C A N A D A Province de Québec Greffe de Québec
No: 200 - 09‑000234‑887
(200‑12‑036079‑870)
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Cour d'appel
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Le 21 août 1990
CORAM : Juges Monet, Baudouin et Rousseau‑Houle
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DROIT DE LA FAMILLE ‑‑ 871
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LA COUR; - statuant sur le pourvoi contre un jugement final de la Cour supérieure, siégeant dans le district de Québec, rendu 31 mars 1988 par le juge Camille Bergeron qui a rejeté une demande de prestation compensatoire formulée par l'appelante dans une affaire de divorce;
Après avoir examiné le dossier, avoir entendu les avocats sur les moyens respectifs des parties et avoir délibéré;
Pour les motifs exposés dans l'opinion écrite du juge Monet dont copie est déposée avec les présentes à laquelle souscrit la juge Rousseau-Houle et pour les motifs au même effet exposés dans l'opinion écrite du juge Baudouin dont copie est également déposée avec les présentes;
REJETTE le pourvoi, chaque partie payant ses frais.
OPINION DU JUGE MONET
Le droit à la prestation compensatoire et la faillite de son titulaire, voilà le premier point débattu en appel.
En appel, parce qu'il n'a même pas été soulevé en première instance où l'effort du débat a porté essentiellement sur les faits justifiant ou non une prestation compensatoire. Or, le juge a statué sur le point de droit non soulevé et n'a énoncé aucune constatation de fait sur les questions débattues. Le chef du dispositif à la source du pourvoi se lit ainsi:
DECLARE que les conclusions en prestation compensatoire proposées par Madame ne peuvent être exercées que par le syndic à sa faillite.
La lecture des motifs fait voir ceci:
La prestation compensatoire ne peut être recherchée comme un bien qui lui appartient et qui lui était acquis au moment de sa faillite. S'il y a un recours, c'est au syndic qu'il appartient de l'exercer.
Le syndic, mis en cause par l'appelante, n'a pas comparu. Les avocats nous ont informés à l'audience que celui-ci considérait n'avoir aucun intérêt à agir en l'espèce; le contraire aurait étonné.
Sauf le respect que je lui dois, j'estime qu'en cette affaire le juge a perçu de façon fort discutable les fonctions de la Cour supérieure.
En définitive, les parties n'ont pas été entendues sur un point déterminant, ce qui m'apparaît contraire à une forme d'équilibre que l'expérience, voire la tradition identifie aux fonctions de juge dans notre système judiciaire tel que je le conçois.
Le lien juridique d'instance est celui des parties. L'instruction est conduite par les parties. Les moyens de fait et de droit sont avancés par les parties. C'est sur les prétentions respectives des parties que le juge du procès doit statuer. Certes, de nos jours le juge joue un rôle actif et exerce de vastes pouvoirs que reflètent, par exemple, les art. 292 et 463 C. Pr. Civ. Néanmoins, la prudence commande à celui qui a pour mission de juger de s'assurer que les parties aient l'occasion d'être entendues sur un point qui, d'une part, lui paraît déterminant et, d'autre part, ne ressort pas du contrat judiciaire.
Ce qu'on nomme prestation compensatoire est une solution apportée par le législateur en 1980 en vue de remédier à des abus. Il s'agit d'une mesure d'équité. Elle s'incorpore dans notre système de droit civil.
Elle est autonome, bien qu'elle s'apparente à l'enrichissement injustifié. Elle est à l'avantage de sujets de droit particuliers, à savoir les conjoints (abstraction faite du cas prévu à l'art. 735.1 C. Civ.), qui peuvent d'ailleurs y renoncer sans qu'un tiers puisse prétendre à un préjudice.
L'art. 559 C. Civ. Q.* est apparu dans le chapitre réglementant les Effets du Divorce et particulièrement dans la sous-section traitant du règlement des intérêts financiers des époux. Non pas au chapitre des quasi-contrats.
