Giroux et Service TJPP inc. |
2017 QCTAT 586 |
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[1] Le 27 mai 2016, monsieur Tomy Giroux (le requérant) dépose au Tribunal administratif du travail (le Tribunal) un acte introductif par lequel il conteste une décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) rendue le 9 mai 2016, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la Commission conclut que la demande de révision du 20 avril 2016 déposée à l’encontre d’une décision rendue le 28 janvier 2015 a été produite à l’extérieur des délais prévus par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi). Par conséquent, elle la déclare irrecevable.
[3] Une audience s’est tenue le 6 janvier 2017 à Longueuil en présence du requérant. L’employeur est absent et non représenté. L’affaire a été mise en délibéré au terme de l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le requérant demande au Tribunal de le relever du défaut d’avoir contesté la décision rendue le 28 janvier 2015 par la Commission à l’extérieur du délai prévu par la loi et de déclarer qu’il a droit à l’indemnité forfaitaire prévue à l’article 102 de la loi.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] Le Tribunal doit d’abord établir si la demande de révision déposée par le requérant est recevable. Dans l’affirmative, il doit aussi déterminer s’il a droit à l’indemnité prévue à l’article 102 de la loi.
LE DÉLAI
[6] Le législateur à l’article 358 de la loi accorde un délai de 30 jours pour contester une décision rendue par la Commission :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1.
Une personne ne peut demander la révision du taux provisoire fixé par la Commission en vertu de l'article 315.2.
[7] Ayant contesté la décision initialement rendue le 28 janvier 2015, le délai de 30 jours prévu à la loi a été largement dépassé en date du 20 avril 2016. L’article 358.2 de la loi permet de prolonger le délai de 30 jours prévu à l’article susmentionné pour un motif jugé raisonnable.
358.2. La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.
[8] Le caractère raisonnable du motif invoqué dépend, selon la jurisprudence, d’un ensemble de facteurs susceptibles d’indiquer, à partir de faits, de démarches, de comportements, de la conjoncture et des circonstances particulières, si une personne a un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesures et de réflexion[1].
[9] Dans sa lettre du 20 avril 2016, le requérant a écrit qu’il avait quitté l’école pour travailler et devenir indépendant. Puis, lors de la réception de la décision de la Commission, il a commencé à penser à acquérir un diplôme d’études professionnelles mais tout était flou. Il avait besoin d’un temps de réflexion pour effectuer un choix à long terme.
[10] Malheureusement, le Tribunal estime que ceci ne constitue pas un motif raisonnable au sens de la loi.
[11] En effet, tout en poursuivant sa réflexion bien légitime, rien n’empêchait le requérant de contester la décision dont le texte indiquait clairement le délai de 30 jours.
LE DROIT À L’INDEMNITÉ
[12] Compte tenu de la conclusion à laquelle le Tribunal en vient au sujet de l’irrecevabilité de la demande de révision, le requérant n’a donc pas droit à l’indemnité prévue par la loi. De toute manière, le requérant ne rencontrait pas les critères de l’article 102 de la loi. En voici les motifs.
[13] L’article 102 de la loi édicte ce qui suit :
102. L'enfant mineur du travailleur à la date du décès de celui-ci a droit à une indemnité de 250 $ par mois jusqu'à sa majorité.
Si cet enfant fréquente à plein temps un établissement d'enseignement à la date de sa majorité, il a droit alors à une indemnité forfaitaire de 9 000 $.
[14] Les articles 138 et 140 de la loi complètent cette disposition et prévoient ce qui suit :
138. La Commission verse l'indemnité de décès prévue par le deuxième alinéa de l'article 102 à la fin du trimestre de l'année scolaire au cours duquel l'enfant qui a droit à cette indemnité atteint sa majorité ou à la fin du trimestre suivant la date où l'enfant atteint sa majorité, si cet anniversaire arrive entre deux trimestres.
140. La Commission verse l'indemnité visée dans l'article 138 ou 139, si la décision qui accorde cette indemnité est finale, sur réception d'un certificat de l'établissement d'enseignement que fréquente le bénéficiaire attestant que celui-ci était inscrit comme étudiant à plein temps pour le trimestre auquel réfère l'article 138 ou 139, selon le cas, et qu'il a fréquenté assidûment cet établissement pendant ce trimestre.
[15] En l’espèce, le dossier révèle que le père du requérant est décédé le 5 août 2004 à la suite d’un accident du travail reconnu par la Commission.
[16] Le requérant est né le […] 1997. Il a donc atteint sa majorité le […] 2015.
[17] Le 14 janvier 2005, la Commission a informé la mère du requérant du montant des indemnités qui lui seront versées de même qu’à ses deux enfants mineurs à l’époque, et ce, jusqu’à la fin du mois où les enfants atteindront l’âge de 18 ans.
[18] Le 22 janvier 2015, la Commission écrit au requérant afin de l’informer qu’il pourrait avoir droit à une indemnité forfaitaire s’il fréquente un établissement d’enseignement à plein temps à sa majorité. Une attestation le prouvant doit cependant être fournie à la Commission.
[19] Les notes évolutives de la Commission relatent une conversation de l’agente avec la mère du requérant tenue le 27 janvier 2015, alors cette dernière déclare que son fils a abandonné les études, qu’il a travaillé un certain temps mais qu’il souhaite reprendre ses études.
[20] Une conversation entre le requérant et l’agente s’est aussi tenue ce jour-là. Il confirme son abandon des études afin de travailler mais il a été inscrit à l’éducation aux adultes. L’agente explique que n’étant pas aux études à temps plein, il n’a pas droit à l’indemnité. Elle l’informe de ses droits de contestation et lui demande de lui fournir les dates d’inscription aux études en 2014.
