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RECTIFICATION D’UNE DÉCISION
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[1] La Commission des lésions professionnelles a rendu le 24 octobre 2008, une décision dans le présent dossier;
[2] Cette décision contient des erreurs d’écriture qu’il y a lieu de rectifier en vertu de l’article 429.55 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001;
[3] Sur la première page, nous lisons :
Commission de la santé et de la sécurité du travail, partie intervenante
[4] Alors que nous n’aurions pas dû inscrire cette partie intervenante.
[5] Au paragraphe 5, nous lisons :
La partie intéressée et la CSST ne sont ni présentes, ni représentées.
[6] Alors, que nous aurions dû y lire :
La partie intéressée est présente et représentée.
[7] À la page 24, nous lisons :
M. André Morin
Gestimed
Représentant de la partie intéressée
[8] Alors que nous aurions dû lire :
M. André Laurin
Gestimed
Représentant de la partie intéressée
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Jean-Marc Dubois |
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Me Alain Lachance |
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C.S.D. |
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Représentant de la partie requérante |
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M. André Laurin |
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GESTIMED |
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Représentant de la partie intéressée |
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Duguay et Scierie Parent inc. |
2008 QCCLP 6147 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Saint-Hyacinthe |
24 octobre 2008 |
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Région : |
Mauricie-Centre-du-Québec |
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Dossiers : |
271310-04-0509-R, 271804-04-0509-R |
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Dossier CSST : |
126265305 |
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Commissaire : |
Jean-Marc Dubois, juge administratif. |
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Membres : |
Ginette Vallée, associations d’employeurs |
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Réjean Potvin, associations syndicales |
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Pierre Duguay |
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Partie requérante |
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et |
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Scierie Parent inc. |
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Partie intéressée |
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et |
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 19 novembre 2007, monsieur Pierre Duguay (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête afin de faire réviser des décisions rendues les 27 septembre 2006 et 3 octobre 2007 par cette instance.
[2] Par sa décision du 27 septembre 2006, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête incidente du travailleur et déclare recevable en preuve le rapport de filature et la bande vidéo obtenus à la suite d’une filature.
[3] Par sa décision du 3 octobre 2007, la Commission des lésions professionnelles déclare sans objet la requête déposée par l’employeur le 12 septembre 2005, sans effet la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 16 août 2005, dossier 271310.
[4] Par cette même décision, la Commission des lésions professionnelles déclare nulle la décision de la CSST du 18 février 2005 et retourne le dossier à la CSST afin que la procédure de contestation médicale soit enclenchée tel que demandé par Scierie Parent inc. à l’époque, et que les parties puissent faire valoir leurs droits dans le cadre de cette procédure de contestation médicale, dossier 271804.
[5] À l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles à Trois-Rivières le 5 septembre 2008 le travailleur est présent et représenté. La partie intéressée et la CSST ne sont ni présentes, ni représentées.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[6] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser les décisions rendues par cette instance les 27 septembre 2006 et 3 octobre 2007 parce qu’elles sont entachées d’un vice de fond de nature à les invalider.
L’AVIS DES MEMBRES
[7] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont unanimes pour conclure que la requête du travailleur doit être rejetée en ce qui concerne les deux dossiers visés par celle-ci.
[8] Les membres considèrent qu’en regard de la décision incidente, la première commissaire analyse rigoureusement tous les éléments nécessaires pour décider du litige dont elle est saisie et la révision ne doit pas devenir une occasion de réapprécier différemment la preuve.
[9] Les membres sont également d’avis que la première commissaire motive très bien sa décision et qu’elle dispose pleinement des prétentions du travailleur.
[10] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont également d’avis que la première commissaire n’a pas excédé sa juridiction et qu’elle s’est limitée à apprécier la preuve qui lui était nécessaire pour disposer du litige.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[11] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il a été démontré un motif donnant ouverture à la révision des décisions rendues les 27 septembre 2006 et 3 octobre 2007 par cette instance.
[12] L’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :
429.49. (...)
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[13] Toutefois, le législateur a prévu à l’article 429.56 de la loi que la Commission des lésions professionnelles peut, dans certains cas, réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue. Cette disposition se lit comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[14] Le travailleur soutient que les décisions visées par sa requête comportent plusieurs vices de fond ou de procédure.
[15] À cet égard, la jurisprudence[2] a établi clairement ce qu’on entend, par la notion « vice de fond de nature à invalider la décision », une erreur manifeste de droit ou de faits qui est déterminante sur l’issue du litige.
[16] Dans l’affaire Bourassa c. C.L.P.[3] la Cour d’appel, rappelle ainsi la notion de « vice de fond » :
[21] La notion [vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments(4).
______________
(4) Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs du Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508; Jean-Pierre Villagi. « La Justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y. Blais, 2002. P. 113, 127-129.
[17] De plus, dans l’affaire C.S.S.T. et Fontaine[4], la Cour d’appel réaffirme que la révision n’est pas l’occasion pour le tribunal de substituer son appréciation de la preuve à celle déjà faite par la première formation ou encore interpréter différemment le droit. La Cour d’appel précise que le tribunal ne peut pas intervenir en révision à moins qu’il soit établi l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision.
[18] Pour rendre la présente décision, le commissaire soussigné a pris connaissance de l’ensemble de la preuve au dossier, de la transcription des enregistrements et également des arguments écrits et ceux présentés à l’audience.
[19] Dans la décision incidente, rendue le 27 septembre 2006, les faits sont ainsi rapportés :
[…]
[14] Le 18 février 2005, tenant compte des conclusions de la docteure Dafniotis, la CSST rend une décision par laquelle elle statue sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi depuis le 8 février 2005. Le travailleur demande la révision de cette décision.
[15] Le 21 février 2005, le travailleur revoit le docteur Béland. Il pose des diagnostics de bursite à l’épaule gauche, d’épicondylite gauche et droite. Il prescrit des traitements de physiothérapie.
[16] Par la suite, le travailleur est examiné par la docteure Josée Fortier, physiatre. Elle suspecte une névrite cubitale gauche. À sa demande, le travailleur subit différents examens paracliniques, dont un électromyogramme et une scintigraphie osseuse. Le travailleur revoit également le docteur Béland, lequel maintient les diagnostics d’épicondylite au coude gauche et de bursite à l’épaule gauche.
[17] Le 23 juin 2005, par l’entremise de son représentant, le travailleur dépose une réclamation à la CSST pour faire reconnaître une récidive, rechute ou aggravation le 21 février 2005.
[18] Le 7 juillet 2005, la CSST rend une décision par laquelle elle reconnaît l’existence d’une rechute, récidive ou aggravation à compter du 20 février 2005, soit une bursite à l’épaule gauche, une épicondylite gauche et une neuropathie cubitale gauche. L’employeur demande la révision de cette décision.
[19] Le 16 août 2005, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. D’une part, elle confirme sa décision du 18 février 2005 statuant sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi le 8 février 2005, et d’autre part, elle confirme sa décision du 7 juillet 2005 concernant l’admissibilité de la rechute, récidive ou aggravation du 20 février 2005. L’employeur et le travailleur déposent une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de cette décision (dossiers 271310-04-0509 et 271804-04-0509).
[20] Les parties sont convoquées à une audience le 6 juin 2006 en ce qui a trait aux dossiers 271310-04-0509 et 271804-04-0509. De son côté, le travailleur soumet qu’il n’a pas la capacité d’exercer son emploi à compter du 8 février 2005. Il y a continuité de sa lésion professionnelle du 28 avril 2004. Pour sa part, l’employeur soumet que le travailleur a la capacité d’exercer son emploi à compter du 8 février 2005. De plus, il soumet que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 20 février 2005.
