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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 19 août 2002, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose une requête en révision à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue le 28 juin 2002 par cette instance.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles déclare que 50 % des coûts des prestations reçues par la travailleuse devront être imputés à l’ensemble des employeurs et 50 % au dossier de l’employeur tandis que tous les autres frais reliés à la lésion professionnelle devront être imputés à l’employeur.
[3] À l’audience en révision tenue le 16 octobre 2002, Ville de Drummondville, l’employeur, est absent mais représenté. La CSST est représentée.
[4] Bien que la décision dont on demande la révision porte la date du 28 juin 2002, tel qu’en fait foi la lettre de transmission de cette décision, elle a été acheminée aux parties le 23 juillet 2002. La requête en révision du 19 août 2002 est donc logée dans le délai raisonnable prévu à la loi.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[5] La CSST demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue le 28 juin 2002 parce qu’elle est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider.
[6] Précisément, elle estime que le commissaire a commis une erreur de droit en déclarant que l’application de l’article 65 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) obère injustement l’employeur puisque le législateur a prévu d’indemniser la travailleuse au salaire minimum. Elle soutient que l’article 65 de la loi est une disposition légale et que son application ne peut équivaloir à obérer injustement un employeur. La CSST estime donc qu’il y a une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 326 de la loi. Enfin, elle soutient que le commissaire fait une erreur en procédant à un partage alors que l’article 326 de la loi impose un transfert des coûts.
LES FAITS
[7] Pour une meilleure compréhension du dossier, il importe de relater certains faits.
[8] Madame Floriane Paul-Descôteaux (la travailleuse) est brigadière scolaire pour l’employeur. Elle occupe cette fonction depuis 20 ans chez l’employeur à temps partiel 15 heures par semaine sur une période de 43 semaines par année. Son salaire hebdomadaire est de 125 $.
[9] Le 14 décembre 2000, elle subit un accident du travail. Elle se fracture le poignet après avoir fait une chute. Bien que la lésion professionnelle ne sera consolidée que le 12 avril 2001, la CSST déclare qu’elle est capable d’exercer son emploi à compter du 12 mars 2001.
[10] Durant la période de son incapacité, la CSST a versé à la travailleuse une indemnité de remplacement du revenu sur la base du salaire minimum tel que le prévoit l’article 65 de la loi. L’application de cet article de loi a eu pour effet de majorer de façon substantielle la base salariale servant au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu.
[11] Le 27 avril 2001, en raison de cette majoration, l’employeur demande à la CSST un partage des coûts parce qu’il soutient supporter injustement une partie des coûts de l’accident du travail subi par la travailleuse.
[12] Le 10 mai 2001, la CSST refuse la demande de partage de l’employeur. Il en est de même, le 9 novembre 2001, à la suite d’une révision administrative. L’employeur en appel de cette décision à la Commission des lésions professionnelles.
[13] Le 28 juin 2002, le commissaire attitré au dossier donne raison à l’employeur. Après avoir référé à la jurisprudence qui interprète de manière large et libérale la notion de « obérer injustement » prévue à l’article 326 de la loi, interprétation à laquelle il se rallie, le commissaire estime que l’employeur est obéré injustement et il convient d’un partage des coûts.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[14] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a matière à réviser la décision du 28 juin 2002.
[15] L’article 429.49 de la loi prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Toutefois, le législateur a prévu à l’article 429.56 de la loi que la Commission des lésions professionnelles peut réviser une décision qu’elle a rendue dans certaines circonstances. Ces dispositions se lisent comme suit :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[16] Dans le présent dossier, la CSST évoque le 3° paragraphe du 1er aliéna de l’article 429.56 de la loi, à savoir que la décision est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider. Le législateur n’a pas défini cette notion. Toutefois, la jurisprudence développée par la Commission des lésions professionnelles l’a interprétée comme étant une erreur manifeste de fait ou de droit qui a un effet déterminant sur le sort du litige[2]. Ce n’est que si une telle erreur existe que le recours en révision ou révocation peut réussir. Il ne peut donner lieu à une nouvelle appréciation de la preuve parce qu’il ne s’agit pas d’un nouvel appel[3].
[17] Précisément, la CSST soutient que le commissaire a erré dans son interprétation de l’article 326 de la loi en déclarant que l’application de l’article 65 de la loi obère injustement l’employeur.
