Lachance et Garage Hermann Bolduc |
2012 QCCLP 4556 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION ET À UNE REQUÊTE INCIDENTE
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[1] Le 6 octobre 2011, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle demande la révision ou la révocation de la décision rendue par le tribunal le 22 août 2011.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête en révision ou révocation présentée par la CSST à l’encontre d’une décision rendue par le tribunal le 16 février 2011. Par cette dernière décision, la Commission des lésions professionnelles accueille en partie la requête de monsieur Mario Lachance (le travailleur), modifie la décision du 31 mars 2009 rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative, déclare que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 14 octobre 2009 et qu’il a droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter de cette date et déclare qu’il est prématuré de se prononcer sur la détermination de l’emploi convenable et sur la capacité du travailleur d’exercer cet emploi.
[3] Le 19 mars 2012, le travailleur présente à la Commission des lésions professionnelles une requête pour rejet de la requête en révision ou révocation présentée par la CSST le 6 octobre 2011.
[4] À l’audience tenue à Lévis le 17 mai 2012, la CSST est représentée par sa procureure. Le travailleur est présent et représenté. Garage Hermann Bolduc (l'employeur) est présent.
[5] La requête incidente et la requête en révision ou révocation sont prises en délibéré le 17 mai 2012.
L’OBJET DE LA REQUÊTE EN RÉVISION OU RÉVOCATION
[6] La CSST demande à la Commission des lésions professionnelles de révoquer la décision rendue le 22 août 2011. D’une part, elle demande au tribunal de déclarer que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 18 août 2008. D’autre part, la CSST demande au tribunal de convoquer à nouveau les parties afin qu’elles soient entendues sur la question de l’emploi convenable et de la capacité du travailleur à exercer cet emploi.
L’OBJET DE LA REQUÊTE INCIDENTE
[7] Le travailleur demande au tribunal de rejeter la requête en révision ou révocation présentée par la CSST parce que ce recours est abusif et dilatoire.
LES FAITS
[8] Pour bien comprendre les prétentions et les arguments des parties, il convient de rappeler les faits suivants.
[9] Le 29 novembre 2004, alors qu’il occupe un poste de contremaître et mécanicien chez l'employeur, le travailleur subit une lésion professionnelle. Un diagnostic d’élongation musculaire de l’aine gauche est d’abord posé. Des examens paracliniques sont demandés.
[10] Le 5 octobre 2005, le travailleur est examiné par le docteur Landry, membre du Bureau d'évaluation médicale. Dans son avis, il rapporte que le travailleur a déjà subi, il y a 17 ou 18 ans, une hernie discale L4-L5 et L5-S1 avec discoïdectomie. En lien avec la lésion professionnelle du 29 novembre 2004, le membre du Bureau d'évaluation médicale retient le diagnostic d’entorse lombaire sur statut post-discoïdectomie lombaire L4-L5 et L5-S1 gauche et élongation musculaire inguinale gauche. Il est d’avis que la lésion lombaire n’est pas consolidée. Il consolide toutefois la lésion inguinale le jour de son examen, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[11] Le 25 juillet 2006, le travailleur est de nouveau examiné par un membre du Bureau d'évaluation médicale. Le docteur Dalcourt consolide la lésion lombaire le 9 mars 2006, sans nécessité de traitement, sans atteinte permanente. Il reconnaît toutefois des limitations fonctionnelles au travailleur.
[12] Le 25 août 2006, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que le travailleur est capable d’occuper son emploi à compter du 25 août 2006.
[13] Le travailleur tente un retour au travail, mais après peu de temps, il doit cesser de travailler, à cause de douleurs lombaires. Il réclame à la CSST pour une récidive, rechute ou aggravation du 25 août 2006. La CSST refuse sa réclamation et le travailleur conteste ce refus.
[14] Le 12 juin 2008, la Commission des lésions professionnelles rend une décision[1] par laquelle elle déclare, d’une part, que le travailleur est incapable, à compter du 24 août 2006, de reprendre son emploi. D’autre part, elle déclare que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 25 août 2006.
[15] Le travailleur présente une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation du 18 août 2008, laquelle est refusée par la CSST.
[16] La CSST entreprend un processus de réadaptation et rend une décision par laquelle elle déclare que l’emploi de livreur est un emploi convenable et que le travailleur est capable d’occuper cet emploi à compter du 3 mars 2009.
[17] Ces deux dernières décisions sont confirmées le 31 mars 2009 à la suite d’une révision administrative. Le travailleur conteste cette décision (refus de la rechute du 18 août 2008, détermination de l’emploi convenable et capacité à l’exercer) devant la Commission des lésions professionnelles.
[18] Le 14 octobre 2009, le travailleur est examiné, à sa demande, par le docteur Lépine, chirurgien orthopédiste, qui produit un rapport d’expertise le 9 novembre 2009. Il écrit que le travailleur présente une condition personnelle de séquelles de discoïdectomie L4-L5-S1. Il présente actuellement des séquelles anatomiques et fonctionnelles d’entorse lombaire sur lésion dégénérative préexistante survenue au travail le 29 novembre 2004. De l’avis du docteur Lépine, il y a eu détérioration clinique avec déclaration de récidive, rechute ou aggravation survenue le 18 août 2008. Depuis ce temps, il y a une détérioration progressive de la condition lombaire sans signe franc d’irritation radiculaire et sans trouble neurologique aux membres inférieurs. Le médecin conclut que le travailleur n’est pas capable de faire le travail de livreur.
