Cascades Transport Cabano inc. c. Commission des relations du travail |
2015 QCCS 5336 |
JL2845 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
KAMOURASKA
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No : |
250-17-001185-151
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DATE : |
9 novembre 2015
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : l’HONORABLE jean-roch landry, j.c.s. |
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CASCADES TRANSPORT CABANO INC., personne morale légalement constituée ayant son siège au 23, route des Érables, Témiscouata-sur-le-Lac, district de Kamouraska, G0L 1E0 |
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Requérante
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c. |
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COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL, tribunal statutaire ayant une place d’affaires au 900, boul. René-Lévesque Est, 5ième étage, Québec, district de Québec, G1R 6C9 |
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Intimée
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MARTIN VAILLANCOURT, domicilié et résidant au […], Rivière-du-Loup, district de Kamouraska, […] |
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Mis en cause
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JUGEMENT |
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[1] Cascades Transport Cabano inc. (l’Employeur) se pourvoit en révision judiciaire d’une décision rendue le 8 janvier 2015 par Me Lyne Thériault (la Commissaire), par laquelle cette dernière, entre autres, annule le congédiement imposé au mis en cause, Martin Vaillancourt (M. Vaillancourt), le 5 février 2014 et ordonne à l’Employeur de réintégrer M. Vaillancourt dans son emploi, avec tous ses droits et privilèges, dans les huit (8) jours de la signification de ladite décision.
LES FAITS
[2] Lors de la présentation de la requête, les procureurs reconnaissent que l’exposé des faits, tel que reproduit à la requête de l’Employeur, sans les inférences, est représentatif de la situation à l’origine du litige. Ces faits peuvent être relatés comme suit :
- l’Employeur est une entreprise dont les activités principales, habituelles et régulières consistent en du transport au Québec et à l’extérieur du Québec pour ses propres biens (Groupe Cascade) ;
- le mis en cause, Martin Vaillancourt, est un salarié de l’Employeur ;
- à compter du 7 octobre 2008, M. Vaillancourt est embauché par 146814 Canada Ltée (Transport VTL) et occupe un poste de chauffeur de camion remorque ;
- à ce titre, M. Vaillancourt est appelé à faire du transport extraprovincial, notamment en Ontario et aux États-Unis ;
- Transport VTL est une entreprise de compétence fédérale ;
- le 20 décembre 2012, l’Employeur et Transport VTL conviennent d’une convention de vente d’éléments d’actifs. L’Employeur achète les éléments suivants :
· les remorques ;
· les camions ;
· les inventaires de biens en stock, dont les pièces de rechange pour les équipements et des pneus ;
· les équipements et le mobilier de bureau, l’ensemble de l’achalandage et les droits de transport VTL dans les numéros de téléphone et télécopieur ;
- le 5 février 2014, M. Vaillancourt est congédié par l’Employeur pour les motifs exposés au paragraphe 12 de la décision sous analyse ;
- M. Vaillancourt, dans un premier temps, dépose auprès du Programme du travail d’Emploi et Développement Social du Canada une plainte alléguant un congédiement injuste en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail[1] ;
- le 6 mars 2014, M. Vaillancourt dépose à la Commission des normes du travail une plainte alléguant un congédiement sans cause juste et suffisante en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail[2] ;
- le 26 mars 2014, le Programme du travail d’Emploi et Développement Social du Canada rejette la plainte du mis en cause puisque l’Employeur ne relève pas de la compétence fédérale[3] ;
- le 5 janvier 2015, la décision visée par la requête sous étude est rendue. Notamment, le congédiement imposé le 5 février 2014 est annulé et une suspension d’une durée de trois (3) mois lui est substituée ;
- le 3 février 2015, l’Employeur introduit la requête introductive d’instance sous étude.
LA DÉCISION ENTREPRISE
[3] Statuant d’abord sur l’argument de l’Employeur, selon lequel M. Vaillancourt ne peut bénéficier de la protection de l’article 124 L.n.t. puisqu’au moment de son congédiement il ne justifiait pas de deux ans de service continu chez l’Employeur - une des conditions d’ouverture du recours -, la Commissaire conclut que le changement de compétence juridictionnelle des activités de transport de l’Employeur de M. Vaillancourt depuis 2008, résultant de l’aliénation de l’entreprise en décembre 2012, n’affecte pas, en l’espèce, le calcul du service continu de ce dernier dans la mesure où suffisamment d’éléments établissent la continuité de l’entreprise :
« [45] L’ensemble des actifs vendus dont notamment les camions, les remorques, les inventaires, les équipements de bureau, la liste des clients et les employés transférés constituent suffisamment d’éléments pour conclure qu’il y a continuité d’entreprise. Bien que certains des clients furent délaissés à l’automne 2013, il n’en demeure pas moins que le plus important, Norampac/Cascades, est toujours desservi et que la poursuite des activités se fait sur les mêmes assises. Le seul fait que les activités de transport se concentrent désormais sur le territoire québécois ne change pas cette situation.
