Charland c. Hydro-Québec |
2010 QCCS 3731 |
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J.R. 1452 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-06-000461-091 |
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DATE : |
Le 23 août 2010 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
STEVE J. REIMNITZ, J.C.S. |
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Monique Charland |
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Requérante |
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c. |
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Hydro-Québec |
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Intimée |
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JUGEMENT |
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[1] La requérante s'adresse au tribunal dans le but d'obtenir l'autorisation d'exercer un recours collectif pour le compte des membres du groupe contre l'intimée relativement à l'application de frais d'administration à ses clients sans indiquer le taux d'intérêt annualisé sur la facture. La requérante allègue que cette façon de faire contrevient à l'article 4 de la Loi sur l'intérêt[1] et aux règles du Code civil relativement à l'obligation pour l'intimée d'informer adéquatement ses clients sur la véritable nature de ces frais lesquels, selon sa prétention, sont en réalité des intérêts. Elle considère que de cette façon, l'intimée n'a pas agi de bonne foi, a faussement représenté qu'il s'agissait de frais d'administration alors qu'il s'agissait de frais d'intérêt.
[2] Notons que le tribunal a été informé durant son délibéré que l'intimée a décidé de remettre en application la méthode de facturation antérieure avec indication du taux annualisé. Le 13 avril 2010, le tribunal recevait une lettre des avocats de l'intimée indiquant :
«Dans le cadre du dossier mentionné en titre, nous désirons vous informer qu'Hydro-Québec a pris la décision de réintroduire la mention expresse du taux annuel des frais d'administration sur ses factures. À partir du prochain cycle de facturation en mai 2010, il sera dorénavant inscrit sur les factures : «Payer en retard entraîne des frais calculés au taux mensuel de 1,2 % par mois (14,4 % par an) à partir de la date de facturation».
Cette décision d'Hydro-Québec ne modifie aucunement et n'affecte en rien la position juridique et les arguments que nous vous avons présentés lors de l'audition, à l'effet qu'Hydro-Québec n'avait pas l'obligation d'inscrire expressément le taux annuel des frais d'administration sur les factures. La mention du taux annuel des frais d'administration sur les factures ne doit pas être interprétée comme une admission quelconque. Néanmoins, étant donné que cette question était au cœur du débat lors de l'audition des 4 et 5 février dernier, nous avons jugé qu'il convenait de vous en informer.»
[3] Il fut convenu entre les parties que toutes les pièces transmises avant l'audition étaient déposées de consentement, sous réserve des arguments sur la pertinence et la valeur probante. La requérante produit les pièces R-1 à R-20. De son côté, l’intimée produit les pièces I-1 à I-5.
[4]
Pour obtenir l'autorisation recherchée, la
requérante doit respecter les quatre conditions de l'article
1003. Le tribunal autorise l'exercice du recours collectif et attribue le statut de représentant au membre qu'il désigne s'il est d'avis que :
a) les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes ;
b) les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées ;
c) la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l'application des articles 59 ou 67 ; et que
d) le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres.
[5]
En début d'audition, les parties se sont entendues
sur le fait qu'il n'y a pas de contestation relativement aux paragraphes a) et
c) de l'article
[6]
La requérante soumet que les frais d’administration
indiqués sur la facture transmise par l’intimée sont en réalité des frais d’intérêt.
Si tel est le cas, cela a pour effet d’obliger l'intimée à respecter l'article
[7]
Dans l'hypothèse où l'article
[8] La requérante reconnaît que le contrat en cause est un contrat réglementé à caractère obligatoire. Cependant, la désignation des «frais d'administration» ne fait pas partie de ces conditions obligatoires sur lesquelles la Régie a juridiction. Selon la requérante, même en présence d'un contrat réglementé, l'intimée peut commettre une faute contractuelle et évidemment si l'intimée contrevient à la Loi sur l'intérêt, elle est passible des sanctions prévues à cette Loi.
[9] Aussi, le fait d'avoir agi pendant des dizaines d'années en indiquant le taux annualisé des frais d'administration, crée une forme d'usage qui obligerait l'intimée à continuer à agir comme elle le faisait dans le passé.
[10] Pour sa part, l'intimée plaide que le tribunal doit rejeter la requête en autorisation d'exercer un recours collectif puisqu'il s'agit essentiellement de question de droit qui ne méritent pas d'audition sur le fond de l'affaire. Le principe de la proportionnalité (4.2 C.p.c) milite en faveur d'une telle interprétation.
[11]
Selon l’intimée, pour que l'article
[12]
De plus, l'article
[13]
L'article
[14] En outre, la Régie de l'énergie statue sur les tarifs de l'intimée. Des auditions ont lieu tous les ans et les questions pertinentes sont débattues devant cette instance. Il s'agit d'un contrat réglementé. Le contrat en cause n'est pas un contrat d'adhésion et les dispositions applicables à ce type de contrat ne peuvent s'appliquer au contrat en cause. Aucun dommage n'a été causé à la requérante et au Groupe.
[15]
Pour autoriser le présent recours, la requérante doit
satisfaire tous les critères énoncés à l’article
[16] Un bref rappel des règles retenues par la jurisprudence est utile à ce stade de l'analyse.
[17]
Dans l’arrêt Pharmascience inc. c. Option
Consommateurs[2], l’honorable Paul-Arthur Gendreau traite de
l'importance de ne pas confondre l'objet et la finalité des deux étapes
distinctes que sont l’autorisation et l'audition du recours sur le fond. À
l'autorisation, le juge ne fait que vérifier si les conditions de l'article
[18] L’autorisation a été souvent décrite par les tribunaux comme un simple mécanisme de filtrage, par lequel le tribunal ne devrait écarter d’emblée que les recours frivoles ou manifestement mal fondés[3]. Il s’agit de décider si le recours qu’on demande d’exercer est sérieux. Le filtrage judiciaire qu’est cet examen vise à refuser d’autoriser les demandes frivoles ou manifestement mal fondées. Le tribunal ne doit pas trancher le mérite de l’action projetée, ni même se prononcer sur certains des aspects qui ne relèveraient pas strictement de l’étape de l’autorisation.
[19] Il ne s'agit donc pas d'évaluer le bien-fondé de l'action au fond. La requête en autorisation n'est pas le procès, ni n'en fait partie. Elle ne décide pas du fond du débat[4].
