Décision

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Décision

Héneault c. Marois

2014 QCRDL 25438

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier:

31-120203-067 31 20120203 G

No demande:

37078

 

 

Date :

17 juillet 2014

Régisseur :

Robin-Martial Guay, juge administratif

 

PIERRE HÉNEAULT

 

SYLVIE BANVILLE

 

Locateurs - Partie demanderesse

c.

HUGUETTE MAROIS

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le 3 février 2012, les locateurs déposent devant le tribunal de la Régie du logement, une demande de résiliation de bail à l’encontre de la locataire, madame Huguette Marois, dont ils réclament l’expulsion du logement ainsi que celle de tous les occupants.

[2]      Les locateurs demandent aussi l’exécution provisoire de la décision nonobstant appel de même que la condamnation de la locataire au paiement des frais.

[3]      Le 24 février 2012, les locateurs produisent un amendement à leur demande.

[4]      La demande et l’amendement ont été signifiés à la locataire, par courrier recommandé non réclamé, puis par huissier.

PREUVE ET ANALYSE

[5]      Les locateurs et la locataire sont liés par un bail du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014, au loyer mensuel de 485 $.

[6]      La locataire occupe l’unité de logement situé à l’étage supérieur de l’immeuble. L’adresse civique du logement est le [...], Montréal.

[7]      Au soutien de la demande de résiliation du bail, les locateurs allèguent ce qui suit :

« Les locateurs vivent une situation difficile avec une locataire depuis 2009. Les voisins de cette locataire problématique se plaignent fréquemment auprès des locateurs parce que la dame a un comportement imprévisible à toute heure du jour et de la nuit. Elle crie et claque sa porte violemment.

Les locateurs ont même dû changer une porte française vitrée d'un logement voisin pour une porte d'acier parce que la locataire a brassé violemment cette porte lors d'un incident.

Certains autres locataires ont peur d'elle et ont même indiqué qu'il songaient déménager si cette locataire problématique ne quittait pas sous peu.


Suite à une consultation auprès de leur avocat, les locateurs ont fait parvenir une première mise en demeure le 20 janvier 2012 et une seconde le 2 février 2012.

La locataire ne semble pas plus vouloir se comporter correctement. » (sic)

[8]      Au soutien de l’amendement du 24 février 2012, les locateurs allèguent ce qui suit :

« Depuis la demande initiale, la locataire continue consciemment de causer des problèmes envers les locateurs et autres locataires. Les locateurs ont commencé à recevoir des lettres d’autres locataires leur indiquant qu’ils désirent obtenir la résiliation de leur bail, ce qui causerait de sérieux préjudice au locateur. » (sic)

[9]      Le tribunal a pris acte des admissions suivantes lors des audiences à savoir que :

[10]   Les locateurs sont propriétaires de l’immeuble locatif depuis l’année 1984;

[11]   L’immeuble qui fut bâti dans les années soixante est constitué d’un triplex et la locataire, Huguette Marois, occupe ce logement depuis septembre 2001;

[12]   Les locataires qui se sont plaints ainsi que ceux qui se plaignent présentement du bruit excessif provenant du logement de madame Marois sont ceux qui ont occupé par le passé ou qui occupent présentement le logement situé en dessous du sien et qui porte l’adresse civique du 12 732, 26ième avenue, Montréal-Est. Ces locataires furent ou sont :

[13]   Du 15 juin 2011 au 31 mars 2012 : Liette Gaumont et Caroline Brunet;

[14]   Du 1er juin 2012 au 30 juin 2013 : Sandra Côté, Yannick Ricard et leurs trois enfants;

[15]   Du 1er juillet 2013 à ce jour : Véronique Tremblay, Jean Benoit Sergerie et leurs deux enfants.

[16]   Une mise en demeure, datée du 2 février 2012 a été signifiée à la locataire Marois avant la procédure déposée par les locateurs devant la Régie, le 3 février 2012.

