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[1] Le 19 décembre 2004, madame Lynda Fontaine (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 26 novembre 2003 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST modifie celle qu’elle a déjà rendue le 6 mars 2003 quant à la date d’événement en cause et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 30 janvier 2003.
[3] Lors de l’audience tenue à Baie-Comeau le 2 février 2005, la travailleuse et un représentant de l’employeur sont présents et représentés par leur procureur respectif. Le dossier est initialement pris en délibéré, mais ce délibéré est suspendu le 23 mars 2005 à la suite du dépôt de documents équivalant à une requête en réouverture d’enquête par le procureur de la travailleuse, requête contestée par le procureur de l’employeur. Le procureur de la travailleuse dépose à nouveau des documents le 12 août 2005. Une autre requête en réouverture d’enquête est présentée le 26 janvier 2006, toujours par le procureur de la travailleuse. Le 10 février 2006, il est demandé au tribunal de suspendre son dossier, considérant le décès de ce procureur. Le 20 juin 2006, un nouveau procureur comparaît pour la travailleuse. Une conférence téléphonique est tenue avec les deux procureurs le 26 juin 2006 : le dépôt des documents produits le 24 mars et le 12 août 2005 est accepté par le tribunal et le procureur de la travailleuse renonce à en produire d’autres. Le dossier est pris en délibéré le jour même.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande de reconnaître qu’elle a subi une lésion professionnelle en décembre 2002 : soit une maladie professionnelle, soit une lésion découlant d’un accident du travail.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête de la travailleuse devrait être rejetée.
[6] Ils considèrent que la travailleuse n’a pas fait la preuve prépondérante de répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées, ni du fait que sa pathologie est caractéristique de son travail, ni qu’elle est reliée aux risques particuliers de celui-ci, lequel n’est notamment pas exigeant au niveau de la force, de la répétition de mouvements et des postures et comporte des tâches variées ainsi que de fréquents repos à peu près complets de l’épaule.
[7] Ils considèrent par ailleurs que la travailleuse n’a pas non plus soumis une preuve prépondérante de la survenance d’un accident du travail, celui qui est allégué pouvant difficilement s’assimiler à un événement imprévu et soudain, en plus d’être allégué pour la première fois lors de l’audience, soit deux ans après sa soi-disant survenance, ce qui est peu crédible.
[8] Les membres notent par ailleurs l’absence de quelque avis médical motivé quant aux facteurs de risque de développer la pathologie de la travailleuse et quant à la plausibilité d’une relation causale entre l’événement maintenant allégué par la travailleuse et sa pathologie ou entre les tâches exécutées dans le cadre de son travail et sa pathologie.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[9] La travailleuse, actuellement âgée de 44 ans, exerce l’emploi de préposée aux chambres à temps partiel chez l’employeur, qui opère un motel, à compter d’octobre 1993.
[10] Le 30 janvier 2003, elle consulte un médecin pour une douleur au bras droit qui l’éveille la nuit. Le médecin diagnostique alors une tendinite du deltoïde droit et prescrit de la physiothérapie, des anti-inflammatoires et un arrêt de travail. Le 25 févier 2003, il est maintenant question de tendinite de l’épaule droite. Il sera ultérieurement plus particulièrement question d’une atteinte (tendinite ou déchirure partielle) de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite, et même parfois plus précisément d’une atteinte du sus-épineux, soit l’un des tendons de cette coiffe.
[11] Lors de l’audience, la travailleuse allègue que sa lésion découle d’un accident du travail qui serait survenu au début de décembre 2002 à une date qu’elle ne peut préciser, ou bien constitue une maladie professionnelle.
[12] La travailleuse déclare ainsi qu’au début de décembre 2002, elle était debout sur une chaise pour poser un rideau de chambre qui venait d’être nettoyé. Elle venait de l’accrocher par ses crochets quand, en baissant son bras droit, elle dit avoir senti une douleur dans l’épaule. Elle aurait d’abord cru à un simple étirement mais, une semaine plus tard, voyant que cela ne passait pas, elle aurait appelé son médecin pour un rendez-vous, lequel a été obtenu pour le 30 janvier 2003.
[13] La travailleuse déclare par ailleurs que sa tendinite à l’épaule, si elle ne découle pas spécifiquement de cet événement, découle de l’ensemble de son travail exercé pendant dix ans. Elle invoque qu’il s’agit d’un travail exigeant physiquement, particulièrement au niveau des membres supérieurs.
