Manoir de la Sérénité et Querry |
2007 QCCLP 7254 |
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[1] Le 25 avril 2007, Manoir de la Sérénité (l'employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 22 mars 2007 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu'elle a initialement rendue le 19 septembre 2006 et déclare que le montant de l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle a droit madame Lynn Querry (la travailleuse) doit être établi sur la base du revenu brut annuel de 16 163 $.
[3] La CSST confirme aussi une seconde décision qu'elle a initialement rendue le 11 janvier 2007 et déclare que madame Querry a subi, le 26 décembre 2006, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 28 août 2006.
[4] La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience à Saguenay le 19 novembre 2007. La représentante de l'employeur a avisé la Commission des lésions professionnelles de son absence à l'audience et a demandé l'autorisation de produire une argumentation écrite après l'audience, ce qui lui a été accordé. Madame Querry était présente à l'audience. Elle n'était pas représentée.
[5] L'audience a aussi porté sur une autre contestation de l'employeur concernant une décision de la CSST rendue le 12 décembre 2006 à la suite d'une révision administrative (dossier 308526-02-0701), par laquelle la CSST reconnaît que madame Querry a subi une lésion professionnelle le 28 août 2006. Il s’est désisté de cette contestation après l’audience.
[6] Compte tenu que madame Querry a indiqué au tribunal lors de l'audience qu'elle n'avait intention de répliquer à l'argumentation écrite de l'employeur, le dossier a été mis en délibéré le 23 novembre 2007, date de réception de ce document.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[7] Dans l’argumentation qu’elle a fait parvenir, la représentante de l’employeur précise comme suit l’objet de la contestation :
Or, préalablement à sa lésion professionnelle, la preuve contenue au dossier vous permet de déterminer que la travailleuse travaillait à temps partiel, à raison de 3 jours de 8 heures par semaine, pour un salaire horaire de 7,75$, pour un total de 372 $ brut pour 2 semaines de travail.
À partir du 16 octobre 2006, la travailleuse est revenue travailler en assignation temporaire selon le même horaire de travail que celui qu’elle avait avant sa lésion professionnelle, soit à raison de 3 jours de 8 heures par semaine, et ce, à un poste plus léger. (Voir les talons de paie aux pages 40 et suivantes du dossier CLP).
Suite à sa lésion professionnelle, le montant de l’indemnité de la travailleuse a été calculé sur la base du revenu brut annuel assurable de 16 163,00$ et ce, en vertu de l’article 65 de la loi. Or, lors de son retour au travail en assignation temporaire, la travailleuse a non seulement reçu son plein salaire de son employeur, elle a aussi reçu des IRR de la CSST.
Nous vous soumettons donc que nous contestons le fait que la travailleuse ait reçu des IRR après le 16 octobre 2006 alors qu’elle recevait son plein salaire de son employeur.
[…]
Pour tous ces motifs, nous vous demandons d'accueillir notre requête, d'infirmer la décision de la révision administrative du 22 mars 2007 et de déclarer que la CSST aurait dû cesser le versement des indemnités de remplacement du revenu à la date où la travailleuse a débuté son assignation temporaire, soit le 16 octobre 2006. [sic]
[8] Elle transmet avec son argumentation deux décisions de la Commission des lésions professionnelles qui portent sur cette question, l’une qui est favorable à sa prétention[1] et l’autre qui adopte la position contraire[2].
QUESTION PRÉLIMINAIRE
[9] Le tribunal s’est interrogé sur sa compétence à se prononcer sur la demande de l’employeur compte tenu que la décision de la CSST du 22 mars 2007 dont il est saisi ne fait que confirmer la décision initiale du 19 décembre 2006 (l’avis de paiement initial de l’indemnité de remplacement du revenu) établissant le revenu brut annuel retenu pour le calcul du montant de l’indemnité de remplacement du revenu. Il n'est pas question de la décision de la CSST de continuer à verser à madame Querry l'indemnité de remplacement du revenu après qu'elle ait recommencé à travailler dans le contexte d'une assignation temporaire.
