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[1] Le 6 novembre 2003 monsieur Marc Bigras (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 26 septembre 2003 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme les trois décisions qu'elle a initialement rendues le 6 mars 2003, déclare que le travailleur est capable, à compter du 6 mars 2003, d’exercer un emploi convenable d’aviseur technique, déclare que les versements de l’indemnité de remplacement du revenu pouvaient être suspendus à compter du 20 février 2003 en vertu de l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et déclare que le travailleur doit rembourser un trop-perçu de 26 909,32$.
[3] Le travailleur, monsieur Couture, pour Roxboro Excavation Inc. (l’employeur) et Me Sonia Sylvestre, pour la CSST, sont présents aux audiences tenues les 15 avril et 18 mai 2004 à Salaberry-de-Valleyfield.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’emploi d’aviseur technique n’est pas un emploi convenable, que les versements de l’indemnité de remplacement du revenu ne devaient pas être suspendus et qu’il n’a pas à rembourser la somme de 26 909,32$ à la CSST.
LA PREUVE
[5] Le travailleur exerce, chez l’employeur, un emploi de mécanicien de machinerie lourde. Le 9 mai 2000 il produit une réclamation à la CSST parce qu’il a subi un accident du travail le 2 mai 2000. Un diagnostic d’entorse lombaire est initialement posé et c’est sur la base de ce diagnostic que la réclamation est acceptée par la CSST.
[6] Une tomodensitométrie lombaire est faite le 4 octobre 2000 et montre, au niveau L4-L5, un «minime bombement circonférentiel du disque sans signe franc de hernie discale ni de sténose spinale». Le travailleur passe un EMG le 1er novembre 2000, examen qui montre une «dénervation minime L4-L5 à gauche». Finalement, un examen par résonance magnétique est effectué le 9 décembre 2000; on note une discopathie en L2-L3 et une discopathie en L4-L5 avec une «miniscule hernie discale focale à la région foraminale gauche». C’est le diagnostic de hernie discale L4-L5 que le docteur Masucci, médecin du travailleur, pose dans un rapport médical du 18 décembre 2000.
[7] Le 18 janvier 2001 la CSST accepte de reconnaître la relation entre cette hernie discale L4-L5 gauche et la lésion professionnelle du 2 mai 2000. L’employeur demande la révision de cette décision le 22 février 2001. Le 10 octobre 2001, à la suite d’une révision administrative, la CSST maintient sa décision initiale du 18 janvier 2001 et cette décision n’est pas contestée à la Commission des lésions professionnelles.
[8] Le 23 janvier 2001 le docteur Sirhan, neurochirurgien, écrit que le travailleur présente des douleurs lombaires et qu’il n’est pas candidat pour une chirurgie.
[9] Le travailleur reçoit par la suite différents traitements, dont des infiltrations par épidurale faites à une clinique de la douleur par le docteur Samimi. Une amélioration est notée par le docteur Masucci en avril 2001 mais en août 2001 le docteur Masucci dit qu’il n’y a aucune amélioration. Le 8 novembre 2001 il mentionne à la CSST qu’une consolidation est à venir et le 13 décembre 2001 le docteur Masucci parle d’une légère aggravation. Le 7 janvier 2002 le docteur Masucci dit que la lésion sera consolidée suite à la visite au docteur Goulet, neurochirurgien. Le 23 mai 2002 le docteur Goulet ne recommande pas la chirurgie et le 4 juin 2002 le docteur Masucci parle à nouveau d’une aggravation.