[21] À l’audience du 6 juin 2006, l’employeur fait d’abord témoigner le travailleur. Il le questionne notamment sur sa condition physique et sur les différentes activités qu’il peut faire ou ne pas faire. Le travailleur est par la suite interrogé par son représentant et les membres du tribunal. Comme deuxième témoin, l’employeur désire faire entendre un enquêteur. Ce dernier aurait procédé à la filature du travailleur à la demande de l’employeur. Au cours de cette filature, l’enquêteur capte des images du travailleur sur une bande vidéo. À la suite de la filature, l’enquêteur rédige un rapport quant à ses observations. L’employeur informe le tribunal que la bande vidéo dure environ trois heures. Une copie du rapport d’enquête de même que de la bande vidéo est remise au travailleur pour qu’il puisse en prendre connaissance. L’audience au mérite est alors ajournée au 5 septembre 2006.
[22] Le 5 septembre 2006, le travailleur informe le tribunal qu’il désire soumettre une requête incidente. Il demande au tribunal de déclarer irrecevable la preuve par filature que désire soumettre l’employeur. Il est d’avis que le rapport d’enquête de même que la bande vidéo contreviennent à ses droits fondamentaux. Une telle preuve ne peut être considérée par le tribunal pour juger du mérite des requêtes 271310-04-0509 et 271804-04-0509. Il est donc convenu que le tribunal entende les représentations de chaque partie quant à cette requête incidente avant que l’audience au mérite ne se poursuive.
[23] Dans le cadre de la requête incidente, le tribunal a entendu le témoignage de madame Véronique Milette, coordonnatrice aux ressources humaines à l’établissement de l’employeur à Parent. Elle occupe ce poste depuis le 1er décembre 2003.
[24] Madame Milette explique le contexte d’embauche du travailleur et celui ayant amené l’employeur à demander une filature du travailleur.
[25] C’est elle qui se charge de l’embauche du travailleur. Elle ne se souvient pas de la date exacte. Sa candidature est suggérée par monsieur Serge Pilon, un contremaître à l’emploi de la scierie.
[26] Le 28 avril 2004, le travailleur subit un accident du travail. Elle suit l’évolution de ce dossier. À l’automne 2005, monsieur Pilon l’informe que le travailleur s’adonne à des activités contraires à sa condition tenant compte de sa lésion professionnelle. Il parle d’activités de patins et de karaté. Ensuite, en février 2006, monsieur André Labarre, supérieur de madame Milette, lui remet une photo de journal montrant les membres d’un club de karaté. Le travailleur apparaît sur cette photo vêtu de son kimono. Pour madame Milette, cette photo confirme en quelque sorte les propos de monsieur Pilon. De plus, elle combine ces informations au fait que la condition du travailleur ne semble pas s’améliorer. Après plusieurs mois de convalescence, le diagnostic de névrite cubital apparaît. Selon ce qu’on lui dit, un tel diagnostic nécessite un choc ou un traumatisme. Elle commence donc à douter de la situation en raison de tous ces éléments. C’est dans ce contexte qu’elle demande une filature.
[27] Elle ne valide pas les informations reçues avec le travailleur. Au départ, elle ne porte pas attention vraiment aux informations soumises. Cependant, après plusieurs informations, elle commence à douter de la situation.
[28] Elle dépose le mandat donné aux enquêteurs. Ce mandat est daté du 10 mai 2006 et se lit comme suit :
[…]
Tel que mentionné précédemment, je serai la personne contact dans ce dossier. Nous aimerions reprendre l’enquête dans le dossier ci-haut mentionné.
1-PHOTO
Dans la parution du journal local «l’hebdo Journal» volume 39, no 1 du samedi, 7 janvier 2006, une photo apparaissant à la page 23, une photo «passage de grade» montre un homme rasé, au fond complètement à droite. D’après les informations obtenues, il s’agirait de Pierre Duguay. Au bas de la photo, le texte mentionne «le club de karaté Shito-Ryu a procédé à une séance de passage de grade pour les élèves du secteur Cap-de-la-Madelaine…La photo présente quelques-uns des jeunes accompagnés de leur instructeurs.» La Photo est en pièce jointe.
D’après mes recherches, les coordonnées de l’école de karaté seraient :
Club de karaté Shito-Ryu
819-693-2193
1500, rang Saint Malo
Trois-Rivières, QC G8V 1X5
Par contre, Serge Pilon, un informateur, nous dit qu’il a pratiqué à cet endroit :
C P E Jean-Noël Lapin
819-372-5316
55 rue Mercier,
Trois-Rivières, QC G8T 5R3
Ce que je veux savoir :
. Est-ce
que P. Duguay est connu à cet endroit ? Qu’est-ce qu’il a fait
là-bas : instructeur,
étudiant, ou autre ?
. Quand
a-t-il débuté son entraînement et/ou son mandat d’instructeur, est-il toujours
à
travailler à ses activités ?
.
Est-ce qu’à leur connaissance, il aurait effectué d’autres types d’activités de
la sorte
ailleurs ?
2-INFORMATEUR
M. André La Barre avait rencontré un informateur, M. Patrick Veillette (téléphone :819-693-2485). Cet homme a été rencontré le 16 janvier 2006 et était prêt à témoigner. Patrick est le père du garçon de la conjointe de Pierre Duguay, Il était prêt à prendre des photos de P. Duguay en action dans les cours et/ou fournir l’horaire des cours. Il a mentionné que P. Duguay faisait du patin avec son fils à toutes les fins de semaine. Il patine facilement avec un enfant dans les bras. Il dit qu’il travaille à faire du déneigement, mais qu’au moment de la rencontre, il n’en faisait plus. Pierre se cache lorsqu’il fait ses katas pour ne pas éveiller les soupçons.
Serge Pilon, qui était contremaître chez nous, mentionne qu’il joue de la guitare. P. Duguay était un ami de Serge Pilon. Il fait la déclaration suivante :« un soir alors que je soupais au restaurant le central, je certifie avoir vu Pierre Duguay entrer dans le restaurant et mentionner à Sylvain Thiffeault qu’il avait mal à une épaule et qu’il voulait se faire soigner en ville. M. Duguay utilisait un ton agressif et a mentionné ils vont payer»
Je peux toujours contacter M. Serge Pilon, qui est maintenant contremaître à l’usine de Bromptonville.
- Je me demandais si ces deux personnes ne pourraient pas vous être
utiles lors de
l’enquête ?
M. Duguay a une attitude négative envers nous : il refuse de nous voir et dit que s’il doit le faire, c’est en présence d’un avocat. Il m’a même laissé des messages en mentionnant dès le début que l’appel était enregistré. Un tas de petits détails comme cela.
NOUS AVONS UNE AUDITION EN C.L.P. LE 6 JUIN.
Il nous faudrait les informations le plus rapidement possible. Tenez moi au courant régulièrement du déroulement de l’enquête. (sic)
[29] Madame Milette explique que le mandat est d’abord verbal. Elle résume le dossier aux enquêteurs et leur explique ce qu’elle a reçu comme informations. Elle leur fournit différentes adresses où le travailleur peut se trouver. Par la suite, elle rédige un mandat écrit qu’elle remet à l’agence d’enquête. Le mandat est donné en mai 2006. Elle mentionne que les informations sont arrivées à différentes périodes. Par la suite, elle a copie de l’article de journal en janvier ou février 2006. Elle doit demander un budget d’enquête. Une telle procédure est coûteuse et elle n’a pas l’habitude de la faire. Tous ces éléments expliquent le délai à demander qu’une enquête soit faite.
[30] Questionnée sur le fait qu’elle ne parle pas à la CSST de ses soupçons, madame Milette indique qu’elle ne connaît pas ses droits. Elle préfère ne pas en parler. Elle mentionne également que les questions posées dans le cadre du mandat n’ont pas été répondues, car la première étape consistait à observer le travailleur et faire une vidéo. Voyant les résultats de la vidéo, elle décide de ne pas aller plus loin dans l’enquête.
[20] Le travailleur ne remet pas en cause les faits tel que rapportés dans cette décision.
