Décision

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Lizotte c. Aviva, compagnie d'assurances du Canada

2015 QCCA 152

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-024173-148

(500-17-072446-126)

 

DATE :

27 janvier 2015

 

 

CORAM : LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

GUY GAGNON, J.C.A.

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

 

KARINE LIZOTTE, ès qualités de Syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

APPELANTE - Requérante

c.

 

AVIVA, COMPAGNIE D’ASSURANCE DU CANADA

et

 

COMPAGNIE D’ASSURANCE TRADERS GÉNÉRALE

INTIMÉES - Intimées

 

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Ce pourvoi soulève la question de l’opposabilité du privilège relatif au litige et du secret professionnel à une demande de communication de renseignements et de documents que le syndic de la Chambre de l’assurance dommages présente à un assureur, dans le cadre d’une enquête sur la conduite d’un expert en sinistre, aux termes de l’article 337 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (LDPSF)[1], ainsi rédigé :

337. Un assureur, un cabinet, une société autonome, ou un courtier en épargne collective ou en plans de bourses d'études inscrit conformé­ment au titre V de la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1) doit, à la demande d'un syndic, lui transmettre tout document ou tout renseignement qu'il requiert sur les activités d'un représentant.

337. Insurers, firms, independent partnerships and mutual fund dealers and scholarship plan dealers registered in accordance with Title V of the Securities Act (chapter V-1.1) must, at the request of a syndic, forward any required document or information concerning the activities of a representative.

[2]           Par jugement rendu le 16 décembre 2013, la Cour supérieure du Québec, district de Montréal (l’honorable Pierre-C. Gagnon), a conclu à ce propos en ces termes :

[83]      DÉCLARE que le secret professionnel (privilège avocat-client) et le privilège relatif au litige sont opposables au syndic de la Chambre de l’assurance dommages par toute personne visée par une demande d’enquête et limite d’autant le pouvoir du syndic de contraindre la communication de documents en vertu de l’article 337 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

[3]           L’appelante concède que le secret professionnel lui est opposable. Elle soutient cependant que ce n’est pas le cas du privilège relatif au litige, qu’il faut distinguer du secret professionnel qui bénéficie d’une protection beaucoup plus forte, alors que le privilège relatif au litige ne protège qu’un intérêt purement privé. À son avis, ce privilège doit céder le pas devant l’intérêt public supérieur que constitue sa mission d’enquêter au sujet de la conduite professionnelle de ses membres afin d’assurer la protection du public.

[4]           Selon l’appelante, le juge a erré en retenant qu’une solution identique à celle relative au secret professionnel devait s’appliquer au privilège relatif au litige, prenant appui pour ce faire sur les propos du juge LeBel dans l’arrêt Foster Wheeler[2] voulant que « [p]rovenant de la common law, ce privilège tend maintenant, en droit québécois, à être absorbé dans l’institution du secret professionnel », alors qu’il y a lieu de les distinguer l’un de l’autre selon les enseignements de l’arrêt Blank[3] rendu subséquemment.

[5]           L’appelante reproche également au juge d’avoir retenu une définition trop large de la notion de litige connexe, aux fins de l’application du privilège relatif au litige, le cas échéant, et d’avoir statué que toute personne visée par une demande d’enquête, et non pas simplement les intimées en l’instance, pouvait opposer le secret professionnel ou un privilège relatif au litige pour refuser de communiquer des documents ou renseignements.

[6]           Qu’en est-il?

Le contexte

[7]           En janvier 2011, à la suite d’une plainte reçue d’une assurée non satisfaite du traitement de sa réclamation, l’appelante ouvre un dossier d’enquête sur la conduite professionnelle de l’expert en sinistre employé de l’intimée Aviva, Compagnie d’assurance du Canada (« Aviva ») qui en a été chargé.

