. Sraidi doit, pour des raisons physiques et psychiques, retrouver son milieu familial pour au moins quelques semaines, étant donné qu’il vit seul à Montréal depuis plus de 5 ans. [sic]
[…]
[46] Le même jour, le docteur Pelletier émet un rapport médical au même effet mais recommandant un séjour d’une durée indéterminée dans son milieu familial.
[47] Malgré l’autorisation de la CSST pour une période d’un mois seulement, le travailleur effectue son voyage au Maroc selon les dates qu’il avait projetées, soit du 24 novembre 2009 au 10 février 2010.
[48] Le 11 janvier 2010, madame Roy, agente d’indemnisation, constate que le travailleur n’est pas de retour et écrit aux notes évolutives :
[…]
- ASPECT LÉGAL :
Considérant qu’il avait été convenu avec le T que nous autorisions son départ seulement pour un mois, soit jusqu’au 24 décembre 2009.
Considérant que le T n’est pas de retour du Maroc et qu’il sera de retour seulement en février.
Considérant que le départ du T retarde le processus de guérison.
Suspension des IRR en vertu de l’article 142 de la LATMP. [sic]
[…]
[49] Le 12 janvier 2010, la décision de la CSST est émise à l’effet de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 11 janvier 2010 puisque l’absence, autorisée jusqu’au 24 décembre 2009, se prolonge.
[50] Le 12 février 2010, madame Lefebvre écrit aux notes évolutives que le travailleur lui téléphone pour lui dire qu’il est de retour du Maroc et pour lui demander pourquoi le versement de ses indemnités a été suspendu. Elle écrit :
[…] j’explique que l’entente prise avec l’agente était pour un mois, soit jusqu’au 24 décembre 2009; j’ajoute qu’il devra s’adresser à l’agente pour plus d’explications. […]
[51] Le 12 février 2010, le travailleur demande la révision de cette décision alléguant avoir reçu l’autorisation de s’absenter du 24 novembre 2009 au 10 février 2010 lors d’une conversation téléphonique avec madame Lefebvre le 23 novembre 2009.
[52] Le 25 février 2010, le travailleur rencontre mesdames Lefebvre et Roy pour faire le point sur la situation, le tout étant consigné aux notes évolutives :
o Concernant l’autorisation pour le Maroc, le travailleur affirme avoir compris, d’une discussion avec l’agente d’indemnisation, que ses indemnités seraient payées jusqu’au 24 décembre 2009 seulement mais, à la suite d’une conversation avec madame Lefebvre le lendemain, il a compris qu’il pouvait prolonger son séjour et serait indemnisé jusqu’au 11 février 2010. Madame Lefebvre, conseillère en réadaptation, lui répond qu’elle n’aurait pu autoriser cette prolongation qui est de la responsabilité de l’agente d’indemnisation.
o Le travailleur affirme que son séjour dans sa famille lui a été bénéfique pour ses conditions qu’il qualifie de psychosomatiques. Il a cessé les antidépresseurs.
o Par contre, le travailleur affirme avoir toujours besoin d’un suivi psychologique et il revient sur le fait que monsieur Léger aurait autorisé ce suivi. Madame Roy rappelle au travailleur qu’avant que des traitements psychologiques soient autorisés, il faut qu’au préalable son médecin pose un diagnostic de lésion psychique et que la CSST détermine l’existence d’une relation causale avec l’événement.
o Pour sa lésion physique, il prend sa médication au besoin. Madame Roy explique au travailleur que les docteurs Chan, Rizkallah, Giguère et Des Marchais ont tous recommandé des infiltrations. Le travailleur explique que ça ne le dérange pas mais que le docteur Pelletier exige que ce soit fait par un physiatre. Le travailleur dit avoir vérifié à l’Institut de physiatrie et qu’il y avait un délai d’attente de six mois.
o Le travailleur est référé par la CSST à la clinique d’Évaluation et de Réadaptation de l’Est pour un programme de développement des capacités et de gestion de la douleur.
[53] À la suite de cette rencontre, la CSST reprend rétroactivement le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 12 février 2010.