[21] Dans la motivation de sa décision, la première commissaire s’exprime ainsi :
[35] Nous sommes dans un contexte où le droit à la vie privée est invoqué à l’encontre d’une preuve de filature obtenue dans le cadre d’une relation employeur-travailleur et plus particulièrement, dans le cadre d’une lésion professionnelle. Comme le précise la commissaire Landriault dans l’affaire Sobeys Group2, c’est la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12) (la Charte) de même que certaines dispositions du Code civil du Québec (L.Q. 1991, c. 64) (Code civil) qui dressent le cadre juridique à partir duquel s’apprécie la légalité des décisions prises par un employeur de faire surveiller un travailleur et de l’exécution de ces décisions de la faire surveiller.
2 Sobeys Group (IGA Extra) et Tayeb Kaid, C.L.P. 277155-71-0511, 13 juillet 2006, L. Landriault.
[36] En ce qui a trait à la Charte, les dispositions pertinentes sont les suivantes:
5. Toute Personne a droit au respect de sa vie privée.
9.1 Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.
La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice.
Pour ce qui est du Code civil du Québec les dispositions pertinentes sont les suivantes :
3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.
Ces droits sont incessibles.
35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.
Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.
36. Peuvent être notamment considérés comme atteintes à la vie privée d’une personne les actes suivants :
1. Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;
2. Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;
3. Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu’elle se trouve dans des lieux privés;
4. Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;
5. Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l’information légitime du public;
6. Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou autres documents personnels.
2858. Le tribunal doit, même d’office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
Il n’est pas tenu compte de ce dernier critère lorsqu’il s’agit d’une violation du droit au respect du secret professionnel.
[38] De plus, il est pertinent à ce stade-ci de référer à la Loi sur la justice administrative (L.R.Q., c. J-3), laquelle prévoit une disposition qui rejoint les principes de l’article 2858 du Code civil. L’article 11 de la Loi sur la justice administrative rappelle que l’organisme est maître de la conduite de l’audience mais il réitère également ce que l’organisme décisionnel doit faire en présence d’une preuve qui contrevient aux droits et libertés fondamentaux:
11. L’organisme est maître, dans le cadre de la loi, de la conduite de l’audience. Il doit mener les débats avec souplesse et de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction.
Il décide de la recevabilité des éléments et des moyens de preuve et il peut, à cette fin, suivre les règles ordinaires de la preuve en matière civile. Il doit toutefois, même d’office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. L’utilisation d’une preuve obtenue par la violation du droit au respect de secret professionnel est réputée déconsidérer l’administration de la justice.
[39] Lorsque nous sommes dans ce genre de litige et pour comprendre comment s’articulent et s’appliquent ces différentes dispositions, on ne peut faire abstraction de la décision de la Cour d’appel du Québec rendue dans l’affaire Syndicat des travailleurs(euses) de Bridgestone de Joliette c. Trudeau et Bridgestone/Firestone Canada inc.,3 (Bridgestone). D’ailleurs, les faits à l’origine de cette affaire ressemblent à ceux en l’espèce.
3 Voir note 1 (Syndicat des travailleurs(euses) de Bridgestone de Joliette c.
Trudeau et
Bridgestone/Firestone Canada inc.,
[1999] R.J.Q. 2229
;)
[40] Dans cet arrêt, après avoir référé aux articles pertinents de la Charte et du Code civil, le juge Lebel, maintenant juge à la Cour suprême du Canada, rappelle que le droit à la vie privée est un droit qui suit la personne. Ce droit ne se limite pas seulement à un critère territorial. Par la suite, le juge Lebel indique que même si à première vue, la surveillance d’un travailleur peut comporter une atteinte à la vie privée, cela ne signifie pas que toute surveillance par un employeur en dehors des lieux du travail soit illicite. Il s’exprime comme suit :
[…]
En substance, bien qu’elle comporte une atteinte apparente au droit à la vie privée, la surveillance à l’extérieure de l’établissement peut être admise si elle est justifiée par des motifs rationnels et conduite par des moyens raisonnables, comme l’exige l’article 9.1 de la charte québécoise. Ainsi, il faut d’abord que l’on retrouve un lien entre la mesure prise par l’employeur et les exigences du bon fonctionnement de l’entreprise ou de l’établissement en cause. Il ne saurait s’agir d’une décision purement arbitraire et appliquée au hasard. L’employeur doit déjà posséder des motifs raisonnables avant de décider de soumettre son salarié à une surveillance. Il ne saurait les créer a posteriori, après avoir effectué la surveillance en litige.
Au départ, on peut concéder qu’un employeur a un intérêt sérieux à s’assurer de la loyauté et de l’exécution correcte par le salarié de ses obligations, lorsque celui-ci recourt au régime de protection contre les lésions professionnelles. Avant d’employer cette méthode, il faut cependant qu’il y ait des motifs sérieux qui lui permettent de mettre en doute l’honnêteté du comportement de l’employé.
Au niveau du choix des moyens, il faut que la mesure de surveillance, notamment la filature, apparaisse comme nécessaire pour la vérification du comportement du salarié et que, par ailleurs, elle soit menée de la façon la moins intrusive possible. Lorsque ces conditions sont réunies, l’employeur a le droit de recourir à des procédures de surveillance, qui doivent être aussi limitées que possible :
In suspicious circumstances surrounding the medical condition
of the grievor, the employer has every right to conduct a full
investigation but only as a last step should it choose the intrusive
alternative of invading the employee’s privacy by conducting
surveillance.
L’exécution de la surveillance doit ainsi éviter des mesures qui porteraient atteinte à la dignité d’un salarié. Un exemple d’intervention abusive est cité par l’avis de la Commission des droits de la personne, qui évoquait un cas où l’on s’était permis de filmer le salarié dans la chambre à coucher de son domicile.
[…]
[41] Par conséquent, bien qu’à première vue une surveillance puisse constituer une atteinte au droit à la vie privée, cette surveillance peut être admise en preuve si elle est justifiée. La surveillance doit être justifiée par des motifs rationnels et elle doit être conduite par des moyens raisonnables. De tels motifs rationnels doivent exister avant que ne débute la surveillance. En effet, on ne peut créer de tels motifs une fois la filature effectuée. Et les moyens qu’utilise l’employeur pour procéder à cette filature ne doivent pas être abusifs ni porter atteinte à la dignité du travailleur. La décision rendue par la commissaire Lampron dans l’affaire Desmarais et Aliments Carrière inc4. résume bien ces différents principes développés par le juge Lebel.
4 C.L.P. 183193-62B-0204, 14 mai 2003, M-D. Lampron
[42] Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal est d’avis que l’employeur dans la présente cause a des motifs rationnels pour justifier qu’une preuve par filature soit entreprise. Plusieurs indices sérieux sont réunis pour amener l’employeur à mandater un enquêteur. Selon le témoignage de madame Milette, l’employeur se questionne sur l’évolution de la condition du travailleur. Alors que le travailleur est en convalescence depuis plusieurs mois, un nouveau diagnostic de névrite cubital apparaît. Aussi, l’employeur reçoit des informations laissant croire que le travailleur aurait des activités incompatibles avec sa condition. Ces informations sont livrées par un contremaître et un parent dont l’enfant fréquente une école de karaté. Le travailleur faisant partie de cette même école de karaté. Tous ces éléments engendrent un doute sérieux chez l’employeur et c’est dans ce contexte qu’il décide de demander une enquête.
[43] Pour le tribunal, il ne s’agit pas d’un cas où l’employeur décide sans plus de formalités d’initier une enquête sur l’un de ses travailleurs. Il s’agit plutôt d’un cas où l’employeur a des éléments provenant de différentes sources qui lui font douter de l’honnêteté du comportement du travailleur. Pour reprendre les termes du juge Lebel dans l’affaire Bridgestone, il ne peut s’agir en l’espèce d’une décision purement arbitraire et appliquée au hasard. L’employeur possède effectivement des motifs rationnels avant de décider de soumettre le travailleur à une surveillance. Il ne crée pas de tels motifs une fois la surveillance effectuée.