[8]           Dans le contexte de son enquête, l’appelante requiert d’Aviva la communication de l’information que voici :

1.         Copie complète de votre dossier de réclamation, physique et informatique, pour ce sinistre s.v.p. (notamment avis de sinistre, rapports de tous types, notes au dossier, notes téléphoniques, enregistrement des appels, mémos, courriels, correspondance, factures, demandes d’indemnité, opinions juridiques complètes, etc. Ceci est une énumération à titre indicatif seulement. Si vous avez d’autres documents, physiques ou informatiques, nous les transmettre s.v.p.)

2.         Nous fournir, le cas échéant, la liste des codes d’usagers du système informatique de la compagnie nous permettant d’identifier les employés ayant traité ce dossier s.v.p.

[Caractères gras et l’italique dans l’original.]

[9]           Le 16 mai 2011, à la suite de divers échanges entre les parties, Aviva répond ainsi à la demande, sous la plume de ses procureurs :

Conformément à l’article 337 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, veuillez trouver sous pli l’intégralité de tous les documents contenus au dossier de l’assureur et ayant trait aux activités du représentant à son emploi, monsieur […].

Veuillez noter que certains documents n’ayant pas trait aux activités du représentant ne sont pas contenus à même la volumineuse documentation ci-jointe dont :

1.   Toute évaluation obtenue par l’assureur quant aux dommages subis ou quant à la cause de ceux-ci. Les opinions des experts et évaluateurs ne sont en rien reliées aux activités du représentant, monsieur […], et constituent par ailleurs une documentation dont le caractère privilégié a été depuis longtemps reconnu par la Cour d’appel;

2.   Aucune opinion juridique, partielle ou complète, n’a été jointe à la documentation ci-annexée. Ces documents, le cas échéant, sont couverts par le secret professionnel et ne peuvent être communiqués à qui que ce soit, dans un cas comme celui-ci, conformément aux enseignements de la Cour Suprême;

3.   Les communications purement internes chez l’assureur ne sont pas, non plus, jointes à la présente. Ces documents ne se rattachent en rien aux activités du représentant et, dans plusieurs cas, il s’agit de communications émanant d’individus ne relevant pas de l’autorité de la Chambre de l’assurance de dommages ou, dans les autres cas, de représentants non visés par la présente plainte;

4.   Toute note par ailleurs contenue au dossier de réclamation et ayant trait aux directives et stratégies internes chez l’assureur, programmes de mise en marché et toute autre information reliée aux opérations de l’assureur et n’ayant aucun lien avec les activités du représentant visé par la plainte.

[L’italique dans l’original.]

[10]        L’appelante n’accepte pas cette réponse. Au cours des semaines suivantes, elle tente de convaincre Aviva de modifier sa position. Dans une lettre du 13 avril 2012, elle précise ce que la communication recherchée concerne, soit « une copie complète de votre dossier de réclamation, physique et informatique, sans caviardage ou extraction d’information, outre les opinions juridiques obtenues. »

[11]        Aviva maintient sa position. Elle argue être bien fondée à refuser la communication des documents manquants puisqu’ils sont protégés par le secret professionnel (le privilège avocat - client) ou par le privilège relatif au litige alors qu’un litige l’oppose à son assurée à la suite du sinistre survenu et de la réclamation que celle-ci lui a présentée.

[12]        C’est dans ce contexte de cul-de-sac que l’appelante entreprend son recours judiciaire, soit une requête introductive d’instance en jugement déclaratoire, aux termes de l’article 453 C.p.c., assortie d’une conclusion injonctive, aux termes de l’article 751 C.p.c.[4].

[13]        En cours d’instance, Aviva et son assurée règlent leur litige.

[14]        Ce règlement intervenu, Aviva remet à l’appelante certains des documents manquants, soit tous ceux qu’elle a jusque-là refusé de communiquer en raison de l’immunité de divulgation fondée sur le privilège relatif au litige.