[19] Le 16 février 2011, la Commission des lésions professionnelles rend une décision. Le premier juge administratif décrit ainsi l’objet de la contestation dont il est saisi :
[8] D’abord, le représentant du travailleur demande au tribunal de déclarer que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation, le 18 août 2008, de sa lésion professionnelle initiale du 29 novembre 2004, puisque la preuve médicale prépondérante démontre celle-ci, notamment le rapport d’expertise du docteur Jean-Marc Lépine, chirurgien orthopédiste, complété le 9 novembre 2009. Il demande au tribunal de déclarer que le travailleur a droit aux prestations prévues à la loi pour cette récidive, rechute ou aggravation.
[9] Si tel est le cas, il demande au tribunal de déclarer prématurée la décision rendue le 31 mars 2009 par la CSST, qui se prononce sur celle rendue initialement par cet organisme, le 4 mars 2009, soit la détermination d’un emploi convenable de livreur de petits colis ou autres, de même que sa capacité de l’exercer, puisque sa lésion professionnelle, soit la récidive, rechute ou aggravation du 18 août 2008, n’est pas encore consolidée. Conséquemment, le processus de réadaptation devrait être repris, ce qui fait en sorte qu’il serait incapable d’exercer l’emploi convenable déterminé par la CSST.
[10] Sur le fond, le représentant du travailleur n’a soumis aucune preuve concernant la détermination de l’emploi de livreur, retenu comme étant convenable par la CSST.
[20] Le premier juge administratif fait état du suivi médical du travailleur et des examens subis en 2007 et 2008. Concernant la période plus contemporaine à la rechute alléguée du 18 août 2008, le premier juge administratif écrit :
[22] Le docteur Savard revoit le travailleur en avril 2008 et, à une autre reprise avant le 18 août 2008, qui correspond à la date où le travailleur veut se voir reconnaître une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale du 29 novembre 2004, dont les diagnostics retenus et finaux sont ceux d’élongation musculaire à l’aine gauche et d’entorse lombaire sur status postdiscoïdectomie lombaire L4-L5 et L5-S1 à gauche.
[23] En juillet 2008, le travailleur a revu le docteur Lépine qui pose un diagnostic de lombosciatalgie gauche, ne suggère aucune chirurgie, et recommande un travail adapté.
[24] Or, le 18 août 2008, le tribunal constate qu’il n’y a pas eu d’examen objectif ou encore, s’il y en a eu un, celui-ci n’a pas été mentionné dans les notes médicales du docteur Savard. Le docteur Savard complète un rapport médical CSST en indiquant comme diagnostics « aggravation séquelles de hernie discale et entorse lombaire ». Il prescrit au travailleur des analgésiques puissants, que le travailleur prenait depuis plusieurs mois, et demande à la CSST de l’aide personnelle pour l’entretien de son domicile.
[21] Il réfère ensuite au rapport d’expertise du docteur Lépine du 9 novembre 2009. Il précise que le travailleur n’a pas revu le docteur Lépine entre le mois de juillet 2008 et le 14 octobre 2009.
[22] Dans la section des motifs de la décision, le premier juge administratif formule ainsi les questions auxquelles il doit répondre :
[79] Dans un premier temps, la Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation, le ou vers le 18 août 2008, de sa lésion professionnelle initiale, survenue le 29 novembre 2004, à l’occasion d’un accident du travail. (R-127244432-004)
[80] Dans un deuxième temps, la Commission des lésions professionnelles doit décider si l’emploi de livreur de petits colis ou autres, retenu par la CSST, est un emploi convenable pour le travailleur, dont il aurait la capacité de l’exercer à compter du 3 mars 2009, à un revenu brut annuel estimé à 18 000 $. (R-127244432-005)
[23] Il expose ensuite les dispositions légales et les principes jurisprudentiels pertinents en matière de récidive, rechute ou aggravation.
[24] Après avoir analysé la preuve, le premier juge administratif conclut, au paragraphe 89 de sa décision, que le travailleur n’a produit aucune preuve médicale prépondérante démontrant qu’en date du 18 août 2008 il y a eu une détérioration assez significative de sa condition lombosacrée, des suites de sa lésion professionnelle survenue le 29 novembre 2004 et consolidée le 9 mars 2006.
[25] Le premier juge administratif conclut toutefois que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 14 octobre 2009. Il écrit :
[92] Toutefois, le tribunal conclut que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation, le 14 octobre 2009, de sa lésion professionnelle du 29 novembre 2004, puisqu’il y a une détérioration objective de son état lombo-sacré, tel que constaté par le docteur Lépine dans son expertise du 9 novembre 2009, à la suite de son examen fait au travailleur, en date du 14 octobre 2009.
[93] En effet, tel que narré par le tribunal dans la présente décision, il s’avère qu’en comparant les différents examens objectifs faits par plusieurs autres médecins, débutant à partir du rapport d’évaluation médicale du 18 septembre 2002 du docteur Sarto Arsenault, lors d’une lésion professionnelle du 24 décembre 2001 qu’a subie le travailleur, soit une entorse lombaire avec sciatalgie gauche, jusqu’à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale (docteur Jean-Pierre Dalcourt), du 27 juillet 2006, qui consolidait l’entorse lombaire sur status postdiscoïdectomie L4-L5 et L5-S1 gauche en date du 9 mars 2006, il s’avère qu’en date du 14 octobre 2009, il y a une détérioration objective à la colonne lombo-sacrée du travailleur, tel que mentionné par le docteur Lépine.