[44] Il est vrai que le mandat écrit pose des questions précises pour lesquelles l’employeur demande des réponses. Par contre, du témoignage de madame Milette, le tribunal comprend qu’il est aussi convenu que les enquêteurs suivent le travailleur et le filment. Voyant le résultat de la vidéo, l’employeur décide de ne pas aller plus loin. Le tribunal est d’avis que cela ne fait pas en sorte que le processus de surveillance est vicié. Si l’employeur décide de ne pas poursuivre la filature après avoir pris connaissance du résultat de la surveillance après quatre jours, cela démontre davantage que l’employeur veut être le moins intrusif possible. Il faut de plus garder à l’esprit qu’à la base, la décision de l’employeur d’initier une surveillance du travailleur repose sur des motifs rationnels. Tenant compte du témoignage de madame Milette, le tribunal est d’avis que de tels motifs ne sont pas créer a posteriori.
[45] Le représentant du travailleur soumet que dans le cadre de son témoignage, madame Milette utilise des informations reçues par monsieur Pilon ou par d’autres personnes. Il déplore le fait que de tels informateurs ne soient pas entendus. Une telle situation affecte la validité des informations. Il déplore également le fait que l’employeur n’ait pas questionné le travailleur par rapport à ce qui lui était rapporté par ses informateurs.
[46] Dans l’affaire Sobeys Group, précitée, la commissaire Landriault, disposant d’un argument semblable, indique :
[…]
[27] L’employeur se fondait sur des rapports médicaux contradictoires (l’un qui retenait qu’il y avait des signes paradoxaux et des discordances, l’autre qui retenait que la lésion du travailleur n’est pas consolidée) et sur le fait que le travailleur travaillerait pour un autre employeur, ceci dans le contexte où son médecin avait émis des restrictions quant à sa capacité à exercer son emploi et autorisé l’assignation temporaire dans de travaux légers à temps partiel.
[28] La Commission des lésions professionnelles rejette l’argument du représentant du travailleur à l’effet que le témoignage de madame Arcand ne serait pas suffisant et que l’employeur aurait dû faire témoigner monsieur Nadeau pour que l’on connaisse la provenance de l’information qu’il avait reçue. La Commission des lésions professionnelles considère que le témoignage de madame Arcand est suffisant. La Commission des lésions professionnelles a déjà autorisé la preuve de la filature dans des cas où la filature avait été entreprise après qu’une source anonyme eut informé la CSST qu’un travailleur faisait des travaux qui pouvaient être incompatibles avec sa lésion non consolidée5.
5 Eppelé c. Commission des
lésions professionnelles,
[2000] C.L.P. 263
(C.S.) j. Crête;
Desmarais et Aliments Carrière inc., C.L.P.
183193-62B-0204, 14 mai 2003, M.-D. Lampron
[29] Bien que le représentant du travailleur soutienne que l’employeur n’avait qu’à demander au travailleur s’il travaillait ailleurs, comme le souligne la procureure de l’employeur, dans un tel cas, si un travailleur nie travailler ailleurs, l’exercice de filature subséquent aurait des chances de s’avérer sans résultat.
[…]
[47] Dans cette affaire, madame Arcand est la directrice du département de santé et sécurité chez Sobeys.
[48] Ce faisant, le tribunal est d’avis que dans le présent dossier, le témoignage de la coordonnatrice des ressources humaines (madame Milette) s’avère pertinent, éclairant et suffisant pour juger de l’existence ou non de motifs rationnels avant d’entreprendre la filature. La teneur de ce témoignage respecte l’enseignement de la Cour d’appel dans l’arrêt Bridgestone.
[49] Aussi, le tribunal estime que les moyens utilisés pour effectuer la surveillance ne sont pas abusifs et ne portent pas atteinte à la dignité du travailleur. Ce dernier est filmé alors qu’il se trouve dans un lieu public ou aux abords de sa résidence. On ne voit pas le travailleur à l’intérieur de sa résidence. On le voit plutôt peinturer un cabanon ou une clôture. Selon ce que le tribunal comprend, de telles images sont captées à partir de la rue. On ne peut conclure qu’elle porte atteinte à la dignité du travailleur6. Selon ce que le tribunal possède comme information, la filature est effectuée par une firme professionnelle. Il n’est pas établi que les enquêteurs utilisent des moyens déraisonnables ou importunent le travailleur lors de la filature7. Il s’agit d’une surveillance ponctuelle, laquelle se déroule sur quatre jours, soit les 25, 26, 27 et 28 mai 2006.
6 Jean et Manufacture de bijoux Keyes et
CSST, C.L.P. 156544-71-0102, 14 janvier 2002,
A. Vaillancourt.
7 Morin et Scholle Canada Ltée, C.L.P. 208721-72-0305, 7 janvier 2005, M. Denis
[50] Sur le fond du litige, le tribunal doit statuer sur la capacité ou l’incapacité du travailleur d’exercer son emploi à compter du 8 février 2005 ou de l’existence ou non d’une récidive, rechute ou aggravation le 20 ou 21 février 2005. Il est vrai que la filature se déroule à une époque tout autre. La surveillance du travailleur a lieu un an plus tard, soit les 25, 26, 27 et 28 mai 2006. Il n’en demeure pas moins que cette preuve s’avère pertinente. Surtout dans un contexte où le travailleur témoignage longuement sur sa condition physique et son incapacité en regard de sa lésion professionnelle au membre supérieur gauche.
[51] En terminant, le tribunal est d’avis qu’il y a lieu de distinguer les décisions Viau et Les Diésels Dion soumises par le représentant du travailleur. Dans l’affaire Viau, il s’agit d’une filature effectuée à la demande de la CSST. On désire soumettre en preuve la bande vidéo mais la CSST est absente et la Commission des lésions professionnelles n’est pas en mesure de connaître les motifs ayant amené la CSST à procéder à cette filature. Quant à l’affaire Les Diésels Dion, le commissaire n’est pas convaincu de la fiabilité et de l’authenticité de la bande vidéo. De plus, il estime que la preuve est insuffisante pour démontrer un motif rationnel avant que la filature soit entreprise. Dans cette affaire, l’employeur ne cherche qu’à connaître les activités du travailleur.
[52] Dans la présente affaire, la situation est tout autre. La preuve soumise permet au tribunal de constater que l’employeur a des motifs rationnels et sérieux pour douter de l’honnêteté du comportement du travailleur et ainsi entreprendre une enquête. Il s’avère que cette enquête n’est pas abusive. Les moyens utilisés respectent la dignité du travailleur et ne sont pas intrusifs à outrance. Il y a lieu de déclarer la preuve de surveillance (rapport d’enquête et bande vidéo) recevable. Cette preuve est pertinente et c’est davantage son rejet plutôt que sa recevabilité qui aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice.
[53] Le rapport d’enquête de même que la bande vidéo sont des preuves pertinentes et recevables. Comme le mentionne la commissaire Landriault dans l’affaire Sobeys Group, l’employeur devra toutefois faire entendre les enquêteurs qui ont procédé à la filature pour prouver l’authenticité et la fiabilité du rapport d’enquête et de la bande vidéo.
[22] Voyons maintenant les reproches que le travailleur adresse à la Commission des lésions professionnelles :
[…] la Commission commet des erreurs de droit déraisonnables dans l’appréciation du test de la gravité de la violation d’un droit fondamental concernant la recevabilité en preuve de la surveillance tel qu’énoncé dans sa décision incidente (sic).