[10] À l’examen du dossier, on constate que le 20 octobre 2006, soit quelques jours après le début de l'assignation temporaire, l’employeur, par l’intermédiaire de madame Rita Arseneault, a manifesté son désaccord avec le fait que la CSST continuait à lui verser une indemnité de remplacement du revenu pour les jours où elle n’était pas en assignation temporaire. L’agente d’indemnisation relate ce qui suit aux notes évolutives du dossier :
E est très mécontente de savoir que la CSST compense la T même si elle est en ATT et fait ses heures normales. Expliquons à E que la CSST doit protéger la capacité de gains de la T même si elle est surindemnisée.
E dit que c’est un nom sens de la compenser alors qu’elle fait ses hrs normales. Rappelons à E qu’elle peut contester la décision de la CSST. [sic]
[11] C’est à la suite de cette conversation que madame Arseneault fait parvenir, le 23 octobre 2006, la lettre suivante :
Je viens pas la présente vous aviser que je suis complètement en désaccord avec la salaire versé à Mme Lyn Querry # 129916821 puisque cette personne travaille 3 jours par semaine à 7.75 de l’heure ce qui signifie qu’elle est surindemnisée et donc ne favorise aucunement le retour au travail. De plus c’est vraiment le choix de Mme de faire seulement 3 jours par semaine […] [sic]
[12] Le 15 novembre 2006, la représentante de l’employeur transmet à son tour la lettre suivante à la CSST :
Veuillez prendre note que nous contestons la décision implicite (voir le relevé des sommes ci-joint) de la CSST de fixer la base salariale à 16 163 $ alors que le revenu brut de Madame Querry au cours des 12 deniers mois s’élève à 9 600 $.
Nous contestons aussi le versement d’indemnités à la travailleuse pour compenser la base salariale que la CSST utilise alors que Madame Querry se retrouve en assignation temporaire. En effet, elle devrait recevoir uniquement le salaire et les avantages liés à son emploi, n’eût été de la lésion professionnelle.
[13] Le 17 novembre 2006, l’agente d’indemnisation accuse réception de cette lettre dans les termes suivants :
Nous avons bien reçu votre demande de contestation dans le dossier de Mme Lyne Querry en date du 15 novembre 2006 et une autre en date du 16 novembre 2006,concernant la base de salaire de la travailleuse.Par contre, veuillez prendre note que la même demande a déjà été reçue et traitée en date du 30 octobre 2006 par l’employeur au dossier lui-même au nom de Mme Arseneault. [sic][3]
[14] Même si la contestation initiale de l’employeur aurait pu être formulée de manière plus explicite, il est suffisamment clair, à la lecture de la note évolutive du 20 octobre 2006 et de la lettre de madame Arseneault du 23 octobre 2006, que ce qu’il conteste, c’est le fait que la CSST continue de verser l’indemnité de remplacement du revenu à madame Querry alors qu'il lui verse son salaire régulier pour les trois jours de travail qu’elle effectue dans le contexte de l’assignation temporaire.
[15] De plus, dans sa lettre du 15 novembre 2006, la représentante de l’employeur fait mention expressément de cette contestation après avoir indiqué que l’employeur contestait aussi la décision de la CSST d’établir le revenu brut annuel à 16 163 $.
[16] Dans le contexte où la contestation pouvait porter sur la base salariale retenue, comme l'indique la représentante de l'employeur dans cette lettre, la CSST était justifiée de considérer que la décision contestée était l’avis de paiement initial du 19 septembre 2006.
[17] Toutefois, à défaut d'avoir rendu une décision sur l’objection de l’employeur concernant le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu après la reprise du travail en assignation temporaire, la CSST aurait dû considérer que le premier avis du paiement de l’indemnité émis après le début de l’assignation temporaire, était la décision contestée pour le second volet de la contestation de l’employeur et rendre une décision sur cette question.
[18] Dans ce contexte, la Commission des lésions professionnelles estime avoir compétence pour se prononcer sur la demande de l’employeur parce qu'en vertu de l’article 377 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[4] (la loi), elle peut rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu.