* Maintenant, c'est à l'art. 462.14 C. Civ. Q. qu'il faut se référer, dans le chapitre réglementant les Effets du Mariage, qui prévoit la mise en oeuvre d'une demande de prestation pendant le mariage.
Art. 462.14 Au moment où il prononce la séparation de corps, le divorce ou la nullité du mariage, le tribunal peut ordonner à l'un des époux de verser à l'autre, en compensation de l'apport de ce dernier, en biens ou en services, à l'enrichissement du patrimoine de son conjoint, une prestation payable au comptant ou par versements, en tenant compte, notamment, des avantages que procurent le régime matrimonial et le contrat de mariage. Il en est de même en cas de décès; il est alors, en outre, tenu compte des avantages que procure au conjoint survivant la succession.
Lorsque le droit à la prestation compensatoire est fondé sur la collaboration régulière de l'époux à une entreprise, que cette entreprise ait trait à un bien ou à un service et qu'elle soit ou non à caractère commercial, la demande peut en être dès la fin de la collaboration si celle-ci est causée par l'aliénation, la dissolution ou la liquidation volontaire ou forcée de l'entreprise.
Art. 462.14 The court, in declaring separation from bed and board, divorce or annulment of marriage, may order either spouse to pay to the other, as compensation for the latter's contribution, in property or services, to the enrichment of the patrimony of the former, an allowance payable immediately or by instalments, taking into account, in particular, the advantages of the matrimonial regime and of the marriage contract. The same rule applies in case of death; in such case, the advantages of the succession to the surviving spouse are also taken into account.
Where the right to the compensatory allowance is founded on the regular cooperation of the spouse in an enterprise, whether the enterprise deals in property or in services and whether or not it is a commercial enterprise, it may be applied for from the time the cooperation ends, if this results from the alienation, dissolution or voluntary or forced liquidation of the enterprise.
Art. 559. Au moment où il prononce le divorce, le tribunal peut ordonner à l'un des époux de verser à l'autre, en compensation de l'apport, en biens ou services, de ce dernier à l'enrichissement du patrimoine de son conjoint, une prestation payable au comptant ou par versements, en tenant compte, notamment, des avantages que procurent le régime matrimonial et le contrat du mariage.
Cette prestation compensatoire peut être payée, en tout ou en partie, par l'attribution d'un droit de propriété, d'usage ou d'habitation, conformément aux articles 458 à 462.
Art. 559. The Court, in granting a divorce, may order either spouse to pay to the other, as consideration for the latter's contribution, in goods or services, to the enrichment of the patrimony of the former, and allowance payable immediately or by instalments, taking into account, in particular, the advantages of the matrimonial regime and marriage contract.
The compensatory allowance may be paid, wholly or in part, by the granting of a right of ownership, use or habitation in accordance with articles 458 to 462.
La créance prévue à l'art. 559 C. Civ. est-elle un "biens aux termes de la Loi sur la faillite dont les textes sont d'inspiration de Common Law ?
2. "biens" Biens de toute nature, meubles ou immeubles, en droit ou en équité, qu'ils soient situés au Canada ou ailleurs. Leur sont assimilés les sommes d'argent, marchandises, droits incorporels et terres, ainsi que les obligations, servitudes et toute espèce de droits d'intérêts ou de profits, présents ou futurs, acquis ou éventuels, dans des biens, ou en provenant ou s'y rattachant.
"property" includes money, goods, things in action, land and every description of property, whether real or personal, legal or equitable, and whether situated in Canada or elsewhere, and includes obligations, easements and every description of estate, interest and profit, present or future, vested or contingent, in, arising out of or incident to property.
Le droit consacré par l'art. 559 n'est pas une créance de nature alimentaire établie selon les règles générales qui gouvernent celle-ci. Il ne s'agit pas non plus d'un droit au partage des patrimoines des conjoints selon des normes applicables dans les cas de divorce (art. 462.3 à 462.13 C. Civ. Q.) Il ne s'agit pas davantage d'un succédané passe-partout pour tenir lieu d'action sur contrat de prêt, de donation, de prête-nom, de société, etc., etc.