[15]        Dans ce contexte, les faits pertinents au débat sont admis à l’audience, notamment celui voulant que les documents dont la communication a été refusée sont effectivement visés par le privilège relatif au litige ou par le secret professionnel (privilège avocat-client), soit que, sous réserve de leur opposabilité à l’appelante, le privilège relatif au litige et le secret professionnel ont été valablement revendiqués.

[16]        Cependant, puisqu’elles interprètent différemment les droits ou les obligations énoncés à l’article 337 LDPSF, ce qui leur crée une difficulté réelle qu’elles souhaitent résoudre en raison d’interactions répétées, les parties demandent conjointement à la Cour supérieure de répondre, malgré tout, à la question suivante :

Les parties admettent qu’au moment de la demande faite par la ChaD (Chambre de l’assurance de dommages) le 24 janvier 2011 auprès de la partie défenderesse que, parmi les documents composant le dossier de réclamation de l’assurée N.F., certains documents n’ont pas été communiqués par la partie défenderesse parce qu’ils sont visés soit par le privilège relatif au litige, soit par le secret professionnel (privilège avocat-client). Par conséquent, la partie défenderesse avait-elle le droit d’opposer ces privilèges à la ChaD et ainsi refuser de communiquer les documents couverts par ces privilèges?

[Caractères gras et soulignements ajoutés.]

Les conclusions recherchées en appel

[17]        L’appelante nous demande d’infirmer la conclusion 83 du jugement entrepris, précédemment reproduite, et d’y substituer les conclusions que voici (énoncées à son inscription en appel et au mémoire déposé) :

DÉCLARER que l’Assureur, ainsi que tout assureur au sens de la LDPSF doit, conformément aux articles 337 et 340 de la LDPSF, transmettre à la demande du syndic de la Chambre de l’assurance de dommages, et ce, sans retard ou délai injustifié, tout document ou tout renseignement qu’il requiert dans le cadre de son enquête déontologique, notamment tout dossier complet de réclamation;

 

DÉCLARER que les 337 et 340 de la LDPSF doivent recevoir une interprétation large et libérale;

 

DÉCLARER que le privilège relatif au litige ne constitue pas un motif valable pour refuser au syndic de la Chambre de l’assurance de dommages la communication des documents ou renseignements qu’il requiert;

 

CONDAMNER l’Assureur aux dépens, tant en première instance qu’en appel.

Analyse

[18]        D’entrée de jeu, force est de constater que ces conclusions proposées par l’appelante dépassent largement le débat qu’autorisent les procédures judiciaires entreprises en l’espèce aux termes des articles 453 C.p.c. et 337 LDPSF.

[19]        Si, pour résoudre leur difficulté réelle, il est possible de décider de l’étendue du pouvoir de l’appelante de contraindre les intimées à lui communiquer des documents aux termes de l’article 337 la LDPSF (ou, dit autrement, de l’obligation des intimées de les lui communiquer), rien d’autre ne peut être décidé ou imposé, encore moins une solution susceptible de lier d’autres personnes que les parties au litige.

[20]        De plus, alors que l’article 337 LDPSF comporte une limite intrinsèque au pouvoir de contrainte y accordé, soit que les documents et renseignements requis le soient « sur les activités d’un représentant », les conclusions retenues doivent nécessairement être tributaires de cette limite.

[21]        Cela dit, le juge de première instance a-t-il erré en déclarant que le secret professionnel et que le privilège relatif au litige sont opposables à l’appelante lorsqu’elle exerce le pouvoir de l’article 337 LDPSF?

[22]        Nous sommes d’avis que ce n’est pas le cas.

[23]        Le juge de première instance a eu raison d’affirmer que le secret professionnel de l’avocat (privilège avocat-client) est opposable à une telle demande[5], l’appelante le concède d’ailleurs. Lorsque le législateur veut obliger une personne à communiquer de l’information, des renseignements ou des documents malgré le secret professionnel, il doit le prévoir expressément. Les articles 14.3, 60.4 et 192 du Code des professions[6], ainsi rédigés, en sont des exemples :

14.3. Il est interdit d'entraver, de quelque façon que ce soit, la personne qui effectue l'enquête, de la tromper par des réticences ou des fausses déclarations, de refuser de lui laisser prendre connaissance ou copie de tout document ou dossier qu'elle a droit d'obtenir aux fins de l'enquête, de refuser de lui remettre un tel document ou dossier ou de refuser de lui fournir un renseigne­ment ou de lui produire un rapport requis à ces fins.

