Décision

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Crépeau et Aliments Old Dutch ltée

2011 QCCLP 6770

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saguenay

19 octobre 2011

 

Région :

Saguenay-Lac-Saint-Jean

 

Dossier :

439265-02-1105

 

Dossier CSST :

129027249

 

Commissaire :

Jean Grégoire, juge administratif

 

Membres :

Jean-Eudes Lajoie, associations d’employeurs

 

Germain Lavoie, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Maurice Crépeau

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Les Aliments Old Dutch limitée

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 18 mai 2011, monsieur Maurice Crépeau (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 5 mai 2011 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 9 décembre 2010 et déclare que l’emploi de livreur de mets préparés constitue un emploi convenable pour le travailleur, que ce dernier est capable de l’occuper à compter du 25 novembre 2010 et que cet emploi lui procurera un revenu brut annuel de 19 813,20 $. Finalement, compte tenu que le travailleur est actuellement en recherche d’emploi, la CSST confirme qu’il a droit de continuer de recevoir des indemnités de remplacement du revenu jusqu’au plus tard le 24 novembre 2011 et que, par la suite, il aura droit à des indemnités réduites de remplacement du revenu.

[3]           L’audience s’est tenue le 28 septembre 2011 à Saguenay en présence du travailleur, de sa procureure ainsi que de la procureure de la CSST. Pour sa part, Les Aliments Old Dutch limitée (l’employeur) n’est pas représenté à cette audience.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           La procureure du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’emploi de livreur de mets préparés ne constitue pas un emploi convenable au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Elle invoque que cet emploi n’est pas approprié et qu’il ne présente pas une possibilité raisonnable d’embauche. Finalement, la procureure du travailleur informe le tribunal qu’elle n’a pas de représentation à faire sur les autres aspects de la décision rendue par la CSST le 5 mai 2011.

LES FAITS

[5]           De la preuve documentaire et testimoniale, le tribunal retient notamment ce qui suit.

[6]           Actuellement âgé de 62 ans, le travailleur occupait, en 2005, un emploi de vendeur-livreur sur la route pour le compte de l’employeur.

[7]           Le 14 novembre 2005, le travailleur est victime d’un accident du travail. Selon le dossier du tribunal, le travailleur s’est frappé le coude gauche sur le coin d’une tablette dans un dépanneur où il procédait à la mise en place de sacs de croustilles.

[8]           Les diagnostics reconnus par la CSST, à la suite de cet événement, ont été ceux d’épitrochléite au coude gauche et de neuropathie cubitale gauche. Ces lésions ont été consolidées le 16 janvier 2009 avec séquelles permanentes et limitations fonctionnelles.

[9]           Dans un avis signé le 15 avril 2009, le docteur Réjean Cloutier, agissant à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale, établit que le travailleur conserve de sa lésion professionnelle, un déficit anatomo-physiologique de 1 % ainsi que les limitations fonctionnelles suivantes :

ü         Éviter des mouvements répétitifs de flexion et d’extension du coude gauche;

ü    Éviter la flexion forcée du coude gauche;

ü    Éviter les contacts à la partie postéro-interne du coude gauche. [sic]

 

 

[10]        Dans une première décision rendue par la CSST le 24 juillet 2009, cet organisme détermine que le travailleur est capable d’exercer l’emploi convenable de gérant de commerce de détail au salaire annuel de 24 000 $. Toutefois, le 18 mai 2010, la Commission des lésions professionnelles rend une décision[2] par laquelle elle juge que l’emploi de gérant de commerce ne représente pas, pour le travailleur, un emploi convenable et retourne le dossier de celui-ci à la CSST afin qu’elle procède à la détermination d’un nouvel emploi convenable.

[11]        À compter du 17 juin 2010, la CSST reprend les démarches visant à déterminer un emploi convenable au travailleur.

[12]        Le 7 juillet 2010, une première rencontre a lieu entre l’agente de réadaptation de la CSST, madame Denise Coulombe, et le travailleur. Lors de cette rencontre, madame Coulombe note que le travailleur lui rapporte ne pouvoir marcher ou se tenir debout plus de 30 à 60 minutes consécutives sans pouvoir s’asseoir, et ce, en raison d’une limitation qu’il a au niveau de la cuisse gauche. À la fin de cette rencontre, madame Coulombe écrit que le travailleur possède un permis de conduire de classe 5 et qu’il va prendre des informations auprès d’une « connaissance » au sujet d’un emploi d’estimateur en assurances. De plus, il est convenu que le travailleur entrera en contact avec une commission scolaire, afin de faire évaluer son niveau de scolarité.

