C.C. c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS MCQ)

2020 QCCA 1543

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-010256-201

(410-17-001884-209)

 

DATE :

19 novembre 2020

 

 

DEVANT

L'HONORABLE

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

 

 

 

C... C...

REQUÉRANT - défendeur

c.

 

CENTRE INTÉGRÉ UNIVERSITAIRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LA MAURICIE-ET-DU-CENTRE-DU-QUÉBEC (CIUSSS MCQ)

INTIMÉE - demanderesse

et

 

CA... V...

MISE EN CAUSE - personne intéressée

 

 

JUGEMENT

 

 

[1]           Le requérant est âgé de 76 ans. Il est atteint d’un cancer de la prostate métastatique et de démence. Son inaptitude à consentir à des soins ou à les refuser ne fait pas l’objet de débat. Il habite avec la mise en cause, le conjoint de celle-ci et un ami du couple. La mise en cause et son conjoint agissent à titre d’aidants naturels.

[2]           À une date que le dossier d’appel ne précise pas, l’intimée signifie au requérant et à la mise en cause une demande d’ordonnance de soins visant principalement l’hébergement du requérant dans un CHSLD.

[3]           La présentation de cette demande est fixée au 16 novembre 2020, devant le juge Jocelyn Geoffroy de la Cour supérieure, district de St-Maurice. L’avocat du requérant sollicite une remise pour obtenir le dossier médical de son client et se prévaloir éventuellement d’une expertise. L’avocat de l’intimée s’oppose à la remise, à moins qu’une ordonnance de sauvegarde ne soit rendue.

[4]           Après avoir entendu les témoignages de la Dre Marie-Ève Lavoie, omnipraticienne, de madame Élisabeth Lapierre, travailleuse sociale, et de la mise en cause, le juge prononce une ordonnance de sauvegarde dont voici les conclusions :

REPORTE le dossier au 22 décembre 2020 pour un suivi quant à l'avancement de la contre-expertise demandée;

AUTORISE la partie demanderesse à traiter monsieur C... C... en l’hébergeant dans un milieu adapté à ses besoins selon l’évolution de son état de santé, tel un CHSLD, à compter de ce jour, jusqu’à ce que jugement intervienne sur le fond;

ORDONNE à la demanderesse de faire le nécessaire pour que monsieur C... ait accès à un poste de télévision ainsi qu'aux chaînes qu’il aime regarder;

ORDONNE à tout agent de la paix, ambulancier ou toute autre ressource jugée appropriée, sur simple demande verbale, à :

ASSISTER la partie demanderesse dans l’exécution de la présente ordonnance, quel que soit le lieu où se trouve le défendeur;

PÉNÉTRER dans tout lieu où le défendeur pourrait se trouver;

TRANSPORTER le défendeur jusqu’au CIUSSS (MCQ), volet centre hospitalier affilié Universitaire régional (CHAUR), à l’une ou l’autre de ses cliniques externes ou à tout autre établissement ou ressource désignée par la partie demanderesse;

UTILISER tout moyen approprié, y compris la force nécessaire en cas de résistance ou en cas de refus d’obtempérer au transport conformément à la présente ordonnance;

DÉCLARE la présente ordonnance exécutoire nonobstant appel;

LE TOUT, sans frais de justice;

[5]           Le requérant demande la permission d’appeler de ce jugement et la suspension de l’exécution provisoire pendant l’instance d’appel.

***

[6]           Remarque préliminaire. L’ordonnance de sauvegarde est prononcée en fin d’après-midi le 16 novembre 2020. Dès le lendemain, l’avocat du requérant avise celui de l’intimée de son intention de faire appel et de demander la suspension de l’exécution provisoire. Il fait appel à sa collaboration pour que le transfert du requérant dans un CHSLD n’ait pas lieu avant qu’un juge d’appel se prononce sur sa demande de suspension.

[7]           L’avocat de l’intimée lui répond le jour même que sa cliente refuse de suspendre l’exécution de l’ordonnance en attendant la décision d’un juge d’appel et que « [l]es démarches d’hébergement iront donc de l’avant à très court terme ». L’intimée estime en effet que le maintien à domicile du requérant lui est préjudiciable et que les facteurs retenus par le juge « démontrent une réelle urgence d’agir ».

[8]           Voilà qui surprend, car la demande d’ordonnance de soins n’est accompagnée d’aucune demande d’ordonnance de sauvegarde. N’eût été la demande de remise du requérant, le juge aurait instruit l’affaire au fond et aurait pu délibérer pendant plusieurs jours. De plus, les rapports produits au soutien de la demande d’ordonnance de soins sont datés des 26 et 29 octobre 2020. On lit dans le rapport de la travailleuse sociale que la décision de présenter une telle demande remonte au 22 octobre 2020. Certes, l’intimée n’a pas traîné les pieds, mais sa façon d’agir ne démontre pas une urgence telle que l’exécution de l’ordonnance ne puisse être retardée d’un jour ou deux.

[9]           Quoi qu’il en soit, le 18 novembre 2020, à 6 h, l’avocat du requérant écrit de nouveau à l’avocat de l’intimée pour l’aviser qu’il va demander à la Cour d’appel la tenue d’une audience en urgence le matin ou l’après-midi même. Il lui transmet ses procédures d’appel et « l’exhort[e] à ne pas procéder au transfert de [son] client avant que cette audience n’ait eu lieu et qu’un juge unique n’ait pu contrôler la légalité du jugement ».