 

Nul ne peut refuser de lui laisser prendre connaissance ou copie d'un document ou d'un dossier, refuser de lui remettre un document ou un dossier ou refuser de lui fournir un renseignement au motif qu'il a été obtenu par l'ordre dans l'exercice des devoirs ou des pouvoirs qui lui sont conférés par le présent code ou, le cas échéant, la loi le constituant en ordre professionnel ou au motif qu'il est protégé par le secret professionnel.

14.3. No person may, in any way whatsoever, hinder the person carrying out the inquiry, mislead him by concealment or false declarations, refuse to allow him to examine or copy any document or record which he is entitled to obtain or copy for the purposes of the inquiry, refuse to provide him with such a document or record or refuse to provide him with any information or report required for such purposes.

 

No person may refuse to allow him to examine or copy a document or record, or refuse to provide him with any information, document or record on the ground that it was obtained by the order in the exercise of the duties or powers conferred on it by this Code or, as the case may be, by the Act constituting it as a professional order, or on the ground that it is protected by professional secrecy.

60.4. Le professionnel doit respecter le secret de tout renseignement de nature confidentielle qui vient à sa connaissance dans l'exercice de sa profession.

 

Il ne peut être relevé du secret professionnel qu'avec l'autorisation de son client ou lorsque la loi l'ordonne ou l'autorise par une disposition expresse.

 

Le professionnel peut en outre communiquer un renseignement protégé par le secret professionnel, en vue de prévenir un acte de violence, dont un suicide, lorsqu'il a un motif raisonnable de croire qu'un danger imminent de mort ou de blessures graves menace une personne ou un groupe de personnes identifiable. Toutefois, le professionnel ne peut alors communiquer ce renseignement qu'à la ou aux personnes exposées à ce danger, à leur représentant ou aux personnes susceptibles de leur porter secours. Le professionnel ne peut communiquer que les renseignements nécessaires aux fins poursuivies par la communi­cation.

60.4. Every professional must preserve the secrecy of all confidential information that becomes known to him in the practice of his profession.

 

He may be released from his obligation of professional secrecy only with the authorization of his client or where so ordered or expressly authorized by law.

 

The professional may, in addition, communicate information that is protected by professional secrecy, in order to prevent an act of violence, including a suicide, where he has reasonable cause to believe that there is an imminent danger of death or serious bodily injury to a person or an identifiable group of persons. However, the professional may only communicate the information to a person exposed to the danger or that person's representative, and to the persons who can come to that person's aid. The professional may only communicate such information as is necessary to achieve the purposes for which the information is communicated.

192. Peuvent prendre connaissance d'un dossier tenu par un profes­sionnel, requérir la remise de tout document, prendre copie d'un tel dossier ou document et requérir qu'on leur fournisse tout rensei­gnement, dans l'exercice de leurs fonctions:

 

 1° un comité d'inspection profes­sionnelle ou un membre, un inspecteur ou un expert de ce comité ainsi que la personne responsable de l'inspection profes­sionnelle nommée conformément à l'article 90;

 

 2° un syndic, un expert qu'un syndic s'adjoint ou une autre personne qui l'assiste dans l'exercice de ses fonctions d'enquête;

 

 3° un comité de révision visé à l'article 123.3 ou un membre de ce comité;

 

 4° un conseil de discipline ou un membre de ce conseil;

 

 5° le Tribunal des professions ou un de ses juges;

 

 6° tout comité d'enquête formé par un Conseil d'administration, un membre d'un tel comité ou un enquêteur de l'ordre;