L’AVIS DES MEMBRES
[19] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales estiment que la Commission des lésions professionnelles a compétence pour se prononcer sur la demande de l’employeur.
[20] Leurs avis divergent en ce qui a trait au fond de la contestation. Le membre issu des associations d'employeurs estime que c'est le salaire annuel réel que gagnait madame Querry qui aurait dû être retenu par la CSST et que par conséquent, celle-ci n’avait pas à lui verser une indemnité de remplacement du revenu à partir du moment où madame Querry a recommencé à travailler en assignation temporaire parce qu'elle était payée par l'employeur pour trois jours de travail par semaine, comme c'était le cas avant la survenance de lésion professionnelle.
[21] Le membre issu des associations syndicales considère, pour sa part, que la décision de la CSST est bien fondée sur le revenu brut annuel qu’elle a retenu et qu’elle était ainsi justifiée de verser l’indemnité de remplacement du revenu à madame Querry à la suite de la reprise du travail en assignation temporaire pour les jours au cours desquels elle ne travaillait pas.
[22] En conséquence, le membre issu des associations d'employeurs est d'avis que la requête de l'employeur doit être accueillie alors que le membre issu des associations syndicales est d'avis qu'elle doit être rejetée.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[23] La Commission des lésions professionnelles prend acte du fait que l'employeur ne conteste plus la décision de la CSST d'établir la base salariale à 16 163 $. Elle doit uniquement décider si la CSST était justifiée de continuer à verser l'indemnité de remplacement du revenu à madame Querry, après le début de l'assignation temporaire, pour les jours au cours desquels elle ne travaillait pas.
[24] La solution du litige dépend de l'approche adoptée en ce qui a trait à la détermination du revenu brut annuel, aux fins du calcul du montant de l'indemnité de remplacement du revenu, dans le cas d'un travailleur à temps partiel qui est victime d'une lésion professionnelle.
[25] Rappelons que l'article 67 de la loi prévoit que le revenu brut d'un travailleur est déterminé sur la base de celui qui est prévu à son contrat de contrat de travail et qu'en vertu de l'article 65, il ne peut être inférieur au revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum. Ces articles se lisent comme suit :
65. Aux fins du calcul de l'indemnité de remplacement du revenu, le revenu brut annuel d'emploi ne peut être inférieur au revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum en vigueur lorsque se manifeste la lésion professionnelle ni supérieur au maximum annuel assurable en vigueur à ce moment.
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1985, c. 6, a. 65.
67. Le revenu brut d'un travailleur est déterminé sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail et, lorsque le travailleur est visé à l'un des articles 42.11 et 1019.4 de la Loi sur les impôts (chapitre I-3), sur la base de l'ensemble des pourboires que le travailleur aurait déclarés à son employeur en vertu de cet article 1019.4 ou que son employeur lui aurait attribués en vertu de cet article 42.11, sauf si le travailleur démontre à la Commission qu'il a tiré un revenu brut plus élevé de l'emploi pour l'employeur au service duquel il se trouvait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle ou du même genre d'emploi pour des employeurs différents pendant les 12 mois précédant le début de son incapacité.
Pour établir un revenu brut plus élevé, le travailleur peut inclure les bonis, les primes, les pourboires, les commissions, les majorations pour heures supplémentaires, les vacances si leur valeur en espèces n'est pas incluse dans le salaire, les rémunérations participatoires, la valeur en espèces de l'utilisation à des fins personnelles d'une automobile ou d'un logement fournis par l'employeur lorsqu'il en a perdu la jouissance en raison de sa lésion professionnelle et les prestations en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi (Lois du Canada, 1996, chapitre 23).
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1985, c. 6, a. 67; 1997, c. 85, a. 4.
[26] Par ailleurs, l'article 6 de la loi prévoit ce qui suit ;
6. Aux fins de la présente loi, la Commission détermine le salaire minimum d'un travailleur d'après celui auquel il peut avoir droit pour une semaine normale de travail en vertu de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1) et ses règlements.