En réalité, il s'agit d'un droit non exclusivement pécuniaire mais plutôt à caractère personnel. Certes, c'est plus qu'une simple expectative. De plus, on peut difficilement prétendre qu'il revêt un caractère essentiellement extra-patrimonial, comme par exemple le droit de demander le divorce.
Notre droit positif connaît de telles prérogatives qu'on peut difficilement mettre dans une case précise d'un pigeonnier. On peut songer ici à la valeur de rachat d'un contrat d'assurance de personnes (art. 2552 C. Civ.), à la révocation d'une donation pour cause d'ingratitude (art. 813 C. Civ.) ou l'attribution préférentielle (art. 703 C Civ.). Il s'agit de "droits qui, bien qu'ayant une valeur appréciable en argent, touchent à des intérêts d'ordre moral ou intime dont un titulaire est le seul appréciateur"(2)
A mon avis, le droit qui nous intéresse ici n'est pas un droit éventuel (contingent) aux termes de la Loi sur la faillite. C'est pourquoi j'estime que le moyen tiré de la Loi sur la faillite retenu par le juge pour refuser de considérer une prestation compensatoire doit être écarté.
Il s'ensuit que notre Cour est appelée à procéder à l'examen des preuves, puisque le juge n'a pas fait de constation de fait, tel qu'il a été observé précédemment.
Une règle évidente qui doit nous servir de guide(3) est celle que consacre l'art. 1203, al. 1, C. Civ.:
Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
(2) Colin & Capitant par Julliot de la Morantière, Cours élémentaires de droit civil français t. 2, 10e éd., no 431.
(3) Droit de la famille - 391,
Toutefois, certains semblent s'étonner que les règles de preuve incorporées dans notre Code civil s'appliquent en la matière. Il suffirait que, selon cette tendance, "au moment où il prononce le divorce", le tribunal constate le déséquilibre dans les patrimoines pour accueillir une demande de prestation compensatoire, quitte à déduire une somme ayant trait aux avantages que procure le contrat de mariage et, selon le cas, le régime matrimonial.
En toute déférence, telle n'est pas ma conception. Les règles de preuve consacrées par notre Code et qui ont résisté à l'usure du temps doivent être appliquées par les tribunaux.
a) APPORT EN BIENS
1) Le terrain.
L'appelante a passé un contrat de vente avec l'intimé le 13 août 1980 (pièce D-2: m.a. 89), aux termes duquel elle aliène une lisière de terrain. Elle avait elle-même acquis cette lisière de son père le 1er juin 1977 (pièce D-1: m.a. 86). Dans un cas comme dans l'autre, le prix est 100 $. Le contrat entre époux a eu une cause. D'ailleurs, un appauvrissement délibéré ne saurait fonder un droit ultérieur à une compensation. De toute façon, ce terrain était enclavé (m.i. 27 et m.: L. 74). En juin 1981, avant de construire une maison, il a fallu nécessairement acquérir un autre terrain et un droit de passage (pièce D-6: m.i. 25). Le prix que l'intimé a dû payer dans les circonstances est 3 500 $. Pour payer le prix de la construction, c'est l'intimé qui s'est engagé et ce sont ses immeubles qui furent hypothéqués (m.a. 236) à la suite de divers emprunts qu'il a contractés (m.i. 104 et s.) 2) Les versements dans le compte de banque = 7076.
Durant la vie commune, deux comptes en banque ont existé. Le compte no 6421 était le compte personnel (m.a. 216-217) de l'appelante alors que le compte no 7076 était celui du ménage (m.a. 215 et m.a. 255).
Il est vrai que l'appelante y a versé des contributions (m.a. 96 et s.) et il est également vrai qu'elle en a retiré des sommes d'argent pour les déposer par la suite dans son compte personnel. D'autre part, l'appelante reconnaît que l'intimé a aussi déposé de l'argent dans le compte 6421 (m.i. 123, 125). Quoi qu'il en soit, en vain cherche-t-on dans les pièces déposées et les témoignages une base solide permettant de conclure qu'un apport au sens de l'art. 559 C. Civ. Q. a été établi selon les règles de preuve en la matière.
