Droit de la famille — 201878 |
2020 QCCA 1587 |
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COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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N° : |
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(500-04-066225-153) |
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DATE : |
27 NOVEMBRE 2020 |
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B |
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APPELANT - défendeur |
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c. |
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A |
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INTIMÉE - demanderesse |
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[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 18 septembre 2018 et rectifié le 9 octobre 2018 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Robert Mongeon), lequel, outre le règlement des questions sur lesquelles les parties se sont entendues, lui ordonne de payer à l’intimée 2 393 836,51 $ à titre d’indemnité pour enrichissement injustifié, de lui transférer sa moitié indivise dans la résidence en paiement partiel de cette somme, et de verser à l’intimée 100 000 $ à titre de provision pour frais.
[2] Pour les motifs du juge Sansfaçon auxquels souscrit la juge Roy, et pour les motifs concourants de la juge en chef Savard auxquels souscrit le juge Sansfaçon, LA COUR :
[3] ACCUEILLE l’appel en partie, avec les frais de justice en faveur de l’intimée, aux fins de remplacer le paragraphe [212] du jugement par les paragraphes [212] à [212.4] suivants :
[212] ORDONNE au défendeur B de payer
à la demanderesse A la somme de 2 393 836,51 $ avec un intérêt
majoré de l’indemnité additionnelle de l’article
[212.1] ORDONNE aux parties de faire procéder à l'évaluation de la valeur marchande de la résidence sise au [adresse 2] à Ville A en date du présent arrêt, à frais communs, par un expert indépendant nommé par les parties ou, à défaut d'un tel accord, par une ordonnance de la Cour supérieure;
[212.2] ORDONNE que l'évaluation soit complétée dans un délai de 90 jours de la date du présent arrêt;
[212.3] ACCORDE à l’intimée le privilège exclusif d'acquérir la part de l’appelant dans la résidence, au prix de l'évaluation qui en sera faite, dans les 60 jours de la réception de cette évaluation;
[212.4] Qu’à défaut par l’intimée d'exercer son droit de rachat de la part de l’appelant dans la résidence dans ce délai, ORDONNE que celle-ci soit alors immédiatement mise en vente, aux conditions déterminées par les parties ou, à défaut, par la Cour supérieure, et que le produit net de la vente soit partagé à parts égales entre les parties.
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MOTIFS DU JUGE SANSFAÇON |
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[4] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 18 septembre 2018 et rectifié le 9 octobre 2018 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Robert Mongeon), lequel, outre le règlement des questions sur lesquelles les parties se sont entendues (la garde des enfants, les droits d’accès et les sommes dues à titre d’arrérages de pension alimentaire et de dépenses afférentes à la résidence utilisée par la famille), ordonne à l’appelant de payer à l’intimée 2 393 836,51 $ à titre d’indemnité pour enrichissement injustifié, ordonne le transfert de la moitié indivise de l’appelant dans la résidence en faveur de l’intimée en paiement partiel de cette somme, et ordonne à l’appelant de verser à l’intimée 100 000 $ à titre de provision pour frais[1]. L’appel porte sur ces trois dernières ordonnances.
[5]
L’appelant reproche principalement au juge de première instance d’avoir
empiété sur le rôle du législateur en permettant à l’intimée, autrefois sa
conjointe de fait, de recourir à des notions de common law pour obtenir une
indemnité excédant le moindre des deux montants entre l’enrichissement et
l’appauvrissement, plafond spécifié à l’article
[6] Lors de l’audition devant la Cour, l’intimée a présenté une demande verbale pour abus de procédure de l’appelant découlant de son appel, mais s’en est, à bon droit, désistée durant le délibéré.
[7]
Ce pourvoi donne l’occasion à la Cour de traiter à nouveau de certains
des critères applicables au recours pour enrichissement injustifié des articles
* * *
[8] Je ne résumerai ici que les faits qui sont nécessaires à la bonne compréhension des principales questions en litige. J’y reviendrai plus en détail lors de l’étude des moyens d’appel portant sur l’application des critères de l’enrichissement injustifié à la situation des parties.
[9] Les parties se rencontrent au cours de l’été 1996. Madame emménage chez Monsieur en juillet 1997 et lui verse un loyer, chacun contribuant aux dépenses communes en proportion de ses revenus. Durant toute la durée de leur vie commune, ils maintiennent des comptes bancaires distincts dans lesquels leurs salaires respectifs sont versés, à l’exception d’un compte conjoint dédié aux paiements de l’hypothèque de la maison qu’ils achètent en copropriété indivise en juillet 2000. Son prix d’achat est de 188 923 $, la mise de fonds est de 70 000 $ à laquelle Madame participe à hauteur de 14,3 %. Les parties contribuent aux paiements hypothécaires tous les mois en proportion de leurs revenus jusqu’en 2005, alors que Monsieur paye seul le solde de l’hypothèque. Ce dernier assumera aussi seul les coûts pour la rénovation de la maison entre 2005 et 2008. Cette maison est le seul bien de valeur que les parties possèdent en commun durant leur relation.
[10] Au moment de leur rencontre, l’intimée travaille pour [la Compagnie A], emploi qu’elle occupe toujours au moment du procès et qui lui procure un revenu d’environ 50 000 $ par année[3], auquel s’ajoutent des avantages sociaux et un fond de retraite. Elle donne naissance à leur premier enfant en [...] 2001, et prend alors un congé maternité jusqu’en mars 2002, au terme duquel elle retourne à son emploi à temps plein. Leur deuxième enfant naît en [...] 2003, à la suite de quoi Madame prend un second congé de maternité, revient à son emploi à temps plein en septembre 2004, puis, quelques mois plus tard, à temps partiel à raison de 3 jours/semaine, puis de 4 jours/semaine. Elle prend les étés de 2005, 2006 et 2007 en congé sans solde, puis en 2007, prend un congé sans solde à des fins familiales, et retourne au travail dans le même emploi en septembre 2011 à raison de 2 jours/semaine. Le juge retient de la preuve que « les revenus de Madame ont été constants de 1996 à 2007, et ce, même si elle a dû prendre des congés de maternité suite à la naissance de ses deux enfants »[4].
[11] De son côté, dans les premières années de leur relation, l’appelant travaille comme employé auprès d’une entreprise [dans le secteur A]. Son horaire de travail est alors de 8 h à 17 h[5]. En septembre 2000, il quitte son emploi pour fonder avec un associé une première entreprise ([Compagnie C]), laquelle développe et distribue [le produit A]. L’entreprise ne connaît pas le succès attendu et, en avril 2001, il devient consultant [...] auprès de [la Compagnie D], puis [de la Compagnie G]. En septembre 2004, toujours avec le même associé, l’appelant fonde [la Compagnie E], une entreprise qui exploite [dans le secteur A]. Les deux associés poursuivent simultanément le développement [du produit A] au sein [de la Compagnie C].
[12] Le juge retient de la preuve contradictoire qu’à compter de la création [de la Compagnie C] à l’automne 2000, Monsieur s’investit entièrement dans le développement de ses entreprises alors que Madame se charge seule des tâches reliées à leur résidence et, dès leur naissance, des soins à leurs enfants.
[13] En 2007, l’appelant et ses associés[6] reçoivent une offre d’achat pour [la Compagnie E] qui s’élève à 35 millions de dollars brut, qu’ils sont disposés à accepter, mais qui ne se concrétise pas puisque l’offrant n’obtient pas le financement nécessaire. Dès lors, l’appelant décide de diminuer considérablement ses heures de travail au sein de l’entreprise, ce qui lui laisse plus de temps pour s’occuper des enfants et de leurs activités sportives, bien que ses propres activités sportives et de loisir accaparent alors une grande partie de son temps, jusque-là consacré au travail. Le juge retient ceci de la preuve :
[40] Effectivement, monsieur B a pu consacrer beaucoup plus de temps à s’occuper de ses enfants et à les accompagner à leurs diverses activités parascolaires ou sportives qu’avant 2007. Cela est dû au fait qu’il a alors considérablement réduit ses heures de travail. Madame, par contre, était disponible avant et a continué d’être disponible après 2007. Il faut noter, cependant, que les activités des deux garçons inscrits à plusieurs activités parascolaires ont aussi considérablement augmenté, surtout à partir du moment où ils ont commencé à fréquenter l’école. De toute façon, ce volet de la preuve n’apparaît pas concluant sur la question de savoir si Monsieur a, ou non, convenablement accompli ses tâches familiales. Le Tribunal a pris note de toute cette preuve mais sa décision sur les conclusions recherchées par Madame ne se fonde pas particulièrement sur la disponibilité des parents postérieurement à 2007. Avant cette date, Monsieur admettra par écrit qu’il n’était pas ou très peu disponible pour s’occuper des enfants et de la maison (voir P-8 et P-9) et après cette date, il semble que les deux parents ont assumé tour à tour leur présence auprès des enfants selon les besoins de ces derniers.
[41] 2007 marque donc le début de la nouvelle vie de Monsieur qui en est une de loisirs, plutôt que de travail. A partir du moment où monsieur B sait que son entreprise vaut beaucoup d’argent et que ses revenus annuels augmentent considérablement, Monsieur décide de moins travailler et de jouir de la vie, compte tenu de ses nouveaux moyens financiers.
[42] La période de 2007 à 2012 en est une au cours de laquelle les parties ne sont plus vraiment sur la même longueur d’onde. Monsieur recherche la belle vie axée sur les loisirs, s’occupe des enfants lorsque cela est requis et fait la cuisine non pas par obligation mais par plaisir, et Madame tient à continuer à assumer son rôle de mère, d’éducatrice et de première responsable de la famille et de la maisonnée.
[43] La preuve révèle aussi que Madame est moins encline à reprendre une pleine activité professionnelle à l’extérieur du domicile familial. De plus, les enfants commencent l’école primaire puis secondaire. Ses deux enfants sont aussi fort impliqués dans des activités sportives et parascolaires, ce qui mobilise les deux parents à être disponibles afin d’assurer que les deux garçons du couple puissent participer à toutes les activités dans lesquelles ils se sont inscrits.
[44] Madame ne recherche pas d’aide familiale, tenant à assurer elle-même l’entretien de la maison et l’éducation de ses enfants.
[45] Monsieur, de son côté, recherche dorénavant une vie plus « glamour » où les loisirs deviennent plus importants. Il travaille de moins en moins étant dorénavant assuré d’une confortable sécurité financière. Il voudrait que Madame se détache de ses responsabilités de maison et d’éducation des enfants mais celle-ci refuse. Elle dit : … « Je n’ai pas eu des enfants pour les faire élever par des gardiennes ou des bonnes » … Elle tient à assurer elle-même la propreté de la maison.
[46] Monsieur constate alors que la vie commune avec Madame ne correspond plus à ses propres goûts et à ses propres ambitions. Il commence tranquillement à planifier la rupture qui se concrétisera dans les quelques mois suivant l’encaissement des 17 millions $ que lui donnera la vente de ses actions dans l’entreprise.
[…]
[73] La preuve a longuement porté sur la disponibilité de Monsieur à la maison de 2007 à 2012, Madame prétendant qu’il n’était peu ou pas disponible pour s’occuper des enfants, Monsieur prétendant le contraire.
[74] Cette preuve démontre qu’effectivement Monsieur a été disponible autant que Madame en ce qui a trait aux activités parascolaires et sportives des enfants pendant cette période.
[75] Cela n’empêche pas, cependant, que Monsieur a aussi occupé ses nombreux temps libres à bien d’autres activités qui lui plaisaient pendant cette période, soit l’aménagement d’une luxueuse résidence secondaire, la construction et l’exploitation d’une [entreprise] artisanale, l’achat de quelques condominiums à des fins d’investissement, etc… D’ailleurs, selon Madame, Monsieur a cherché à l’impliquer dans la perception des loyers des condos ou la vente (de bouche à oreille) de [produit B] mais sans que ces activités ne prennent une dimension considérable.
[76] Madame se plaint surtout du fait que de 2007 à 2012, soit depuis que Monsieur en avait les moyens financiers, celui-ci tendait beaucoup à se démarquer de toutes tâches ménagères. Il était libre alors que Madame ne l’était pas, cette dernière ne voulant ni d’une nounou pour élever ses enfants ni d’une femme de ménage pour nettoyer sa maison. Cette différence de vues ou de façon de vivre a fait en sorte de provoquer un clivage entre les deux conjoints.
[14] Au sujet de la décision de Madame d’être plus présente à la maison, le juge écrit :
[51] Mais il se plaint qu’en 2007, Madame veuille faire le choix de ralentir son rythme de travail à l’extérieur ou même cesser complètement de travailler. Elle aussi veut se la couler douce. Monsieur n’est pas d’accord. Il veut que Madame garde son emploi de fonctionnaire du gouvernement fédéral avec la sécurité d’emploi, le régime de retraite et le régime de soins de santé liés à son emploi. Monsieur craint que Madame ne devienne dépendante de lui financièrement. Monsieur dit : … « J’ai plié pour éviter des chicanes »…
[15] En 2012, l’entreprise est vendue pour 65 millions de dollars et la part nette de l’appelant est de 17 millions de dollars. Quelques mois plus tard, l’appelant rompt sa relation avec l’intimée. Celle-ci dépose sa demande fondée sur l’enrichissement injustifié le 15 juin 2015. À cette date, grâce à de bons placements, la valeur des actifs de l’appelant est passée à 22 millions de dollars[7] alors que celle de l’intimée est d’un peu moins de 500 000 $, en tenant compte de la valeur de sa moitié indivise de la résidence familiale acquise par les parties en l’an 2000 et d’une somme de 100 000 $ remise par l’appelant lors de la cessation de la vie commune.
* * *
[16] Le juge retient de la preuve que l’intimée a démontré les trois éléments requis pour donner ouverture au recours en enrichissement injustifié, soit l’enrichissement de l’appelant, l’appauvrissement de l’intimée et l’absence d’un motif juridique à l’enrichissement :
[109] Le Tribunal est d’avis que dans la présente instance, l’enrichissement du Défendeur B n’est pas arrivé sans l’appauvrissement corrélatif de la Demanderesse qui a contribué directement à l’établissement d’un climat familial où monsieur B a pu avoir la marge de manœuvre nécessaire à la création [des produits A] qui l’ont rendu riche. Cela s’est passé pendant les années 2000 à 2007. Madame s’est alors totalement investie dans la maison et le bien-être des enfants alors que Monsieur s’est, de son côté, totalement investi dans la recherche et le développement de ce qui allait faire sa fortune.
[110] De plus, les attentes raisonnables de Madame étaient clairement celles d’une conjointe qui ne s’attendait pas à être laissée pour compte aussitôt que Monsieur a eu les moyens de se payer une « belle vie ». De l’admission même de Monsieur, Madame a tout fait ce qu’elle a fait « dans l’espoir d’une vie meilleure » et non en pensant qu’on la discarterait dès le moment où l’argent arrive. Rappelons que Madame n’avait aucun motif juridique d’agir comme elle l’a fait si cela n’était justement de s’attendre à une vie confortable à l’abri du besoin et avec son conjoint et les enfants heureux autour d’elle.
[17] Le juge estime que « [l]a prestation de services domestiques peut donc constituer la base d’une action pour enrichissement injustifié »[8], qu’en l’espèce, l’intimée a créé le « climat » dans lequel l’appelant a pu créer et développer son [produit A] et que sans cela il n’aurait pas pu le faire, et donc que la preuve démontre clairement l’apport de l’intimée à l’enrichissement de l’appelant. Selon le juge, « [i]l y a donc, ici, une corrélation évidente entre l’enrichissement de Monsieur et l’appauvrissement de Madame par son apport de services familiaux et domestiques, en plus d’avoir été en mesure d’assurer une participation directe, dans la mesure de ses moyens, aux finances du couple alors que Monsieur n’avait pas de revenus », et ce, sans que l’intimée ait eu une quelconque obligation ou un quelconque motif[9]. Il est d’avis que les deux présomptions afférentes aux unions de longue durée, soit l’existence d’une corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement et l’absence de motif à l’enrichissement, s’appliquent et que l’appelant ne les a pas renversées.
[18] Passant à l’étape de la réparation, le juge, prenant notamment appui sur l’arrêt de la Cour Droit de la famille —132495[10] et sur celui de la Cour suprême Kerr c. Baranow[11], estime que les faits l’autorisent à employer la méthode fondée sur la valeur accumulée pour calculer la réparation, puis en déduire les avantages reçus par Madame, dans la mesure où la preuve démontre l’existence d’une coentreprise familiale. De son analyse de la preuve, le juge conclut à l’existence d’une coentreprise familiale : les parties ont vécu ensemble durant 16 ans, ont eu deux enfants, et ont eu un projet de vie commune durant lequel l’appelant s’est enrichi et l’intimée s’est appauvrie essentiellement en raison de son apport en soins à la famille, principalement de la naissance du premier enfant jusqu’en 2007, apport que l’appelant a d’ailleurs lui-même reconnu, notamment dans [le livre A], et sans lequel il n’aurait pu s’enrichir comme il l’a fait.