[10] Le 18 juin 2002 le docteur Masucci mentionne à la CSST que le travailleur lui a dit qu’il avait de la difficulté à faire plus de trois jours de travail par semaine. Il demande une évaluation des capacités résiduelles du travailleur dans le but de l’aider à émettre des limitations fonctionnelles. Cette évaluation est faite en juillet 2002 et le rapport est daté du 1er août 2002. Par la suite, le docteur Masucci examine le travailleur le 28 août 2002 et produit un rapport d'évaluation médicale le 5 octobre 2002. Il évalue le déficit anatomo-physiologique à 6% et recommande les limitations fonctionnelles suivantes :
- charge maximale de 20 kilogrammes;
- maximum de temps en position assise : 2 heures avec chaise appropriée, 20 minutes avec chaise ordinaire;
- éviter les mouvements répétitifs de la colonne dorsolombaire qui impliquent d’effectuer des mouvements avec amplitudes extrêmes de flexion, extension ou de rotation;
- ne peut travailler en position accroupie ni avec la colonne partiellement fléchie;
- éviter de grimper et ramper.
[11] Le 29 octobre 2002 la CSST décide que la lésion professionnelle du 2 mai 2000 a entraîné une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de 6,90% et le 12 novembre 2002 la CSST déclare que le travailleur a besoin de services de réadaptation pour pouvoir retourner au travail.
[12] Le 16 janvier 2003 le docteur Masucci prescrit Neurontin, Élavil, Empracet, une «chaise Balans» et un lit d’hôpital. Un seul autre rapport médical apparaît au dossier de la Commission des lésions professionnelles; il est daté du 16 mars 2004 et il est du docteur Masucci qui parle d’un syndrome douloureux; le docteur Masucci dit qu’il n’y a aucun changement et que le travailleur ne peut faire aucun travail.
[13] Une assignation temporaire est autorisée par le docteur Masucci le 23 avril 2001, à raison d’une journée par semaine. Le 30 avril le docteur Masucci modifie le travail léger, deux jours par semaine, quatre heures par jour. Le 28 mai, il autorise cinq heures par jour, deux jours par semaine. Le 28 septembre 2001 le docteur Masucci augmente à trois jours par semaine le travail léger, maximum cinq heures par jour. Les heures de travail sont augmentées à six heures par jour le 12 novembre 2001 pour redescendre à cinq heures le 13 décembre, cadence de travail qui est maintenue jusqu’au début du mois de novembre 2002, soit la date à laquelle le travailleur cesse tout travail chez l’employeur.
[14] Monsieur Martin Perreault est conseiller en réadaptation à la CSST et est en charge du dossier du travailleur. Il rencontre l’employeur le 5 novembre 2002 pour explorer les possibilités d’emploi convenable. Un emploi de «pointeur-camion à eau» est identifié et il est convenu de rencontrer le travailleur le 8 novembre pour discuter de cet emploi. Cette rencontre a effectivement lieu et le travailleur soumet que l’emploi proposé nécessite de nombreux déplacements en terrain accidenté et qu’il y a risque de récidive, rechute ou aggravation. L’emploi n’est pas retenu et aucun autre emploi convenable n’est identifié chez l’employeur. Il est entendu que le travailleur et monsieur Perreault se rencontrerait le 19 novembre 2002.
[15] Monsieur Perreault est par la suite mis au courant, le 13 novembre 2002, d’une dénonciation qui indique que le travailleur travaille de soir et de nuit dans un garage et que les heures faites pas le travailleur sont payées à la conjointe de ce dernier. Une demande d’enquête est faite le lendemain.
[16] Une première surveillance du travailleur est faite le 18 novembre. Madame Lucie Ménard, enquêteure pour une firme privée, est l’une des deux personnes qui procèdent à la filature. La surveillance débute au domicile du travailleur, vers 14h00; à 15h41 le travailleur arrive à son domicile; à 20h41 il quitte pour se rendre à Ste-Catherine, au 1591 Jean Lachaîne, où se situe L.A. Hébert, entreprise de déneigement. À 23h40 plusieurs camions pour le transport de la neige quittent l’entreprise L.A. Hébert mais il n’est pas possible de savoir si le travailleur conduit l’un de ces camions. La surveillance cesse à 23h55.