[20] On attribue au recours collectif une vocation sociale et au stade de l'autorisation, le tribunal devrait adopter une approche libérale et devrait interpréter tout doute en faveur de la requérante[5].
[21] Les allégations de la requête doivent être tenues pour avérées au stade de l'autorisation. Il suffit qu’à leur face même, elles satisfassent les critères de l'article 1003 C.p.c.[6].
[22] Lorsqu’un moyen de droit pur est invoqué à l’encontre de la demande, il doit présenter les caractéristiques d’un moyen d’irrecevabilité pour prévaloir au stade préliminaire de la demande d’autorisation[7].
[23]
La requérante insiste pour souligner que des
expertises et interrogatoires devront se tenir dans ce dossier afin de bien
évaluer l'ensemble des reproches formulés à l'endroit de l'intimée, tant en
regard de l'application de l'article
[24] Notons que la requérante a transmis une mise en demeure à l'intimée afin de faire en sorte de préserver les éléments de preuve qui pourraient faire l'objet d'investigations dans le cadre des interrogatoires ou qui pourraient servir à la préparation des expertises que la requérante pourrait demander. La requérante indique dans cette lettre que la requête introductive d'instance ne contient pas pour l'instant de dommages punitifs, mais elle informe que la situation sera examinée au fur et à mesure de l'évolution du dossier et des interrogatoires qui seront faits. Elle se réserve la possibilité d'amender pour demander de tels dommages punitifs.
[25]
Avant d'entreprendre l'étude de l'application de
l'article
22. La Société a pour objet de fournir de l’énergie et d’œuvrer dans le domaine de la recherche et de la promotion relatives à l’énergie, de la transformation et de l’économie de l’énergie, de même que dans tout domaine connexe ou relié à l’énergie.
La Société doit notamment assurer l’approvisionnement en électricité patrimoniale tel qu’établi par la Loi sur la Régie de l’énergie (chapitre R-6.01).
22.0.1 Les tarifs et les conditions auxquels l’énergie est distribuée sont fixés par la Régie.
Toutefois, malgré le
paragraphe 1 de l’article
[26] À l’appui de sa demande d'autorisation, la requérante dépose sous la cote R-3 (R-3A à R-3L inclusivement), 12 factures de l’intimée, allant du 18 février 2008 au 30 novembre 2009. Elle dépose également sous la cote R-4 des exemples de factures de l’intimée au cours des années 1989 à 2008. Le tribunal retiendra certains éléments factuels de l'analyse de ces factures.
[27]
La facture R-3A contient une indication que le
paiement doit être fait au plus tard à la date d'échéance. On y indique :
«Payer en retard entraîne des frais d'administration calculés au taux mensuel de 1,2 % à partir de la date de facturation.»
[28] Le tribunal juge nécessaire de reproduire certains renseignements contenus au dos de la facture R-3A:
«Date de facturation et date d’échéance
La date de facturation est la date à laquelle votre facture d’électricité est établie. Hydro-Québec considère que votre facture est payée à la date à laquelle elle reçoit votre paiement ; veuillez donc prévoir un délai suffisant pour le traitement postal, bancaire ou électronique. Nous vous suggérons de communiquer avec votre institution financière pour connaître les délais applicables.
[…]
Frais d’administration et interruption de service
Si vous réglez une facture après l’échéance, Hydro-Québec applique des frais d’administration calculés à partir de la date de facturation, au taux en vigueur à cette date, jusqu’à la réception de votre paiement. Elle applique également des frais chaque fois qu’un paiement (électronique, par chèque ou par prélèvement automatique) lui est refusé par une institution financière et peut exiger, s’il y a lieu, un dépôt ou une garantie de paiement.
[…]
Réglementation
Pour connaître les conditions de service de l’électricité et les tarifs en vigueur, veuillez consulter les documents intitulés «conditions de service d’électricité prévues au Règlement 634 sur les conditions de fourniture de l’électricité et Tarifs et conditions du Distributeur». Pour obtenir un exemplaire de ces documents, vous n’avez qu’à en faire la demande par internet au www.hydroquebec.com ou par téléphone en composant le 1 800 ÉNERGIE (1 800 363-7443).»
[29] En rapport avec la réglementation dont il est question et pour connaître les conditions de service de l'électricité et les tarifs en vigueur, la requérante a adressé une demande par téléphone le 25 janvier 2010 afin de connaître ces conditions. En date de la présente audition, elle allègue n'avoir rien reçu.
[30] Dans toutes les factures produites, les renseignements concernant les frais d'administration sont en substance toujours les mêmes. Par exemple, sur la facture déposée sous la cote R-3F, on renseigne le client sur la façon de procéder pour obtenir des renseignements sur son compte.
[31] La requérante produit sous la cote R-4 les factures transmises pour la période antérieure à janvier 2008. Sur ces factures il était indiqué ce qui suit :
«Payer après l'échéance entraîne des frais calculés depuis la date de facturation (taux composé : 2,00 % par mois = 26,82 % par année).»
[32] On remarquera que contrairement à ce qui existe depuis janvier 2008, on y indiquait clairement le taux annualisé des frais d'administration en précisant qu’il s’agissait d’un taux composé. Il était également écrit «frais» et non «frais d'administration». Au dos de la facture, on y indiquait :
«Échéance et frais d'administration
Vous devez régler votre facture dans les 21 jours suivant la date de facturation, sauf indication contraire sur la facture. Si l'échéance tombe un jour où les bureaux du service à la clientèle d'Hydro-Québec sont fermés, elle est reportée au jour ouvrable suivant. À défaut de régler votre facture à l'échéance, vous devrez payer, en plus, des frais d'administration.»
[33] Plus loin, toujours à la même page, on y mentionnait la façon d’obtenir le règlement établissant les tarifs :
«Réglementation
Pour connaître l'ensemble des tarifs et des conditions de fourniture de l'électricité, vous devez consulter le Règlement établissant les tarifs d'électricité et les conditions de leur application et le Règlement établissant les conditions de fourniture de l'électricité, dont vous pouvez obtenir des exemplaires sur demande.»
[34] Sur les factures antérieures à janvier 2008, payer après échéance entraînait des frais calculés depuis la date de facturation (taux composé : 2,00 % par mois = 26,82 % par année). Comme on pourra le constater, le taux est modifié sur certaines factures, de sorte que le taux annuel clairement indiqué varie de 20,98 % à 26,82 %, dépendant de la date de facturation.