[19] Enfin, le juge fixe l’indemnité adéquate à 20 % de la valeur nette des actifs de l’appelant au moment de la séparation (3,4 millions de dollars), soustrait de cette somme ses contributions à la valeur nette des actifs de l’intimée et conclut que celle-ci a droit à une somme de 2 393 836,51 $.
* * *
[20] Devant la Cour, l’appelant propose d’abord que le juge a commis des erreurs manifestes et déterminantes au sujet de sa contribution aux tâches domestiques et à l’éducation des enfants, de même qu’à l’égard de la participation financière de l’intimée, qui aurait été moindre que celle retenue par le juge. Celui-ci aurait de plus erré en droit en ne faisant pas appel aux bons principes juridiques applicables aux rapports patrimoniaux entre conjoints de fait lors de la rupture. L’approche empruntée par le juge démontrerait une incompréhension du cadre légal régissant généralement les rapports patrimoniaux entre conjoints de fait au Québec, des objectifs qui le sous-tendent et du pouvoir du juge québécois de faire « évoluer » le droit civil.
[21] De façon plus précise, l’appelant soutient que le juge a usurpé le rôle du législateur en modelant les règles du recours en enrichissement injustifié prévues dans le Code civil de manière à suppléer à l’absence d’intervention du législateur pour assujettir les conjoints de fait à un régime particulier. Le juge aurait ainsi erré en se substituant au législateur et, ce faisant, aurait fait fi de l’arrêt Québec (Procureur général) c. A.[12] dans lequel la Cour suprême reconnaît la validité constitutionnelle du choix du législateur québécois de ne pas soumettre les conjoints de fait à quelque régime de type matrimonial que ce soit afin de respecter l’autonomie de chacun d’eux.
[22]
L’appelant avance qu’en droit civil, contrairement à la common law, le
juge n’a pas le pouvoir « de créer ou de moduler des recours et
réparations, avec toute la souplesse que leur accorde l’equity »[13]
et qu’en matière d’enrichissement injustifié les solutions retenues en common
law diffèrent de celles autorisées par le Code civil et ne peuvent
être importées en droit civil. De plus, en common law, l’enrichissement
injustifié donnerait lieu à la restitution de l’avantage reçu alors qu’en vertu
de l’article
[23] Ainsi, plaide l’appelant, la Cour a elle-même erré dans Droit de la famille — 132495[14] en important ces principes de common law ou d’Equity en droit civil québécois (ci-après le « droit civil »), arrêt sur lequel s’appuie le juge de première instance pour appliquer les concepts de coentreprise familiale et de valeur accumulée aux faits de l’espèce. Cette approche serait à proscrire puisqu’elle aurait pour conséquence d’intégrer dans le droit civil des notions que le législateur a volontairement choisi de ne pas adopter. L’appelant invite par conséquent la Cour à conclure que cet arrêt a été « wrongly decided », à rejeter l’application en droit québécois de la théorie de la coentreprise familiale qui n’est autre qu’« un hybride illégitime entre un recours en enrichissement injustifié et un recours en reconnaissance d’une société tacite »[15], et à rejeter la méthode de fixation de l’indemnité calculée sur la valeur accumulée.
[24] Enfin, dans l’éventualité où la Cour ne lui donnerait pas raison sur ces moyens, l’appelant reproche au juge d’avoir présumé l’existence d’une coentreprise familiale en raison de la durée de la relation et de la décision des parties d’avoir des enfants. Non seulement la coentreprise ne se présume pas, comme l’a reconnu la Cour suprême dans Kerr c. Baranow[16], elle n’est susceptible de s’appliquer, lorsque prouvée, qu’aux couples mariés ou unis civilement et non aux conjoints de fait. De plus, en présumant qu’une telle coentreprise s’est ainsi instaurée entre lui et l’intimée, le juge aurait créé une distinction discriminatoire et injustifiée à l’égard des conjoints de fait qui ont des enfants et ceux qui n’en ont pas[17].
* * *
[25] Pour les motifs qui suivent, je conclus au rejet des arguments invoqués par l’appelant à l’égard des principes juridiques applicables aux rapports patrimoniaux entre conjoints de fait à l’occasion d'une rupture. L’approche empruntée par le juge est valide et démontre une bonne compréhension du cadre légal régissant les rapports patrimoniaux entre conjoints de fait au Québec. Le juge n’a pas fait « évoluer » le droit civil, contrairement au reproche qui lui est adressé par l’appelant.
[26] Je traiterai d’abord du moyen d’appel qui veut que le juge ait usurpé le rôle du législateur, puis des principes qui s’appliquent dans le cadre d’une demande fondée sur l’enrichissement injustifié. Je terminerai avec l’analyse des moyens d’appel quant à l’application de ces principes aux faits de l’espèce, puis de l’octroi de la moitié indivise de la maison en paiement partiel de l’indemnité accordée et enfin, de la provision pour frais.
[27] Dans son jugement, le juge écrit :
[1] Le droit d’obtenir une compensation du
conjoint de fait enrichi pendant l’union au bénéfice du conjoint appauvri au
cours de la même période a beaucoup évolué au cours des dernières années. Ce
droit, basé sur la théorie de l’enrichissement injustifié, codifié aux articles
[2] Même si ces décisions traitent de
demandes de compensation sur la base des principes de la prestation
compensatoire en matière de divorce, on ne peut nier leur influence lorsqu’il
sera question de l’application des articles
[…]
[112] Le Tribunal ose penser que le but recherché étant de corriger, le cas échéant, une iniquité, le juge doit faire preuve de discrétion judiciaire, face à une absence de critères législatifs applicables étant donné que les gouvernements provinciaux en général - et celui du Québec en particulier - ont négligé ou refusé de légiférer en la matière.
[Soulignements ajoutés, références omises]
[28] Il ne fait aucun doute que l’adoption de régimes juridiques et l’étendue des protections accordées aux justiciables, dont les conjoints mariés, les conjoints unis civilement et les conjoints de fait, relèvent de la sagesse du législateur, et non du pouvoir judiciaire. Il s’agit là, comme à bien d’autres égards, de questions complexes qui tiennent compte de bon nombre de valeurs sociétales souvent contradictoires et qui sont susceptibles d’évoluer avec le temps. Le Québec d’aujourd’hui est différent de celui d’il y a seulement quelques années et celui de demain le sera tout autant, en espérant le mieux. Le législateur est la branche de l’État qui possède la compétence pour décider s’il y a lieu de mettre en place des règles applicables aux relations de couple, pour décider de leur portée et pour les modifier. Ses représentants élus sont non seulement certainement mieux placés et mieux outillés que les juges pour évaluer la pertinence et les effets de telles interventions, il s’agit là de leur rôle et non celui des tribunaux.
[29] En de telles matières faisant appel à des politiques publiques, les pouvoirs du juge sont limités, comme le rappelle la Cour suprême. Ainsi, en matière de politiques fiscales, le juge Iacobucci, s’exprimant pour la majorité des juges[18], soulignait dans l’arrêt 65302 British Columbia Ltd. c. Canada[19] qu’il vaut mieux laisser au législateur le soin de prendre les décisions relatives à l’ordre public :
Même si divers objectifs de politique sont mis en
oeuvre par la voie de notre système fiscal et violent les principes de la
neutralité et de l’équité, j’estime que c’est au Parlement qu’il revient de
prendre ces décisions de politique publique. L’observation suivante faite par
notre Cour dans Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp.,
[30] De même, dans l’arrêt Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée[20], la Cour suprême énonce :
50. Le rôle principal des tribunaux est d’interpréter et d’appliquer le droit, qu’il soit procédural ou substantif, aux affaires qui leurs sont soumises. Ils doivent entendre et apprécier, conformément à la loi, la preuve pertinente aux questions de droit qui leurs sont posées et accorder aux parties les réparations qui s’offrent à eux.
51. Les tribunaux participent dans une certaine
mesure à l’évolution du droit qu’il leur appartient d’appliquer. Grâce, par
exemple, à l’interprétation qu’ils donnent aux lois, au contrôle qu’ils
exercent sur les décisions administratives et à l’évaluation qu’ils font de la
constitutionnalité des lois, ils peuvent grandement faire avancer le droit. Ils
peuvent aussi faire évoluer progressivement l’ensemble des décisions
antérieures - c.-à-d., la common law - afin d’adapter les règles de droit
qu’elles comportent « aux changements sociaux » : R. c. Salituro,
52. Il s’ensuit que le rôle des tribunaux n’est pas,
comme les appelants semblent le prétendre, d’appliquer seulement le droit
qu’ils approuvent. Il ne s’agit pas non plus pour eux de rendre des décisions
simplement à la lumière de ce qu’ils (plutôt que le droit) estiment juste ou
pertinent. Leur rôle ne consiste pas davantage à remettre en question la
réforme du droit entreprise par le législateur, bien qu’elle introduise une
nouvelle cause d’action ou des règles de procédure la régissant. Dans les
limites de la Constitution, les législatures peuvent définir le droit comme bon
leur semble. « Seuls les électeurs peuvent débattre de la sagesse et de la valeur
des décisions législatives » : Wells c. Terre-Neuve,
[31] Évidemment, les lois qui mettent en place de tels régimes juridiques sont susceptibles de faire l’objet d’un contrôle judiciaire par les tribunaux supérieurs et elles doivent en outre s’insérer dans les balises fixées par la Charte canadienne des droits et libertés[21] et la Charte des droits et libertés de la personne[22]. L’arrêt de la Cour suprême Québec (Procureur général) c. A.[23] illustre très bien cette possibilité de contrôle judiciaire, alors que plusieurs questions portant sur l’encadrement légal au Québec des conjoints unis ou non par le mariage ou l’union civile, et sur la protection des conjoints (de fait ou non) y ont été traitées par la Cour.
[32] Dans ce dernier arrêt, les motifs divergents, et même les motifs concordants, exposent la complexité des questions portant sur l’étendue des protections qui devraient être accordées aux conjoints et sur le rôle de l’État à cet égard. Le juge LeBel expose l’historique des débats qui, au Québec particulièrement, ont cours depuis longtemps et qui opposent toute intervention de l’État à une idée de la liberté partagée par certains, c’est-à-dire le droit de choisir de vivre avec une autre personne sans être assujetti par la loi à un contrôle. Le juge LeBel y reconnaît que les règles prévues dans le Code civil, lesquelles permettent aux conjoints de ne pas être assujettis au régime primaire imposé par le mariage et l’union civile (comme le soutien alimentaire et le partage du patrimoine familial) en choisissant l’union de fait, « respectent l’autonomie des personnes et la liberté des conjoints de fait d’aménager leurs rapports en fonction de leurs besoins »[24]. Il ajoute que ces règles « se situent dans le cadre d’une évolution législative longue et complexe, au cours de laquelle l’Assemblée nationale du Québec a eu le souci d’accompagner les mouvements de la société et d’adapter le droit de la famille à de nouveaux modes de rapports conjugaux dans le respect de la liberté des conjoints »[25].
[33] Dans ce même arrêt[26], la juge en chef McLachlin note, à propos de l’objectif visé par les dispositions dont il était question :
[435] La distinction entre les couples mariés ou unis civilement et les conjoints de fait créée par le modèle québécois à deux régimes distincts vise la promotion du libre choix et de l’autonomie de tous les conjoints au Québec en ce qui a trait au partage des biens et au soutien alimentaire. Ceux qui choisissent de se marier ou de s’unir civilement choisissent les mesures protectrices — mais aussi les obligations — qui découlent de leur statut. Ceux qui font plutôt le choix de l’union de fait se soustraient aux mesures de protection ainsi qu’aux obligations prescrites par l’État et sont libres de structurer leur relation de couple sans être confinés aux règles du régime obligatoire applicable aux conjoints mariés ou unis civilement.
[436] Le législateur a poursuivi cet objectif en
réponse aux changements rapides survenus dans les attitudes au Québec à l’égard
du mariage, soit en réponse au rejet du modèle d’inégalité des sexes associée à
l’institution du mariage, à la perte d’influence de l’Église et à l’affirmation
de valeurs associées à l’individualisme : B. Moore, « Culture et
droit de la famille : de l’institution à l’autonomie individuelle »
[Soulignements dans l’original]
[34] Qu’en est-il alors des propos du juge d’instance voulant que « le juge doit faire preuve de discrétion judiciaire, face à une absence de critères législatifs applicables étant donné que les gouvernements provinciaux en général - et celui du Québec en particulier - ont négligé ou refusé de légiférer en la matière »[27]?
[35] Si tant est que le juge d’instance ait voulu intervenir à la place du législateur, il s’agit d’une erreur. Je fais miens les propos de la juge en chef du Canada d’alors, toujours dans Québec (Procureur général) c. A.[28], lorsqu’elle répond à l’argument voulant qu’en vertu des chartes, les protections accordées par le Code civil aux conjoints mariés ou unis civilement devaient profiter de la même façon aux conjoints de fait :
[444] Le régime québécois a l’avantage de donner aux conjoints l’occasion de faire un calcul coût-bénéfice du statut de conjoints de fait qui ne leur confère aucun droit, mais qui, en contrepartie, ne leur impose aucune obligation : R. Leckey, « Chosen Discrimination » (2002), 18 S.C.L.R. (2d) 445, p. 458. Le législateur a choisi de ne pas adopter de dispositions protectrices obligatoires que d’importants segments de la population pourraient juger paternalistes et a plutôt permis aux conjoints de soupeser les conséquences de leurs choix et de prendre des décisions en conséquence.
[445] Qu’en est-il alors de l’absence de recours judiciaire? Le Québec est la seule province où aucune intervention judiciaire n’est prévue pour garantir que les conjoints de fait ont exercé un choix éclairé en renonçant à la protection légale de leurs droits advenant une rupture. Permettre aux juges d’intervenir ou de rendre des ordonnances quant aux patrimoines des conjoints de fait ou quant à une quelconque obligation alimentaire restreindrait forcément moins leur droit à l’égalité que ne le fait le régime québécois. Cela dit, il faudrait alors encore renoncer à une part de libre choix et d’autonomie. Le régime québécois laisse aux partenaires le soin de choisir de s’astreindre ou non au régime obligatoire et leur accorde le pouvoir discrétionnaire de gérer leur indépendance s’ils choisissent de ne pas le faire. Si les juges étaient autorisés à rendre des ordonnances à leur égard, cela limiterait ce libre choix et des individus qui avaient cru pouvoir gérer leurs affaires à l’écart de l’intervention de l’État se retrouveraient liés par des obligations qui leur seraient imposées par la cour.
[Soulignement ajouté]
[36] La Cour, sous la plume du juge Dalphond, avait, dix ans auparavant, adopté la même position dans M.B. c. L.L.[29] :
[31] Devant le silence du législateur et en
l'absence de tout contrat, certains ont souhaité que les tribunaux se montrent
plus audacieux, voire même remplissent le vide législatif et contractuel qui
est le lot de plusieurs unions de fait. Considérant les commentaires de la Cour
suprême sur l'importance de respecter la liberté de choix des couples qui ont
décidé de ne pas se marier ou de ne pas se doter d'un contrat régissant les
aspects économiques de leur vie commune, énoncés dans l'arrêt Nouvelle-Écosse
(Procureur général) c. Walsh,
* * *
[37] L’erreur fondamentale que l’appelant reproche au juge de première instance est d’avoir instauré l’équivalent d’un régime de droit que le législateur québécois a, à ce jour, volontairement refusé d’adopter, en faisant appel à des règles de droit étrangères au droit civil, nommément les notions de la coentreprise familiale et de la valeur accumulée développées par la Cour suprême dans les arrêts Peter[30] et Kerr[31].
[38] Cette question en est une de droit puisqu’il s’agit de déterminer si le juge a appliqué une norme juridique erronée. Elle commande donc l’application de la norme de la décision correcte[32]. Et puisque notre Cour a elle-même fait appel à ces règles dans Droit de la famille — 132495[33], l’appelant nous demande de déclarer que cet arrêt a été wrongly decided.
[39] Vu la nature des moyens soulevés par l’appelant, et afin d’y répondre adéquatement, je traiterai tour à tour de la perméabilité de la common law canadienne et du droit civil en matière d’enrichissement injustifié, du rôle que joue l’équité dans ce dernier concept et, toujours en matière d’enrichissement injustifié, de la convergence des deux traditions juridiques. Je traiterai ensuite de l’argument voulant que le juge ait erronément assujetti les parties, conjoints de fait, à un régime de droit, puis de l’argument voulant que le juge ait omis de considérer la règle de la moindre des valeurs entre celle correspondant à l’enrichissement et celle correspondant à l’appauvrissement.
[40] Par la suite, je traiterai de l’application de ces règles aux faits de l’espèce, afin de répondre aux moyens d’appel qui s’y rapportent.
