Urbain et Magasin Laura PV inc.

2011 QCCLP 2807

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

19 avril 2011

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

372538-71-0903

 

Dossier CSST :

130871296

 

Commissaire :

Robert Langlois, juge administratif

 

Membres :

Jacques Garon, associations d’employeurs

 

Robert Côté, associations syndicales

 

Assesseur :

Jean-Léon Éthier, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Lise Urbain

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Magasin Laura PV inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 17 mars 2009, madame Lise Urbain (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue le 3 mars 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme pour d’autres motifs la décision qu’elle a initialement rendue le 15 décembre 2008 et déclare que la réclamation faite par la travailleuse est irrecevable parce que produite en dehors du délai prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]           L’audience s'est tenue le 12 avril 2011 à Montréal en présence de la travailleuse et de son représentant. L’entreprise Magasin Laura PV inc. (la travailleuse) y est présente et représentée.

[4]           À l'audience du 12 avril 2011, la travailleuse a présenté une preuve afin de justifier son retard à soumettre sa réclamation. Par la suite, la travailleuse a débuté une nouvelle preuve quant au bien-fondé de sa réclamation et, à cet effet, le docteur Abdelmajid M’Seffar a été entendu. En fin de journée, à la demande de l’employeur, l’audience a été ajournée au 14 juin 2011.

[5]           Dans une lettre adressée au tribunal le 14 avril 2011, le représentant de la travailleuse demande de rendre d’abord une décision statuant sur la recevabilité de la réclamation de la travailleuse. L’employeur est en accord avec cette demande. La présente décision ne portera donc que sur ce sujet.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[6]           La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que sa réclamation est recevable.

LA PREUVE

[7]           Lors des faits relatifs à la présente décision, la travailleuse occupait l’emploi d’aide-gérante. Le 14 janvier 2007, elle subit un accident du travail pour lequel le diagnostic d’entorse dorso-lombaire sera retenu par la Commission des lésions professionnelles dans une décision rendue le 24 mars 2009[2]. Dans cette même décision, on déclare que la lésion est consolidée depuis le 4 juin 2007 sans déficit anatomo-physiologique ni limitations fonctionnelles.

[8]           Le dossier comprend une attestation médicale signée par le docteur M’Seffar le 15 novembre 2007 et sur laquelle il pose notamment le diagnostic de fibromyalgie. La travailleuse transmet une copie de cette attestation à son employeur qui, par la suite, la fera parvenir à la CSST. C’est ce dernier diagnostic que la travailleuse veut faire accueillir par la CSST à titre de récidive, rechute ou aggravation.

[9]           Lors de son témoignage, elle décrit les démarches qu’elle a faites en relation avec le dossier entendu par la juge administrative Perron. Elle indique tout d’abord qu’elle a contacté l’organisme UTTAM le 13 novembre 2007 afin de contester la décision émise par la CSST. Elle précise toutefois qu’elle n’a pas eu d’autre contact avec cet organisme.

[10]         Le 19 décembre 2007, madame Marie-Pierre Marquis, avocate, expédie une lettre à la CSST l’informant qu’elle a le mandat de représenter la travailleuse. Cette dernière mentionnera lors de son témoignage qu’elle a transmis à madame Marquis tous les documents inclus à son dossier en lui demandant de prendre son cas en charge et de la défendre devant la CSST. Elle précise également qu’une copie de l’attestation médicale du 15 novembre 2007 signée par le docteur M’Seffar lui a été transmise. Madame Marquis lui aurait confirmé qu’elle s’occupera de cet aspect du dossier.

[11]        Madame Marquis devra cependant s’absenter en raison d’un congé de maladie et, le 19 mars 2008, Me Lise Massicotte, de l’aide juridique, achemine un document à la CSST demandant qu’on lui fasse parvenir une copie complète du dossier en vue de l’audience qui aura lieu à la Commission des lésions professionnelles dans le cadre de la constatation faisant suite à l’avis rendu par le Bureau d’évaluation médicale. À cette même date, la travailleuse signe une autorisation permettant que Me Massicotte reçoive tout document concernant son dossier à la CSST.

[12]        Le 28 mai 2008, la travailleuse adresse une lettre à la CSST dans laquelle elle lui demande de rendre une décision au sujet du diagnostic de fibromyalgie. En cours d’audience, elle explique que c’est à la suggestion de Me Massicotte que cette lettre a été écrite.