[14] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle au niveau de l’épaule droite en décembre 2002 ou janvier 2003.
[15] La notion de « lésion professionnelle » est ainsi définie dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[16] En l’occurrence, il n’est aucunement question de récidive, rechute ou aggravation d’une lésion professionnelle antérieure. Demeurent donc les possibilités que la travailleuse soit atteinte d’une maladie professionnelle ou ait subi une lésion par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail.
L’accident du travail
[17] La notion d’accident du travail est quant à elle définie comme suit dans la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[18] Pour se faire reconnaître atteinte d’une lésion professionnelle à la suite d’un accident du travail, la travailleuse devait démontrer de façon prépondérante :
· La survenance d’un événement imprévu et soudain;
· La survenance de cet événement par le fait ou à l’occasion de son travail;
· Le fait que cet événement ait entraîné sa lésion.
[19] L’article 28 de la loi prévoit bien une présomption de lésion professionnelle, mais dont le procureur de la travailleuse ne demande pas, à bon droit, l’application. Considérant en effet la nature du diagnostic qui ne constitue pas nécessairement et même généralement pas une blessure et considérant le très long délai avant la déclaration d’accident, cette présomption eut en effet été de peu d’utilité pour la travailleuse.
[20] En ce qui concerne la survenance d’un événement imprévu et soudain par le fait ou à l’occasion du travail, le tribunal ne peut que constater que :
· Jamais il n’est fait mention par la travailleuse, avant février 2005, soit avant que deux ans ne se soient écoulés, de la survenance d’un événement imprévu et soudain au travail et ce, en dépit des multiples occasions qu’elle a eu de le faire, notamment dans sa réclamation à la CSST et lors des discussions relatives à la lésion professionnelle qu’elle a eue avec l’agent d’indemnisation de la CSST, son médecin et le réviseur administratif de la CSST. Ce long silence, inexpliqué par la travailleuse, qui se limite à évoquer « un oubli », affecte très sérieusement la crédibilité de cette thèse, la rendant même nettement improbable;
· Lorsque la travailleuse en parle, pour la première fois (en excluant son avocat), lors de l’audience du 2 février 2005, elle n’évoque pas véritablement d’événement, se limitant à raconter qu’elle raccrochait un rideau dans une chambre, qu’elle a élevé le bras droit pour ce faire et qu’en le baissant, elle a senti une douleur dans l’épaule. Il n’est aucunement question de mouvement brusque ou incontrôlé, de contrainte, d’effort ou de quoi que ce soit d’autre pouvant être assimilé à un événement imprévu et soudain.
[21] De plus, même si le tribunal concluait à la présence d’une preuve prépondérante de la survenance d’un événement imprévu et soudain, il devrait conclure qu’aucune preuve n’a été faite quant à la probabilité d’une relation causale entre « l’événement » allégué et la pathologie de la travailleuse : aucune preuve médicale n’a en effet été soumise pour appuyer l’hypothèse selon laquelle le fait d’abaisser le bras sans urgence, ni contrainte, ni force ait pu engendrer la lésion de la travailleuse. Il ne s’agit pas non plus d’une hypothèse qui apparaît fondée à sa face même.
[22] Ayant conclu à l’absence de preuve prépondérante de la survenance d’un événement imprévu et soudain au travail et, même si cela avait été le cas, à l’absence de preuve prépondérante de relation causale entre cet événement et la lésion de la travailleuse, le tribunal ne peut que rejeter la thèse de la survenance d’un accident du travail.
La maladie professionnelle
[23] La notion de « maladie professionnelle » est ainsi définie dans la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[24] Cette définition doit en outre être lue en conjonction avec les articles 29 et 30 de la loi ainsi qu’avec la section correspondante de l’Annexe I à laquelle font référence ces articles :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
__________
1985, c. 6, a. 29.