[41] D’abord, il y a lieu de reconnaître la capacité du droit civil de s’adapter au changement de la société et, à l’occasion, d’intégrer les notions empruntées à d’autres systèmes de droit, à la condition de pouvoir y trouver une assise. C’est d’ailleurs ce qu’a fait la Cour suprême dans Cie Immobilière Viger Ltée c. L. Giguère Inc.[34] à l’égard de la doctrine de l’« enrichissement sans cause ». Depuis, et à la suite de sa codification dans le Code civil, cette doctrine de l’enrichissement injustifié s’est fait reconnaître à titre d’institution à part entière qui trouve son utilité comme outil permettant de combler certaines situations non spécifiquement prévues dans le Code civil, qui, bien que se voulant le plus exhaustif possible, ne peut pas tout prévoir[35].
[42] Le droit anglais est lui aussi perméable aux influences externes, tel le droit civil, et semble en avoir bénéficié justement en matière d’enrichissement injustifié. À mon avis, là se trouve en partie la réponse à l’argument de l’appelant voulant que la Cour ait erré en empruntant du droit anglais, plus précisément de l’Equity, les concepts de la coentreprise familiale et de la valeur accumulée. Je m’explique.
[43] En droit anglais canadien, la théorie de l’enrichissement injustifié a subi une évolution marquée au cours des 40 dernières années, empruntant pour ce faire des chemins plutôt sinueux. Le juge Cromwell expose cette évolution aux paragr. 1 à 3 et 12 à 29 de Kerr. Pour les fins de mon propos, il n’est utile que de mentionner que, lors de litige portant sur les droits financiers et le droit des biens à l’occasion de la rupture du mariage ou d’une relation conjugale dans les provinces de common law, c’est à la notion de fiducie tirée de l’Equity que les tribunaux de common law ont initialement eu recours afin de faire valoir l’équité (dans le sens générique du mot) en présence d’une situation où une partie s’enrichit sans cause aux dépens d’une autre personne. Cette notion est comprise comme étant un ensemble de règles de droit dans la tradition anglaise dans le but de rendre plus juste l’application stricte de la common law[36]. La recherche du bon véhicule par la voie duquel l’intervention du tribunal serait la plus appropriée s’est ainsi étendue sur plusieurs décennies, passant d’abord de la fiducie résultoire basée sur l’intention des parties telle qu’adoptée par les juges majoritaires dans Murdoch c. Murdoch[37], puis par la fiducie constructoire, d’abord proposée par le juge Laskin, dissident, dans Murdoch, et finalement adoptée par les juges majoritaires dans Pettkus c. Becker[38].
[44] Dans Pettkus[39], le juge Dickson, l’auteur de l’opinion majoritaire, bien qu’il n’écarte pas clairement la possibilité de faire appel à la fiducie résultoire basée sur l’intention des parties en matière familiale, choisit le camp de la fiducie par interprétation (constructive trust, aussi appelée fiducie constructoire) comme outil permettant au juge de compenser l’appauvri dans une situation d’enrichissement injustifié[40]. Il écrit que ce type de fiducie peut être imposé indépendamment de l’intention de créer une fiducie et permet d’atteindre l’objectif souhaité, qui est de remédier à un résultat autrement injuste[41] dans une situation d’enrichissement injustifié. Le juge motive comme suit l’attrait que cet outil présente[42] :
Le principe de l’enrichissement sans cause est au cœur de la fiducie par interprétation. «L’enrichissement sans cause» a joué un rôle dans la doctrine juridique anglo-américaine pendant des siècles. Dans l’arrêt Moses v. Macferlan lord Mansfield s’est exprimé comme suit: [TRADUCTION] «¼le motif principal de cette action est que le défendeur est obligé en vertu des règles de justice naturelle et d’equity de rembourser l’argent». Il ne conviendrait pas, et en fait il serait impossible, d’essayer de définir toutes les circonstances qui peuvent donner lieu à un enrichissement sans cause. […] Le grand avantage des principes anciens d’equity est leur souplesse: les tribunaux peuvent donc modeler ces principes malléables pour répondre aux nécessités et aux mœurs changeantes de la société, afin que justice soit rendue. La fiducie par interprétation s’est révélée utile dans l’arsenal judiciaire. Voir Babrociak v. Babrociak; Re Spears and Levy et al.; Douglas v. Guaranty Trust Company of Canada; Armstrong v. Armstrong.
Sous quel angle faut-il aborder la question de l’enrichissement sans cause dans les affaires matrimoniales? Dans l’arrêt Rathwell, je me suis risqué à avancer qu’il y a trois conditions à respecter pour que l’on puisse dire qu’il y a enrichissement sans cause: un enrichissement, un appauvrissement correspondant et l’absence de tout motif juridique à l’enrichissement. Il me semble que cette façon de voir est appuyée par les principes généraux d’equity que les cours ont modelés pendant des siècles, bien que, de l’aveu général, cela n’ait pas été fait dans les litiges concernant les biens matrimoniaux.
[Renvois omis; soulignement ajouté]
[45] Il ressort tant des motifs minoritaires du juge Laskin que de ceux du juge Dickson une volonté de mettre de l’avant l’équité (toujours dans le sens générique du mot) qui devrait transcender tout système de droit et, afin d’y arriver, vu les particularités de la common law, la volonté de lui trouver une assise, « une base solide »[43], « [l]e mécanisme approprié »[44] qui « y répond plus facilement »[45], ou qui se révélerait « utile dans l’arsenal judiciaire » en présence d’enrichissement injustifié[46].
[46] Puis, dans Kerr, la Cour suprême rejette clairement l’idée que la fiducie résultoire à base d’intention commune puisse même jouer un rôle dans la résolution des litiges patrimoniaux en matière familiale[47]. Quant au principe juridique sur lequel repose l’intervention du tribunal, le juge Cromwell en expose le cadre, qu’il dit être celui qui s’applique « en droit canadien »[48] :
Le recouvrement est permis quand le demandeur peut prouver trois éléments : un enrichissement ou un avantage pour le défendeur, l’appauvrissement correspondant du demandeur et l’absence de tout motif juridique à l’enrichissement : Pettkus; Peel, p. 784.
[47] C’est donc par le biais du concept de fiducie, concept étranger au droit civil, que les tribunaux de common law, la Cour suprême au premier plan, ont développé le cadre juridique permettant de faire valoir les notions d’équité lorsqu’en présence d’un enrichissement injustifié après rupture d’une relation conjugale.
[48] Toutefois, si la fiducie constructoire peut, en common law, servir à titre de moyen afin de faire valoir la notion plus fondamentale d’équité lorsqu’en présence d’enrichissement injustifié, on constate que dans les affaires qui ont initialement nourri cette évolution, le demandeur réclamait une part de la propriété des biens de son conjoint. Or, la reconnaissance par le tribunal d’un lien in rem avec un ou des biens, ce qui mène à l’octroi d’un droit dans le bien lui-même, n’est qu’un des redressements possibles[49]. Le demandeur peut aussi réclamer, dans le cadre d’une demande fondée sur l’enrichissement injustifié, une compensation monétaire. Dans Kerr, le juge Cromwell rappelle que les règles relatives à l’enrichissement injustifié sont, avec le temps, devenues le principal moyen utilisé par les tribunaux de common law pour régler les réclamations après la rupture d’une relation conjugale. Il y expose ce que devrait être le cadre juridique de l’action pour enrichissement injustifié en cette matière : une fois que sont démontrés tous les éléments donnant ouverture à la réparation (un enrichissement, un appauvrissement correspondant et l’absence de tout motif juridique à l’enrichissement), le demandeur peut réclamer une réparation pécuniaire, ou encore une réparation fondée sur le droit de propriété. Dans ce dernier cas, cela ne serait possible que si le demandeur établit un lien ou un rapport de causalité suffisamment direct entre ses contributions et l’acquisition, la conservation, l’entretien ou l’amélioration du bien en cause. En d’autres mots, si le demandeur démontre les conditions de la fiducie constructoire[50]. S’il n’y arrive pas, la réparation monétaire demeure le remède qui s’impose. La Cour précise même que la réparation monétaire devrait être privilégiée s’il est établi qu’elle serait suffisante et recouvrable[51].
[49] En droit civil, le développement du recours pour enrichissement injustifié a suivi un chemin plus direct, en ce qu’il s’est développé libre des contraintes et difficultés associées historiquement à la fiducie de la common law permettant de demander, dans des circonstances circonscrites et limitées, la reconnaissance d’un lien ou droit de propriété dans le ou les biens visés, l’objet des demandes.
[50] On l’a dit, c’est dans l’arrêt Cie Immobilière Viger Ltée c. L. Giguère Inc.[52], sous la plume du juge Beetz, que la Cour suprême a reconnu la doctrine de l’enrichissement injustifié comme faisant partie du droit québécois (bien que le droit québécois l’eût alors déjà admis[53]). Le juge Beetz en relève les origines diverses qu’il situe dans le droit romain et l’ancien droit français, mais aussi dans la doctrine civiliste québécoise et dans plusieurs articles épars du Code civil du Bas-Canada[54]. Ceci a fait dire au professeur Daniel Jutras[55] que la doctrine de l’enrichissement injustifié avait alors déjà une pluralité de formes doctrinale et jurisprudentielle, laquelle a été réécrite par le juge Beetz sous forme de six conditions. Ainsi, le droit civil a su puiser dans ses propres sources, sans besoin d’emprunter à la common law, les notions d’équité qui ont permis à la Cour suprême de répondre à une situation qu’elle considérait injuste. Le juge Beetz en a alors cerné les contours et a reconnu (il emploie le mot « consacrer »[56]) « ses conditions d'application sur lesquelles il est nécessaire de se prononcer pour disposer du pourvoi »[57] :
La plupart des autorités, mais non pas toutes, reconnaissent que le recours pour enrichissement injustifié est soumis à l'existence des conditions suivantes:
1. un enrichissement;
2. un appauvrissement;
3. une corrélation entre l'enrichissement et l'appauvrissement;
4. l'absence de justification;
5. l'absence de fraude à la loi;
6. l'absence d'autre recours.
Lorsque ces conditions se trouvent réunies, le recours est maintenu pour la moindre des deux sommes, l'enrichissement ou l'appauvrissement.
D'aucuns, tout en admettant que l'action de in rem verso ne doit pas mettre en échec ni corriger des règles certaines du droit écrit, contestent quand même la cinquième condition parce qu'ils sont d'avis qu'elle est comprise dans la quatrième, l'absence de justification. (Morel, A. op. cit. p. 113).
D'autres rejettent la règle de subsidiarité contenue dans la sixième condition. (Challies, G. S. op. cit. p. 143).
Il se peut que ces différences soient inspirées par le sens et l'extension que l'on donne à la quatrième condition, qui est la plus complexe, et à la règle de subsidiarité. Quoi qu'il en soit, c'est plutôt à la doctrine qu'il appartient de clarifier systématiquement ces difficultés. Le juge dépend de la fortune des litiges et ne se prononce pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les trancher.
[51] Il importe pour l’instant de souligner que la Cour suprême a su trouver dans les principes qui se dégagent du Code civil du Bas-Canada et du droit civil un fondement à l’obligation d’introduire l’équité dans une relation où l’un s’était enrichi aux dépens d’autrui.
[52] Comme on le sait, les conditions d’application du recours pour enrichissement injustifié ont par la suite été codifiées lors de l’entrée en vigueur du Code civil du Québec aux articles 1493 et s.
* * *
[53] Le rapprochement des termes employés tant dans le Code civil du Québec que dans les arrêts qui proviennent des autres provinces n’est pas affaire de coïncidence, mais est dû au fait que les deux systèmes de droit canadien font appel à certaines valeurs similaires, telle l’équité, afin de répondre à des situations d’iniquité. À mon avis, cette valeur commune aux deux systèmes de droit explique en très grande partie non seulement la similitude des termes employés afin de décrire les conditions théoriques de l’enrichissement injustifié, mais aussi celle des modalités d’intervention du tribunal appelé à trancher une demande qui l’invoque.
[54] Six ans après avoir énoncé dans Pettkus[58] les éléments formant le recours en enrichissement injustifié de la common law, le juge Dickson les reprend dans Sorochan c. Sorochan[59], mais en référant cette fois expressément au recours en enrichissement injustifié du droit civil québécois ainsi qu’à l’arrêt Cie Immobilière Viger et à l’arrêt de la Cour d’appel Richard c. Beaudoin-Daigneault[60]. Le juge Dickson souligne que cette doctrine est « solidement enraciné[e] dans le droit civil du Québec », notamment dans le contexte du droit de la famille[61]. Ce rapprochement fait par la Cour suprême de même que la terminologie employée dans Pettkus et Sorochan, tous deux provenant de provinces de common law, sont vus par certains auteurs[62], selon moi correctement, comme une influence du droit civil sur la common law, un emprunt de la formulation utilisée par le juge Beetz dans le contexte de droit civil.
[55] En l’espèce, un des reproches que l’appelant adresse à l’endroit du juge d’instance est que celui-ci aurait fait appel à des notions d’Equity étrangères au droit civil. Pourtant, le droit civil et la common law font tous deux appel à une même notion fondatrice du recours, l’équité. Comme l’écrit le professeur Kasirer (tel qu’il était alors)[63] :
14. As many scholars have pointed out, equity is a vital concept in the civil law, linked to many of the same ideas of fairness and good sense that animate Equity jurisprudence. Inherent to the civil law is a body of ideas connected to notions of justice, aequitas, efficiency and more that, while quite unlike English law’s Equity in its deployments, has some of Equity’s subversive character.
[Renvois omis]
[56] Dans Cie Immobilière Viger c. L. Giguère Inc.[64], le juge Beetz écrivait que « [l]e Code civil ne contient pas tout le droit civil. Il est fondé sur des principes qui n'y sont pas tous exprimés et dont il appartient à la jurisprudence et à la doctrine d'assurer la fécondité »[65]. Cet énoncé est repris à la disposition préliminaire du Code civil, qui prévoit qu’il régit les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les biens « en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12) et les principes généraux du droit ».
[57] L’équité « constitue l’une des valeurs fondamentales de notre droit »[66]. L’Equity du droit anglais ne possède donc pas le monopole de l’équité.
[58] On l’a dit, il faut reconnaître la capacité du droit civil de s’adapter au changement de la société et, à l’occasion, d’intégrer les notions empruntées à d’autres systèmes de droit, à la condition de pouvoir les ancrer dans les dispositions de notre Code civil. Rien, à mon avis, ne justifie que la doctrine et la jurisprudence québécoises ne puissent y puiser certaines des réflexions développées par la plus haute cour du pays, toujours à la condition qu’elles puissent s’arrimer au droit civil. Je suis d’accord avec le professeur Daniel Jutras, alors qu’il traite de la notion de complétude du Code civil[67] :
Les emprunts sont nombreux dans le Code civil du Québec, et il n'est pas question de mettre en doute les origines mixtes de ces règles et concepts. L'enjeu réel se situe ailleurs, dans l'apport continu de sources étrangères dans l'élaboration du régime jurisprudentiel de ces notions métissées. Certes, les emprunts doivent être configurés dans une langue qui soit intelligible au sein de la tradition civiliste et se nourrir du cadre juridique au sein duquel ils sont intégrés. « Qui emprunte fait sien » pourrait-on dire. Cela dit, comme le souligne Paul Martel, il n’est pas opportun de réinventer la roue pour préserver l’autonomie du droit civil, et l’expérience continue de la common law doit être prise en compte pour donner toute leur vitalité aux notions mixtes désormais entrées dans le droit privé du Québec.
[Renvois omis]
[59] Plus particulièrement en matière d’enrichissement injustifié, on ne peut simplement écarter la très grande similitude du recours dans les deux systèmes de droit, tant dans sa forme que son fond. Comme le soulignaient Louis LeBel et Pierre-Louis Le Saunier[68], parmi les domaines du droit les plus propices à une convergence des traditions juridiques due à la proximité de leurs règles, se trouvent le droit de la famille et l’enrichissement sans cause[69] :
Le degré de similitude dans les conditions d’application de l’enrichissement sans cause en droit civil et en common law crée une situation idéale pour que les principes exercent une influence réciproque et se développent de manière analogue. La Cour suprême a d’ailleurs souligné dans l’arrêt Garland c. Consumers' Gas Co. (2004) la compatibilité entre l’enrichissement sans cause en equity et l’enrichissement injustifié qui se trouve dans le droit civil au Québec.
[Renvois omis]
[60]
Outre les emprunts réciproques déjà mentionnés, les tribunaux québécois
n’ont pas hésité à adopter les présomptions formulées par la Cour suprême dans Peter
lorsque les parties mettent fin à une relation de longue durée[70].
Dans ce cas, le conjoint de fait appauvri bénéficie d’une présomption simple
suivant laquelle il y a corrélation entre l’enrichissement de son conjoint et
son appauvrissement, et d’une présomption simple voulant qu’il y ait absence de
motif à l’enrichissement[71].
