Re Imanpoorsaid | 2023 QCCA 1111 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | 500-09-027261-189, 500-09-029864-220 | ||||
(500-14-049957-160) | |||||
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DATE : | 6 septembre 2023 | ||||
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DANS L’AFFAIRE DE HOOSHANG IMANPOORSAID : | |||||
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No 500-09-027261-189 | |||||
IVARI | |||||
APPELANTE – mise en cause | |||||
c. | |||||
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DEBORAH CAROL RIDDLE | |||||
INTIMÉE – requérante | |||||
et | |||||
JASON REID ADAM REID DIRECTEUR DE L’ÉTAT CIVIL | |||||
MIS EN CAUSE – mis en cause | |||||
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No 500-09-029864-220 | |||||
DEBORAH CAROL RIDDLE | |||||
APPELANTE – demanderesse/intimée | |||||
c. | |||||
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IVARI | |||||
INTIMÉE – défenderesse/requérante | |||||
et | |||||
JASON REID ADAM REID DIRECTEUR DE L’ÉTAT CIVIL | |||||
MIS EN CAUSE – mis en cause
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[2] H.I. est représentant en assurance de personnes et en épargne collective tout comme l’est sa femme, Mme Riddle.
[3] En octobre 2006, il souscrit à une police d’assurance-vie au montant de 1 000 000 $ auprès d’Ivari, alors connue sous le nom de Transamerica Life Canada. Son fils Jason en est le bénéficiaire principal et sa femme la bénéficiaire subsidiaire. En février 2008, il modifie cette désignation. Sa femme en est désormais la bénéficiaire principale et ses trois enfants, les bénéficiaires subsidiaires.
[4] Le 17 février 2008, H.I. mentionne à sa femme et à sa fille qu’il s’en va à Toronto, une destination qui n’est pas inhabituelle pour lui vu son travail. Le lendemain, il envoie à sa fille et à l’un de ses fils un courriel :
Just to let you guys know I am Ok. Please stay strong and focused. I am sorry for creating so much stress for you guys. This could have been prevented, should I had used my logic and brain properly. Unfortunately, things got out of hand and to fix it, drastic measures are necessary to be taken.
That’s why I decided to do what I did.
I promise you, mom, and Adam that I will work really hard and smart (for a change) to change things around. Please pray for me.
I love you guys very much and I hope we will be reunited in a not too far future.
Love dad
[…]
[5] Il ne reviendra pas à Montréal et les membres de sa famille n’auront plus de nouvelles de lui.
[6] Ses enfants signalent sa disparition. Une enquête policière a lieu, mais elle ne permet pas de le retrouver. Elle révèle toutefois qu’H.I. ne s’est pas rendu à Toronto; il a plutôt pris un vol pour Amsterdam.
[7] Par la suite, sa famille découvre qu’il doit beaucoup d’argent à de nombreux créanciers. Également, il a retiré des sommes importantes de son REER et de celui de sa femme, a falsifié sa signature pour obtenir des prêts et a utilisé leur marge de crédit conjointe. Il semble que certains de ses créanciers réclamaient leur dû.
[8] En 2011, alors qu’il est absent, il est déclaré coupable d’appropriation de fonds et de conflits d’intérêts par le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière. Il est radié de façon permanente.
[9] En 2008 et puis en 2009, estimant que les primes de la police d’assurance-vie sont trop coûteuses pour ses capacités financières, Mme Riddle diminue l’indemnité payable en cas de décès, qui passe ainsi de 1 000 000 $ à 500 000 $.
[10] En août 2016, plus de sept ans après la disparition de H.I., sa femme, Mme Riddle, introduit une demande pour obtenir un jugement déclaratif de décès. Ivari la conteste en alléguant que les circonstances entourant la disparition de H.I. suggèrent plutôt qu’il s’est sauvé de ses créanciers.
[11] Le 1er décembre 2017, la Cour supérieure (l’honorable Yves Poirier) accueille le recours et déclare que H.I. est décédé le 20 février 2015, soit sept ans après sa disparition.
[12] Ivari se pourvoit en appel de ce jugement et l’audition est fixée au 12 juillet 2018. Quelques jours avant cette audition, elle produit une requête pour être autorisée à déposer de la nouvelle preuve, laquelle est constituée de documents destinés à démontrer que H.I. est vivant et réside en Iran.