Lorsqu'il s'agit d'un travailleur qui n'occupe aucun emploi rémunéré ou pour lequel aucun salaire minimum n'est fixé par règlement, la Commission applique le salaire minimum prévu par l'article 3 du Règlement sur les normes du travail (R.R.Q., 1981, chapitre N-1.1, r. 3) et la semaine normale de travail mentionnée à l'article 52 de la Loi sur les normes du travail, tels qu'ils se lisent au jour où ils doivent être appliqués.
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1985, c. 6, a. 6.
[27] Cette question de la détermination du revenu brut annuel d'un travailleur à temps partiel a donné lieu à une controverse jurisprudentielle. Dans la décision Restaurant McDonald's et Liu[5], après avoir rappelé la prétention de l'employeur qui était en appel, la commissaire expose de la façon suivante les deux thèses qui s'opposent,:
[14] L’employeur prétend que la base salariale qui devrait être retenue est celle qui correspond au manque à gagner réel de la travailleuse comme le prévoit l’article 67 de la loi. Il n’est pas d’accord avec l’application de l’article 65 dans le cas présent car il estime que l’application de cette disposition ne tient pas compte de la réalité d’emploi de la travailleuse. Comme cette dernière travaillait à temps partiel, il fait valoir qu’il n’est pas juste qu’elle soit indemnisée comme si elle avait travaillé 40 heures par semaine. Il prétend qu’on doit tenir compte des heures réellement travaillées et de la perte réelle subie par la travailleuse car, autrement, il serait plus payant de se blesser que de travailler. L’employeur appuie ses prétentions sur quelques décisions2 où, dans le cas d’un travailleur à temps partiel, il a été décidé que c’est le revenu brut annuel d’emploi, soit le salaire réellement gagné, qui devait servir de base au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu et qu’il n’y avait pas lieu de procéder à l’annualisation de ce revenu même si la base salariale ainsi obtenue était inférieure au salaire minimum annualisé. L’employeur reconnaît, toutefois, qu’il existe une controverse jurisprudentielle sur cette question et que la position qu’il défend représente un courant minoritaire.
[15] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles est, en effet, partagée. Selon certaines décisions dont celles déposées par l’employeur, l’indemnité de remplacement du revenu a pour but de pallier un manque à gagner et il serait déraisonnable qu’un travailleur soit indemnisé sur la base d’un nombre d’heures de travail supérieur au nombre d’heures réellement travaillées. Ainsi, dans le cas d’un travailleur à temps partiel, l’indemnité de remplacement du revenu devrait être calculée sur la base du salaire brut annuel réel d’emploi et non sur la base du revenu hypothétique qu’il aurait pu tirer d’un emploi exercé dans les 12 mois suivant sa lésion professionnelle ou sur la base de revenus annualisés en fonction du nombre d’heures maximum prévu à Loi sur les normes du travail3. Les tenants de cette thèse considèrent que le revenu brut annuel d’emploi peut être inférieur au salaire minimum annualisé dans le cas d’un travailleur à temps partiel. Leur interprétation de l’article 65 de la loi est que le taux horaire ne peut être inférieur au taux horaire minimum prévu au Règlement sur les normes du travail4 mais que le revenu brut annuel d’emploi doit être calculé, dans un tel cas, sur la base des heures réellement travaillées et non pas sur la base de la semaine normale de travail de 40 heures prévue à la Loi sur les normes du travail. Selon eux, l’annualisation en fonction d’une semaine normale de 40 heures placerait le travailleur dans une situation financière plus avantageuse que celle qui prévalait lorsqu’il travaillait chez l’employeur, ce qui irait à l’encontre de l’objectif visé à l’article 1 de la loi.