[35] Le 14 décembre 2007, soit la date de la dernière facture avant le changement du régime de facturation, l'intimée indique le taux composé et le taux annualisé. Elle y indique également : «Votre facture fera peau neuve en 2008. Pour plus de détails, consultez notre site Web au www.hydroquebec.com».
[36] Par la suite, au dos de la facture R-3L datée du 30 novembre 2009, l’intimée écrit ce qui suit :
«Pour connaître les conditions de service de l’électricité et les tarifs en vigueur, veuillez consulter les documents intitulés «Conditions de service d'électricité prévues au Règlement 634 sur les conditions de fourniture de l'électricité et Tarifs et conditions du Distributeur.»
[37] La requérante soutient avoir fait ce qui était suggéré pour obtenir plus d'informations, mais a constaté que le Règlement en question était abrogé depuis le 1er avril 2008.
[38] Selon elle, la démarche qu'un consommateur doit faire pour connaître les détails des tarifs n'est pas facile d’accès. Dans un premier temps, il faut consulter le document déposé sous la cote R-10, intitulé «Frais liés au service d'électricité» (en vigueur le 1er avril 2008). Ce document est un extrait du document intitulé «Tarifs et conditions du Distributeur» qui compte 156 pages[9]. Le consommateur qui désire savoir et comprendre combien il paie en frais d'administration doit le lire entièrement. On constate que l'intimée propose une fourchette de taux. Les conditions de service sont décrites dans le document déposé sous R-13, alors que les tarifs et conditions sont prévus à R-14.
[39] À l’article 11.6, à la page 23 du document R-13, il est question du délai de paiement :
11.6 Toute facture doit être payée, en dollars canadiens, dans les 21 jours de la date de la facturation. Si le 21e jour tombe un jour où les services à la clientèle d'Hydro-Québec sont fermés, l’échéance est reportée au premier jour ouvrable suivant. Le défaut de payer à l’échéance entraîne des frais d'administration sur l’arriéré, au taux applicable à la date de la facturation et calculé conformément aux «frais d’administration applicables à la facturation par Hydro-Québec» prévus aux tarifs d’électricité.
Chaque mois, par la suite, Hydro-Québec applique à l’arriéré des frais d’administration au taux applicable à la date de la facturation précédente, calculé conformément aux «frais d’administration applicables à la facturation par Hydro-Québec» prévus aux tarifs d’électricité et composé mensuellement.
[…]
[40] On notera qu'à la fin du dernier paragraphe, il est écrit «et composé mensuellement».
[41] Dans les faits, l'intimée aurait décidé de ne pas composer mensuellement ces frais, de sorte que le taux annuel autorisé de 15,38 % ne fut pas celui facturé aux clients. Le taux facturé fut 14,14 %.
[42] C'est également dans le document R-13 traitant des «Conditions de service d’électricité» qu'on prévoit l'abolition du règlement 634. Par un document d'ordre administratif, l'intimée aurait abrogé un règlement provincial.
[43] À l'article 19.2 des «Conditions de service d'électricité», il est prévu ce qui suit : «À moins d’une mention spécifique dans le présent chapitre, les présentes conditions de service s'appliquent à tout abonnement en cours le 1er avril 2008 […].»
[44] La preuve documentaire réfère également à la Grille des tarifs d'électricité[10]. À la page 4 de ce document, à l'item 12.2 (au 1er avril 2007) et 12.3 (au 1er avril 2008) sous la rubrique «Tarif», on écrit :«Frais de nature administrative».
Article 1er avril 2007 |
Article 1er avril 2008 |
Tarif |
Description |
Prix 1er avril 2007 |
Prix 1er avril 2008 |
12.2 |
12.3 |
Frais de nature administrative |
Frais de gestion de dossier |
20 $ |
20 $ |
|
|
|
Frais d’ouverture de dossier |
50 $ |
50 $ |
|
|
|
Frais de mise sous tension à la suite d’une demande de cessation |
130 $ |
s. o. |
|
|
|
Frais pour provision insuffisante |
s. o. |
10 $ |
[45] Dans l'énumération, il n'est pas clairement prévu de frais pour les comptes en souffrance, mais plutôt des frais relativement à un tarif fixe.
[46] Au chapitre 12 du document déposé sous la cote R-10, les frais liés au service d'électricité ne sont pas présentés de la même façon. Il semble y avoir une certaine imprécision dans la description de ce que représentent les «frais de nature administrative».
[47] Le tribunal constate également que lorsqu'il est question des «Taux des frais d'administration», on fait référence à des «Fourchettes de référence des taux d'intérêt préférentiels de la Banque Nationale du Canada. À la fin de cette rubrique, il est indiqué :
«Ce taux est révisé chaque fois que le taux d'intérêt préférentiel de la Banque Nationale du Canada se situe, durant 60 jours consécutifs, au-dessous ou au-dessus de la fourchette de référence ayant servi à déterminer le taux des frais d'administration jusque-là applicable. Le nouveau taux s'applique à compter du 61e jour.»
[48] Ce n'est que lors de la transmission des pièces, plus spécifiquement la pièce I-5, peu avant l’audition, le 28 janvier 2010, que la requérante prétend avoir appris que le taux annuel était de 14,40 % : «Le tableau qui suit présente les frais d'administration facturés depuis le 1er janvier 2008 pour le compte 299017009901 au taux mensuel de 1,2 % non composé, soit 14,40 %.» Avant cette date, elle dira qu’elle était dans l’ignorance totale de ce fait, et ce, même après avoir fait les recherches nécessaires pour connaître les détails sur les tarifs.
[49] Pourquoi avoir fait ces modifications sur la facture de janvier 2008? Un début de réponse se retrouve dans le témoignage de madame Marie Archambault, porte-parole d’Hydro-Québec, lors d'une entrevue télévisée au canal Argent, le 18 février 2009. Cette entrevue a été transcrite et produite sous la cote R-6A. Il est utile de reproduire certains passages de cette entrevue :
«(GP) : Alors, nous revenons tout de suite sur cette demande de recours collectif intentée contre Hydro-Québec. J’en parle avec Marie Archambault, qui est porte-parole de la société d’État. Madame Archambault, d’abord, quelle est votre version des faits ? Parce que, dans ce recours, là, on allègue qu’Hydro-Québec charge carrément des frais d’intérêt illégaux.
