Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Hydro-Québec (Gestion acc. trav) et Bérubé

2014 QCCLP 6461

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

26 novembre 2014

 

Région :

Québec

 

Dossier :

528288-31-1312      545702-31-1407

 

Dossier CSST :

140366196

 

Commissaire :

René Napert, juge administratif

 

Membres :

Claude Jacques, associations d’employeurs

 

Gilles Dubé, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Hydro-Québec (Gestion Acc. Trav)

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Bernard Bérubé

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 528288-31-1312

[1]           Le 2 dĂ©cembre 2013, Hydro-QuĂ©bec (l’employeur) dĂ©pose Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles une requĂŞte Ă  l’encontre d’une dĂ©cision rendue par une conciliatrice-dĂ©cideur de la Commission de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail (la CSST) le 15 novembre 2013.

[2]           Par cette dĂ©cision, la conciliatrice-dĂ©cideur accueille en partie [1]la plainte logĂ©e par monsieur Bernard BĂ©rubĂ© (le travailleur), le 14 janvier 2013. Elle ordonne Ă  l’employeur de lui payer la rĂ©munĂ©ration affĂ©rente au temps supplĂ©mentaire qu’il aurait effectuĂ© en milieu borĂ©al les 11 et 12 dĂ©cembre 2012, n’eut Ă©tĂ© l’accident du travail survenu le 15 novembre 2012.

[3]           Elle ordonne en outre Ă  l’employeur de verser au travailleur, moins toute somme ayant prĂ©alablement Ă©tĂ© reçue par ce dernier pour cet avantage, la somme reprĂ©sentant la location « per diem Â» pour les repas et la nourriture durant les pĂ©riodes du 3 au 14 dĂ©cembre 2012 et du 14 au 25 janvier 2013, comme s’il avait Ă©tĂ© en dĂ©placement ou avait sĂ©journĂ© en territoire borĂ©al n’eut Ă©tĂ© l’accident du travail survenu le 15 novembre 2012.

[4]           Elle rĂ©serve en outre sa compĂ©tence pour dĂ©terminer les sommes Ă  ĂŞtre versĂ©es au travailleur Ă  dĂ©faut d’entente entre les parties. Elle ordonne enfin Ă  l’employeur de se conformer Ă  la dĂ©cision rendue dans les huit jours de sa notification.

Dossier 545702-31-1407

[5]           Le 2 juillet 2014, l’employeur dĂ©pose Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles une requĂŞte par laquelle il conteste la dĂ©cision rendue par la conciliatrice-dĂ©cideur de la CSST le 27 juin 2014.

[6]           Par cette dĂ©cision, puisque les parties ne se sont pas entendues sur les sommes Ă  ĂŞtre versĂ©es au travailleur, la conciliatrice-dĂ©cideur ordonne Ă  l’employeur de verser au travailleur la somme de 1 244,67 $ en remboursement d’une allocation pour les repas durant les pĂ©riodes du 3 au 14 dĂ©cembre 2012 et du 14 au 25 janvier 2013. Elle ordonne en outre Ă  l’employeur de se conformer Ă  la dĂ©cision rendue dans les huit jours de sa notification.

[7]           Une audience se tient Ă  QuĂ©bec le 6 novembre 2014. L’employeur est reprĂ©sentĂ©. Bien que dĂ»ment convoquĂ©, le travailleur n’est ni prĂ©sent ni reprĂ©sentĂ©.

[8]           Avant que ne dĂ©bute l’audience prĂ©vue pour 9 h et que la cause ne soit entendue, le tribunal a vĂ©rifiĂ© avec une prĂ©posĂ©e de la Commission des lĂ©sions professionnelles les coordonnĂ©es du travailleur figurant au greffe du tribunal.

[9]           La prĂ©posĂ©e du greffe a informĂ© le tribunal qu’un avis de convocation Ă  l’audience avait Ă©tĂ© acheminĂ©, le 14 juillet 2014, Ă  l’adresse figurant au dossier de la Commission des lĂ©sions professionnelles, la mĂŞme que celle utilisĂ©e pour l’envoi des dĂ©cisions de première instance et que celle indiquĂ©e par le travailleur lui-mĂŞme dans le dĂ©sistement de sa contestation produit le 8 octobre 2014, Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles.