 

 7° tout administrateur désigné par le gouvernement en vertu de l'article 14.5;

 

 8° une personne, un comité ou un membre d'un comité désigné par le Conseil d'administration pour l'appli­cation des articles 45 à 45.2, 46.0.1, 48 à 52.1, 55 à 55.2 ou 89.1;

 

 9° (paragraphe abrogé);

 

Dans le cadre de l'application du présent article, le professionnel doit sur demande, permettre l'examen d'un tel dossier ou document et fournir ces renseignements et il ne peut invoquer son obligation de respecter le secret professionnel pour refuser de le faire.

[Soulignements ajoutés.]

192. The following may, in the performance of their duties, examine a record kept by a professional, require the production of any document, make a copy of such a record or document, and require any information:

 

 (1) a professional inspection committee or a member, inspector or expert of such a committee, or the person responsible for professional inspections appointed under section 90;

 

 (2) a syndic, an expert whose services are retained by a syndic and any other person assisting a syndic in the exercise of inquiry functions;

 

 (3) a review committee referred to in section 123.3 or a member of such committee;

 

 (4) a disciplinary council or a member of such council;

 

 (5) the Professions Tribunal or one of its judges;

 

 (6) any committee of inquiry established by a board of directors, a member of such a committee or an investigator of the order;

 

 (7) an administrator designated by the Government under section 14.5;

 

 (8) a person, committee or member of a committee designated by the board of directors for the purposes of any of sections 45 to 45.2, 46.0.1, 48 to 52.1, 55 to 55.2 and 89.1;

 

 (9) (subparagraph repealed);

 

For the purposes of this section, the professional shall, on request, allow the examination of such record or document and provide such information, and may not invoke his obligation to ensure professional secrecy as a reason for refusing to allow it.

[Underlining added.]

[24]        Est-ce également le cas en matière de privilège relatif au litige?

[25]        Bien que l’appelante ait raison de soutenir qu’il faut distinguer conceptuellement le privilège relatif au litige du privilège avocat-client (du secret professionnel)[7], notamment en ce que le premier peut exister autrement que dans le contexte de la relation avocat-client[8], la distinction ne change pas pour autant le fait que le privilège relatif au litige et le secret professionnel « servent une cause commune : l’administration sûre et efficace de la justice conformément au droit[9] » et qu’on ne peut soutenir, comme le fait l’appelante, que le privilège relatif au litige ne vise qu’à protéger des intérêts purement privés[10].

[26]        Dans l’arrêt Blank, malgré la différence conceptuelle rappelée, le juge Fish écrit :

27        Par ailleurs, le privilège relatif  au litige n’a pas pour cible, et encore moins pour cible unique, les communications entre un avocat et son client.  Il touche aussi les communications entre un avocat et des tiers, ou dans le cas d’une partie non représentée, entre celle-ci et des tiers.  Il a pour objet d’assurer l’efficacité du processus contradictoire et non de favoriser la relation entre l’avocat et son client.  Or, pour atteindre cet objectif, les parties au litige, représentées ou non, doivent avoir la possibilité de préparer leurs arguments en privé, sans ingérence de la partie adverse et sans crainte d’une communication prématurée.

31        Bien que distincts d’un point de vue conceptuel, le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique servent une cause commune : l’administration sûre et efficace de la justice conformément au droit.  En outre, ils sont complémentaires et n’entrent pas en concurrence l’un avec l’autre.  Cependant, le fait de considérer le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique comme deux composantes d’un même concept tend à en occulter la vraie nature.

41        [] Dans chaque cas, la durée et la portée du privilège relatif au litige sont circonscrites par son objet sous-jacent, soit la protection essentielle au bon fonctionnement du processus contradictoire.

49        [] La distinction établie entre le secret professionnel de l’avocat et le privilège relatif au litige n’exclut pas la possibilité qu’ils se chevauchent dans le contexte d’un litige.

[Soulignements ajoutés.]