(MA) : J’aimerais d’abord apporter la précision qu’il s’agit d’une demande, d’une requête pour autoriser un recours collectif, pour autoriser d’exercer un recours collectif. Donc, nous, au moment où on se parle, à Hydro-Québec, il y a rien qui nous a été signifié. Donc, on va attendre cette étape-là en ce qui concerne le volet juridique. De notre part, on a toujours parlé de frais d’administration. Et on maintient cette interprétation-là.
(GP) : O.K. Quelle est la différence entre des frais d’administration - je vois vos factures, j’en ai une (1), j’en ai deux (2) sous les yeux, là. «Payer en retard entraîne des frais d’administration calculés au taux mensuel d’une virgule deux pour cent (1,2 %).»
Quelle est la différence entre un frais d’administration et un frais d’intérêt puisqu’il est calculé tous les mois puis il s’accumule pour le client ?
(MA) : Un frais d’administration, c’est lié au fait qu’il y a des activités qui nous… d’exploitation, qui est des activités qui entraînent des dépenses pour recouvrir les sommes qui nous sont dues.
(GP) : Et ça vous coûte quinze virgule trente-huit pour cent (15,38 %) par année pour récupérer vos factures impayées ?
(MA) : À peu près. Il faut penser à l’équité, là, pour l’ensemble de la clientèle. Pourquoi…
(GP) : O.K. Non non, ça, je comprends. Mais…
(MA) : O.K.
(GP) : Je comprends très bien. Mais pourquoi est-ce que vous avez enlevé cette… Ce qu’on vous reproche d’ailleurs, le point légal qui semble être en cause, entre autres, par les avocats de la poursuite, c’est que, avant, c’était indiqué sur une base annuelle. Et la loi semble ça.
(MA) : La Loi sur l’intérêt. Si on considère que, nous, ce ne sont pas des frais d’intérêt, mais bien des frais d’administration, on verra ce que l’avenir dira.
(GP) : O.K. O.K. Tout va se jouer là-dessus, donc, sur le sens des mots ?
(MA) : Bien, de… oui, d’une… Bien, sur le sens des mots, c’est assez important, là, sur quelle loi s’applique.
(GP) : Et si je vous disais que vous jouez sur les mots ?
(MA) : Je vous dirais que ce sont des frais d’administration. C’est ce qui est indiqué sur la facture. C’est ce qui a toujours été indiqué sur la facture. Et que ce sont réellement ça.
(GP) : Pourquoi ne pas indiquer tout simplement l’équivalent annuel ? On s’éviterait tout se problème-là.
(MA) : Bon, on a pas indiqué l’équivalent annuel parce que…pour des raisons techniques.
(GP) : M’hm.
(MA) : On est incapable de calculer les frais… de calculer sur la base des frais annuels. C’est-à-dire que ça se calcule à un point deux pour cent (1.2 %) mensuellement et non mensuellement composé. Donc, on voulait pas induire notre clientèle en erreur. Et, pour le moment, on art, pour le moment, on arrive à quatorze virgule quatre pour cent (14,4 %) annuellement.
(GP) : Dernière question : combien d’argent avez-vous perçu en frais administratifs de cette nature l’an dernier ?
(MA) : L’an dernier, je n’ai pas le montant. Je l’ai pour deux mille sept (2007). C’est de l’ordre d’une quarantaine de millions de dollars.
(GP) : Merci, madame Archambault.
(MA) : Ça m’a fait plaisir.
[…]»
[50] En fait, tel que présenté par l'intimée, les frais en question sont des frais de recouvrement et de financement qu’elle doit supporter. Elle estime qu’il est plus équitable de répartir les retards de certains clients à l’ensemble des payeurs. Il n'y a pas de corollaire au niveau des taux chargés aux clients par rapport à ce qui est réellement encouru par l'intimée pour le recouvrement. Il en est de même pour le pourcentage des frais et leur variation. Ce qu'on sait c'est que la variation des taux est basée sur les taux d'intérêt préférentiels de la Banque Nationale du Canada.
[51] À la page 44 de la déclaration de madame Archambault, on lui demande si le mode de calcul de ces frais est le même que pour les intérêts. Ce à quoi elle répond positivement.
[52] Le motif pour lequel l'intimée a décidé de mettre de côté une pratique établie depuis des dizaines d'années (indication du taux annuel des frais d'administration) serait lié au fait qu'elle éprouvait des «problèmes techniques». Elle aurait été incapable de calculer les frais d'administration. À la fin de l'année 2007, l'intimée aurait changé son système informatique, ce qui aurait engendré des «problèmes techniques». Ces explications sont tout de même très vagues quant à l'impact qu'auraient pu avoir ces «problèmes techniques» sur la façon de calculer les frais d'administration et sur la décision de l'intimée d'enlever l'indication des frais annualisés.
[53] Il est utile de référer à la pièce R-20 représentant la dernière modification de l'intimée en rapport avec ses conditions de fourniture d'électricité. Cette demande a été déposée à la Régie de l'énergie qui semble s'être entendue pour une période de deux ans. Dans le cas des paragraphes a) et b), l'intimée n'a pas présenté de demande à la Régie.
[54] Ce n'est qu'un an et demi après avoir fait les modifications sur la facture de janvier 2008, que l'intimée a finalement présenté à la Régie une demande pour rendre conformes lesdites modifications, et ce, tout en émettant des doutes sur l'obligation d'obtenir une telle approbation de la Régie.
[55] Lorsque l'intimée présente à la Régie de l’énergie une demande de modification de ses tarifs, elle produit un tableau de la situation avec justification avant et après sa demande. Cette demande R-3535-2004 produite sous la cote R-12, permet de constater que la dernière demande de modification remonte à 2006, le tout tel qu'il apparaît à la page 4 de ce document qui réfère à une décision de la Régie (D-2006-116, p. 37).
[56] Lors des modifications à la facturation de janvier 2008, le document permet de constater qu'il n'y a pas eu de changement en 2007 et par conséquent, pas d'autorisation de la Régie pour l'entrée en vigueur de la nouvelle facturation de janvier 2008.