[17] Le 19 novembre 2002 le travailleur se rend à la CSST pour rencontrer monsieur Perreault. L’expérience de travail et les qualifications professionnelles du travailleur sont examinées. Des explications sont fournies concernant la réadaptation et le travailleur mentionne qu’il aimerait se diriger dans la réparation des ordinateurs. La prochaine rencontre est prévue pour le 3 décembre, rencontre qui sera reportée au 8 janvier 2003. Le même jour, la surveillance du travailleur se poursuit. Elle débute à 18h26, au domicile du travailleur, et se termine à 21h00, au même endroit. De cette filature, nous pouvons retenir que le véhicule du travailleur a été stationné devant l’entreprise L.A. Hébert, de 18h48 à 20h31.
[18] Le 20 novembre 2002 la filature du travailleur se poursuit, de 9h00 à 21h33. Le véhicule du travailleur est stationné devant l’entreprise L.A. Hébert de 15h08 à 21h16. À 17h24 une image vidéo est prise de l’intérieur d’un garage. Interrogée par le travailleur le 15 avril 2004, madame Ménard ne peut préciser si le garage se situe au 1589 ou au 1591 rue Jean-Lachaîne. Sur une autre prise vidéo le travailleur est aperçu près de la porte de ce garage à 21h08, sans plus. Le lendemain, la surveillance se fait de 12h00 à 20h31. Le véhicule du travailleur est garé dans la cour de L.A. Hébert, de 16h57 à 20h16. Il est indiqué que le travailleur, de 19h17 à 19h18, «est aperçu s’affairant à une réparation près de la portière d’un camion». Questionnée par le travailleur, madame Ménard, lors de son témoignage du 15 avril 2004, est incapable de dire de quelle sorte de réparation il s’agit. La Commission des lésions professionnelles a vu cette séquence vidéo et est d’avis qu’il s’agit plus d’une «vérification» que d’une «réparation».
[19] Le 20 décembre 2002 un mandat est donné au service des enquêtes spéciales de la CSST. Monsieur Gérard Langlois est responsable de cette enquête. Il est établi que le travailleur a une entreprise enregistrée au bureau de l’inspecteur général des institutions financières; cette entreprise porte le nom de «Les Entreprises M.D. Auto Enr.», l’adresse se situe au 1589 rue Jean-Lachaîne à Ste-Catherine et les activités de cette entreprise sont location d’espaces et vente de pièces.
[20] Une dernière surveillance du travailleur est faite le 8 janvier 2003; le seul but de cette surveillance est de bien identifier le travailleur qui, ce jour-là, se rend aux bureaux de la CSST pour rencontrer monsieur Perreault. Cette rencontre a pour but de poursuivre l’exploration des possibilités professionnelles du travailleur. Ce dernier dit qu’il aimerait un emploi solitaire «car il a de la difficulté à gérer des employés et le public. Il a déjà possédé son garage et se disputait avec ses employés et les clients». À la Commission des lésions professionnelles, le travailleur déclare qu’il n’a jamais eu d’employés. À monsieur Perreault, le travailleur mentionne qu’il avait pensé à des emplois comme commis aux pièces ou superviseur technique. Certains autres emplois possibles sont identifiés et il est prévu qu’une prochaine rencontre aura lieu le 5 février 2003, rencontre qui n’a pas eu lieu.
[21] En cours d’enquête, la CSST obtient les déclarations du travailleur (déclaration prise par monsieur Robert Bergeron, assisté de monsieur Robert Langlois, le 16 janvier 2003), de monsieur Robert Lalonde (déclaration prise le 16 janvier 2003 par monsieur Langlois), de monsieur Gino Palladino (déclaration prise par monsieur Langlois, assisté de monsieur Régis Boily, le 22 janvier 2003 et complément de déclaration pris par monsieur Langlois le 29 janvier 2003) et de monsieur Joël Bourdeau (déclaration prise par monsieur Langlois le 14 février 2003).
[22] L’enquête de la CSST se complète par des factures fournies par le travailleur, des copies de chèques et des rapports d’impôt du travailleur pour les années 2000 et 2001. Pour l’année 2000, l’entreprise du travailleur affiche une perte nette de 1 215,94$; en 2001 les revenus nets d’entreprise ont été de 334,07$.