[46] La Commission ne peut retenir la prétention voulant qu’il ne puisse y avoir de continuité d’application des normes du travail. Selon l’Employeur, la mise en œuvre de celles-ci ne débute que lors du changement de compétence juridictionnelle des activités de transport de l’entreprise, soit le 3 janvier 2013. Accréditer cette thèse serait une aberration juridique signifiant que pendant les deux années suivant le changement de compétence juridictionnelle, un salarié ne pourrait bénéficier de la protection de l’article 124 de la Loi ou des autres dispositions requérant une certaine période de service continu. Dans le cas à l’étude, le plaignant se trouverait sans protection contre un congédiement sans cause pendant deux ans puisque, n’oublions pas, l’autorité fédérale a refusé de donner suite à sa plainte. »
[4] Concluant de ce fait au respect des conditions d’application de l’article 124 L.n.t., la Commissaire passe ensuite au fond de l’affaire. Elle estime que les fautes commises par M. Vaillancourt ne sont pas assez graves pour justifier son congédiement et passer outre au principe de la gradation des sanctions. Elle annule donc le congédiement imposé le 5 février 2014 et y substitue une suspension de trois mois.
LA POSITION DES PARTIES
L’Employeur
[5] L’Employeur ne remet pas en question l’annulation du congédiement de M. Vaillancourt.
[6] Il conteste uniquement la conclusion préliminaire de la Commissaire relative au respect des conditions d’ouverture du recours prévu à l’article 124 L.n.t., voire celle voulant que M. Vaillancourt bénéficiait de deux ans de service continu lors de son congédiement.
[7] Selon l’Employeur, le changement de compétence juridictionnelle des activités de l’entreprise a interrompu le calcul du service continu de M. Vaillancourt, lequel, pour les fins de l’application de la Loi sur les normes du travail, ne pouvait débuter avant le 3 janvier 2013, date où l’entreprise est officiellement passée sous la juridiction provinciale.
[8] Puisqu’il s’agit-là d’une question de compétence, dit l’Employeur, la norme d’intervention doit être celle de la décision correcte.
M. Vaillancourt
[9] M. Vaillancourt soutient la raisonnabilité, voire même l’exactitude, de la décision entreprise : même s’il en résulte un changement de compétence législative, l’aliénation d’une entreprise qui entraîne un changement d’employeur ne prive pas un salarié de ses droits lorsqu’il y a continuité de l’entreprise.
La Commissaire
[10] Considérant les limites de son pouvoir d’intervention à ce stade, la Commissaire se contente de rappeler que la notion de « service continu » est au cœur de sa compétence spécialisée.
LA NORME DE CONTRÔLE
[11] Le litige opposant les parties repose essentiellement sur l’interprétation de la notion de « service continu », à titre de condition d’ouverture du recours à l’encontre d’un congédiement fait sans une cause juste et suffisante (art. 124 L.n.t.), dans un contexte d’aliénation d’entreprise entraînant un changement de compétence juridictionnelle.
[12] Pour l’un, il s’agit d’une question de compétence commandant l’application de la norme de la décision correcte, pour les autres, d’une question d’interprétation d’une loi liée au mandat spécialisé de la Commissaire, appelant par le fait même la déférence.
[13] Des récents enseignements jurisprudentiels en matière de contrôle judiciaire, le tribunal retient les principes suivants :
- l’analyse relative à la norme de contrôle, qui permet de cerner l’étendue du contrôle auquel doit être soumise la décision du décideur administratif en cause, requiert l’examen de quatre facteurs contextuels : (1) la présence ou l’absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel, (2) l’expertise du tribunal administratif relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige, (3) l’objet de la loi et de la disposition particulière et (4) la nature de la question en litige, i.e. de droit, de fait ou mixte de fait et de droit[4] ;
- la pondération de ces quatre facteurs amènera l’application de l’une des deux normes de contrôle possibles, soit celle de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte ;
- la norme de la décision raisonnable implique un certain degré de déférence ; la cour de révision se demande si la décision entreprise et sa justification revêtent un caractère raisonnable, lequel tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit[5].