[13]        Le 17 août 2010, une troisième rencontre a lieu entre le travailleur et madame Coulombe. Lors de cette rencontre, le travailleur fait part à madame Coulombe qu’il a les qualités suivantes : persévérant, déterminé, persuasif, sociable, communique facilement, aime aider, entregent, patient, courtois, leadership, sens de l’organisation et qu’il aime conseiller. De plus, le travailleur informe l’agente de la CSST que c’est l’emploi d’expert en sinistres qui l’intéresse et qu’il est prêt à suivre une formation au cégep pour pouvoir occuper cet emploi. Il ajoute prévoir encore travailler pendant plusieurs années.

[14]        Le 16 septembre 2010, une quatrième rencontre a lieu avec le travailleur. Lors de cette rencontre, le travailleur demande à la CSST qu’elle l’autorise à terminer son secondaire et à suivre un cours d’expert en sinistres au cégep de Chicoutimi. D’autre part, le travailleur informe son agente de la CSST qu’il a l’équivalent d’un secondaire 1 en anglais et en mathématiques et qu’il a l’équivalent d’un niveau élémentaire en français.

[15]        Le 7 octobre 2010, une cinquième rencontre a lieu avec le travailleur. L’agente de réadaptation de la CSST informe alors ce dernier que l’emploi d’expert en sinistres n’est pas retenu et lui demande de réfléchir à d’autres choix.

[16]        Le 21 octobre 2010, une sixième rencontre a lieu entre la CSST et le travailleur. Lors de cette rencontre, le travailleur refuse de recevoir de l’aide pour la recherche d’emploi et indique que la seule aide qu’il veut est que la CSST lui paie ses études ou qu’elle lui verse des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à l’âge de 68 ans.

[17]        Le 24 novembre 2010, une septième rencontre a lieu au cours de laquelle la CSST réitère au travailleur qu’elle ne peut lui payer des études pour devenir expert en sinistres. Un emploi de livreur de mets préparés est alors déterminé de façon unilatérale par la CSST.

[18]        Selon l’extrait du système « REPERE » retrouvé au dossier du tribunal, l’emploi de livreur de mets préparés consiste à conduire un véhicule afin de livrer à domicile des mets préparés. On y indique également que le salaire de cet emploi se situe entre 9,50 $ et 10 $ l’heure et que si le travailleur reçoit des pourboires, le salaire est de 8,25 $ l’heure.

[19]        Toujours dans cette fiche du système « REPERE », on peut y lire que pour occuper cet emploi, la personne doit aimer travailler en contact avec des gens, avoir de l’autonomie, de la courtoisie ainsi que le sens de l’organisation. Concernant les capacités physiques de cet emploi, la personne doit notamment être capable de soulever un poids de 5 à 10 kilos et de travailler en position assise et debout ou en marche. De plus, pour accéder à cet emploi, il est indiqué qu’une formation en cours d’emploi est généralement donnée, bien que certains employeurs peuvent exiger un diplôme d’études secondaires. Finalement, les perspectives d’emploi, pour les années 2009-2013, sont qualifiées « d’acceptables »  pour l’ensemble du Québec.

[20]        Le 9 décembre 2010, la CSST rend une décision par laquelle elle détermine que le travailleur est capable d’occuper, à compter du 25 novembre 2010, l’emploi convenable de livreur de mets préparés. De plus, la CSST détermine que cet emploi procurera au travailleur un revenu annuel brut de 19 813,20 $ et que ce dernier aura droit, à compter du 25 novembre 2011, à une indemnité réduite de remplacement du revenu de 15 237,32 $ par année.

[21]        Le 5 mai 2011, à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme la décision qu’elle a rendue le 9 décembre 2010.

[22]        Le 18 mai 2011, le travailleur conteste à la Commission des lésions professionnelles la décision rendue par la CSST le 5 mai 2011, d’où le présent litige.