[10]        L’avis de convocation acheminĂ© au travailleur n’est pas revenu Ă  l’expĂ©diteur. En outre, aucun changement d’adresse n’a Ă©tĂ© enregistrĂ© au dossier de la Commission des lĂ©sions professionnelles.

[11]        Le tribunal a attendu plus de 15 minutes après l’heure fixĂ©e pour l’audience et le travailleur ne s’y est pas prĂ©sentĂ©. C’est pourquoi, vu les vĂ©rifications effectuĂ©es, il a dĂ©cidĂ© de procĂ©der, en l’absence du travailleur, compte tenu de la prĂ©sence de l’employeur et de ses tĂ©moins. L’audience fut d’une durĂ©e d’environ une heure 15 minutes. Le travailleur ne s’est pas manifestĂ© pendant toute cette pĂ©riode.

[12]        Vu ce qui prĂ©cède, la cause fut mise en dĂ©libĂ©rĂ© le 6 novembre 2014.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[13]        L’employeur demande Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles de rejeter la plainte du travailleur et de dĂ©clarer qu’il n’a pas Ă©tĂ© l’objet d’une sanction ou d’une mesure prohibĂ©e par l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi).

LES FAITS

[14]        Le travailleur est Ă  l’emploi de l’employeur Ă  titre de chef Ă©lectricien en appareillage. Dans l’exercice de ses fonctions, il doit se dĂ©placer en territoire borĂ©al. Il y effectue plus d’une dizaine de dĂ©placements par annĂ©e d’une durĂ©e de deux semaines chacune.

[15]        Le calendrier borĂ©al, Ă©laborĂ© au dĂ©but de chacune des annĂ©es, prĂ©voit notamment que le travailleur Ĺ“uvrera en territoire borĂ©al, Ă  compter du 12 novembre 2012 jusqu’au 23 novembre 2012 puis du 3 dĂ©cembre 2012 jusqu’au 14 dĂ©cembre 2012. Le calendrier de l’annĂ©e 2013 prĂ©voit quant Ă  lui que le travailleur Ĺ“uvrera en territoire borĂ©al du 14 au 25 janvier 2013[3].

[16]        L’horaire de travail du travailleur diffère selon son lieu de travail. Ainsi, lorsqu’il occupe son emploi dans la rĂ©gion de QuĂ©bec, il est de 40 heures par semaine, du lundi au vendredi, de 7 h 30 Ă   16 h 30. Toutefois, lorsqu’il travaille en territoire borĂ©al, son horaire comprend 60 heures de travail par semaine, du lundi au vendredi de 8 h Ă  22h, le samedi de 8 h Ă  20 h et le dimanche de 8 h Ă  17 h.

[17]        Le 15 novembre 2012, alors qu’il est assignĂ© en territoire borĂ©al, le travailleur subit un accident du travail. Dès lors, il revient Ă  QuĂ©bec pour y recevoir les traitements appropriĂ©s.

[18]        Le 21 novembre 2012, le travailleur rencontre son mĂ©decin traitant qui retient le diagnostic d’entorse sacro-iliaque. Il prescrit de la physiothĂ©rapie. Il autorise une assignation temporaire pour la pĂ©riode du 21 novembre 2012 au 10 dĂ©cembre 2012. Le formulaire qu’il remplit ne comporte pas de description du travail proposĂ© par l’employeur ni aucune spĂ©cification quant aux tâches devant ĂŞtre accomplies. Dans la section du formulaire prĂ©vue Ă  cet effet, le mĂ©decin indique : « aucun effort physique Â».

[19]        Prenant appui sur l’autorisation du mĂ©decin traitant, l’employeur assigne le travailleur Ă  diffĂ©rents travaux dans la rĂ©gion de QuĂ©bec. Ce dernier exĂ©cute dès lors un travail Ă  raison de 40 heures par semaine, rĂ©parties du lundi au vendredi de 7 h 30 Ă  16 h 30.

[20]        Le 3 dĂ©cembre 2012, le travailleur revoit son mĂ©decin qui prolonge l’assignation temporaire jusqu’au 7 janvier 2013 en rĂ©pĂ©tant qu’il ne doit faire aucun effort physique.

[21]        Au dĂ©but du mois de dĂ©cembre 2012, le travailleur se plaint, Ă  des personnes en autoritĂ© de l’employeur, que pendant son assignation temporaire, il ne touche pas la rĂ©munĂ©ration pour les heures supplĂ©mentaires qu’il aurait effectuĂ©es dans son emploi en territoire borĂ©al. En outre, il revendique Ă©galement le paiement de d’autres avantages liĂ©s aux frais de sĂ©jour et de repas lors d’une affectation en territoire borĂ©al.

