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[1] Le 24 mars 2005, SGT 2000 inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 17 mars 2005 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 20 janvier 2005 et déclare que l’assignation temporaire offerte par l’employeur à monsieur Gary Gerbis (le travailleur) n’est pas valide.
[3] L’audience est tenue le 23 août 2005 à Sherbrooke en présence du travailleur qui n’est pas représenté. L’employeur, pour sa part, y est représenté par avocat. La CSST n’est pas intervenue au dossier.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer valide l’assignation temporaire offerte par l’employeur au travailleur le 1er octobre 2004. Dans le cadre de cette assignation, le travailleur aurait à exercer ses tâches au bureau de l’entreprise à Saint-Germain de Grantham.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs de même que le membre issu des associations syndicales sont d’avis que l’assignation temporaire, offerte par l’employeur à Saint-Germain de Grantham, n’est pas valide puisque celle-ci impose au travailleur des frais supplémentaires.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[6] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer la validité de l’assignation temporaire offerte par l’employeur au travailleur, le 1er octobre 2004, au bureau de l’entreprise à Saint-Germain de Grantham.
[7] Rappelons que l’assignation temporaire est régie par les dispositions des articles 179 et 180 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qui se lisent comme suit :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que:
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
180. L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.
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1985, c. 6, a. 180.
[8] Ajoutons que la loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et leurs conséquences et ce, en vertu de la disposition générale de l’article 1 de la loi suivante :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.
[9] En l’espèce, l’employeur plaide que l’assignation temporaire offerte est valide alors que le travailleur soutient qu’elle est trop onéreuse pour lui pour être valide.
[10] Qu’en est-il?
[11] Le travailleur est gareur pour le compte de l’employeur et exerce ses fonctions à la place d’affaires de la compagnie Domtar à Windsor. Le travailleur demeure à Cookshire, ce qui lui prend généralement de 30 à 40 minutes pour se rendre à son lieu de travail à Windsor. Il exerce ses fonctions sur le quart de nuit et a un horaire de travail de sept jours consécutifs suivis de sept jours de congé.
[12] Le 12 mai 2004, le travailleur est victime d’un accident du travail alors qu’il fait une chute d’un camion. Les premiers rapports médicaux font état d’une contusion lombaire, d’un étirement musculaire ischio-jambier à la jambe gauche et d’un spasme musculaire. Un arrêt de travail et des traitements de physiothérapie sont prescrits. Par la suite, le travailleur est dirigé en orthopédie et reçoit des infiltrations.
[13] Le 8 juin 2004, le docteur C. Cloutier, médecin traitant du travailleur, refuse une première assignation temporaire proposée par l’employeur et prolonge l’arrêt de travail.
[14] Le 1er septembre 2004, le docteur Cloutier autorise une nouvelle assignation temporaire avec les tâches décrites par l’employeur sur un formulaire standard. Le médecin ajoute : « Retourne comme instructeur sur les camions ». L’aspect médical de cette assignation temporaire n’est contesté ni par le travailleur, ni par l’employeur et n’est pas non plus remise en question par la CSST.
[15] Madame Suzanne Coderre, responsable de la santé et de la sécurité chez l’employeur, témoigne à l’audience. Elle mentionne que le formulaire d’assignation temporaire, signé par le médecin du travailleur le 1er septembre 2004, n’a été retourné chez l’employeur par télécopieur que le 30 septembre 2004, après qu’elle eut fait une démarche en ce sens. Le 5 octobre 2004, le docteur Cloutier précise à son rapport médical que le travailleur ne peut conduire de camions lourds.
[16] Le travailleur témoigne à l’audience qu’entre le 1er septembre 2004 et le 1er octobre 2004, madame Brigitte Bellerose, directrice des ressources humaines chez l’employeur, le contacte pour lui offrir une assignation temporaire à Rock Forest. Le travailleur est d’accord pour se déplacer à Rock Forest soir et matin pour l’assignation temporaire, puisqu’il s’agit d’une localité près de chez lui. Dans les faits, il désire et est disposé à retourner au travail en assignation temporaire. Cette assignation n’aura cependant aucune suite.
[17] Le 1er octobre 2004, madame Coderre lui offre une assignation temporaire à Saint-Germain de Grantham, localité située près de Drummondville. Selon le témoignage rendu par madame Coderre à l’audience, les assignations temporaires sont généralement offertes par l’employeur au bureau de la compagnie à Saint-Germain de Grantham et non à Rock Forest puisqu’à cet endroit, il n’y a qu’une cour où sont garés les camions de la compagnie. Aucun travail de bureau ne peut être offert à Rock Forest.
[18] Le travailleur refuse l’assignation temporaire considérant que cela lui occasionne des frais supplémentaires, puisque le bureau de Saint-Germain de Grantham est situé à plus d’une heure de route de chez lui (106 kilomètres).