[23]        Finalement, il est pertinent de mentionner que nous retrouvons au dossier du tribunal une description des tâches qu’effectuait le travailleur à titre de livreur-vendeur de croustilles lors de sa lésion professionnelle du 14 novembre 2005. Parmi les tâches effectuées par le travailleur, on y retrouve celles de livrer la marchandise aux différents clients avec un camion, placer les produits sur les tablettes, faire la rotation de ceux-ci ainsi que prendre les commandes des clients.

[24]        Lors de l’audience, le tribunal a entendu le témoignage du travailleur. Ce dernier déclare qu’il a commencé à travailler vers l’âge de 14 ans au garage de son père situé dans la région de Montréal. Par la suite, il a travaillé comme débosseleur puis, en 1973, le travailleur a ouvert un garage où il effectuait des travaux de carrosserie. Outre les tâches reliées au débosselage et à la peinture de véhicules, le travailleur s’occupait de commander les pièces et le matériel nécessaires pour son travail. Il précise que l’administration de son entreprise était effectuée par son épouse et qu’il avait aussi un comptable pour s’occuper des paies.

[25]        Au début des années 1980, le travailleur déclare avoir cessé, pendant quelque temps, les activités de son garage et avoir fait l’acquisition du garage de son père. Par la suite, il a de nouveau opéré son garage jusqu’en 1997, année où son épouse a eu une maladie puis est décédée en 1999. Le travailleur a alors mis en location son garage.

[26]        Par la suite, le travailleur témoigne avoir déménagé, au début des années 2000, dans la région de Rimouski et avoir tenté de démarrer une entreprise de déménagement, laquelle s’est avérée un échec. C’est finalement en 2005 qu’il a été engagé comme livreur-vendeur de croustilles par l’employeur au dossier.

[27]        En ce qui concerne l’emploi qu’il occupait en 2005, le travailleur déclare que ce n’était pas un emploi de vendeur. Son travail consistait seulement à livrer des croustilles aux commerces du territoire et à placer les sacs de croustilles dans les présentoirs. Le travailleur précise qu’il n’avait pas à faire de comptabilité ni à manipuler de l’argent.

[28]        Par ailleurs, le travailleur témoigne qu’à la suite de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 18 mai 2010, il a rencontré madame Coulombe 4 ou 5 fois aux bureaux de la CSST. Le travailleur déclare avoir mentionné à madame Coulombe qu’il voulait aller à l’école afin de terminer son secondaire, puis entreprendre des cours pour travailler à titre d’estimateur en assurances. Il explique que madame Coulombe ne voulait pas lui payer des cours de formation, car elle le trouvait trop âgé.

[29]        En ce qui concerne l’emploi de livreur de mets préparés déterminé par la CSST à l’automne 2010, le travailleur reconnaît qu’à cette époque, il demeurait à Chicoutimi. Il ajoute ne pas avoir rencontré d’employeurs potentiels dans cette localité, mais qu’il surveillait les emplois disponibles dans les journaux.

[30]        Par la suite, le travailleur témoigne avoir déménagé, au mois de juin 2011, à Saint-Henri de Taillon au Lac Saint-Jean, municipalité située à 38 kilomètres de la ville d’Alma. Le travailleur explique que dans sa localité, il n’y a pas de restaurants qui effectuent la livraison de mets préparés. Il ajoute qu’il a cependant entrepris des démarches d’emploi dans la ville d’Alma, notamment à la Rôtisserie St-Hubert Express. À cet endroit, il a rencontré la gérante du restaurant qui lui a offert un travail de livreur. Il s’agissait cependant d’un travail avec des heures « coupées » et qui impliquait de travailler le soir ou la fin de semaine. De plus, le travailleur indique que lorsqu’il n’avait pas de livraison à faire, il devait exécuter des travaux d’entretien ménager tels que laver des planchers.

[31]        Le travailleur poursuit son témoignage en déclarant que ce travail ne lui convenait pas, car il ne voulait travailler que du lundi au vendredi de jour, comme il le faisait dans ses emplois antérieurs.

[32]        Le travailleur poursuit son témoignage en expliquant qu’il a également effectué une démarche d’emploi dans un autre restaurant d’Alma (Goofy), mais qu’à cet endroit, on n’effectuait pas la livraison de mets préparés aux domiciles des clients, mais uniquement aux clients d’un hôtel situé à côté du restaurant.

