9173-3766 Québec inc. |
2016 QCTAT 3907 |
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[1] Le 30 novembre 2015, 9173-3766 Québec inc. (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles aux fins de contester la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 20 octobre 2015, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare que l’employeur doit être imputé de la totalité du coût des prestations découlant de la lésion professionnelle subie par le travailleur, le 18 juin 2014.
[3] Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[1] (la LITAT) est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail. De plus, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) assume les compétences autrefois dévolues à la CSST.
[4] Une argumentation écrite a été produite par la représentante de l’employeur compte tenu qu’elle a renoncé à la tenue d’une audience et la cause est mise en délibéré à compter de sa réception, soit le 9 mai 2016.
[5] La décision est rendue par la soussignée en sa qualité de membre du Tribunal administratif du travail.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] L’employeur demande au Tribunal de reconnaître qu’il a droit à un transfert du coût des prestations qui découle de la lésion professionnelle subie par le travailleur, le 18 juin 2014, compte tenu qu’elle est attribuable à un tiers et qu’il serait injuste qu’on lui impute à son dossier financier. Il invoque, à l’appui, l’application de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi).
[7] Quant aux faits à considérer, ils sont décrits par le travailleur au sein d’une déclaration assermentée qu’il a signée le 5 août 2016.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] Le Tribunal doit déterminer si l’employeur a droit au transfert de coûts demandé en vertu du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi qui se lit comme suit :
326. [...]
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
[...]
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[9] La première condition qui doit être rencontrée est que la demande doit être produite à l’intérieur du délai prévu au dernier alinéa de l’article 326 de la loi. Ce délai est respecté, en l’espèce, puisque l’accident est survenu le 18 juin 2014 et que l’employeur a produit sa demande le 3 novembre 2014. Il s’agit du délai édicté en ces termes :
326. [...]
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[10] Les faits qui sont propres au dossier, tels que relatés par le travailleur au sein de l’affidavit circonstancié qu’il a signé le 5 avril 2016, sont les suivants :
1. Je travaille pour le compte de 9173-3766 Québec inc. (ci après « l’employeur ») à titre de chauffeur-guide/chauffeur. À ce titre, mes fonctions principales consistent à la conduite d’un véhicule assurant le transport de clientèles touristiques et autres.
2. Le 18 juin 2014, j’ai procédé au transport d’un groupe de vingt personnes dans le cadre d’un aller-retour entre Québec et Montréal.
3. L’heure de départ prévue de Québec étant 13h00 et l’heure de retour prévue à partir de Montréal était 21h30.
4. Vers 15h00, j’ai laissé le groupe à l’hôtel Alt, situé sur la rue Peel à Montréal, j’ai stationné l’autobus de manière sécuritaire et devait reprendre le groupe vers 21h30 au même endroit.
5. Je n’avais reçu aucune directive de la part de mon employeur quant à mon occupation durant la période se situant entre les deux transports prévus à mon assignation.
6. J’étais libre du choix de mes activités pendant cette période. À ma connaissance, aucune directive, règle ou politique ne régit les chauffeur-guides/chauffeurs pendant la période se situant entre deux transports.
7. Suite à mon arrivée à l’hôtel Alt et au stationnement du véhicule, j’ai pris la décision d’aller manger dans un restaurant de la rue Ste-Catherine.
8. Après avoir regardé de chaque côté avant de m’engager sur la voie publique et constaté qu’aucun véhicule n’y circulait, j’ai commencé à traverser la rue Ste-Catherine. J’ai été heurté par une voiture stationnée en bordure de la rue qui est partie rapidement sans me voir et ce, alors que j’étais rendu dans le milieu de la rue. [sic]
[11] Le diagnostic retenu par le médecin qui en a pris charge est une fracture de l’astragale du pied gauche et la décision rendue par la CSST le 4 août 2014 reconnaît sa relation avec l’accident. Cette admissibilité est confirmée le 29 septembre 2014, à la suite d’une révision administrative.
[12] La réviseure qui a rendu la décision portée en litige reconnaît que l’automobiliste est un tiers mais tout en concluant que sa responsabilité n’a pas été contributive à plus de 50 %, lors de l’accident. Elle retient que le travailleur a une part de responsabilité compte tenu qu’il a pris la décision de ne pas traverser à une intersection ou à tout autre endroit prévu pour les piétons, contrevenant ainsi au Code de la sécurité routière[3]. Lorsqu’elle termine son analyse, elle ajoute à sa motivation le fait que le risque est inhérent à la nature de l’ensemble des activités exercées par l’employeur.