[23] Le 15 avril 2004, en plus de madame Lucie Ménard, la Commission des lésions professionnelles entend monsieur Robert Lalonde, le travailleur et messieurs Robert Bergeron et Régis Boily, enquêteurs.
[24] Monsieur Palladino nie avoir déclaré à l’enquêteur de la CSST que le travailleur agissait comme aviseur technique. Il ne fait que conseiller monsieur Lalonde, son seul mécanicien. Le travailleur peut jeter un coup d’œil sur ses équipements et il fait parfois des réparations mineures. Monsieur Palladino loue un espace au travailleur, pour son coffre d’outils. Lui-même, monsieur Palladino, loue des espaces au domicile du travailleur pour entreposer de l’équipement. Il n’a pas vu le travailleur faire des travaux sur ses véhicules (ceux du travailleur); il n’a jamais versé aucune rémunération au travailleur, si ce n’est que de lui acheter des pièces. Les réparations majeures sur ses camions sont faites ailleurs mais monsieur Palladino ne sait pas trop où. Pour monsieur Palladino, changer un radiateur, changer des joints d’étanchéité (gaskets) ou changer une transmission sont des réparations majeures alors que changer un alternateur est une réparation mineure.
[25] Monsieur Lalonde est mécanicien pour monsieur Palladino, son beau-père. Monsieur Lalonde, depuis sa retraite comme chauffeur d’autobus le 31 août 2002, est plus souvent présent au garage de monsieur Palladino. Monsieur Lalonde nie avoir utilisé le terme aviseur technique dans sa déclaration; il admet cependant qu’il appelle le travailleur quand il a besoin de conseils ou pour trouver un problème qu’il ne trouve pas. Parfois le travailleur vient simplement au garage «pour faire un tour et jaser». Monsieur Lalonde ne fait que les réparations mineures, celles plus majeures étant faites ailleurs. Au garage, il a peut-être vu le travailleur laver son véhicule ou, une fois ou deux, souder son silencieux. Concernant la séquence vidéo du 20 novembre 2002, à 17h24, monsieur Lalonde dit qu’il s’agit de l’intérieur du garage de L.A. Hébert, autre entrepreneur en déneigement. Pour ce qui est du 21 novembre à 19h17, monsieur Lalonde affirme que le travailleur est allé simplement constater qu’il y avait une fuite d’air sous un tapis, près de la porte arrière d’un «camion 10 roues». Le travailleur n’a fait que bouger les tuyaux pour trouver le problème.
[26] Le travailleur explique qu’avant son accident du travail du 2 mai 2000 il a travaillé comme mécanicien pour monsieur Palladino; il pouvait faire de 20 à 40 heures par semaine. Après son accident, il retourne au garage de monsieur Palladino peu après son retour au travail progressif, soit vers juin 2001. Dans sa déclaration du 16 janvier 2003, il est écrit qu’il est retourné au garage à l’été 2000; même s’il a signé cette déclaration, le travailleur nie avoir dit une telle chose. Le travailleur souligne que le jour de la déclaration, le 16 janvier 2003, son médecin lui a prescrit un nouveau médicament (Neurontin). Le travailleur déclare qu’il fait des réparations mineures, comme changer des fils ou trouver la nature d’un problème, mais nie toucher quelque rémunération que ce soit. Il s’agit simplement d’un échange de bons procédés entre monsieur Palladino et lui. Il fait lui-même les changements d’huile sur ses propres véhicules. Le travailleur dit qu’il a mentionné à madame Cousineau, de la CSST, qu’il avait une entreprise mais cette dernière lui a dit que ça n’avait aucun rapport. Il a fait affaire à une reprise avec Excavations Jean Bourdeau en lui vendant une pièce et en le conseillant pour le changement d’une pédale d’embrayage (clutch). Depuis 1999, il a un camion cube chez lui; en 2001, il achète un moteur pour ce camion et c’est son voisin qui a fait le travail de changer le moteur.