[13] La Cour rejette sa requête[1], mais sachant qu’Ivari a l’intention de s’adresser à la Cour supérieure pour faire annuler le jugement déclaratif de décès, elle suspend l’instance d’appel jusqu’au 19 octobre 2018, date à laquelle les procureurs doivent l’informer de l’état du dossier en Cour supérieure. À cette date, l’instance d’appel est de nouveau suspendue, cette fois jusqu’à l’expiration d’un délai de 30 jours suivant le jugement à être rendu sur la demande en annulation du jugement déclaratif de décès introduite entretemps par Ivari[2].
[14] L’audition de cette demande en annulation a lieu en mai 2021 et s’étend sur 6 jours. Le 29 novembre 2021, la Cour supérieure (l’honorable Geeta Narang) annule le jugement déclaratif de décès rendu le 1er décembre 2017.
[15] Mme Riddle se pourvoit, à son tour, en appel.
[16] Avec l’accord des parties, les deux appels sont réunis et une audition commune est tenue.
[17] Bien qu’il ait été logé en second, l’appel du jugement annulant le jugement déclaratif de décès (500-09-029864-220) sera tranché en premier puisque l’appel du jugement déclaratif de décès (500-09-027261-189) deviendra sans objet si le jugement l’annulant est maintenu.
***
[18] En Cour supérieure, Ivari fait entendre un témoin expert, Me Sadafi Chaghooshi, ainsi qu’un témoin ordinaire, M. Ghasen. Elle produit plusieurs pièces qui, selon elle, démontrent que H.I. est vivant et réside en Iran :
1) des extraits du registre informatique des registres de l’état civil iranien provenant de l’Organisation du Recensement de l’État de Téhéran (State Census Organization of Teheran) démontrant qu’une carte d’identité nationale a été remise, le 7 novembre 2015, à un homme s’étant identifié comme H.I. et qu’aucune mention d’un décès survenu depuis cette date n’apparaît dans le registre;
2) des documents émanant du Service de police des Passeports et de l’Immigration (Passport and Immigration Police Department) démontrant que deux passeports ont été délivrés en faveur de H.I. depuis 2008 (un en 2008 et l’autre en 2014) et qu’ils ont été utilisés pour voyager à l’extérieur de l’Iran à 16 reprises entre octobre 2008 et décembre 2017. Des photos du détenteur des passeports se trouvent parmi ces documents;
3) une lettre du 9 décembre 2018 d’un adjoint de la Direction des Affaires Publiques d’Aide Sociale Directe (Deputy of Direct Public Welfare (Aid) Affairs) certifiant que H.I. est inscrit auprès de cette organisation afin de bénéficier d’une aide gouvernementale;
4) une lettre signée de l’Iran Mobile Communication Company révélant que deux numéros de téléphone cellulaires, dûment mentionnés, sont enregistrés au nom de H.I.;
5) une lettre de la Banque iranienne de Développement des Exportations
(Export Development Bank of Iran) confirmant que H.I y détient un compte bancaire.
[19] Mme Riddle, pour sa part, fait entendre un témoin expert, Me Rahbar-Sato. Elle lui a demandé d’analyser et de commenter les documents produits par Ivari, ce qu’il a fait en identifiant divers éléments qu’il estime être des anomalies, nous y reviendrons. Alors qu’elle-même avait indiqué ne pas avoir l’intention de témoigner, elle se ravise à l’audience, mais à la seule fin d’affirmer que la voix entendue sur un enregistrement n’est pas celle de son mari H.I.
[20] La juge de première instance accueille la demande en annulation du jugement déclaratif de décès. Elle rejette également une demande de Mme Riddle en abus pour manquements importants dans le cadre de la procédure et la condamne aux frais de justice, incluant les frais de l’expert Me Sadafi Chaghooshi.
[21] Dans ses motifs, elle explique qu’un jugement déclaratif de décès crée une fiction juridique, puisque la présomption de décès qu’il applique découle du simple fait qu’une personne est absente depuis au moins sept ans, sans égard à ce que la preuve démontre qu’elle est vivante ou morte. Cette présomption peut toutefois être renversée et le jugement déclaratif de décès peut être annulé.