L'appelante prétend avoir effectivement contribué aux charges du ménage. Elle soutient que cette contribution provenant des fruits de son travail était légèrement supérieure à celle de l'intimé. Pour ma part, je suis loin d'être en désaccord avec cette proposition énoncée dans le mémoire de l'intimé:
Dans toute cette discussion sur les comptes bancaires, il y a lieu de retenir que chacune des parties devaient durant leur vécu, assumer en proportion de leurs revenus et de leurs besoins, toutes les dépenses retiées à leur mariage.
D'autre part, la loi depuis 1980 dispose:
445. Les époux contribuent aux charges du mariage en proportion de leurs facultés respectives.
Chaque époux peut s'acquitter de sa contribution par son activité au foyer.
En l'espece, l'un et l'autre des époux a travaillé à l'extérieur du foyer. Il s'agit d'un couple sans enfant. L'intimé (5.I.1953) exploite un commerce à son compte et l'appelante (23.X.1955) a administré une entreprise commerciale qui a provoqué une faillite personnelle (supra). L'ensemble de la preuve n'établit pas de façon concluante que la contribution de l'appelante excède celle imposée par la loi et que l'on retrouve dans la vie commune de bien des personnes.
Ce que vise l'article 559, c'est l'enrichissement réel du patrimoine d'un des conjoints résultant du déséquilibre dans les prestations d'un époux à l'endroit de l'autre, en fonction de ce qu'ils se doivent l'un à l'autre. Il n'y a alors enrichissement que lorsqu'un des époux reçoit de l'autre des biens ou services dont la valeur défie la compensation qui autrement s'opère normalement entre ce que chacun d'eux doit donner et recevoir.(4)
Il n'est pas douteux que, durant le mariage, l'appelante n'aurait eu aucun droit de réclamer de l'intimé des sommes d'argent qu'elle a laissé employer pour les charges du mariage. La situation est- elle différente lors du prononcé du jugement de divorce en raison de l'art. 559, al. 1 in fine C. Civ. Q.(3)
Compte tenu de la situation de fait qui existe dans la présente cause, il ne me paraît pas indispensable d'exposer une opinion à cet égard.
(4) Droit de la famille - 271,
(3) Opinion du juge Tyndale, p. 2006
b) APPORT EN SERVICES
1) LA MAISON.
Comme bien des jeunes couples québécois, la construction de la première maison a été matériellement entreprise avec la collaboration des parents de l'un et l'autre époux qui y ont travaillé en commun.
Aucun de ces collaborateurs n'aurait songé pour un instant à intenter une action de in rem verso contre les deux époux ou contre celui qui est le propriétaire enregistré de l'immeuble. L'appelante a aussi apporté une contribution soutenue (m.a. 220 et s.). Elle précise que les membres de sa famille ont contribué à l'édification dans une mesure plus importante que ceux de la famille de l'intimé (m.i. 119, 15e). Elle ajoute que l'intimé s'est enrichi en raison de prix spéciaux qu'il a pu obtenir, grâce à des relations de ses parents, relativement aux différents matériaux de construction (m.a. 29). La construction s'est échelonnée sur une période d'environ un an et demi.
Madame a aussi posé du papier peint (m.a. 317, 10e). Elle a décapé certains meubles (m.a. 212). Monsieur n'a pas fait état d'apport en services qui ont pu accorder une valeur accrue à certains meubles de madame.
2) L'ENTREPRISE DE L'INTIME.
Des éléments de preuve fragmentaires (m.a. 317 et m.a. 212) ont été présentés. Néanmoins, on ne peut trouver une base solide pour appuyer une condamnation correspondant à un enrichissement du patrimoine de l'intimé.
En définitive, je suis d'avis que l'appelante - sans parler de sa tendance à exagérer - ne s'est pas déchargée du fardeau de preuve qui lui incombait.
Mais il y a plus.