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
ANNEXE I
MALADIES PROFESSIONNELLES
(Article 29)
SECTION IV
MALADIES CAUSÉES PAR DES AGENTS PHYSIQUES
MALADIES |
GENRES DE TRAVAIL |
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1. Atteinte auditive causée par le bruit: |
un travail impliquant une exposition à un bruit excessif; |
2. Lésion musculo-squelettique se manifestant par des signes objectifs (bursite, tendinite, ténosynovite): |
un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées; |
3. Maladie causée par le travail dans l’air comprimé: |
un travail exécuté dans l’air comprimé; |
4. Maladie causée par contrainte thermique: |
un travail exécuté dans une ambiance thermique excessive; |
5. Maladie causée par les radiations ionisantes: |
un travail exposant à des radiations ionisantes; |
6. Maladie causée par les vibrations: |
un travail impliquant des vibrations; |
7. Rétinite: |
un travail impliquant l’utilisation de la soudure à l’arc électrique ou à l’acétylène; |
8. Cataracte causée par les radiations non ionisante: |
un travail impliquant une exposition aux radiations infrarouges, aux micro-ondes ou aux rayons laser. |
[25] Pour bénéficier de la présomption de maladie professionnelle énoncée à l’article 29, la travailleuse devait démontrer qu’elle était atteinte d’une maladie énumérée dans l’annexe I et que son travail impliquait des répétitions de mouvements ou de pressions impliquant le site lésé, et ce, sur des périodes de temps prolongées. La présomption constituant en outre un moyen de preuve exceptionnel, la preuve de ces éléments doit être claire, convaincante et dénuée d’ambiguïté.
[26] Il s’avère en l’occurrence qu’un diagnostic de tendinite de l’épaule droite, plus particulièrement de la coiffe des rotateurs, a été posé dans le dossier et ne fait pas l’objet de contestation. Or, il s’agit de l’un des diagnostics énumérés à l’annexe I. Demeure donc la question de savoir si la travailleuse a démontré de façon prépondérante que son travail impliquait des répétitions de mouvements ou de pressions impliquant le site lésé, et ce, sur des périodes de temps prolongées.
[27] Les mouvements répétitifs s’entendent de mouvements ou de pressions semblables, sinon identiques, qui doivent se succéder de façon continue, pendant une période de temps prolongée et à une cadence assez rapide, avec périodes de récupération insuffisantes. Les mouvements ou pressions doivent en outre nécessairement impliquer la structure anatomique visée par la lésion identifiée.[2]
[28] D’emblée, le tribunal constate que la travailleuse n’a soumis aucune preuve quant à ce qui est susceptible d’impliquer la coiffe des rotateurs : quel(s) mouvement(s), quelle(s) pression(s) impliquent la coiffe des rotateurs? La preuve est absolument muette sur ce point.
[29] En outre, même en faisant fi de cette lacune dans la preuve, même en utilisant largement sa connaissance d’office à ce sujet, il s’avère que le tribunal ne retrouve pas, dans la preuve qui lui a été soumise, de preuve prépondérante de la présence de répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes prolongées impliquant l’épaule droite.
[30] Les tâches et les mouvements exécutés par la travailleuse dans le cadre de son travail sont en effet multiples, variés et d’assez courte durée chacun : essentiellement, pour chaque chambre, la travailleuse enlève la literie, enlève le rideau de douche, ramasse les serviettes, vide les poubelles, va porter le panier de literie et serviettes à la buanderie à l’étage, fait le tri et le lavage, va chercher et passe la balayeuse, refait le lit, nettoie la salle de bain (toilette, bain, mur entourant le bain le cas échéant, plancher, vanité, miroir) et fait l’époussetage des meubles. Environ deux fois par année, elle doit enlever les rideaux de chambre pour les faire nettoyer, puis les remettre. Elle a souvent eu de l’aide pour ce faire par ailleurs. Elle a parfois le bras droit en élévation, parfois en abduction, parfois les deux, mais jamais longtemps, pas de façon qui puisse être qualifiée de répétée et certainement pas sur des périodes de temps prolongées.
[31] Il n’y a pas non plus de répétitions de pressions sur des périodes de temps prolongées, aucune preuve de l’exécution de pressions n’ayant en fait été soumise.
[32] En fait, le travail exécuté par la travailleuse se situe à des lieues de ceux où l’on a considéré qu’il y avait application de la présomption de maladie professionnelle pour une tendinite à l’épaule.
[33] Ainsi, dans l’affaire Roberge et Salon Oh la la enr.[3], il s’agissait d’une coiffeuse dont le travail était caractérisé par le maintien de postures prolongées ainsi que de mouvements répétés d’abduction du bras allant jusqu’à 110 degrés, et ce, pendant huit heures par jour.
[34] Dans l’affaire Laverrière et Hydro-Québec[4], il s’agissait plutôt d’un commis aux ventes dont le travail impliquait des mouvements répétitifs d’extension et d’abduction, un manque de temps de repos, un aménagement déficient du poste de travail ainsi qu’une surcharge de travail.
