Fraser Milner Casgrain, s.e.n.c.r.l. c. Gestion Lebski inc.

2014 QCCQ 5257

COUR DU QUÉBEC

 

 

 

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile»

 

 

N° :

500-22-208815-145

 

 

 

 

DATE :

13 juin 2014

 

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

ELIANA MARENGO, J.C.Q.

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FRASER MILNER CASGRAIN, s.e.n.c.r.l.

 

Demanderesse

 

c.

 

GESTION LEBSKI INC.

 

Défenderesse

 

 

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JUGEMENT RENDU SÉANCE TENANTE

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La version écrite de ce jugement contient quelques modifications de forme, aux fins de compréhension.

[1]           Le nœud du présent litige réside dans l'entête et le corps du document pièce D-5 intitulé « Frais d'appel ».

[2]           Lorsque l'avocat Stefan Martin, anciennement de chez la demanderesse, rédigeait ce document, le 2 février 2010, ce n'était pas pour rien dire.

[3]           Le but était de fixer « un budget d'appel », soit un budget pour instituer des procédures en appel et plaider le dossier d'appel dans l'affaire Gestion Finance Tamalia Inc. et Gestion Lebski Inc. et Sylvain Leblanc c. Dominique Garrel et Option Consommateurs.

[4]           Dans le document, l'avocat, un spécialiste chevronné en la matière concernée, soit la diffamation, prenait soin de souligner qu'il y avait réfléchi et qu'il se basait sur son expérience dans d'autres dossiers d'appel pour fixer ledit budget à 38 500 $ (61 500 $ en tout, si l'on inclut les frais de transcription et les frais de confection du mémoire d'appel).

[5]           Selon Sylvain Leblanc, représentant de la défenderesse, au dîner qui a suivi la rédaction de ce document (Martin fait d'ailleurs allusion à ce dîner dans le document), les parties ont discuté en long et en large du dossier d'appel, y compris la possibilité d'incidents, et se sont entendues une fois pour toutes sur les montants détaillés dans la lettre D-5. D'ailleurs, le témoignage crédible de Leblanc ne fut pas contredit par Martin qui n'était pas présent à l'audition et n'a pas témoigné.

[6]           Le mot budget est défini dans le Petit Larousse comme étant « un ensemble de recettes et de dépenses d'un particulier, d'une famille, d'un groupe; somme dont on dispose ».

[7]           Les parties disposaient donc d'une somme totale de 61 500 $ pour mener le dossier d'appel à bon port.

[8]           La pièce D-5 constitue, ni plus ni moins, une entente écrite sur honoraires. Le titre « Frais d'appel » est écrit en gras et en gros caractères. L'essence du document est claire. Nous sommes devant un contrat de services professionnels (régi par les articles 2098 et suivants du Code civil du Québec). Le mot « approximatif » fait en sorte que c'est l'article 2107 du C.c.Q. qui s'applique. C'est un contrat dont le prix des services a fait l'objet d'une estimation.

[9]           L'article 2107 C.c.Q. se lit comme suit:

« Si, lors de la conclusion du contrat, le prix des travaux ou des services a fait l'objet d'une estimation, l'entrepreneur ou le prestataire de services doit justifier toute augmentation du prix.

Le client n'est tenu de payer cette augmentation que dans la mesure où elle résulte de travaux, de services ou de dépenses qui n'étaient pas prévisibles par l'entrepreneur ou le prestataire de services au moment de la conclusion du contrat. »

 

[10]        La demanderesse poursuit la défenderesse pour la somme de 36 258,11 $, alléguant solde dû et impayé pour services professionnels rendus et débours encourus.

[11]        Cependant, selon la loi, la défenderesse n'est tenue de payer une augmentation de l'estimation que dans la mesure où elle résulte de services ou de dépenses qui n'étaient pas prévisibles par Martin au moment de la conclusion du contrat.

[12]        La demanderesse se base, entre autres, sur les incidents intervenus en cours d'instance (demande de rectification de jugement; requête en rejet d'appel; requêtes pour cautionnement; gestion de l'instance; et requête en retrait de pièce) pour justifier l'augmentation du prix de ses services.

[13]        Or, ces incidents n'avaient rien d'imprévisible dans le contexte de ce dossier fort important, médiatisé et contesté. De plus, tel que déclaré par Leblanc lors de discussions menant à la conclusion de l'entente D-5, les parties ont établi que les incidents, si incident il y aurait, étaient compris dans le prix budgétisé.