[54] Le 17 mars 2010, l’instance de révision confirme la décision du 12 janvier 2010, d’où la présente requête du travailleur dans laquelle il écrit :
Je ne suis pas d’accord avec la suspension de l’IRR à partir du 11 janvier 2010 car mon absence du Québec était justifié par mon rhumatologue PELLETIER (le médecin qui a charge) et ma psychologue (BELANI) étant donné les longues attentes pour les traitements suggérés par le Dr Des Marchais. [sic]
(le tribunal souligne)
[55] Entre-temps, le 2 mars 2010, le docteur Pelletier mentionne, pour la première fois au dossier, le diagnostic de dépression majeure dans un rapport médical complété sur un formulaire de la CSST. Il réfère le travailleur à « la clinique Anti-douleur de l’Hôtel-Dieu ou autre centre » et à l’Institut de physiatrie pour une évaluation. Dans la référence à l’Institut de physiatrie, le docteur Pelletier écrit :
[…]
- CSST
- Ce patient souffre de lombalgies depuis oct. 2007.
- Le Dr Chan a proposé une épidural par voie caudale le 4 février 2009
- Le Dr Desmarchais, de la CSST, a proposé une « série de 3 épidurales » en novembre 2009.
- Pouvez-vous l’évaluer?
- Il a en sa possession les papiers nécessaires. [sic]
(le tribunal souligne)
[56] Le 4 mars 2010, madame Roy téléphone au travailleur pour lui demander à quoi il attribue le diagnostic de dépression majeure posé par le docteur Pelletier. Le travailleur l’attribue à ses douleurs, à ses difficultés et à son incapacité à exercer ses tâches quotidiennes.
[57] À la suite de cette conversation, madame Roy contacte la physiothérapeute traitante qui confirme que le travailleur ne reçoit que des traitements de maintien deux fois par semaine. Madame Roy téléphone à l’Institut de physiatrie et on lui confirme que la demande faite par le docteur Pelletier n’est pas pour recevoir des infiltrations mais pour une consultation auprès d’un physiatre[1].
[58] Le 23 mars 2010, madame Lefebvre autorise un programme de réadaptation interdisciplinaire au CERE visant à augmenter les capacités physiques et fonctionnelles du travailleur. Ce programme, devant débuter le 29 mars 2010, prévoit la participation du travailleur cinq jours par semaine.
[59] Toutefois, le 26 mars 2010, le docteur Pelletier prescrit au travailleur de se présenter à ce programme trois demi-journées par semaine et de continuer sa physiothérapie de maintien deux fois par semaine.
[60] Le 20 avril 2010, la coordonnatrice du CERE, madame Milioto, téléphone à madame Roy pour expliquer qu’il est très difficile d’impliquer le travailleur dans son plan de traitement, qu’il se réfère toujours à son médecin traitant malgré qu’elle lui ait dit qu’il doit s’impliquer dans son plan. Madame Milioto considère que, pour être en mesure de mettre en place un programme de développement des capacités, il faut que le travailleur se présente au CERE cinq jours par semaine. Madame Milioto a fixé un rendez-vous téléphonique au docteur Pelletier afin d’expliquer la situation.
[61] Le 22 avril 2010, madame Milioto rappelle madame Roy pour lui dire qu’elle a expliqué au docteur Pelletier, le 20 avril 2010, la nécessité de suivre le programme au minimum cinq demies journées par semaine. Le docteur Pelletier lui a répondu qu’il devait en parler avec le travailleur avant de donner son accord. Le travailleur a rencontré le docteur Pelletier qui a refusé de donner son accord[2]. En de telles circonstances, madame Milioto ne croit plus pertinent de poursuivre et informe la CSST qu’elle doit mettre fin au programme.
[62] Entre-temps, le 7 avril 2010, la CSST refuse de reconnaître l’existence d’une relation causale entre le nouveau diagnostic de dépression majeure (rapport médical du 2 mars 2010) et la lésion professionnelle du 9 octobre 2007. Cette décision est en partie basée sur l’opinion émise le 1er avril 2010 par le docteur Édouard Farkouh, médecin-conseil à la CSST:
- ASPECT MÉDICAL :
Dépression majeure.
- Considérant qu’il s’agit d’un diagnostic psychique posé suite à une lésion physique.