(…)
[105] Or, jusqu’au 14 octobre 2009, les amplitudes articulaires lombaires mesurées chez le travailleur étaient considérées comme étant normales par les médecins évaluateurs qui ont examiné le travailleur avant le docteur Lépine. Par contre, lors son examen du 14 octobre 2009, le docteur Lépine démontre qu’il y a eu détérioration à la colonne lombo-sacrée du travailleur, et ce, depuis sa lésion professionnelle du 29 novembre 2004, consolidée le 9 mars 2006.
[26] Concernant le diagnostic de la lésion, le premier juge administratif retient :
[100] À ce propos, le tribunal rappelle que, même si la CSST n’a pas reconnu les séquelles anciennes de hernie discale L4-L5 et L5-S1 à gauche, lors de la lésion professionnelle du 29 novembre 2004, il n’en demeure pas moins que le diagnostic reconnu à la suite de cette lésion professionnelle est une entorse lombaire sans séquelles sur un status postdiscoïdectomie L4-L5 et L5-S1 gauche. Or, cela fait en sorte que cette condition personnelle fut aggravée, non pas temporairement mais de façon permanente, lors de l’événement du 29 novembre 2004, et ce, par l’existence de limitations fonctionnelles permanentes attribuées au travailleur, soit une classe I de l’Institut de recherche en santé et sécurité au travail (IRSST).
[101] Conséquemment, le tribunal ne peut dissocier, de façon probante, les séquelles appartenant essentiellement à la condition personnelle du travailleur, au niveau de sa région lombo-sacrée, et celles dues à sa lésion professionnelle du 29 novembre 2004. En effet, le diagnostic initial, retenu par le membre du Bureau d’évaluation médicale (docteur Landry) de même que la CSST, n’ayant pas été contesté par les parties, englobe la condition personnelle qui est devenue, certes, symptomatique à la suite de cet événement, le tout tel qu’il appert de la preuve médicale ci-haut narrée.
[27] Et concernant le droit à l’indemnité de remplacement du revenu, le premier juge administratif décide :
[110] En l’occurrence, le travailleur a droit aux prestations prévues à la loi, soit à une indemnité de remplacement du revenu pleine à compter du 14 octobre 2009, et ce, même si la CSST avait statué qu’il avait la capacité d’exercer un emploi convenable déterminé, soit livreur de petits colis ou autres, et qu’il pouvait l’exercer à compter du 3 mars 2009.
[28] Enfin, le premier juge administratif estime qu’il est prématuré de se prononcer sur le deuxième volet de la décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative, soit la détermination d’un emploi convenable et la capacité du travailleur à l’exercer :
[113] Conséquemment, ce débat devra être refait ultérieurement, puisqu’une lésion professionnelle fut reconnue par le tribunal, soit celle du 14 octobre 2009, à l’occasion d’une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale du 29 novembre 2004. Il est donc prématuré de se prononcer sur la détermination d’un emploi convenable, de même que sur sa capacité à l’exercer, puisque le tribunal ne connaît pas quelles sont les séquelles permanentes résultant de cette récidive, rechute ou aggravation du 14 octobre 2009, ni si d’autres limitations fonctionnelles seront retenues, autres que celles de classe I retenues par le membre du Bureau d’évaluation médicale (docteur Dalcourt).
[29] Le 8 mars 2011, la CSST dépose une requête en révision ou révocation de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 16 février 2011. Par cette requête, la CSST soumet que cette décision est entachée d’un vice de fond en ce que le premier juge administratif a reconnu une récidive, rechute ou aggravation en dehors de sa compétence, alors qu’il était saisi de l’admissibilité d’une récidive, rechute ou aggravation du 18 août 2008. Elle plaide qu’aucune décision de la CSST n’a statué sur une récidive, rechute ou aggravation du 14 octobre 2009. Au surplus, en statuant comme il l’a fait, le premier juge administratif prive la CSST des recours prévus en matière d’évaluation médicale. Enfin, le premier juge administratif ne s’est pas prononcé sur l’emploi convenable, question dont il était saisi.
[30] La CSST demande au tribunal siégeant en révision de réviser la décision du 16 février 2011 et de déclarer que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 18 août 2008 et d’ordonner une nouvelle audience afin que les parties soient entendues sur la question de l’emploi convenable et la capacité du travailleur à l’exercer.
[31] Le 22 août 2011, la Commission des lésions professionnelles rend une décision sur dossier par laquelle elle rejette la requête en révision ou révocation de la CSST. Le juge administratif siégeant en révision expose d’abord la compétence de la Commission des lésions professionnelles en référant à l’article 369 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi). Il écrit ensuite que dans le traitement des litiges qu’elle est appelée à trancher, la Commission des lésions professionnelles dispose de larges pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 377 de la loi.
[32] Le tribunal siégeant en révision écrit de plus, jurisprudence à l’appui[3], que ces pouvoirs font en sorte que la Commission des lésions professionnelles agit de novo, ce qui implique qu’elle peut actualiser le dossier et déterminer une autre date de récidive, rechute ou aggravation que celle alléguée au départ par le travailleur. Le tribunal est d’avis qu’en déterminant, à la suite de son analyse complète de la preuve médicale, que la date de la récidive, rechute ou aggravation est le 14 octobre 2009 plutôt que le 18 août 2008, le premier juge administratif ne commet pas un excès de compétence puisqu’il était valablement saisi, en vertu de l’article 369 de la loi, d’un recours formé par le travailleur et portant sur la survenance d’une récidive, rechute ou aggravation.