[13]        Le 3 juillet 2008, la CSST refuse de donner suite à cette demande et exige le dépôt d’un formulaire de réclamation au motif que le diagnostic de fibromyalgie a été posé après la date de consolidation de la lésion d’origine. En date du 21 juillet 2008, MMassicotte demande la révision de cette décision et, le 17 novembre 2008, la révision administrative de la CSST déclare que la réclamation faite par la travailleuse est irrecevable puisque la lettre qui a émise le 3 juillet 2008 ne constitue pas une décision.

[14]        On retrouve aux notes évolutives le résumé d’une conversation téléphonique tenue le 18 juillet 2008 entre Me Massicotte et l’agente de la CSST : Me Massicotte demande à la CSST de rendre une décision concernant le diagnostic de fibromyalgie. L’agente lui explique qu’après vérification, il s’agit d’un nouveau diagnostic et que le dossier sera plutôt analysé sous l’aspect d’une récidive, rechute ou aggravation. MMassicotte soutient qu’il y a erreur et tente de faire changer cette décision. Ces mêmes commentaires sont repris sur les notes évolutives rédigées le 24 octobre 2008 par l’agente.

[15]        Entre-temps, soit le 18 juillet 2008, la travailleuse soumet un formulaire « Réclamation du travailleur » et allègue avoir subi une récidive, rechute ou aggravation le 15 novembre 2007.

[16]        Dans une nouvelle décision datée du 15 décembre 2008, la CSST refuse de voir un lien entre la fibromyalgie et l’événement du 15 novembre 2007. La travailleuse demande alors la révision de cette décision et, le 3 mars 2009, la révision administrative déclarera que la réclamation est irrecevable parce que faite hors du délai prévu à la loi. C’est la requête que la travailleuse soumet à l’encontre de cette décision qui est l’objet du présent litige.

[17]        Poursuivant son témoignage, la travailleuse précise que c’est d’abord sur le conseil de Me Massicotte qu’elle n’a pas produit sa réclamation : celle-ci lui explique que son cas n’a pas été l’objet d’une décision finale, que son dossier n’est alors pas fermé à la CSST et qu’il n’est pas nécessaire de fournir cette réclamation.

[18]        La travailleuse indique aussi qu’après avoir transmis une copie de l’attestation médicale du 15 novembre 2007 à l’employeur et à la CSST, elle s’attendait à recevoir une décision de cet organisme. La représentante de l’employeur lui fait remarquer que son indemnité de remplacement du revenu prenait fin le 24 octobre 2007 et qu’elle était à ce moment sans revenu. Lui demandant d’expliquer les motifs pour lesquels elle n’a pas tenté de contacter la CSST, la travailleuse mentionne qu’elle était en dépression et avait d’intenses douleurs.

L’AVIS DES MEMBRES

[19]        Le membre issu des associations syndicales estime que la preuve présentée par la travailleuse, soit l’erreur de sa représentante, permet de la relever des conséquences de son défaut d’avoir respecté le délai prévu à l’article 270 de la loi. Il opine que sa réclamation est recevable.

[20]        Pour sa part, le membre issu des associations d’employeurs est plutôt d’avis que les motifs exprimés par la travailleuse au soutien de son retard à présenter sa réclamation ne peuvent être retenus en raison de sa négligence. C’est en ce sens qu’il en tire la conclusion que la réclamation est irrecevable et que la requête de la travailleuse doit être rejetée.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[21]        Avant de se prononcer sur le bien-fondé de la réclamation soumise le 18 juillet 2008 par la travailleuse, la Commission des lésions professionnelles doit déterminer si cette réclamation a été produite à l’intérieur du délai prévu à la loi, et dans la négative, déterminer s’il est possible de prolonger le délai ou de relever la travailleuse de son défaut de respecter le délai.

[22]        Les articles 270 et 352 de la loi stipulent ce qui suit :

270.  Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est incapable d'exercer son emploi pendant plus de 14 jours complets ou a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ou, s'il décède de cette lésion, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la lésion ou du décès, selon le cas.

 

L'employeur assiste le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, dans la rédaction de sa réclamation et lui fournit les informations requises à cette fin.

 

Le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, remet à l'employeur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.

__________

1985, c. 6, a. 270.

 

 

352.  La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.

__________

1985, c. 6, a. 352.

 

 

[23]        En argumentation, la travailleuse allègue que le 15 novembre 2007, son dossier  était encore actif en raison de la requête qui était adressée à la Commission des lésions professionnelles. Elle estime alors que le formulaire de réclamation n’était pas nécessaire afin de faire reconnaître le diagnostic de fibromyalgie en relation avec sa lésion initiale. Avec respect, la Commission des lésions professionnelles ne peut souscrire à cette opinion.