[16] Selon la jurisprudence majoritaire,5 toutefois, le revenu annuel brut d’emploi d’un travailleur exerçant un emploi à temps partiel ne peut être inférieur au salaire minimum annualisé. L’article 65 de la loi impose un seuil minimum, lequel correspond au salaire minimum en vigueur lorsque se manifeste la lésion professionnelle. Selon l’article 6 auquel réfère l’article 65 de la loi, le salaire minimum est déterminé en fonction non seulement du taux horaire minimum prévu au Règlement sur les normes du travail mais également en fonction d’une semaine normale de travail selon la Loi sur les normes du travail, laquelle est de 40 heures selon l’article 52 de cette loi. Les tenants de cette thèse considèrent que la loi vise à compenser non pas la perte de salaire réelle mais la perte de capacité de gain du travailleur qui a subi une lésion professionnelle et qu’il est équitable que tous les travailleurs puissent bénéficier du même seuil minimum de revenu peu importe leur situation au moment de la lésion. La soussignée s’inscrit dans ce courant jurisprudentiel majoritaire.
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2 Les Restaurants McDonald du Canada ltée c. Commission des lésions professionnelles, C.S. 550-17-000945-038, 28 janvier 2004, j. Bédard; Marché Clément des Forges inc. et Saint-Laurent, C.L.P. 244660-04B-0410, 6 janvier 2005, D. Lajoie; Montel inc. et Audette, C.L.P. 181130-07-0203, 2 novembre 2004, N. Lacroix; Restaurant A & W et Godin, C.L.P. 236850-04-0406, 7 octobre 2004, D. Lajoie; Métro Canada logistics inc. et Fure, [2004], C.L.P. 1450 .
3 L.R.Q., c. N-1.1
4 R.R.Q., 1981, c. N-1.1, r.3
5 À titre d’exemples : Ministère de la Santé et des Services sociaux et Rhéault, 183733-62-0205, 1er octobre 2002, R. L. Beaudoin, (02-LP-109); Commission scolaire des Affluents et Clément, [2005], C.L.P. 756 ; Restaurant McDonald’s et Larin, [2005], C.L.P. 864 ; Commission scolaire Harricana et Bergeron, 240608-08-0408, 7 juillet 2005, P. Prégent; 1642-1448 Québec inc. et Mecteau, 237430-31-0406, 14 décembre 2005, M. Beaudoin; Société canadienne des postes et Packwood Martin, 209521-62A-0311, 19 juillet 2005, D. Rivard; Commission scolaire Lac-Abitibi et St-Arnaud, 257061-08-0503, 28 juillet 2005, P. Prégent.
[28] Dans la décision Marché Clément des Forges inc. et Saint-Laurent[6] que la représentante de l'employeur invoque au soutien de sa prétention, la commissaire retient la position minoritaire pour ensuite en venir à la conclusion que la travailleuse n'avait plus droit à l'indemnité de remplacement du revenu dès lors où, dans le contexte d'une assignation temporaire, l'employeur lui versait le même salaire que celui qu'elle recevait avant la survenance sa lésion professionnelle.
[29] Elle motive sa conclusion sur cette question de la façon suivante :
[28] En matière d'indemnisation, la travailleuse doit recevoir ce à quoi elle a droit, pas plus, ni moins. En annualisant le salaire la travailleuse, celle-ci se retrouve dans une situation financière plus avantageuse alors qu'elle est en arrêt de travail que lorsqu'elle est au travail. Le tribunal est d'avis que ce n'est pas là l'esprit de la loi et les articles 65, 67 et 6 de la loi ne doivent être interprétés comme permettant l'annualisation du salaire du travailleur à temps partiel.
[29] Dans l'affaire Restaurant McDonald's ,la Cour supérieure s'exprime ainsi :
« Compte tenu des circonstances de la présente affaire, le fait d'annualiser les revenus en fonction du nombre d'heures maximum de travail, selon la Loi sur les normes, conduit à une situation aberrante selon laquelle, il est trois fois plus payant de se blesser que de travailler.
Cette façon de voir me paraît non seulement non-conforme à la Loi, mais aussi de nature à aller à l'encontre de l'objet même de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, qui est celui de favoriser la sécurité des travailleurs et non les inviter à se blesser. »
[30] En conséquence, le tribunal est d’avis que c’est le salaire réellement gagné qui doit être retenu par la CSST aux fins d’établir le montant de l’indemnité de remplacement du revenu auquel la travailleuse a droit, dans la mesure où ce salaire est basé sur le salaire minimum en vigueur.