[22]        Ă€ l’appui de ses prĂ©tentions au regard du temps supplĂ©mentaire, il soumet la convention collective le rĂ©gissant. Elle prĂ©voit que, pendant un sĂ©jour en territoire borĂ©al, le travailleur est payĂ© en temps supplĂ©mentaire pour l’excĂ©dent de sa cĂ©dule habituelle de travail, laquelle, rappelons-le, prĂ©voit 40 heures de travail par semaine.

[23]        Le 11 dĂ©cembre 2012, le travailleur rencontre son supĂ©rieur immĂ©diat.

[24]        Ce dernier lui indique que, lorsqu’il est en assignation temporaire, pour recevoir le salaire correspondant Ă  celui gagnĂ© en territoire borĂ©al, il doit effectuer l’horaire de travail du milieu borĂ©al. Il ajoute que son mĂ©decin traitant n’a pas identifiĂ© de restriction quant Ă  l’horaire de travail Ă  respecter durant l’assignation temporaire. Il lui demande alors d’effectuer du temps supplĂ©mentaire et de prolonger sa journĂ©e de travail jusqu’à 22 h, le mĂŞme jour.

[25]        Le travailleur refuse d’effectuer le temps supplĂ©mentaire demandĂ© par son employeur, doutant que cette demande puisse ĂŞtre favorable Ă  sa rĂ©adaptation.

[26]        Le 12 dĂ©cembre 2012, le supĂ©rieur immĂ©diat du travailleur lui demande Ă  nouveau d’effectuer du temps supplĂ©mentaire, ce que refuse le travailleur.

[27]        Le 13 dĂ©cembre 2012, le travailleur rencontre sa mĂ©decin traitant qui reconduit l’assignation temporaire jusqu’au 7 janvier 2013. Toutefois, dans un nouveau formulaire qu’elle remplit, la mĂ©decin Ă©crit ce qui suit :

Ne pas pousser, soulever, tirer plus de 5 kg de charge

Travail maximum 8 heures par jour

Maximum 40 heures par semaine

 

 

[28]        Dans les jours et les semaines qui suivent, l’employeur ne demande plus au travailleur d’effectuer du temps supplĂ©mentaire pendant son assignation temporaire. Il accepte par ailleurs de payer le temps supplĂ©mentaire que le travailleur aurait effectuĂ© en territoire borĂ©al, n’eut Ă©tĂ© son accident, Ă  l’exception de celui rĂ©clamĂ© pour les journĂ©es des 11 et 12 dĂ©cembre 2012, compte tenu de son refus d’acquiescer Ă  la demande du supĂ©rieur immĂ©diat.

[29]        Par ailleurs, au regard des autres demandes qu’il formule Ă  l’employeur au dĂ©but du mois de dĂ©cembre, l’une d’elles porte sur le paiement d’un « per diem Â» relatif aux repas et Ă  la nourriture. Le travailleur invoque alors des lettres d’entente signĂ©es par l’employeur et le syndicat, tel qu’il appert d’une note interne datĂ©e du 21 dĂ©cembre 2011[4].

[30]        Ces lettres d’entente prĂ©voient que les travailleurs qui, lors d’assignation sur le territoire borĂ©al, y rĂ©sident en permanence, ont droit Ă  un « per diem Â» de nourriture de 54,05 $ par jour. Cette allocation est versĂ©e Ă  la condition que le travailleur demeure dans une maison de transit d’Hydro-QuĂ©bec et qu’il utilise les installations de cuisine qui y sont prĂ©vues. En outre, en vertu de la politique de gestion relative Ă  l’assignation temporaire suite Ă  un accident du travail, l’employeur ne rembourse les frais liĂ©s au « per diem Â» uniquement que si l’employĂ© a effectuĂ© le dĂ©placement ou la dĂ©pense menant au remboursement[5].

[31]        Le 14 janvier 2013, le travailleur dĂ©pose une plainte Ă  la CSST. Il allègue que l’employeur refuse de lui verser le salaire correspondant Ă  celui qu’il aurait reçu, pour les 11 et 12 dĂ©cembre 2012, alors qu’il aurait travaillĂ© en milieu borĂ©al et qu’il refuse par ailleurs de lui payer le « per diem Â» prĂ©vu Ă  la convention collective pour la pĂ©riode du 3 au 14 dĂ©cembre 2012. Il amendera sa plainte par la suite pour y inclure le « per diem Â» pour la pĂ©riode du 14 au 25 janvier 2013.