[27]        Quant au juge Bastarache, il y écrit :

71        Interpréter l’art. 23 de la Loi sur l’accès comme incluant implicitement le privilège relatif au litige est la solution la plus appropriée parce que, de fait, ce privilège a toujours été considéré comme une composante du secret professionnel de l’avocat.  Comme mon collègue le reconnaît dans ses motifs, au par. 31, « [b]ien que distincts d’un point de vue conceptuel, le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique servent une cause commune : l’administration sûre et efficace de la justice conformément au droit.  En outre, ils sont complémentaires et n’entrent pas en concurrence l’un avec l’autre. »

[28]        L’appelante a aussi raison de plaider qu’aucun privilège n’est absolu, pas même le secret professionnel[11]. La question pertinente n’est donc pas celle du caractère absolu ou non du privilège relatif au litige, mais plutôt celle portant sur les conditions aux termes desquelles, le cas échéant, il doit céder le pas à autre chose.

[29]        Dans l’arrêt Blank, malgré la différence conceptuelle dont il discute, le juge Fish rappelle ainsi la réalité pertinente à l’interprétation de la loi en cause :

3          À tous les paliers, la présente affaire a été examinée à partir de la prémisse selon laquelle, pour l’application de l’art. 23 de la Loi sur l’accès, le « secret professionnel qui lie un avocat à son client » est censé englober le privilège relatif au litige, qui n’est mentionné dans aucune autre disposition de la Loi.  Les deux parties et les juges des juridictions inférieures ont tous tenu cette proposition pour avérée.

4          Pour ce qui est de l’interprétation de la Loi, je m’appuierais sur la même prémisse.  La Loi a été édictée il y a près d’un quart de siècle.  À l’époque, il n’était pas inhabituel de percevoir les termes « secret professionnel de l’avocat » comme une expression concise utilisée pour désigner à la fois le privilège de la consultation juridique et le privilège relatif au litige.  C’est ce qui explique le mieux pourquoi le privilège relatif au litige n’est mentionné isolément dans aucune disposition de la Loi.  Cela explique aussi très bien pourquoi, malgré le silence de la Loi à cet égard, je partage l’opinion des parties et des juridictions inférieures selon laquelle la Loi sur l’accès n’a pas privé le gouvernement de la protection que le privilège de la consultation juridique et le privilège relatif au litige lui offraient auparavant.  Lorsqu’il s’agit d’interpréter et d’appliquer la Loi, il faut considérer l’expression « secret professionnel de l’avocat », utilisée à l’art. 23, comme renvoyant aux deux privilèges.

5          En somme, nous ne sommes pas appelés en l’espèce à décider si le gouvernement peut invoquer le privilège relatif au litige.  Les parties conviennent à juste titre qu’il le peut.  Notre tâche consiste plutôt à examiner les caractéristiques fondamentales de ce privilège et, plus particulièrement, à en déterminer la durée.[12]

[L’italique dans l’original.]

[30]        C’est ce même contexte qui prévalait lors de l’adoption de la LDPSF et de son article 337 en 1998. Bien qu’il soit intervenu depuis à deux reprises[13] pour modifier l’article 337 de la LDPSF, notamment en 2009[14] subséquemment à l’arrêt Blank, le législateur n’y a rien ajouté pour écarter le secret professionnel ou le privilège relatif au litige alors qu’il le fait aux articles 14.3, 60.4 et 192 du Code des professions ci-haut reproduits.

[31]        Dans les affaires Air Canada[15], State Farm[16], Magnotta Winery[17] et TransAlta[18], la Cour fédérale, la Cour d’appel de l’Ontario et la Cour d’appel de l’Alberta se sont penchées sur la question. Dans toutes ces affaires, alors qu’elles étaient saisies de situations de refus de communication de renseignements ou de documents fondés sur le privilège relatif au litige, ou, dans le cas de la Cour d’appel de l’Ontario, sur le « settlement privilege », ces cours ont retenu que le privilège ne pouvait être écarté, à l’instar du secret professionnel, qu’en présence d’un texte clair et explicite à cette fin.