Avant la séparation de fait qui remonte au 9 janvier 1985, l'intimé s'est entretenu avec l'appelante en vue d'arriver à un règlement à l'amiable.
Effectivement, il a consenti librement à payer une somme de 6 000 $ par versements échelonnés (m.i. 82-83), plus une somme additionnelle de 1 500 $ (m.i. 96-97) quant aux meubles. En fait, il a dû emprunter pour exécuter ces paiements dont le dernier se situe au 16 décembre 1986. Cette entente à l'amiable semble raisonnable, compte tenu notamment de "l'équité sur la maisons" et du régime matrimonial (m.i. 70 à 76; 93 à 107).
Après coup, toutefois, l'appelante a requis de l'intimé un droit de propriété sur l'immeuble que celui-ci continuait à habiter. C'est alors, soit en avril 1987, qu'une action en divorce a été intentée par l'intimé contre l'appelante. Dans une demande reconventionnelle, celle-ci a conclu, inter alia, à ceci:
DECLARER la défenderesse seule et unique propriétaire dudit immeuble ci-haut décrit en plus d'un autre immeuble acquis par les parties pendant le mariage, ledit immeuble étant connu et désigné comme suit: (DESCRIPTION)
La même conclusion est reprise dans le mémoire de l'appelante (m.a. 44).
Il va sans dire que cette conclusion ne saurait être accordée.
Pour ces motifs et non ceux de la Cour supérieure, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
Compte tenu de l'optique du jugement entrepris, je crois qu'il est juste que chaque partie paie ses propres dépens en appel. J.C.A. OPINION JUGE BAUDOUIN
Les procédures de divorce entre les parties ont été intentées par l'intimé le 1er mai 1987. Le 24 septembre de la même année, l'appelante produisit sa défense et une demande reconventionnelle dans laquelle elle réclamait une prestation compensatoire. L'appelante avait, peu de temps auparavant, géré un commerce d'école de conduite automobile, mais à la suite de sérieuses difficultés financières, elle fut contrainte de faire cession de ses biens le 10 novembre 1986. Le syndic prit donc possession de ses biens, liquida les actifs, paya les créanciers et l'appelante fut ainsi libérée par le registraire adjoint le 8 juillet 1987. En Cour supérieure, sans cependant donner de raisons détaillées pour le faire, l'honorable juge en vient à la conclusion que la réclamation pour prestation compensatoire ne pouvait être faite que par le syndic à la faillite, puisque l'appelante avait obtenu sa libération plus de deux mois avant de présenter sa demande reconventionnelle.
Pour compléter l'information factuelle pertinente, on peut rappeler que les parties se sont mariées en 1977 sous le régime conventionnel de la séparation de biens et qu'aucun enfant n'est né du mariage.
Le présent pourvoi soulève, au-delà des simples contingences factuelles de l'espèce, deux questions de droit qui me paraissent suffisamment importantes pour mériter qu'on s'y attarde un peu. Ces questions touchent la nature juridique de la prestation compensatoire.
La première est de savoir si le droit de réclamer la prestation devant une cour de justice, est un droit personnel au conjoint ou si, au contraire, il est aussi ouvert aux tiers, par exemple (comme en l'espèce) à un syndic de faillite au nom de tous les créanciers, ou encore à l'un des créanciers, par le biais du recours oblique (1031 C.C.) advenant l'hypothèse où le conjoint néglige ou refuse de le réclamer au préjudice de ce créancier.
La seconde est de déterminer à partir de quel moment la créance de la prestation compensatoire naît en droit. Naît-elle chaque fois que le patrimoine du conjoint se trouve appauvri par l'apport au patrimoine de l'autre ? Naît-elle au moment où le tribunal en fixe la valeur ?