[32]        Le 15 novembre 2013, la conciliatrice-dĂ©cideur de la CSST accueille en partie la plainte du travailleur[6].

[33]        Le 2 dĂ©cembre 2013, l’employeur conteste la dĂ©cision de la conciliatrice-dĂ©cideur. Ă€ la suite de cette dĂ©cision, il paie au travailleur le temps supplĂ©mentaire ordonnĂ©, mais ne s’entend pas avec lui sur le montant qui doit ĂŞtre versĂ© en « per diem Â» pour la nourriture qu’il aurait consommĂ©e en territoire borĂ©al durant les pĂ©riodes du 3 au 14 dĂ©cembre 2012 et du 14 au 25 janvier 2013.

[34]        C’est pourquoi, une nouvelle audience se tient le 1er mai 2014 devant la conciliatrice-dĂ©cideur.

[35]        Le 27 juin 2014, la conciliatrice dĂ©cideur rend une dĂ©cision dans laquelle elle ordonne Ă  l’employeur de verser au travailleur la somme de 1 244,67 $ en remboursement d’une allocation pour les repas durant les pĂ©riodes du 3 au 14 dĂ©cembre 2012 et du 14 au 25 janvier 2013.

[36]        Le 2 juillet 2014, l’employeur conteste cette dĂ©cision, d’oĂą le litige Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles.

[37]        Ă€ l’audience, monsieur Pierre Giroux, supĂ©rieur immĂ©diat du travailleur et chef d’équipe au dĂ©partement Ă©lectrique, automatisation, logistique et approvisionnement, tĂ©moigne pour le compte de l’employeur.

[38]        Il indique que le travailleur a refusĂ© de faire du temps supplĂ©mentaire les 11 et 12 dĂ©cembre 2012, alors que dĂ»ment requis et bien que son mĂ©decin n’ait Ă©mis aucune restriction Ă  l’assignation temporaire qu’il avait autorisĂ©e.

[39]        En outre, rĂ©fĂ©rant aux lettres d’entente convenues entre le syndicat des travailleurs et l’employeur[7], il indique que le travailleur n’a pas droit au versement du « per diem Â» pour ses repas pendant les semaines en cause puisqu’à La Romaine, endroit oĂą le travailleur aurait Ă©tĂ© affectĂ©, n’eĂ»t Ă©tĂ© sa lĂ©sion, il n’existe pas de maison de transit d’Hydro-QuĂ©bec et d’installation de cuisine et que le montant de « per diem Â» ordonnĂ© par la CSST n’est versĂ© qu’à ces conditions.

[40]        Il ajoute qu’à la Romaine, le travailleur rĂ©side dans un hĂ´tel et ses repas sont remboursĂ©s sur pièces justificatives, si les dĂ©penses ont Ă©tĂ© encourues.

[41]        Par ailleurs, madame Maude-AndrĂ©e Boilard, de la division des ressources humaines de l’employeur, dĂ©pose un document portant sur les conditions applicables Ă  un travailleur durant son assignation temporaire[8].

L’AVIS DES MEMBRES

[42]        ConformĂ©ment Ă  l’article 429.50 de la loi, le soussignĂ© a demandĂ© et obtenu l’avis des membres qui ont siĂ©gĂ© avec lui sur les questions faisant l’objet des contestations ainsi que les motifs de cet avis.

[43]        Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que les contestations de l’employeur devraient ĂŞtre accueillies en partie.

[44]        Ils estiment que l’employeur doit rĂ©munĂ©rer le temps supplĂ©mentaire du travailleur pour les journĂ©es des 11 et 12 dĂ©cembre 2012 vu l’objet de l’assignation temporaire et les conditions prĂ©vues Ă  la loi s’y rattachant.

[45]        Toutefois, ils estiment que, pendant son assignation temporaire aux pĂ©riodes en cause, le travailleur n’a pas droit aux allocations pour les repas puisque la preuve documentaire produite et les tĂ©moignages entendus dĂ©montrent que le « per diem Â» de 54,05 $ par jour prĂ©vu aux ententes rĂ©gissant le travail en territoire borĂ©al n’est pas attribuable Ă  un travailleur assignĂ© Ă  La Romaine, comme en l’espèce.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[46]        La Commission des lĂ©sions professionnelles doit dĂ©cider si le travailleur a subi une mesure prohibĂ©e par l’article 32 de la loi.

