COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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Dossier : |
105937 |
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Cas : |
CM-2000-1078 |
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Référence : |
2004 QCCRT 0317 |
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Montréal, le |
1er juin 2004 |
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DEVANT LE COMMISSAIRE : |
Paul Dufault |
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Réal Courtois
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Plaignant |
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c. |
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Kenworth Montréal ltée |
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Intimé |
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DÉCISION |
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[1] Le 3 décembre 2002, le plaignant soumet deux plaintes distinctes en vertu des articles 123 et 124 de la Loi sur les normes du travail.
[2] Par la première plainte, il allègue avoir été illégalement congédié par l’employeur intimé le 26 novembre 2002, et ce, parce qu’il s’est absenté pour cause de maladie ou accident, autre qu’un accident de travail ou une maladie professionnelle, durant une période d’au plus 17 semaines au cours des 12 derniers mois. Par la seconde plainte, il allègue avoir été congédié sans cause juste et suffisante.
[3] Aux fins de l’enquête et de la décision à être rendue, ces deux procédures sont d’abord réunies.
[4] En cours d’enquête, il est constaté que plaignant attaque actuellement devant la Commission des lésions professionnelles une décision, rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail. En effet, cet organisme administratif a décidé que le plaignant n’a pas subi une lésion professionnelle. Or, le plaignant prétend le contraire. Dans les circonstances, vu le recours concurrent exercé par le plaignant devant la Commission des lésions professionnelles, vu que la Commission des relations du travail n’a pas compétence dans le cas où le plaignant aurait subi une lésion professionnelle, ainsi la Commission décide d’office de suspendre dans les circonstances l’enquête relative à la plainte soumise en vertu de l’article 123 de la Loi sur les normes du travail.
[5] À l’endroit de la plainte soumise en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, les remèdes recherchés par le plaignant sont les suivants : la réintégration dans son emploi, ainsi que le salaire et les avantages dont l’a privé son congédiement allégué. Advenant qu’une telle réintégration serait jugée impossible, il demande une indemnité additionnelle pour réparer la perte définitive de son emploi. De plus, le plaignant demande une indemnité à titre de dommages moraux ainsi que la remise, par l’employeur, d’une lettre de référence.
[6] Les motifs de rupture d’emploi invoqués par l’employeur : absence au travail non autorisée et non justifiée; défaut de collaborer à l’enquête de l’employeur sur cette absence; bris du lien de confiance, compte tenu notamment du dossier disciplinaire du plaignant.
[7] L’employeur est une entreprise de vente de gros camions. Il assure le service, l’entretien et la vente de pièces de ces véhicules. Il a à son service une centaine d’employés : 7 cadres, 35 mécaniciens, 15 préposés aux pièces, 10 représentants aux ventes, 30 employés de bureau et 3 administrateurs de garanties, dont le plaignant.
[8] Selon monsieur Tom Banks, ex-directeur général de l’employeur et à la retraite depuis mai 2003, le département de l’administration des garanties, où travaille le plaignant, est important. En effet, quelque 150 000 $ par mois sont réclamés par les clients dont le véhicule vendu est visé par la garantie des fournisseurs. La réclamation doit être produite, dans un délai de stricte rigueur, sinon les fournisseurs ne remboursent pas l’employeur. De plus, il faut démontrer aux fournisseurs que cette réclamation est justifiée.
[9] Au début de septembre 2002, monsieur Banks est informé par le contrôleur, monsieur Daniel Fortin, que des administrateurs de garanties, dont le plaignant, ont produit des fausses réclamations aux fournisseurs. C’est un administrateur de garanties qui dénonce lui-même la pratique frauduleuse qui avait cours. Et, de déclarer monsieur Banks à la Commission : « Je n’étais pas de bonne humeur. On a toujours été droit. »
[10] Chacun des administrateurs aux garanties est rencontré par Banks et Fortin, à la demande du directeur des ressources humaines, Normand Charron. Chacun admet avoir effectivement produit de fausses réclamations, et ce, à la demande expresse de leur supérieur immédiat, le gérant Michel Nault, parce qu’ils se disaient « forcés » par ce dernier. Sont versées au dossier trois fausses réclamations imputables au plaignant, dont la somme totale de celles-ci est établie est établie à 26 468,77 $ (pièce E-12).
[11] Selon le plaignant, la manœuvre des fausses réclamations a été plutôt dénoncée par son supérieur immédiat, Denis Pirollo. Celle-ci consistait soit à produire une réclamation, sur le dossier d’un client dont le camion était en période de garantie, soit à modifier le millage ou l’identité d’un camion. Même plus : il affirme que le gérant Nault lui a déjà dit : « C’est pour ça qu’on te paie. »
[12] Lorsqu’il est entendu comme témoin, le plaignant dit qu’au début il faisait savoir sa désapprobation de participer à un tel stratagème qui a duré environ 1 an et demi, ce qui lui aurait valu des représailles de certains de ses supérieurs.
[13] Le 4 juillet 2001, le plaignant rencontre la psychologue Johanne C. Bernier, dans le cadre d’un programme d’aide aux salariés. Il lui fait part du stress que lui cause la pratique de « fausses déclarations à la demande de son directeur de services ». Dans son « information clinique », la psychologue écrit notamment ce qui suit (pièce P-33) :
Monsieur disait aimer beaucoup son travail, ne voulait pas quitter mais se retrouvait affecté mentalement par cette situation perçue comme sans issu. C’est ce qui l’amenait à consulter.