[22] Reconnaissant qu’il existe très peu de jurisprudence sur le sujet, elle adopte ce qu’elle qualifie « d’approche de bon sens » et conclut que des « signes de vie fiables » sont requis pour annuler un tel jugement, ou dit autrement, que la preuve doit démontrer, selon la balance des probabilités, que la personne déclarée décédée est vivante et de retour, ce qui peut être le cas indépendamment du lieu où elle refait surface dans le monde.
[23] S’intéressant ensuite aux documents produits par Ivari pour démontrer que H.I. est vivant, elle constate d’abord que Mme Riddle a omis de respecter la procédure devant être suivie pour être autorisée à en contester l’origine ou l’intégrité[3] et en retient qu’elle est ainsi forclose de contester qu’ils émanent d’un officier public étranger, ce qui leur confère un caractère semi-authentique et dispense les officiers compétents de l’obligation de venir témoigner pour qu’ils puissent être produits en preuve.
[24] Cela dit, elle se livre tout de même à l’analyse de leur authenticité et décrit ce qu’auraient été ses conclusions si elle avait permis à Mme Riddle d’en contester l’origine ou l’intégrité.
[25] Ainsi, elle indique qu’elle aurait reconnu comme des actes semi-authentiques les documents émis par l’Organisation du Recensement de l’État de Téhéran, le Service de Police des Passeports et de l’Immigration et l’adjoint à la Direction des Affaires Publiques d’Aide Sociale Directe notamment parce que M. Ghasem Razmjoe, un membre de l’Association du barreau central iranien (Iranian Central Bar Association) à qui elle accorde beaucoup de crédibilité, a affirmé, dans son témoignage, les avoir obtenus en s’adressant directement à divers organismes gouvernementaux Iraniens.
[26] Elle souligne également que les originaux de ces documents ont été produits et qu’ils comportent plusieurs tampons et signatures que M. Razmjoe décrit comme habituels. De plus, sur chacun des documents, le nom de H.I. est écrit de la même façon en farsi et le même numéro d’identification (ID number) apparaît.
[27] Finalement, elle note la présence d’un onglet arborant le drapeau iranien dans le coin supérieur gauche de chacun des documents, l’utilisation d’un papier très mince typique des documents « persans » et un format de papier différent de celui en usage en Amérique du Nord. Ces éléments, selon elle, contribuent à forger sa conviction qu’il s’agit de documents émanant d’officiers publics étrangers et ainsi qu’il s’agit d’actes devant être qualifiés de semi-authentiques. Il n’existe d’ailleurs, selon elle, aucune raison d’en contester l’origine ou l’intégrité.
[28] Quant aux documents reçus de l’Iran Mobile Communications Company et de la Banque iranienne de Développement des Exportations, elle aurait refusé de les qualifier d’actes semi-authentiques puisqu’aucune preuve n’établit que ces deux entités sont des organismes gouvernementaux.
[29] Cette étape franchie, elle analyse ensuite la teneur de ceux qu’elle a qualifiés de semi-authentiques qui, rappelons-le, font preuve de leur contenu[4].
[30] Considérant que les registres de l’Organisation du Recensement de l’État de Téhéran, un organisme qui joue le même rôle que notre Directeur de l’état civil, démontrent qu’une carte d’identité nationale a été remise personnellement à H.I. le 7 novembre 2015 et qu’aucune mention d’un décès n’y a depuis été inscrite, elle estime qu’Ivari a prouvé que H.I. était physiquement présent en Iran en novembre 2015 et, qu’au 28 octobre 2018, le registre de recensement ne comportait aucune mention de son décès.
[31] Considérant que le Service de police des Passeports et de l’Immigration a, pour sa part, émis deux passeports en faveur de H.I. depuis décembre 2017, que l’expert Sadafi Chaghooshi a expliqué que la personne requérant un passeport doit se présenter pour l’obtenir de façon à ce qu’une photo et ses empreintes digitales soient prises et que ce service a enregistré seize voyages par H.I. hors de l’Iran entre octobre 2008 et décembre 2017, la juge estime qu’Ivari a prouvé que des passeports ont été émis en faveur de H.I. et qu’il a effectué des voyages internationaux depuis le jugement l’ayant déclaré décédé.