PREUVE ET ANALYSE

[17]   Des témoignages entendus, il appert que mesdames Liette Gaumont et Caroline Brunet qui, du 15 juin 2011 au 31 mars 2012, ont habité le logement situé en-dessous de celui de madame Marois, ont quitté leur logement en raison du bruit excessif provenant du logement de madame Marois. C’est ce que madame Gaumont est venue affirmer.

[18]   Il en va de même des locataires Sandra Côté, Yannick Ricard et de leurs trois enfants qui, du 1er juin 2012 au 30 juin 2013, ont habité le logement situé en-dessous de celui de madame Marois et qui ont quitté leur logement pour la même raison. C’est ce qu’est venu affirmer madame Côté lors de son témoignage.

[19]   Quant au couple Véronique Tremblay, Jean Benoit Sergerie et leurs deux enfants qui habitent le logement depuis le 1er juillet 2013, bien que soumis à du bruit excessif provenant du logement de madame Marois; ce qu’ils ont ouvertement dénoncé aux locateurs, ceux-ci ont, malgré leur réticence, reconduit leur bail tout en avisant les locateurs qu’ils ne resteraient pas au logement et qu’ils demanderaient la résiliation de leur bail advenant le cas où le bruit provenant du logement de madame Marois reprend.

Le témoignage de madame Liette Gaumont

[20]   Madame Gaumont a témoigné pour dire qu’en raison du bruit excessif provenant du logement de madame Marois, qu’elle et sa colocataire, n’ont habité le logement que pendant 10 mois pour avoir exigé et obtenu des locateurs qu’ils résilient leur bail avant terme pour ce seul motif.

[21]   Elle est venue affirmer qu’elles ont quitté le logement parce qu’elles avaient peur. Madame Marois qui vit avec un conjoint, pousse des cris, des hurlements et fait des colères dans les murs. Et lorsqu’elle revient de son travail, souvent très tôt le matin, elle n’enlève pas ses souliers qui font du bruit.

[22]   Pendant les dix mois qu’elles ont habité le logement situé en-dessous de celui de madame Marois, il n’est pas rare qu’elles se font réveiller par de la musique forte, des chicanes virulentes entre conjoints, des claquages de portes même en pleine nuit, lorsque ce n’est pas en raison de l’utilisation d’un marteau à une heure inappropriée.

[23]   Madame Gaumont qui avait noté plusieurs des dates se rapportant à des évènements qui furent générateurs de bruit excessif et démesuré provenant du logement de madame Marois, a déclaré qu’elle est allée jusqu’à faire appel à la police à l’occasion d’une chicane particulièrement virulente entre Marois et son conjoint. Madame Marois aurait, dit-elle, quittée les lieux à bord d’une ambulance.

[24]   C’est dire que pendant les dix mois qu’elle et madame Brunet ont occupé leur logement, que ces dernières ont été confrontées à une locataire fautive qui n’avait aucun respect pour les autres locataires.

[25]   C’est aussi dire qu’elles ont eu à cohabiter avec le tapage, la musique forte, les chicanes continuelles du couple, les cris et les colères intempestives de madame Marois pendant dix long mois, soit jusqu’à ce que les locateurs acceptent leur demande formelle, faite le 20 février 2012, de résilier leur bail avant son terme (Pièce P-1).

[26]   Madame Gaumont qui aujourd’hui est à la retraite, s’est exprimée pour dire et faire remarquer au tribunal : « J’ai toujours été locataire et c’était la première fois que je demandais à résilier un bail prématurément à un locateur depuis que je suis locataire ».

Le témoignage de madame Sandra Côté

[27]   Appelée à témoigner, Madame Côté qui a vécu dans le logement situé en-dessous de celui de madame Marois est venue dire qu’elle et son conjoint n’ont vécu au logement que pendant une année seulement et qu’ils n’ont pas reconduit leur bail.