[35] Dans l’affaire Borden (division Catelli) et Gougeon[5], une encaisseuse au département de la conserverie exerçait un travail qui impliquait une combinaison de gestes alliant l’abduction, l’élévation antérieure et les rotations externes de l’épaule, le tout dans des amplitudes avoisinant ou dépassant les 90 degrés. La coiffe des rotateurs était continuellement sollicitée, même lors de la rotation de postes de travail. Une même série de mouvements était exécutée toutes les 12 à 15 secondes, les heures travaillées étaient importantes et les pauses peu nombreuses et courtes.
[36] Dans l’affaire Dufour et Laboratoire Atlas enr.[6], la travailleuse était préposée à la salle des étiquettes. Elle présentait des tendinites aux deux épaules. Son travail sollicitait les deux épaules pendant 60 % du temps de travail, la travailleuse devant en outre manipuler de 6 000 à 14 000 étiquettes par jour.
[37] Finalement, dans l’affaire Lachapelle et Électrolux Canada Corporation[7], un emballeur devait effectuer des mouvements se succédant de façon continue pendant une période prolongée, à une cadence rapide et sans périodes de récupération suffisantes, le tout accompagné d’efforts importants par la manipulation de lourdes boîtes, ainsi que d’une position impliquant une élévation du bras allant de 45 à 180 degrés.
[38] La preuve ne permettant pas de faire bénéficier la travailleuse de la présomption de lésion professionnelle, celle-ci devait dès lors démontrer que la tendinite à l’épaule dont elle est atteinte :
· Est caractéristique de son travail;
ou
· Est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
[39] Aucune preuve n’a été soumise au tribunal selon laquelle la maladie dont la travailleuse est atteinte serait caractéristique de son travail : aucune étude épidémiologique, aucune preuve que d’autres préposées aux chambres auraient souffert de la même maladie que la travailleuse. Bien au contraire, le représentant de l’employeur affirme qu’aucune de ses préposées, en vingt ans d’opération de son commerce, n’a jamais allégué souffrir d’une tendinite de l’épaule.
[40] La travailleuse a-t-elle alors démontré être atteinte d’une maladie reliée aux risques particuliers de son travail? Pour ce faire, elle devait établir de façon prépondérante la présence de tels risques et la probabilité d’une relation entre ceux-ci et la pathologie qu’elle présente.
[41] Encore une fois, le tribunal souligne qu’aucune preuve ne lui a été faite quant à la nature des risques particuliers de développer une tendinite de l’épaule, plus particulièrement de la coiffe des rotateurs comme cela semble être le cas en l’instance. Aucune opinion médicale n’a non plus été soumise concernant ces risques et concernant la relation probable, en l’occurrence, entre ceux-ci et la lésion de la travailleuse.
[42] Or, même en faisant encore une fois fi de cette lacune dans la preuve et en utilisant sa connaissance d’office élargie, le tribunal ne retrouve pas de tels risques particuliers, dans le travail de préposée aux chambres exécuté par la travailleuse, de développer une tendinite de l’épaule.
[43] L’évaluation de risques particuliers au travail de développer une lésion musculo-squelettique implique toujours d’analyser et de décortiquer les composantes de ce travail, dont, plus particulièrement, la posture, la force utilisée, la présence de mouvements répétés, la répartition du temps de travail, la cadence, l’environnement, les accessoires et outils utilisés et la survenance de récentes modifications dans l’organisation du travail.
[44] Il eut certes été utile de disposer d’une évaluation un tant soit peu scientifique à ce niveau, l’idéal étant une étude ergonomique du travail en question ou une évaluation médicale bien documentée. Aucune évaluation de ce genre n’ayant été mise en preuve, le tribunal s’en remet aux informations fournies essentiellement par les travailleuses et le représentant de l’employeur entendus lors de l’audience.
[45] Or, force est pour le tribunal de constater qu’il n’y a pas, dans le travail de préposée aux chambres, de présence significative de facteurs de risque de développer une tendinite de l’épaule selon les facteurs de risque généralement reconnus dans la jurisprudence[8] : il n’y a notamment pas de maintien prolongé de posture ou de répétition de mouvements contraignants pour l’épaule, tels que les bras en élévation ou en abduction, encore moins avec des manutentions répétitives de poids, peu de mouvements de rotation ou pas de mouvements d’extension de l’épaule et pas de lancement d’objets. Le travail impliquait différents mouvements des bras, mais de façon discontinue et sans élévation ou abduction importante ou prolongée. Il y avait clairement variabilité des tâches et des sollicitations, permettant ainsi la récupération des structures sollicitées.