Ces présomptions ont été incorporées dans le droit civil sans que cela ne fasse
problème, vu, une fois de plus, la similitude entre les principes d’équité qui
sous-tendent la doctrine de l’enrichissement injustifié et leur ancrage dans le
texte même de l’art.
[61]
Il en va de même, à mon avis, à l’égard de l’octroi d’une valeur aux
services domestiques fournis par un conjoint de fait, tel que reconnu par la
Cour suprême aussi dans Peter[75].
La Cour suprême était alors saisie d’une demande pour enrichissement injustifié
d’une femme ayant vécu 12 années en union de fait qui réclamait une indemnité
pour l’enrichissement que sa contribution par ses services domestiques avait apporté
à la richesse de son conjoint. La juge McLachlin, écrivant pour la majorité des
juges, y reprend ce que la Cour avait préalablement implicitement établi dans Sorochan[76]
et plus explicitement dans Moge c. Moge[77],
soit qu’il y a lieu de reconnaître la valeur des services ménagers (et,
ajouterais-je, les services auprès des enfants dont chaque parent est obligé en
vertu des articles
À mon avis, cet argument n’est plus défendable au
Canada, que ce soit du point de vue de la logique ou de la jurisprudence. Du
point de vue de la logique, je partage l’opinion des professeurs Hovius et
Youdan dans The Law of Family Property (1991), à la p. 136, qu’ [traduction] « il n’y a aucune
raison logique d’établir une distinction entre les services ménagers et les
autres contributions ». La notion que les services d’entretien ménager et
de soin des enfants ne méritent pas d’être reconnus par les tribunaux omet de
reconnaître que ces services sont fort utiles non seulement pour la famille,
mais pour l’autre conjoint. Comme l’a fait remarquer lord Simon il y a près de
30 ans : [traduction]
« L’oiseau mâle peut « se remplumer » précisément parce qu’il
n’est pas tenu de passer la majeure partie de son temps sur le nid »
(« With All My Wordly Goods, » Holdsworth Lecture (University
of Birmingham, 20 mars 1964) à la p. 32). En outre, cette notion est
préjudiciable en ce qu’elle dévalue systématiquement les contributions que les
femmes apportent généralement aux finances de la famille. Elle contribue au
phénomène de la féminisation de la pauvreté dont notre Cour a parlé dans
l’arrêt Moge c. Moge,
[62] Que les travaux domestiques et ceux associés à la responsabilité d’élever des enfants puissent, selon les circonstances, se voir reconnaître une valeur monétaire au Québec aussi bien qu’en Colombie-Britannique, d’où origine l’arrêt Peter, est à mon avis dorénavant incontestable. Il en va de même, sinon plus encore, de la charge mentale associée à la responsabilité d’élever des enfants et à leur éducation, qui comprend la planification des repas, des rendez-vous médicaux, des suivis scolaires tant à la maison (devoirs, leçons, travaux) qu’à l’école (rencontre avec les éducateurs), pour ne nommer que quelques-unes de ces charges. Cette reconnaissance de la valeur de l’apport du conjoint dans le cadre d’une relation n’est que l’application à cette situation de l’équité dans laquelle le recours en enrichissement injustifié plonge ses racines.
[63] Quant à la justification fondée sur l’amour, je note qu’elle avait été rejetée par la Cour avant même Peter dans Droit de la famille - 359[80], qui y énonçait que l'amour ne constitue pas une justification pour une situation qui se caractérise objectivement d'exploitation.
[64] Ceci nous amène à traiter d’un des éléments qui composent le principal moyen invoqué par l’appelant : en faisant appel à la notion de coentreprise familiale et à la méthode de la valeur accumulée importées de la common law pour établir la contribution proportionnelle de l’intimée à la richesse globale accumulée grâce aux efforts conjugués des deux conjoints, le juge de première instance aurait contourné le choix délibéré du législateur de ne pas assujettir les conjoints de fait à un régime particulier et leur laisser pleine liberté de régler leurs affaires comme ils l’entendent.
[65]
Un argument similaire a déjà été avancé, et a été rejeté, à l’égard des
règles de la prestation compensatoire des articles
[66] Or, la Cour suprême dans Lacroix c. Valois[81], sous la plume du juge Gonthier, a reconnu que la prestation compensatoire n’a pas pour objectif de créer, lors de la fin de la relation, un mode de rééquilibrage de la richesse accumulée durant la relation comme si les parties avaient choisi le régime de la communauté de biens ou celui de la société d’acquêts[82] :
[…] il serait inadmissible que les tribunaux instaurent à posteriori une société d’acquêts judiciaire obligatoire et rétroactive par le biais d’une interprétation trop large de la discrétion qui leur est conférée. À l’opposé, ce serait ignorer l’objectif législatif poursuivi que de réduire la portée naturelle du texte par une déférence exagérée à l’endroit de la liberté des conventions matrimoniales.
[67] Ainsi, la prestation compensatoire, mise en place par le législateur « comme mesure de redressement que les tribunaux pourraient accorder pour atténuer les pertes subies par le conjoint qui a fourni des biens et services tout au long du mariage, en l’indemnisant de ces apports »[83] n’a jamais eu pour but de créer un patrimoine familial obligatoire. Cette mesure de redressement se devait à la fois de permettre l’intervention judiciaire et de respecter la liberté de choix des époux manifestée par leur contrat de mariage[84].
[68] L’argument présenté par l’appelant voulant que le juge de première instance, en faisant appel aux notions de coentreprise familiale et à la méthode de la valeur accumulée, ait contourné le choix délibéré du législateur de ne pas assujettir les conjoints de fait à un régime particulier, a aussi été rejeté dans Peter[85]. Dans cette affaire, M. Beblow s’opposait au fait que Mme Peter puisse faire appel à la doctrine de l’enrichissement injustifié puisque, selon lui, cela équivalait à les assujettir à un régime particulier et à limiter leur liberté de régler leurs affaires comme ils l’entendent. La juge McLachlin a répondu à cet argument de façon péremptoire : « C’est précisément dans le cas où une injustice ne peut pas être réparée en vertu de la loi que l’equity joue un rôle »[86].
[69] Quelques années plus tard, dans Kerr, le juge Cromwell revient sur l’argument écarté par la juge McLachlin dans Peter voulant qu’attribuer une indemnité fondée sur la doctrine de l’enrichissement injustifié à un conjoint de fait équivaille à assujettir les conjoints de fait à un régime particulier non souhaité par le législateur et à limiter leur liberté de régler leurs affaires comme ils l’entendent. Le juge Cromwell[87] réaffirme alors que la doctrine de l’enrichissement injustifié existe précisément afin de pallier les injustices lorsque aucune autre loi ne le permet. Il réitère que les principes de l’enrichissement injustifié ne doivent pas être appliqués de façon distincte dans les affaires « familiales »[88] et qu’au contraire, le souci de clarté et d’uniformité souhaité par la doctrine veut que les principes fondamentaux régissant les droits et les réparations demeurent les mêmes dans tous les cas[89]. Ces principes, tout en demeurant constants, doivent cependant être appliqués en faisant preuve de souplesse et de bon sens et en tenant bien compte des circonstances particulières de chaque cas[90].
[70] Ainsi, ni la prestation compensatoire ni l’enrichissement injustifié n’imposent aux conjoints un régime légal particulier. Toutefois, ici se termine le rapprochement entre ces deux régimes. Malgré que les deux possèdent un « lien de parenté très étroit », comme l’a reconnu le juge Gonthier dans Lacroix c. Valois[91], et que « les conditions requises pour établir une cause d’action dans les deux cas sont très semblables »[92] puisque l’un et l’autre permettent à la personne qui subit une injustice de s’adresser au tribunal afin de la faire corriger[93], les deux se distinguent de façon importante. Le recours en enrichissement injustifié se retrouve au Livre 5 - Des obligations, alors que la prestation compensatoire se situe au Titre premier - Du mariage, du Livre 2 - De la famille, lequel titre impose des droits et des obligations aux époux, comme le respect, la fidélité, le secours, l’assistance, la direction commune morale et matérielle de la famille et l’exercice de l’autorité parentale, ainsi que la contribution aux charges du mariage « à proportion de leurs facultés respectives / in proportion to their respective means »[94]. Il reconnaît également que « [c]haque époux peut s’acquitter de sa contribution par son activité au foyer / The spouses may make their respective contributions by their activities within the home »[95], sans que la loi s’attache à la mesure des contributions ni à leur nature. Or, ces droits et ces obligations ne s’appliquent pas aux conjoints de fait, lesquels sont libres de régler leurs interactions et la répartition de leur patrimoine comme ils l’entendent.
[71] C’est la conclusion à laquelle arrive le juge LeBel (dont les motifs reçoivent l’appui des juges Fish, Rothstein et Moldaver) dans Québec (Procureur général) c. A.[96]. Il explique qu’au contraire de ce qui se produit dans une union de fait, par le mariage, une union de personnes devient aussi une union économique égalitaire emportant un certain nombre de conséquences patrimoniales, à laquelle les époux sont appelés à contribuer de leur mieux[97]. Le juge LeBel rappelle ensuite que les conjoints qui décident de se marier adhèrent obligatoirement à « un modèle associationniste »[98] qui comporte des contraintes et qui emporte une volonté de partage, et que les conjoints qui choisissent de de ne pas se marier ne sont assujettis ni aux contraintes imposées aux conjoints mariés ou unis civilement ni à l’union économique aux contours préétablis :
[80] Au Québec, le mariage devient alors non
seulement une union, mais aussi « [c]omme notre Cour l’a conclu dans Moge
(à la p. 870), [. . .] une “entreprise commune”, une association
socio-économique » : Bracklow c. Bracklow,
[…]
[112] Comme je l’ai souligné, le Code civil du Québec n’encadre pas les termes de l’union entre conjoints de fait. La loi n’impose à ces conjoints aucun devoir d’assistance et de secours, donc d’obligation alimentaire. Le partage des charges du ménage est laissé à leur discrétion; ils ne sont pas tenus d’y contribuer à proportion de leurs facultés respectives. Ils n’ont pas d’obligation de choisir de concert la résidence familiale. L’exercice de leurs droits de propriété sur cette dernière n’est pas limité par l’application de dispositions impératives. Dès lors, un conjoint de fait propriétaire peut vendre ou louer la résidence dont il est l’unique propriétaire sans obtenir le consentement de l’autre conjoint. L’union de fait ne crée pas de patrimoine familial. Elle échappe aussi au régime matrimonial légal de la société d’acquêts et ne donne pas ouverture à l’octroi d’une prestation compensatoire.
[113] Tant durant la vie commune qu’à la rupture, le conjoint de fait demeure le propriétaire des biens qu’il a acquis avant ou pendant la vie commune. Toute modification de cet état de fait nécessite le consentement du conjoint dont les droits sont affectés. […]
[114] Puisque l’union de fait échappe au cadre législatif impératif propre au mariage et à l’union civile, les conjoints de fait demeurent libres de modeler leur relation à leur gré dans le respect de l’ordre public. À cet effet, ils peuvent conclure des ententes organisant leurs relations patrimoniales pendant la vie commune et prévoyant les conséquences d’une possible rupture […] Ces ententes sont communément appelées « contrat de vie commune » ou « contrat de cohabitation ».
[…]
[116] À défaut de telles ententes, le droit
commun s’applique à tout conflit patrimonial découlant de la fin de la vie
commune. Puisque les conjoints de fait demeurent chacun propriétaires des
biens qu’ils ont acquis individuellement avant ou pendant leur vie commune, le
conjoint qui prouve être propriétaire unique d’un bien meuble pourra le
revendiquer. En cas d’indivision, chacun des conjoints pourra forcer l’autre à
procéder au partage et licitation des biens indivis, nul n’étant tenu de
demeurer dans l’indivision (art.
[Soulignements ajoutés; références omises]
[72] Toutefois, ajoute le juge LeBel, bien que l’union de fait échappe au cadre législatif impératif propre au mariage et à l’union civile et que les conjoints de fait demeurent libres de modeler leur relation à leur gré dans le respect de l’ordre public, et puisque les conflits patrimoniaux susceptibles de découler de la fin de la vie commune sont soumis au droit commun, le recours pour enrichissement injustifié leur sera toujours disponible afin d’obtenir compensation si les conditions lui donnant ouverture sont satisfaites :
[117] Finalement, les conjoints de fait qui se
croient lésés lors la rupture de leur union disposent du recours fondé sur
l’enrichissement injustifié, codifié depuis 1994 aux art.
[73]
Toujours dans l’arrêt Québec (Procureur général) c. A., et
contrairement au juge LeBel qui estime que les dispositions législatives qui
apportent des protections inégales aux conjoints mariés et aux conjoints de
fait ne violent pas le droit de ces derniers à l’égalité garanti par l’art.
[74]
Ma lecture de l’arrêt Québec (Procureur général) c. A. m’amène
donc à affirmer que la majorité des juges de la Cour suprême
(1) reconnaissent la possibilité qu’offre le Code civil aux
conjoints de fait de faire appel au recours pour enrichissement injustifié,
(2) ne considèrent pas que l’appel à ce recours équivaut à la mise en
place d’un régime juridique entre conjoints de fait non souhaité par le
législateur québécois, et (3) invitent les tribunaux du Québec à adopter,
dans le contexte d’une rupture de conjoints qui ont choisi ce cadre de vie, une
approche à la fois prudente et généreuse, fidèle aux conditions établies à
l’article
[75] Cela dit, rien, en principe, ne justifie une application différente des propositions avancées dans Peter et Kerr en droit civil. La doctrine de l’enrichissement injustifié ne met pas en place à l’égard des conjoints de fait les règles du patrimoine familial applicables aux conjoints mariés ou unis civilement, ni ne leur impose une société d’acquêts. Les conditions de son application doivent être prouvées par le demandeur et l’indemnité sera fonction de la preuve présentée.
* * *
[76] Ceci nous amène à un autre élément de la question qui oppose les parties, lequel est, lui aussi, à l’origine de critiques formulées par certains auteurs à l’encontre de l’arrêt de la Cour dans Droit de la famille — 132495[104].
[77]
Pour qu’il y ait ouverture au recours fondé sur l’enrichissement
injustifié, le demandeur doit démontrer par la prépondérance de la preuve
l’enrichissement du défendeur et son propre appauvrissement. Il doit aussi
démontrer qu’il existe un lien suffisant entre l’enrichissement et
l’appauvrissement, la « corrélation » exigée par l’art.
[78] Une fois les conditions de l’enrichissement injustifié satisfaites, le juge saisi du litige doit passer à l’étape suivante, qui est l’évaluation de l’indemnité appropriée.
[79] Au Québec, comme on l’a vu plus haut, la seule réparation possible est le versement d’une indemnité monétaire. En l’espèce, le juge de première instance a estimé qu’il y avait lieu de calculer le montant auquel l’intimée a droit non pas en accordant aux services donnés par l’intimée à l’appelant une valeur tel un taux horaire (aussi appelé quantum meruit), mais plutôt sur la base de la valeur accumulée, c’est-à-dire de l’augmentation globale de la richesse du couple pendant l’union. Le juge justifie ce choix par le fait que, selon sa lecture de la preuve, les parties s’étaient investies dans une entreprise commune familiale, une coentreprise familiale.
[80] L’appelant soutient que le juge a erré en faisant appel aux notions de coentreprise familiale et de valeur accumulée afin d’établir l’indemnité à laquelle l’intimée pouvait avoir droit puisque ces concepts seraient étrangers au droit civil. Je suis d’avis que l’appelant a tort.
[81] D’abord, la réalité qui sous-tend la « coentreprise familiale » n’existe pas moins au Québec que dans les autres provinces. Si le qualificatif employé est relativement nouveau, il ne fait qu’exprimer une telle réalité choisie par les conjoints dans certaines unions de fait. La réalité d’une union n’est pas identique à celle de l’autre et on ne pourra conclure à l’existence d’une coentreprise familiale que lorsque la preuve des éléments qui la composent pourra être faite.
[82] Bien que ce type d’union caractérisée ait d’abord été décrit dans l’arrêt Peter[107], les principaux facteurs qui le composent et qui permettent de conclure que les conjoints, malgré qu’ils ne soient pas mariés ou unis civilement, ont choisi de mettre en place ce type d’union, sont énoncés par le juge Cromwell dans l’arrêt Kerr sous quatre grandes rubriques : l’effort commun, l’intégration économique, l’intention réelle et la priorité accordée à la famille. Aucun des facteurs qui se retrouvent sous l’une ou l’autre de ces quatre rubriques ne m’apparaît être inusité, et certains d’entre eux se retrouvent dans certaines unions, bien que souvent en nombre ou en importance insuffisant pour qu’on puisse qualifier l’union de coentreprise familiale. La présence d’un ou de quelques facteurs ne prouve pas la coentreprise familiale; elle n’est qu’indicatrice que la démarche doit être poussée plus loin afin de déterminer la véritable nature de l’union. Contrairement aux personnes mariées, qui sont engagées dans une « union économique égalitaire » à laquelle se rattache une série d’obligations réciproques[108], les personnes qui entreprennent de vivre en union de fait ne s’engagent à tous égards l’un envers l’autre que s’ils l’ont décidé et non par l’effet de la loi. Ainsi, elles ne sont pas présumées s’être engagées dans une union égalitaire (économique ou autre). C’est la preuve de l’intégration des facteurs relevés par le juge Cromwell, lesquels ne sont pas limitatifs, qui permettra d’établir si le demandeur démontre que les parties ont réellement mis à exécution un projet visant l’atteinte d’objectifs communs importants à caractère familial.