[33]        Le travailleur a également contacté le restaurant Le Coq Roti, mais il n’a pu parler au gérant, puisque celui-ci était absent.

[34]        D’autre part, le travailleur déclare avoir vérifié les offres d’emplois dans les journaux et sur Internet ainsi que s’être rendu au bureau d’Emploi-Québec à Alma. À cet endroit, une préposée lui a dit qu’en deux ans à ce poste, elle n’a pas vu de poste de livreur de mets préparés disponibles.

[35]        En contre-interrogatoire, le travailleur déclare ne pas avoir effectué de retour sur le marché du travail depuis son accident du travail du 14 novembre 2005.

[36]        Concernant son refus de recevoir de l’aide pour la recherche d’emploi, le travailleur explique avoir déjà eu, dans le passé, une mauvaise expérience avec la firme de recherche d’emploi proposée par la CSST. De plus, il ne ressentait pas le besoin d’obtenir de l’aide à ce sujet.

[37]        Par ailleurs, le travailleur déclare que c’est au mois de septembre 2011, qu’il a fait les démarches d’emploi décrites précédemment dans des restaurants de la ville d’Alma. De plus, il confirme qu’il n’a rencontré aucun employeur potentiel lorsqu’il demeurait à Chicoutimi.

[38]        Le travailleur termine son témoignage en spécifiant que l’emploi offert à la Rôtisserie St-Hubert Express ne lui convenait pas, car il n’aurait travaillé que de 11 h à 14 h, ce qui est insuffisant compte tenu de la distance qu’il aurait eu à parcourir quotidiennement pour se rendre à son travail.

L’AVIS DES MEMBRES

[39]        Le membre issu des associations d’employeurs ainsi que le membre issu des associations syndicales sont d’avis unanime que la requête du travailleur doit être rejetée.

[40]        Ils sont d’avis que la preuve prépondérante est à l’effet que l’emploi de livreur de mets préparés représente un emploi convenable pour le travailleur, puisque cet emploi respecte toutes les conditions prévues à l’article 2 de la loi.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[41]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’emploi de chauffeur-livreur de mets préparés constitue, pour le travailleur, un emploi convenable au sens de la loi.

[42]        L’article 2 de la loi définit comme suit la notion d’emploi convenable :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les
conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.

 

 

[43]        En fonction de cette définition, un emploi pourra être qualifié de convenable s’il répond aux 5 critères suivants :

-        il s’agit d’un emploi approprié;

-        qui permet au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle;

-        qui permet au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles;

-        qui présente une possibilité raisonnable d’embauche;

-        qui ne comporte pas de danger pour la santé et la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion.

[44]        De façon plus détaillée, la Commission des lésions professionnelles définissait ainsi, dans l’affaire Duguay et Construction du Cap-Rouge inc.[3], ces 5 critères.

[51] Il est ainsi généralement établi que pour être qualifié de « convenable » au sens de la loi, un emploi doit respecter les conditions suivantes :

 

être approprié, soit respecter dans la mesure du possible les intérêts et les aptitudes du travailleur;

 

permettre au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle, soit plus particulièrement respecter ses limitations fonctionnelles, qu’elles soient d’origine professionnelle ou personnelle;

 

permettre au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles, dans la mesure du possible, soit tenir compte de sa scolarité et de son expérience de travail;

 

présenter une possibilité raisonnable d’embauche, ce qui ne signifie pas que l’emploi doit être disponible. Cette possibilité doit par ailleurs s’apprécier en regard du travailleur et non de façon abstraite;

 

[…]

 

ne pas comporter de danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité du travailleur compte tenu de sa lésion, soit, notamment, ne pas comporter de risque réel d’aggravation de l’état du travailleur ni de risque d’accident en raison des limitations fonctionnelles.