[32] Finalement, considérant que l’adjoint de la Direction des Affaires Publiques d’Aide Sociale Directe a certifié que H.I. est inscrit depuis 2018 auprès de l’organisation iranienne d’aide sociale et que son décès n’y est pas mentionné alors que, comme l’a expliqué Me Sadafi Chaghooshi, le décès d’une personne inscrite est automatiquement enregistré dans le système, elle estime qu’Ivari a prouvé que H.I. a demandé de bénéficier d’une aide sociale en Iran un an après avoir été déclaré mort au Québec.
[33] La juge tranche ensuite l’argument voulant que ces documents comportent des anomalies suggérant qu’ils ont été fabriqués ou falsifiés. Ces « anomalies », qu’elle qualifie de « minor issues and small inconsistencies », consistent essentiellement en des annotations manuscrites, une mention « Archived » apparaissant sur certains des documents émanant de l’Organisation du Recensement de l’État de Téhéran ainsi qu’une omission d’inscrire le nom de la personne ayant extrait les informations du registre concerné.
[34] Après avoir affirmé que des documents peuvent souvent contenir des imperfections et que la présence d’une annotation ou d’une erreur d’écriture ne peut pas toujours être expliquée, la juge rappelle que M. Razmjoe a témoigné avoir obtenu ces documents directement des autorités iraniennes, ce qui, selon elle, ajoute à sa conviction qu’ils proviennent bel et bien de celles-ci.
[35] Elle rejette aussi l’argument de Mme Riddle voulant que le fait que son mariage avec H.I. n’y soit pas mentionné, que la première mention d’un déplacement aux frontières soit une sortie d’Iran en 2008 plutôt qu’une entrée, et qu’il soit invraisemblable que H.I. soit sorti d’Iran le 22 octobre 2008 à 20 h 42 pour y revenir deux jours plus tard exactement à la même heure, constituent des éléments suffisants pour susciter un doute sur leur authenticité.
[36] Selon elle, l’argument selon lequel ces documents auraient été obtenus dans des circonstances douteuses, du fait que le système juridique iranien ne serait pas fiable, qu’il serait corrompu et que, conséquemment, les admettre en preuve déconsidérerait l’administration de la justice, n’est pas davantage fondé. La preuve, écrit-elle, ne démontre pas qu’ils ont été obtenus dans de telles circonstances et c’est plutôt la décision de ne pas les admettre en preuve qui minerait l’intégrité de notre système de justice.
[37] Elle rejette aussi la proposition voulant qu’ils aient été obtenus en violation du droit à la vie privée de H.I. D’une part, elle estime que ces documents ne contiennent que des informations de base à l’égard desquelles H.I. ne pouvait avoir d’attente raisonnable de vie privée et, d’autre part, que la nature du litige fait en sorte qu’il était nécessaire pour Ivari de les obtenir.
[38] Elle estime tout autant non fondé, le qualifiant de « procédurite », l’argument voulant que la demande d’Ivari soit irrecevable puisqu’elle n’a pas été signifiée à H.I. Appliquer de cette façon l’exigence de signifier un acte introductif d’instance à toute personne intéressée conduirait ici, ajoute-t-elle, à un résultat absurde puisque H.I. ne pourrait de toute façon rien apporter au débat.
[39] Finalement, elle rejette la demande de Mme Riddle de condamner Ivari à lui rembourser ses honoraires extrajudiciaires au motif que celle-ci aurait manqué à ses obligations dans la conduite des procédures (342 C.p.c.) et la condamne aux frais de justice incluant les frais de l’expert Me Sadafi Chaghooshi.