[83] L’analyse devra donc porter sur la façon dont les parties ont réellement vécu. Il importe de répéter qu’on ne peut pas présumer l’existence d’une coentreprise familiale, laquelle « ne peut être reconnue par la cour que lorsqu’elle est, en fait, bien appuyée par la preuve »[109]. Ainsi, si un conjoint de fait démontre que la réalité propre à son union de fait se qualifie de coentreprise familiale et que, dans ce contexte, toutes les conditions de l’enrichissement injustifié sont satisfaites, alors l’ampleur de l’indemnité à laquelle il aura droit sera établie à hauteur de sa participation dans l’enrichissement de son conjoint. Ce sera le cas notamment si l’enrichissement provient non seulement du travail de l’enrichi mais également parce qu'il a bénéficié des services domestiques de l’autre conjoint qui assumait, non seulement sa propre part de l'entretien de la maison et des enfants, mais également la part de l’enrichi, et ce, sans rémunération. L’appauvrissement sera dans ce cas établi en fonction de la contribution de l’appauvri à la valeur accumulée par l’enrichi.
[84] Cette base de calcul ne saurait donc être employée que s’il est démontré que les parties ont suffisamment intégré leur vie pour justifier cette qualification[110]. Si, plutôt, la preuve démontre qu’un des conjoints s’est enrichi au détriment de l’autre sans justification, mais que la nature de leur union ne correspond pas à une coentreprise familiale, le conjoint aura alors droit à une indemnité, mais celle-ci ne sera pas calculée en fonction de sa contribution à la valeur accumulée par l’autre conjoint, mais plutôt sur la base plus traditionnelle du quantum meruit. Telle fut d’ailleurs l’approche empruntée par la Cour dans Débigaré c. Boudreau[111] qui n’a pas vu dans la preuve les facteurs suffisants pour conclure à une coentreprise familiale.
[85] Ceci nous amène à la question plus pointue de la particularité, au Québec, quant au fardeau de la preuve qui devra être apportée afin de démontrer que des conjoints ont bien établi une coentreprise familiale.
[86] Comme on l’a vu, le législateur a choisi la voie de la liberté des conjoints de fait de se marier ou de s’unir civilement et ainsi se soumettre à toute une série de droits et d’obligations l’un envers l’autre, ou encore de ne pas le faire et d’être libres de gérer leurs union et rapports économiques comme ils l’entendent. On ne peut ignorer cette position prise par l’État de ne pas contraindre - certains diront protéger - les conjoints de fait par un régime juridique particulier. Dans cette perspective, je crois qu’il y a lieu de se garder d’adopter une lecture trop libérale des facteurs énoncés par la Cour suprême dans Kerr, laquelle est susceptible de mener à la mise en place au Québec d’un régime de protection des conjoints de fait par le pouvoir judiciaire qui irait à l’encontre de la volonté de la branche législative de l’État. L’arrêt Kerr et les facteurs qui y sont proposés afin de déterminer si les conjoints de fait ont intégré leurs affaires au point où leur union peut être qualifiée de coentreprise familiale ne doivent pas être vus comme une façon de transformer toutes les unions de fait de la province en une nouvelle catégorie de personnes « mariées » à l’égard de leur patrimoine. Par exemple, la longue durée d’une union de fait ou la décision de conjoints de fait d’avoir des enfants ne transforme pas de ce seul fait leur union « libre » en une coentreprise familiale, bien que ces facteurs puissent être tenus en compte lors de l’analyse de la nature de la relation.
[87] De façon similaire, les conjoints de fait qui auront choisi de ne pas s’unir par les liens du mariage (ou de l’union civile) par principe ou dans une volonté de demeurer indépendants (économiquement ou autrement) l’un de l’autre, et qui auront agi en fonction de cette volonté, ne pourront, sans la preuve d’autres facteurs qui devront alors être réellement significatifs, que rarement faire qualifier leur union de coentreprise familiale.
* * *
[88]
On a vu que la doctrine de l’enrichissement injustifié codifiée dans le Code
civil s’appuie sur le concept d’équité appliqué à une situation où une
personne s’enrichit aux dépens d’une autre sans justification, et que la
réparation doit être adaptée à la réalité des parties afin de « refléter
la nature véritable de l’enrichissement et de l’appauvrissement correspondant »[112],
ou corrélatif, pour employer le terme utilisé à l’art.
[89] Et puisque dans la vaste majorité des cas où la preuve démontre à la fois une situation d’enrichissement injustifié et de coentreprise familiale, l’appauvri est celui qui a pris la charge des enfants alors que l’autre amassait la richesse, l’approche a l’avantage d’éviter de dévaluer sa contribution et d’ainsi contribuer au phénomène de la féminisation de la pauvreté dont la Cour suprême a parlé dans les arrêts Moge[113] et Peter[114].
[90] Enfin, cette correspondance entre la valeur de l’appauvrissement et celle de la richesse en proportion de la contribution fournie par l’appauvri qui l’a permise est compatible avec les attentes de la plupart des parties, lesquelles s’attendent certainement davantage, dans le cadre d’une telle relation, à participer à la richesse générée par la relation qu’à être indemnisées des « services » rendus pendant la durée de la relation.
[91] Ainsi, c’est la constatation de cette réalité qui existe chez certains conjoints de fait qui permet de reconnaître que, dans leur cas particulier, l’appauvrissement consistera en la « rétention injuste d’une part disproportionnée des biens accumulés »[115] pendant leur union. Cette manière de voir la définition de l’appauvrissement et l’indemnité susceptible d’être accordée dans un cas d’enrichissement injustifié où il est démontré que les conjoints ont formé une coentreprise familiale est tout à fait compatible avec le concept d’équité véhiculé par la doctrine civiliste de l’enrichissement injustifié[116].
[92] L’appelant propose que ces notions sont étrangères au droit civil puisque, contrairement au droit anglais, le droit civil comporte une limite à l’indemnité qui peut être versée : le recours du conjoint de fait ne peut être maintenu que pour la moindre des valeurs liées à l’enrichissement ou l’appauvrissement.
[93] À mon avis, le « plafond » à l’indemnité qui peut être accordée en situation d’enrichissement injustifié entre conjoints de fait doit être replacé dans son contexte.
[94]
C’est dans Cie Immobilière Viger que le juge Beetz a fait cet
énoncé, après y avoir établi les six conditions du recours en l’enrichissement
injustifié : « Lorsque ces conditions se trouvent réunies, le recours
est maintenu pour la moindre des deux sommes, l'enrichissement ou
l'appauvrissement »[117],
écrit-il. Cela va de soi, et on peut comprendre aisément que l’idée
d’indemniser la personne appauvrie ne comporte pas celle de l’enrichir au-delà
de son appauvrissement, sans quoi elle s’enrichirait elle-même aux dépens de
l’autre. Le concept est simple et, dans la plupart des cas, tout aussi simple à
appliquer. Par exemple, on peut comprendre aisément qu’un paiement fait par
erreur autorise l’appauvri à faire appel au recours pour enrichissement
injustifié afin d’obtenir le remboursement de la somme versée par erreur, sans
plus. Dans Cie Immobilière Viger, Viger s'était enrichie puisqu'elle
avait obtenu, pour le prix d'un terrain vague, un terrain aménagé à son gré
sans avoir payé un cent pour le nivellement effectué par Giguère. Elle s'était
donc enrichie de la valeur des travaux nécessaires à l'amélioration du terrain,
ce qui n’était d’ailleurs pas contesté, et il aurait été injuste d’accorder à
Giguère une indemnité supérieure à la valeur de cet aménagement. L’évaluation
de l’enrichissement et de l’appauvrissement ne posait alors aucune difficulté,
et elle n’en poserait pas plus sous l’article
[95]
C’est l’application de ces règles aux situations plus complexes,
comme en matière familiale lorsque les parties ont joint leurs efforts dans le
but commun de la famille, qui est susceptible de poser problème. Je note que ni
l’article
[96]
L’extrait tiré de l’arrêt Cie Immobilière Viger (« [l]orsque
ces conditions se trouvent réunies, le recours est maintenu pour la moindre des
deux sommes, l'enrichissement ou l'appauvrissement ») a été encore
récemment repris par le juge LeBel dans Québec
(Procureur général) c. A.[119]. Le juge LeBel, après avoir souligné les conditions requises
par l’article
[97] Le juge LeBel ne spécifie toutefois pas sur quelle base l’enrichissement et l’appauvrissement doivent être établis lors de la rupture de conjoints de fait qui ont vécu une relation où les facteurs d’intégration des finances et autres se retrouvent, mais indique qu’au moment de les évaluer, le juge saisi d’une telle demande doit embrasser une position de souplesse, comme nous en avons traité plus haut et, comme le souligne le juge LeBel, telle que l’avait promue notre Cour dans l’arrêt C.L. c. J.Le.[121] :
[120] […] À ce titre, la cour rappelle à bon
droit que le tribunal saisi « d’une demande d’indemnité pour
enrichissement injustifié par le/la conjoint(e) de fait [doit] se livrer à une analyse
libérale et globale de la situation des parties, prenant en compte tous les
apports des conjoints durant la vie commune » : C.L. c. J.Le.,
par. 12 (je souligne). De plus, à l’opposé du simple exercice de
comptabilité, « il faut adopter dans l’analyse des éléments factuels et
juridiques une souplesse particulière qui sied à la nature des rapports
entre des conjoints (Lacroix c. Valois,
[Soulignements dans l’original]
[98]
Ainsi se pose la question suivante : l’article
[99] Je ne crois pas que le juge LeBel, en reprenant les propos du juge Beetz dans Cie Immobilière Viger, entendait exclure la possibilité que l’on puisse reconnaître que des conjoints de fait peuvent mettre en place un mode de fonctionnement de leur union telle la coentreprise familiale, ni restreindre, lorsque la réalité des conjoints le permet, la possibilité d’établir l’indemnité due à l’appauvri en proportion de l’enrichissement créé par sa contribution, plutôt que de calculer la valeur des services du conjoint appauvri en fonction du seul critère du quantum meruit.
[100] Je note
que la professeure Brigitte Lefebvre souligne qu’« une simple corrélation
entre l’appauvrissement et l’enrichissement est un critère donnant ouverture au
recours en enrichissement injustifié; elle ne permet pas de mesurer
l’indemnité »[124].
Je suis d’accord avec cette proposition. Il est vrai que la démonstration d’un
lien de corrélation entre l’appauvrissement et l’enrichissement ne permet pas à
elle seule de conclure que la valeur afférente à chacun de ces éléments soit
par ailleurs nécessairement équivalente. Il est aussi vrai que l’absence
d’exigence de calculs mathématiques précis ne permet pas de faire fi de
l’interprétation qu’ont donné les tribunaux à l’article
[101] Ceci étant
dit, je ne vois rien qui empêche de faire appel à la méthode de la valeur
accumulée en droit civil québécois lors de la fin d’une union de fait lorsqu’il
est démontré que les conjoints, au cours de leur vie commune, ont mis en place
une coentreprise familiale. J’ai exposé plus haut les motifs qui justifient
l’emploi de la méthode de la valeur accumulée. À leur lecture, il m’apparaît
qu’au contraire de ce que propose l’appelant, l’appauvrissement de l’art.
[102] Enfin, à défaut d’une preuve suffisante que les conjoints de fait ont institué une coentreprise familiale, l’indemnité sera alors calculée sur la base du quantum meruit[126].
[103] Abordons maintenant le moyen d’appel qui veut que le juge d’instance ait erré lors de l’application de ces principes aux faits de l’espèce.
[104] L’appelant soutient que la contribution de l’intimée n’atteint pas le seuil exigé pour donner ouverture au recours en enrichissement injustifié puisque (1) la valeur des actifs de celle-ci a considérablement augmenté durant la vie commune et qu’elle ne s’est donc pas appauvrie, (2) les apports de l’intimée ne sont pas exceptionnels et ne dépassent pas ce que l’on pourrait s’attendre normalement d’un conjoint, (3) le juge ne tient pas compte de ses apports et la preuve démontre, selon lui, l’absence de disproportion entre les siens et ceux de l’intimée. Il ajoute que le juge commet une erreur déterminante en concluant qu’il avait peu de revenus au début des années 2000 et en considérant cet élément dans sa conclusion quant à la contribution disproportionnée de l’intimée.
[105] Ensuite, l’appelant plaide que s’il s’est enrichi en raison d’une contribution de l’intimée, ce qu’il conteste, la valeur de cette contribution ne dépasse pas ce qu’il lui en aurait coûté en aides familiales afin de remplir à sa place ses responsabilités familiales prises en charge par l’intimée lorsqu’il était au travail. La perte de l’intimée serait donc égale à ce qu’il aurait alors dû payer à des tiers et correspond donc à la dépense qu’il a épargnée s’il avait lui-même retenu les services d’aides ménagères et aux enfants. L’appauvrissement corrélatif doit donc se limiter « à la valeur de la prestation domestique supplémentaire qu’elle aurait exécutée et dont elle aurait soulagé l’appelant ».
[106] Ce dernier ajoute que le juge ne devait pas déterminer s’il aurait pu arriver au même succès financier en assumant seul les responsabilités familiales, mais plutôt s’il serait arrivé à un succès semblable en assumant sa part des tâches domestiques. En outre, il est d’avis que le juge ne pouvait retenir un lien entre l’apport de l’intimée antérieur à 2007 et la croissance de la valeur de l’entreprise après 2007, tout en concluant que les tâches domestiques sont partagées également entre les parties à partir de 2007.
[107] Selon lui, l’appauvrissement de l’intimée à partir de 2007, s’il existe, est justifié vu qu’il découle d’un acte accompli dans son intérêt personnel puisqu’elle a elle-même choisi de diminuer son rythme de travail à l’extérieur de la maison et « [l’]a empêché […] d’exercer sa contribution aux charges du ménage de la façon dont il l’entendait, même si cette contribution avait dû être accomplie par le biais de gardiennes ou d’une personne pour faire le ménage. »
[108] Enfin, il soutient que l’analyse des faits du juge quant à l’existence d’une coentreprise familiale ne repose pas sur la preuve administrée, qui révèle plutôt que les parties ne possèdent qu’un actif en commun (la maison), qu’elles répartissent leurs obligations financières jusqu’en 2007, qu’il n’y a eu qu’un compte conjoint pour le paiement de l’hypothèque et que l’intimée a conservé son autonomie financière par le biais de son emploi. L’appelant lui reproche ainsi d’avoir présumé l’existence d’une coentreprise familiale essentiellement en raison de la durée de la relation et de la décision des parties d’avoir des enfants, alors que la coentreprise ne se présume pas.
* * *
[109] Les erreurs que soulève l’appelant sous ce moyen portent essentiellement sur des conclusions factuelles du juge[127]. Ainsi, l’appelant doit démontrer l’existence d’erreurs manifestes et déterminantes pour justifier l’intervention de la Cour[128]. Le rôle de la Cour, particulièrement dans les affaires familiales, se trouve dès lors limité, comme l’enseigne la Cour suprême :
Dans un tel contexte, le rôle d’un tribunal d’appel est de corriger les erreurs de droit commises en première instance dans l’exercice de la discrétion conférée par la loi. Il va sans dire que l’appréciation des faits est de la prérogative du juge de première instance et qu’à moins d’être en mesure de relever une erreur d’appréciation à ce point marquée qu’elle témoigne d’une erreur touchant aux principes juridiques, la Cour d’appel n’est pas justifiée d’intervenir[129].
Avant de procéder à l’analyse des circonstances de
l’espèce, je crois utile d’insister sur la règle du respect qui doit être accordé
au pouvoir discrétionnaire du juge des faits dans le contexte de l’art.
[110] Bien que la Cour suprême ait alors écrit dans le cadre d’une demande de prestation compensatoire, ce principe s’applique tout autant à l’égard des erreurs commises en matière d’enrichissement injustifié.
* * *
[111] À propos de la preuve des critères de l’enrichissement injustifié, le juge s’exprime ainsi :
[108] L’enrichissement injustifié dont fait état Kerr c. Baranow procède de trois éléments :
a) l’enrichissement du Défendeur;
b) l’appauvrissement corrélatif du Demandeur; et
c) l’absence de tout motif juridique à l’enrichissement.