[28]   Madame Côté a témoigné pour dire qu’il s’agissait d’un beau logement situé dans un environnement tranquille et qui était géré par de bons propriétaires.

[29]   Toutefois, elle, son conjoint et leurs trois enfants ont dû souffrir le bruit continuel et excessif provenant du logement de madame Marois pendant toute l’année de leur occupation du logement.

[30]   Elle précise que les bruits qui provenaient du logement de madame Marois tenaient, essentiellement, à des claquages de portes, de la musique forte, des chicanes et querelles avec son conjoint à toute heure de la nuit, les cris et les colères de madame Marois et, finalement, de ces bottes et souliers qu’elle n’enlève que trop rarement ou qu’elle remet sitôt arrivée dans son logement.

[31]   Elle a qualifié son expérience au logement de mauvaise. « Madame Marois est bruyante ». Elle garde en mémoire l’amère souvenir de deux party au logement de madame Marois qui se sont poursuivis jusqu’aux petites heures du matin, soit à 4h00 du matin.

[32]   À deux occasions, la police est intervenue au logement de madame Marois alors qu’elle s’apprêtait, elle-même, à faire appel à la police, tellement la situation lui paraissait intense et inquiétante. « J’avais peur et mes enfants aussi », dira-t-elle.

[33]   Elle confesse avoir profité d’une accalmie en raison de l’absence au logement du conjoint de madame Marois pendant quelques trois mois.

[34]   Madame Côté s’est plainte auprès des propriétaires du bruit provenant du logement de madame Marois la nuit; ce qui les réveillait souvent (Pièce P-4).

[35]   Si elle n’a pas fait de plainte formelle auprès de la Régie du logement, cela tient au fait qu’elle avait accepté de signer un bail avec une clause comportant une mise en garde à l’effet que la locataire du logement de l’étage supérieur, madame Marois, pouvait être bruyante (Pièce P-2). « Il était vain que je me plaigne puisque j’avais signé mon bail avec cette clause en toute connaissance de cause », dira-t-elle.

Le témoignage de madame Véronique Tremblay

[36]   Madame Tremblay, son conjoint et leurs deux enfants sont ceux qui, depuis le 1er juillet 2013, occupent le logement situé en-dessous de celui de madame Marois.

[37]   Comme les locataires qui les ont précédés au logement, ils doivent, selon madame Tremblay, endurer, jour et nuit, les crises, les hurlements, les objets qui fracassent des murs, les chicanes entre conjoints, la musique forte et le bruit constant des souliers de madame Marois.

[38]   Madame Tremblay conserve le souvenir particulier des nuits du 2 au 3 mars 2014 mais aussi de celle du 3 au 4 mars 2014.

[39]   Alors qu’il est 3-4h00 du matin, elle se réveille en croyant qu’elle vient de faire un mauvais rêve. Elle réalise alors que madame Marois et son conjoint se chicanent. Madame Marois hurle et crie. Bien plus, en se réveillant, elle aperçoit son jeune fils de 3 ans qui est au côté de son lit et qui lui dit avoir très peur.

[40]   Madame Tremblay soutient que les cris et la colère de madame Marois sont à donner froid dans le dos. Elle devra même garder son jeune fils dans son lit pour le reste de la nuit; question de le rassurer.


[41]   Le malheur veut que la nuit suivante, madame Marois récidive selon madame Tremblay.

[42]   Une fois de plus, il est 3-4h00 du matin lorsque son conjoint lui demande ce qu’il se passe. Son jeune garçon de trois ans revient la voir pour lui dire « qu’il y a des monstres en haut » en désignant le logement de madame Marois. Cette fois, les cris et les hurlements de madame Marois lui apparaissent exprimer une détresse ; ce qui n’est pas sans l’inquiéter, dira-t-elle. Le conjoint de madame Marois obtient qu’elle mette un terme à sa crise et à sa colère après qu’un objet eut fracassé un mur du logement. En réalité, il s’agit du téléphone cellulaire du conjoint de madame Marois que celle-ci vient de lancer contre le mur que de confesser madame Marois lors de son témoignage.