- Considérant que la lésion physique, surtout chez un jeune travailleur, porte généralement un bon pronostic de récupération.
- Considérant que le Dx psychique de dépression majeure a été posé par le M.D. traitant, plus que deux ans après la date de l’événement initial du 9 octobre 2007.
- Considérant qu’à plusieurs reprises la CSST a essayé d’obtenir les notes cliniques du Dr Pelletier, mais sans succès.
- Considérant que le docteur Pelletier a posé le Dx de dépression majeure, mais sans présenter une preuve prépondérante en faveur de ce diagnostic, et de sa relation avec l’événement du 9 Octobre 2007.
- Pour toutes ces raisons, à mon avis, le diagnostic de dépression majeure n’est pas acceptable en relation avec l’événement du 9 octobre 2007. [sic]
[63] Le 21 avril 2010, le docteur Pelletier écrit que le travailleur conserve des séquelles psychologiques chroniques provenant de son accident du travail et de ses conséquences. À la même date, le docteur Pelletier écrit une lettre à l’attention de la Commission des lésions professionnelles :
[…]
Je confirme que j’ai personnellement recommandé à M. Sraidi de s’absenter du Québec pour se « ressourcer » dans son milieu familial. Sa psychologue a eu la même recommandation.
Je suis persuadé que cette absence n’a pas constituer « un acte susceptible de retarder sa guérison » étant donné :
a) Les délais exagérés pour recevoir lesdits traitements au Québec (les traitements suggérés par l’orthopédiste Des Marchais)
b) Sa propre physiothérapie qu’il a continué au Maroc quotidiennement selon ce qu’on lui avait enseigné ici.
J’estime, pour terminer, que c’est à la CSST de prouver que son absence a retardé sa guérison, sous la signature de la réviseure (…) qui, soit dit en passant, n’a pas signé sa « DÉCISION » du 17 mars 2010. [sic]
[…]
(le tribunal souligne)
[64] Le 26 avril 2010, il est confirmé au dossier que le travailleur a reçu à ce jour 345 traitements de physiothérapie et 179 traitements d’ergothérapie.
[65] Le 8 juillet 2010, l’instance de révision confirme la décision initiale refusant de reconnaître la lésion psychique, d’où la requête du travailleur. Ce dernier écrit qu’il est en désaccord car après le 5 mai 2009, il a commencé à avoir des maladies de cause psychosomatique selon ses médecins. Il joint un billet médical mentionnant les conditions suivantes : migraine, colon irritable, zona, psoriasis. Le travailleur écrit que la dépression majeure est liée à l’événement du 9 octobre 2007.
[66] À l’audience, le travailleur est questionné par l’employeur sur ses antécédents lombaires. Le travailleur relate un événement antérieur qu’il dit être survenu en juin 2007. Il affirme avoir eu des douleurs au dos, il y a 15 ou 18 ans, alors qu’il vivait au Maroc mais que ces douleurs n’ont duré qu’une semaine.
[67] Questionné par le tribunal à savoir quand il avait consulté, pour la première fois dans sa vie, le docteur Pelletier, rhumatologue, le travailleur répond le lendemain de l’événement, soit le 10 octobre 2007.
[68] Questionné sur le fait que, le 31 octobre 2007, le docteur Pelletier demande une résonance magnétique lombo-sacrée en écrivant que le travailleur présente des lombalgies récidivantes dont un troisième épisode aigu le 9 octobre 2007 (jour de l’événement), qu’il a déjà eu une sciatalgie droite et que la douleur persiste, le travailleur est incapable de donner une explication. Le docteur Pelletier témoignera plus tard que s’il a écrit que le 9 octobre 2007, le travailleur a eu un troisième épisode aigu de lombalgie, c’est que le travailleur lui a dit.
[69] Le travailleur témoigne qu’à la suite de l’événement survenu le 9 octobre 2007, il croit que la douleur va passer mais la douleur est devenue chronique et il croit maintenant qu’elle va rester à vie. Il a consulté en orthopédie, en physiatrie en neurochirurgie et il affirme qu’il n’y a pas de traitement efficace pour ses hernies discales. Il reconnaît n’avoir pas reçu d’infiltrations parce que le docteur Pelletier n’était pas d’accord avec ce type de traitements.