Nous n’avons pas pu travailler le problème puisque nous nous sommes rencontrés qu’une fois et que cette rencontre a plutôt eu comme but de décrire la situation problématique et le vécu de Monsieur, ses objectifs. Une piste de solution a été identifiée, nous devions en reparler dans la prochaine rencontre (quitter son travail ou accepter la situation).
[14] Environ 11 mois avant son congédiement, après avoir accepté de produire une dizaine de fausses réclamations, en créant frauduleusement des réparations qui n’ont pas eu lieu, Denis Pirollo rapporte au plaignant que Michel Nault venait de dire à Tom Banks, dans le bureau de Nault, que « Réal [le plaignant] vient d’embarquer ». Dès lors, toujours selon le plaignant, Denis Pirollo lui dit qu’il peut prendre dorénavant des congés, sans billet médical.
[15] Est-ce que le plaignant en retirait un profit personnel? Monsieur Banks l’ignore. Tout ce qu’il sait, c’est qu’à la fin du mois, « les chiffres étaient bons pour le département » de l’administration des garanties ». Toutefois, cette performance n’a aucune conséquence sur le bonus annuel du responsable du département, lequel bonus n’est calculé qu’en fonction des profits obtenus par la compagnie.
[16] Devant ces aveux, monsieur Banks, après avoir informé de la situation son patron à Seatle (Washington), est conduit à prendre deux décisions :
- Rembourser le plus rapidement possible les fournisseurs floués, en étant limpide avec eux sur ce qui s’est effectivement produit.
- Suspendre sans solde, pour une durée d’une semaine, les 3 administrateurs aux garanties ainsi que leur supérieur immédiat, Denis Pirollo. Pour les 4 employés fautifs, le congédiement avait été envisagé. Toutefois, vu l’admission des faits permettant l’évitement d’une longue enquête, l’employeur retient la peine de la suspension plutôt que celle du congédiement pour cause. « On leur a donné une chance », de dire le conseiller en ressources humaines, Mathieu Poirier.
[17] Le 20 septembre 2002, sous la signature du directeur général Tom Banks, le plaignant se voit signifier un « Avis disciplinaire final » rédigé en ces termes (pièce E-2) :
Suite à notre enquête et suite à votre aveu quant à la fabrication de fausses réclamations de garanties, nous sommes dans l’obligation de vous adresser cet avis final.
Vous comprendrez que ces gestes sont considérés comme très sérieux puisqu’ils vont à l’encontre de valeurs et des pratiques d’affaires promulguées par Kenworth Montréal. Ces gestes mettent en cause la crédibilité que l’entreprise a pris des années à construire dans l’industrie.
Vous devez comprendre que la relation de confiance entre vous et la direction de l’entreprise est ébranlée et fera l’objet d’une attention particulière et d’un suivi de notre part.
En conséquence, l’entreprise vous impose une suspension d’une semaine sans solde à notre discrétion.
Soyez avisé que tout autre comportement de ce genre conduira à la terminaison de votre emploi sans préavis.
Nous espérons que vous comprenez la gravité de la situation et que vous prendrez les mesures nécessaires.
[18] En lui remettant cet « Avis disciplinaire final », monsieur Banks dit au plaignant que la confiance, à son endroit, est ébranlée. De plus, il l’exhorte « à ne plus passer à côté des politiques de l’employeur ».
[19] Le 23 septembre 2002, après avoir confessé et expliqué son implication à la pratique frauduleuse, le plaignant transmet le courriel suivant au conseiller en ressources humaines, Réal Courtois, par lequel il expose notamment ce qui suit (pièce P-25) :
Suite à la réception de l’avis disciplinaire, il en va de mon intégrité et de ma réputation.
Il semble que vous avez oublié de mentionner les raisons de la « fabrication de fausses réclamations ».
Ces raisons vous ont été mentionnées déjà par les trois personnes impliquées : tout cela a été fait selon les demandes de M. Michel Nault.
Il serait donc impérieux que tout cela soit mentionné dans cette lettre.
[20] Entre le 24 et le 30 septembre 2002, le plaignant se voit administrer sa suspension sans solde pour une durée d’une semaine (pièce E-8).
[21] Selon monsieur Banks, le plaignant réagit mal à cette suspension d’une semaine, en continuant à « brasser l’affaire ». Il lui dit alors : « Prends ta suspension et reviens positivement. Sinon, on ne peut continuer comme ça. Ton attitude doit changer. »
[22] Le 25 septembre 2002, alors qu’il est à sa deuxième journée de suspension, le plaignant s’enquiert de ses droits à la Commission des normes du travail. Tel qu’on le voit à son agenda, le plaignant écrit sur la carte d'affaires de la préposée de cet organisme administratif : « Si tu es mis à pied, on va ouvrir un dossier » (pièce E-17b)..
[23] Le mardi 1er octobre 2002, à la suite de sa suspension d’une semaine, le plaignant revient au travail. Il dit que l’atmosphère de travail est froide.
[24] Le mercredi 2 octobre 2002, selon la version du conseiller Mathieu Poirier, le plaignant demande à André Grégoire, gérant des opérations, s’il a du « temps accumulé en banque » lui permettant de prendre un congé le vendredi 4 octobre 2002. Or, vu qu’il n’en n’a pas, il est avisé qu’il n’est pas éligible à la journée de congé demandée.