[27] Messieurs Bergeron et Boily, enquêteurs, confirment que ce qui est écrit dans les déclarations prises par eux, ou celles auxquelles ils ont assisté, correspond à ce que les personnes ont mentionné. Chaque déclaration est lue à la personne avant qu’elle ne la signe.
[28] À l’audience du 18 mai 2004, la Commission des lésions professionnelles entend les témoignages de monsieur Robert Langlois, enquêteur, monsieur Denis Legault, directeur des opérations au Collège MPI, et monsieur Martin Perreault, conseiller en réadaptation à la CSST; le travailleur est également réentendu.
[29] Monsieur Langlois témoigne sur les déclarations prises par lui. Monsieur Lalonde et monsieur Palladino ont utilisé les mots aviseur technique pour décrire ce que faisait le travailleur. Ce dernier, lorsqu’il est rencontré, porte une salopette de mécanicien et a les mains noircies d’huile. Il marche normalement et se met tout d’un coup à boiter. Le travailleur ne lui est pas apparu confus et parfois il se mettait à genoux parce qu’il disait que ça lui faisait moins mal.
[30] Monsieur Legault a reçu, de la CSST, un mandat pour vérifier si le travailleur a la capacité et la compétence pour exercer un emploi d’aviseur technique et ce, à partir des informations qui lui ont été fournies par la CSST. Le curriculum vitae du travailleur est soumis à quatre entreprises et toutes ont mentionné qu’elle pourrait engager un tel candidat si un poste était disponible. Le taux horaire se situe à 15$ pour un débutant et jusqu’à 20$ pour une personne qui a une expérience comme celle du travailleur. Le rapport du Collège MPI est produit sous la cote C-1.
[31] Monsieur Perreault témoigne qu’une dénonciation anonyme est reçue à la CSST, ce qui explique les raisons de l’enquête. Les informations reçues par la CSST étaient suffisamment précises pour justifier une enquête. Le travailleur n’a jamais mentionné qu’il avait une entreprise, information qui est utile en matière de réadaptation.
[32] Le travailleur apporte des précisions sur certains éléments et produit divers documents.
L’AVIS DES MEMBRES
[33] Les membres issus des associations syndicales et d'employeurs sont d'avis qu’un emploi d’aviseur technique est un emploi convenable pour le travailleur. Selon son propre témoignage, depuis 2001, le travailleur donne des conseils, assiste le mécanicien pour l’aider à trouver le problème mécanique et supervise des travaux du mécanicien, ce qui constitue l’essentiel des tâches exécutées par un aviseur technique. Le travailleur est capable d’exercer un tel emploi, au moins depuis le 6 mars 2003.
[34] Les membres issus des associations syndicales et d'employeurs sont également d'avis que le travailleur a fourni des renseignements inexacts à la CSST en ne révélant pas ses activités dans son entreprise; les versements de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur ne pouvaient cependant être suspendus rétroactivement. Cette suspension ne pouvait être effective qu’à compter de la date de la décision, soit le 6 mars 2003.
[35] Le membre issu des associations patronales est d'avis que la suspension des versements de l’indemnité de remplacement du revenu doit s’appliquer pour toute l’année suivant le 6 mars 2003, ce qui correspond à l’année de recherche d’emploi. Quant au trop-perçu, le travailleur doit en rembourser la moitié, soit 13 454,66$; il faut considérer qu’il a fait des tâches d’aviseur technique à raison d’une moyenne estimée à 20 heures par semaine, avant le 6 mars 2003.