[32] C’est aussi cette même base salariale qui doit servir au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu, alors que la travailleuse est en assignation temporaire ou en retour progressif au travail. En l’espèce, la travailleuse est, durant sa période de retour au travail progressif, payée exactement le même salaire et exécute le même nombre d’heures que lorsqu’elle occupait son emploi avant la lésion professionnelle.
[33] Il apparaît donc que l’employeur respecte les obligations que lui impose l’article 180 de la loi :
180. L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.
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1985, c. 6, a. 180.
[33] Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de verser à la travailleuse une indemnité de remplacement du revenu puisqu’elle bénéficie de son plein revenu, comme avant la lésion professionnelle. En fait, la travailleuse ne subit aucune perte de revenu du fait qu’elle soit en retour progressif au travail. Qu’y a-t-il donc à indemniser?
[34] Agir autrement serait procurer à la travailleuse un enrichissement, un avantage par rapport aux autres travailleurs à temps partiel, et ce, du seul fait qu’elle a subi une lésion professionnelle. Le fait de verser à la travailleuse en plus de son salaire habituel, une indemnité de remplacement du revenu, équivaut à l’indemniser au-delà des conséquences réelles qu’a entraînées la lésion professionnelle. Cette façon d’agir est, de l’avis du tribunal, contraire à l’objectif de la loi, tel qu’exprimé à l’article 1 :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.
[30] La position contraire est toutefois retenue dans la décision Marché de la Concorde et Geoffroy[7]. Après avoir indiqué qu'il souscrivait au courant jurisprudentiel majoritaire sur la détermination du revenu brut annuel, le commissaire conclut que la CSST était justifiée de poursuivre le versement de l'indemnité de remplacement du revenu pendant l'assignation temporaire pour les raisons suivantes :
[21] Qu’en est-il maintenant de la décision de la CSST de combler la différence de salaire de la travailleuse durant son assignation temporaire?
[22] L’article 180 de la loi se lit comme suit :
180. L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.
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1985, c. 6, a. 180.
[23] Comme principe général, la CSST ne verse donc pas une indemnité de remplacement du revenu pendant une assignation temporaire puisque le travailleur reçoit de son employeur son salaire régulier et les avantages liés à son emploi.
[24] Toutefois, certaines situations peuvent faire exception à la règle. Dans le cas d’un travailleur à temps partiel, comme c’est le cas pour la présente travailleuse, le salaire net qu’il reçoit en assignation temporaire est inférieur à l’indemnité de remplacement du revenu qu’il aurait reçue s’il avait été en arrêt de travail.
[25] Or, s’il n’y a pas lieu pour l’employeur de verser à la travailleuse des sommes supplémentaires à ce que prévoit l’article 180 de la loi, c’est à la CSST de lui payer la différence entre l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle elle a droit et le salaire net reçu puisque la travailleuse est toujours incapable d’exercer son emploi.
[26] En d’autres termes, la travailleuse ne peut donc recevoir moins en assignation temporaire que l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle elle aurait autrement droit7. Comme le mentionne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Centre d’accueil Louis Riel et Boivin8 :
[31] L'assignation temporaire ne doit pas non plus avoir pour conséquence de placer le travailleur dans une situation où il reçoit un montant d'argent moindre que le montant total des indemnités de remplacement du revenu auquel il a droit en raison de sa lésion professionnelle.
[32] Par conséquent, pour suspendre totalement le versement des indemnités de remplacement du revenu et du même coup réduire à zéro l’imputation faite à l’employeur, il faut que le salaire versé au travailleur dans le cadre de l’assignation temporaire corresponde à celui qui a servi de base au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu puisqu’autrement, l’assignation temporaire aurait pour effet de causer au travailleur un préjudice en lui procurant un avantage financier moindre que le montant des indemnités auxquelles il aurait droit en vertu des articles 44 et suivants de la loi.