Elle est généralement de mise en présence d’une clause privative, d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, d’une question de droit qui ne revêt pas une importance capitale pour le système judiciaire alors qu’il y a une clause privative et que le décideur œuvre dans le cadre d’un régime administratif distinct et particulier à l’égard duquel il possède une expertise spéciale, lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent être aisément dissociés, lorsque le tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat dont il a une connaissance approfondie ou, encore, lorsqu’il s’agit de l’application d’une règle générale de common law ou de droit civil pour laquelle le tribunal administratif a acquis une expertise dans son domaine spécialisé[6] ;
- la norme de la décision correcte commande peu ou pas de déférence à l’égard du décideur administratif ; il y a une seule décision possible et il doit l'avoir prise[7].
Elle trouve généralement application en présence de questions touchant au partage des compétences entre le Parlement et les provinces, de véritables questions de compétence et de constitutionnalité, de questions de droit générales à la fois d'une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble[8] et étrangères au domaine d'expertise du décideur[9] et aux questions de la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents[10];
- il n’est pas nécessaire d’entreprendre l’analyse relative à la norme de contrôle si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à la catégorie de question en cause[11];
- il faut éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence et de l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard[12];
- la « compétence » s’entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question ; ainsi une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question[13] ;
- peu de questions appartiennent à la catégorie des véritables questions de compétence[14] ; elles ont une portée étroite et se présentent rarement[15] ;
- sauf situation exceptionnelle, il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de sa propre loi constitutive ou d'une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie est une question d'interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire ou, en d’autres termes, l’application de la norme de la décision raisonnable[16] ;
- il appartient à la partie qui prétend soulever une véritable question de compétence d’établir les raisons pour lesquelles l’interprétation de sa loi constitutive ou d’une loi étroitement liée à son mandat spécialisé par le tribunal administratif ne devrait pas s’effectuer au regard de la norme de la décision raisonnable[17].
[14] Bien que le service continu requis soit une condition essentielle à la recevabilité du recours fondé sur l’article 124 L.n.t., il n’en résulte pas pour autant une question de compétence au sens où l’entend la jurisprudence récente, i.e. au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question.
[15] En effet, d’une part, le législateur a expressément investi la Commission des relations du travail[18] et ses commissaires du pouvoir de statuer sur un recours fondé sur l’article 124 L.n.t.[19], en plus de les protéger par une clause privative générale et intégrale[20].
[16] D’autre part, intervenant à l’occasion de l’exercice de ce pouvoir, l’interprétation de la notion de « service continu » par la Commissaire eu égard au contexte particulier de l’affaire constitue une question mixte de fait et de droit faisant appel à des notions relevant du domaine des relations du travail, le champ spécialisé de la CRT[21], en regard d’une loi étroitement liée à son mandat et dont elle a une connaissance approfondie.
[17] Considérant ce qui précède, il y a lieu, à la lumière des principes énoncés plus avant, d’appliquer la norme de la décision raisonnable à la conclusion préliminaire de la Commissaire relative à l’interprétation législative de la notion de « service continu »[22].
[18] Ce faisant, la Cour supérieure n’interviendra que si la décision de la Commissaire est déraisonnable, i.e. si son appartenance aux issues possibles acceptables ne peut se justifier en regard des faits et du droit.
L’ANALYSE ET LA DÉCISION
La raisonnabilité de la décision entreprise
[19] D’entrée de jeu, rappelons que la décision visée par le contrôle est présumée raisonnable, sauf preuve contraire de la requérante[23].
[20] Aussi, il n’appartient pas au tribunal de révision de substituer son appréciation de la preuve à celle du décideur administratif. Si la décision visée trouve une assise factuelle, voire que les conclusions factuelles sont raisonnables, étayées et découlent de l’appréciation de la preuve administrée par les parties, le tribunal de révision doit s’abstenir de s’ingérer dans l’exercice de la juridiction du décideur administratif[24].
[21] Ceci étant dit, comme le souligne la Commissaire au paragraphe 43 de la décision entreprise, le service continu s’attache à l’entreprise et non à celui qui l’administre.