[46] En ce qui concerne plus précisément la posture, il y avait une grande variabilité sur ce plan, ainsi qu’une discontinuité quant aux postures plus sollicitantes au niveau de l’épaule, soit quand la travailleuse devait élever son bras en flexion antérieure ou en abduction. Ou bien l’élévation n’était pas très importante, donc beaucoup moins sollicitante au niveau de l’épaule, ou bien elle était plus importante mais de très courte durée (par exemple en lavant le contour du bain ou le miroir) et sans répétition.
[47] En ce qui concerne la force utilisée, elle était de peu d’importance lorsque l’épaule était sollicitée. La travailleuse n’avait pas à soulever en hauteur de lourdes charges ou à en maintenir en l’air : lorsqu’elle élevait le bras droit un peu plus longuement, sollicitant ainsi son épaule, elle n’avait généralement qu’à soutenir qu’une éponge ou un linge. Et, lorsqu’elle manipulait des charges, ce n’était que de très courte durée, ou bien peu sollicitant pour l’épaule.
[48] La question de la répétition de mouvements a déjà été abordée lors de l’étude de l’application de la présomption : il n’y a pas de réelle répétition de mouvements sollicitant l’épaule dans le travail exécuté par la travailleuse.
[49] Ainsi, aucun des trois facteurs biomécaniques considérés dans l’étude de l’étiologie d’une lésion musculo-squelettique n’est significativement présent, alors que la présence de deux ou trois de ceux-ci est généralement recherchée pour conclure à la présence d’un risque particulier, à moins qu’un seul d’entre eux soit très significatif.
[50] Le tribunal constate par ailleurs que la travailleuse n’exerçait ses tâches que pendant deux heures et demie à cinq heures par jour, qu’elle en contrôlait la cadence, étant rémunérée à l’heure et inscrivant elle-même les heures travaillées, qu’elle ne travaillait pas au froid, qu’elle n’utilisait pas d’outils vibrants ou à percussions, qu’elle ne portait généralement pas de gants et qu’aucun changement n’était survenu récemment dans l’organisation de son travail. En fait, à l’époque de l’année où la douleur se manifeste, il s’agit de la basse saison pendant laquelle la travailleuse ne travaille que deux ou trois heures par jour.
[51] Il est en effet révélateur de noter que la travailleuse effectue son travail sans aucun problème et sans aucune manifestation de douleur pendant dix ans et que rien n’a changé dans son travail lorsque la douleur à son épaule se manifeste. Une sollicitation importante d’une structure entraîne normalement au moins une certaine fatigue de celle-ci lors de cette sollicitation, voire une certaine douleur, le tout témoignant d’une sollicitation excédant la capacité d’adaptation du corps. Or, ce n’est pas du tout ce qui ressort de la preuve en l’instance.
[52] Par contre, ce qui ressort du témoignage probant du co-propriétaire de l’entreprise, c’est qu’au cours de l’été et de l’automne 2002, la travailleuse demandait régulièrement de partir plus tôt pour aller travailler dans l’immeuble acquis récemment par son conjoint et parlait régulièrement du fait qu’elle y effectuait différentes tâches avec celui-ci. La travailleuse nie quant à elle tout travail dans l’immeuble dont elle reconnaît cependant qu’il a été acquis par son conjoint à l’été 2002, si ce n’est d’avoir passé la tondeuse (son employeur ayant soutenu l’avoir vue le faire), précisant qu’il s’agissait d’une tondeuse auto-propulsée.
[53] Quoiqu’il en soit, il s’avère que la travailleuse ne s’est pas déchargée du fardeau de preuve qui était le sien et que le tribunal ne peut en venir à la conclusion que sa tendinite à l’épaule constitue une maladie professionnelle.
[54] Il importe par ailleurs de préciser que le fait que des symptômes se manifestent ou sont plus importants au travail ne permet pas nécessairement de présumer que ce dernier est à l’origine de la maladie causant ces symptômes. En fait, des symptômes peuvent se manifester au travail parce que celui-ci implique une certaine utilisation de structures déjà atteintes, mais cela n’en fait pas une maladie professionnelle si le travail n’a pas causé ou aggravé cette atteinte. Ainsi, en l’instance, la travailleuse a pu éprouver de plus en plus de difficultés à accomplir les tâches requises par son travail en raison de sa condition : cela ne fait cependant pas pour autant de cette condition une maladie professionnelle. Nombre de facteurs et d’activités autres qu’au travail peuvent en être responsables.