[…] la Commission se méprend à l’égard des faits et du droit pour les motifs suivants :
Les motifs sérieux de l’employeur au soutien d’initier une filature n’ont aucun lien avec l’objet de la bande vidéo et de la surveillance effectué ne pouvant ainsi justifier après coup la surveillance entreprise tel qu’il appert au paragraphe 30 de la décision incidente et aux pages 63 à 68 de la transcription officielle des enregistrements numériques de l’audition du 5 septembre 2006 sous (R-3 en liasse); […];
Les motifs au soutien de cette preuve ne présente pas de garantie minimale de fiabilité […];
Ce faisant la Commission commet aussi une erreur dans l’appréciation de cette preuve quant à sa valeur probante tel qu’il appert de la décision au mérite;
[…]
Ce faisant la Commission commet des erreurs de droit déraisonnables dans l’application de l’exercice de pondération concernant la recevabilité en preuve de la surveillance […];
La Commission se méprend à l’égard des faits et du droit pour les motifs suivants :
La règle de la pertinence n’est pas le critère ou l’un des critères dans l’analyse juridique de cette règle d’exclusion de preuve;
La règle de la pertinence est inapplicable à l’égard de l’objet des contestations soit afin de statuer sur l’existence d’une lésion professionnelle à titre de, rechute, récidive ou aggravation ou afin de décider de la capacité de travail en février 2005;
Les conclusions tirées de la preuve par la Commission n’est pas soutenu par cette dernière
[…]
[23] La Commission des lésions professionnelles ne peut retenir aucune des prétentions du travailleur qui, de toute évidence, ne tiennent pas compte de l’analyse rigoureuse faite par la première commissaire, qui répond clairement à chacune de ses prétentions.
[24] Or, comme nous l’avons déjà mentionné, la révision ne doit pas devenir un moyen pour obtenir une interprétation différente de la preuve.
[25] Au surplus, la première commissaire a pris soin de bien motiver toutes les facettes en matière de recevabilité d’une preuve.
[26] En effet, à la lecture même de cette décision, il est facile de constater que cette dernière a pris soin de bien analyser l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée sur la requête incidente dont elle était saisie et par la suite, procéder à une revue judicieuse du droit applicable en cette matière, pour décider de toutes les questions auxquelles s’attaque le travailleur.
[27] Dans sa décision, la Commission des lésions professionnelles explique clairement les raisons pour lesquelles la preuve par vidéo est pertinente et que c’est davantage son rejet plutôt que sa recevabilité qui aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice.
[28] La Commission des lésions professionnelles répond également clairement aux allégations du travailleur en ce qui concerne le respect de sa dignité, tout en s’appuyant sur la jurisprudence.
[29] Pour la Commission des lésions professionnelles, il ne fait donc aucun doute que le travailleur n’a présenté aucun motif donnant ouverture à la révision ou révocation de la décision incidente rendue le 27 septembre 2006 par la Commission des lésions professionnelles.
[30] Qu’en est-il maintenant de l’autre aspect de la requête du travailleur qui concerne la décision rendue le 3 octobre 2007.
[31] Le travailleur soumet que cette décision comporte également plusieurs vices de fond ou de procédure.
[32] Dans la décision visée par la requête du travailleur, la Commission des lésions professionnelles était saisie de deux requêtes par lesquelles le travailleur et l’employeur contestaient la même décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative.
[33] Cette décision statue sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi à compter du 8 février 2005 et sur la survenance d’une récidive, rechute ou aggravation.
[34] Les faits rapportés dans la décision rendue le 3 octobre 2007 n’étant pas remis en cause, la Commission des lésions professionnelles ne croit pas nécessaire de les reprendre, mais elle s’y réfère comme si tout au long récités et particulièrement les paragraphes auxquels le travailleur se réfère.
[35] Les motifs de la décision visés par la présente requête sont ainsi rapportés :
[97] Par sa requête, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déterminer que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 20 février 2005. Pour sa part, le travailleur demande au tribunal de déterminer qu’il n’a pas la capacité d’exercer son emploi à compter du 8 février 2005. Ce faisant, il n’y a donc pas lieu de statuer sur l’existence ou non d’une récidive, rechute ou aggravation le 20 février 2005 puisqu’il s’agit d’une continuité de la lésion professionnelle du 28 avril 2004.
[98] Dans les circonstances, le tribunal va d’abord traiter de la question de la capacité du travailleur d’exercer son emploi à compter du 8 février 2005, puisque l’issu de ce litige peut avoir des répercussions évidentes concernant l’existence ou non d’une récidive, rechute ou aggravation à compter du 20 février 2005.
[99] Pour statuer sur la capacité d’un travailleur à exercer son emploi, la CSST a besoin d’informations médicales. Elle doit notamment connaître le diagnostic de la lésion professionnelle, la date de consolidation de cette lésion et les séquelles, le cas échéant. Le rapport médical final ou le rapport d'évaluation médicale du médecin qui a charge peut contenir les informations nécessaires permettant à la CSST de statuer sur la question. Dans d’autres situations, ces informations médicales peuvent découler d’un rapport complémentaire ou d’une évaluation d’un membre du Bureau d'évaluation médicale.
[100] Tel que mentionné, le tribunal est saisi d’un litige portant sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi à compter du 8 février 2005. Tenant compte des éléments au dossier et des représentations des parties quant à ce litige, le tribunal doit aborder la notion de médecin qui a charge, se pencher sur la question du rapport médical final du 8 février 2005 et du rapport complémentaire du 21 décembre 2004.
[101] Pour ce faire, le tribunal réfère d’abord aux dispositions pertinentes suivantes de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles 4 (la loi) :
4 L.R.Q. c. A-3.001.
192. Le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix.
__________
1985, c. 6, a. 192.
199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et:
1° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou
2° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.
Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.
__________
1985, c. 6, a. 199.
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant:
1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;
2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
__________
1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants:
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
__________
1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
212.1. Si le rapport du professionnel de la santé obtenu en vertu de l'article 212 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de cet article, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission soumet ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
__________
1997, c. 27, a. 5.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
__________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.
Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.
La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.
__________
1992, c. 11, a. 27.
[102] Le législateur consacre le droit du travailleur de choisir son médecin. Ces dispositions permettent également de connaître les règles concernant la production du rapport médical final, du rapport du médecin désigné par l’employeur, du rapport complémentaire du médecin qui a charge à la suite de la réception du rapport du médecin désigné et l’effet liant des conclusions médicales pour la CSST afin qu’elle rende une décision en vertu de la loi, en conséquence de ces conclusions médicales.
[103] Or, l’une des décisions que la CSST peut rendre en vertu de la loi et qui est conséquente de ces conclusions médicales est celle portant sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi. Et pour statuer sur cette question, le diagnostic, la date de consolidation et les séquelles s’avèrent des conclusions médicales particulièrement pertinentes. Les conclusions médicales du médecin qui a charge dans son rapport médical final lient la CSST et elles ne peuvent être contestées (article 224) alors que les conclusions médicales émises à la suite d’un avis d’un membre du Bureau d'évaluation médicale lient la CSST, mais elles peuvent être contestées par les parties (article 224.1).
[104] À ce stade-ci, il convient de se pencher sur la notion de médecin qui a charge. D’une part, parce que cette notion est importante dans le cadre des articles 212 et 212.1 de la loi et d’autre part, elle est également importante dans la confection du rapport médical final et sur son effet liant. Et dans une optique de statuer sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi, cette notion prend toute son importance.
[105] La notion de médecin qui a charge n’est pas définie à la loi. Cette notion s’est plutôt développée au fil des décisions rendues par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) et par la Commission des lésions professionnelles. Le médecin qui a charge est celui qui examine le travailleur, qui est choisi par le travailleur par opposition à celui qui lui serait imposé, celui qui établit un plan de traitement et celui qui assure le suivi médical du travailleur5.