[43]   Les cris et les hurlements de madame Marois sont à la fois intenses et imprévisibles. Qu’importe l’heure qu’il est du jour ou de la nuit, que de souligner madame Tremblay.

[44]   C’est donc avec beaucoup de réticences qu’ils ont, récemment, reconduit leur bail jusqu’au 30 juin 2015.

[45]   Il faut dire que depuis l’envoi des avis d’audience devant la Régie, il semble que les choses se soient calmées au logement de madame Marois.

Le témoignage du locateur, monsieur Pierre Hénault

[46]   Pour avoir habité le logement situé en-dessous de celui de madame Marois entre 1984 et 1991, ni lui, ni sa conjointe n’ont eu à se plaindre du bruit provenant du logement concerné et qui, rappelle-t-il, fut habité par deux familles et leurs enfants avant l’arrivée de madame Marois.

[47]   De plus, il insiste pour dire que depuis 1984, il n’a jamais eu à entreprendre de procédures devant la Régie du logement contre un de ses locataires, sauf contre madame Marois et qu’il en est à sa deuxième demande contre cette dernière.

[48]   Le locateur considère que le comportement de madame Marois est inacceptable et que le bruit provenant de son logement qui lui est dénoncé depuis 2011 est continue, excessif et démesuré à telle enseigne que ce bruit lui a fait perdre deux excellents locataires et qu’il vit présentement sous la menace de perdre ceux qui habitent présentement le logement situé en-dessous de celui de madame Marois; ce qu’il ne souhaite pas.

[49]   Les locateurs estiment subir un préjudice sérieux en raison du comportement de madame Marois et réclament que le bail de celle-ci soit résilié pour ce motif.

[50]   En réalité, la présente procédure contre madame Marois est la deuxième procédure entreprise contre celle-ci par les locateurs. La première mettait en cause le cas problématique de la fille de madame Marois qui, au terme de la décision rendue par la Régie le 6 décembre 2010 (Pièce P-3), ne devait plus se présenter au logement concerné.

[51]   Bien qu’il ait expédié des mises en demeure à madame Marois le 20 janvier et le 2 février 2012, celle-ci nie tout et se défend en disant que ce sont les autres qui font du bruit.

[52]   Confronté à des menaces d’une locataire qui songeait à les poursuivre pour ne pas lui avoir déclaré, lors de la  signature de son bail, que la locataire d’en haut, madame Marois ,était bruyante et que sa fille était problématique, suivant ce que lui révélait la demande qu’ils avaient déposée contre celle-ci devant la Régie, les locateurs ont alors décidé qu’il serait prudent pour eux de mettre une clause à cet effet dans le bail des locataires qui prendront le logement situé en-dessous de celui de madame Marois.

[53]   Bien que la présence de cette clause particulière au bail de la locataire actuelle, madame Tremblay, tende à les rassurer, les locateurs ne cachent pas qu’ils vivent avec la crainte permanente de recevoir, à tout moment, une poursuite de madame Tremblay en raison du comportement tempétueux de madame Marois et du bruit provenant de son logement.

[54]   Invité à s’exprimer à propos de la discrétion dont dispose le tribunal de sursoir à la résiliation du bail et de prononcer des ordonnances à l’encontre de la locataire d’exécuter ses obligations en vertu de l’article 1973 CCQ, le locateur a insisté pour dire que la résiliation du bail est, selon lui, le seul remède approprié.

[55]   De fait, les locateurs estiment que le prononcé d’ordonnances n’ont que trop peu de chances de succès; ce qui immanquablement les obligera à revenir devant la Régie pour faire sanctionner le non-respect des ordonnances de bonne conduite par madame Marois.