I - LE DROIT
A. LA NATURE DE LA CREANCE
La prestation compensatoire a été instituée
en 1980 (L.Q. 1980, c. 39) pour remédier à une injustice flagrante dont étaient
presque exclusivement victimes certaines catégories de femmes mariées: celles
qui contribuaient (au-delà de la norme générale attendue de chacun des époux à
la prospérité du ménage), par des prestations en nature ou en biens, à
l'accroissement de la valeur économique du patrimoine du mari. Elles se
retrouvaient, après un divorce, sans aucun droit au partage des économies ainsi
réalisées et sans aucune rémunération pour le travail ainsi accompli surtout
lorsqu'elles avaient choisi de se marier sous le régime de la séparation de
biens. Comme l'énonçait l'ancien article
C'est donc en tenant compte de ces deux
grands principes comme toile de fond, qu'il convient maintenant de pousser
l'analyse un peu plus loin et de chercher à identifier la nature juridique de
la prestation compensatoire. On nous a, encore une fois, cité abondamment la
législation (Matrimonial Property Act. R.S. Alta 1980, c. M-9; Married Women's
Property Act, R.S.O. 1970. c.M-9.; et la jurisprudence des autres provinces
canadiennes (notamment Deloitte c. Graham (1984) 47 C.B.R. 172). La lecture de
ces textes est fort intéressante sur le plan du droit comparé. Elle n'est
cependant d'aucune utilité en l'espèce puisque, en droit québécois et dans un
système civiliste, c'est uniquement et seulement par rapport au cadre général
du Code civil et aux principes généraux du droit civil que le raisonnement
juridique doit se faire. Notre Cour l'a
d'ailleurs souvent rappelé, notamment dans Droit de la famille - 67 (1987) C.A.
135 et je fais miennes les remarques de mon collègue le juge Monet dans Droit
de la famille - 391
En premier lieu, il ne fait pas de doute dans mon esprit qu'il s'agit bien d'un droit de créance et d'un droit de créance patrimonial. La prestation compensatoire est, en effet, non seulement appréciable, mais même mesurée en argent et provient d'une activité (en biens ou en services) à caractère nettement économique. Elle prend naissance en raison d'un transfert de plus-value économique entre deux patrimoines.
En outre, elle possède d'autres
caractéristiques d'un droit de créance patrimonial: la dette de valeur, en
effet, ne meurt pas nécessairement avec la personne, puisque le conjoint
survivant peut la réclamer contre la succession du conjoint prédécédé (art.
En second lieu, cette créance ne saurait avoir pour effet d'attribuer à celui ou celle qui la réclame un droit spécifique sur les biens de son conjoint. il s'agit donc d'un droit de créance général, s'exerçant sur l'ensemble du patrimoine de l'autre et non (comme ce peut être le cas en matière de résidence familiale, par exemple) sur un bien ou une universalité de biens en particulier.
En troisième lieu, comme notre Cour l'a déjà
décidé, la créance de la prestation compensatoire n'a pas un caractère
alimentaire qui la rendrait donc incessible et insaisissable (Droit de la
famille - 176
En quatrième lieu, la créance de la
prestation compensatoire est toutefois intimement liée, bien que patrimoniale,
au statut personnel des parties créancière et débitrice. On constate, en effet,
d'abord qu'elle ne peut prendre naissance que dans le cadre d'un mariage même
si, dans certains cas exceptionnels, l'enrichissement sans cause peut
aussi permettre un dédommagement en matière d'union libre
(Michel c. Tremblay, C.A.Q.
En raison de l'évolution moderne, certains droits subjectifs se prêtent parfois mal à une insertion sans nuance dans les catégories doctrinales classiques et dans les classifications usuelles. C'est le cas de la prestation compensatoire. Notre droit connaît cependant déjà des droits de créance qui, tout en ayant un caractère patrimonial, tout en ne créant pas de patrimoine d'affectation, tout en demeurant saisissables et accessibles sont cependant "exclusivement attachés à la personne" du créancier, justifiant ainsi le refus de leur exercice par une personne autre que celle en faveur de qui ils ont été créés.
Ainsi, la jurisprudence québécoise ne permet pas à un créancier d'exercer par vole d'action oblige le recours en dommages-intérêts pour préjudice causé à la personne elle-même (Cocrhane c. McShane (1904) 13 B.R. 505; Green c. Elmhurst Dairy (1953) B.R. 85 p. 89;
Services des affaires sociales de la Ville de
Montréal c. St-Pierre
Crown Life Insurance Co. c. Perras (1953)
B.R. 659). D'autres encore sont le droit de demander la révocation d'une
donation pour cause d'ingratitude du donataire (art.