5 Marceau et Gouttière Rive-Sud
Fabrication inc., C.A.L.P. 91084-62-9709, 22 octobre 1999,
H. Marchand; Guillaume c. C.L.P. C.S.
Montréal, 500-17-024444-054, 14 décembre 2005, J. Caron
[106] Dans le cas sous étude, le travailleur se dirige vers son médecin de famille, le docteur Béland. Dans le cadre du suivi médical, le docteur Béland dirige le travailleur vers la docteure Dafniotis, cette dernière étant orthopédiste. La docteure Dafniotis rencontre le travailleur à compter du 20 octobre 2004. À partir de cette date, le tribunal constate que dans les faits, la docteure Dafniotis prend charge du travailleur. Le 20 octobre 2004, elle examine le travailleur. Elle fait une infiltration. Elle pose un plâtre et elle prévoit revoir le travailleur dans deux semaines. Le 3 novembre 2004, la docteure Dafniotis revoit donc le travailleur. Elle l’examine à nouveau. Elle retire le plâtre. Elle prescrit des traitements de physiothérapie et elle demande une résonance magnétique du coude gauche. Elle doit revoir le travailleur à la suite de la résonance magnétique. Le 8 décembre 2004, la docteure Dafniotis revoit le travailleur. Elle a en main le résultat de la résonance magnétique. Elle examine le travailleur, puis elle le dirige vers la docteure Fortier. Il importe de mentionner qu’au cours de cette période du 20 octobre au 8 décembre 2004, le travailleur ne rencontre le docteur Béland qu’une seule fois, soit le 28 octobre 2004. À cette occasion, le docteur Béland indique que le travailleur est en attente d’une consultation le 3 novembre 2004. Il s’agit de la consultation avec la docteure Dafniotis. En fait, selon la preuve soumise, la prochaine consultation avec le docteur Béland à la suite de celle du 28 octobre 2004 n’a lieu que le 21 février 2005.
[107] Par conséquent, au moment de produire le rapport complémentaire du 21 décembre 2004 ou le rapport médical final du 8 février 2005, le tribunal estime qu’il est approprié de considérer la docteure Dafniotis comme médecin qui a charge. Bien qu’elle ne soit pas le choix du travailleur, elle est le médecin spécialiste vers qui le docteur Béland dirige le travailleur à compter du 7 juillet 2004. Elle examine le travailleur. Elle établit un plan de traitements et elle assure le suivi médical du travailleur au cours de cette période cruciale à la détermination de la capacité du travailleur d’exercer son emploi.
[108] Le médecin qui a charge étant identifié pour cette période, le tribunal se penche alors sur la question du rapport médical final. Il s’agit du rapport médical final produit par la docteure Dafniotis le 8 février 2005 et à partir duquel la CSST rend sa décision du 18 février 2005 statuant sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi à compter du 8 février 2005.
[109] À l’article 203 de la loi, le législateur prévoit la production d’un rapport médical final par le médecin qui a charge du travailleur. Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant, le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le Règlement sur le barème des dommages corporels 6, la description des limitations fonctionnelles résultant de la lésion, et l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion. Il est également prévu que le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
6 (1987) 119 G.O. II, 5576.
[110] Or, dans le cadre de son témoignage, le travailleur explique que la docteure Dafniotis ne l’informe pas du contenu du rapport médical final qu’elle produit le 8 février 2005. D’ailleurs, une lecture des notes évolutives de la CSST corrobore ses dires. En effet, il semble que ce soit lors d’une conversation avec l’agente de la CSST le 17 février 2005 que le travailleur est informé de l’existence d’un rapport médical final et par le fait même du contenu de ce rapport. En effet, lors de cette conversation, il apprend qu’il a la capacité d’exercer son emploi et que son droit à l’indemnité de remplacement du revenu cesse. L’agente de la CSST doit d’ailleurs lui envoyer une copie du rapport complémentaire du 21 décembre 2004 et du rapport médical final du 8 février 2005.
[111] De plus, lorsque le travailleur rencontre le docteur Béland le 21 février 2005, il lui mentionne que la CSST l’appelle le 17 février 2005 et qu’elle lui indique qu’il y a eu un arrangement entre la docteure Dafniotis et le médecin du service de santé de la CSST. Et lors du bilan médical téléphonique du 17 mars 2005 entre la docteure Lemay et le docteur Béland, ce dernier demande à ce que le travailleur revoit la docteure Dafniotis. Le docteur Béland veut des précisions puisque le rapport médical final est complété sans que la docteure Dafniotis n’ait revu le travailleur.
[112] Tous ces éléments corroborent les dires du travailleur quant au fait que le rapport médical final du 8 février 2005 est produit non seulement sans qu’il ne soit informé par la docteure Dafniotis de son contenu sans délai, mais aussi sans qu’il ne sache qu’un tel rapport est produit jusqu’au moment où on l’informe de sa capacité d’exercer son emploi et que l’on cesse son droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
[113] Ces éléments confirment également que ce rapport médical final est produit à la lumière des informations médicales notées par la docteure Dafniotis le 8 décembre 2004, soit lors de sa dernière rencontre avec le travailleur. Or, au cours de cette rencontre, il n’est pas question de consolidation ou d’absence de séquelles. Il est plutôt question d’un diagnostic d’épicondylite et d’épitrochléite gauches et la docteure Dafniotis dirige le travailleur en physiatrie vers la docteure Fortier. De tels éléments ne permettent pas de conclure qu’au cours de cette rencontre du 8 décembre 2004, le travailleur est informé par la docteure Dafniotis ou qu’il peut être en mesure de déduire que sa lésion est consolidée sans séquelles. Il y a bien la production du rapport complémentaire du 21 décembre 2004 par contre, il s’avère que le travailleur n’est pas non plus informé du contenu de ce rapport jusqu’au moment de la conversation du 17 février 2005 avec l’agente de la CSST.
[114] Par conséquent, puisque l’on considère la docteure Dafniotis comme le médecin qui a charge du travailleur aux fins de produire le rapport médical final, le tribunal constate de graves manquements dans la production d’un tel rapport.
[115] Dans l’affaire Lapointe et Sécuribus inc.7, la Cour d’appel, saisie d’une situation semblable, indique :
7 C.A. Montréal, 500-09-013413-034, 19 mars 2004, jj. Forget, Dalphond, Rayle.
[…]
[32] La deuxième possibilité était de considérer que le médecin qui avait charge de l’appelante en juin 1998 était désormais le Dr. Roy. Il demeure que l’appelante a allégué dès la décision de la CSST connue [celle concernant la capacité du travailleur d’exercer son emploi et mettant fin à l’indemnité de remplacement du revenu], qu’elle ignorait le contenu de ce rapport. En somme, elle a allégué violation de l’obligation faite à l’art. 203 in fine au médecin qui avait charge de l’informer. La CSST devait alors vérifier la véracité de l’allégation et, si bien fondée, conclure que le rapport final reçu du Dr. Roy ne pouvait lier l’appelante en vertu de la Loi, car violant l’art. 203 de la Loi et la finalité sous-jacente, soit celle du droit du travailleur de choisir le médecin de son choix (art.192) et d’être informé du contenu du rapport final de ce dernier.
[33] Le refus de reconsidérer la décision du 10 juin en pareilles circonstances revient à stériliser la fin de l’art. 203 et, par conséquent, constitue une décision contraire à la Loi, ce que le législateur n’a pu vouloir. Une décision si contraire à l’intention législative est alors manifestement déraisonnable.
[…]
[116] La preuve en l’espèce ne révèle pas que le travailleur ait dénoncé la situation à la CSST. Il n’en demeure pas moins que l’enseignement de la Cour d’appel demeure pertinent quant à la sanction d’une telle façon de procéder. Le tribunal est d’avis que le rapport médical final du 8 février 2005 produit par la docteure Dafniotis ne peut donc avoir l’effet liant voulu par le législateur à l’article 224 de la loi afin que la CSST rende une décision en vertu de la loi. Ce qui concerne donc la décision de la CSST statuant sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi à compter du 8 février 2005 et entraînant la cessation du droit à l’indemnité de remplacement du revenu à cette date.
[117] Puisque le rapport médical final du 8 février 2005 ne peut avoir l’effet liant voulu, le tribunal se penche alors sur le rapport complémentaire du 21 décembre 2004 et ses effets possibles quant aux conclusions médicales pouvant servir à rendre une décision en conséquence et particulièrement celle concernant la capacité du travailleur d’exercer son emploi. Dans le cadre de son argumentation, le procureur du travailleur fait d’ailleurs part de son questionnement sur le fait que la CSST ait considéré un rapport médical final du 8 février 2005 alors qu’il y avait un rapport complémentaire du 21 décembre 2004 que l’on considérait liant à la suite de l’accord de la médecin qui a charge avec les conclusions médicales du médecin désigné par l’employeur.