[33] Par ailleurs, le tribunal siégeant en révision est d’avis que la CSST n’est pas privée de son droit de faire expertiser le travailleur, puisque la récidive, rechute ou aggravation est une nouvelle lésion et la CSST peut recourir à la procédure d’évaluation médicale si elle le juge nécessaire.
[34] Enfin, le tribunal siégeant en révision conclut que dans le contexte d’une nouvelle lésion professionnelle, c’est à bon droit que le premier juge administratif a conclu que la décision concernant l’emploi convenable et la capacité à l’exercer est prématurée.
[35] Le 6 octobre 2011, la CSST dépose une requête en révision ou révocation de la décision rendue le 22 août 2011. C’est de cette requête dont est saisi le présent tribunal.
[36] Dans cette requête, la CSST allègue qu’une fois que le juge administratif a déclaré dans sa décision du 16 février 2011 que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 18 août 2008, il est devenu functus officio et il n’était saisi d’aucun autre litige ayant fait l’objet d’une décision de la CSST. En statuant sur l’admissibilité d’une lésion le 14 octobre 2009, il usurpe la compétence exclusive de la CSST. Au surplus, l’expertise du 9 novembre 2009 du docteur Lépine n’a jamais été produite à la CSST, de là l’absence de décision sur une lésion professionnelle du 14 octobre 2009.
[37] La CSST fait valoir que le pouvoir d’agir de novo ne permet pas à un juge administratif de modifier l’objet du litige dont il est saisi et de se prononcer sur un litige qui n’existe pas. Le juge administratif pouvait se saisir de l’expertise du 9 novembre 2009 afin de décider d’une aggravation au 18 août 2008, mais non au 14 octobre 2009.
[38] La CSST reproche également au premier juge administratif de reconsidérer illégalement le diagnostic de la lésion professionnelle, et ce, aux fins d’établir un lien de causalité entre la lésion initiale et la récidive, rechute ou aggravation alléguée. Selon la CSST, le premier juge administratif déclare que le 29 novembre 2004, le travailleur a subi une aggravation de sa condition personnelle de statut post discoïdectomie L4-L5, L5-S1 gauche, ce qui n’a jamais été reconnu à titre de lésion professionnelle.
[39] Quant au juge administratif ayant rendu la décision sur la première requête en révision ou révocation, il commet, selon la CSST, une erreur manifeste et déterminante en ne constatant pas les erreurs commises par le premier juge administratif.
[40] À l’audience, la CSST soumet que le juge administratif ayant siégé en révision a mal interprété les articles 369 et 377 de la loi, ce qui constitue une erreur de droit déterminante.
[41] Elle plaide que la première requête ayant fait l’objet d’une décision sur dossier, le débat sur l’interprétation de l’article 377 de la loi n’a pas été fait.
[42] La CSST demande en conséquence au présent tribunal de révoquer la décision du 22 août 2011, de déclarer que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 18 août 2008 et de convoquer les parties afin qu’elles soient entendues sur la question de l’emploi convenable et de la capacité du travailleur à l’exercer.
[43] Le 19 mars 2012, le travailleur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il demande au tribunal de rejeter la requête en révision ou révocation de la CSST. Il prétend que par cette requête la CSST soumet les mêmes motifs que ceux soumis dans sa requête du 8 mars 2011, laquelle a été rejetée par la décision du 22 août 2011. Il ajoute qu’à sa face même il semble évident que la CSST s’emploie à faire de l’obstruction systématique à l’application des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles dans le dossier. Enfin, il allègue que le recours de la CSST est abusif et dilatoire.
[44] À l’audience, le travailleur réitère ses arguments et fait valoir que cette deuxième requête lui cause préjudice et engendre des coûts importants pour lui.
[45] À cela, la CSST répond que le travailleur ne subit aucun préjudice de nature pécuniaire puisque la CSST a appliqué la décision du 16 février 2011 quant à la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation et qu’au surplus, une récidive, rechute ou aggravation pour un diagnostic de nature psychologique a été reconnue, lésion qui n’est toujours pas consolidée.
[46] Le tribunal a pris les deux requêtes en délibéré.
L’AVIS DES MEMBRES
[47] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis de rejeter la requête du travailleur puisque le caractère abusif et dilatoire de la requête de la CSST n’est pas démontré.
[48] Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir en partie la requête en révision. D’une part, il estime que les pouvoirs conférés par la loi à la Commission des lésions professionnelles permettent de décider de la date d’une récidive, rechute ou aggravation. D’autre part, étant donné que le tribunal ne reconnaît pas de récidive, rechute ou aggravation le 18 août 2008, il devait se prononcer sur l’emploi convenable et la capacité du travailleur à exercer cet emploi.
[49] Le membre issu des associations d’employeurs accueillerait la requête en révision. Il estime que le premier juge administratif devait décider si le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 18 août 2008. En décidant de l’admissibilité d’une récidive, rechute ou aggravation le 14 octobre 2009, il excède sa compétence. Le tribunal siégeant en révision de cette première décision devait donc la réviser. Enfin, le membre issu des associations d’employeurs est d’avis qu’en l’absence d’une récidive, rechute ou aggravation le 18 août 2008, le premier juge administratif devait se prononcer sur l’emploi convenable et la capacité du travailleur à exercer cet emploi.
[50] Les membres sont d’avis que la Commission des lésions professionnelles doit convoquer de nouveau les parties afin qu’elles soient entendues sur la question de l’emploi convenable et de la capacité du travailleur à l’exercer.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[51] En premier lieu, le tribunal doit statuer sur la requête incidente du travailleur qui prétend que la requête en révision ou révocation de la CSST constitue un recours abusif et dilatoire. Pour ce faire, il convient de référer à l’article 429.27 de la loi :
429.27. La Commission des lésions professionnelles peut, sur requête, rejeter ou assujettir à certaines conditions, un recours qu'elle juge abusif ou dilatoire.