[55] La travailleuse semble croire que son travail a entraîné sa maladie. Mais encore faut-il, pour faire reconnaître une maladie professionnelle, que cette croyance soit appuyée sur une preuve prépondérante d’une telle relation. Car, encore une fois, il ne suffit pas qu’une relation entre le travail et la maladie en cause soit possible; elle doit être probable.
[56] Or, le tribunal n’a pu retrouver dans la preuve qui lui a été soumise une telle preuve prépondérante.
[57] Une revue de la jurisprudence de ce tribunal permet en outre de constater que les autres réclamations de préposées aux chambres pour maladie professionnelle consistant en une tendinite de l’épaule ont été rejetées[9], sauf une[10], dans un contexte particulier que le commissaire siégeant en révision souligne d’ailleurs[11].
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de la travailleuse, madame Lynda Fontaine;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 26 novembre 2003 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle à l’épaule droite.
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Louise Desbois |
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Commissaire |
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Me Grégoire Dostie |
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BLOUIN DOSTIE & ASS., avocats |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Jean-Rock Genest |
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MALTAIS GENEST, avocats |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Voir notamment : Foster-Ford et Catelli (1989) inc., C.A.L.P. 56830-61-9402, 12 octobre 1995, B. Lemay; Lamontagne et Bois francs Impérial ltée, C.L.P. 102428-62-9806, 10 mars 1999, C. Demers; Ouellet et Le groupe immobilier Rioux inc., C.L.P. 137570-01A-0004, 16 février 2001, J.-M. Laliberté; Toutant et Guitabec inc., C.L.P. 155065-04B-0102, 19 septembre 2001, L. Collin; Cadieux et B.O.L.D., C.L.P. 216395-64-0309, 1er juin 2004, R. Daniel.
[3] C.A.L.P. 57527-02-9403, 30 mai 1995, R. Jolicoeur.
[4] [1997] C.A.L.P. 51 , révision rejetée, 77658-62-9603, 4 décembre 1997, J.-G. Béliveau.
[5] C.L.P. 137230-71-9907, 8 janvier 2001, C. Racine
[6] C.L.P. 140500-71-0006, 5 juillet 2002, L. Landriault.
[7] C.L.P. 256238-72-0502, 27 octobre 2005, J.-C. Danis
[8] Voir notamment : Albert G. Baker ltée et Fournier, C.L.P. 18315-03-9004, 11 mars 1993, M. Carignan; Télébec ltée et Charron, C.A.L.P., 68894-64-9504, 21 août 1997, G. Robichaud; Létourneau et Canadian National, [2000] C.L.P. 525 ; Lamoureux et Dr Jean-Pierre Martel, C.L.P. 129233-62B-9912, 2 juin 2000, Alain Vaillancourt; Plourde et C.H.S.L.D. Montcalm, C.L.P. 121048-63-9907, 16 janvier 2001, M. Gauthier; Compagnie d’acoustique et partitions unies et Bergeron, [2002] C.L.P. 147 ; Rochefort et 91134775 Québec inc., C.L.P. 201402-32-0303, 10 novembre 2003, L. Langlois; Le Motel Castel de l’Estrie inc. et Ledoux, C.L.P. 243544-62B-0409, 3 juin 2005, A. Vaillancourt; Casino de Montréal et Lavigne, C.L.P. 222578-71-0312, 9 janvier 2006, L. Crochetière; Cloutier et Les Pêcheries Gaspésiennes, C.L.P. 218485-01B-0310, 11 janvier 2006, L. Desbois; Service M & R inc., C.L.P. 269773-32-0508, 2 mars 2006, C. Lessard
[9] Poitras et Confort Inn inc., C.L.P. 108480-03B-9901, 31 mars 1999, P. Brazeau; Rochefort et 91134775 Québec inc., précitée, note 8; Le Motel Castel de l’Estrie inc. et Ledoux, précitée, note 8.
[10] Girard et Hôtel Canadien pacifique - Reine Élizabeth, C.L.P. 144603-71-0008, 26 novembre 2001, L. Turcotte.
[11] Hôtel Canadien pacifique - Reine Élizabeth et Girard, C.L.P. 144603-71-0008, 11 juillet 2002, C.-A. Ducharme.
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