32.  L'employeur ne peut congĂ©dier, suspendre ou dĂ©placer un travailleur, exercer Ă  son endroit des mesures discriminatoires ou de reprĂ©sailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a Ă©tĂ© victime d'une lĂ©sion professionnelle ou Ă  cause de l'exercice d'un droit que lui confère la prĂ©sente loi.

 

Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253.

__________

1985, c. 6, a. 32.

 

 

[47]        Dans le prĂ©sent dossier, l’employeur prĂ©tend qu’il avait le droit de ne pas rĂ©munĂ©rer le travailleur pour les heures supplĂ©mentaires qu’il aurait effectuĂ©es en territoire BorĂ©al, les 11 et 12 dĂ©cembre 2012, parce qu’il a refusĂ© de les effectuer lors de son assignation temporaire alors qu’il avait Ă©tĂ© requis de le faire Ă  la demande de son supĂ©rieur immĂ©diat et que son mĂ©decin n’émettait aucune rĂ©serve Ă  cet Ă©gard.

[48]        Il prĂ©tend par ailleurs qu’en vertu des règles applicables rĂ©gissant les conditions de travail du travailleur, ce dernier n’a pas droit Ă  l’allocation pour les repas pendant les pĂ©riodes du 3 au 14 dĂ©cembre 2012 et du 14 au 25 janvier 2013, puisque n’eĂ»t Ă©tĂ© sa lĂ©sion, il aurait Ă©tĂ© affectĂ© Ă  La Romaine et qu’en pareil cas l’allocation prĂ©vue dans les documents soumis n’est pas payable.

[49]        Ainsi, la reprĂ©sentante de l’employeur demande Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles d’ordonner le remboursement des sommes versĂ©es par l’employeur Ă  la suite des dĂ©cisions de la conciliatrice-dĂ©cideur.

[50]        Les prĂ©tentions de l’employeur sont-elles fondĂ©es?

[51]        Il convient d’abord d’indiquer que la recevabilitĂ© de la plainte soumise par le travailleur, le 14 janvier 2013, n’est pas remise en question par l’employeur.

253.  Une plainte en vertu de l'article 32 doit ĂŞtre faite par Ă©crit dans les 30 jours de la connaissance de l'acte, de la sanction ou de la mesure dont le travailleur se plaint.

 

Le travailleur transmet copie de cette plainte Ă  l'employeur.

__________

1985, c. 6, a. 253.

 

 

[52]        Par ailleurs, ni l’employeur ni le travailleur ne remettent en cause les conclusions de la conciliatrice-dĂ©cideur de la CSST quant Ă  l’affectation du travailleur Ă  La Romaine aux pĂ©riodes concernĂ©es. ConsĂ©quemment, c’est en fonction de ce lieu d’affectation que le litige doit ĂŞtre dĂ©cidĂ©.

[53]        La plainte logĂ©e par le travailleur implique une analyse des articles 179 et 180 de la loi qui encadrent l’assignation temporaire :

179.  L'employeur d'un travailleur victime d'une lĂ©sion professionnelle peut assigner temporairement un travail Ă  ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, mĂŞme si sa lĂ©sion n'est pas consolidĂ©e, si le mĂ©decin qui a charge du travailleur croit que :

 

1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;

 

2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santĂ©, la sĂ©curitĂ© et l'intĂ©gritĂ© physique du travailleur compte tenu de sa lĂ©sion; et

 

3° ce travail est favorable Ă  la rĂ©adaptation du travailleur.

 

Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S - 2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.

__________

1985, c. 6, a. 179.

 

 

180.  L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liĂ©s Ă  l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestĂ©e sa lĂ©sion professionnelle et dont il bĂ©nĂ©ficierait s'il avait continuĂ© Ă  l'exercer.

__________

1985, c. 6, a. 180.

 

 

[54]        En l’espèce, au regard du temps supplĂ©mentaire, la question en litige n’est pas de savoir si, de façon gĂ©nĂ©rale, les heures supplĂ©mentaires prĂ©vues au poste de travail habituel du travailleur, qu’il n’effectue pas pendant sa pĂ©riode d’assignation temporaire Ă  un autre emploi, sont comprises dans le salaire et les avantages liĂ©s Ă  son emploi et dont il bĂ©nĂ©ficierait s’il avait continuĂ© de l’exercer suivant l’expression utilisĂ©e Ă  l’article 180 de la loi.