***
[40] En appel, Mme Riddle fait flèche de tout bois et s’attaque à presque toutes les conclusions de la juge, lui reprochant de s’être trompée à tous égards. Elle formule sept moyens qui peuvent être résumés ainsi :
a) Elle ne pouvait trancher la demande en annulation d’Ivari puisqu’elle n’avait pas été signifiée à H.I.;
b) Elle a erré en droit dans la façon dont elle a qualifié la nature et les effets de la présomption de décès et défini le régime du « retour », elle a mal appliqué les règles juridiques et les règles de preuve qui leur sont applicables;
c) Elle a erronément qualifié de semi-authentiques les documents émanant de l’Organisation du Recensement de l’État de Téhéran, du Service de police des Passeports et de l’Immigration et de la Direction des Affaires Publiques d’Aide Sociale Directe;
d) Elle a omis de considérer son argument voulant que le défaut d’Ivari de pousser plus loin son enquête en allant frapper à la porte de H.I. ainsi que sa conduite passée doive donner lieu à une inférence négative à l’égard de la position d’Ivari;
e) Elle a commis des erreurs manifestes et déterminantes dans l’appréciation de la preuve;
f) Elle a erré dans son analyse de la demande pour manquements importants à ses obligations dans la conduite de la procédure;
g) Elle a mal exercé sa discrétion quant aux frais judiciaires.
[41] Voyons chacun de ces moyens tour à tour.
[42] Ivari reconnaît ne pas avoir signifié à H.I. sa demande en annulation du jugement le déclarant décédé, mais elle soutient que de requérir qu’elle le fasse serait absurde.
[43] La Cour estime qu’elle a raison dans les circonstances particulières de l’espèce.
[44] L’article
[45] Le législateur ne prévoit pas d’exception au principe de la notification d’une procédure introductive d’instance, si ce n’est qu’il permet au tribunal d’autoriser un mode de notification autre que ceux prévus au Code de procédure civile (art.
[46] Rien n’est davantage prévu lorsque la procédure introductive d’instance est une demande en annulation d’un jugement déclaratif de décès alors qu’une question particulière se pose : la personne déclarée morte doit-elle être présumée morte jusqu’au jour du jugement statuant sur la demande en annulation, auquel cas il ne serait pas nécessaire de la lui signifier? Ou, au contraire, puisque le requérant plaide son retour, doit-elle être considérée comme vivante, auquel cas il serait nécessaire de lui signifier la procédure?
[47] Quoique cette question soit théoriquement intéressante, la Cour est d’avis que l’absence de préjudice est ici suffisante pour rejeter le moyen avancé par Mme Riddle.
[48] Il est en effet bien établi que le défaut de signification régulière peut être couvert par le fait que la partie en a été informée autrement et, ainsi, qu’elle n’en a pas subi de préjudice[5].
[49] Certes, en l’espèce, rien ne démontre que H.I. a eu connaissance de la procédure introductive d’instance. Néanmoins, force est de conclure que cette absence de connaissance ne peut lui avoir causé de préjudice puisque seuls deux cas de figure auraient été envisageables dans l’éventualité où la demande introductive d’instance lui avait été signifiée : 1) il ne serait pas intervenu à l’instance, auquel cas le jugement aurait été le même, ou, 2) il serait intervenu, auquel cas le jugement aurait aussi été le même puisque sa présence aurait confirmé qu’il est vivant.
[50] Bref, bien qu’il aurait peut-être été prudent de tenter de lui notifier la procédure, à tout le moins via un mode spécial de notification, le défaut de le faire ne justifiait pas le rejet de la demande d’Ivari et la juge Narang a eu raison de refuser de le faire. De plus, les parties étant en litige depuis 2016, il serait contraire à la fois à l’intérêt de la justice et au principe de la proportionnalité de forcer lvari à réintroduire des procédures judiciaires destinées à aboutir exactement au même résultat.
[51] Ce premier moyen est donc rejeté.
[52] Essentiellement, Mme Riddle plaide que la juge a mal identifié le test applicable au renversement de la présomption de décès enchâssée dans le jugement déclaratif de décès. Cette présomption, selon elle, n’est pas une simple présomption de fait, mais bien une présomption ne pouvant être renversée que dans les cas rares où l’absent revient physiquement, fournissant de ce fait une preuve certaine qu’il est en vie. En conséquence, ajoute-t-elle, celui qui prétend qu’un absent est de retour doit se voir imposer un fardeau excédant celui de la balance des probabilités.
[53] À son avis, la preuve administrée par Ivari ne satisfait pas ce fardeau et, vu les nombreuses irrégularités affectant les documents mis en preuve, elle n’est même pas suffisante pour conclure à une présomption de vie, les faits n’étant pas graves, précis et concordants[6].