Je suis donc d'avis, sur ce premier point, que le droit à la prestation compensatoire est un droit de créance patrimonial, général, sans caractère alimentaire, mais attaché à la personne de son titulaire et que, ce faisant, il ne peut donc être exercé que par lui ou par la ou les personnes que le législateur autorise de façon spécifique à le faire.
Dans la présente instance donc, le syndic, à mon avis, n'avait pas le pouvoir de réclamer au nom de l'appelante la prestation compensatoire qui pouvait lui être due.
B. LA CREATION DE LA CREANCE
Le second problème est de déterminer à quel moment précis la créance de la prestation compensatoire prend naissance. Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées. On peut, en premier lieu, soutenir que le droit de créance naît dès le moment et à chaque fois où, par un apport en biens ou en services, l'un des conjoints diminue son propre patrimoine et enrichit corrélativement celui de l'autre. Cette solution ne m'apparaît cependant ni réaliste, ni juridiquement défendable. Non réaliste d'abord, parce qu'elle voudrait dire qu'il se créerait autant de droits de créance séparés que d'actes d'enrichissement ponctuels. Juridiquement indéfendable ensuite, pour trois raisons principales. La première est que le législateur a apparemment clairement envisagé la liquidation d'une dette de valeur flottante. Tant que dure le mariage, il est possible et même presque certain que l'enrichissement et l'appauvrissement réciproques des patrimoines des époux varieront et se feront et se déferont au fil des ans. Sur une période de 10, 15 ou 20 ans, il pourra donc s'opérer une sorte de compensation entre les différents actes d'enrichissement et d'appauvrissement réciproques un peu à la manière d'un compte courant.
Considérer qu'une créance naît à chaque fois me paraît donc contraire à l'économie générale de la loi.
La seconde est que la créance de la
prestation compensatoire ne représente ni un droit actuel, ni même un simple
droit futur dont l'exigibilité est assurée du fait même du mariage. Pour
qu'elle naisse, en effet, il faut la réalisation d'une double série de
conditions. La première est la
survenance d'un des événements spécifiquement prévus par le législateur
(divorce, nullité de mariage, etc...). La seconde est la constatation et
l'évaluation par le tribunal d'un apport en biens ou services qui a enrichit le
patrimoine du conjoint durant le mariage pour fixer l'évaluation de la créance
elle-même. Les tribunaux gardent d'ailleurs
en la matière un très large pouvoir discrétionnaire (Droit de la famille
- 71
" In other words this is a situation in which a court creates a right in an immoveable property and does not simply decide whether such right exists under the law." 376)
Je partage donc l'opinion de mes autres
collègues qui, dans un arrêt portant cependant sur une question différente et
dans un contexte qui n'est pas le même, soit l'application de l'article
II - L'APPLICATION A L'INSTANCE
Je suis donc d'avis, pour les motifs énoncés plus haut, que c'était bien à l'appelante et non au syndic de réclamer la prestation compensatoire. En appel, puisque cette preuve n'a pas été faite en Cour supérieure, mes deux collègues et moi-même avons entendu les représentations du procureur de l'appelante, aux termes desquelles il a conclu au bien-fondé de l'octroi d'une prestation compensatoire dans les circonstances de l'espèce.
J'ai eu le privilège de prendre connaissance des notes détaillées de mon collègue, M. le juge Monet, et partage entièrement toutes et chacune de ses conclusions. Il ne m'apparaît y avoir aucun élément de preuve au dossier qui permettrait d'accorder à l'appelante une prestation compensatoire dans la présente instance. Je disposerais donc du pourvoi de la façon dont le suggère M. le juge Amédée Monet.
J.C.A.
INSTANCE-ANTÉRIEURE
(C.S. Québec 200-12-036079-870)
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.