[24]        D’une part, il appert que le dossier ne faisait l’objet d’aucune démarche ou action de la CSST depuis le 4 juin 2007, date de consolidation de la lésion sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. Ce n’est pas parce que la travailleuse dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles que son dossier était encore actif auprès de la CSST. D’ailleurs, l’article 361 de la loi stipule qu’une décision de la Commission a effet immédiatement, malgré une demande de révision. On doit alors en conclure que, malgré sa contestation, la travailleuse devait considérer qu’à ce moment son dossier était inopérant à la CSST.

[25]        Ceci étant décidé, la loi est claire quant à l’obligation qu’avait la travailleuse de produire une réclamation si elle voulait se voir reconnaître victime d’une lésion professionnelle. Or, la simple attestation médicale apparaissant après un silence de plusieurs mois ne saurait être assimilée à une réclamation. De surcroît, cette attestation, à cause du peu de renseignements qu’elle contient, ne pouvait raisonnablement éclairer la CSST sur la nature de la demande qu’on voulait lui faire et était insuffisante pour permettre la réouverture du dossier.

[26]        C’est en ce sens que la Commission des lésions professionnelles détermine que si la travailleuse alléguait l’apparition d'une rechute, récidive ou aggravation, elle devait transmettre à la CSST le formulaire et non pas présenter un rapport médical succinct.

[27]        Par ailleurs, la jurisprudence[3] consultée par le soussigné nous enseigne que l'article 270 fonde le droit à l'étude d'une réclamation et que la condition première avant toute étude quant au bien-fondé de cette demande est le respect du délai prescrit par la loi. On y ajoute qu’accepter que les rapports médicaux émis par les médecins puissent tenir lieu d'une réclamation du travailleur ne respecte pas la lettre et l'esprit des articles 270 et 199 et suivants. C’est cette approche qui est adoptée par le tribunal dans le présent cas.

[28]        En l’instance, on constate que le formulaire « Réclamation du travailleur » a été soumis le 18 juillet 2008 et vise la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation survenue le 15 novembre 2007, soit neuf mois auparavant. De toute évidence, le délai précisé à l’article 270 de la loi n’a pas été respecté.

[29]        Afin de justifier son retard, la travailleuse explique qu’elle s’en est tenue aux conseils de sa représentante qui estimait que la production d’une réclamation n’était pas nécessaire. Elle allègue alors l’erreur de sa représentante.

[30]        Sur ce sujet, le tribunal note que les notes évolutives rédigées par l’agente de la CSST les 18 juillet et 24 octobre 2008 confirment les propos de la travailleuse et démontrent clairement que la représentante de la travailleuse prétendait à ce moment que la production d’une réclamation n’était pas une nécessité. À compter de ce fait, les explications présentées par la travailleuse deviennent crédibles.

[31]        On peut bien sûr accuser la travailleuse de ne pas avoir elle-même contacté la CSST afin de se renseigner sur l’évolution de son dossier, mais il demeure qu’en retenant les services d’une représentante, avocate de surcroît, il devient plausible qu’en toute bonne foi, elle se soit fiée à ses conseils.

[32]        La Commission des lésions professionnelles est alors d’avis que la procureure de la travailleuse a commis une erreur en ne présentant pas une réclamation en vue de préserver les droits de sa cliente. Cette erreur ne doit pas porter préjudice à la travailleuse qui a contacté la représentante à l'intérieur du délai prévu à l'article 270.

[33]        C’est dans ce contexte que le tribunal se dit satisfait des explications fournies par la travailleuse et qui prennent la forme de motifs raisonnables afin de prolonger le délai. Sa réclamation est alors recevable.

[34]        Dans le but de poursuivre l’étude de la récidive, rechute ou aggravation alléguée par la travailleuse, les parties seront convoquées à nouveau devant le présent tribunal à un ajournement de l’audience qui se tiendra le 14 juin 2011.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête de la travailleuse, madame Lise Urbain ;

MODIFIE la décision rendue le 3 mars 2009 par la CSST à la suite d’une révision administrative ;

DÉCLARE que la réclamation faite par madame Urbain le 18 juillet 2008 est recevable ;

CONVOQUERA les parties à une audience qui aura lieu le 14 juin 2011 à 13h30 afin de poursuivre l’étude du bien-fondé de cette réclamation.

 

 

 

__________________________________

 

Robert Langlois

 

 

 

 

Pierre Normandeau

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Francine Legault

HEENAN BLAIKIE

Représentant de la partie intéressée

 

 

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           Lise Urbain et Magasin Laura PV inc., 325039-71-0708, 24 mars 2009, P. Perron

[3]           Boulanger et Services batteries électriques ltée (fermé), 156287-63-0103, 02-10-15, R.-M. Pelletier

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.