[36] Le membre issu des associations syndicales est d'avis que cette suspension de l’indemnité de remplacement du revenu ne doit pas être maintenue après le 6 mars 2003 puisque la CSST est alors au courant des activités du travailleur; la raison de la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu n’existe plus et les versements doivent être repris. Le travailleur n’a pas non plus à rembourser à la CSST la somme de 26 909,32$ puisque, même s’il a exercé certaines activités de travail, il n’est pas prouvé qu’il en a tiré un revenu d’emploi. En 2000, son entreprise a fait des pertes et en 2001, les revenus nets de son entreprise sont très minimes.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[37] La Commission des lésions professionnelles doit décider si un emploi d’aviseur technique est un emploi convenable pour le travailleur, si ce dernier est capable d’exercer un tel emploi depuis le 6 mars 2003, si les versements de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur pouvaient être suspendus le 20 février 2003 et si le travailleur doit rembourser à la CSST la somme de 26 909,32$.
[38] Les décisions de la CSST sont basées, principalement, sur les résultats d’une filature et d’une enquête effectuées en novembre 2002 et janvier 2003. Compte tenu de la preuve faite devant elle, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la CSST était justifiée de procéder ainsi. La filature, incluant les séquences vidéo, et l’enquête respectent les principes émis par la Cour d’appel dans l’affaire Syndicat des travailleurs(euses) de Bridgestone Firestone de Joliette (CSN) c. Trudeau[2]. Cette preuve est donc admissible.
[39] La loi définit ainsi l’emploi convenable :
«emploi convenable»: un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion.
[40] La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’un emploi d’aviseur technique est un emploi convenable pour le travailleur. La preuve indique que cet emploi respecte les limitations fonctionnelles du travailleur, permet à ce dernier d’utiliser sa capacité résiduelle et correspond aux qualifications professionnelles du travailleur. La Commission des lésions professionnelles ne considère pas important le fait que les mots aviseur technique aient été mentionnés par messieurs Lalonde et Palladino. Ces derniers nient avoir utilisé ces mots pour décrire les activités du travailleur mais, quand ils les décrivent, ils disent que le travailleur «conseille», «supervise», «trouve le trouble» et «fait des réparations mineures». Le travailleur lui-même utilise sensiblement les mêmes mots pour expliquer ce qu’il faisait au garage de monsieur Palladino. Un aviseur technique, essentiellement, fait ce que le travailleur a fait depuis l’été 2001.
[41] L’étude effectuée par la Collège MPI démontre également que cet emploi est conforme aux qualifications professionnelles du travailleur et à ses expériences de travail. Aussi, selon l’étude du Collège MPI, cet emploi présente une possibilité raisonnable d’embauche. La Commission des lésions professionnelles est d’avis que les conditions d’exercice de l’emploi d’aviseur technique ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion.
[42] Le 6 mars 2003 le travailleur est rencontré et la CSST décide qu’il est capable, à partir de ce jour, d’exercer l’emploi convenable retenu. Pour la Commission des lésions professionnelles, cette date de capacité est appropriée, d’autant plus que le travailleur exerçait certaines activités d’aviseur technique depuis juin 2001.
[43] La CSST décide également que le travailleur pourrait tirer de cet emploi un revenu annuel égal ou supérieur au revenu, revalorisé, que touchait le travailleur quand il a subi sa lésion professionnelle le 2 mai 2000. L’étude du Collège MPI fait état de ce fait et cette preuve n’a pas été contredite.
[44] L’article 49 de la loi prévoit ce qui suit :
49. Lorsqu'un travailleur incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle devient capable d'exercer à plein temps un emploi convenable, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu'il pourrait tirer de cet emploi convenable.
Cependant, si cet emploi convenable n'est pas disponible, ce travailleur a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 jusqu'à ce qu'il occupe cet emploi ou jusqu'à ce qu'il le refuse sans raison valable, mais pendant au plus un an à compter de la date où il devient capable de l'exercer.
L'indemnité prévue par le deuxième alinéa est réduite de tout montant versé au travailleur, en raison de sa cessation d'emploi, en vertu d'une loi du Québec ou d'ailleurs, autre que la présente loi.