[54] De plus, le terme « retour », soutient-elle, doit être interprété dans son sens littéral afin de refléter fidèlement l’intention du législateur.
[55] Ivari, quant à elle, rétorque qu’avaliser cette théorie, alors qu’une preuve convaincante établit que H.I. est toujours en vie à l’extérieur de la province, déconsidérerait gravement l’administration de la justice et ébranlerait la confiance qu’ont les individus dans la véracité des informations que renferme le registre d’état civil.
[56] La Cour estime qu’elle a raison.
[57] La notion de « retour », au sens des articles
[58] Voici pourquoi.
[59] Rappelons d’abord que la réforme en profondeur du régime de l’état civil au Québec en 1991 avait notamment pour but d’assurer l’intégrité et la véracité des actes le composant[7], l’état d’une personne jouant un rôle important dans les relations qu’elle entretient avec les autres :
377 – Le sujet de droit étant défini par rapport à son état, celui-ci doit pouvoir être connu. À l'occasion de l'exercice d'un droit, la personne est fréquemment appelée à faire la preuve des circonstances qui modèlent son état, lequel donne ouverture à ce droit. Ainsi, on ne peut réclamer des aliments de son conjoint sans établir préalablement sa qualité d'époux. Il faut tenir compte aussi des tiers avec qui la personne peut entrer en relation et qui ont intérêt à être renseignés sur sa situation. Enfin, les pouvoirs publics doivent pouvoir être informés des événements dont dépend le statut de leurs administrés. C'est pourquoi le législateur a organisé un procédé officiel de constatation de l'état des personnes : les actes de l'état civil[8].
[60] On comprend donc que l’état civil d’une personne, qui lui garantit une participation aux droits de la société dans laquelle elle vit, est un objet d’intérêt public[9]. Logiquement, pour atteindre le but qu’avait en tête le législateur, à savoir renseigner fidèlement le public, les actes de l’état civil doivent donc refléter l’état « réel » d’une personne, lorsque cet état est connu.
[61] Signe de toute l’importance qu’il leur accorde, le législateur a d’ailleurs élevé les actes de l’état civil au rang d’écrits authentiques en ce sens qu’ils font preuve à l’égard de tous et font foi de leur contenu par leur seule production[10]. Il les a d’ailleurs regroupés dans un seul registre, ce qui témoigne de son désir de les rendre facilement accessibles.
[62] Le jugement déclaratif de décès participe à l’esprit de ce système, puisqu’ultimement le directeur de l’état civil devra dresser un acte de décès une fois que le jugement, passé en force de chose jugée, lui aura été notifié[11].
[63] Cela étant, il existe un principe voulant qu’un tribunal puisse donner à une disposition une portée plus large que celle que suggère le sens littéral des mots qui y sont employés lorsque cela favorise l’accomplissement de ce qui paraît en être le but[12].
[64] Ici, la Cour estime que c’est ce qu’elle doit faire puisqu’il serait visiblement contraire à l’esprit du Code civil du Québec et, plus particulièrement, de son CHAPITRE QUATRIÈME – DU REGISTRE ET DES ACTES DE L’ÉTAT CIVIL – que le registre de l’état civil ne soit pas rectifié alors qu’une personne déclarée décédée est vivante. Pour respecter l’objet poursuivi par le législateur, il est donc nécessaire que le terme « retour » soit interprété largement afin d’inclure le cas où une preuve établit l’existence de la personne déclarée décédée, peu importe l’endroit où elle se trouve et peu importe qu’elle soit ou non physiquement de retour. Une telle preuve doit pouvoir donner ouverture à l’annulation du jugement déclaratif de décès prononcé et, corollairement, à la rectification du registre de l’état civil.
[65] Cette conclusion apparaît d’autant plus inéluctable qu’il existe une présomption voulant que le législateur n’entende pas édicter des lois dont la mise en œuvre conduirait à des conséquences absurdes, contraires à la raison ou à la justice[13].
[66] Or, interpréter restrictivement la notion de « retour » en exigeant que la personne déclarée décédée revienne physiquement, malgré que des éléments probants établissent qu’elle est vivante, ouvrirait la porte à des situations absurdes et contraires au bon sens.