[33] L’argument voulant que le travailleur ne subisse pas de préjudice financier du fait qu'il est payé en fonction de sa situation réelle d’emploi, soit celle qu’il aurait connue s’il n’avait pas été victime d’une lésion professionnelle et avait continué à travailler, ne peut être retenu parce que les indemnités de remplacement du revenu auxquelles il a droit ne visent pas à l’indemniser de sa perte réelle de revenus, mais plutôt de la perte de capacité de gains que lui cause sa lésion professionnelle, laquelle capacité a été établie, en l’occurrence, sur la base d’un travail à temps complet.
[27] La Commission des lésions professionnelles ne peut donc faire droit aux prétentions de l’employeur.
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7 Ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche et Jodoin, C.A.L.P. 17690-62-9003, 11 mai 1993, N. Lacroix; St-Pierre et C.S. Brooks Canada inc., C.L.P. 128415-05-9912, 31 mai 2000, L. Boudreault
8 C.L.P. 151809-72-0012, 20 juin 2001, C.-A. Ducharme
[31] En argumentation, la représentante reconnaît que la jurisprudence majoritaire veut que le revenu brut annuel soit établi au salaire minimum pour une semaine normale de travail, au motif que la loi vise à compenser la perte de capacité de gains et non la perte réelle de salaire, mais elle prétend que cette règle n'a pas d'application dans le contexte d'une assignation temporaire. Elle soumet à cet effet les arguments suivants :
En effet, l'objet de la loi est de réduire au minimum l'impact d'une lésion professionnelle.
L'outil numéro pour réaliser cet objectif est l'assignation temporaire où tous les droits des travailleurs sont préservés, à la fois son lien d'emploi et son revenu lui-même. Ce n'est que le poste de travail qui est modifié.
Nous vous soumettons que l'article 180 de la loi est clair :
« 180. L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer. »
Dans ces circonstances, le travailleur qui reçoit 100% de son salaire et non 90% de son salaire net, quelle perte de revenu subit-il ? Quelle perte de capacité de gains subit-il? Pourquoi serait-il plus indemnisé que ses collègues de travail du seul fait qu'il a subi une lésion professionnelle? N'est-ce pas là l'indemniser des conséquences réelles qu'a entraînées la lésion professionnelle?
Nous vous soumettons que cette façon d'agir va à l'encontre de l'objectif de la loi édicté à l'article 1.
[32] En ce qui a trait à la décision Marché de la Concorde et Geoffroy[8], la représentante de l'employeur formule les deux commentaires suivants :
Premièrement, à l'argument allégué au paragraphe 25, soit celui qu'il n'y a pas lieu pour l'employeur de verser à la travailleuse des sommes supplémentaires à ce que prévoit l'article 180 de la loi, que c'est à la CSST de lui payer la différence, nous alléguons ce qui suit : il faut réellement faire preuve d'aveuglément volontaire pour ne pas être conscient que toutes les sommes que la CSST verse à un travailleur, même si ce n'est pas l'employeur qui les verse directement, sont imputées à l'employeur qui se trouve à les payer indirectement par des augmentations de cotisations.
Cette façon de faire désavantage donc considérablement l'employeur, tout en enrichissant injustement le travailleur qui ne subit aucune perte lorsqu'il se retrouve en assignation temporaire.
Deuxièmement, nous en avons déjà fait état, nous soutenons que le fait de déclarer que le travailleur en assignation temporaire doit se voir compenser sa perte de capacité de gains en raison de sa lésion professionnelle n'est basé sur aucun fondement. Nous soutenons que cela va même en contradiction avec l'article 180 de la loi. Le législateur, qui ne parle pas pour rien dire, a pris la peine de préciser dans cet article que le travailleur reçoit le même salaire et les mêmes avantages liés à son emploi et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer….en conséquences, elle est où la perte de capacité de gains??? [sic]
[33] Avec respect pour la position contraire, le tribunal souscrit au courant majoritaire qui veut que le revenu brut annuel d'un travailleur à temps partiel ne puisse être inférieur au salaire minimum annuel et qu’il ait droit à l'indemnité de remplacement du revenu pour les jours au cours desquels il ne travaille pas dans le contexte d'une assignation temporaire.