[109] Le Tribunal est d’avis que dans la présente instance, l’enrichissement du Défendeur B n’est pas arrivé sans l’appauvrissement corrélatif de la Demanderesse qui a contribué directement à l’établissement d’un climat familial où monsieur B a pu avoir la marge de manœuvre nécessaire à la création [des produits A] qui l’ont rendu riche. Cela s’est passé pendant les années 2000 à 2007. Madame s’est alors totalement investie dans la maison et le bien-être des enfants alors que Monsieur s’est, de son côté, totalement investi dans la recherche et le développement de ce qui allait faire sa fortune.
[110] De plus, les attentes raisonnables de Madame étaient clairement celles d’une conjointe qui ne s’attendait pas à être laissée pour compte aussitôt que Monsieur a eu les moyens de se payer une « belle vie ». De l’admission même de Monsieur, Madame a tout fait ce qu’elle a fait « dans l’espoir d’une vie meilleure » et non en pensant qu’on la discarterait dès le moment où l’argent arrive. Rappelons que Madame n’avait aucun motif juridique d’agir comme elle l’a fait si cela n’était justement de s’attendre à une vie confortable à l’abri du besoin et avec son conjoint et les enfants heureux autour d’elle.
[112] Après avoir passé en revue les principes qui s’appliquent, le juge conclut :
[120] Le Tribunal n’a aucune hésitation à conclure que Madame a eu un impact direct dans la réalisation de la fortune de Monsieur.
[121] Dans les faits de la présente instance, le Tribunal considère que la preuve démontre clairement l’existence d’un apport certain de Madame à l’enrichissement de Monsieur qui n’aurait jamais pu bénéficier de la liberté d’action nécessaire à la création [de la Compagnie E]. Il y a donc, ici, une corrélation évidente entre l’enrichissement de Monsieur et l’appauvrissement de Madame par son apport de services familiaux et domestiques, en plus d’avoir été en mesure d’assurer une participation directe, dans la mesure de ses moyens, aux finances du couple alors que Monsieur n’avait pas de revenus.
[122] Madame n’avait aucune obligation ou de motif à sa participation à l’enrichissement de Monsieur hormis le fait qu’à l’époque les deux parties ont collaboré à la réussite financière de l’un pour le bénéfice des deux et de leurs enfants.
[123] En l’instance, les deux présomptions établies par Peter c. Beblow et reprises dans Kerr doivent jouer en faveur de Madame et force est de constater que Monsieur n’a pas renversé ces présomptions.
[113] De la preuve retenue par le juge, je retiens ceci.
[114] D’abord, il est clair que l’appelant s’est considérablement enrichi durant la relation. Avec seulement quelques dizaines de milliers de dollars en poche au début de la relation (qui ont servi comme mise de fond partielle lors de l’achat de la résidence familiale en juillet 2000), ses actifs valaient 22 millions de dollars lors du dépôt de la demande.
[115] L’appauvrissement de l’intimée, quant à lui, requiert un peu plus d’explications.
[116] L’intimée n’a jamais quitté d’emploi ni n’a laissé passer la possibilité d’avancement professionnel. Bien qu’elle n’eût comme toute épargne qu’environ 5 000 $ lorsqu’elle emménage avec l’appelant, 16 ans plus tard, elle quitte la relation avec près de 500 000 $ en valeur (incluant 100 000 $ que l’appelant lui a versés et l’automobile qu’il lui a achetée lors de la cessation de la vie commune). Vu uniquement sous cet angle, d’aucuns pourraient prétendre qu’elle n’a pas subi d’appauvrissement[131].
[117] Toutefois, et comme le juge le souligne, tel n’est pas l’unique angle sous lequel l’appauvrissement doit être vu, puisque autrement, cela serait faire fi du projet de vie dans lequel les parties se sont engagées et des sept années passées pendant lesquelles l’intimée s’est occupée des tâches de toute la maisonnée afin de libérer l’appelant, de sorte qu’il puisse s’affairer à la croissance de ses entreprises. L’appelant a, dans ce contexte, quitté la relation avec une part disproportionnée de la richesse accumulée grâce aux efforts communs des parties, chacune dans son champ d’activités, alors que ceux de l’intimée n’ont pas été indemnisés à leur juste valeur. La conclusion du juge voulant que l’intimée se soit appauvrie repose donc sur la preuve.
[118] Quant à la corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement, le premier juge conclut qu’elle a été démontrée entre autres à l’aide des présomptions qui s’y rattachent, lesquelles n’ont pas été renversées.
[119] Je ne vois aucune erreur de droit que le juge aurait commise, ni d’erreur manifeste et déterminante dans son appréciation des faits.
[120] Le juge passe ensuite à l’étape de la réparation pécuniaire. Puisque, de son analyse de la preuve, les parties s’étaient engagées dans une coentreprise familiale, leur réalité l’autorise à calculer la valeur de l’appauvrissement en déterminant la contribution proportionnelle de l’intimée à l’enrichissement :
[146] Il se dégage donc une tendance claire et nette de la jurisprudence précitée, justifiant l’octroi d’une indemnité basée sur l’enrichissement injustifié lorsque la preuve factuelle démontre que les conjoints ont conçu un projet commun ou participé à une coentreprise familiale, que le ou la conjointe réclamant une telle indemnité ait fourni un apport à l’enrichissement de l’autre conjoint et que ce dernier n’ait pu renverser les présomptions de corrélation entre l’appauvrissement du conjoint réclamant et l’enrichissement du conjoint débiteur, d’une part, et l’absence de motifs à l’enrichissement.
[147] En l’instance :
- les parties ont vécu ensemble pendant 16 ans, ont eu deux enfants et ont réellement participé à l’élaboration d’un projet de vie en commun au cours de laquelle l’enrichissement de monsieur B s’est réalisé en totalité ;
- l’appauvrissement de Madame résulte principalement de son apport en services familiaux et domestiques. Doit-on rappeler qu’elle a eu deux enfants avec monsieur B et qu’elle s’est entièrement dévouée à la famille et à la maison pendant les 16 années qu’a duré cette union, alors que Monsieur, grâce au soutien de Madame, a pu se concentrer à la création du [produit A] qui a fait sa fortune. Sans le soutien de Madame dans les années cruciales du développement de ce qui le rendra multimillionnaire, Monsieur n’aurait peut-être jamais atteint le niveau de richesse qu’il a réalisé ;
- A un moindre niveau, Madame s’est aussi occupée de certaines des activités commerciales de Monsieur ([entreprise artisanale], perception de loyers de propriétés). Ces activités ont, cependant, été marginales et de courte durée.
- les admissions de Monsieur, écrites et publiées, démontrent sans l’ombre d’un doute que Monsieur reconnaissait cet apport de la part de sa conjointe ;
- Madame a continué, même si Monsieur a fait sa part à compter de 2007, à assumer presque seule l’ensemble des besoins des enfants et de la maison de 1998[132] à 2007 et, se basant notamment sur les analyses des juges Hallée dans Lefebvre c. Therrien et Lalande dans Cloutier c. Berndt, le Tribunal est d’avis que madame A rencontre tous les critères énoncés par la jurisprudence récente sur le sujet visant à permettre l’indemnisation de la Demanderesse sur la base de l’enrichissement injustifié, tel qu’énoncé dans Kerr c. Baranow.
[Renvois omis]
[121] Le juge ajoute un peu plus loin :
[155] Dans son plan d’argumentation (pp. 31 et 32), Madame propose ce qui suit, d’abord sur l’application des critères de la coentreprise familiale dans le présent dossier, et ensuite sur les avantages reçus par Madame au cours de la période. Le Tribunal est généralement d’accord avec cet exposé et croit utile de le reproduire intégralement :
65. Effort commun :
a. Selon Madame, définition des rôles respectifs des parties en fonction d’un projet familial soit celui de permettre à Monsieur de se consacrer au développement de ses entreprises en contrepartie pour elle de se consacrer aux enfants et à la maison.
b. Choix d’avoir des enfants et de les éduquer : appelé « projet de vie » par Monsieur dans le cadre de son interrogatoire hors cour du 12 janvier 2017.
- Voir transcription des notes sténographiques de l’interrogatoire de B du 12 janvier 2017, page 167, lignes 15 à 18.
c. Participation de Madame à certains projets de Monsieur (condominiums locatifs et [entreprise artisanale]).
66. Intégration économique :
a. Partage des dépenses de la famille.
b. Cartes de crédit conjointes.
c. Allocation hebdomadaire de 500$.
d. résidence détenue conjointement.
67. Intention réelle des parties :
a. Durée de cohabitation de 16 ans.
b. Espoir de pouvoir bénéficier des fruits du travail de Monsieur.
c. « Projet commun » lorsque les parties étaient ensemble :
Voir transcription des notes sténographiques de l’interrogatoire de B du 12 janvier 2017, page 164, lignes 3 à 12, page 165, lignes 12 à 14, page 167, lignes 6 à 25 et page 168, lignes 1 à 16.
68. Priorité accordée à la famille :
a. Sacrifice financier de la part de Madame pour le bien de la famille.
b. Madame s’est fiée à la réussite et à la stabilité de la relation pour en assurer la sécurité économique à son propre détriment économique.
c. Madame s’est fiée sur Monsieur et l’a appuyé dans ses projets.
[122] On l’a vu, les facteurs susceptibles de mener à la conclusion que des conjoints de fait ont bien institué une coentreprise familiale peuvent se regrouper sous quatre enseignes : un effort commun afin d’atteindre des buts communs; le degré d’interdépendance et d’intégration économique caractérisant la relation des parties; l’intention réelle expresse exprimée par les parties ou inférée de leur conduite; et la priorité accordée à la famille.
[123] Je constate que la preuve présentée comportait également plusieurs éléments qui tentaient de démontrer que les parties n’ont pas institué de coentreprise familiale durant toutes les 16 années qu’a duré leur vie commune. D’abord, à l’égard du critère de l’interdépendance et de l’intégration économique, les parties ont toujours maintenu des comptes bancaires séparés (sauf celui dédié aux paiements hypothécaires), et les comptes de chacun étaient faits mensuellement. Durant toute la durée de leur relation, ils n’ont détenu conjointement qu’un seul bien, la résidence familiale. Tous les autres immeubles, incluant deux condos, [l'entreprise artisanale], ont été achetés et payés uniquement par l’appelant.
[124] À cela s’ajoute, au chapitre des facteurs relatifs à la priorité accordée à la famille, que l’intimée n’a pas renoncé à quelque promotion ni emploi que ce soit, et qu’elle occupait toujours le même emploi lors de la cessation de la vie commune.
[125] Autres facteurs importants qui étaient susceptibles de jouer en défaveur de l’instauration par les parties d’une coentreprise familiale : malgré que l’union ait duré 16 ans, il ressort de ce que le juge a retenu de la preuve que de juillet 1997 jusqu’à juillet 2000, moment où elles achètent conjointement la résidence, les parties vivent ensemble, mais sans démontrer aucun des critères de rattachement à la coentreprise familiale. Leur intention commune de l’établir ne semble donc pas s’être exprimée durant cette première période de trois ans puisqu’elle ne peut être inférée de leur conduite. De façon similaire, le juge retient de la preuve que l’appelant réduit considérablement ses heures au travail à compter de 2007 et commence alors à s’occuper des activités des enfants (« il semble que les deux parents ont assumé tour à tour leur présence auprès des enfants selon les besoins de ces derniers »[133]). Il estime que l’effort accompli par l’intimée qui dépasse considérablement la charge normale d’un parent se situe donc avant 2008, notant à cet égard que « [l]e Tribunal a pris note de toute cette preuve mais sa décision sur les conclusions recherchées par Madame ne se fonde pas particulièrement sur la disponibilité des parents postérieurement à 2007. »[134]. De plus, si, au cours de cette troisième période, l’intimée a réduit considérablement sa présence auprès de son employeur, ce n’est pas à la demande de l’appelant.
[126] Le seul fait pour des conjoints de fait d’élever ensemble des enfants ne transforme pas leur relation en coentreprise familiale. Ce dossier illustre l’importance de considérer chaque affaire au cas par cas et selon son propre mérite. Certains éléments militaient pour la reconnaissance d’une coentreprise. En l’espèce, bien que les parties aient bénéficié du même train de vie, elles n’y contribuaient pas à parts égales, mais plutôt en proportion de leurs revenus respectifs. De même, bien qu’elles fussent toutes deux propriétaires à parts égales de la maison, les remboursements du prêt hypothécaire étaient effectués tous les mois en proportion de leurs, et c’est Monsieur seul qui, en 2005, a remboursé seul le solde. Ces éléments pointent en direction de l’instauration d’un projet commun allant au-delà du seul projet d’avoir des enfants.
[127] De plus, le juge a eu l’occasion d’entendre les deux parties et leurs témoins et ainsi d’évaluer leur crédibilité. De la preuve contradictoire qui lui a été présentée, notamment le témoignage de l’appelant lors du procès et ses déclarations antérieures contenues dans [le livre A], ainsi que le témoignage de l’intimée et celui de sa sœur, le juge a conclu, explications à l’appui, à la satisfaction des critères de l’enrichissement injustifié, et qu’il y avait eu mise en place d’une coentreprise familiale par les parties durant leur relation. Faut-il rappeler que l’appelant a reconnu [dans le livre A][135] que :
[...]
[...]
[…]
[…]
[...]
[...]
[128] L’appelant, qui a admis avoir révisé à plusieurs occasions [le livre A] avant sa publication, affirme lors de son témoignage que ces affirmations avaient pour seul but de « vendre de la copie ». De toute évidence, entre, d’une part, la version présentée par l’appelant ([...]) et, d’autre part, celle de l’intimée et ses témoins qui correspond aux affirmations de l’appelant contenues dans [le livre A], le juge a préféré la seconde, et rien ne m’autorise à revoir son jugement sur la question d’appréciation de cette preuve.
[129] Le juge conclut qu’à compter de l’achat de leur maison en juillet 2000, les parties ont mis en place ce que la Cour suprême qualifie de coentreprise familiale. Une fois la maison achetée, les parties ont eu deux enfants et l’intimée s’est occupée des besoins de la famille afin de libérer l’appelant pour qu’il puisse s’investir entièrement dans ses entreprises. Durant toute cette période, les parties ont « [a]git en sachant ou en supposant qu’elles mèneraient une vie commune, peu importe que cela ait été dit ou non »[136]. Le juge retient de la preuve que c’est à partir de 2007, lorsque l’appelant constate que ses entreprises valent plusieurs dizaines de millions de dollars, qu’il commence « la belle vie » et que la relation et la coentreprise familiale qui y est associée s’effritent.
[130] Ainsi, parmi les critères permettant de déterminer si les parties ont mis en place ce projet de vie, le juge a donné un grand poids à celui de « l’intention réelle » des parties pendant leur union, retenant que l’appelant comprenait, et convenait, que les efforts consacrés par l’intimée à la maison et auprès des enfants durant la seconde période (de 2000 à 2007) avaient été faits dans un but commun de non seulement fonder une famille, ce qui est l’apanage de toute décision d’avoir des enfants qui n’emporte pas à lui seul la création d’une coentreprise familiale, mais aussi dans le but d’arriver à un certain résultat, qui était « de partager la richesse qu’elles ont créée ensemble »[137]. Comme l’écrit l’appelant, durant cette période de sept ans, l’intimée « assurait les deux rôles parentaux à la fois » et « mis[ait elle] aussi sur la réussite du projet pour mener une vie plus aisée »[138].
[131] S’il est un critère qui, au Québec en particulier, a son importance vu l’historique de non-intervention législative à l’égard des conjoints de fait, c’est bien celui de l’intention réelle des parties, vu le respect qui est dû à leur autonomie.
[132] Cette appréciation de la preuve faite par le juge répond au moyen d’appel voulant que les apports de l’intimée n’aient pas été exceptionnels[139] et n’aient pas dépassé ce que l’on pourrait s’attendre normalement d’un conjoint, et à celui voulant que l’appelant ait lui-même participé suffisamment à la vie familiale pendant la période correspondant à son enrichissement ainsi que durant la période post 2007.
[133] Un des reproches formulés par l’appelant, voulant que le juge ait erré en retenant que l’intimée a contribué de façon plus importante aux dépenses du couple lors des premières années durant lesquelles l’appelant a débuté son entreprise[140], semble prendre appui dans la preuve. L’appelant ayant effectivement témoigné qu’après s’être consacré au développement du [produit A] en 2000-2001 et avoir alors vécu en employant le produit de la vente de 20 % des actions de [la Compagnie C], il a obtenu un contrat de consultant [à la Compagnie D] pendant au moins deux ans. Toutefois, si on tient compte de l’ensemble de la preuve, dont le fait que le juge considère que les apports de l’intimée consistent, pour l’essentiel, dans les services domestiques et à l’égard des enfants et non dans les apports financiers de celle-ci, ainsi que la courte période visée, l’appelant ne montre pas en quoi cette erreur serait déterminante.