[67] Par exemple, une personne déclarée morte au Québec, ou ses ayants droit, pourraient continuer de jouir de divers droits et même bénéficier de droits dont la naissance est conditionnelle au décès (par exemple, comme en l’instance, le droit au versement d’une indemnité d’assurance-vie) alors même qu’elle est vivante, dans la mesure où elle ferait en sorte qu’on ne puisse l’appréhender physiquement.
[68] De plus, conclure en ce sens équivaudrait à permettre d’éluder la loi; un procédé par lequel une personne qui se trouve ou qui pourrait se trouver dans une situation qu’un texte législatif a pour but de corriger élude ses effets en se tenant à l’extérieur des limites de son champ d’application[14].
[69] Ainsi, une personne déclarée morte, qui dans les faits est bel et bien vivante, pourrait éluder les effets préjudiciables qui résulteraient de l’annulation du jugement déclaratif de décès prononcé à son égard, et ce, simplement en se cachant et en ne revenant jamais physiquement.
[70] La Cour estime donc que la preuve établissant que la personne déclarée décédée est toujours en vie participe du retour de celle-ci et peut être suffisante pour obtenir l’annulation d’un jugement déclaratif de décès.
[71] Mme Riddle soutient que cette preuve doit satisfaire un fardeau plus lourd que celui de la simple balance des probabilités mais la Cour estime qu’il est inutile de trancher cette question, puisque la preuve administrée en l’espèce dépasse de toute manière le seuil de la seule probabilité.
[72] D’ailleurs, bien que la juge d’instance réfère à la balance des probabilités, il s’infère de son analyse de la preuve et des conclusions qu’elle en tire, qu’elle a considéré qu’elle était forte et convaincante et démontrait presque certainement que H.I. est vivant et réside maintenant en Iran.
[73] Bien qu’il lui appartienne d’apprécier la preuve et bien que ce ne soit pas le rôle de la Cour de procéder à sa propre appréciation[15], en l’espèce, le moyen avancé par Mme Riddle et le fait que la juge ait référé explicitement à la « balance des probabilités » l’incite à le faire, mais à la seule fin de déterminer si elle satisfait de toute façon le standard proposé par Mme Riddle. Cela dit, la Cour conclut que c’est le cas puisque la preuve administrée est forte et convaincante et démontre que H.I. est presque certainement toujours vivant.
[74] Les documents émanant des autorités iraniennes constituent certes le cœur de la preuve administrée par Ivari, et ils sont éloquents, mais il y a aussi les photos de celui qui a demandé et auquel a été remis le passeport, qui peuvent être comparées à la photo de H.I. apparaissant sur l’avis de recherche publié par les autorités policières à l’époque de sa disparition.
[75] Ces photos établissent que la personne qui y apparaît est la même. Quoiqu’un tribunal puisse lui-même identifier une personne apparaissant sur des photos et que cela puisse être suffisant dans le contexte d’une identification[16], ici il y a plus.
[76] Ceux qui auraient pu témoigner que H.I. n’est pas la personne apparaissant sur les photos accompagnant les documents émanant des autorités étrangères, en l’occurrence ses enfants et sa femme, ont choisi de ne pas le faire. Alors que Mme Riddle avait annoncé ne pas avoir l’intention de témoigner à l’audience, elle s’est ravisée et a témoigné, mais seulement pour affirmer que la voix sur un enregistrement effectué par un enquêteur n’était pas celle de son mari H.I. Elle n’a soufflé mot des photos et de l’identité de l’homme y apparaissant alors même qu’elle a retenu les services d’un expert pour analyser et commenter de façon approfondie chacun des documents transmis par les autorités iraniennes.
[77] Cela était son droit, certes, mais la Cour, dans les circonstances, s’estime autorisée à tirer une inférence de cette omission[17].
[78] La Cour en arrive donc à la même conclusion que la juge Narang, c’est‑à‑dire que la preuve administrée par Ivari est forte et démontre que H.I. est presque certainement vivant, ce qui est suffisant.