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1997, c. 27, a. 24.
[52] Selon la jurisprudence, quatre critères permettent de juger du caractère abusif ou dilatoire d’un recours :
1) à sa face même, le recours n'a aucune chance de succès;
2) son caractère futile et dilatoire saute aux yeux;
3) il n'est pas susceptible d'un débat raisonnable; ou
4) il est fait sans droit apparent et ne vise qu'à retarder le processus administratif ou judiciaire[4].
[53] Le tribunal est d’avis que la requête en révision ou révocation présentée par la CSST ne répond à aucun de ces critères. D’abord, on ne peut affirmer qu’à sa face même, le recours n’a aucune chance de succès. Le tribunal a entendu les arguments de la CSST et doit maintenant y répondre. Le tribunal siégeant en révision devra entre autres déterminer si la présente requête n’est en fait que la répétition de la précédente et si la CSST peut, dans le cadre du présent recours, soulever un nouvel argument. Le tribunal doit décider si la décision du 22 août 2011 est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider, comme le prétend la CSST.
[54] En conséquence, il appert qu’un débat raisonnable peut avoir lieu.
[55] Par ailleurs, le recours n’est pas fait sans droit apparent, puisque rien dans la loi n’empêche de présenter une requête en révision ou révocation d’une décision rendue à la suite d’une première en révision.
[56] Enfin, rien dans la preuve ne démontre que le recours de la CSST revêt un caractère futile et dilatoire, à tout le moins ce caractère ne saute pas aux yeux. Le tribunal n’a pas de raison de conclure que la requête est présentée par la CSST dans le seul but de retarder le processus administratif ou judiciaire ou encore, comme le prétend le travailleur dans sa requête, pour faire de l’obstruction systématique à l’application des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles dans ce dossier.
[57] Le tribunal ne retient pas non plus l’argument du travailleur voulant que ce recours lui occasionne des dépenses supplémentaires et inutiles. Sans nier que le recours, auquel il est partie, puisse en effet lui occasionner des dépenses supplémentaires, ce n’est certainement pas le but visé par la CSST.
[58] En conséquence, le tribunal rejette la requête incidente du travailleur.
[59] Le présent tribunal doit donc décider s’il y a lieu de réviser ou révoquer la décision rendue le 22 août 2011.
[60] L’article 429.49 de la loi prévoit qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[61] La loi prévoit un recours en révision ou révocation dans certaines circonstances particulières :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[62] Conformément à l’article 429.57 de la loi, la requête en révision ou révocation doit être présentée dans un délai raisonnable suivant la décision visée et indiquer les motifs à son soutien.
[63] En l’espèce, le tribunal siégeant en révision juge que la requête présentée par la CSST le 6 octobre 2011 respecte le délai raisonnable prévu par la loi, lequel est assimilé à un délai de 45 jours. De plus, la requête expose les motifs à son soutien.
[64] Le recours en révision ou révocation en est un d’exception, dans un contexte où les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel. Ainsi, une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des motifs énumérés à l’article 429.56 est démontré.
[65] En l’espèce, la CSST réfère au troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi et fait valoir que la décision comporte un vice de fond, de nature à l’invalider.
[66] Les notions de «vice de fond» et «de nature à l’invalider» ont été interprétées par la Commission des lésions professionnelles. L’interprétation retenue par le tribunal a par la suite été confirmée par la Cour d’appel. Le tribunal retient des enseignements de la jurisprudence que le vice de fond de nature à invalider la décision est une erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation[5], une erreur qui est déterminante dans les conclusions atteintes[6].
[67] L’interprétation d’un texte législatif ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique. Ainsi, la simple divergence d’opinions quant à la façon d’interpréter une disposition législative ne constitue pas un vice de fond[7]. Par ailleurs, le fait d’écarter ou d’omettre une règle de droit applicable constitue une erreur de droit manifeste et déterminante[8].
[68] Il faut aussi retenir que le pouvoir de révision ne peut être une répétition de la procédure initiale ni un appel déguisé sur la base des mêmes faits et arguments[9]. Dans le cadre d’un recours en révision, le juge administratif ne peut non plus substituer son opinion ou son appréciation de la preuve à celle de la première formation. Ce n’est pas non plus une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments[10].
[69] Dans l’affaire CSST c. Touloumi[11], la Cour d’appel écrit qu’une décision attaquée pour vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.
[70] Enfin, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision doit faire preuve d’une grande retenue puisque la première décision rendue fait autorité et ce n’est qu’exceptionnellement que cette décision pourra être révisée[12].
[71] Ces principes étant exposés, qu’en est-il en l’espèce.
[72] À la lecture de la première requête en révision, le tribunal constate que la CSST reprend devant le présent tribunal les mêmes arguments que ceux soumis devant le premier juge administratif ayant siégé en révision quant à la compétence de la Commission des lésions professionnelles et l’exercice de son pouvoir d’agir de novo. La CSST réitère à ce sujet les mêmes reproches déjà soulevés envers la décision du 16 février 2011. Or, un recours en révision ou révocation ne peut être une répétition de la procédure initiale, ni un appel déguisé sur la base des mêmes faits et arguments.
[73] À l’audience, la procureure de la CSST plaide que la décision du 22 août 2011 a été rendue sur dossier et qu’en conséquence le débat concernant l’interprétation de l’article 377 de la loi n’a pas pu être fait.