[56]   Le locateur admet que depuis mars 2014, soit depuis l’envoi des avis d’audience aux parties, qu’ils n’ont pas reçu de nouvelles plaintes des autres locataires. Toutefois, de l’aveu même de madame Marois, elle et son conjoint sont absents du logement pendant toute la période qui va de mai à septembre inclusivement, puisqu’ils sont en camping, sauf une à deux nuits par semaine.


Le témoignage de la locataire, Huguette Marois

[57]   Madame Marois habite le logement concerné depuis le 19 septembre 2001.

[58]   Depuis février 2011, elle cohabite au logement avec son conjoint.

[59]   Elle mentionne qu’elle et son conjoint sont, sur une base annuelle, absents du logement pendant la période qui va de la mi-mai à la mi-septembre, puisqu’ils sont à un terrain de camping. Ils ne viennent que pour une ou deux nuits par semaine au logement pendant cette période.

[60]   Bien qu’elle admette que les locataires du logement situé en-dessous du sien ont pu l’entendre parce qu’elle parle fort, elle affirme qu’elle ne crie pas, ni ne hurle.

« C’est mon copain qui crie.  Il a fait des psychoses importantes d’où son hospitalisation en avril 2013. Il a été diagnostiqué bipolaire et doit prendre un médicament depuis lors. De plus, il a subi une cure de désintoxication de cinq mois pour se libérer d’une toxicomanie », fait-elle entendre.

[61]   Madame Marois assure qu’elle n’est pas violente.

[62]   Et si les autres locataires m’entendent, dira-t-elle, cela est dû, en grande partie, au manque d’insonorisation entre les deux étages.

[63]   Confrontée aux événements relatés par les autres locataires, lors de leurs témoignages, madame Marois fait porter le blâme sur son conjoint.

[64]   De fait, madame Marois est venue dire que les colères qu’elle a faites et qui ont dérangé les autres locataires ont pour responsable, les problèmes de toxicomanie de son conjoint qui sont maintenant choses du passé, au terme d’une cure de désintoxication d’une durée de cinq mois pendant lesquels monsieur fut absent du logement.

[65]   Absent du logement du 1er avril au 1er octobre 2013 en raison de son hospitalisation, monsieur est revenu vivre au logement en octobre 2013.

[66]   Elle assure que son conjoint est stable depuis septembre 2013 et, que depuis ce temps, mis à part pendant la période des fêtes et les événements du mois de mars 2014, elle et son conjoint sont irréprochables, puisqu’il n’y a plus de conflit et de chicanes entre eux.

[67]   Elle soutient que son conjoint doit se soumettre à un suivi médical à chaque deux semaines et à raison d’une fois par mois pendant l’été. Celle-ci est autorisée par monsieur à recevoir les résultats d’analyse de dépistage de drogues auxquelles doit se soumettre son conjoint.

[68]   Elle explique les événements de mars 2014 par le fait qu’elle venait de découvrir dans le registre des appels du téléphone cellulaire de son conjoint, la photo d’une jeune ivoirienne qui comptait parmi les arnaqueuses téléphoniques dont monsieur affichait une dépendance. Elle admet avoir crié et lancé, à cette occasion, le téléphone cellulaire de son conjoint contre un mur du logement.

Le droit applicable

[69]   Le recours des locateurs à l’encontre de la locataire, Huguette Marois, se fonde sur les articles 1860 et 1863 du Code civil du Québec, lesquels édictent ce qui suit :

« 1860.      Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

                             Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

                             Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »

« 1863.      L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

                             L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »


[70]   En corolaire des obligations du locataire, les articles 1860 et 1863 du Code civil du Québec édictent qu'un locataire a le devoir de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires, que ce soit par son fait ou celui des personnes auxquelles il permet l'accès aux lieux loués. Il y est expressément prévu que le locateur peut, au cas de violation des obligations du locataire, demander la résiliation du bail.