[70] Le travailleur explique que ses symptômes au niveau psychique ont commencé par des maladies qu’il qualifie de psychosomatiques. Après cinq séances de psychothérapie, la psychologue lui a prescrit d’aller visiter sa famille au Maroc[3].
[71] Le travailleur prétend que, le 18 novembre 2009, madame St-Pierre, agente d’indemnisation, lui a donné l’autorisation de partir pour un mois. Il lui a demandé le nom d’un supérieur et elle lui a donné le nom de madame Lefebvre, conseillère en réadaptation.
[72] Le travailleur prétend que, le 23 novembre 2009, lors d’une conversation téléphonique, madame Lefebvre lui a donné l’autorisation d’aller au Maroc durant une période plus longue qu’un mois mais qu’elle ne l’a pas consigné aux notes évolutives. Il prétend qu’à son retour, madame Lefebvre a nié avoir donné cette autorisation.
[73] Confronté à la teneur des notes évolutives du 12 février 2010 rédigées par madame Lefebvre qui ne fait pas référence à une conversation du 23 novembre 2009, le travailleur maintient sa version.
[74] Le travailleur plaide que la décision de la CSST est basée sur le paragraphe 2 b) de l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[4] (la loi) et que c’est à son médecin de décider si ce voyage empêche ou retarde sa guérison. À cet égard, le travailleur réfère à la lettre précitée du docteur Pelletier datée du 21 avril 2010 et à la lettre précitée de sa psychologue madame Belani datée du 6 novembre 2009.
[75] Le travailleur confirme avoir fait ce voyage seul, sans personne pour l’aider.
[76] Le docteur Pelletier témoigne et est questionné à savoir pour quelle raison il a recommandé au travailleur ce ressourcement. Il explique avoir constaté que le travailleur était triste, moins serein qu’au début, et il lui a recommandé un psychologue qui a suggéré ce voyage dans son milieu familial pour se ressourcer.
[77] Le docteur Pelletier affirme que le diagnostic de dépression majeure n’est pas « son » diagnostic mais celui de madame Belani quoiqu’il reconnaisse qu’une psychologue ne soit pas autorisée à poser un diagnostic. Le docteur Pelletier n’a pas fait de référence en psychiatrie mais le travailleur a ultérieurement été référé en psychiatrie par la psychologue.
[78] Le docteur Pelletier prétend avoir rédigé la lettre suivante le 10 novembre 2009 (pièce T-1) et l’avoir remise au travailleur afin qu’il la remette à qui de droit. Cette lettre n’a pas été versée au dossier de la CSST à cette époque :
Le 10 novembre 2009
À qui de droit
Concernant : Aziz SRAIDI
Né le 10 août 1976
Je suis le rhumatologue de ce patient depuis l’automne 2007.
Il souffre de lombalgies tenaces avec des pathologies vues sur des IRM
Il est de plus suivi en psychothérapie pour une dépression majeure secondaire à ces douleurs physiques continuelles.
Je lui recommande, étant donné qu’il vit seul à Montréal, de retourner pendant deux mois dans son milieu familial, pour sa santé physique et psychique.
[…]
[79] Le docteur Pelletier a effectué le suivi du travailleur depuis le 10 octobre 2007. Il est questionné par le tribunal au sujet des recommandations pour des infiltrations faites par différents médecins : le 4 février 2009, la docteure Chan recommande des infiltrations épidurales; le 20 avril 2009, le docteur Rizkallah recommande des blocs facettaires; le 16 juillet 2009, la docteure Bakalem-Louli recommande des infiltrations foraminales; un peu avant le 3 novembre 2009, le docteur Giguère recommande des blocs facettaires; le 11 novembre 2009[5], le docteur Des Marchais recommande des infiltrations épidurales.
[80] Malgré toutes ces recommandations, le docteur Pelletier reconnaît que sa lettre du 2 mars 2010, adressée à l’Institut de physiatrie, ne vise pas l’obtention d’un traitement mais l’obtention d’une autre évaluation alors qu’il connaît les délais d’attente. Il prétend que le travailleur doit être évalué par un physiatre avant de recevoir des traitements.