[55]        L’employeur reconnaĂ®t en effet cet Ă©tat de fait puisqu’il a payĂ© le travailleur pour toutes les heures supplĂ©mentaires qu’il aurait effectuĂ©es pendant les pĂ©riodes concernĂ©es, sauf celles qui auraient Ă©tĂ© effectuĂ©es les 11 et 12 dĂ©cembre 2012. Il justifie sa position par le refus du travailleur de les accomplir, Ă  sa demande, pendant son assignation temporaire, alors que le mĂ©decin n’avait Ă©mis aucune restriction selon le formulaire complĂ©tĂ©.

[56]        ConsĂ©quemment, vu ce qui prĂ©cède, Ă  l’égard du temps supplĂ©mentaire, la question en litige est de dĂ©terminer si le travailleur a droit Ă  l’avantage du paiement des heures supplĂ©mentaires mĂŞme si, comme en l’espèce, pendant son assignation temporaire, il refuse d’effectuer le nombre d’heures supplĂ©mentaires qu’il aurait effectuĂ©es dans son emploi en territoire borĂ©al.

[57]        L’employeur prĂ©tend en effet que le travailleur perd ce droit puisque, s’il continuait de lui verser les montants affĂ©rents, malgrĂ© son refus, il s’enrichirait sans cause.

[58]        La Commission des lĂ©sions professionnelles n’est pas de cet avis.

[59]        Comme l’indique le soussignĂ© dans l’affaire Commission scolaire Premières-Seigneuries et Tremblay[9], l’assignation temporaire constitue d’abord et avant tout une mesure de rĂ©adaptation pour les travailleurs victimes de lĂ©sion professionnelle.

[60]        Elle vise Ă  favoriser le prompt retour au travail d’un travailleur victime d’une lĂ©sion professionnelle mĂŞme si sa lĂ©sion n’est pas encore consolidĂ©e, en attendant qu’il soit capable d’exercer son emploi ou un emploi convenable, et ce, dans la mesure oĂą le mĂ©decin du travailleur y consent et l’autorise.

[61]        Elle favorise la rĂ©adaptation physique et psychologique du travailleur en lui permettant de soutenir son intĂ©rĂŞt pour le travail, de retrouver progressivement sa pleine capacitĂ© de travail, de conserver des liens avec son milieu de travail, tout en contrant les effets nĂ©fastes que peut provoquer l’inactivitĂ© prolongĂ©e.

[62]        Dans ce contexte, comme le rappelle la Commission des lĂ©sions professionnelles dans l’affaire Asea Brown Boveri inc. et Veilleux[10], par l’adoption de l’article 180 de la loi, le lĂ©gislateur a voulu assurer au travailleur qui est assignĂ© temporairement, le mĂŞme salaire et les mĂŞmes avantages que ceux auxquels il aurait droit s’il n’avait pas subi une lĂ©sion professionnelle.

[63]        La sauvegarde du salaire et des avantages liĂ©s Ă  l’emploi constituent un moyen de soutenir et d’encourager le travailleur qui accepte d’être assignĂ© temporairement pendant la pĂ©riode oĂą il est incapable d’exercer son emploi en raison de la lĂ©sion professionnelle. Il s’agit de prĂ©server le statu quo ante.

[64]        C’est pourquoi, de l’avis du tribunal, les avantages que la loi reconnaĂ®t Ă  l’article 180 ne font pas rĂ©fĂ©rence aux conditions d’exercice des tâches liĂ©es Ă  l’assignation temporaire.

[65]        Dans la dĂ©termination des avantages dont le travailleur aurait bĂ©nĂ©ficiĂ© s’il avait continuĂ© d’exercer son emploi, le tribunal doit se livrer Ă  une analyse des conditions de travail prĂ©vues dans l’emploi occupĂ© au moment de la lĂ©sion, et non pas des conditions encadrant l’assignation temporaire. Le lĂ©gislateur n’a en effet pas prĂ©vu que l’obtention du salaire et des avantages prĂ©vus Ă  l’article 180 de la loi soient fonction des mĂŞmes tâches et conditions de travail encadrant l’emploi effectuĂ© lors de l’assignation temporaire.