[71]   Par ailleurs, il sied de souligner qu’il est prévu à l'article 976 du Code civil du Québec que les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant la situation les usages locaux.

[72]   L’obligation d’un locataire de ne pas troubler la jouissance des autres locataires est corrélative à ce principe général édicté à l’article 976 du Code civil du Québec.

[73]   Autant dire que la responsabilité d’un locataire en raison des troubles qu’il peut causer trouve sa source dans cette disposition qu’est l’article 1860 et des interprétations qui en ont été faites par les tribunaux supérieurs.

[74]   Les troubles qui ont pour conséquences de troubler la jouissance des lieux d’un autre locataire peuvent autant être, des troubles de droit résultant du non-respect d’une clause d’exclusivité que, de troubles de faits résultant du bruit, d’odeur, d’animaux ou de comportement.

[75]   Deux conditions s’attachent à la responsabilité en matière de manquements d’un locataire à ses obligations. La première qui est issue du texte même du premier alinéa de l’article 1860 veut que le locataire voisin doit avoir subi des inconvénients anormaux et, en deuxième lieu, que le comportement reproché au locataire doit être illégitime de sa part.

[76]   À cet égard, l'appréciation du caractère anormal des inconvénients doit se faire objectivement.

[77]   Le niveau général de tolérance du milieu social, l’intérêt public, le respect mutuel et réciproque que se doivent des locataires voisins et la bonne foi dans l'exercice des droits d’un locataire à l’égard d’un autre locataire de l’immeuble pourront guider le Tribunal dans l’évaluation d’une situation dénonçant des inconvénients anormaux subis par un locataire.

[78]   Encore une fois, chaque locataire doit ajuster ses comportements en fonction de la situation des lieux et des usages dont il devra tenir compte.

[79]   Et puisqu’il n’y a pas de résiliation de bail sans la preuve d’un préjudice sérieux causé au locateur ou aux autres locataires, le trouble issu d’un événement ou d’un comportement dont la responsabilité incombe au locataire fautif doit comporter un élément dérangeant qui est anormal, excessif. Ces caractéristiques pourront être le fait qu’il est fréquent, répété, continu ou persistant.

[80]   Autant dire que pour constituer un préjudice sérieux, la preuve doit démontrer que le préjudice subi par le locateur et/ou les autres locataires va au-delà des simples inconvénients.

[81]   Soulignons que dans certains cas exceptionnels, tel qu’une agression, un incendie volontaire ou des menaces, un seul manquement grave pourrait être jugé suffisant par le tribunal pour que soit résilié le bail eu égard à la gravité du geste mais aussi des effets et conséquences sur la victime ou sur son patrimoine.

[82]   Tel que susdit, la violation par un locataire de l’obligation qu’il a de ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires donne droit au locateur commun de demander la résiliation du bail du locataire qui est à l’origine du trouble ainsi qu’à la réparation du préjudice en vertu des alinéas 2 et 3 de l’article 1860 du Code civil du Québec.

[83]   Dans ce contexte, il sied de rappeler que le locataire doit répondre de ses proches et de toute personne à qui il donne accès au logement.

[84]   Par ailleurs, l’analyse d’une situation génératrice de troubles anormaux de voisinage ne saurait échapper à l'arrêt de principe de la Cour suprême dans l’affaire Ciment du Saint-Laurent Inc.[1]

[85]   Appelée à statuer sur la portée de l'article 976 du Code civil du Québec, la suprême du Canada soulignait l'existence d'un régime de responsabilité sans faute en cette matière, fondé sur le caractère excessif des inconvénients subis et non pas sur le comportement fautif de l’auteur des inconvénients.

[86]   C’est donc dire que la responsabilité d’une personne ne saurait être restreinte au seul cas d’un exercice fautif ou abusif d'un droit. Depuis cet arrêt, la responsabilité d’un voisin pourrait être engagée et retenue s’il est démontré que le voisinage subit des inconvénients anormaux, excédant les limites de la tolérance.