[13] L’entreprise opérée par ce dernier offre des services de transport, par autocars, qui sont conduits par des chauffeurs-guides voués à mener à bon port les groupes de touristes.
[14] Le 18 juin 2014, le travailleur accompagne un groupe de 20 personnes pour effectuer un aller-retour entre Québec et Montréal. Vers 15 h, il dépose le groupe à un hôtel situé sur la rue Peel et il dispose donc de plusieurs heures pour se reposer car le retour à Québec est prévu à 21 h 30. Il décide d’aller manger dans un restaurant situé sur la rue Ste-Catherine et c’est au moment de la traverser qu’il est heurté par un véhicule qui vient de sortir de l’emplacement où il était stationné.
[15] La représentante de l’employeur soumet que c’est uniquement l’inattention de cet automobiliste qui est la cause de l’accident et qu’il en est donc majoritairement responsable.
[16] En référant aux dispositions pertinentes que l’on retrouve au sein du Code de la sécurité routière, elle prétend que la seule obligation qui incombe aux piétons qui doivent traverser une rue où il n’y a pas d’intersections ou de passages à piétons, à proximité, est de céder le passage aux véhicules routiers qui circulent sur la voie publique. Les dispositions sur lesquelles elle s’appuie sont les suivantes :
447. Lorsqu’il n’y a pas d’intersections ou de passages pour piétons clairement identifiés et situés à proximité, un piéton qui traverse un chemin public doit céder le passage aux véhicules routiers et aux cyclistes qui y circulent.
450. Lorsqu’il y a une intersection ou un passage pour piétons à proximité, un piéton ne peut traverser un chemin public qu’à l’un de ces endroits.
[17] Elle prétend, de plus, que l’accident s’est produit alors que le travailleur n’était pas en fonction et qu’il ne découle donc pas des risques liés d’une manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur. C’est dans le même ordre d’idées qu’elle soumet que l’employeur devrait supporter injustement les coûts de la lésion professionnelle si les conclusions de la CSST étaient confirmées.
[18] Comme la CSST a déjà reconnu que l’automobiliste est un tiers, le Tribunal n’a qu’à apprécier s’il est majoritairement responsable de l’accident et s’il s’avère injuste d’en imputer les coûts à l’employeur.
[19] La formation de trois juges administratifs a rappelé, dans l’affaire Ministère des transports et CSST[4], que les agissements ou omissions du tiers doivent avoir contribué à l’accident de façon majoritaire et donc, dans une proportion supérieure à 50 %.
[20] Contrairement aux prétentions soumises par la représentante de l’employeur, le Tribunal retient que le travailleur a sa part de responsabilité lors de l’accident puisqu’il ne peut ignorer, selon la connaissance d’office acquise avec les années, que la rue Ste-Catherine, à Montréal, dispose de plusieurs intersections munies de feux de signalisation où il est loisible de traverser, en toute sécurité.
[21] Selon les circonstances décrites par le travailleur lui-même, il ne se trouvait manifestement pas à l’une de ces intersections puisqu’il a décidé de traverser la voie publique à proximité du restaurant où il se dirigeait et donc, sans se rendre aux feux de signalisation.
[22] Bien que le travailleur ait été mis par surprise par la sortie subite de l’un des véhicules qui était garé le long de la rue, il n’en demeure pas moins que l’automobiliste l’a certes été tout autant puisqu’il ne pouvait s’attendre à ce qu’un piéton décide de traverser à cet endroit.
[23] Le Tribunal conclut ainsi que le travailleur a lui-même enfreint ses obligations en faisant défaut de se conformer à l’article 450 du Code de la sécurité routière[5].
[24] Le Tribunal conclut, par la même occasion, que la preuve ne démontre pas, de manière prépondérante, que l’accident est majoritairement attribuable au tiers. Ce que la preuve a essentiellement démontré, c’est que l’accident s’est produit par la conjonction de circonstances autres que la simple inattention de l’automobiliste.
[25] Le Tribunal n’a donc pas à poursuivre son analyse afin de déterminer si l’imputation des coûts de la lésion professionnelle à l’employeur est injuste. En effet, l’une des premières conditions prévues pour bénéficier d’un transfert de coûts au sens prévu par le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi n’est pas rencontrée, en l’espèce.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE la requête qui a été produite par 9173-3766 Québec inc., le 30 novembre 2015;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 20 octobre 2015, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 18 juin 2014 doit être imputé à 9173-3766 Québec inc.
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CAROLE LESSARD |
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Me Julie Samson |
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LANGLOIS AVOCATS, S.E.N.C.R.L. |
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Pour la partie demanderesse |
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