[18] Dans un premier temps, le tribunal constate à la lecture de la jurisprudence de la Commission d’appel en matière des lésions professionnelles et de la Commission des lésions professionnelles que l’interprétation de la notion « d’obérer injustement » prévue à l’article 326 de la loi a évolué dans le temps. D’interprétation restrictive initialement préconisée, elle a été interprétée de façon large et libérale par la Commission des lésions professionnelles depuis le jugement de la Cour supérieure dans l’affaire Constructions E.D.B. inc. et CSST[4].
[19] En l’instance, le commissaire privilégie l’interprétation large et ce choix ne peut pas lui être reproché. De fait, comme il a été à maintes fois reconnu par nos tribunaux, l’existence de courants jurisprudentiels et le fait pour un commissaire d’adopter une approche plutôt qu’une autre ne saurait donner ouverture à la révision[5].
[20] Cela étant, la Commission des lésions professionnelles estime toutefois que le commissaire a commis une erreur de droit manifeste et déterminante quand il conclut que les conséquences de l’application d’une disposition législative, soit en l’instance l’article 65 de la loi, crée une injustice pour l’employeur et qu’il est, en ce sens, obéré injustement.
[21] Est-ce à dire qu’à chaque fois qu’un employeur assume des coûts qui dépassent ce pourquoi il rémunère son travailleur, il connaît une injustice ?
[22] À la lecture de la décision attaquée, il semble en être ainsi. Cette décision n’est, par ailleurs, aucunement motivée sur la nature de l’injustice dont l’employeur dit connaître. Le tribunal comprend que la seule application de l’article 65 de la loi et ses conséquences crée l’injuste et donne droit, en l’instance, à un partage des coûts.
[23] La Commission des lésions professionnelles estime qu’une telle conclusion constitue une erreur manifeste en ce qu’elle remet en cause l’application et, par le fait même, la légalité d’une disposition législative.
[24] Rappelons d’abord que la base même du régime d’indemnisation prévu à la loi est de garantir à la victime d’une lésion professionnelle une indemnité qui protège sa capacité à gagner un revenu et non sa perte effective de revenu. C’est ainsi que le législateur a prévu aux articles 65 et suivants de la loi qu’un travailleur peut, dans certaines circonstances, faire la démonstration d’un revenu plus élevé. Il est indéniable que l’application de ces dispositions législatives auront pour effet de majorer les coûts. C’est ce que le législateur a voulu et on ne pourrait conclure, pour autant, à une iniquité pour les employeurs.
[25] De plus, en matière d’interprétation des lois, il existe une présomption d’intention du législateur. À cet effet, le professeur P.A. Côté dans son ouvrage Interprétation des lois[6]précisait ce qui suit :
(...) on présume qu’il (le législateur) n’entend pas faire des lois dont l’application conduirait à des conséquences contraires à la raison ou à la justice.
[26] La Commission des lésions professionnelles rappelle aussi que l’employeur cotise à un régime d’assurance mutuelle obligatoire publique. Il paie une prime à la CSST et s’assure que le travailleur sera indemnisé en cas de risque. C’est la même loi qui chapeaute tant le régime d’indemnisation que le régime de financement. L’appréciation de ce qui est juste ou non doit s’effectuer dans ce contexte en analysant les dispositions législatives les unes par rapport aux autres.
[27] À l’article 326 de la loi, le législateur a prévu une règle générale qui veut que l’employeur soit imputé des coûts des prestations dues en raison d’un accident du travail. Il a également prévu d’autres dispositions d’exception qui permettent, en certaines circonstances, un transfert ou un partage des coûts.
[28] C’est ainsi qu’il prévoit, à l’article 328 de la loi, faire supporter à plus d’un employeur les coûts engendrés par une maladie professionnelle si le travailleur a contracté cette maladie chez plus d’un employeur.
[29] Le législateur prévoit aussi, à l’article 327 de la loi, une imputation aux employeurs de toutes les unités si le travailleur est victime d’une lésion professionnelle lors de soins qu’il reçoit ou lorsqu’il participe à une activité prescrite dans le cadre de traitements médicaux ou de son plan individualisé de réadaptation.
[30] Or, force est de constater que le législateur n’a pas prévu d’exception au principe général qui veut que l’employeur assume les coûts inhérents à la survenance d’un accident du travail lorsque la base salariale devant servir au calcul de l’indemnité est majorée selon les circonstances qu’il prescrit.
[31] Certes, le deuxième alinéa prévoit un transfert du coût des prestations à tous les employeurs lorsque l’employeur au dossier est obéré injustement. Or, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, cette exception peut trouver application après l’analyse de faits particuliers mais elle ne peut certainement pas trouver application lorsqu’il s’agit des conséquences dans l’application d’une disposition législative. Bref, elle est d'avis que l’application d’une disposition législative ne peut être interprétée comme obérant injustement l’employeur.