[81] Le docteur Pelletier fait valoir que les questions du tribunal ne portent pas sur l’objet en litige. Le tribunal réfère alors le docteur Pelletier à la lettre qu’il a écrite à l’attention de la Commission des lésions professionnelles le 21 avril 2010 dans laquelle il explique les raisons pour lesquelles il a recommandé au travailleur « de s’absenter du Québec pour se ‘’ ressourcer ‘’ dans son milieu familial ». Le docteur Pelletier écrit qu’il est « persuadé que cette absence n’a pas constitué ‘’ un acte susceptible de retarder sa guérison ‘’, étant donné (…) les délais exagérés pour recevoir les dits traitements au Québec ( les traitements suggérés par l’orthopédiste Des Marchais) ».
[82] Le docteur Pelletier admet ne pas avoir prescrit d’infiltrations et explique que, selon son appréciation, ces traitements n’offrent qu’une efficacité temporaire.
[83] Au soutien de ses recours, le travailleur produit un rapport d’évaluation psychologique (pièce T-2) rédigé le 12 décembre 2010 par madame Belani à la suite des rencontres effectuées les 25 septembre 2009, 2 octobre 2009 et 17 octobre 2009. Ce rapport fait notamment état de symptômes dépressifs et anxieux sans en expliquer la cause.
[84] Le travailleur produit aussi un rapport de consultation en psychiatrie (pièce T-3) rédigé le 22 février 2011 par le docteur Lévesque (le prénom et le numéro de permis de ce médecin ne sont pas mentionnés) dont voici un large extrait :
Id : 34 ans. Célibataire, Origine marocaine. Au pays X 7 ans. N’a pas de famille ici. Vit de prestations de la CSST, Était technicien en extermination. En invalidité depuis oct. 2007 à la suite d’un accident de travail.
RC : cf ci-haut.
Atcd psy : 1ère consultation en psy. Ø Atcd a/n personnel. Ø prise Rx par le passé. Ø Atcd familiaux.
Atcd med/(illisible) : Psoriasis aggravé X 2 ans. Allopenie a/n cheveu et Sx gastrointestinaux (colon irritable) ainsi que zona mis sur le compte de maladie psychosomatique.
Atcd toxique : Nil
[…]
Problématique : Pt a eu acc. travail en oct. 2007. A été suivi intensive en physiothérapie, ergothérapie et ostéopathie pendant plus de temps. A aussi fait programme de gestion de la dlr d’une cl. Externe sur la rue Beaubien. A fait programme de 6 semaines avec psychologue et kinésothérapeute.
Pt suivi depuis un an par psychologue. Cette dernière aurait demandé à ce qu’il soit vu car a vu détérioration de son état X 1 mois. Pt nous raconte que sa santé physique s’est détérioré X 1 ½ ans. A beaucoup de maladie somatique. Pt nous dit avoir des dlrs importantes depuis plus de 2 ans. Est en perte d’autonomie. A de la difficulté à voir à ses activités de la vie quotidienne. Doit se forcer pour faire le strict minimum. N’a pas d’intérêt, de motivation. S’isole. Ne sort plus. N’a pas d’idées noires ms est découragé. Raconte que l’accident a brisé sa vie. N’a plus de projet et ne peut se projeter ds l’avenir. Ressasse le passé. Se réveille souvent. Dort peu. Ø énergie.
E/M :Bonne collaboration. Affect modulable ms triste. Un peu ralenti. Pensée cohérente. Présence de préoccupations somatiques. Ø délire. Ø hallucination. Jugement autocritique présents ↓ d’attention, concentration. Ø interprétation paranoïde. Ø dangerosité.
Op. Dx : I Trouble dépressif d’intensité modéré
Trouble somatoforme
II Différé
III Hernies discales
IV Isolement. Douleur chronique. Perte d’identité
V 60 [sic]
[…]
Les motifs
[85] Vu les prétentions du travailleur à l’effet qu’il souffre d’une lésion psychique reliée aux conséquences de sa lésion musculo-squelettique reconnue, le tribunal doit vérifier le contexte global dans lequel s’inscrivent ces prétentions.