[22] C’est en effet ce qui ressort d’une lecture combinée des articles 97 et 124 L.n.t. et de la jurisprudence pertinente:
[13] Par l’effet conjugué des articles 97 et 124, le législateur a voulu que le service continu soit rattaché à l’entreprise, peu importe celui qui l’administre ou les variations de sa structure juridique, et ce, afin d’assurer une stabilité relative des conditions de travail. La propriété de l’entreprise peut être modifiée par une vente, entre autres, mais la continuité de l’application des normes du travail [desquelles fait partie le service continu] se rattache à l’entreprise plutôt qu’à l’employeur lui-même. Ainsi, selon l’article 97 de la loi, un salarié est réputé travailler pour une même entreprise lorsqu’il y a aliénation d’entreprise.[25]
[ soulignements ajoutés ]
[23] En somme, le calcul du service continu d’un salarié n’est pas affecté par le changement d’employeur découlant de l’aliénation de l’entreprise[26] lorsqu’il y a continuité de cette dernière par l’employeur successif ; dans un tel cas, les années de services accumulées chez l’ancien employeur doivent être considérées pour le calcul du service continu du salarié congédié par le nouvel employeur.
[24] L’examen de la continuité de l’entreprise est pour le reste une question de fait qui nécessite une appréciation de la preuve au regard des critères élaborés par les tribunaux, tel que les a rappelés la Commissaire au paragraphe 44 de la décision sous étude, à savoir:
173 Au lieu d'être réduite à une liste de fonctions, l'entreprise recouvre l'ensemble des moyens dont dispose un employeur pour atteindre la fin qu'il recherche. J'adopte la définition de l'entreprise proposée par le juge Lesage dans une affaire subséquente, Mode Amazone c. Comité conjoint de Montréal de l'Union internationale des ouvriers du vêtement pour dames, [1983] T.T. 227, à la p. 231:
L'entreprise consiste en un ensemble organisé suffisant des moyens qui permettent substantiellement la poursuite en tout ou en partie d'activités précises. Ces moyens, selon les circonstances, peuvent parfois être limités à des éléments juridiques ou techniques ou matériels ou incorporels. La plupart du temps, surtout lorsqu'il ne s'agit pas de concession en sous-traitance, l'entreprise exige pour sa constitution une addition valable de plusieurs composantes qui permettent de conclure que nous sommes en présence des assises mêmes qui permettent de conduire ou de poursuivre les mêmes activités: c'est ce qu'on appelle le going concern. Dans Barnes Security, le juge René Beaudry, alors juge puîné, n'exprimait rien d'autre en mentionnant que l'entreprise consistait en "l'ensemble de ce qui sert à la mise en oeuvre des desseins de l'employeur".
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... chaque cas en est un d'espèce lorsqu'il s'agit d'additionner un certain nombre de composantes pour retrouver les assises de l'entreprise, en tout ou en partie. Il n'est pas toujours nécessaire que les meubles et que l'immeuble soient cédés, que les moyens techniques spécialisés soient transférés, que l'inventaire et le know-how soient compris dans la transaction. Il faut cependant que des éléments suffisants, orientés à une certaine activité par un premier employeur, se retrouvent chez un second qui s'en sert, de façon identifiable, aux mêmes objectifs quant au travail requis des salariés, même si sa finalité commerciale ou industrielle est différente. […][27]
[25] Selon la Commissaire, cette façon consacrée par la loi et la jurisprudence de concevoir et de calculer le service continu d’un salarié en cas d’aliénation d’entreprise demeure même en cas de changement de compétence législative des activités de l’entreprise par le nouvel acquéreur. Ainsi rejette-t-elle la prétention de l’Employeur voulant que la mise en œuvre des normes du travail ne puisse en l’espèce débuter que lors du changement de compétence juridictionnelle des activités de transport de l’entreprise, soit le 3 janvier 2013, dans la mesure où il y a, selon la preuve, continuité de l’entreprise.
[26] De l’avis du tribunal, cette conclusion s’inscrit parmi les issues possibles acceptables pouvant se justifier en regard des faits et du droit.
[27] En effet, si, comme le soumet l’Employeur, les articles 96 et 97 L.n.t. ne prévoient pas expressément la survie des droits des salariés en cas d’aliénation d’entreprise faisant passer celle-ci sous une autre juridiction, rien dans leur libellé ne s’oppose à une telle interprétation.
[28] Par ailleurs, au même titre que l’on a reconnu au salarié congédié après l’entrée en vigueur de la L.n.t. la possibilité d’additionner les services rendus pour le bénéfice de l’employeur avant l’entrée en vigueur de la L.n.t.[28], il n’est pas déraisonnable de reconnaître au salarié congédié après son assujettissement à la L.n.t. le droit de considérer ses années de service accumulées avant qu’il ne soit visé par cette dernière aux fins du recours prévu à l’article 124 L.n.t.