 

 

 

[45]        Afin de rendre la présente décision, la Commission des lésions professionnelles est liée par les limitations fonctionnelles émises par le docteur Cloutier du Bureau d’évaluation médicale, à savoir :

ü         Éviter des mouvements répétitifs de flexion et d’extension du coude gauche;

ü    Éviter la flexion forcée du coude gauche;

ü    Éviter les contacts à la partie postéro-interne du coude gauche. [sic]

 

 

[46]        En l’espèce, la procureure du travailleur invoque que l’emploi de livreur de mets préparés n’est pas un emploi convenable, puisque cet emploi n’est pas approprié pour le travailleur et qu’il ne présente pas une possibilité raisonnable d’embauche. Elle soumet que cet emploi comporte des heures de travail entrecoupées qui impliquent aussi de travailler le soir et la fin de semaine. De plus, cet emploi comporte des tâches d’entretien ménager qui sollicitent le coude gauche du travailleur. Finalement, elle allègue que le travailleur n’est pas compétitif sur le marché du travail, puisque ce genre d’emploi est souvent occupé par des jeunes et qu’au surplus, ce type d’emploi n’est pas disponible dans la région où demeure le travailleur.

[47]        Avec égard, le tribunal ne peut retenir ces prétentions.

[48]        Tout d’abord, le tribunal estime que l’emploi de livreur de mets préparés est un emploi approprié puisqu’il respecte les intérêts et les aptitudes du travailleur. En effet, selon le dossier du tribunal, le travailleur a déclaré à l’agente de la CSST qu’il est courtois, sociable, qu’il communique facilement avec les gens et qu’il a le sens de l’organisation. Or, selon la description de l’emploi de livreur de mets préparés contenue dans le système « REPERE », les qualités personnelles requises pour occuper cet emploi sont notamment le sens de l’organisation, la courtoisie et aimer travailler en contact avec des gens, ce qui correspond avec les qualités personnelles du travailleur.

[49]        De plus, le tribunal constate que les tâches d’un emploi de livreur de mets préparés ont certaines similitudes avec celles qu’effectuait le travailleur à titre de vendeur-livreur chez l’employeur, dont celles de conduire un véhicule et de livrer de la marchandise chez des clients.

[50]        Au surplus, le tribunal tient à rappeler que la loi n’oblige pas la CSST à déterminer un emploi qui serait le plus approprié, idéal ou qui correspond parfaitement aux goûts du travailleur, mais plutôt à retenir un emploi approprié. Dans l’affaire Proulx et Ville de St-Raymond[4], le tribunal indiquait que « déterminer un emploi qui est idéal pour le travailleur, est peut-être souhaitable mais, ce n’est pas ce que la loi exige ». La Commission des lésions professionnelles ajoutait, dans l’affaire Jalbert et La Boîte à coupe[5] que «  Lorsque l’emploi ne colle pas parfaitement aux goûts, aux préférences et aux aptitudes d’un travailleur, on peut, selon le cas, conclure qu’il est tout de même approprié.».

[51]        Quant à l’argument du travailleur, à l’effet que ce qu’il désirait était de pouvoir entreprendre des études de niveau collégial afin de pouvoir occuper un emploi d’estimateur en assurances, le tribunal estime opportun de rappeler au travailleur qu’il ne peut exiger que la CSST lui paie des études afin de pouvoir occuper un emploi convenable.

[52]        En effet, l’article 172 de la loi prévoit que :

172.  Le travailleur qui ne peut redevenir capable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle peut bénéficier d'un programme de formation professionnelle s'il lui est impossible d'accéder autrement à un emploi convenable.

 

Ce programme a pour but de permettre au travailleur d'acquérir les connaissances et l'habileté requises pour exercer un emploi convenable et il peut être réalisé, autant que possible au Québec, en établissement d'enseignement ou en industrie.

__________

1985, c. 6, a. 172; 1992, c. 68, a. 157.

 

 

[53]        Ainsi donc, selon cet article 172 de la loi, il est possible, pour un travailleur, de bénéficier d’un programme de formation professionnelle seulement s’il lui est impossible d’accéder autrement à un emploi convenable. Or, la preuve au dossier démontre qu’il lui était possible d’accéder à un emploi convenable, sans formation particulière.

[54]        De plus, le tribunal souscrit entièrement aux propos tenus dans l’affaire Samuel & 9157-5837 Québec inc. & CSST[6] où l’on peut lire que:

Si un travailleur souhaite améliorer son sort et acquérir à cette fin une formation, celle-ci demeure avant tout sa responsabilité propre. Dans le cadre du régime d’indemnisation des victimes de lésions professionnelles, telle formation n’est prévue que si le travailleur ne peut réintégrer le marché du travail à des conditions s’apparentant à celles dont il bénéficiait avant son accident ou sa maladie. Le système mis en place en est un de réinsertion au travail et non de perfectionnement des travailleurs. La formation n’est qu’un moyen de rencontrer le premier objectif8.