[66]        Cette interprĂ©tation est conforme Ă  celle retenue dans l’affaire Crown Cork & Seal Canada inc. et Deschamps[11]. La Commission des lĂ©sions professionnelles y indique que l’expression « dont il bĂ©nĂ©ficierait s’il avait continuĂ© Ă  l’exercer Â» crĂ©e une fiction juridique. Le conditionnel y est utilisĂ© pour Ă©noncer que le travailleur est rĂ©munĂ©rĂ© comme s’il continuait d’exercer son emploi prĂ©lĂ©sionnel, ce qui n’existe pas dans la rĂ©alitĂ©. La Commission des lĂ©sions professionnelles y est d’avis que cette fiction juridique s’analyse Ă  la lumière de l’objectif visĂ© par l’article 180 de la loi : protĂ©ger la rĂ©alitĂ© des gains du travailleur et maintenir les bĂ©nĂ©fices rattachĂ©s au poste de travail occupĂ© lors de sa lĂ©sion professionnelle.

[67]        Vu ces Ă©lĂ©ments, le tribunal est d’avis que pendant l’assignation temporaire, l’employeur ne peut refuser de verser au travailleur le salaire et les avantages prĂ©vus s’il est dĂ©montrĂ© qu’il en aurait bĂ©nĂ©ficiĂ© dans son emploi habituel.

[68]        En l’espèce, il n’est pas contestĂ© que la prestation aurait Ă©tĂ© fournie et que le travailleur aurait gagnĂ©, les 11 et 12 dĂ©cembre 2012, le salaire, majorĂ© du temps supplĂ©mentaire, si la lĂ©sion professionnelle ne l’avait pas rendu incapable d’exercer son emploi.

[69]        C’est pourquoi, en exigeant que le travailleur effectue du temps supplĂ©mentaire dans son assignation temporaire pour pouvoir toucher le salaire et les avantages liĂ©s Ă  l’emploi qu’il occupait au moment de la lĂ©sion, au sens de l’article 180 de la loi, l’employeur ajoute des conditions qui ne sont pas prĂ©vues Ă  la loi.

[70]        Vu ces Ă©lĂ©ments, la plainte du travailleur Ă©tait fondĂ©e au regard du temps supplĂ©mentaire, puisque le travailleur a dĂ©montrĂ© avoir Ă©tĂ© victime d’une sanction ou d’une mesure prohibĂ©e au sens de l’article 32 de la loi. Il a en effet Ă©tĂ© privĂ© pendant deux jours du salaire liĂ© Ă  l’emploi qu’il occupait au moment oĂą la lĂ©sion professionnelle est survenue.

[71]        Reste Ă  dĂ©terminer si la contestation de l’employeur relativement au versement de l’allocation « per diem Â» pour la nourriture durant les pĂ©riodes du 3 au 14 dĂ©cembre 2012 et du 14 au 25 janvier 2013, est bien fondĂ©e.

[72]        En l’espèce, la conciliatrice-dĂ©cideur a ordonnĂ© Ă  l’employeur de verser au travailleur une somme de 1 244,67 $ relativement Ă  l’allocation pour les repas, comme si le travailleur avait Ă©tĂ© en dĂ©placement ou avait sĂ©journĂ© en territoire borĂ©al, n’eut Ă©tĂ© l’accident survenu le 15 novembre 2012.

[73]        Le tribunal estime que cette dĂ©cision n’est pas bien fondĂ©e puisqu’en l’espèce, l’avantage prĂ©vu Ă  l’article 180 de la loi dont aurait pu bĂ©nĂ©ficier le travailleur consiste en un remboursement des dĂ©penses encourues et non Ă  l’attribution d’une allocation pour de la nourriture.

[74]        Certes, tel qu’il appert de la preuve versĂ©e au dossier, les conditions de travail applicables au travailleur prĂ©voient qu’il puisse ĂŞtre remboursĂ© d’un montant de « per diem Â» de 54,05 $ par jour pour la nourriture, lorsqu’il rĂ©side en territoire borĂ©al. Toutefois, ce montant de 54,05 $ n’est versĂ© qu’à la condition que le travailleur demeure dans une maison de transit de l’employeur et qu’il utilise les installations de cuisine.