[134] Le juge a plutôt retenu de la preuve que c’est lorsqu’il a réalisé que ses actifs valaient des millions de dollars, en 2007, que l’appelant a « commenc[é] tranquillement à planifier la rupture qui se concrétisera dans les quelques mois suivants l’encaissement des 17 millions $ que lui donnera la vente des actions dans l’entreprise »[141]. Sa fortune était alors faite. L’appelant devait repousser la présomption voulant qu’il y ait absence de justification à l’enrichissement, ce qu’il n’a pas réussi à faire selon le juge.
[135] Les propos de la Cour dans l’affaire Droit de la famille — 20120, où l’appelant présentait des arguments similaires à ceux présentés en l’espèce à l’égard de l’existence d’une coentreprise familiale, sont transposables à la présente affaire[142] :
[50] En fait, ce à quoi l’appelant nous invite c’est à nous substituer à l’appréciation qu’a faite la juge de la preuve, d’une part, et, d’autre part, à accorder en appel davantage de poids à des éléments qui lui étaient favorables, et moins à d’autres que la juge aurait erronément retenus et qui ont plutôt pour effet de favoriser la position de l’intimée.
[51] Tel que déjà mentionné, ce n’est pas le rôle d’une cour d’appel. Comme la Cour suprême l’a rappelé encore récemment, le fait qu’une conclusion différente aurait pu être tirée sur la base d’un poids différent attribué à certains éléments de preuve ne signifie pas qu’une erreur manifeste et déterminante a été commise.
[Renvois omis]
[137] Et puisque la contribution disproportionnée de l’intimée, qui a permis à l’appelant de faire croître la valeur de son entreprise, a pris fin en 2007, l’indemnité doit être établie en tenant compte de l’accroissement de cette valeur durant cette période, à l’exclusion de la troisième période allant de 2007 jusqu’au dépôt de la demande.
[138] Cela dit, afin d’éviter que l’intimée ne s’enrichisse, le juge soustrait les avantages qu’elle a reçus durant la vie commune de l’indemnité qui lui sera versée par l’appelant, en soustrayant la valeur de son fonds de pension et la somme que l’appelant lui a versée afin de le combler, les 100 000 $ et la valeur de l’automobile qu’il lui a donnés au moment de la séparation et la valeur nette accumulée par l’intimée à cette date. L’intimée ne conteste pas cet exercice.
[139] Le juge attribue à l’intimée une indemnité représentant 20 % de l’accroissement de la valeur de l’entreprise au jour de la cessation de vie commune, qui était alors de 17 millions de dollars, de laquelle il soustrait les contributions de l’appelant à la valeur nette de l’intimée à cette même date. La preuve retenue par le juge démontre aussi que la valeur brute de l’entreprise était de 35 millions de dollars en 2007, ce qui aurait rapporté 15 millions de dollars avant impôts à l’appelant qui détenait alors 40 % des actions, et que cette valeur s’est accrue jusqu’au moment de sa vente alors que l’entreprise a été vendue au prix de 65 millions de dollars brut en 2012, à peine quelques semaines avant la séparation. Par la suite, conclut le juge, la part nette résultant de la vente s’est accrue de 5 millions de dollars au jour du dépôt de la demande, augmentation de valeur uniquement due à la fructification des placements faits par l’appelant.
[140] Afin d’établir ce taux de 20 %, le juge tient compte du fait que les efforts disproportionnés de l’intimée n’ont été fournis que durant la période de 2000 à 2007. Je suis d’accord avec cette approche.
[141] L’appelant plaide que l’appauvrissement de l’intimée devrait alors équivaloir à ce qu’il aurait dû payer à des tiers s’il n’avait pas été avec l’intimée et que l’indemnité ne devrait pas être supérieure à la dépense qu’il a épargnée s’il avait retenu des services d’aides ménagères et aux enfants, sans plus. Cette proposition doit être rejetée, dans le contexte de la coentreprise familiale mise en place par les parties. Elle fait fi de leur réalité et elle est réductrice, puisqu’elle abaisse l’apport de l’intimée à celui de domestique et de nourrice.
[142] L’appelant
soutient aussi que le juge a erré en appliquant ce taux à la valeur de sa part
dans l’entreprise non pas telle qu’elle était en 2007, mais à la valeur de sa
part au moment de la cessation de la vie commune. Vu les faits de l’affaire,
l’appelant a tort. Il est vrai que l’apport qui a contribué à l’enrichissement
de l’appelant a pris fin en 2007, faisant en sorte que si la valeur de la part
de l’appelant dans l’entreprise avait continué à croître uniquement dû aux
efforts de l’appelant dans celle-ci, l’intimée n’aurait pas eu droit d’en
bénéficier. Toutefois, l’article
L’appauvri, d’autre part, ne pouvait exiger, selon le droit d’hier, plus que ce dont son patrimoine s’était appauvri. S’il n’en avait pas été ainsi, le demandeur se serait enrichi sans cause, à son tour, disait-on.
On pouvait donc dire que l’obligation pesant sur l’enrichi était doublement limitée : par son propre enrichissement et par l’appauvrissement de son créancier.
[…]
La question qui se posait alors était de savoir à
quel moment et de quelle manière devait s’évaluer l’appauvrissement. Il était
permis de soutenir que cet appauvrissement était égal à la valeur des prestations
ou de ce qui avait été déboursé par l’appauvri : ce montant était donc
gelé au moment même de l’appauvrissement, alors que l’enrichissement qui en
résultait était sujet à variation jusqu’au jour de l’action en justice
[références omises]. […] Parmi toutes ces possibilités, le législateur a choisi
d’évaluer tant l’appauvrissement que l’enrichissement au jour de la demande
(art.
[143] En l’espèce, la preuve établit qu’à compter de 2007 jusqu’au dépôt de la demande, ce ne sont pas les efforts et le travail de l’appelant dans son entreprise qui ont généré l’accroissement de sa fortune. La preuve établit plutôt que celle-ci s’est accrue pour des motifs étrangers à ses efforts. Lors de son témoignage, l’appelant indique avoir, à compter de 2007, considérablement réduit ses activités au travail et que l’entreprise fonctionnait sans avoir besoin de sa présence. Cela est d’ailleurs à la base de ses arguments voulant que les tâches liées à la famille aient été également réparties durant la troisième période. Lors de son interrogatoire hors cour du 12 janvier 2017, il déclare :
À partir de deux mille sept (2007), là, moi là, j’ai décidé que je me pognais le beigne, O.K.? […] Je ne veux plus rien savoir [de la Compagnie E], je suis écoeuré et je ne travaille pas de deux mille sept (2007) à deux mille huit (2008). Je suis à la maison tout le temps. […] De deux mille huit (2008) à deux mille dix (2010), je travaille pour [la Compagnie E], mais l’entreprise roule bien et je suis chef des opérations, je ne fais presque jamais d’overtime, et je suis toujours à la maison. Deux mille dix (2010), je prends ma retraite de ma compagnie et là, je suis toujours, toujours à la maison. Je ne vais plus au bureau puis je suis toujours avec madame.
[144]
Ainsi, puisque la preuve démontre que l’accroissement de la
valeur de l’enrichissement de 2007 jusqu’à la vente, puis jusqu’au dépôt de la
demande, ne résulte pas du travail de l’appelant durant cette période,
l’accroissement de cette valeur pouvait profiter à l’intimée, conformément à
l’article
[145] Le juge de
première instance conclut qu’il convient de transférer la part de l’appelant
dans la résidence utilisée par la famille à l’intimée, sans toutefois préciser
d’où découle son pouvoir de procéder ainsi[144].
L’appelant lui reproche d’avoir erré en droit en accordant ainsi à l’intimée,
une indivisaire, un droit de préférence pour l’achat de sa quote-part alors que
la loi ne le permettrait pas. Le juge ne pouvait donc pas ordonner le transfert
de cette part à l’intimée sans son consentement. Aussi, sans une habilitation
expresse, comme celle prévue à l’article
[146] La
relation des parties n’est pas encadrée par les dispositions du Code civil
qui portent sur la résidence familiale[145]
puisque celles-ci ont été conjoints de fait, par opposition aux conjoints
mariés ou unis civilement[146].
Par conséquent, et puisque c’est le droit commun qui s’applique à ce conflit
patrimonial, « [e]n cas d’indivision, chacun des conjoints pourra forcer
l’autre à procéder au partage et licitation des biens indivis, nul n’étant tenu
de demeurer dans l’indivision (art.
[147] Par conséquent, et tenant compte de la position de l’appelant annoncée lors de l’audience, je propose qu’un droit prioritaire d’acquérir la part indivise de l’appelant dans la résidence soit accordé à l’intimée selon l'évaluation qui en sera faite, et qu’à défaut par elle de l’acquérir, que la vente de l’immeuble soit ordonnée.
[148] Le juge accorde à l’intimée une provision pour frais de 100 000 $, somme qui exclut tous les honoraires pour la tenue de l’audience (laquelle n’a porté que sur la demande pour enrichissement injustifié) et qui est inférieure à celle dépensée jusqu’alors[150] (les honoraires s’élevaient à 156 010,85 $ la veille de l’audience[151]).
[149] L’appelant
soutient que le juge ne pouvait octroyer une provision pour frais en vertu de
l’article
[150] L’appelant
plaide que le juge ne pouvait pas plus s’autoriser de l’article
[151] L’intimée rétorque que la procédure est de nature familiale puisqu’elle porte essentiellement sur des demandes de cette nature (garde, pension alimentaire, frais particuliers, exercice de l’autorité parentale) et que le recours en enrichissement injustifié a été intégré dans ces demandes. De surcroît, l’appelant n’a pas collaboré au bon déroulement de l’instance et a affirmé dans une déclaration sous serment que la majorité des frais qu’elle a engagés l’ont été pour des aspects du dossier qui ont été réglés (la garde des enfants, les droits d’accès et les sommes dues à titre d’arrérages de pension alimentaire et de dépenses afférentes à la résidence utilisée par la famille).
[152] Sur le droit, je donne raison à l’appelant, en ce qu’aucune des sources de droit proposées par l’intimée n’autorise l’octroi d’une provision pour frais à l’égard d’une demande pour enrichissement injustifié[152]. On ne peut non plus accorder une telle provision pour frais en la faisant reposer sur les pouvoirs de l’article 49 C.p.c.[153].
[153] Toutefois, à mon avis, il n’y a pas ici matière à intervention afin de diminuer la somme octroyée par le juge. D’abord, comme celui-ci l’affirme, certaines des questions litigieuses ont été réglées, mais seulement quelques semaines avant l’audition de la demande et même au cours de celle-ci, alors que les honoraires s’élevaient à 156 010,85 $ la veille de la première journée d’audition. Ensuite, il était difficile, voire impossible, de scinder certaines tâches qui touchaient l’ensemble des demandes jointes qui portaient aussi sur la garde des enfants. Le juge pouvait alors arbitrer la somme nécessaire qui devrait être accordée pour que l’intimée fasse valoir ses droits quant aux demandes de nature familiale. En l’espèce, il n’a pas été démontré que le juge aurait commis une erreur déterminante lors de la division des tâches accomplies par l’avocate de l’intimée. Je propose donc le rejet de ce moyen d’appel.
[154] Pour ces motifs, je propose que l’appel soit accueilli en partie, avec les frais de justice en faveur de l’intimée, et que le paragraphe [212] du jugement soit remplacé par les paragraphes [212] à [212.4] suivants :
[212] ORDONNE au défendeur B de payer
à la demanderesse A la somme de 2 393 836,51 $ avec un intérêt
majoré de l’indemnité additionnelle de l’article
[212.1] ORDONNE aux parties de faire procéder à l'évaluation de la valeur marchande de la résidence sise au [adresse 2] à Ville A en date du présent arrêt, à frais communs, par un expert indépendant nommé par les parties ou, à défaut d'un tel accord, par une ordonnance de la Cour supérieure;
[212.2] ORDONNE que l'évaluation soit complétée dans un délai de 90 jours de la date du présent arrêt;
[212.3] ACCORDE à l’intimée le privilège exclusif d'acquérir la part de l’appelant dans la résidence, au prix de l'évaluation qui en sera faite, dans les 60 jours de la réception de cette évaluation;
[212.4] Qu’à défaut par l’intimée d'exercer son droit de rachat de la part de l’appelant dans la résidence dans ce délai, ORDONNE que celle-ci soit alors immédiatement mise en vente, aux conditions déterminées par les parties ou, à défaut, par la Cour supérieure, et que le produit net de la vente soit partagé à parts égales entre les parties.
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STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. |
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MOTIFS DE LA JUGE EN CHEF SAVARD |
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[155] Je souscris en tout point aux motifs du juge Sansfaçon et, comme lui, je suis d’avis que l’appel doit être accueilli en partie, selon le dispositif qu’il propose.
[156] Cela dit,
je souhaite ajouter des commentaires au sujet, d’une part, de l’évolution de l’interprétation
de l’article
* * * * *
[157] À
l’occasion d’une revue historique fort intéressante de l’enrichissement
injustifié[154],
les auteurs Lluelles et Moore rappellent que cette voie d’action, qui prend ses
origines dans le droit prétorien[155],
repose sur la maxime suivant laquelle « nul ne doit s’enrichir injustement
- ou sans cause [renvoi omis] - aux dépens d’autrui ». Depuis l’adoption
des articles
[158] L’analyse que propose mon collègue du régime de l’enrichissement injustifié atteste des nombreux développements jurisprudentiels survenus en ce domaine. À la lumière de ceux-ci, on ne s’étonne pas que les auteurs Lluelles et Moore concluent leur chapitre sur l’enrichissement injustifié en ces termes :
1420. L’utilité de l’enrichissement injustifié comme institution de droit civil. L’enrichissement injustifié a connu une naissance douloureuse et une adolescence problématique. Elle est maintenant, au Québec, reconnue comme une institution à part entière, à côté de ses institutions sœurs, la gestion d’affaires et la répétition de l’indu. Elle est utile car, en dépit de la volonté de complétude, le Code civil ne peut tout prévoir : c’est là surtout que réside l’utilité de cette institution. Même avec un code moderne, de nouveaux cas « marginaux » non réglementés surgiront toujours devant les tribunaux. Le pragmatisme de ces derniers doit pouvoir rétablir l’équité. Les formidables capacités d’adaptation et d’évolution du droit civil sauront les assister dans la conciliation de l’équité et du droit.[158]
[159] C’est
cette conciliation de l’équité et du droit que mon collègue propose, laquelle
s’inscrit dans le respect du droit civil, à la lumière de
l’article
[160] Il est acquis que l’union de fait, qui est un mode de conjugalité fort répandu au Québec[159], échappe au régime législatif propre au mariage et à l’union civile : « [q]ue conjoints de fait et conjoints mariés soient traités différemment par le Code civil du Québec n’est évidemment pas contestable, […] »[160].
[161] Devant l’absence d’un cadre juridique applicable aux conjoints de fait au moment de leur rupture, la Cour, sous la plume du juge Dalphond, rappelait en 2003 que l’enrichissement injustifié ne devait pas servir à instaurer, après la vie commune, « une société d’acquêts judiciaire ou un quasi-patrimoine commun par le biais d’une interprétation très libérale de notions comme l’enrichissement injustifié ou l’action pro socio »[161]. Il ajoutait :
[39] Par conséquent, je suis d’avis que l’objectif d’une action en enrichissement injustifié ne doit pas tendre à un rééquilibrage des actifs ou à un partage des patrimoines de chacun accumulés pendant la vie commune, mais uniquement à compenser une partie pour un apport, en biens ou en services, qui a permis à l’autre de se trouver en une position supérieure à celle qui aurait été la sienne n’eût été de la vie commune, bref de s’enrichir. C’est le cas notamment, de la femme qui entreprend la vie commune avec un homme et ses jeunes enfants et qui, par la suite, s’occupe de l’entretien et de l’éducation desdits enfants, entretient et améliore sa propriété et pourvoit aux besoins de la famille, le tout sans rémunération, pendant que cet homme se consacre pleinement à sa carrière, ce qui lui permet de générer des revenus, d’éviter des dépenses, notamment pour la garde de ses enfants, et d’accumuler des actifs, comme dans l’affaire Peter c. Beblow, précitée.[162]
[Soulignements ajoutés]
[162] Près de 17
ans plus tard, la distinction ainsi énoncée par la Cour demeure d’actualité,
comme mon collègue le précise clairement dans ses motifs[163].
Toutefois, le passage du temps et certainement l’influence de jugements de la
Cour suprême dans des affaires de common law[164]
ont mené à une conception, possiblement plus libérale, de la notion
d’appauvrissement et, par conséquent, de l’indemnité à laquelle
l’article
[163] Il faut
reconnaître que la méthode de la valeur accumulée et la notion de la
« coentreprise familiale » émanant de ces décisions de common law
s’inscrivent « en marge d’une lecture rigoureusement civiliste »[165]
de l’article
[164] L’appauvrissement
a longtemps été compris comme consistant en « une perte de revenus pour le
conjoint qui a sacrifié, en tout ou en partie, sa carrière afin de s’occuper de
la cellule familiale »[166].