_______________________

8      Sarrazin et Fabrication Terco ltée, C.L.P. 50126-62-9303, 4 août 1994, L. Thibault; Jalbert et Boîte à coupe (La), C.L.P. 151993-31-0011, 25 mars 2002, G. Tardif.

 

 

[55]        Par ailleurs, le tribunal est d’avis que l’emploi de livreur de mets préparés présente une possibilité raisonnable d’embauche. En effet, selon le système « REPERE », les perspectives d’emploi pour l’ensemble du Québec sont qualifiées d’acceptables. D’ailleurs, le tribunal retient que lors des 2 ou 3 démarches d’emploi du travailleur, un emploi de livreur lui a été offert, emploi que ce dernier a refusé pour différentes raisons. Cela confirme donc, de l’avis du tribunal, que ce type d’emploi est disponible dans la région du domicile du travailleur.

[56]        Au surplus, à l’instar de l’affaire Milette & Services d’arbres Robec & CSST[7], le soussigné estime que les deux à trois démarches d’emploi effectuées par le travailleur chez des employeurs, moins d’un mois avant l’audience devant la Commission des lésions professionnelles, sont largement insuffisantes pour conclure que l’emploi de livreurs de mets préparés ne présente pas une possibilité raisonnable d’embauche.

[57]        Par ailleurs, relativement à l’argument de la procureure du travailleur selon lequel il n’y a pas de restaurants dans la localité de ce dernier qui effectuent de la livraison de mets préparés et que, par conséquent, cet emploi ne présente pas une possibilité raisonnable d’embauche, le tribunal estime que cette prétention doit également être rejetée.

[58]        En effet, le tribunal est d’avis que l’évaluation des possibilités raisonnables d’embauche d’un emploi doit se faire au moment de la décision de la CSST et en tenant compte du lieu de résidence du travailleur à ce moment.

[59]        Or, au mois de décembre 2010, le travailleur demeurait à Chicoutimi et la preuve démontre que ce dernier n’a fait aucune démarche d’emploi directement auprès d’employeurs potentiels. Au surplus, le tribunal estime qu’en prenant la décision, au mois de juin 2011, de déménager en milieu rural, le travailleur devait s’attendre à avoir plus de difficulté à se trouver un travail de livreur de mets préparés. Il s’agit toutefois là d’un choix personnel du travailleur qui ne peut être valablement invoqué à l’encontre de la décision d’emploi convenable rendue par la CSST.

[60]        Quant à l’argument suivant lequel le travailleur ne serait pas, en raison de son âge, compétitif sur le marché du travail, puisque les emplois de livreurs sont généralement occupés par des jeunes, le tribunal ne peut retenir cette prétention et s’en remet au raisonnement tenu dans l’affaire Bauer et Automobiles Bauer ltée et CSST[8] où l’on peut lire que :

Quant à l’âge du travailleur, ceci est compensé par le fait qu’il apporte une expérience de plusieurs années.  Retenir l’âge d’un travailleur comme le rendant nécessairement non compétitif ou comme écartant toute possibilité d’embauche équivaudrait à mettre au rancart tous les travailleurs qui ont atteint un certain âge au moment où ils subissent une lésion professionnelle.  De plus, le travailleur n’a fourni aucune preuve réelle qu’il ne pouvait trouver d’emploi à cause de son âge.  Si cela était, d’autres remèdes existent, car il s’agit là d’une pratique discriminatoire. [sic]

 

[61]        Au surplus, le tribunal rappelle que dans le présent dossier, la preuve démontre que malgré qu’il ait atteint l’âge de 62 ans, un emploi de livreur de mets préparés a été offert au travailleur. Finalement, le tribunal ne peut retenir le raisonnement contenu dans l’affaire Lavoie & Laval Fortin & CSST[9] invoquée par la procureure du travailleur, puisque dans cette affaire, le travailleur avait fait des démarches d’emploi « sérieuses, pertinentes et appropriées », ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[62]        Le tribunal conclut donc que l’emploi de livreur de mets préparés présente une possibilité raisonnable d’embauche pour le travailleur.

[63]        D’autre part, le tribunal est d’avis que l’emploi de livreur de mets préparés permet au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle et ne comporte pas de danger pour sa santé ou son intégrité physique.