[74] Le tribunal ne retient pas cet argument. D’une part, la CSST aurait pu demander la tenue d’une audience de sa requête du 8 mars 2011. Elle a plutôt choisi de procéder sur dossier. Le présent recours en révision ou révocation n’est pas l’occasion de parfaire une preuve ou encore de peaufiner ou d’ajouter à une argumentation.
[75] D’autre part, le juge administratif dans sa décision du 22 août 2011, analyse la compétence et les pouvoirs de la Commission des lésions professionnelles. Il fait état des prétentions de la CSST exposées dans sa requête. Le débat sur ces questions a été fait et tranché par le juge administratif qui a conclu, dans une décision motivée, que le premier juge administratif avait la compétence et les pouvoirs pour conclure à une récidive, rechute ou aggravation du 14 octobre 2009.
[76] Ainsi, il n’appartient pas au présent tribunal de statuer sur les mêmes questions et d’analyser les mêmes arguments, et ce, même si l’argumentation de la CSST apparaît maintenant plus étoffée. Le présent tribunal ne peut substituer sa propre interprétation des articles 369 et 377 de la loi à celle du premier juge administratif en révision.
[77] En l’espèce, la procureure de la CSST a déposé de la jurisprudence et de la doctrine[13] au soutien de ses prétentions. Elle demande en somme au présent tribunal de retenir sa position plutôt que celle du premier juge administratif en révision. Ce n’est pas là le rôle du tribunal siégeant en révision.
[78] D’autant plus que l’interprétation des articles 369 et 377 retenue par le premier juge administratif siégeant en révision ne comporte pas d’erreur manifeste de droit ni d’erreur grave ou évidente.
[79] Le premier juge administratif siégeant en révision réfère aux règles de droit pertinentes, fait les distinctions qui s’imposent entre les notions de compétence et de pouvoir, dont le pouvoir d’agir de novo, et son interprétation est conforme à la jurisprudence.
[80] Comme nous l’enseigne la jurisprudence, l’interprétation d’un texte législatif ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique. Ainsi, la simple divergence d’opinions quant à la façon d’interpréter une disposition législative ne constitue pas un vice de fond.
[81] En plus de la jurisprudence citée par le premier juge administratif siégeant en révision, le présent tribunal réfère à la décision rendue dans Jocelyn Cyr et Boulangerie St-Méthode[14] dont les faits sont similaires, sinon identiques, à ceux de la présente affaire.
[82] Dans l’affaire Cyr, la Commission des lésions professionnelles est saisie d’une requête en révision ou révocation présentée par la CSST. Le premier juge administratif était quant à lui saisi d’une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation du 18 mars 2009, en lien avec une lésion initiale du 22 octobre 2001.
[83] À l’audience, le premier juge administratif entend le témoignage du travailleur. Le rapport d’expertise du docteur Roy qui a examiné le travailleur le 2 novembre 2009 est aussi déposé. Le premier juge administratif décide que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation non pas le 18 mars 2009, mais plutôt le 2 novembre 2009.
[84] La CSST dépose une requête en révision ou révocation de cette décision. Elle soumet que le premier juge administratif a excédé sa compétence en reconnaissant une récidive, rechute ou aggravation le 2 novembre 2009.
[85] La Commission des lésions professionnelles rejette la requête en révision :
[45] Avec respect pour l’opinion contraire, en concluant à l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation le 2 novembre 2009 plutôt que s’en tenir à la date du 18 mars 2009, le premier juge administratif n’excède pas sa compétence.
[46] Il tire celle-ci du fait qu’un recours a été formé en vertu de l’article 359 de la loi par le travailleur à l’encontre d’une décision de la CSST. Le premier juge administratif a donc la compétence exclusive pour trancher le litige.
[47] En l’espèce, ce litige concerne l’existence ou non d’une récidive, rechute ou aggravation, en lien avec la lésion professionnelle du 22 octobre 2001 et le droit du travailleur aux prestations prévues à la loi. Il s’agit de la question fondamentale que pose ce litige.
[48] Pour le trancher, le premier juge administratif dispose de tous les pouvoirs prévus aux articles 377 et suivants de la loi. De tels pouvoirs lui permettent notamment d’actualiser le dossier aux fins de rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu.
[49] Dans la cause sous étude, c’est d’ailleurs ce que fait le premier juge administratif en entendant d’une part le témoignage du travailleur à l’audience du 14 mai 2010 et d’autre part, en recevant copie du rapport d’expertise du docteur Roy et en demandant le dossier pharmacologique et les notes médicales.
[50] Le premier juge administratif tranche le litige dont il est dûment saisi (l’existence ou non d’une récidive, rechute ou aggravation) et son analyse de la preuve lui permet de statuer sur la date de cette récidive, rechute ou aggravation.
[51] Sur cet aspect de la détermination de la date, le tribunal réfère aux décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles dans les affaires Auger et Général Signal ltée, Général Motors ltée et Bélair et Conciergerie d’Amqui inc. et Gagnon. De telles décisions illustrent bien le fait que la Commission des lésions professionnelles n’est pas liée par la façon dont la CSST qualifie la lésion professionnelle et qu’elle peut s’appliquer, tenant compte de la preuve soumise, à déterminer la date de la lésion professionnelle.
[52] Il en va de même dans l’affaire Côté et Bombardier Produits récréatifs inc. dans laquelle la Commission des lésions professionnelles indique qu’elle a le pouvoir de déterminer la date d’une lésion professionnelle dont on lui demande la reconnaissance. Dans cette affaire, il est question d’une récidive, rechute ou aggravation.