[32]        Dans TransAlta, sous la plume de l’honorable C.D. O’Brien, la Cour d’appel de l’Alberta écrit :

[36]      Moreover, even if solicitor-client privilege, as described in section 50, does not include litigation privilege, it was still open to TransAlta to resist production of records on the basis of litigation privilege. I interpret section 50 as being procedural in nature, designed to provide a convenient process for determining whether claims for solicitor-client privilege have been properly made. I do not interpret section 50 as excluding claims for litigation privilege, or for any other privilege recognized at common law. While I acknowledge that litigation privilege enjoys a lesser status than legal advice privilege, and is therefore subject both to legislative and judicial limitation, I think it most unlikely that the Legislature would have intended to remove the right to claim litigation privilege simply by not employing that specific term in a procedural provision dealing generally with claims made for solicitor-client privilege. If that were the intended result, I think the Legislature would have said so in express and clear language. While the reach of the MSA must be large, to ensure it can fulfill its watchdog functions, I would not deny investigated parties the right to claim litigation privilege without clear and explicit legislative language to that effect.

[37]      I share the view of the Ontario Court of Appeal, as expressed in Ontario (Liquor Control Board) v Magnotta Winery Corp, 270 OAC 55, in that case in relation to common law settlement privilege:

Further, based on recent judgments of the Supreme Court of Canada, I understand that fundamental common law privileges, such as settlement privilege, ought not to be taken as having been abrogated absent clear and explicit statutory language: see Canada (Privacy Commissioner) v Blood Tribe Department of Health, [2008] 2 SCR 574 (SCC), at para. 11 and R. v. Lavallee, Rackel & Heintz, [2002] 3 SCR 209 (SCC), at para. 18. While both of these cases relate to solicitor-client privilege, many of the same considerations apply to settlement privilege. Section 19 does not contain express language that would abrogate settlement privilege. Accordingly, in my view, it ought not to be so interpreted, (para 38).[19]

[Soulignements ajoutés.]

[33]        Le même raisonnement s’applique en l’espèce. Ainsi, puisque l’’article 337 LDPSF n’écarte pas expressément le secret professionnel ou le privilège relatif au litige, ils sont opposables au syndic qui présente la demande.

[34]        Cela étant, alors que l’appelante a maintenant en main la totalité des documents précédemment refusés en raison du privilège relatif au litige, il n’y a pas lieu de statuer quant au moyen d’appel portant sur l’interprétation de la notion de « litige connexe », car cette question est ici purement théorique.

[35]        Enfin, l’appelante soutient que la portée de la réponse donnée par le juge, soit la conclusion 83 du jugement entrepris, dépasse la difficulté réelle qu’il était invité à résoudre aux termes de l’article 453 C.p.c., laquelle était délimitée par la question commune proposée. Par souci de commodité pour le lecteur, nous reproduisons de nouveau le texte de la question commune proposée, à laquelle le juge a accepté d’apporter une réponse de même que la conclusion 83 du jugement entrepris :

Question

Les parties admettent qu’au moment de la demande faite par la ChaD (Chambre de l’assurance de dommages) le 24 janvier 2011 auprès de la partie défenderesse que, parmi les documents composant le dossier de réclamation de l’assurée N.F., certains documents n’ont pas été communiqués par la partie défenderesse parce qu’ils sont visés soit par le privilège relatif au litige, soit par le secret professionnel (privilège avocat-client). Par conséquent, la partie défenderesse avait-elle le droit d’opposer ces privilèges à la ChaD et ainsi refuser de communiquer les documents couverts par ces privilèges?

Conclusion 83 du jugement entrepris

[83]      DÉCLARE que le secret professionnel (privilège avocat-client) et le privilège relatif au litige sont opposables au syndic de la Chambre de l’assurance dommages par toute personne visée par une demande d’enquête et limite d’autant le pouvoir du syndic de contraindre la communication de documents en vertu de l’article 337 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

[Soulignements ajoutés.]