[86] La preuve révèle que le travailleur souffrait de douleurs au dos avant l’événement du 9 octobre 2007. Son témoignage est vague sur cet aspect mais certains éléments du dossier rapportent sans équivoque des antécédents. Le 31 octobre 2007, le docteur Pelletier écrit que le 9 octobre 2007 est le troisième épisode de lombalgie aiguë. Le 11 novembre 2009, le docteur Des Marchais écrit que le travailleur a des lombalgies depuis 15 ans associées à du psoriasis.
[87] Rappelons toutefois que les diagnostics de hernies discales L3-L4 ou L4-L5 (selon le décompte) et L5-S1 ne sont pas ici remis en cause puisqu’ils ne font pas l’objet des litiges soumis au présent tribunal.
[88] Le travailleur est suivi par le docteur Pelletier qui, pour l’essentiel, prescrit de la médication, de la physiothérapie et de l’ergothérapie. Au cours de ce suivi, le docteur Pelletier demande des avis en physiatrie, en orthopédie et en neurochirurgie. Tous les médecins référés ainsi qu’un omnipraticien et un médecin désigné par la CSST recommandent des infiltrations mais le docteur Pelletier n’en prescrit pas, n’étant pas convaincu de leur efficacité. Il n’offre pas d’alternative valable et plutôt que de constater l’atteinte d’un plateau thérapeutique, il poursuit la période de consolidation et prescrit de la physiothérapie de maintien.
[89] Parallèlement, le travailleur a divers problèmes de santé qu’il qualifie lui-même de maladies psychosomatiques, psoriasis, colon irritable, zona. Il s’agit de conditions personnelles puisque la relation causale entre ces maladies et l’événement du 9 octobre 2007 n’a jamais été reconnue par la CSST.
[90] Le 14 septembre 2009, le docteur Pelletier recommande au travailleur de consulter un psychologue. Le docteur Pelletier ne pose pas de diagnostic de nature psychique et ne fait pas cette recommandation sur un formulaire de la CSST. Malgré le fait que la CSST informe très clairement le travailleur qu’un diagnostic d’ordre psychique doit être émis par son médecin pour qu’elle se prononce sur la relation causale avec l’événement, pour pouvoir statuer ensuite sur l’autorisation de traitements psychologiques, le travailleur et le docteur Pelletier n’en tiennent pas compte.
[91] Le tribunal n’accorde pas foi au témoignage du travailleur lorsqu’il affirme avoir obtenu l’autorisation de monsieur Léger pour consulter la psychologue. Cette allégation n’est nullement appuyée par la preuve au dossier. Les explications consignées par les intervenants de la CSST ne portent aucune ambiguïté alors que le travailleur allègue deux situations où un intervenant lui aurait donné une autorisation et ne l’aurait pas consignée au dossier. Les notes des intervenants au dossier sont étoffées et les allégations du travailleur apparaissent, dans le présent cas, improbables.
[92] Ce qui ressort plutôt de la preuve c’est que le travailleur a pris l’initiative de consulter la psychologue, madame Belani. Après quelques rencontres, la psychologue « pose » un diagnostic de dépression majeure et recommande au travailleur un voyage au Maroc dans son milieu familial pour se ressourcer.
[93] Fait important, avant ce voyage, entrepris le 24 novembre 2009, le dossier ne contient aucun rapport d’un médecin posant ce diagnostic de dépression majeure. Le docteur Pelletier a bien produit à l’audience une lettre, adressée à qui de droit, qu’il dit avoir rédigée le 10 novembre 2010 mais qui n’était pas au dossier et dont aucun intervenant de la CSST ne fait état.
[94] Le premier rapport médical sur un formulaire de la CSST provenant du docteur Pelletier et comportant le diagnostic de dépression majeure est émis le 2 mars 2010 après le retour de voyage et la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu.
[95] De fait, à la suite d’une rencontre tenue le 25 février 2010, la CSST reprend rétroactivement au 12 février 2010 (jour du retour de voyage) le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Il est alors convenu que le travailleur participe à un programme de développement de ses capacités et de gestion de la douleur au CERE. Ce programme de réadaptation physique échoue lorsque la directrice du CERE doit y mettre fin, ne pouvant rencontrer les objectifs fixés puisque le docteur Pelletier n’autorise pas la pleine participation du travailleur à ce programme.