[75]        Or, suivant la preuve non contredite, une telle maison et pareille installation n’existent pas Ă  La Romaine. ConsĂ©quemment, le travailleur n’aurait pas pu bĂ©nĂ©ficier de cet avantage pendant les pĂ©riodes du 3 au 14 dĂ©cembre 2012 et du 14 au 25 janvier 2013. Il n’y a donc pas plus droit pendant son assignation temporaire.

[76]        La preuve rĂ©vèle toutefois que, pendant son sĂ©jour Ă  La Romaine, le travailleur aurait pu avoir droit au remboursement des dĂ©penses encourues pour ses repas et son hĂ©bergement. Cependant, un tel remboursement n’aurait pu s’effectuer que sur prĂ©sentation des pièces justificatives et uniquement si le travailleur avait effectuĂ© le dĂ©placement et la dĂ©pense menant Ă  ce remboursement.

[77]        Or, dans le prĂ©sent dossier, le travailleur n’a pas engagĂ© et encouru pareille dĂ©pense puisqu’il n’a pas effectuĂ© le dĂ©placement.

[78]        ConsĂ©quemment, l’employeur n’avait pas, aux termes des conditions de travail applicables, Ă  les rembourser. Conclure autrement, permettrait l’enrichissement sans cause du travailleur qui ne subit aucune perte monĂ©taire en l’espèce.

[79]        ConsĂ©quemment, la plainte du travailleur au regard de l’allocation pour la nourriture n’est pas bien fondĂ©e,

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 528288-31-1312

ACCUEILLE en partie la requête de Hydro-Québec (Gestion Acc. Trav), l’employeur;

INFIRME en partie la dĂ©cision de la conciliatrice-dĂ©cideur de la CSST le 15 novembre 2013;

DÉCLARE que l’ordonnance adressĂ©e Ă  l’employeur visant le versement au travailleur du montant reprĂ©sentant le salaire et les avantages liĂ©s au temps supplĂ©mentaire pour les journĂ©es des 11 et 12 dĂ©cembre 2012 est bien fondĂ©e;

DÉCLARE que l’ordonnance visant le versement par l’employeur de l’allocation « per diem Â» pour les repas ou la nourriture durant les pĂ©riodes du 3 au 14 dĂ©cembre 2012 et du 14 au 25 janvier 2013, doit ĂŞtre annulĂ©e;

ORDONNE Ă  monsieur Bernard BĂ©rubĂ©, le travailleur, de rembourser Ă  l’employeur la somme de 1 244,67 $ au regard de l’allocation pour les repas durant les pĂ©riodes du 3 au 14 dĂ©cembre 2012 et du 14 au 25 janvier 2013;

ORDONNE au travailleur de se conformer à la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles dans les 30 jours de la notification de la décision.

Dossier 545702-31-1407

INFIRME la décision rendue par la conciliatrice-décideur de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 27 juin 2014;

DÉCLARE sans objet la requête de l’employeur;

DÉCLARE que la décision rendue par la conciliatrice décideur de la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 27 juin 2014 est devenue sans effet.

 

 

 

 

René Napert

 

 

 

 

Me Alexandra Plante

MCGOVERN, FRÉCHETTE, AVOCATS

Représentante de la partie requérante

 

 

Madame Céline Ratté

Représentante de la partie intéressée

Absente à l’audience



[1]           La conciliatrice rejette la plainte du travailleur au regard de son lieu d’affectation pour les périodes du 3 au 14 décembre 2012 et 14 au 25 janvier 2013. Elle conclut que le travailleur était tenu de séjourner à la Romaine durant ces périodes. Le travailleur a initialement contesté cette partie de la décision, mais s’est désisté de sa contestation, le 8 octobre 2014(dossier 529560-31-1312).

[2]           RLRQ, c. A-3.001.

[3]           Voir pièce E-3.

[4]           Voir pièce E-2.

[5]           Voir E-5.

[6]           Tel qu’il appert de la note 1, le travailleur contestait Ă©galement le fait qu’il aurait eu Ă  sĂ©journer dans le secteur de la Romaine durant les pĂ©riodes du 3 au 14 dĂ©cembre 2012 et du 14 au 25 janvier 2013. La conciliatrice refuse la demande du travailleur Ă  cet Ă©gard.

[7]           Voir pièce E-2.

[8]           Voir pièce E-5.

[9]           2014 QCCLP 2538.

[10]         C.L.P. 125778-32-9910, 23 août 2001, G. Tardif.

[11]         [2003] C.L.P. 1593.

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