[25] Selon la version du plaignant, il adresse plutôt à ce jour cette demande à son supérieur immédiat, Denis Pirollo. En faisant savoir à ce dernier qu’il ne file pas bien, il veut prendre une journée de congé le vendredi 4 octobre 2002. Au cours de l’après-midi, Pirollo lui dit qu’il n’a pas d’« heures en banque ». Par la même occasion, selon le plaignant, Pirollo lui dit qu’il a signé contre son gré un reproche qu’il lui faisait le 21 décembre 2001, relativement aux absences non motivées lors de ses retours au travail (pièce P-21).
[26] Dans la nuit du 2 au 3 octobre 2002, le plaignant dit avoir souffert d’indigestion, d’angoisse et de douleurs à l’estomac. Il dit ne plus être capable de marcher et avoir pleuré.
[27] Le jeudi 3 octobre 2002, à 8 heures du matin, le plaignant téléphone Mathieu pour lui dire qu’il a passé « une très mauvaise nuit » et qu’« il sera absent de son poste » à ce jour. À 10 h 15 de ce jour, le plaignant affirme avoir rencontré durant environ 15 minutes, sans rendez-vous préalable, son médecin de famille, le Dr Michel Brière. À ce dernier, il affirme lui avoir dit qu’il est incapable de travailler et lui avoir raconté les circonstances de sa suspension sans solde.
[28] Selon le plaignant, le Dr Brière lui recommande de prendre un repos du 3 au 20 octobre 2002, soit durant au moins deux semaines ouvrables. Il en profite pour renouveler des prescriptions. De plus, anticipant le pire de son employeur à son retour, le plaignant affirme avoir dit à son médecin qu’il allait au mariage de sa fille, en Floride. Ce à quoi, le Dr Brière lui aurait dit, toujours selon le plaignant : « C’est bénéfique que tu ailles en Floride ».
[29] Par la suite, le plaignant téléphone de nouveau Mathieu Poirier pour lui dire qu’il a vu son médecin et que celui-ci lui recommande de s’absenter de son travail jusqu’au dimanche 20 octobre 2002 inclusivement, soit durant une période de 17 jours. Il lui expose, par courriel, qu’il lui transmettra par la poste le certificat médical de son médecin (pièce P-13).
[30] De plus, vu qu’il a obtenu de son médecin une attestation médicale au soutien de son absence, le plaignant demande à Mathieu Poirier d’annuler les vacances qu’il devait prendre entre les lundis 7 et 14 octobre 2002, jour de l’Action de grâces, pour se rendre en Floride aux noces de sa fille qui doit se marier le mercredi 9 octobre 2002..
[31] Dès lors, le conseiller Poirier lui dit qu’il lui téléphonera le lendemain matin, soit le vendredi 4 octobre 2002. Ce à quoi, le plaignant réagit en disant qu’il sera absent le lendemain. Mathieu Poirier lui dit alors qu’il lui téléphonera quand même. Le plaignant lui offre plutôt alors de lui transmettre par la poste son certificat médical. Par ailleurs, de déclarer à la Commission Mathieu Poirier : « Je n’avais pas de problème d’annuler ses vacances, s’il était vraiment malade ».
[32] Le plaignant ne dit pas à Poirier qu’il quittera pour la Floride le lendemain, le vendredi 4 octobre, plutôt que le samedi 5 octobre 2002. Pourquoi? Parce que, de déclarer le plaignant à la Commission, il ne sait pas à ce moment qu’il partira le lendemain. Toutefois, selon lui, Mathieu Poirier sait qu’il devait partir le samedi pour la Floride.
[33] Toujours en date du jeudi 3 octobre 2002, à 15 h 40, le plaignant transmet à Mathieu Poirier un courriel qui se lit comme suit (pièce P-13) :
Un petit mot pour faire suite à notre conversation de cet après-midi.
Je te poste l’arrêt de travail de mon médecin. Je dois le revoir le 17 octobre 2002.
Pour ce qui est de ma semaine de vacances déjà shéduler, je pense que je vais la garder en banque. Donc, tu devras appliquer les journées du 3, 4, 7, 8, 9 oct. comme journées d’attente pour l’assurance-salaire.
Aussitôt que mon médecin aura rempli le formulaire, je te le ferai parvenir.
J’aimerais aussi faire plus vite, mais les médecins ne sont pas pressés pour remplir des formulaires.
Aussi, serait-ce possible de me faire parvenir la cessation d’emploi pour le temps que je serai absent.
[34] En ce jour du jeudi 3 octobre 2002, la veille de son départ pour Floride, le plaignant consulte de nouveau la Commission des normes du travail. Le préposé lui dit d’« attendre [son] congédiement », tel qu’il est écrit à la page de son agenda et dont le procureur de l’employeur demande le versement au présent dossier. Pourquoi téléphoner de nouveau à cet organisme administratif? « Pour savoir c’est quoi les lois », d’affirmer le plaignant à la Commission.