[19] L’employeur offre de payer les frais d’hôtel et de rembourser les frais de kilométrage entre le domicile du travailleur et Saint-Germain de Grantham à raison de 0,13 $ par kilomètre et autorise celui-ci à retourner chez lui durant la semaine s’il le désire. L’horaire de travail régulier du travailleur est maintenu, soit sept jours de travail suivi de sept jours de congé et les traitements de physiothérapie sont à Windsor, soit à mi-chemin entre Cookshire et Saint-Germain de Grantham. Madame Coderre soutient que l’hôtel où le travailleur séjournerait comporte une cuisinette où il pourrait y prendre ses repas sans frais supplémentaires. Le travailleur soutient plutôt que madame Coderre ne lui a jamais offert un hôtel avec cuisinette de sorte qu’il estime qu’il aurait dû dépenser une somme d’environ 255 $ par semaine pour trois repas par jour au restaurant. Si la possibilité d’une cuisinette lui avait été offerte, il aurait été plus enclin à accepter l’assignation temporaire, puisqu’il désirait retourner travailler.
[20] Le tribunal constate que le dossier comporte une note d’intervention de l’agent de la CSST, monsieur Roland Bégin, suite à un appel du 10 novembre 2004. Il est écrit :
Titre : Solution assignation par E
- ASPECT PROFESSIONNEL :
E- Mme Coderre - m’indique que suite à l’appel de T pour trouver un terrain d’entente sur la question de l’assignation temporaire, E proposera de faire l’assignation temporaire à DR’ville selon son horaire habituel de 7 jours 1 sem. sur 2 et de faire sa physio à Windsor à mi-chemin entre sa demeure de Cookshire et Dr’ville. T. pourra ainsi s’occuper de sa fille pendant sa semaine de congé. T sera logé à l’hôtel par E et il n’aura que ses repas à payer, ce qu’il faisait déjà en travaillant à Windsor.
[…]
2004-11-30 (…) synthèse
(…)
- ASPECT PSYCHOSOCIAL :
T a la garde partagée de sa fille et il garde un chien et un chat chez lui qui sont à sa fille.
(Nous avons souligné)
[21] Le tribunal considère crédible le témoignage du travailleur quant à l’absence de cuisinette dans les arrangements offerts par l’employeur, d’autant plus qu’il désirait une assignation temporaire et aurait reconsidéré sa décision si les repas avaient été fournis ou s’il avait pu les préparer lui-même. Ajoutons que la note de l’agent de la CSST qui indique que les repas du travailleur sont à sa charge tend à renforcer cette position.
[22] En outre, le dossier laisse voir que le travailleur gardait des animaux de compagnie chez lui. Le tribunal peut facilement imaginer que le travailleur aurait eu à faire certains arrangements s’il avait vécu à l’hôtel pendant sept jours consécutifs. Demeurer à l’hôtel exige des modifications à la routine quotidienne qui, dans certains cas, peuvent ajouter aux obligations personnelles et familiales d’un travailleur.
[23] Ajoutons que la loi ayant pour objet de réparer les conséquences d’une lésion subie au travail, elle ne peut avoir pour effet d’imposer au travailleur un fardeau plus onéreux relié à la lésion professionnelle alors qu’il est en assignation temporaire. Comme un travailleur accidenté voit ses capacités fonctionnelles réduites en raison de sa lésion professionnelle et comme ses limitations restreignent sa capacité de travail et l’empêchent de faire son travail régulier, l’employeur ne peut imposer des conditions de travail plus désavantageuses que celles du travail régulier. Ainsi, une affectation temporaire, conforme au plan médical, doit également comporter des conditions convenables d’exercice.
[24] Soulignons que dans une affaire récente dont les faits sont semblables[2], la Commission des lésions professionnelles a reconnu qu’une travailleuse avait démontré une raison valable de refuser de faire le travail que son employeur, une agence de placement pour travailleurs temporaires, tentait de lui assigner temporairement. La travailleuse avait déjà occupé deux emplois à la suite d'offres de l'employeur dans une municipalité située à proximité de sa demeure. Le tribunal avait jugé raisonnable le refus de la travailleuse lié à la trop grande distance entre sa résidence et les emplois proposés et du fait qu’elle disposait d'une voiture qui ne pouvait lui permettre un tel déplacement.
[25] Par conséquent, en tenant compte de l’ensemble de la preuve et du droit applicable, dans les circonstances du présent dossier, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’assignation temporaire du travailleur à Saint-Germain de Grantham est non valide.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de SGT 2000 inc., l’employeur;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 17 mars 2005 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’assignation temporaire offerte par l’employeur à monsieur Gary Gerbis à Saint-Germain de Grantham n’est pas valide.
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Me Marie Langlois |
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Commissaire |
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Me Jean-Frédéric Bleau |
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Représentant de la partie intéressée |
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AVIS :
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