[87]   Ainsi donc, la légitimité d'une action ou d'un comportement ne confère pas pour autant une immunité à son auteur dont l’action, l’activité, la conduite ou le comportement doit s’exercer de manière à ne pas faire subir au voisinage des inconvénients anormaux qui se situent au-delà de ce qui est tolérable.

[88]   Dans ce contexte, il va s’en dire que les conséquences immédiates sur le voisinage guideront le tribunal dans ce qui relève de la normalité et du tolérable pour une personne ordinaire, raisonnable, prudente et diligente.

[89]   C’est ainsi qu’en présence d'un manquement du locataire à ses obligations, en plus de dommages-intérêts et de l'exécution en nature dans les cas qui le permettent, le locateur pourra notamment exiger la résiliation du bail, dans la mesure où il est établi que l'inexécution des obligations d’une personne cause au demandeur même, ou aux autres occupants de l'immeuble, un préjudice sérieux.

[90]   Par ailleurs, le fait pour un locataire de contrevenir à la règlementation municipale, à une clause du bail, ou d'en excéder les droits, ne donnera ouverture à la résiliation du bail que s’il est aussi mis en preuve que cette contravention cause un préjudice sérieux au locateur ou aux autres occupants de l’immeuble.

[91]   Pour réussir dans sa demande, la preuve doit s'avérer concluante, à la fois, sur les manquements allégués et sur le préjudice sérieux qui en découle. Encore une fois, il s’agit des deux éléments essentiels qui conditionnent le prononcé de la résiliation du bail en vertu de l’article 1863 C.c.Q.

[92]   Sous ce rapport, le Tribunal aura également à apprécier si le manquement allégué existe toujours au moment de l'audience.

[93]   En effet, puisqu’il n’existe pas de droits acquis en matière de résiliation d’un bail, la demande d’une partie pourrait, au jour de l’audience, s'avérer sans objet parce que les faits ne seraient plus contemporains ou encore, parce que le locateur ou les autres locataires ne souffriraient plus du préjudice sérieux exigé pour que soit prononcée la résiliation du bail; ce qui pourrait être le cas si, depuis le dépôt de la demande, le locataire fautif à amender son comportement, remédié au défaut ou au manquement allégué dans la demande.

[94]   Le tribunal juge qu’en l’espèce, les locateurs se sont acquittés de leur fardeau de preuve en ce qu’ils ont démontré, suivant la prépondérance de preuve, qu’en raison de son comportement et de celui de son conjoint; une personne à qui elle donne accès au logement concerné, la locataire Huguette Marois cause un préjudice sérieux aux autres locataires ainsi qu’aux locateurs.

[95]   Le Tribunal retient du témoignage de madame Marois que cette dernière minimise, de façon générale, la véracité des reproches qui lui sont adressés et qui sont issus des témoignages du locateur et des locataires qui se sont succédés dans le logement situé au-dessous du sien.

[96]   Que madame Marois affirment ne pas crier, ne pas hurler ni faire les colères que les autres locataires disent avoir entendues, n’est pas crédible surtout que celle-ci admet qu’elle et son conjoint ont eu à se quereller en raison d’un problème de toxicomanie chez son conjoint et des arnaques téléphoniques consenties par ce même conjoint.

[97]   De l’ensemble de la preuve testimoniale et documentaire, le tribunal ne peut que constater que les témoins sont unanimes à propos du comportement qui est reproché à madame Marois et à son conjoint relativement au bruit excessif qu’ils génèrent et qui trouble la jouissance des lieux des autres occupants.

[98]   Que madame Marois affirme que c’est son conjoint qui crie plutôt qu’elle ne change rien au fait que les autres locataires ont subi un préjudice en raison de ces cris et de ces hurlements, à toute heure du jour ou de la nuit, qu’il s’agisse des siens ou de ceux d’une personne à qui elle donne accès à son logement.