[35] Par ailleurs, interrogée sur les circonstances du départ du plaignant en Floride, l’épouse de ce dernier, madame Céline Courtois, établit ce qui suit :
- Le jeudi 3 octobre 2002, après que son mari eût passé une mauvaise nuit, elle lui suggère de ne pas aller travailler et d’aller voir son médecin. Après le dîner, lorsque son mari revient du bureau du Dr Brière avec un certificat médical prescrivant un « repos à domicile » du 3 au 20 octobre 2002, elle affirme lui avoir suggéré de partir en Floride, au mariage de leur fille, le vendredi 4 octobre 2002 plutôt que le samedi 5 octobre. À ce moment, le plaignant ne lui dit pas que son employeur lui a refusé une demande de prise de congé pour ce vendredi 4 octobre 2002.
- Le vendredi 4 octobre 2002, à 4 heures du matin, et quoiqu’elle dise que son mari est à ce moment « épuisé mentalement », elle et son mari partent pour la Floride en voiture, tandis que les enfants y partent plutôt en avion. « On a conduit tous les deux », précise-t-elle à la Commission.
[36] Vu des circonstances passées qui sont relatées, le couple décide de payer tous les frais de voyage en argent comptant (environ 1 500 $ US). Ainsi, à l’occasion de ce voyage, tous deux affirment ne pas avoir utilisé aucune carte de crédit.
[37] En regard de son départ pour la Floride, à 4 h du matin de ce vendredi 4 octobre 2002, à une question du procureur de l’employeur le plaignant dit qu’il part l’esprit tranquille, et ce, « parce que j’ai un billet médical ».
[38] Le vendredi 4 octobre 2002, au début de l’avant-midi, le conseiller Poirier téléphone chez le plaignant afin de compléter le dossier. Dès lors, une dame répond au téléphone et dit à Mathieu Poirier que le plaignant « est parti pour les deux prochaines semaines pour le mariage de sa fille ». Dès lors, de déclarer à la Commission Mathieu Poirier :
Je suis très surpris. Il ne me l’a pas dit. Je suis déçu… il ne m’a pas donné l’information. Je me sens manipulé.
[39] Le lundi 7 octobre 2002 (ou le mardi 8 octobre, Mathieu Poirier ayant mentionné ces deux dates dans son témoignage), après une tentative infructueuse selon le plaignant de transmission par courriel en date du 3 octobre 2001, l’employeur reçoit par la poste le certificat médical du Dr Michel Brière transmis par le plaignant et qui énonce ce qui suit (pièce E-3) :
Repos à domicile du 2002-10-03 au 2002-10-30 incl.
[40] Par le même envoi postal, le plaignant écrit également ce qui suit à Mathieu Poirier (pièce E-3) :
Pour ce qui est de ma semaine de vacances prévue du 7 au 11 octobre inclusivement, garde-la en banque. Applique les 5 journées d’attente sans solde pour assurance.
[41] Le mardi 8 octobre 2002, Mathieu Poirier demande par écrit au plaignant de se présenter chez l’employeur le mercredi 9 octobre 2002 (pièce E-4) :
Vous êtes convoqué chez Kenworth Montréal au 75000 Transcanadienne pour nous apporter un certificat et un diagnostic expliquant les causes de votre incapacité à travailler du 3 octobre au 20 octobre 2002. En effet, les documents transmis par écrit et reçus le 7 octobre 2002 ne mentionnent aucun motif pouvant expliquer cette incapacité. Nous avons tenté de communiquer avec votre médecin préalablement, mais celui-ci a refusé de nous parler.
Nous vous attendons donc chez Kenworth Montréal, le mercredi 9 octobre à 16 h 00.
Si, pour quelques raisons que ce soit, vous ne pouvez vous présenter à ce rendez-vous, veuillez communiquer avec votre employeur le plus rapidement possible.
Votre présence est très importante pour la suite ce votre dossier.
[42] Le mercredi 9 octobre 2002, étant donné que le plaignant ne répond pas à cette lettre, Mathieu Poirier transmet cette seconde lettre au plaignant par laquelle il lui demande en ces termes de se présenter chez le médecin de l’employeur (pièce E-5) :
N’ayant pu obtenir les éclaircissements souhaités de votre part, la présente est pour vous aviser que vous êtes convoqué à une expertise médicale avec le Dr Mitchell Pantel vendredi le 11 octobre à 15 h 30 dans le but de voir l’évolution de votre santé. …
Si, pour quelques raisons que ce soit, vous ne pouvez vous présenter à ce rendez-vous, veuillez communiquer avec votre employeur le plus rapidement possible. En cas d’absence, des mesures disciplinaires peuvent suivre.
[43] Évidemment, le plaignant ne se présente pas chez son médecin puisqu’il est en encore en voyage. C’est lundi le 14 octobre 2002, jour de l’Action de grâces, qu’il revient de Floride. Le lendemain, Mathieu Poirier le rejoint. Ce dernier affirme avoir dit au plaignant qu’il ne savait pas qu’il allait au mariage de sa fille en Floride et lui demande de se présenter au bureau du Dr Jacques Gagnon en date du 1er novembre, un médecin désigné par l’employeur. Ce à quoi, le plaignant dit avoir réagi comme suit : « Je n’étais pas à domicile, tu le savais ».
[44] Le 31 octobre 2002, la veille de ce rendez-vous, Mathieu Poirier transmet au Dr Gagnon une « Description de l’historique du travailleur ». Sur ce document, Mathieu Poirier brosse un portrait négatif du plaignant (pièce P-27). Réagissant à ce document, le plaignant souligne certaines erreurs y apparaissant, selon lui, dont les suivantes :
- Chez un ancien employeur, il n’a pas été congédié. On l’a plutôt remercié pour le remplacer par une personne moins rémunérée que lui.