[36]        Sur ce point, l’appelante a raison de sorte qu’il sera fait droit à son appel, mais à la seule fin de substituer, à cette conclusion 83, la conclusion que voici :

[83]      DÉCLARE que les défenderesses ont le droit d’opposer au syndic de la Chambre de l’assurance dommages, dans le contexte d’une demande adressée aux termes de l’article 337 LDPSF, le secret professionnel ou le privilège relatif au litige et, cela étant, de refuser de lui communiquer les documents couverts par ces privilèges.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[37]        ACCUEILLE en partie l’appel, mais à la seule fin de substituer à la conclusion 83 du jugement entrepris la conclusion suivante :

[83]      DÉCLARE que les défenderesses ont le droit d’opposer au syndic de la Chambre de l’assurance dommages, dans le contexte d’une demande adressée aux termes de l’article 337 LDPSF, le secret professionnel ou le privilège relatif au litige et, cela étant, de refuser de lui communiquer les documents couverts par ces privilèges.

[38]        Le tout sans frais, compte tenu du sort mitigé de l’appel.

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

Me Claude G. Leduc

Me Olivier Charbonneau-Saulnier

MERCIER, LEDUC

Pour l’appelante

 

Me Patrick Girard

Me Éric Azran

STIKEMAN ELLIOTT

Pour les intimées

 

Date d’audience :

13 janvier 2015

 



[1]     RLRQ, D-9.2.

[2]     Foster Wheeler Power Co. c. SIGED, [2004] 1 R.C.S. 456, 2004 CSC 18, paragr. 44.

[3]     Blank c. Canada (Ministre de la Justice), [2006] 2 R.C.S. 319, 2006 CSC 39.

[4]     Aviva, compagnie d’assurances du Canada c. Chauvin, 2012 QCCA 1949, requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2013-04-25), 35137.

[5]     Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, [2008] 2 R.C.S. 574, 2008 CSC 44; R. c. McClure, [2001] 1 RCS 445, 2001 CSC 14, paragr. 35; Voir aussi : Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 R.C.S 809, 2004 CSC 31, paragr. 33 et 35; Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 209, 2002 CSC 61, paragr. 18 et 36.

[6]     RLRQ, C-26.

[7]     Blank c. Canada (Ministre de la Justice), [2006] 2 R.C.S. 319, 2006 CSC 39, paragr. 7 et 31.

[8]     Blank c. Canada (Ministre de la Justice), [2006] 2 R.C.S. 319, 2006 CSC 39, paragr. 27.

[9]     Blank c. Canada (Ministre de la Justice), [2006] 2 R.C.S. 319, 2006 CSC 39, paragr. 31.

[10]    R. c. McClure, [2001] 1 RCS 445, 2001 CSC 14; R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263.

[11]    R. c. McClure, 2001 CSC 14, [2001] 1 RCS 445, paragr. 34.

[12]    Blank c. Canada (Ministre de la Justice), [2006] 2 R.C.S. 319, 2006 CSC 39.

[13]    L.Q. 2002, c. 45, a. 460 et L.Q. 2009, c. 25, a. 95.

[14]    L.Q. 2009, c. 25, a. 95.

[15]    Commissaire à la protection de la vie privée du Canada v. Air Canada, [2010] F.C.J. No. 504, 2010 FC 429.

[16]    State Farm Mutual Automobile Insurance Company c. Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, 2010 FC 736.

[17]    Ontario Liquor Control Board v. Magnotta Winery Corp., 2010 ONCA 681, [2010] O.J. No. 4453.

[18]    TransAlta Corporation v. Market Surveillance Administrator, 2014 ABCA 196, [2014] A.J. No. 607.

[19]    TransAlta Corporation v. Market Surveillance Administrator, 2014 ABCA 196, [2014] A.J. No. 607.

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