[29] Le calcul du service continu ne constitue pas un droit substantif, mais bien une manière d’appliquer le droit de réclamer[29]. Ainsi, il ne s’agit pas de conférer rétroactivement des droits à un salarié :
Si le salarié justifie de cinq ans de service continu, le législateur a voulu qu’il puisse exercer un recours, indépendamment des changements de structure ou d’administration de l’entreprise pour laquelle il a œuvré.
La Loi tient nécessairement compte d’une situation qui existait avant son entrée en vigueur le 16 avril 1980 tant pour la période des cinq ans de service continu que pour l’identité de celui qui administre l’entreprise.
Contrairement à ce que soutient l’appelante, ce n’est pas là en faire une loi rétroactive.
Une loi est rétroactive quand elle change une situation pour le passé. Par exemple, la Loi serait rétroactive si elle s’appliquait à des congédiements survenus avant son entrée en vigueur du 16 avril 1980.
C’est dire que la Loi vise tous les congédiements qui surviennent à compter de son entrée en vigueur, dès le moment où le salarié justifie de cinq ans de service continu auprès de l’entreprise.[30]
[30] Considérant ce qui précède, il y a lieu de rejeter la requête en révision judiciaire de l’Employeur.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[31] REJETTE la requête en révision judiciaire de Cascades Transport Cabano inc.
[32] AVEC DÉPENS.
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__________________________________ JEAN-ROCH LANDRY, j.c.s.
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Me Guy Dussault |
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(Cain Lamarre Casgrain Wells) |
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Procureur de la requérante |
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M. Guillaume Dallaire, stagiaire en droit Services juridiques de la Commission des relations du travail |
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Procureur de l’intimée
Me Jacques Lapointe Procureur du mis en cause |
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Date d'audience : |
26 mai 2015 |
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[1] Code canadien du travail, L.R.C. (1985), c. L-2 (« C.can.t. »).
[2] RLRQ, c. N-1.1 (« L.n.t. »).
[3] Pièce R-2.
[4] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 64.
[5] Id., par. 47.
[6] Id., par. 47-55.
[7] Id., par. 44-50.
[8] Cette exception trouve rarement application.
[9] Voir également: Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, par. 16 et 18.
[10] Nor-Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, par. 35.
[11] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, précité, note 4, par. 62.
[12] Id., par. 33. Voir également : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ association, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 33.
[13] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, précité, note 4, par. 59.
[14] Id., par. 33.
[15] Id., par. 39 et 42.
[16] Id., par. 34 et 39. Voir également : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ association, précité, note 12, par. 34 et 39; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, par. 21-22.
[17] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, précité, note 4, par. 39.
[18] « CRT ».
[19] Articles 124 et 127 L.n.t. Voir également : Université McGill c. Ong, 2014 QCCA 458, par. 34.
[20] Ivanhoe inc. c. T.U.A.C., section locale 500, [2001] 2 R.C.S. 565, par. 25 : article 139 du Code du travail, RLRQ, c. C-27, applicable dans le cadre d’un recours fondé sur l’article 124 L.n.t. par le truchement de l’article 127 L.n.t.
[21] Université McGill c. Ong, précité, note 19, par. 36-37.
[22] Voir, d’ailleurs : Essor Assurances Placements-conseils inc. c. Taillon, 2014 QCCS 6400.
[23] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, précité, note 4, par. 146.
[24] Syndicat des paramédics et du préhospitalier de la Montérégie - CSN c. Coopérative des techniciens ambulanciers de la Montégérie (CETAM), 2012 QCCA 1326, par. 70.
[25] Racine c. Orviande inc., D.T.E. 2001T-606 (C.T.). Voir également : Produits Petro-Canada inc. c. Moalli, [1987] R.J.Q. 261 (C.A.) et Ventes Mercury des Laurentides inc. c. Bergevin, D.T.E. 88T-153 (C.A.).
[26] Une aliénation nécessite l’existence d’un lien de droit entre l’ancien employeur et le nouveau, qu’il soit direct ou indirect : U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048.
[27] Id.
[28] Ventes Mercury des Laurentides inc. c. Québec (Commission des normes du travail, précité, note 25. Voir également : Commission des normes du travail c. Frank White Enterprises inc., J.E. 84-893 (C.P.).
[29] Commission des normes du travail c. Frank White Enterprises inc., précité, note 28.
[30] Ventes Mercury des Laurentides inc. c. Québec (Commission des normes du travail, précité, note 25.
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