- Sa dernière évaluation chez le présent employeur, faite par Denis Pirollo était excellente,… ce qui aurait fâché le gérant de service Michel Nault.
- Il n’avait pas de mauvaises relations avec ses collègues de travail, à l’exception d’une altercation qu’il a eue avec le contremaître Serge Vallée.
- Si on le réprimande, dans le passé, pour ses « absences répétitives », c’est parce qu’il manifestait son désaccord sur les pratiques frauduleuses reliées aux garanties. Aussitôt qu’il y collabore positivement, quelque 11 mois avant son congédiement, on lui dit qu’il n’est dès lors plus nécessaire de justifier ses absences.
- Il dit ne pas comprendre le dernier paragraphe de ce document qui le dépeint comme un manipulateur. En effet, dit-il, « je n’ai jamais manipulé personne ».
[45] Le 1er novembre 2002, le Dr Gagnon écrit à Mathieu Poirier pour lui faire notamment part que le plaignant « est consolidé depuis la première journée de son arrêt de travail, le 3 octobre 2002 » et, qu’à son avis, « la condition psychiatrique du travailleur ne l’empêche pas d’accomplir son travail habituel »… sans « restriction particulière » (pièce E-6).
[46] Le 7 novembre 2002, Mathieu Poirier écrit au bureau des Laurentides de la CSSST et fait part des commentaires de l’employeur, à la suite de la réclamation du plaignant pour « humeur anxio-dépressive ». Et, de dire le plaignant en considérant ce document : « On m’écrase ».
[47] Le 22 novembre 2002, tel que confirmé par la lettre du 20 décembre 2002, SSQ Groupe financier (Assurance collective) avise le plaignant que sa demande d’indemnisation est rejetée, puisque « les informations médicales disponibles à votre dossier ne justifient pas une invalidité totale et continue au sens de votre contrat d’assurance » (pièce E-7).
[48] Le 26 novembre 2002, après avoir décidé que « les faits allégués et les éléments présents au dossier ne nous permettent pas d’établir que vous avez été victime d’une lésion professionnelle », la CSST refuse la réclamation d’indemnisation du plaignant.
[49] À ce jour du 26 novembre 2002, sous la signature du directeur général Tom Banks, l’employeur rompt en ces termes sa relation contractuelle avec le plaignant (pièce E-1) :
Nous avons procédé à une analyse complète de votre dossier depuis votre absence du 3 octobre 2002.
Le 1er novembre 2002, vous avez été expertisé par le Dr Jacques Gagnon, psychiatre, qui suite à un examen complet, en vient à la conclusion que vous êtes en mesure d’accomplir votre travail habituel sans restriction particulière, et ce, depuis le 3 octobre 2002. Votre absence du travail n’est pas justifiée et constitue un manquement grave à notre politique d’absentéisme.
Le 20 septembre 2002, nous vous avons remis un avis disciplinaire final indiquant spécifiquement que vous avez grandement affecté la relation de confiance avec Kenworth Montréal. Votre attitude nous indique aucune amélioration de votre part.
Nous en venons donc à la conclusion que nous n’avons d’autres alternatives que de mettre fin à votre emploi à compter de ce jour. …
[50] La décision de congédier le plaignant est prise conjointement et solidairement par Mathieu Poirier (agent des ressources humaines), Tom Banks (directeur général) et Normand Charron (directeur des ressources humaines de Paccard Canada). En effet, de déclarer à la Commission le directeur général, Tom Banks : « La confiance est brisée ».
[51] Pour sa part, Normand Charron, directeur des ressources humaines de Paccard Canada, comprenant notamment l’usine de Ste-Thérèse où travaille le plaignant, apporte les précisions suivantes :
- Il a participé à la rédaction de l’Avis disciplinaire final (pièce E-2). Lorsqu’il écrit au plaignant que « tout autre comportement de ce genre conduira à la terminaison de votre emploi », il veut signifier tout comportement fautif « relié à la confiance ».
- En ce qui concerne les faits entourant l’absence du plaignant le conduisant en Floride au mariage de sa fille, monsieur Charron tient à mettre en relief ce qui suit : la demande préalable et « cousue de fils blancs » du plaignant de prise de congé pour le vendredi 4 octobre 2002; les réclamations du plaignant refusées par la SSQ Groupe financier (Assurance collective) et par la CSSST. Ces faits invitent l’employeur à conclure que le plaignant « manipulait le système ».
- Ainsi, de déclarer à la Commission le directeur Charron : « Le lien de confiance n’est pas. Je recommande le congédiement. » De plus, de déclarer également monsieur Charron : les incidents, reliés à cette absence, constituent l’« incident culminant ».
[52] Depuis le 14 janvier 1988, le plaignant se fait suivre par le Dr Brière.
[53] Le jeudi 3 octobre 2002, sans rendez-vous préalable, le Dr Brière rencontre le plaignant à son cabinet, au cours d’une consultation qui ne dure que 5 minutes. Le but de cette visite du plaignant à son cabinet :
- Demander un renouvellement de médicamentions (il souffre d’épilepsie). Soulignons que, depuis 1989 ou 1990, le plaignant effectue 2 visites annuelles chez le médecin pour renouveler sa prescription de « dilantin ».