[14]        Comment donc justifier cette augmentation importante de prix qui est venue doubler le montant des honoraires demandés? Impossible.

[15]        Cette façon d'agir de la demanderesse, qu'elle ait agi seule ou comme le prétend Leblanc sous l'influence (ou comme conséquence) de la fusion intervenue entre celle-ci et un autre bureau d'avocats en 2013 (la note d'honoraires date de 2012, mais l'action ne fut intentée qu'en 2014, soit après la fusion de 2013), est déraisonnable.

[16]        Vu l'entente sur honoraires D-5, la demanderesse ne peut prétendre avoir droit au double des honoraires sans justification valable. Ceci va non seulement à l'encontre de l'article 3.08.03 du Code de déontologie des avocats[1] , qui se lit comme suit:

« L'avocat doit éviter toutes les méthodes et attitudes susceptibles de donner à sa profession un caractère de lucre et de commercialité. »

mais également à l'encontre des articles 1375, 6 et 7 C.c.Q.

[17]        N'oublions pas que l'avocat Stéphane Teasdale, de chez la demanderesse, faisait affaires avec Leblanc et ses compagnies depuis 20 ans. La demanderesse et/ou Teasdale ont bénéficié des affaires et des honoraires découlant des nombreux dossiers importants que leur a confiés Leblanc et ses compagnies.

[18]        En 20 ans, jamais Leblanc et/ou ses compagnies ont-ils fait défaut d'honorer leurs obligations financières envers la demanderesse et/ou Teasdale. Ils ont toujours payé leurs comptes. Nous n'avons pas devant nous un client récalcitrant quant aux honoraires. Au contraire.

[19]        Ici, suite à un concours de circonstances, qui comprend le départ de Martin du bureau de la demanderesse, on a voulu profiter de la défenderesse et de Leblanc et mettre de côté l'entente intervenue entre les parties, au risque de le répéter, sans motif valable.

[20]        De plus, le Tribunal tient à souligner que la demanderesse a également fait défaut de respecter son obligation de renseignement envers sa cliente (article 3.08.04 du Code), en ne l'avisant pas de son intention de ne plus respecter le budget qu'elle avait elle-même établi de par son expertise, budget qui d'ailleurs était déjà dépassé depuis le mois de mai 2011 et payé, et ce de quelques milliers de dollars, à savoir entre 6 000 $ et 7 000 $ (l'entente prévoyait des honoraires de 38 500 $; la défenderesse a payé 45 000 $; et la demanderesse prétend avoir droit à 75 000 $). Cette obligation de renseignement n'est pas arrêtée dans le temps. Elle ne meurt pas à un moment donné durant le mandat. Elle accompagne l'avocat tout au long du mandat. C'est lui le spécialiste, et il doit protéger les intérêts de son client.

[21]        Cette façon d'agir par la demanderesse doit être sanctionnée, et la façon dont le Tribunal choisit de le faire est de rejeter la demande, même au niveau des débours taxables de 1 335,65 $ inclus dans la note d'honoraires P-1.

[22]        Enfin, le Tribunal désire également souligner que le témoignage de Leblanc fut corroboré en tout point par les écrits déposés en preuve, de part et d'autre, dont l'entente sur honoraires précédente pièce D-2 concernant le même dossier en première instance et les nombreuses anciennes factures émises et payées (pièce D-3 en liasse), où l'on voit que, dans le passé, la demanderesse a toujours réduit ses factures afin de les rendre conformes à l'entente. C'est dommage qu'en cours de route, elle ait changé sa façon d'agir et de traiter son très bon client.

[23]        Leblanc a donc peut-être raison d'opiner que le problème dans le présent dossier découle de la fusion intervenue entre la demanderesse et l'autre bureau d'avocats. Quoiqu'il en soit, le Tribunal est néanmoins convaincu que la genèse du problème résulte plutôt d'une autre chose, à savoir l'avarice.

 

 

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

REJETTE la demande, avec dépens.

 

 

 

 

 

 

 

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ELIANA MARENGO, J.C.Q.

 

 

 

 

 

Me Catherine Pilon

Dentons Canada s.e.n.c.r.l.

Avocats de la demanderesse

 

Me Claudia Desjardins-Belisle

Miller Thomas s.e.n.c.r.l.

Avocats de la défenderesse

 

 

 

 

Dates d’audience :

12 et 13 juin 2014

 



[1] R.R.Q., 1981, c. B-1, r. 1



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