[79] Mme Riddle soutient qu’elle a validement contesté le caractère semi-authentique des documents puisqu’elle a clairement fait état de cette contestation dans son Exposé sommaire des moyens de défense.
[80] Elle a raison sur ce point, mais en partie seulement. Il est vrai qu’elle a mentionné son intention de contester le caractère semi-authentique des documents, et indiqué ses motifs, mais elle n’a produit aucune déclaration assermentée au soutien de sa contestation, ce qu’exige pourtant clairement l’article
[81] Quoi qu’il en soit, la juge a choisi d’analyser les documents en question et d’indiquer quelles auraient été ses conclusions. Elle affirme ainsi qu’elle aurait conclu que ceux émanant de l’Organisation du Recensement de l’État de Téhéran, du Service de Police des Passeports et de l’Immigration et de l’adjoint à la Direction des Affaires Publiques d’Aide Sociale Directe émanent bel et bien d’un officier public étranger compétent et constituent ainsi des actes semi-authentiques. Pour en arriver à cette conclusion, elle a considéré plusieurs pans de la preuve administrée. Mme Riddle ne pointe aucune erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation qu’elle en a faite. Dans ces circonstances il n’y aurait pas davantage lieu pour la Cour d’intervenir à l’égard de cette conclusion.
[82] Quant à l’argument voulant qu’il y ait lieu de tirer des inférences négatives de la conduite passée d’Ivari et du fait qu’elle n’est pas allée au bout de son enquête en omettant d’aller cogner à la porte de celui qu’elle prétend être H.I., il est sans fondement.
[83] Mme Riddle ne démontrant pas que la juge de première instance a exercé sa discrétion de façon déraisonnable ou a commis une erreur de droit en rejetant sa demande d’abus et en la condamnant aux frais de justice[18], ses deux derniers moyens doivent également être rejetés, sauf en ce qui concerne les frais de l’expert Me Sadafi Chaghooshi. Ivari ayant l’obligation de démontrer que H.I. est vivant pour obtenir l’annulation du jugement déclaratif de décès et ayant choisi de faire cette preuve par le biais de documents émanant des autorités iraniennes, elle aurait dû engager ces frais d’expertise, même si Mme Riddle n’avait pas contesté sa demande. Dans ces circonstances très particulières, il apparaît plus juste de faire supporter à chacune des parties ses propres frais d’expert.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[84] ACCUEILLE en partie seulement l’appel introduit dans le dossier 500‑09‑029864‑220 à la seule fin de modifier le paragraphe 188 du jugement du 29 novembre 2021 afin qu’il se lise dorénavant :
[188] The whole with legal costs, except for the expert fees.
[85] REJETTE la requête pour faire déclarer l’appel d’Ivari et sa requête pour preuve nouvelle abusifs;
[86] AVEC les frais de justice en appel en faveur d’Ivari;
[87] DÉCLARE sans objet l’appel introduit dans le dossier 500-09-027261-189;
[88] LE TOUT, sans frais de justice.
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| GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A. | |
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| MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A. | |
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| JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A. | |
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Me René Vallerand Me Marie Lelièvre | ||
DONATI MAISONNEUVE | ||
Pour Ivari | ||
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Me Ari Yan Sorek Me Benjamin Dionne | ||
DENTONS CANADA | ||
Pour Deborah Carol Riddle, Jason Reid et Adam Reid | ||
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Date d’audience : | 7 février 2023 | |
[1] Ivari c. D.R.,
[2] Ivari c. D.R.,
[3] Art.
[4] Art.
[5] Droit de la famille – 192513,
[6] Art.
[7] Journal des débats : Commissions parlementaires : Sous-commission des institutions, 29 août 1991. Première session, Trente-quatrième législature, No 5. pp. 127-128.
[8] Dominique Goubau,
[9] Dominique Goubau,
[10] Art. 107, 2813, 2814(5°) et 2818 C.c.Q.
[11] Art.
[12] Pierre-André Côté et Mathieu Devinat,
[13] Pierre-André Côté et Mathieu Devinat,
[14] Pierre-André Côté et Mathieu Devinat,
[15] Nelson (City) c. Mowatt,
[16] R. c. Nikolovski,
[17] Lévesque c. Comeau,
[18] Biron c. 150 Marchand Holdings inc.,
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