- Faire part de son anxiété, de son irritabilité et de ses problèmes d’insomnie. Jugeant que le plaignant souffre de « troubles d’adaptation », et vu que « ce n’est pas clair » et que jusqu'à présent il n’a posé aucun diagnostic sur les « troubles mentaux du plaignant », le Dr Brière lui dit qu’il le reverra le 17 octobre 2002. Il lui prescrit donc un repos de 14 jours, avant de le revoir.
[54] Au terme de cette brève consultation de 5 minutes, et sans qu’aucun examen médical ne soit effectué, le Dr Brière lui prescrit un « repos à domicile », et ce, pour la période comprise entre le 3 octobre 2002 et le 20 octobre inclusivement (pièce P-13). Et, de déclarer le Dr Brière à la Commission : « Je n’émets pas de certificat par ce qu’il m’a dit, mais parce que je le connais depuis un bon bout de temps ».
[55] Contre-interrogé par l’employeur, le Dr Brière déclare que le plaignant ne lui a pas dit qu’il partait pour la Floride, le lendemain, au mariage de sa fille. Et, même s’il lui avait dit, il ne l’aurait pas découragé de prendre son volant pour autant, et ce, « parce que c’est un événement heureux » et qu’« on peut se détendre au volant ».
[56] Le 17 octobre 2002, le Dr Brière revoit le plaignant. Il décèle des signes invalidants : difficulté de concentration, insomnie. Celui-ci lui fait part des tensions qu’il vit au travail, d’une suspension possible dont il peut être objet puisqu’il est allé au mariage de sa fille en Floride. « Ça peut expliquer l’irritabilité… et les symptômes d’anxiété », de dire le Dr Brière.
[57] Selon le Dr Brière, la meilleure façon, pour régler un problème d’adaptation, est « d’éviter la cause du problème »,… donc d’éviter de se présenter au travail. De plus, généralement, il est suggéré une psychothérapie, de la médicamentions ou un travail pour un autre employeur,… tel que, au fait, il lui suggère.
[58] Dès lors, le Dr Brière rédige un certificat médical, ainsi qu’une attestation médicale pour la CSST, qui se lit comme suit (pièces P-14 et 15) :
Repos à domicile du 3 octobre 2002 au 30 novembre 2002, pour trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive relié à des tensions au travail.
[59] Le 12 novembre 2002, le Dr Brière atteste à l’assureur (SSQ, assurance collective) que le plaignant souffre d’une maladie à caractère psychologique (pièce E-9). Par la suite, l’assureur refuse la réclamation du plaignant en informant ce dernier que « les informations médicales disponibles à votre dossier ne justifient pas une invalidité totale et continue au sens de votre contrat d’assurance » (pièce E-7).
[60] Le 2 décembre 2002, le Dr Brière demande à ce qu’un psychiatre rencontre le patient.
[61] Le 12 juin 2003, le plaignant rencontre en consultation le Dr Gabriel Belzile, psychiatre, qui transmet à ce jour au Dr Brière son rapport de consultation (pièce P-22).
[62] Le 15 décembre 2003, plus d’un an après le congédiement du plaignant, le Dr Gilles Chamberland, psychiatre, procède à une évaluation psychiatrique du plaignant, tel que l’a lui demandé un an auparavant par le Dr Brière. Le rapport d’expertise de 13 pages du Dr Chamberland est versé au dossier sous la cote (pièce P-29) :
[63] Le Dr Gagnon est psychiatre depuis 1970 et est chef du département de psychiatrie à l’hôpital Hippolyte-Lafontaine.
[64] Le 1er novembre 2002, après avoir pris connaissance d’un exposé de faits que lui a transmis l’employeur et au moyen d’une entrevue de plus d’une heure, le Dr Gagnon procède auprès du plaignant à une expertise médicale en psychiatrie. Son rapport d’expertise est versé au dossier sous la cote E-6.
[65] Le Dr Gagnon reconnaît que le plaignant, lorsqu’il parle de son milieu de travail chez l’employeur, est agressif. Selon lui, il accuse l’autre et il ne reconnaît pas ses problèmes. Toutefois, dit-il, il peut fonctionner à 75 % au travail.
[66] Était-il en mesure de pouvoir conduire sa voiture pour aller au mariage de sa fille en Floride, en date du 3 octobre 2002? Dans le cas de troubles sévères de sommeil, il ne peut prendre le volant. Le fait d’avoir réussi à conduire sa voiture prouve qu’il était en assez bonne condition.
[67] Toujours en date du 3 octobre 2002, il n’a aucun indice qu’il pouvait souffrir d’une anxiété ou d’une pathologie invalidante. La preuve, précise-t-il, c’est qu’il a conduit sa voiture pour se rendre en Floride.
[68] S’est-il absenté pour cause de maladie? Selon le Dr Gagnon, il croit :
- que le Dr Brière ne lui aurait pas délivré un certificat médical s’il avait su que son patient partait le lendemain pour la Floride (selon lui, le fait d’avoir caché cette information à son médecin n’est pas correct);
- le plaignant a cherché à éviter le travail par l’obtention d’un certificat médical;
- s’il avait obtenu le congé demandé, il serait parti en vacances et n’aurait jamais réclamé un arrêt de travail.