[64]        En effet, la preuve ne démontre pas que cet emploi comporte des tâches qui impliquent des mouvements répétitifs de flexion ou d’extension du coude gauche, de flexions forcées du coude gauche ou des contacts avec la partie postéro-interne du coude gauche.

[65]        Relativement aux tâches d’entretien telles que laver des planchers que le travailleur allègue avoir eu à effectuer lorsqu’il n’a pas de livraison à faire, le tribunal constate que la preuve à ce sujet est vague et imprécise. En effet, la preuve ne révèle aucunement la fréquence ni la durée de ces tâches. De plus, le tribunal rappelle que les limitations fonctionnelles du travailleur ne l’empêchent pas d’utiliser son coude gauche, mais plutôt d’éviter d’effectuer des mouvements répétitifs, de flexions forcées ou des contacts avec son coude gauche. La preuve ne permet donc pas de conclure au non-respect des limitations fonctionnelles du travailleur.

[66]        En ce qui concerne la limitation fonctionnelle de nature personnelle que le travailleur invoque avoir et en fonction de laquelle il ne pourrait demeurer debout ou marcher plus de 30 à 60 minutes consécutives, le tribunal constate que le travailleur n’a déposé aucune preuve de nature médicale confirmant ou étayant la présence de cette limitation fonctionnelle à la jambe gauche. Au surplus, le tribunal est d’avis que de part sa nature, l’emploi de livreur de mets préparés permet de passer régulièrement de la position debout à la position assise, respectant par le fait même cette limitation fonctionnelle de nature personnelle.

[67]        Finalement, le tribunal constate que l’emploi convenable de livreur de mets préparés permet au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles, puisque cet emploi a des similitudes avec celui de vendeur-livreur de croustilles occupé par celui-ci lors de sa lésion professionnelle du 14 novembre 2005. En effet, selon les descriptions d’emplois retrouvées au dossier, ces deux emplois impliquent de livrer avec un véhicule de la marchandise à une clientèle sur un territoire donné. L’expérience de travail acquise par le travailleur dans l’emploi de vendeur-livreur de croustilles est donc transférable dans l’emploi de livreur de mets préparés.

[68]        La Commission des lésions professionnelles conclut donc que l’emploi de livreur de mets préparés constitue, pour le travailleur, un emploi convenable au sens de la loi.

[69]        En terminant, compte tenu que la procureure du travailleur n’a pas remis en question ni présenté de preuve se rapportant au revenu brut estimé de l’emploi de livreur de mets préparés, ainsi que relativement aux indemnités réduites de remplacement du revenu auxquelles le travailleur a droit à compter du 25 novembre 2011, ces éléments doivent donc être confirmés.

[70]        Par conséquent, la requête du travailleur doit être rejetée.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de monsieur Maurice Crépeau, le travailleur;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 5 mai 2011 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’emploi de livreur de mets préparés constitue un emploi convenable pour le travailleur;

DÉCLARE que le travailleur est capable d’exercer cet emploi convenable à compter du 25 novembre 2010;

DÉCLARE que le revenu brut annuel de cet emploi convenable est de 19 813,20 $;

DÉCLARE qu’à compter du 25 novembre 2011, le travailleur a droit à une indemnité réduite de remplacement du revenu conformément aux dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

 

Jean Grégoire

 

 

 

Me Michelle Labrie

LORD, LABRIE, NADEAU AVOCATS

Représentante de la partie requérante

 

Me Hélène Bérubé

VIGNEAULT, THIBODEAU, BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Crépeau et Aliments Old Dutch limitée, C.L.P. 394920-02-0911, 18 mai 2010, R. Bernard.

[3]           [2001] C.L.P. 24

[4]          C.L.P. 102034-03-9806, 10 février 1999, M. Beaudoin.

[5]          C.L.P. 151993-32-0011, 25 mars 2002, G. Tardif.

[6]           C.L.P. 429871-01B-1102, 30 août 2011, J.-F. Clément.

[7]           C.L.P. 166073-04-0107, 29 novembre 2001, F. Mercure.

[8]           c.a.l.p. 6510028-64-9412, 24 avril 1996, L. Thibault.

[9]           C.L.P. 390643-02-0910, 3 mai 2011, R. Bernard.

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