[57] La requérante propose de tenir compte du contexte et de l'importance des questions en litige. D'autres joueurs économiques au Québec ont un intérêt dans l'issue de ce dossier. Il est essentiel de clarifier toute la question de la différence entre des intérêts et des frais d'administration. Le tribunal considère que ce contexte n'a rien à voir avec la détermination des questions en litige. Seuls les allégués de la requête pour autorisation doivent être analysés afin de décider si ces faits paraissent justifier les conclusions recherchées.
[58]
Selon l'article
«4 : Sauf à l’égard des hypothèques sur immeubles ou biens réels, lorsque, aux termes d’un contrat écrit ou imprimé, scellé ou non, quelque intérêt est payable à un taux ou pourcentage par jour, semaine ou mois, ou à un taux ou pourcentage pour une période de moins d’un an, aucun intérêt supérieur au taux ou pourcentage de cinq pour cent par an n’est exigible, payable ou recouvrable sur une partie quelconque du principal, à moins que le contrat n’énonce expressément le taux d’intérêt ou pourcentage par an auquel équivaut cet autre taux ou pourcentage.»
[59] Selon la requérante, il est fréquent que des compagnies telle l'intimée, utilisent des termes comme «frais d'administration ou de crédit», sur leurs factures afin d’éviter d'avoir à respecter la Loi sur l'intérêt et ainsi, ne pas avoir à dévoiler le taux annuel, tel que l’exige l'article 4 de ladite loi. Selon elle, il faut s'en remettre à la réalité des faits et non pas à la désignation qu’en fait l'intimée.
[60] Il va de soi que la seule dénomination de «frais d'administration» sur la facture est insuffisante pour déterminer la véritable nature des frais chargés aux clients de l'intimée.
[61] Selon la requérante, il devrait y avoir une présomption à l'effet que les frais chargés en sus du capital pour le retard dans le paiement représentent de l'intérêt et que les frais d'administration devraient faire partie et être calculés à même le prix du produit vendu.
[62] L'intimée soutient que les frais d'administration sont déterminés en fonction du coût du recouvrement des mauvaises créances et que, dans les faits, les modifications aux «frais d'administration» sont basées sur l'intérêt établi par le taux préférentiel de la Banque Nationale du Canada et il ne faudrait pas y voir là d'indice sur la véritable nature des frais facturés au client.
[63] L'argument de l'intimée est à l'effet que de toute façon, si l'article 4 s'applique, il n'y a aucune contravention à cet article puisque l'information se trouve dans le contrat qu'on ne remet pas au client, mais qui est disponible. Cet argument doit être considéré, mais ne permet pas à ce stade-ci de renverser le sérieux des arguments et allégués de la requérante qui semblent justifier les conclusions de la requête surtout, lorsqu'on voit les difficultés qui se présentent à un client qui désire obtenir les détails du contrat et connaître le véritable tarif. Pour que l’information puisse être obtenue, il faut qu’elle soit facilement accessible. Dans la majorité des cas, le seul contact entre l'intimée et ses clients est constitué de la facture mensuelle. Cet état de fait et la difficulté de prendre connaissance du contrat peuvent être considérés dans l'évaluation du moyen invoqué par l'intimée d'opposer à la requérante que l'information se trouve dans le contrat dont elle n'a pas copie. L'existence d'une information se retrouve également dans son accessibilité.
[64] Dans la détermination de ce qu’est un intérêt, il est important de se rapporter à ce que la Cour supérieure écrivait dans Bédard c. Hydro-Québec[11]. L'intimée insiste et affirme que dans cette affaire, l’honorable Paul E. Bernier a rendu une décision favorisant sa thèse. Une lecture de cette décision permet de bien comprendre que ce qui était principalement en cause dans cette affaire concernait le pouvoir d'un gouvernement provincial de légiférer sur l'intérêt. Le pouvoir de légiférer en matière d'intérêt est du ressort du gouvernement fédéral, lequel a exercé cette juridiction en édictant la Loi concernant l'intérêt[12]. Le juge Bernier reconnaissait aussi que pour déclarer une telle loi ultra vires, encore faut-il qu'il soit de l'essence de cette législation de légiférer en matière d'intérêt et que ce ne soit pas l'effet accessoire à une matière qui est de la compétence de cette autorité.
[65] Le juge Bernier réfère à la définition de la Loi concernant l'intérêt :
«En termes généraux, la rémunération ou contrepartie ou indemnité prévue en retour de l'utilisation ou de la rétention, par une personne, d'une somme d'argent appartenant ou - plus précisément - due à une autre personne […]»
[66] Il conclut que les frais portés par Hydro-Québec aux comptes en souffrance de ses abonnés ne répondent pas à cette définition et ne doivent pas être considérés comme des intérêts proprement dits.
[67] Pour appuyer sa décision, le juge Bernier se réfère à la décision de la Cour suprême dans Immeuble Fournier inc. c. Construction St-Hilaire ltée[13]
[68] Par la suite le juge Bernier écrit à la page 19 de son jugement :
«Or, il appert des faits au dossier, dont résumé antérieurement donné, que les frais portés aux comptes de sesdits abonnés par l'Intimée ne sont nullement telle «rémunération ou contrepartie ou indemnité prévue en retour de l'utilisation ou de la rétention d'une somme d'argent due» mais bien au contraire des frais d'administration véritablement encourus par elle par suite de l'omission de ceux-ci à acquitter le montant dû dans le délai stipulé. Plus, c'est d'ailleurs ainsi qu'ils sont désignés non seulement aux articles précités desdits règlements de l'Intimée, mais même par la Requérante elle-même à sa requête.
Enfin, le fait pour l'Intimée de calculer ces frais d'administration par le moyen d'un pourcentage d'une somme d'argent due ne peut avoir pour effet de changer la nature de ceux-ci. Considérer au contraire ces derniers comme «un intérêt de l'argent» serait contraire aux faits au dossier.»
[69] Certains commentaires s'imposent et pourraient permettre de distinguer plusieurs aspects de cette décision avec les faits du présent dossier. Lorsque le juge Bernier dit que les frais portés au compte sont des frais d'administration véritablement encourus par Hydro-Québec, il faut comprendre de quoi il est réellement question. Il est important de connaître la preuve présentée par Hydro-Québec dans cette affaire pour faire la démonstration qu'il s'agit bien de frais d'administration. Une telle démonstration exige là un minimum de preuve du calcul de ces frais et la justification du pourcentage facturé au client.