[45] Dans sa décision du 6 mars 2003, la CSST mentionne que «le versement des indemnités de remplacement du revenu ont pris fin le 20 février 2003, puisque vous occupez déjà un emploi». Dans l’une des deux autres décisions du 6 mars 2003, la CSST décide de suspendre les versements de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 20 février 2003, en vertu de l’article 142 de la loi, «puisque vous avez fourni des renseignements inexacts».
[46] L’article 142 10 a) de la loi prévoit ce qui suit :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité:
1° si le bénéficiaire:
a) fournit des renseignements inexacts;
b) […]
[47] L’article 278 de la loi impose à un travailleur l’obligation de déclarer à la CSST tout changement dans sa situation :
278. Un bénéficiaire doit informer sans délai la Commission de tout changement dans sa situation qui peut influer sur un droit que la présente loi lui confère ou sur le montant d'une indemnité.
[48] Dans l’affaire Gariépy et Canadien Pacifique[3], il a été décidé que toute activité rémunératrice provenant d’une entreprise exploitée par un travailleur autonome doit être révélée à la CSST. Si un travailleur omet de faire une telle déclaration, ça équivaut à fournir un renseignement inexact et la CSST, en vertu de l’article 142 10 a), peut suspendre le paiement d’une indemnité, incluant les versements de l’indemnité de remplacement du revenu.
[49] Le travailleur affirme avoir dit à madame Cousineau, de la CSST, qu’il avait une entreprise et que cette dernière lui a dit que ça n’avait aucun rapport. Au dossier de la CSST, nous ne retrouvons aucune note à cet effet. De la preuve, la Commission des lésions professionnelles retient plutôt que cette information n’a pas été fournie à la CSST par le travailleur. C’est suite à la dénonciation anonyme et à l’enquête effectuée que les activités du travailleur ont été découvertes. En omettant de déclarer à la CSST ce «changement dans sa situation», le travailleur a «fourni un renseignement inexact» et la CSST pouvait suspendre son indemnité de remplacement du revenu.
[50] La jurisprudence établit clairement que la suspension du droit de recevoir une indemnité de remplacement du revenu prend effet à la date de la décision et ne peut être rétroactive[4]. Il a aussi été clairement établi que la suspension du paiement d’une indemnité de remplacement du revenu n’est pas une suspension du droit de recevoir cette indemnité[5]. Donc, la CSST avait le droit de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 6 mars 2003 seulement, le travailleur conservant cependant le droit de recevoir cette indemnité de remplacement du revenu.
[51] Dès que les résultats de l’enquête sont connus, le travailleur ayant collaboré à cette enquête en fournissant les documents demandés, la CSST est au courant du fait que le travailleur possède une entreprise et qu’il y exerce certaines activités. Le défaut reproché, soit d’avoir fourni des renseignements inexacts, n’existe plus et il n’y a plus aucune raison de maintenir la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu.
[52] La CSST, dans sa décision portant sur l’emploi convenable, déclare que les indemnités de remplacement du revenu prennent fin puisque le travailleur occupe déjà un emploi. La Commission des lésions professionnelles estime que la preuve sur ce point est faible. La filature exercée en novembre 2002 ne prouve pas que le travailleur exerce un emploi. Se référant aux témoignages de monsieur Palladino, de monsieur Lalonde et du travailleur, la Commission des lésions professionnelles peut conclure que ce dernier exerce certaines activités au garage de monsieur Palladino mais ce n’est pas suffisant pour dire qu’il occupe un emploi.
[53] Au surplus, les rapports d’impôt du travailleur, pour les années 2000 et 2001, ne prouvent pas que le travailleur occupe un emploi (mis à part le temps travaillé en assignation temporaire) puisque, pour la première année, son entreprise enregistre une perte et, pour l’autre, les revenus d’entreprise sont très minimes. À partir des documents fournis par le travailleur et en tenant compte de son témoignage, la Commission des lésions professionnelles ne peut conclure qu’il a occupé un emploi (autre que celui en assignation temporaire) en 2000 et 2001.