[53] Dans la cause sous étude, si le premier juge administratif, constatant l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation le 2 novembre 2009 plutôt que le 18 mars 2009, avait plutôt choisi de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle rende d’abord sa décision, une telle situation se serait inscrite à l’encontre d’une saine administration de la justice administrative.
[54] En effet, alors que le premier juge administratif a en main tous les éléments pour rendre sa décision à la suite d’une actualisation du dossier, il serait plutôt inapproprié de retourner le dossier du travailleur à la CSST afin qu’il passe à travers un processus décisionnel et de contestation, le cas échéant, pour obtenir réponse à sa demande fondamentale, soit l’existence ou non d’une récidive, rechute ou aggravation et son droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
[55] Dans les circonstances, une telle façon de procéder irait à l’encontre d’une saine administration de la justice administrative, laquelle est caractérisée par des principes fondamentaux non seulement de qualité mais également de célérité et d’accessibilité.
[56] En agissant comme il a fait, le premier juge administratif fait non seulement usage de son pouvoir de novo mais évite une multiplication de recours coûteux et inutiles, tout en respectant ces principes de célérité et d’accessibilité.
[57] De l’avis du tribunal, il n’est pas déraisonnable que le premier juge administratif ait disposé du litige en retenant que la date de la récidive, rechute ou aggravation, tenant compte de la preuve soumise, n’est pas celle du 18 mars 2009 mais plutôt celle du 2 novembre 2009. Cette conclusion découle d’une analyse détaillée de la preuve reçue (dossier constitué, témoignage du travailleur, rapport d’expertise du docteur Roy et documents demandés).
[58] Il ne s’agit pas d’un excès de compétence puisque le premier juge administratif était valablement saisi d’un recours formé en vertu de l’article 359 de la loi. Pour exercer cette compétence, il a fait usage des pouvoirs prévus aux articles 377 et suivants, afin de rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu.
[59] Quant à l’argument concernant les articles 204 et suivants, la récidive, rechute ou aggravation du 2 novembre 2009 constitue une nouvelle lésion à l’égard de laquelle la CSST peut mettre en branle la procédure d’évaluation médicale prévue à ces articles. Aussi, le premier juge administratif aurait pu, le cas échéant, prévoir certaines modalités pour la CSST au moment de l’audience du 14 mai 2010, mais celle-ci n’était pas partie intervenante à ce moment.
[références omises]
[86] Les principes appliqués dans cette décision sont les mêmes que ceux retenus par le juge administratif dans la décision du 22 août 2011.
[87] Le présent tribunal ne constate aucune erreur de droit déterminante et n’a aucune raison d’intervenir sur cette question.
[88] Par ailleurs, la CSST soumet que le premier juge administratif a, dans sa décision du 16 février 2011, reconsidéré illégalement le diagnostic de la lésion initiale. Cet argument est soulevé pour la première fois en l’instance, il n’a pas été soumis devant le premier juge administratif siégeant en révision. Or, la jurisprudence nous enseigne que le recours en révision n’est pas l’occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments. Il n’appartient donc pas au présent tribunal de décider de cette question.
[89] De plus, à la lecture de la décision du 16 février 2011, on comprend que le juge administratif exprime la difficulté à dissocier la condition personnelle du travailleur de la lésion professionnelle, située au même niveau lombaire. Il confirme la présence d’une lésion professionnelle, survenue sur une condition personnelle préexistante. Dans ce contexte, il est loin d’être évident qu’il reconsidère le diagnostic de la lésion professionnelle.
[90] En conséquence, le tribunal siégeant en révision conclut qu’il n’y a pas lieu de révoquer ou réviser la partie de la décision du 22 août 2011 portant sur le pouvoir du premier juge administratif de reconnaître une récidive, rechute ou aggravation le 14 octobre 2009.
[91] Il est donc acquis que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 18 août 2008, mais qu’il a subi une telle lésion le 14 octobre 2009.
[92] Dans sa décision du 22 août 2011, après avoir décidé que le premier juge administratif n’a pas commis d’erreur déterminante et a rendu la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu, le juge administratif conclut :
[42] Finalement, dans le contexte d’une nouvelle lésion professionnelle, c’est à bon droit que le premier juge administratif a conclu que la décision confirmant un emploi convenable et la capacité du travailleur à l’exercer est prématurée.
[93] Le présent tribunal est d’avis que cette conclusion constitue une erreur manifeste et déterminante, considérant les faits de la présente affaire.
[94] La lésion professionnelle du 29 novembre 2004 est consolidée le 9 mars 2006, sans atteinte permanente, mais avec limitations fonctionnelles. La Commission des lésions professionnelles a reconnu que le travailleur n’était pas en mesure de reprendre son emploi le 25 août 2006.
[95] Dans ce contexte, la CSST a déterminé un emploi convenable de livreur et déclaré que le travailleur pouvait occuper cet emploi à compter du 3 mars 2009. Le premier juge administratif était saisi aussi de la question de la détermination de l’emploi convenable et de la capacité du travailleur à l’exercer.
[96] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles dans sa décision du 16 février 2011 reconnaît que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 18 août 2008.
[97] Entre la consolidation de la lésion le 9 mars 2006 et la récidive, rechute ou aggravation du 14 octobre 2009, il n’y a pas de lésion professionnelle reconnue qui change le tableau quant à la capacité du travailleur à occuper l’emploi convenable en mars 2009.