[118] Il faut se rappeler qu’en date du 17 novembre 2004, le travailleur est réexaminé par le docteur Bertrand à la demande de l’employeur. Dans le cadre de son rapport d’expertise, le docteur Bertrand conclut que les diagnostics de bursite et d’épicondylite gauches sont consolidés alors que les diagnostics d’épicondylite droite et d’entorse lombaire ne sont pas en relation avec la lésion professionnelle du 28 avril 2004. Dans les notes évolutives de la CSST du 7 décembre 2004, il est indiqué que l’employeur demande à ce que le dossier du travailleur soit acheminé au Bureau d'évaluation médicale. Un rapport complémentaire est donc demandé à la docteure Dafniotis.
[119] La docteure Dafniotis produit son rapport complémentaire le 21 décembre 2004. Elle se dit alors en accord avec l’avis du docteur Bertrand. Étant donné cette réponse de la part de la docteure Dafniotis, le tribunal comprend que la CSST ne poursuit pas le processus de contestation vers le Bureau d'évaluation médicale.
[120] Une lecture des articles 212 et 212.1 de la loi permet de constater qu’un processus de contestation médicale, menant ultimement vers le Bureau d'évaluation médicale, est enclenché lorsqu’il y a divergence d’opinions. Les conclusions du médecin désigné par l’employeur doivent infirmer celles du médecin qui a charge. Par conséquent, lorsque dans son rapport complémentaire, le médecin qui a charge se dit en accord avec les conclusions du médecin désigné par l’employeur, il n’y a pas de divergence. Encore faut-il que cet accord donné par le médecin qui a charge du travailleur soit clair et sans aucune ambiguïté. Plusieurs décisions de la Commission des lésions professionnelles rappellent d’ailleurs l’importance du fait que l’accord donné par le médecin qui a charge, quant aux conclusions d’un médecin désigné, soit clair et non ambigu pour lui donner un effet liant8. Et non seulement faut-il que cet accord soit clair et sans ambiguïté, mais il faut également que le médecin qui a charge informe le travailleur, sans délai, du contenu de son rapport complémentaire.
8 Ferguron et Ind. De moulage Polytech inc., C.L.P. 155516-62B-0102, 3 octobre 2001, A. Vaillancourt; Morin et 1970-0374 Québec inc., C.L.P. 135078-08-0003, 9 octobre 2001, L. Boudreault; Fox et Commission scolaire South Shore, C.L.P. 152348-62A-40012, 22 mars 2002, N. Tremblay, révision rejetée, 25 juin 2003, N. Lacroix, Fortin et Société Groupe Emb. Pepsi Canada, [2004] C.L.P. 168 ; Paquette et Aménagement Forestier LF, C.L.P. 246976-08-0410, 6 juillet 2005, J.-F. Clément; Gagné et Entreprises Cuisine-Or, C.L.P. 231454-03B-0404, 13 juin 2005, M. Cusson.
[121] L’examen du travailleur par le médecin qui a charge n’est pas une condition à la production du rapport complémentaire9. On comprendra toutefois que dans un but d’évaluer la clarté de son accord aux conclusions du médecin désigné, il s’avère pertinent d’analyser les circonstances pour s’assurer que le médecin qui a charge a en main les éléments requis pour lui permettre d’acquiescer aux conclusions du médecin désigné et ce, de façon éclairée10.
9 Dhaliwal et Gusdorf Canada ltée, C.L.P. 168883-72-0109, 10 mai 2002, Y. Lemire
10 Morin et Forage Orbit inc., C.L.P. 225507-08-0401, 9 juillet 2004, révision rejetée, 28 octobre 2004, M. Carignan
[122] Le 21 décembre 2004, la docteure Dafniotis produit son rapport complémentaire. Pour ce faire, elle n’examine pas le travailleur. Dans son rapport complémentaire du 21 décembre 2004, la docteure Dafniotis réfère plutôt à l’examen préalable du 8 décembre 2004. À cette date, la docteure Dafniotis examine effectivement le travailleur. De ses notes de consultation et de son rapport médical produit, le tribunal comprend que la docteure Dafniotis a de la difficulté à comprendre l’origine des symptômes décrits par le travailleur. Elle indique que la résonance magnétique démontre une épitrochléite plutôt qu’une épicondylite. Elle maintient les diagnostics d’épicondylite et d’épitrochléite gauches puis elle dirige le travailleur en physiatrie vers la docteure Fortier. Or, si l’on revient au rapport d’expertise du docteur Bertrand du 17 novembre 2004, on constate que les diagnostics diffèrent. Il y a également divergence quant à la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits. Le docteur Bertrand se prononce sur la date de consolidation, alors qu’à la suite de son examen du 8 décembre 2004, la docteure Dafniotis ne se prononce pas sur cette question, préférant plutôt diriger le travailleur en physiatrie.
[123] Dans un tel contexte, le tribunal estime que l’accord dont fait part la docteure Dafniotis dans le cadre de son rapport complémentaire ne rencontre pas le niveau de clarté et de non-ambiguïté souhaité afin qu’on lui reconnaisse l’effet liant de l’article 224 de la loi. Et ceci dans un contexte où la preuve révèle également que la docteure Dafniotis omet d’informer le travailleur, sans délai, du contenu du rapport complémentaire du 21 décembre 2004.
[124] Dans l’affaire Perron et Transport Marcel St-Pierre11, la Commission des lésions professionnelles indique que cette omission n’est pas suffisante à elle seule pour rendre le rapport complémentaire caduc. Par contre, il faut comprendre qu’une telle conclusion est rendue dans un contexte où le médecin qui a charge du travailleur a antérieurement partagé ses conclusions médicales avec le travailleur. Dans cette décision, la Commission des lésions professionnelles indique d’ailleurs que la gravité de l’omission du médecin qui a charge aurait été bien différente si celui-ci n’avait pas partagé avec le travailleur son accord avec les conclusions médicales du médecin désigné par l’employeur.
11 C.L.P. 163232-08-0106, 25 juin 2003, P. Prégent
[125] Or, il s’agit justement de la situation ayant cours dans la cause sous étude. En effet, lors d’une conversation du 17 février 2005 entre l’agent de la CSST et le travailleur, il est indiqué que l’agent envoie au travailleur une copie de différents documents, dont une copie du rapport complémentaire. Le tribunal comprend alors que le travailleur n’a pas copie de ce rapport complémentaire et qu’il n’a pas non plus connaissance du contenu de ce rapport. Et dans ces circonstances le tribunal en conclut également que le médecin qui a charge n’a certainement pas partagé avec le travailleur son accord avec les conclusions du médecin désigné par l’employeur puisque la docteure Dafniotis n’a pas revu le travailleur depuis le 8 décembre 2004. Le rapport complémentaire étant daté du 21 décembre 2004.
[126] Dans un tel contexte, le tribunal est d’avis que cette omission du médecin qui a charge du travailleur contrevient aux prescriptions de l’article 212.1 de la loi, soit qu’il informe le travailleur du contenu de son rapport complémentaire et ce, sans délai.
[127] Dans l’affaire McQuinn et Étiquettes Mail-Well 12, dont les faits se rapprochent de la présente affaire, la Commission des lésions professionnelles s’exprime comme suit :
12 C.L.P. 201087-62A-0303, 31 janvier 2005, N. Tremblay
[…]
[25] S’il est vrai que la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles permet à la CSST d’obtenir l’accord du médecin traitant en suivant la procédure édictée aux articles 205.1 et 212.12 de la loi, cette même jurisprudence exige que la procédure soit suivie d’une façon stricte, que la réponse donnée par le médecin soit claire et sans ambiguïté, et, s’il modifie son opinion, qu’elle soit étayée.