[32] Rappelons également que la CSST n’avait d’autre choix que de calculer l’indemnité comme elle l’a fait, soit en appliquant l’article 65 de la loi. La travailleuse y avait légalement droit. De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, l’employeur ne pouvait prétendre devant le commissaire à une injustice.
[33] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles constate que cette question a déjà fait l’objet de décisions à la Commission des lésions professionnelles.
[34] Dans l’affaire Centre hospitalier Universitaire de Sherbrooke (Hôtel-Dieu)[7], la Commission des lésions professionnelles est d'avis que l’employeur n’est pas obéré injustement du fait que l’indemnité de remplacement du revenu a été calculée sur la base d’un revenu supérieur en raison d’un double emploi.
[35] Dans l’affaire Les rôtisseries St-Hubert Ltée[8], la Commission des lésions professionnelles en vient à la même conclusion concernant l’ajout des pourboires dans le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu.
[36] Dans l’affaire Centre hospitalier de soins de longue durée René-Lévesque[9], en regard de l’application de l’article 60 de la loi, la commissaire a convenu que l’employeur n’était pas obéré injustement et qu’il devait assumer l’ensemble des conséquences et, par le fait même, des coûts inhérents à la lésion professionnelle subie par la travailleuse même si cette dernière ne travaillait pour lui qu’une journée. Le même principe a été repris dans l’affaire Centre hospitalier Jacques Viger[10].
[37] Enfin, dans l’affaire Transformateur Delta Ltée[11], la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’employeur n’est pas obéré injustement du fait qu’il assume l’ensemble des coûts même si le travailleur n’a gagné qu’un tiers de ses revenus chez lui puisque cette situation découle de la volonté du législateur.
[38] Bref, la Commission des lésions professionnelles est d'avis que la décision du 28 juin 2002 comporte une erreur manifeste et déterminante en ce qu’elle remet en cause l’application et, par le fait même, la légalité d’une disposition législative. Ceci constitue un vice de fond de nature à l’invalider.
[39] La Commission des lésions professionnelles doit donc réviser cette décision et déterminer si la CSST était justifiée d’imputer l’employeur de la totalité du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 14 décembre 2000.
[40] La Commission des lésions professionnelles tient à souligner que l’injustice doit s’apprécier en regard de l’ensemble des activités normales de l’employeur. Ce dernier n’a pas fait la démonstration d’avoir été traité injustement.
[41] Aucune autre preuve n’ayant été présentée permettant de conclure qu’il est obéré injustement, la Commission des lésions professionnelles est d'avis qu’il doit être imputé des coûts inhérents à la lésion professionnelle subie par madame Floriane Paul-Descôteaux le 14 décembre 2000.
[42] Enfin, compte tenu des conclusions retenues par le tribunal, il n’y a pas lieu de répondre à l’argument de la CSST à l’effet que le commissaire a commis une erreur en procédant à un partage au lieu d’un transfert des coûts.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du 19 août 2002;
RÉVISE la décision du 28 juin 2002; et
DÉCLARE que l’employeur, Ville de Drummondville, doit être imputé des coûts rattachés à la lésion professionnelle subie par sa travailleuse, madame Floriane Paul-Descôteaux, le 14 décembre 2000.
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Diane Beauregard |
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Commissaire |
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Me Josée Vendette |
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Proulx, Dion & Assoc. |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Michel Côté |
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Panneton Lessard |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Produits Forestiers Donohue et Villeneuve [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783 .
[3] Sivaco et C.A.L.P. [1998] C.L.P. 180 ; Charette et Jeno Neuman & Fils inc., C.L.P. 87190-71-9703, 26-03-99, N. Lacroix.
[4] [1995] R.J.Q. 2863 (C.S.) appel accueilli.
[5] Robin et Hôpital Marie Enfant, 87973-63-9704, 99-10-13, J.L. Rivard ; Desjardins et Réno-Dépôt, [1999] C.L.P. 898 ; Gaumond et Centre d’hébergement St-Rédempteur inc. [2000] C.L.P. 346 .
[6] Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais inc., 1990, p.424.
[7] 140317-05-0005, 2000-12-18, F. Ranger.
[8] 153024-62C-0012, 2002-02-25, J. Landry.
[9] 180387-62A-0203, 2003-01-10, M. Bélanger.
[10] 161991-62C-0105, 2002-01-15, J. Landry.
[11] 189039-62B-0208, 2003-06-12, M-D. Lampron.
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