[70] Et en vertu de quelle analyse peut-on affirmer que de tels frais ne peuvent être considérés comme «une forme de rémunération ou contrepartie ou indemnité prévue en retour de l'utilisation ou de la rétention d'une somme d'argent due»? Facturer un pourcentage d'un montant dû permet, d'une certaine façon, la perception d'une somme d'argent en retour de l'utilisation ou de la rétention d'une somme due, peu importe que cette somme soit qualifiée de rémunération, contrepartie ou indemnité.
[71] Le juge Bernier avait aussi retenu le fait que ce sont comme frais d'administration que ces montants sont désignés dans les règlements de l'intimée. Avec grand respect, cela n'est pas déterminant dans l'étude de la question posée. En vertu de quel principe, le choix de l'intimée à ce sujet pourrait-il être déterminant dans l'étude de la question en cause?
[72] Qui plus est, le fait que la requérante dans ce dossier ait elle-même, par choix ou par erreur, désigné ces frais comme frais d'administration doit être considéré, mais n'est pas en soi déterminant.
[73] Enfin, le juge Bernier retient que le fait pour l'intimée de calculer ces frais d'administration par le moyen d'un pourcentage d'une somme due ne peut avoir pour effet de changer la nature de ceux-ci. Notons que les faits du présent dossier sont un peu différents. Ce n'est pas seulement un pourcentage dont il est question, mais de ce qui est prévu au chapitre 12 du document R-10, c’est-à-dire les «Frais liés au service d’électricité». En effet, lorsqu'il est question du «Taux des frais d'administration», on réfère à la «Fourchette de référence des taux d'intérêt préférentiels de la Banque Nationale du Canada». On précise que «le taux d'intérêt préférentiel de la Banque Nationale du Canada se situe, durant 60 jours consécutifs, au-dessous ou au-dessus de la fourchette de référence ayant servi à déterminer le taux des frais d'administration jusque-là applicable».
[74] Il est ici clairement énoncé que les frais d'administration sont déterminés à partir des taux d'intérêt auxquels on réfère.
[75] On est donc loin de la seule considération d'un pourcentage pour déterminer lesdits frais d'administration. On les détermine non pas par un calcul du coût réel de ces frais, mais par une simple référence à un intérêt déjà déterminé qui par ailleurs n'a rien à voir avec un calcul réel desdits frais d'administration.
[76]
Il est utile de noter que l'article
[77] Le tribunal croit utile de se référer à ce que l'honorable Raymond Beaudet écrivait dans l’affaire Sogetel c. Auger[14] :
«Ce n'est pas en appelant «frais d'administration», le fruit produit par un capital, que l'on changera la nature de ce fruit civil qui s'appelle l'intérêt.
Comme les
relations entre les parties sont de caractère contractuel, il faut appliquer
l'article
[78] Le même juge Beaudet écrivait dans Sogetel c. Boucherie chevaline St-Léonard inc.[15] :
«Il est bien clair que les frais
d'administration sont réclamés pour le retard dans l'exécution de
l'obligation ; suivant l'article
[…]
En tenant
pour acquis que la demanderesse puisse réclamer un intérêt d’un et trois quarts
pour cent (1 ¾ %) par mois, elle a cependant l'obligation d'indiquer le
taux annuel, sinon l'intérêt auquel elle a droit se réduit à cinq pour cent (5
%) l'an, suivant l'article
Comme l'indique la facture produite sous la cote P-5, la demanderesse a clairement omis d'inscrire le taux annuel.»
[79]
Le tribunal considère que sur la question de
l'application de l'article
[80] Selon les prétentions de la requérante, ce n'est pas parce que les activités de l'intimée sont réglementées que le consommateur ne peut invoquer des manquements de la part de l'intimée à diverses dispositions du Code civil, comme l'obligation d'agir de bonne foi, l'obligation d'information et les obligations prévues en matière de contrat d'adhésion ci-haut énumérées.
[81] Sur cette notion de contrat réglementé, la Cour d'appel dans Hydro-Québec c. Surma[16] précise que le contrat est imposé et rédigé par l'intimée. L'autre partie, le consommateur, ne peut rien négocier. La Cour écrit :
«[70] […] En effet, la Loi sur l'Hydro-Québec lui donnant le pouvoir de réglementer (donc de rédiger), malgré le fait que ces règlements soient soumis à l'approbation du gouvernement, les tarifs et les conditions qui constituent des stipulations essentielles au contrat.
[71] De plus, il faut mentionner qu’Hydro-Québec est un agent de la Couronne et que c'est l'État qui a rédigé la loi pour son propre agent. Le gouvernement a dicté les stipulations essentielles et l'a fait pour le compte de son propre agent qui est son prolongement.
[82] L'auteur Nathalie Croteau dans son article Le contrat réglementé est-il à l'abri de l'intervention judiciaire ?[17] écrit en rapport avec cette décision :
«Nous retenons de cet arrêt qu'un contrat conclu avec le gouvernement ou son agent et dont les stipulations proviennent de la Loi ou d'un règlement sont des contrats réglementés, d'adhésion et administratifs. Ils sont soumis aux dispositions de protection. Il en découle que l'État s'expose à voir ses règlements examinés si le gouvernement manque à son devoir de protection et s'avantage indûment. Le tribunal peut intervenir dans ces circonstances.»
[83] Selon l'intimée le contenu contractuel des termes et conditions se retrouve dans la réglementation et l'arrêt Glykis[18], lequel a clairement établi qu'on n'était pas face à un contrat d'adhésion et dont toutes les dispositions applicables au contrat d'adhésion ne peuvent être invoquées à l'appui de la position de la requérante. L'intimée soutient que le fait de retirer le taux annualisé sur sa facturation est une décision d'affaires et qu'elle est en droit de prendre de telles décisions et qu'il n'y a aucune obligation légale qui lui impose d'indiquer le taux annuel.
[84]
Notons d'une part que les reproches faits à
l'intimée ne découlent pas seulement des dispositions qu'un cocontractant peut
invoquer en matière de contrat d'adhésion. Le tribunal fait ici référence aux
dispositions du Code civil ayant trait à l'obligation de bonne
foi et celle d'information (art.