[96] La Commission des lésions professionnelles doit d’abord déterminer s’il existe une relation causale entre le diagnostic de dépression majeure, mentionné au rapport du 2 mars 2010 par le docteur Pelletier et la lésion professionnelle du 9 octobre 2007.
[97] Pour réussir dans sa requête, le travailleur avait le fardeau de démontrer, par preuve médicale prépondérante, cette relation causale. Pour les motifs ci-après énoncés, le tribunal estime que ce fardeau de preuve n’est pas rencontré.
[98] Les documents émanant de la psychologue, madame Belani, sont sommaires et comportent peu d’éléments soutenant l’existence d’une relation causale avec l’événement du 9 octobre 2007.
[99] Les documents émanant du docteur Pelletier ainsi que son témoignage peu crédible ne permettent pas davantage d’établir cette relation causale.
[100] D’abord, le tribunal note l’incohérence du docteur Pelletier lorsqu’il précise que le diagnostic de dépression majeure n’est pas le sien alors qu’il est le seul médecin traitant au dossier à l’époque et qu’il sait qu’une psychologue n’est pas habilitée à poser un diagnostic.
[101] Dans les circonstances particulières de ce dossier et afin d’éviter des délais indus, le tribunal ne discutera pas de l’existence même de ce diagnostic. Puisqu’une décision doit être rendue concernant les droits du travailleur, le tribunal prendra pour acquis que ce diagnostic a bel et bien été posé.
[102] La lecture de la preuve au dossier suscitait un questionnement quant à l’attitude du docteur Pelletier, d’un point de vue clinique, qui prolongeait la période de consolidation en effectuant des consultations en physiatrie, en orthopédie et en neurochirurgie sans suivre les recommandations des médecins consultés et des autres médecins, lesquelles allaient dans le même sens. La crédibilité du docteur Pelletier a été entachée à l’audience par son attitude arrogante à s’enquérir de la pertinence des questions du tribunal lorsque celui-ci l’interrogeait sur le fait que le 2 mars 2010, il a référé le travailleur à une évaluation en physiatrie plutôt que de prescrire lui-même les infiltrations, sachant que les délais étaient plus longs pour une évaluation.
[103] La pertinence de cette question trouvait son sens en raison des propos tenus par le docteur Pelletier dans sa lettre du 21 avril 2010 adressée à la Commission des lésions professionnelles. Le docteur Pelletier y motivait sa recommandation du voyage de ressourcement au Maroc à compter du 24 novembre 2009 par le fait qu’il le ne considérait pas un acte susceptible de retarder la guérison du travailleur étant donné les délais exagérés pour recevoir des infiltrations au Québec. Rappelons que dès le 4 février 2009, la docteure Chan avait recommandé des infiltrations. Et d’autres médecins après elle et ce, avant le voyage. À la lumière des éléments au dossier et de son témoignage à l’audience, le tribunal ne peut accorder de valeur probante aux énoncés du docteur Pelletier.
[104] Quant à l’évaluation psychiatrique effectuée le 22 février 2011, elle n’avait pas pour but de déterminer l’existence d’une relation causale entre un diagnostic et l’événement du 9 octobre 2007 mais de valider la conduite thérapeutique. Les faits relatés sont incomplets. L’impression diagnostique établie sur les cinq axes ne suffit pas en soi à établir la relation causale. Le diagnostic de dépression majeure n’y est pas retenu et aucune autre preuve médicale ne permet d’y apporter de nuances. Cependant une autre condition, un trouble somatoforme, est identifié à l’axe I et l’axe II est différé, ce qui ne permet pas une appréciation complète du tableau. Le tribunal estime donc que cette évaluation ne permet pas d’établir, de façon prépondérante, l’existence d’une relation causale entre le diagnostic de dépression majeure et l’événement du 9 octobre 2007.
[105] Par conséquent, la décision de l’instance de révision rendue le 8 juillet 2010 est confirmée.