[98] Il n’y a pas d’incapacité de travail reconnue après le 24 août 2006. La Commission des lésions professionnelles a décidé que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 25 août 2006.
[99] Dans ce contexte, il n’apparaît pas prématuré de statuer sur l’emploi convenable et la capacité du travailleur à occuper cet emploi le 3 mars 2009, soit avant la récidive, rechute ou aggravation du 14 octobre 2009.
[100] En ne statuant pas sur l’emploi convenable et la capacité du travailleur à l’exercer, le premier juge administratif ne répond pas à une des questions dont il est saisi, ce qui constitue un vice de fond de nature à invalider la décision[15].
[101] La décision rendue le 22 août 2011 ne devait donc pas confirmer cette partie de la décision.
[102] Il appert du paragraphe 10 de la décision du 16 février 2011 que le travailleur n’a fourni aucune preuve concernant l’emploi convenable; il demandait alors au tribunal de déclarer prématurée la détermination de l’emploi convenable et de sa capacité à l’exercer. Tel aurait été le cas si le premier juge administratif avait reconnu une récidive, rechute ou aggravation le 18 août 2008. Mais ce n’est pas le cas pour une récidive, rechute ou aggravation du 14 octobre 2009.
[103] Le premier juge administratif était saisi tant de la détermination de l’emploi convenable que de la capacité du travailleur à l’exercer. Les parties n’ont pas été entendues sur ces questions.
[104] En conséquence, le tribunal révoque en partie la décision du 22 août 2011, soit la conclusion voulant que la décision confirmant l’emploi convenable et la capacité du travailleur à l’exercer soit prématurée.
[105] En conséquence, le dossier est retourné à la Commission des lésions professionnelles afin que les parties soient convoquées de nouveau pour être entendues sur la question de la détermination de l’emploi convenable et la capacité du travailleur à l’exercer le 3 mars 2009.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête incidente de monsieur Mario Lachance, le travailleur, déposée le 19 mars 2012;
ACCUEILLE en partie la requête en révision présentée par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 6 octobre 2011;
RÉVISE en partie la décision du 22 août 2011;
ACCUEILLE en partie la requête en révocation déposée le 8 mars 2011;
RÉVOQUE en partie la décision du 16 février 2011;
RETOURNE le dossier à la Commission des lésions professionnelles afin qu’elle convoque à nouveau les parties pour qu’elles soient entendues sur la question de l’emploi convenable et la capacité du travailleur à exercer cet emploi le 3 mars 2009.
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Diane Lajoie |
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Monsieur René Beaudoin |
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BEAUDOIN & POUDRIER CONSULTANTS |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Odile Tessier |
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VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] Lachance et Garage Hermann Bolduc, C.L.P. 318181-03B-0705, 12 juin 2008, C. Lavigne.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] Côté et Bombardien Produits récréatifs inc., [2005] C.L.P. 958 ; Rousseau et Demathieu & Bard - Segerco senc, C.L.P. 312245-05-0703, 15 mars 2010, L. Boucher.
[4] J.M. Asbestos inc. et Ronald Gagnon (Succession), [1996] C.A.L.P. 1040 ; Clermont et Fromagerie de Corneville (Agropur), 209391-62B-0305, 04-03-19, Alain Vaillancourt; Chayer et Plomberie Brébeuf inc. C.L.P., 264253-07-0506, 11 juin 2008, S. Séguin.
[5] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve [1998] C.L.P. 733 .
[6] Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783 .
[7] Tribunal administratif du Québec c. Godin [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.); Amar c. CSST [2003] C..L.P. 606 (C.A.); CSST c. Fontaine [2005] C.L.P. 626 (C.A.).
[8] Champagne et Ville de Montréal, 236011-63-0406, 23 février 2006, S. Di Pasquale; Techno-Pro inc. (fermé) et A.C.Q. Mutuelle 3-R [2010] C.L.P. 587 .
[9] Tribunal administratif du Québec c. Godin , citée note 7.
[10] Bourassa c. CLP [2003] C.L.P. 601 (C.A.) requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 22 janvier 2004 (30009); CSST c. Fontaine, citée note 7.
[11] [2005] C.L.P. 921 (C.A.).
[12] Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, 214190-07-0308, 20 octobre 2005, L. Nadeau (05LP-220).
[13] Colombie Britannique (Worker’s Compensation Board) c. Figliola 2011 CSC 52 ( AZ-50798476 ); Chevalier c. CSST et CLP 2008 QCCA 1111 (AZ-5045992); Ambellidis c. CALP [1998] C.L.P. 1109 ( AZ-99011167 );Dallaire et Lauzon, [2000) C.L.P. 1046 ( AZ-00305727 ); Guillemette c. CSST 2009 QCCA 1876 ( AZ-50578531 ); Jean-Pierre VILLAGGI, « L'Administration publique québécoise et le processus décisionnel», Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p.318-319, 426, 432-433, 499-502, 519-521.
[14] 2011 QCCLP 6119 .
[15] Garage Windsor ltée et Michaud, C.L.P. 294594-01A-0607, C.-A. Ducharme; Nutribec ltée et Grandmaison, C.L.P. 73700-62B-9510, 12 mars 1999, C. Lessard; Blais et Coop Solidarité aide domestique Gatineau, C.L.P. 191219-07-0209, 21 décembre 2004, N. Lacroix; Pothier et Lagran Canada inc., C.L.P. 244169-62B-0409-R, 23 octobre 2006, B. Lemay; Marcoux et Forage Moderne (1985) ltée, C.L.P. 214993-08-0308-R, 12 décembre 2006, M. Carignan.
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