[69] Toutes les conditions sont réunies pour que le plaignant ait accès au recours prévu à l’article 124 de la Loi sur les normes du travail. Ainsi, l’employeur a le fardeau de convaincre que sa décision de mettre fin à l’emploi du plaignant s’explique par une cause juste et suffisante.
[70] La présente affaire en est essentiellement une d’appréciation de faits.
[71] Après avoir vu et entendu les témoins de chacune des parties, en incluant les médecins présentés par chacune de celles-ci, après avoir également analysé la volumineuse preuve documentaire versée au dossier, cette appréciation globale et d’ensemble des faits en preuve s’impose : n’étant pas parvenu à obtenir de l’employeur une journée de congé pour le vendredi 4 octobre 2002, le plaignant réussit après coup et rapidement, à des fins personnelles et au détriment de l’employeur, à ce que :
1) l’absence au travail, en date du vendredi 4 octobre 2002, soit considérée, non pas comme une journée de congé consentie par l’employeur dans le cadre du régime du « temps accumulé en banque », mais plutôt comme une journée d’absence au travail pour cause de maladie;
2) les journées de vacances qui étaient planifiées pour se rendre au mariage de sa fille en Floride, entre le samedi 5 et le lundi 14 octobre 2002, jour de l’Action de grâces, soient converties en journée de maladie;
3) ces journées de vacances, dorénavant transformées en journées de maladies, ne soient pas perdues et soient de surcroît rapportées à un autre moment au cours de l’année de travail.
[72] La manœuvre est de taille. En raison de l’échec d’obtenir une journée de congé, puisque n’ayant pas d’« heures en banque », ce n’est pas seulement une journée d’absence au travail pour cause de maladie que le plaignant réussit à obtenir - au départ, il ne cherchait qu’à pouvoir s’absenter que le vendredi 4 octobre 2002, certes pour pouvoir partir à ce jour en Florider - mais plutôt deux semaines complètes et ouvrables de travail, à partir de ce vendredi 4 octobre 2002,… ces deux semaines coïncidant avec la semaine ouvrable de congé planifié pour se rendre aux États-Unis au mariage de sa fille, soit avec la semaine du 7 au 11 octobre 2002.
[73] Le jeudi 3 octobre 2002, dès 8 heures du matin, le lendemain où il échoue dans sa tentative pour que le vendredi 4 octobre 2002 soit considéré par son employeur comme une journée de congé, il téléphone à Mathieu Poirier, conseiller en ressources humaines chez l’employeur, pour l’aviser de son absence en ce jour parce qu’il a passé « une très mauvaise nuit ». Ainsi, il ne se présente pas au travail. Il se rend plutôt au cabinet de son médecin de famille.
[74] Après s’être simplement fié à ce que lui communique à ce moment le plaignant au cours d’une brève rencontre de 5 minutes, au cours de laquelle ce dernier ne lui dit pas qu’il est à la veille de partir pour Floride au mariage de sa fille, il obtient du Dr Brière une attestation médicale qui se lit comme suit : « Repos à domicile du 2002-10-03 au 2002-10-20 inc. » (notre soulignement).
[75] Puis, après avoir obtenu l’attestation recherchée d’absence, il ne perd pas de temps. En ce jeudi 3 octobre 2002, il téléphone de nouveau au conseiller Poirier pour lui dire que, venant tout juste d’obtenir un certificat médical, il doit s’absenter pour une période déterminée pour cause de maladie, sans lui dire toutefois qu’il partira tôt le lendemain pour la Floride. Puis, il protège aussi ses arrières, en cas de congédiement, en s’enquérant de ses droits à la Commission des normes du travail.
[76] Le même jour, il transmet par la poste au conseiller Poirier, sans aller lui porter à son bureau, le certificat médical en question et, par la même occasion et de façon manuscrite, il lui demande de garder « en banque » sa semaine prévue de vacances, et ce, « comme journée d’attente sans solde pour assurance » (pièce E-3). De plus, par courriel, transmis plus tard à ce jour, il confirme à Mathieu Poirier cet envoi postal, il réitère sa demande de « garder en banque » les vacances préalablement planifiées et d’« appliquer les journées du 3, 4, 7, 8, 9 oct. comme journées d’attente pour l’assurance-salaire » et il demande, enfin, qu’on lui fasse parvenir le formulaire de « cessation d’emploi » pour la période où il sera absent (pièce P-13).
[77] Perspicace, alors qu’il est au téléphone avec le plaignant après que ce dernier soit revenu de voir son médecin de famille et qu’il l’avise de son absence pour cause de maladie, le conseiller Poirier lui dit qu’il lui téléphonera le lendemain matin, soit le vendredi 4 octobre 2002, précisément le jour où le plaignant avait cherché la veille de ce coup de fil à s’absenter,… ce qui ne lui a pas été accordé, considérant qu’il n’avait pas d’« heures en banque ». La réponse du plaignant, à ce projet d’intention de Mathieu Poirier est singulièrement significative. En effet, le plaignant lui dit qu’il sera « absent », le vendredi 4 octobre 2002, sans lui préciser toutefois la raison de son absence.
[78] Dès lors, le conseiller Poirier lui dit qu’il lui téléphonera, de toute façon, le vendredi matin. C’est alors que, en ce vendredi 4 octobre 2002, Mathieu Poirier est renversé d’apprendre d’une personne qui se trouve au domicile du plaignant que ce dernier « est parti pour les deux prochaines semaines pour le mariage de sa fille ».