[10]        L’avocat de l’intimée lui répond à 8 h 46 que sa cliente maintient sa position et que le transfert du requérant aura lieu le matin même. De fait, au moment où l’audience débute vers 14 h 30, je suis informée que l’ordonnance a été exécutée et que le requérant se trouve déjà dans un CHSLD.

[11]        Ce manque de déférence et cet empressement à court-circuiter la procédure d’appel doivent être dénoncés, surtout que l’avocat de l’intimée reconnaît ne pas avoir demandé au juge de rendre l’ordonnance de sauvegarde exécutoire malgré l’appel, ce qui constitue une autre indication que l’urgence n’était pas une question de 24 ou 48 heures.

***

[12]        Permission d’appeler. En raison de leur caractère discrétionnaire, temporaire et révisable, les ordonnances de sauvegarde ne sont généralement pas considérées comme appelables au sens de l’article 31 C.p.c., sauf de manière exceptionnelle[1].

[13]        En l’espèce, j’estime qu’il n’est pas dans le meilleur intérêt de la justice d’accorder la permission d’appeler.

[14]        En effet, à défaut d’un dossier complet, le juge bénéficiait tout de même d’une certaine preuve pour apprécier les critères de l’apparence de droit, du préjudice irréparable, de la balance des inconvénients et de l’urgence. En plus des rapports de la Dre Lavoie et de la travailleuse sociale Élisabeth Lapierre, il a entendu leur témoignage et celui de la mise en cause. Il a pu apprécier leur crédibilité, leur poser des questions et s’assurer que l’hébergement du requérant dans un CHSLD serait bénéfique et opportun dans les circonstances.

[15]        Il est vrai que le requérant n’a pas été en mesure de faire valoir tous ses moyens. Par exemple, il n’a pu déposer une contre-expertise en ce qui a trait aux soins d’hygiène nocturnes et, de façon plus générale, à la capacité de ses aidants naturels à lui prodiguer les soins requis par son état de santé, avec l’aide du CLSC. Son avocat a toutefois pu contre-interroger la Dre Lavoie et la travailleuse sociale sur le contenu de leur rapport et la mise en cause a pu donner sa version des faits.

[16]        Du reste, l’ordonnance de sauvegarde ne lie pas le juge du fond. Le requérant pourra, le moment venu, présenter une preuve complète et le juge du fond en arrivera peut-être à une conclusion différente. L’ordonnance qui a été rendue, malgré l’importance de certains de ses effets, n’est pas irréversible.

[17]        Le requérant reproche au juge de ne pas s’être prononcé sur le critère de l’apparence de droit et de ne pas avoir expliqué en quoi les autres critères sont satisfaits. Le jugement aurait pu être davantage motivé, mais il faut tenir compte du contexte. Le juge venait tout juste d’entendre la preuve et les observations des avocats. Il n’avait pas à reprendre chacun des points soulevés. Après en avoir énuméré quelques-uns, il a conclu que « si l’ordonnance de sauvegarde demandée n’est pas accordée, l’intégrité psychique et physique de monsieur risque d’être atteinte ». Il a aussi retenu « l’urgence invoquée que monsieur doit notamment être surveillé 24 heures sur 24 et changé plus fréquemment de couche ». Ses motifs font ressortir qu’il a examiné les bons critères.

[18]        D’autre part, le requérant soutient que le jugement comporte des erreurs de fait graves et déterminantes sur la question de l’administration des médicaments et sur les manquements au niveau des soins en général que lui prodiguent ses aidants naturels. Or, la preuve à cet égard est au mieux contradictoire et les éléments retenus par le juge trouvent appui dans les rapports de la Dre Lavoie et de la travailleuse sociale. Cela ne signifie aucunement que le requérant ne sera pas en mesure de prouver le contraire lors de l’instruction au fond.

[19]        Bref, je suis d’avis que les moyens proposés ne justifient pas d’accorder la permission d’appeler de l’ordonnance de sauvegarde qui a été prononcée. Cela entraîne le rejet de la demande de suspension de l’exécution provisoire.

POUR CES MOTIFS, LA SOUSSIGNÉE :

[20]        REJETTE la requête pour permission d’appeler;

[21]        REJETTE la requête pour suspendre l’exécution provisoire de l’ordonnance de sauvegarde;

[22]        Sans frais de justice.

 

 

 

 

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

 

Me Patrick Martin-Ménard

Me Marie Malavaud

MÉNARD, MARTIN

Pour le requérant

 

Me Dominic Tourigny

LAMBERT, THERRIEN

Pour l’intimée

 

Mme Ca... V...

Non représentée

Mise en cause

 

Date d’audience :

18 novembre 2020

 



[1]     Lavoie c. Maltais, 2018 QCCA 777, paragr. 17; 9219-7607 Québec inc. c. Fcht Holdings (Québec) Corporation Inc., 2020 QCCA 1533, paragr. 5 (Fournier, j.c.a.); Legault c. Municipalité de Sainte-Lucie-des-Laurentides, 2020 QCCA 1407, paragr. 9 (Hamilton, j.c.a.); 9222-9863 Québec inc. c. Société immobilière Lyndalex inc., 2014 QCCA 1328, paragr. 7-8 (Bich, j.c.a.); Jean bleu inc. c. Carrefour Laval Leaseholds inc., 2010 QCCA 782, paragr. 3 (Bich, j.c.a.).

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