[99]   Le fait que madame Marois fasse porter tout le blâme des bruits excessifs provenant de son logement à une personne, en l’occurrence, son conjoint qui n’est pas venu témoigner, ne change rien au fait que la toxicomanie et les arnaques téléphoniques ne sont, en réalité, que l’occasion pour madame Marois de donner libre cours à une nature tempétueuse, impulsive et surtout non contrôlée lorsque contrariée, lors même qu’elle sait que d’autres personnes habitent le logement en-dessous du sien.

[100] Or, il se trouve que madame Marois fait totalement fi de la présence d’autres locataires qui vivent dans le logement situé en-dessous du sien et qui sont ainsi privés de la jouissance des lieux en raison du bruit excessif provenant de son logement.


[101] Le tribunal prend aussi en compte les autres sources de bruit dérangeant, qui furent dénoncées par les autres locataires qui ont soit habitées ou qui habitent présentement le logement situé en-dessous de celui de madame Marois, pour conclure à la preuve des manquements de la locataire Marois à ses obligations et du préjudice sérieux qu’ils causent.

[102] Assurément que le tribunal n’est pas insensible aux événements qui ont eu cours au logement de madame Marois en mars 2014 et de leurs conséquences sur le couple Véronique - Sergerie et leur jeune enfant de trois ans pour qui les bruits provenant du logement concerné lui font dire qu’il y a des monstres qui vivent en haut de chez lui.

[103] Il est manifeste que madame Marois, à diverses époques et de façon contemporaine, a empêché les locateurs de s’acquitter de l’obligation qu’ils ont de fournir aux autres locataires, la jouissance paisible de leur logement à telle enseigne que les locateurs ont perdu des locataires et ont même dû mettre prématurément fin au bail de locataires précédents.

[104] C’est dire qu’en raison du bruit constant, continu et excessif provenant du logement de madame Marois depuis juin 2011 que les locateurs ont perdu des locataires et vivent avec la menace de perdre ceux qui habitent présentement le logement situé en-dessous de celui de madame Marois. Il va s’en dire que la perte de ces locataires et les plaintes auxquelles ils sont présentement confrontés consacre un préjudice sérieux pour les locataires et les locateurs.

[105] CONSIDÉRANT que par son attitude et son comportement, la locataire Huguette Marois a gravement porté atteinte à la jouissance normale des lieux de ceux et de celles qui, depuis juin 2011, ont, successivement, occupé le logement situé en-dessous du sien;

[106] CONSIDÉRANT que la locataire Huguette Marois cause un préjudice sérieux aux autres locataires ainsi qu’aux locateurs;

[107] CONSIDÉRANT que la demande de résiliation du bail des locateurs à l’encontre de la locataire Huguette Marois est bien fondée en faits et en droit;

[108] CONSIDÉRANT que le tribunal estime que l’exécution provisoire de la présente décision n'est pas justifiée conformément à l'article 82.1 de la Loi sur la Régie du logement, L.R.Q., c. R-8.1;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[109] ACCUEILLE la demande des locateurs;

[110] RÉSILIE le bail intervenu entre les locateurs et Huguette Marois;

[111] ORDONNE l'expulsion de la locataire et de tous les occupants du logement;

[112] CONDAMNE la locataire Huguette Marois à payer aux locateurs les frais judiciaires et de signification de 106,85 $;

[113] RÉSERVE aux locateurs leurs autres recours.

 

 

 

 

 

 

 

 

Robin-Martial Guay

 

Présence(s) :

les locateurs

Me Marc-Étienne Dahmé, avocat des locateurs

la locataire

Me Massimo De Simone, avocat de la locataire

Date de l’audience :  

29 mai 2014

 


 



[1] 1- 36-831208-001G, Me Gilles Joly.

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