[34] Tel qu'indiqué dans plusieurs décisions qui s’inscrivent dans ce courant[9], cette approche est fondée sur le principe selon lequel l'indemnité de remplacement du revenu vise à compenser la perte de capacité de gain et non la perte réelle de revenu.
[35] En plaidant qu'un travailleur à temps partiel ne subit pas de perte de capacité de gain lorsque son employeur lui verse le salaire qu'il recevait avant la survenance de sa lésion, la représentante associe à tort les notions de perte de capacité de gain et de perte réelle de revenu.
[36] À moins de circonstances particulières, un travailleur a la capacité d'effectuer un travail à temps plein et de gagner un revenu en conséquence. Même s'il recommence à travailler à temps partiel dans le contexte d'une assignation temporaire, cette capacité de pouvoir travailler les autres jours n'existe pas et il ne la recouvrera pas tant que sa lésion professionnelle ne sera pas consolidée ou, à tout le moins, qu'il demeurera incapable d'exercer son emploi. C'est ce préjudice que vise à compenser la poursuite de l'indemnité de remplacement du revenu pendant l'assignation temporaire à temps partiel. C'est en fait la suite logique de l'établissement du revenu brut annuel d'un travailleur à temps partiel au salaire minimum annuel. L'argument de la représentante de l'employeur ne peut donc pas être retenu.
[37] Le tribunal ne peut davantage retenir son autre argument voulant que la poursuite du versement l’indemnité de remplacement du revenu pendant l'assignation temporaire à laquelle a droit un travailleur est contraire à l'article 180 de la loi.
[38] Cette disposition confère au travailleur un droit à l'égard de son employeur, soit celui de recevoir le salaire et les avantages liés à l'emploi qu'il occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle. Elle ne concerne pas, comme tel, le versement l'indemnité de remplacement du revenu ni les droits du travailleur à l'égard de la CSST. Si le versement de l'indemnité de remplacement du revenu cesse pendant l'assignation temporaire, c'est parce qu'il ne peut évidemment pas recevoir à la fois son salaire et l'indemnité de remplacement du revenu pour les jours où il travaille dans le contexte d’une assignation temporaire. Le tribunal est d'avis que la représentante de l'employeur donne à l'article 180 une portée qu'il n'a pas.
[39] Après considération de la jurisprudence sur la question et des arguments soumis par la représentante de l'employeur, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que la CSST était justifiée de verser à madame Querry l'indemnité de remplacement du revenu pour les jours au cours desquels elle ne travaillait pas dans le contexte d'une assignation temporaire.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Manoir de la Sérénité;
MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 22 mars 2007 à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était justifiée d'établir le revenu brut annuel de madame Lynn Querry à la somme de 16 163 $, aux fins du calcul de l'indemnité de remplacement du revenu;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était justifiée de verser à madame Querry l'indemnité de remplacement du revenu pour les jours au cours desquels elle ne travaillait pas dans le contexte d'une assignation temporaire.
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Claude-André Ducharme |
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Commissaire |
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Me Isabelle Arseneault |
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Groupe AST inc. |
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Représentante de la partie requérante |
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[1] Marché Clément des Forges inc. et Saint-Laurent, C.L.P. 244660-04B-0410, 6 janvier 2005, D. Lajoie.
[2] Marché de la Concorde et Geoffroy, C.L.P. 293131-61-06-7, 5 janvier 2007, B. Lemay.
[3] On ne retrouve pas au dossier une contestation datée du 16 novembre 2006.
[4] L.R.Q. c. A-3.001
[5] C.L.P. 258875-71-504, 28 juillet 2006, M. Zigby.
[6] Précitée, note 1.
[7] Précitée, note 2.
[8] Précitée, note 2.
[9] Voir notamment sur la détermination du revenu brut annuel : Le Journal de Québec et Noël, C.L.P. 256358-31-0503, 1er septembre 2006, H. Thériault; Provigo Distribution (Maxi&Cie) et Keszthelyi, C.L.P. 289189-61-0605, 25 septembre 2006, L. Nadeau; Commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles et Desrochers; C.L.P.273138-64-0509, 17 janvier 2007, M. Montplaisir.
AVIS :
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