[85] La Régie ne contrôle pas l'entièreté des faits et gestes de l'intimée.
[86] Il faut également souligner le fait que l'intimée n'a pas fait approuver ou autoriser par la Régie sa nouvelle facturation de janvier 2008. Sur cette question, à l'audition, l'intimée a émis l'opinion que pour que ce type d'information apparaisse sur la facture, elle n'a pas à obtenir l'approbation de la Régie. Qui plus est, l'intimée s'est questionnée sur le pouvoir de la Cour supérieure d'intervenir dans le cadre des questions relatives à une faute civile découlant de son comportement contractuel, vu l'existence du contrat réglementé. Ce questionnement a été de courte durée.
[87] Si l'intimée ne doit pas faire approuver ces modifications par la Régie et que la Loi sur la protection du consommateur et les dispositions du Code civil ne s'appliquent pas au contrat en cause, on peut légitimement se demander quelle disposition le client peut-il invoquer en cas d'abus ou comportement contractuel inadéquat de la part de l'intimée?
[88] On comprend que dans la Loi sur l'intérêt, l'exigence de l'indication du taux annuel est une mesure de protection du consommateur pour l'inciter à payer sans retard et en toute connaissance des conséquences de son retard. C'est une mesure de protection qui existait dans les faits et mise en application par l'intimée depuis des dizaines d'années en regard de ce qu'elle désignait comme frais d'administration. Pourquoi du jour au lendemain, sans avis à la clientèle et à la Régie de l'énergie a-t-elle mis fin à cette pratique et mesure de protection?
[89] Ce type de mesure pourrait ou devrait bénéficier d'une interprétation large et libérale.
[90]
En quelque sorte, lors de l'adoption de la Loi
sur l'intérêt, le législateur adoptait une mesure de protection du
consommateur. En effet, on imposa aux créanciers l'obligation d'indiquer le
taux annualisé du taux d'intérêt chargé mensuellement, permettant ainsi au
consommateur de bien mesurer l'importance des conséquences de son défaut de
payer dans les délais. On peut penser que c'est toujours le cas aujourd'hui. Ce
type de renseignement jugé important à une époque pourrait faire partie du
contenu informationnel minimal qu'un client débiteur à droit d'obtenir, en
outre de la possible application de l'article
[91]
Qui plus est, dans l'hypothèse où les frais chargés
par l'intimée pour le retard ne représentent pas des frais d'administration,
mais bien des frais d'intérêt et même si l'article
[92] Il est donc raisonnable de se demander si les clients sont en droit d'obtenir ce type d'information (sans fausse représentation) et s'ils ont droit à une indemnisation à cet égard.
[93] Autrement dit, le client est-il en droit de connaître la véritable nature des frais chargés, en sus du capital? La véritable nature de ces frais a-t-elle été dénaturée? La Cour supérieure peut-elle sanctionner le comportement de l'intimée par l'établissement d'une indemnité compensatoire?
[94] Si une telle désignation s'avérait fausse, était-elle en droit de légalement encaisser ces sommes?
[95] L'intimée plaide que la demande de 100 $ d'indemnisation par membre pour troubles et inconvénients est sans fondement. Elle questionne et se demande où sont les dommages? Encore là, en matière de recours collectif le tribunal a discrétion, en présence d'une faute contractuelle, d'accorder une indemnité qu'il considère une conséquence directe de la faute commise. Il y aura certes un débat sur ces questions et la détermination des indemnisations, s'il y a lieu, sera certes difficile à établir, mais cela ne suffit pas à conclure que les faits allégués ne paraissent pas justifier les conclusions recherchées.
[96] Il est vrai que les faits présentés indiquent que dans la facturation en cause, l'intimée a facturé moins que ce qu'elle était autorisée. Mais ce qui est en cause ici n'est pas le taux ou le quantum des frais facturés, mais bien le respect par l'intimée de son devoir d'agir de bonne foi et de manière raisonnable, en respect de son obligation d'informer adéquatement ses cocontractants.
[97] L'intimée plaide que l'information sur la facture est exacte et qu'elle n'a induit personne en erreur. Une information insuffisante peut être exacte. Ce n'est pas uniquement sous l'angle de l'exactitude de l'information qu'il faut examiner les questions qui seront soumises au tribunal.
[98] Ajoutons que cette information visant le taux annualisé était facile à donner et que de fait, l'intimée donnait cette information depuis des dizaines d'années. Le fait d'avoir agi pendant une si longue période peut-il créer une forme d'usage au sens du Code civil.
[99] Cet usage pourrait faire en sorte que le consommateur pourrait être en droit de s'attendre que l'adoption de cette mesure de protection et d'information qui a duré plus de 30 ans crée une obligation à son endroit, obligation qui commandait de ne pas abandonner cette pratique sans motifs sérieux. La décision de l'intimée de remettre en fonction cette façon de faire, devra être considérée par le tribunal avec l'ensemble des autres questions auxquelles il est fait référence dans le présent jugement.
[100] Si le recours est autorisé, l'intimée aura l'occasion de bien expliquer les motifs qui justifient sa décision et expliquer en quoi la mise en place du nouveau système informatique a pu contribuer à expliquer ce changement.
[101] Le tribunal ne croit pas que le recours intenté est un recours à l'aveuglette. Ce n'est pas non plus une procédure d'enquête ou une expédition de pêche. Les faits et les questions soulevés sont sérieux et à l'égard de ces questions, on ne peut considérer que le recours est non fondé à ce stade-ci.
[102] La décision de l'intimée de ne plus indiquer le taux annualisé est une décision factuelle qui a été prise dans un contexte. Les faits à l'origine de ce processus décisionnel sont à la base de la décision et doivent être connus pour déterminer si la décision de l'intimée est fautive d'un point de vue contractuel et si l'intimée a exécuté raisonnablement ses obligations, si elle a respecté son obligation de bonne foi et d'information. Ces faits seront connus lors d'interrogatoires des représentants de l'intimée qui seront interrogés sur les sujets abordés dans la présente décision.
[103] Comme on le voit, sur l'aspect du comportement contractuel de l'intimée, plusieurs reproches sont basés sur des faits sérieux qui paraissent justifier à ce stade, les conclusions recherchées. Il y a un risque important de refuser un recours sur l'analyse de questions de droit, si ces questions prennent appui sur une base factuelle significative et sans qu'aucune preuve ne soit faite en rapport avec ces questions de faits.