2 Ces dispositions sont au même effet à
l’exception que l’article 205.1 de la loi réfère au
rapport du médecin désigné par la CSST alors que l’article
212.1 réfère au médecin
désigné par l’employeur.
[26] Il faut se rappeler que la conséquence de reconnaître un caractère liant à la réponse donnée par le médecin qui a charge est que le travailleur ne pourra pas contester par la suite cette conclusion puisque la loi à l’article 358 ne permet pas la révision d’une question d’ordre médical sur laquelle la CSST est liée en vertu de l'article 224 de la loi.
[27] Le tribunal est d’avis que le rapport du docteur St-Laurent n’a pas un caractère liant pour deux raisons. Premièrement, l’opinion du docteur St-Laurent n’est pas étayée de telle sorte que l’on ne peut, même sommairement, comprendre son opinion. Deuxièmement, le docteur St-Laurent n’a pas respecté les exigences de l’article 212.1 de la loi ou encore de l’article 203 de la loi, soit d’informer le travailleur sans délai du contenu de son rapport avant de l’envoyer à la CSST.
[28] Concernant le premier motif, la jurisprudence majoritaire de la Commission des lésions professionnelles permet au médecin qui a charge de modifier son opinion dans le cadre de la procédure prévue aux articles 205.1 ou 212.1 de la loi si cette opinion est « claire et limpide »3. La jurisprudence a connu une évolution au niveau de cette exigence de clarté où on retrouve maintenant l’exigence que l’opinion soit étayée afin d’être en mesure de comprendre les motifs qui amènent le médecin qui a charge à changer d’opinion avant de lui accorder un caractère liant.
3 Expression utilisée par le commissaire Clément dans l’affaire Bacon citée plus loin.
[…]
[33] Le second motif qui amène le tribunal à ne pas accorder un caractère liant au rapport complémentaire du docteur St-Laurent réside dans le fait que la procédure de l’article 212.1 de la loi n’a pas été respectée notamment en ce qui concerne l’obligation du médecin qui a charge d’informer sans délai le travailleur du contenu de son rapport. Contrairement aux prétentions du procureur de l’employeur, cette exigence n’est pas une simple formalité, mais bien une exigence de fond compte tenu des conséquences qu’a l’opinion du médecin qui a charge sur les droits du travailleur. Cette étape est le seul moment où le travailleur a l’occasion de faire valoir son point de vue et d’exercer le droit qui lui est dévolu à l’article 192 de la loi d’avoir recours au médecin de son choix si jamais il est en désaccord avec le contenu de ce rapport.
[…]
[128] Pour le tribunal, la gestion du rapport complémentaire du 21 décembre 2004 constitue une entorse importante au processus ayant mené à la détermination de la capacité du travailleur à exercer son emploi à compter du 8 février 2005 et à déclarer que son droit à l’indemnité de remplacement du revenu cesse à cette date. Cette gestion a de plus empêché que le dossier du travailleur soit acheminé au Bureau d'évaluation médicale, tel qu’initialement demandé par l’employeur. Force est d’admettre que l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale aurait pu avoir un impact important quant à la détermination de la capacité du travailleur d’exercer son emploi à compter du 8 février 2005 et de son droit à l’indemnité de remplacement du revenu à cette date.
[129] À la lumière de cette analyse, le tribunal conclut que le rapport médical final du 8 février 2005 ne peut lier la CSST. Ceci étant, le rapport complémentaire du 21 décembre 2004 ne peut davantage servir de rapport liant aux fins de rendre une décision en vertu de la loi, et particulièrement celle statuant sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi. Avec respect, nous sommes dans une situation où le 8 février 2005, la CSST n’a pas en main les conclusions médicales liantes permettant de rendre une décision en vertu de la loi, tel que le stipule l’article 224 de cette loi.
[130] Dans les circonstances, le tribunal estime qu’il y a lieu de retourner le dossier à la CSST afin que cette dernière puisse enclencher le processus d’évaluation médicale tel qu’il aurait dû s’enclencher à l’époque où il fut demandé par l’employeur. Ceci permettant d’éclaircir la situation notamment quant au diagnostic de la lésion, la date ou la période prévisible de consolidation de cette lésion et la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits pour cette lésion professionnelle du 28 avril 2004. Par exemple, quant au diagnostic, le tribunal rappelle que le 17 novembre 2004, le docteur Bertrand parle de bursite à l’épaule gauche et d’épicondylite gauche. Le 8 décembre 2004, la docteure Dafniotis parle d’épicondylite et d’épitrochléite gauches. Le 21 février 2005, le docteur Béland parle d’épicondylites gauche et droite et de bursite à l’épaule gauche. À compter du 22 mars 2005, le travailleur rencontre la docteure Fortier, vers qui la docteure Dafniotis avait dirigé le travailleur le 8 décembre 2004, et il est question d’une névrite cubitale gauche en plus des diagnostics d’épicondylites gauche et droite. Dans un tel contexte, le tribunal n’a d’autre choix que de retourner le dossier à la CSST. Il est bien conscient que cette mesure vient tardivement dans l’évolution de ce dossier par contre, elle permet de régulariser la situation, de connaître les conclusions médicales et elle permet également aux parties d’exercer leurs droits, le cas échéant.
[131] Puisque le tribunal infirme la décision de la CSST concluant à la capacité du travailleur d’exercer son emploi à compter du 8 février 2005, le litige concernant la récidive, rechute ou aggravation du 20 février 2005 devient sans objet.
[…]
[36] Le travailleur soutient que la première commissaire excède sa juridiction en retournant le dossier à la CSST afin que la procédure d’évaluation médicale soit enclenchée et qu’elle ne pouvait agir ainsi puisqu’elle n’était pas saisie d’une question de nature médicale.
[37] Dans la décision visée par la présente requête, la Commission des lésions professionnelles doit décider de deux litiges distincts. La capacité du travailleur d’exercer son emploi le 8 février 2005, à la suite de sa lésion initiale et, l’existence ou non d’une récidive, rechute ou aggravation le 20 février 2005.
[38] Avec raison, la Commission des lésions professionnelles a choisi de disposer en premier lieu de la contestation du travailleur concernant sa capacité d’exercer son emploi, puisque le deuxième litige en découle.
[39] Contrairement aux prétentions du travailleur, la Commission des lésions professionnelles ne croit pas que la première commissaire ait excédé sa juridiction en retournant le dossier à la CSST ni qu’elle se soit saisie d’une question de nature médicale.
[40] En effet, pour disposer en premier lieu de la capacité du travailleur d’exercer son emploi, la première commissaire devait d’abord s’assurer qu’elle avait en main une preuve médicale prépondérante lui permettant de tirer la conclusion de droit qui s’imposait.
[41] À cet égard, la jurisprudence établit clairement que la capacité d'un travailleur à exercer l'emploi qu'il occupait au moment de sa lésion professionnelle doit être déterminée par l'analyse de la compatibilité des limitations fonctionnelles qui résultent de sa lésion professionnelle avec les tâches de l'emploi occupé[5].
[42] Or, en faisant cet exercice, la première commissaire constate qu’elle ne dispose pas de cette preuve médicale puisque le processus d’évaluation médicale a été vicié pour les motifs qu’elle explique clairement.
[43] La première commissaire n’avait donc pas le choix de retourner le dossier à la première instance afin qu’elle corrige cette erreur tout en conservant les droits des parties puisqu’elle ne pouvait pas, sans une preuve médicale prépondérante légale, décider de la capacité du travailleur d’exercer son emploi.
[44] Par conséquent, en infirmant la décision rendue en révision administrative sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi, le litige portant sur la survenance d’une récidive, rechute ou aggravation devenait sans effet.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête du travailleur, monsieur Pierre Duguay.
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Jean-Marc Dubois |
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Me Alain Lachance |
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C.S.D. |
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Représentant de la partie requérante |
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M. André Morin |
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GESTIMED |
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Représentant de la partie intéressée |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.