[79] La réaction de Mathieu Poirier, à ce moment, s’explique et se comprend. En effet, de déclarer ce dernier à la Commission : « Je suis très surpris. Il ne me l’a pas dit. Je suis déçu… il ne m’a pas donné l’information. Je me sens manipulé ».
[80] Après quoi, dans les circonstances, s’enclenche par l’employeur la procédure normale de vérification imposée de l’état de santé du plaignant. Étant donné qu’il est en Floride et qu’il n’est pas ainsi disponible pour satisfaire à la première demande en ce sens de l’employeur, ce qui est un manquement à une obligation implicite, le plaignant ne se présente pas à la première expertise médicale convoquée pour le 11 octobre 2002 au cabinet du Dr Mitchell Pantel, médecin désigné par l’employeur.
[81] C’est le 1er novembre 2002, après avoir été examiné par un autre médecin désigné par l’employeur, que le Dr Jacques Gagnon, médecin psychiatre, en arrive à la conclusion que, en date des jeudi et vendredi 3 et 4 octobre 2002, le plaignant n’était pas inapte au travail. Ainsi, d’écrire le Dr Gagnon à Mathieu Poirier : le plaignant « est consolidé depuis la première journée de son arrêt de travail, le 3 octobre 2002 ».
[82] Par la suite, le plaignant échoue dans ses tentatives de faire reconnaître sa « maladie » par SSQ Groupe financier (Assurance collective) et de faire reconnaître sa « lésion professionnelle » par la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST). Toutefois, le plaignant a interjeté appel, devant la Commission des lésions professionnelles, de cette décision de la CSST.
[83] Le 26 novembre 2002, après avoir recueilli et analysé tous les éléments factuels de la situation, pesés en fonction du dossier disciplinaire du plaignant, après la production de l’expertise médicale du Dr Gagnon et après avoir pris connaissance des conclusions de SSQ Groupe financier ainsi que de la CSST, l’employeur le congédie.
[84] La Commission ne croit pas les explications et rationalisations offertes par le plaignant. Certaines ne concordent pas avec des éléments établis par la preuve. Il n’y a pas lieu d’en faire la nomenclature. En quittant le vendredi 4 octobre à 4 heures du matin et en conduisant sa voiture vers la Floride, non inquiété parce que dit-il « j’ai un certificat médical », le plaignant ne se comporte pas comme une personne malade au point d’être inapte à pouvoir travailler à ce jour.
[85] Il est clair que le plaignant, par ses agissements, a pris délibérément les moyens pour pouvoir s’absenter de son travail le vendredi 4 octobre 2002. En effet, n’ayant pas obtenu le congé recherché, il s’en est remis à une façon de faire qu’il connaissait bien : l’« absence pour cause de maladie » et pour laquelle l’employeur lui a dans le passé demandé que, vu son « taux d’absentéisme élevé », il devait dorénavant justifier tout arrêt de travail par un « certificat médical indiquant le motif de l’arrêt » (pièce P-9).
[86] Soulignons que le certificat médical, obtenu le jeudi 3 octobre 2002, n’indique pas la nature du diagnostic et le motif de l’arrêt de travail prescrit. Tel que l’a notamment bien plaidé ce point de droit l’employeur par son procureur, jurisprudence à l’appui, un tel document imprécis ne satisfait pas aux règles de l’art en la matière.
[87] En agissant comme il l’a fait, le plaignant a fait défaut de satisfaire à une de ses obligations contractuelles, soit celle de devoir fournir normalement sa prestation de travail pour laquelle ses services sont retenus moyennant rémunération.
[88] De plus, le plaignant a également fait défaut de satisfaire à cette autre obligation contractuelle, soit l’obligation de loyauté, qui lui impose un devoir de droiture et d’intégrité envers son employeur, son assureur collectif ainsi qu’envers les personnes qui contribuent à défrayer les coûts du régime d’assurance collective.
[89] Le plaignant a frauduleusement abusé du système. Une telle faute, lourde et sérieuse en soi, particulièrement dans les circonstances où elle se produit en l’espèce, autorise une sanction sévère.
[90] Déjà, la confiance de l’employeur, à l’endroit du plaignant, est ébranlée par sa participation à une manœuvre de fausses réclamations de garanties. Aucun salarié n’est tenu d’accepter de concourir à des activités qui vont à l’encontre de la morale, du droit positif ou de l’ordre public. À la suite de son aveu, après que cette manœuvre ait été dénoncée par une personne du service concerné, le plaignant a clairement été avisé que « tout autre comportement », de nature à compromettre de nouveau « la relation de confiance conduira à la terminaison de votre emploi sans préavis » (p. E-2).
[91] Lorsque la relation de confiance, l’assise fondamentale de toute relation contractuelle, est à ce point rompue, la Commission n’a pas d’autres choix que de conclure que la décision de l’employeur de congédier un salarié est, dans les circonstances, justifiée.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE la plainte.
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__________________________________ Paul Dufault |
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Me Daniel Péloquin |
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POIRIER, RIVEST |
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Représentant du plaignant |
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Me Dominique L’Heureux |
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lavery, De billy |
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Représentant de l’employeur |
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Date de la dernière audience : |
18 mai 2004 |
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AVIS :
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