[104]
Le tribunal considère qu'en respect de la condition de l'article
[105]
Le tribunal considère également qu'en respect de la condition c)
de l'article 1003, la composition du groupe
rend difficile l'application des articles
[106]
Selon l'article
[107] ACCUEILLE la présente requête pour autorisation d'exercer un recours collectif et désignation d'un représentant ;
[108] AUTORISE l'exercice du recours collectif sous la forme d'une requête introductive d'instance en responsabilité civile ;
[109] ATTRIBUE à la requérante, madame Monique Charland, le statut de représentante aux fins de l'exercice du recours collectif pour le compte du groupe décrit comme suit :
«Toutes les personnes physiques et toutes les personnes morales de droit privé, sociétés ou associations, comptant en tout temps au cours de la période de 12 mois qui précède le 18 février 2009 sous leur direction ou sous leur contrôle au plus 50 personnes liées à elles par contrat de travail, qui sont clients de l'intimée Hydro-Québec et qui ont payé des intérêts et/ou des frais d'administration sur le montant d'au moins une facture émise par l'intimée Hydro-Québec depuis le 14 décembre 2007.»
[110] IDENTIFIE les principales questions qui seront traitées collectivement comme suit :
· Est-ce que la personne en question a acheté l'hydroélectricité auprès de l'intimée Hydro-Québec depuis le 14 décembre 2007?
· Est-ce que la personne en question a payé des «frais d'administration» qui constitueraient en réalité des frais d'intérêt depuis le 14 décembre 2007?
· Est-ce que les faits du dossier font en sorte que la Loi sur l'intérêt soit applicable au présent dossier, particulièrement l'article 4 de ladite Loi qui rendrait responsable Hydro-Québec du remboursement excédant le taux d'intérêt prévu à cet article?
· En outre, et indépendamment de l'application de la Loi sur l'intérêt, est-ce qu’Hydro-Québec a commis une faute génératrice de responsabilité eu égard à son obligation de bonne foi et d'information? Hydro-Québec a-t-elle exercé raisonnablement ses obligations à l'égard de ses clients et a-t-elle désigné erronément et faussement «frais d'administration» les charges qui sont portées à la facture de ses clients, charges qui seraient en réalité des «intérêts»?
· Si le comportement de l'intimée Hydro-Québec permet de répondre positivement à cette question, quels sont les dommages qui doivent être accordés aux membres du Groupe? Outre ces dommages, ces membres ont-ils droit à des dommages pour troubles, tracas et inconvénients?
[111] IDENTIFIE les conclusions recherchées par le recours collectif à être institué comme suit :
· ACCUEILLIR la requête de la requérante, ainsi que le recours collectif pour tous les membres du Groupe ;
· CONDAMNER l'intimée Hydro-Québec à payer à la requérante ainsi qu'à chacun des membres du Groupe, le montant d'intérêt et/ou frais d'administration payé au-delà de ce qui est prescrit par la Loi lorsque le taux d'intérêt au taux légal annualisé n'est pas indiqué sur la facture de l'intimée, le tout avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle à compter de la date du paiement de ces sommes et ORDONNER le recouvrement collectif de ces sommes ;
· LE TOUT avec dépens incluant les frais d'expertise et les frais de publication des avis aux membres ;
[112] DÉCLARE qu'à moins d'exclusion, les membres du groupe seront liés par tout jugement à intervenir sur le recours, de la manière prévue par la loi ;
[113] FIXE les délais d'exclusion 30 jours de l'avis aux membres, délai à l'expiration duquel les membres du Groupe qui ne se seront pas prévalus des moyens d'exclusion seront liés par tout jugement à intervenir ;
[114] ORDONNE la publication, dans un délai de 30 jours de la date du présent jugement, d'un avis aux membres, par les moyens ci-dessous indiqués :
· Un avis sera publié une fois en français, le samedi dans Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec ;
· Le même avis sera publié une fois en anglais, le samedi dans The Gazette ;
· Le même avis devra être rendu disponible sur le site internet des procureurs de la requérante ;
[115] DÉCLARE que le juge soussigné sera responsable de la gestion du présent recours et de l'audition du présent recours collectif qui sera entendu dans le district judiciaire de Montréal ;
[116] LE TOUT AVEC DÉPENS, y compris les frais de l'avis.
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__________________________________ STEVE J. REIMNITZ, J.C.S. |
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Mes Guy Paquette et Karine St-Louis |
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Paquette Gadler inc. |
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Pour la requérante |
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Mes Michel Gagné et Geneviève Bertrand |
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McCarthy Tétrault |
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Me Jean-Olivier Tremblay |
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Contentieux d'Hydro-Québec |
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Pour la défenderesse |
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Dates d’audience : Date de prise en délibéré |
Les 4 et 5 février 2010 Le 23 février 2010, après réception des autorités sur la question de la validité du contrat. |
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[1] Loi sur l'intérêt, L.R.C. 1985, c. I-15.
[2] Pharmascience inc. c. Option Consommateurs,
[3]
Tremaine c. A.H. Robins Canada inc.,
[4]
Option
Consommateurs c. Union Canadienne,
[5]
Rouleau c. (Canada) Procureur général,
[6] Pharmascience inc., note 2 précitée, par. 39.
[7] Krantz, note 5 précitée, par. 122.
[8] Loi sur Hydro-Québec, L.R.Q. c. H-5.
[9] Voir à ce sujet la pièce R-14.
[10] Voir à ce sujet la pièce R-11.
[11]
Bédard c. Hydro-Québec,
[12] Loi concernant l'intérêt, 1970 S.R.C. I-18.
[13]
Immeuble Fournier inc. c. Construction St-Hilaire
ltée ,
[14] Sogetel c. Auger, J.E.84-314 (C.P.).
[15] Sogetel c. Boucherie chevaline St-Léonard inc. J.E.82-1065 (C.P.).
[16]
Hydro-Québec c. Surma,
[17] Nathalie Croteau, Le contrat réglementé est-il à l'abri de l'intervention judiciaire ?, 2009, 68 Revue du Barreau, 219, Revue du Barreau/Tome 68/Printemps 2009.
[18] Glykis c. Hydro-Québec,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.