[106] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant se prononcer concernant la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[107] La preuve démontre qu’au moment où la CSST suspend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu le 11 janvier 2010, la lésion professionnelle reconnue au niveau lombaire n’est pas encore consolidée et l’indemnité de remplacement du revenu est versée en raison de cette lésion professionnelle.
[108] Le travailleur est présumé incapable d’exercer son emploi selon l’article 46 de la loi et il a droit à l’indemnité de remplacement du revenu selon l’article 44 de la loi :
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
__________
1985, c. 6, a. 46.
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
__________
1985, c. 6, a. 44.
[109] De sorte que la CSST doit respecter les critères prévus à l’article 142 de la loi pour suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
[…]
2° si le travailleur, sans raison valable :
a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;
b) pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;
c) omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;
d) omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 ;
f) omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274 .
__________
1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[110] Dans le présent cas, la situation qui se rapproche le plus de celle qui concerne le travailleur est le paragraphe 2 b).
[111] Selon les circonstances, la CSST doit en venir à la conclusion que le travailleur a 1) sans raison valable, 2) posé un acte qui empêche ou retarde sa guérison, 3) le fait que l’acte empêche ou retarde la guérison doit découler de l’opinion du médecin qui a charge du travailleur ou d’un membre du Bureau d’évaluation médicale.
[112] Tous ces critères doivent être rencontrés. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[113] À l’origine, ce voyage est recommandé pour une condition psychique qui n’est pas ultérieurement reconnue par la CSST et par le présent tribunal comme étant en relation avec la lésion professionnelle du 9 octobre 2007. Cependant, la CSST a accordé un délai d’un mois vraisemblablement d’un point de vue humanitaire. Après un mois, le travailleur a prolongé son séjour sans raison valable. Le tribunal n’accorde pas foi au témoignage du travailleur qui dit avoir eu une autorisation verbale non consignée au dossier. Les notes évolutives établissent, de façon prépondérante, qu’aucune autorisation au-delà d’un mois n’a été accordée.
[114] Par contre, ni la CSST, ni le présent tribunal ne disposent de l’opinion du médecin qui a charge du travailleur ou d’un membre du Bureau d’évaluation médicale à l’effet que ce voyage a empêché ou retardé la guérison au niveau lombaire, critère que la loi exige et qui n’est pas rencontré. Il est par conséquent inutile de discuter davantage de cette question.
[115] Les critères de l’article 142 de la loi n’étant pas tous rencontrés, la CSST ne pouvait valablement suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu du 11 janvier 2010 au 11 février 2010.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 409651-71-1004
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Aziz Sraidi;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 17 mars 2010, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail n’était pas justifiée de suspendre du 11 janvier 2010 au 11 février 2010 le versement de l’indemnité de remplacement du revenu;
Dossier 418239-71-1008
REJETTE la requête du travailleur, monsieur Aziz Sraidi;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, rendue le 8 juillet 2010, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le 2 mars 2010, le travailleur n’a pas subi de lésion psychique en relation avec la lésion professionnelle du 9 octobre 2007 et, plus particulièrement, il n’existe pas de relation causale concernant le diagnostic de dépression majeure;
DÉCLARE qu’à cet égard, le travailleur n’a pas droit à des prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Lina Crochetière |
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Monsieur Michel Bissonnette |
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RMB EXTERMINATION INC. |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me Julie St-Hilaire |
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VIGNEAULT, THIBODEAU, GIARD |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] Le 26 avril 2010, madame Roy apprendra en téléphonant à l’Institut de physiatrie que cet établissement a fait parvenir au travailleur une lettre pour l’informer qu’il est placé sur une liste d’attente de deux ans pour consulter un physiatre. Le travailleur nie avoir reçu cette lettre.
[2] Effectivement, le 21 avril 2010, le docteur Pelletier a produit un rapport médical recommandant de continuer à la clinique de réadaptation trois demies journées par semaine et de continuer la clinique de « physio bien-être » deux fois par semaine.
[3] Le travailleur précise que, depuis son arrivée au Canada en 2004, il s’est rendu au Maroc à trois ou quatre reprises pour des séjours de 40 à 60 jours chacun.
[4] L.R.Q., A-3.001.
[5] Ces dernières recommandations sont faites peu avant le départ en voyage le 24 novembre 2009.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.