[54] Pour 2002 et le début 2003, la Commission des lésions professionnelles ne peut conclure que le travailleur a occupé un emploi. Le témoignage de monsieur Palladino et celui du travailleur ne sont pas contredits et les deux affirment qu’aucune rémunération n’est versée pour les conseils, la supervision ou les menus travaux effectués par le travailleur. Il y a une différence entre la capacité d’exercer l’emploi d’aviseur technique et le fait de l’exercer et d’en tirer un revenu. Il faut donc conclure que le travailleur a droit de recevoir l’indemnité de remplacement du revenu dans la mesure et aux conditions prévues à l’article 49 de la loi. Évidemment, si le travailleur a tiré un revenu d’emploi depuis le 6 mars 2003, il devra le déclarer à la CSST qui procédera à ajuster l’indemnité de remplacement du revenu à verser conformément à l’article 52 de la loi.
[55] Finalement, la CSST réclame au travailleur la somme de 26 909,32$. C’est l’article 430 de la loi qui dit qu’un trop-perçu peut être réclamé à un travailleur :
430. Sous réserve des articles 129 et 363, une personne qui a reçu une prestation à laquelle elle n'a pas droit ou dont le montant excède celui auquel elle a droit doit rembourser le trop-perçu à la Commission.
[56] Le travailleur avait droit de recevoir une indemnité de remplacement du revenu de mai 2001 au 6 mars 2003. Cette indemnité de remplacement du revenu ne pouvait pas être suspendue avant ce 6 mars 2003. Puisque la Commission des lésions professionnelles retient que le travailleur n’a pas occupé l’emploi d’aviseur technique de mai 2001 au 6 mars 2003, on ne peut prétendre que le travailleur n’avait pas à droit à l’indemnité de remplacement du revenu versée pour la même période. Le travailleur n’a donc pas à rembourser la somme de 26 909,32$ à la CSST.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE, en partie, la requête déposée le 6 novembre 2003 par monsieur Marc Bigras;
MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 26 septembre 2003 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’emploi d’aviseur technique est un emploi convenable pour monsieur Bigras et que monsieur Bigras est capable d’exercer cet emploi depuis le 6 mars 2003;
DÉCLARE que le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu de monsieur Bigras ne pouvait être suspendue avant le 6 mars 2003;
DÉCLARE que monsieur Bigras a droit de recevoir une indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, sous réserve de l’application de l’article 52 et ce, à compter du 6 mars 2003;
DÉCLARE que monsieur Bigras n’a pas à rembourser à la Commission de la santé et de la sécurité du travail la somme de 26 909,32$.
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Richard Hudon |
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Commissaire |
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Me Sonia Sylvestre |
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Panneton Lessard, avocats |
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Représentante de la partie intervenante |
Jurisprudence déposée par la partie intervenante
Desmarais et Aliments Carrière Inc., C.L.P. 183193-62B-0204, 14 mai 2003, M.-D. Lampron
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] [1999] R.J.Q. 229 (C.A.)
[3] [1996] C.A.L.P. 608 , révision rejetée, 63099-62-9410, 30 avril 1997, M. Billard, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-05-032662-973, 17 décembre 1997, j. Gomery
[4] Voir, notamment, Richer et Ville de St-Hubert, [1990] C.A.L.P. 411 ; Fortin et Donohue Normick Inc., [1990] C.A.L.P. 907 ; Salvaggio et Asphalte et pavage Tony inc., [1991] C.A.L.P. 291 ; Westroc inc. et Beauchamp, [2001] C.L.P. 206 ; Algier et Groupement forestier Haut-Yamaska inc., C.L.P. 144149-62B-0008, 3 mai 2001 Alain Vaillancourt, révision rejetée, 12 avril 2002, G. Godin
[5] Voir, notamment, Singh et Équipement de cuisine Astor inc., C.L.P. 132085-72-0002, M. Denis, révision rejetée, 12 octobre 2001, M. Zigby, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-05-068779-014, 15 mars 2002, j. Morneau