[21] Le 28 janvier 2015, la Commission décide que le requérant n’a pas droit à une indemnité forfaitaire car il ne fréquente pas à temps plein un établissement d’enseignement. La décision mentionne aussi qu’un délai de 30 jours est accordé afin de déposer une demande de révision.
[22] Le 15 septembre 2015, la mère du requérant informe la Commission que son fils a fait un retour aux études à temps plein en septembre 2015 afin de compléter son secondaire lV.
[23] À la suite de la réception d’une lettre du requérant, le 20 avril 2016, l’agente tente de le rejoindre afin de l’informer de son défaut d’avoir déposé une demande de révision de la décision du 28 janvier 2015 refusant l’octroi de l’indemnité.
[24] Ce jour-là, le requérant conteste ladite décision. Il fournit aussi une confirmation de fréquentation du Centre de formation du Richelieu à raison de quatre jours par semaine, du lundi au jeudi, pour une période de 20 heures par semaine, et ce, du 14 septembre 2015 au 16 novembre 2015 et à partir du 7 mars 2016 jusqu’au jour de cette lettre de confirmation (5 avril 2016).
[25] Une lettre de l’École professionnelle de Saint-Hyacinthe atteste également qu’à compter du 23 août 2016, le requérant sera admis au programme de briquetage-maçonnerie.
[26] Lors de l’audience, le requérant déclare avoir abandonné les études peu avant janvier 2015 car il ne se sentait pas psychologiquement en forme et éprouvait des ennuis de santé. En effet, à l’adolescence, il a vécu son deuil de façon plus aiguë.
[27] Avant qu’il n’ait atteint l’âge de 18 ans, il déplore que la Commission ne l’a jamais informé qu’il serait privé de son droit à l’indemnité s’il quittait les études à temps plein à cette date. Il signale que si on avait porté cette information à sa connaissance, il aurait pu faire des choix différents.
[28] À l’audience, sa compagne, madame Gabrielle Morin, confirme qu’elle le connaît depuis trois ans.
[29] Elle déclare qu’au secondaire, il avait des difficultés, il prenait des médicaments et était dépressif. Il était aussi très préoccupé par la perte de son père.
[30] Enfin, à l’audience, le requérant déclare qu’actuellement, il n’est plus aux études mais a l’intention de les reprendre afin de s’accomplir professionnellement.
[31] En l’espèce, l’article 102 fait partie des indemnités de décès prévues par la loi. Il vise l’octroi d’une indemnité forfaitaire aux enfants d’un travailleur décédé afin de leur permettre d’avoir accès à des études, en leur assurant une certaine sécurité de revenu dont ils peuvent être autrement privés par le décès de leur père.
[32] Le versement de cette indemnité survient alors que l’enfant atteint sa majorité et que cesse le versement de la rente mensuelle qui lui était versée, en vertu du premier alinéa de l’article 102 de la loi.
[33] En adoptant cette disposition, le législateur a voulu encourager la poursuite des études à temps plein et surtout le maintien de la fréquentation scolaire aux niveaux les plus élevés. Toutefois, il s’est montré exigeant dans les conditions d’ouverture au droit pour empêcher les subterfuges et ne soutenir que les enfants les plus sérieux dans leur projet d’études.
[34] C’est pourquoi, la fréquentation à temps plein d’un établissement d’enseignement est exigée à la date de la majorité.
[35] Cependant, le Tribunal ne croit pas que le législateur ait voulu faire de cette dernière obligation une exigence absolue[2].
[36] Il peut surgir certaines situations de force majeure ou hors du contrôle d’un bénéficiaire qui peuvent l’empêcher de fréquenter à temps plein un établissement d’enseignement à la date de sa majorité.
[37] Tel pourrait être le cas par exemple d’un enfant atteint d’une maladie subite ou d’une maladie grave ou victime d’un accident qui l’obligerait à un repos complet de plusieurs semaines ou plusieurs mois.
[38] L’interprétation littérale de la disposition en cause ferait en sorte qu’en pareille circonstance, l’enfant serait doublement pénalisé puisqu’il serait empêché temporairement de poursuivre ses études et au surplus privé de l’indemnité forfaitaire attribuée pour réparer les conséquences de la lésion subie par le travailleur, tel que le prévoit l’article 1 de la loi.
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
[39] Malgré toute la sympathie que la soussignée peut éprouver face au courage démontré par le requérant, force est de constater qu’à la date de l’atteinte de sa majorité, il s’interrogeait sur l’orientation qu’il allait donner à son parcours scolaire.
[40] Malgré le délai accordé par la soussignée, il n’a pas non plus déposé une preuve pouvant expliquer un empêchement d’ordre médical qui aurait pu justifier l’absence de fréquentation d’un établissement d’enseignement à plein temps à l’âge de sa majorité.
[41] Tel que décidé dans l’affaire Moulages d’aluminium Howmet Ltée et Yves Jacques Gadbois (succession)[3], la jurisprudence est unanime et a exigé une fréquentation assidue d’un établissement d’enseignement pour avoir le droit au montant forfaitaire prévu par la loi.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE l’acte introductif du requérant, monsieur Tomy Giroux;
CONFIRME la décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail rendue le 9 mai 2016, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE irrecevable la demande de révision du 20 avril 2016.
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Linda Daoust |
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Monsieur Tomy Giroux |
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Pour lui-même |
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Date de l’audience : 6 janvier 2017 |