Son corrélatif, l’enrichissement injustifié, résidait alors du fait, pour
l’autre conjoint, de ne pas avoir eu à rémunérer des personnes pour l’obtention
de tels services domestiques alors qu’il consacrait tout son temps à sa
carrière. Dans une telle perspective, on peut comprendre que l’indemnité
corrélative de l’article
[165] Toutefois, lorsque le contexte permet de conclure que les parties ont décidé d’investir dans un projet commun, qualifié de « coentreprise familiale », et démontre une « intention de partager la richesse qu’elles ont créée ensemble »[168], l’appauvrissement et l’enrichissement prennent une forme différente. L’appauvrissement, qui demeure le corrélatif à l’enrichissement injustifié, repose alors sur la part qui devrait revenir au conjoint appauvri au terme de ce projet commun, cette « coentreprise familiale », selon les attentes raisonnables des parties, et cela même si sa contribution prend la forme de travaux domestiques ou du temps consacré à l’éducation et aux soins des enfants, etc.
[166] Il ne s’agit donc pas de partager, « à l’instar d’un régime matrimonial [renvoi omis], l’actif d’un couple »[169], mais de respecter la volonté des conjoints de fait, qui sont libres d’établir leurs propres règles quant au partage de leurs biens patrimoniaux lorsqu’ils ont opté pour la mise en place au sein de leur couple d’une « coentreprise familiale », laquelle, je le rappelle, peut prendre la forme qu’ils désirent lui donner. Je note d’ailleurs qu’ici, la coentreprise reconnue par le juge de première instance se limite aux bénéfices résultant de « l’effort conjoint » des parties pour mener à bien la compagnie E et ne s’étend pas à l’ensemble des actifs des parties accumulés durant la vie commune.
[167] Bref, une
évolution, certes, de l’interprétation de l’article
* * * * *
[168] J’estime aussi important de rappeler que la conclusion du juge de première instance quant à l’existence d’une coentreprise familiale relève, pour l’essentiel, de son appréciation d’une preuve factuelle. Comme le démontre mon collègue, avec toutes les nuances qui s’imposent, le juge a procédé à l’analyse de la preuve, à plusieurs égards contradictoire, et a conclu à la volonté réelle des parties de constituer une coentreprise dans laquelle elles se sont respectivement impliquées ou engagées, à tout le moins de 2000 à 2007. Selon le juge, l’accumulation de la richesse de l’appelant dans la [Compagnie E] est le fruit des efforts conjoints et intentionnels des parties. L’enrichissement de l’appelant, qui est circonscrit à la somme obtenue au moment de la vente de l’entreprise, est le fruit des efforts conjugués des parties, alors que l’appauvrissement de l’intimée prend la forme du manque à gagner dans son patrimoine découlant de cette coentreprise.
[169] Il s’agit là d’une question de fait, à l’égard de laquelle la Cour doit faire preuve de déférence. Il ne nous revient pas, comme instance d’appel, d’évaluer de nouveau la preuve et d’en tirer nos propres conclusions, en l’absence de démonstration d’une erreur de fait manifeste et déterminante. Notre rôle est circonscrit et la Cour ne peut pas intervenir.
[170] Dans Droit de la famille — 359, la juge Mailhot, alors dissidente, utilisait la formule suivante : « le jugement de première instance, qui suppose d’abord et avant tout une appréciation des faits et de la crédibilité que nous devons accepter, est bien fondé. Je dis que nous devons accepter parce que l’appelant n’a pas démontré d’erreur déterminante dans cette appréciation »[170]. Elle convient également au présent dossier.
[171] Je souligne par ailleurs que tous les cas ne sont pas semblables. Chaque cas en est un d’espèce. Dès lors, il ne faut pas comprendre que la décision de conjoints de fait d’avoir des enfants entraînera nécessairement et pour autant une coentreprise familiale. En principe, le fait de fonder une famille donne lieu à un partage de responsabilités entre les parents, qui peut prendre différentes formes, selon leurs intérêts et habiletés respectifs. Tous les parents, qu’ils soient conjoints de fait, mariés ou unis civilement, devraient être en mesure de s’appuyer l’un sur l’autre et de partager l’exercice de leurs obligations et responsabilités envers leurs enfants, selon des règles qui leur sont propres et qui conviennent à leurs attentes respectives (sous réserve du respect des dispositions d’ordre public, lorsque applicables). Les propos du juge Gonthier en 1990, dans l’arrêt Lacroix c. Valois, bien que référant aux conjoints mariés, sont tout aussi applicables à des conjoints de fait ayant des enfants communs[171] :
[…] Le contexte matrimonial est particulier en ce que la tenue de comptes précis et mesquins pouvant éventuellement servir de preuve en justice paraît difficilement conciliable avec l’idée que l’on se fait généralement du lien matrimonial consacrant une union sereine. […].
[172] La réalité de chaque couple lui est propre et il importe de ne pas confondre cette notion de collaboration avec la théorie de la « coentreprise familiale ». Comme l’écrit à juste titre mon collègue, cette dernière ne se présume pas, même après une relation de longue durée. Elle requiert la preuve d’éléments précis, dont l’effort commun, l’intégration économique, l’intention réelle et la priorité accordée à la famille, et doit relever de la volonté et de l’intention commune des parties. S’appuyant sur l’arrêt Kerr[172], la professeure Brigitte Lefebvre écrit : « [l]’analyse [de l’existence d’une coentreprise familiale] doit se faire en fonction de ce que chaque couple a effectivement vécu et non pas en fonction de l’opinion qu’une cour pourrait avoir de la façon dont le couple aurait dû vivre »[173]. Les tribunaux devront faire preuve de prudence dans l’application de cette théorie de la « coentreprise familiale » pour ne pas l’appliquer systématiquement à tous les conjoints de fait ayant mené à terme leur projet commun d’avoir des enfants et, ainsi, aller à l’encontre de la volonté du législateur.
[173] Je termine en reprenant à nouveau les propos du juge Gonthier, qui écrivait ce qui suit à l’égard de conjoints mariés[174] :
Les tribunaux doivent donc arriver à corriger les injustices conformément à l’objet de la loi, sans pour autant anéantir la liberté de choix des époux dans la mesure où le législateur avait choisi de la maintenir. L’exercice n’est pas facile […]
[174] Ces propos s’appliquent aussi bien à la voie d’action de l’enrichissement injustifié à l’égard de conjoints de fait à qui, à ce jour, le législateur a laissé cette liberté de choix.
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MANON SAVARD, J.C.Q. |
[1]
Droit de la famille — 182048,
[2]
Droit de la famille — 132495,
[3] Témoignage de l’intimée, M.A. p. 2347-2348.
[4] Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 30.
[5] Témoignage de l’intimée, M.A., p. 2349.
[6] Deux autres associés se sont joints à eux en 2003 et se partagent 20 % des parts.
[7] Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 8.
[8] Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 114. Dans les paragraphes suivants, le juge précise les conditions qui doivent être satisfaites pour démontrer le bien-fondé du recours en enrichissement injustifié.
[9] Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 121-122.
[10] Droit de la famille —132495, supra, note 2.
[11]
Kerr c. Baranow,
[12]
Québec (Procureur général) c. A.,
[13] M.A., p. 7.
[14] Droit de la famille —132495, supra, note 2.
[15] M.A., p. 7.
[16] Arrêt Kerr, supra, note 11.
[17]
L’appelant invoque l’article
[18] Aux pages 815-816. Les juges L’Heureux-Dubé et Bastarache, dans des motifs distincts, affirment partager l’avis du juge Iacobucci sur cette question.
[19] 65302 British Columbia Ltd. c. Canada,
[20]
Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée,
[21] Supra, note 17.
[22] RLRQ, c. C-12.
[23] Québec (Procureur général) c. A., supra, note 12.
[24] Québec (Procureur général) c. A., supra, note 12, paragr. 267.
[25] Ibid.
[26]
La juge en chef est d’avis que les articles attaqués violent le droit à
l’égalité garanti par l’article
[27] Jugement entrepris, supra, note 1 paragr. 112.
[28] Québec (Procureur général) c. A., supra, note 12, paragr. 444-445.
[29]
M.B. c. L.L.,
[30] Peter c. Beblow,
[31] Arrêt Kerr, supra, note 11.
[32]
Housen c. Nikolaisen,
[33] Droit de la famille — 132495, supra, note 2.
[34]
Cie immobilière Viger Ltée c. Lauréat Giguère Inc.,
[35]
Didier Lluelles et Benoît Moore,
[36] Sur la définition de l’Equity, voir : Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues. Les obligations, Cowansville, Yvon Blais, 2003, « equity ».
[37]
Murdoch c. Murdoch,
[38]
Pettkus c. Becker,
As is pointed out by Scott, Law of Trusts, 3rd ed., 1967, vol. 1 5, at p. 3215, "a constructive trust is imposed where a person holding title to property is subject to an equitable duty to convey it to another on the ground that he would be injustly enriched if he were permitted to retain it . . . The basis of the constructive trust is the unjust enrichment which would result if the person having the property were permitted to retain it. Ordinarily, a constructive trust arises without regard to the intention of the person who transferred the property"; and, again, at p. 3413, quoting Judge Cardozo "a constructive trust is the formula through which the conscience of equity finds expression. When property has been acquired in such circumstances that the holder of the legal title may not in good conscience retain the beneficial interest, equity converts him into a trustee."
[39] Arrêt Pettkus, supra, note 38.
[40] La conjointe y demandait la reconnaissance d’un droit de propriété.
[41] Arrêt Pettkus, supra, note 38, p. 843.
[42] Id., p. 847-848.
[43] Arrêt Murdoch, supra, note 37, juge Laskin, p. 451.
[44] Id., juge Laskin, p. 454.
[45] Id., juge Laskin, p. 455.
[46] Arrêt Pettkus, supra, note 38, juge Dickson, p. 848.
[47] Arrêt Kerr, supra, note 11, paragr. 24-28.
[48] Id., paragr. 32.
[49]
Sorochan c. Sorochan,
[50] Arrêt Kerr, supra, note 11, paragr. 46 et 50-53.
[51] Arrêt Kerr, supra, note 11, paragr. 52; Arrêt Peter, supra, note 30, p. 999.
[52] Arrêt Viger, supra, note 34.
[53] André Morel, L’évolution de la doctrine de l’enrichissement sans cause : essai critique, Montréal, Éditions Thémis, 1955.
[54] Arrêt Viger, supra, note 34, p. 75-76.
[55] Daniel Jutras, « Le code et le juge : Doré, Viger, comparés », dans Benoît Moore, Les grands classiques du droit civil - Les grands arrêts, Montréal, Éditions Thémis, 2016, 227, p. 243.
[56] Arrêt Viger, supra, note 34 p. 75.
[57] Id., p. 77.
[58] Arrêt Pettkus, supra, note 38.
[59] Arrêt Sorochan, supra, note 49.
[60]
Richard c. Beaudoin-Daigneault,
[61] Arrêt Sorochan, supra, note 49, p. 43-44.
[62] Robert Leckey, « L’enrichissement injustifié, l’union de fait et l’emprunt à la common law en droit mixte du Québec », (2018) 59:3 C.de D. 585, p. 588-589 [L’enrichissement injustifié]; Robert Leckey, « Unjust Enrichment and De Facto Spouses », (2012) 114:3 R. du N. 475, p. 492-493; Brigitte Lefebvre, « Union de fait », dans Pierre-Claude Lafond (dir.), JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil », vol. « Personnes et famille », fasc. 28, LexisNexis, 2010, (feuille mobiles, mise à jour au 15 juillet 2019) [Union de fait], p. 27-28.
[63] Nicholas Kasirer, « Couvrez cette communauté que je ne saurais voir : Equity and Fault in the Division of Quebec’s Family Patrimony », (1994) 25:4 R.G.D. 569, p. 579-580.
[64] Arrêt Viger, supra, note 34.
[65] Id., p. 76.
[66] Jean-Louis Baudouin, Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, no 536.
[67]
Daniel Jutras, « Cartographie de la mixité : La common law et la
complétude du droit civil au Québec »,
[68] Louis LeBel et Pierre-Louis Le Saunier, « L’interaction du droit civil et de la common law à la Cour suprême du Canada », (2006) 47:2 C. de D. 179, p. 228
[69] Id., p. 228-229.
[70]
M.B. c. L.L., supra, note 29, paragr. 37; Benzina c. Le,
[71] Arrêt Peter, supra, note 30, p. 1013 et 1018; Brigitte Lefebvre, « L’enrichissement injustifié dans un contexte d’union de fait : l’influence de la common law canadienne sur le droit civil québécois », dans Rafaël Jafferali, Vanessa Marquette, Arnaud Nuyts ( dir.), Liber amicorum Nadine Watté, Bruxelles, Larcier, 2017, 373, [L’enrichissement injustifié dans un contexte d’union de fait] p. 388 :« Cette influence de la common law est compatible avec les principes de droit civil qui permettent au juge d’induire des présomptions des faits ».
[72] J.-L. Baudouin, P.-G. Jobin et N. Vézina, supra, note 66, paragr. 551
[73] Québec (Procureur général) c. A., supra, note 12, paragr. 119.
[74]
Art.
[75] Arrêt Peter, supra, note 30.
[76] Arrêt Sorochan, supra, note 49.
[77]
Moge c. Moge,
[78] Arrêt Peter, supra, note 30, p. 993-994.
[79] Ibid.
[80]
Droit de la famille - 359,
[81]
Lacroix c. Valois,
[82] Id., p. 1277.
[83]
P. (S.) c. R. (M.),
[84] Ibid.
[85] Arrêt Peter, supra, note 30.
[86] Id., p.994.
[87] Arrêt Kerr, supra, note 11, paragr. 83-84.
[88] Id., paragr. 33.
[89] Ibid.
[90] Arrêt Kerr, supra, note 11, paragr. 34.
[91]
Lacroix c. Valois, supra, note 81, p. 1279; au même
effet : M. (M.E.) c. L. (P.),
[92]
P. (S.) c. R. (M.),
[93] Lacroix c. Valois, supra, note 81, p. 1277.
[94] Art.
[95] Art.
[96] Québec (Procureur général) c. A., supra, note 12.
[97] Id., paragr. 78.
[98] Id., expression empruntée à Benoît Moore, « Culture et droit de la famille : de l’institution à l’autonomie individuelle » (2009), 54 R.D. McGill 257, p. 268.
[99] Québec (Procureur général) c. A., supra, note 12.
[100] Id., paragr. 391.
[101] Id., paragr. 401.
[102] Id., paragr. 402.
[103] Id., paragr. 80.
[104] D. Lluelles et B. Moore, supra, note 35, p. 769; B. Lefebvre, L’enrichissement injustifié dans un contexte d’union de fait, supra, note 71, p. 392; R. Leckey, L’enrichissement injustifié, supra, note 62, p. 588 : « L’approche basée sur la valeur accumulée parait donc doublement étrangère au droit civil, par sa générosité potentielle envers le demandeur et par l’écho d’un concept apparemment unique à la common law » (renvois omis).
[105] Voir supra, paragr. [57].
[106]
Amyot c. Paquette,
[107] Arrêt Peter, supra, note 30, p.1001.
[108]
Les effets du mariage sont d’ordre public : art.
[109] Arrêt Kerr, supra, note 11, paragr. 88.
[110] À ce sujet, voir Christine Morin, « Coentreprise familiale et société tacite : concepts distincts pour réalités distinctes », Repères, Juin 2015 : « Le concept de coentreprise familiale permet ainsi une compensation financière davantage fondée sur la réalité vécue par ces couples en union de fait dont la relation s'apparentait, de facto, à celle de plusieurs conjoints mariés ou unis civilement. »
[111] 2019 QCCA 928, demandes d’autorisation d’appel et d’appel incident à la Cour suprême rejetées, 30 avril 2020, n° 38779.
[112] Arrêt Kerr, supra, note 11, paragr. 78.
[113] Arrêt Moge, supra, note 77, la juge L’Heureux-Dubé, p. 853 et 854.
[114] Arrêt Peter, supra, note 30, p. 993-994.
[115] Arrêt Kerr, supra, note 11, paragr. 80.
[116] Comme l’explique la professeure C. Morin, supra, note 110, la coentreprise familiale est une réalité distincte de la société tacite. Au même effet : B. Lefebvre, L’enrichissement injustifié dans un contexte d’union de fait, supra, note 71, p. 393.
[117] Arrêt Viger, supra, note 34, p. 77.
[118] Ibid. Bien que le juge Beetz traitait alors plus spécifiquement de la portée des cinquième et sixième conditions que les faits particuliers de l’affaire ne permettaient pas de régler, à mon avis, cette remarque du juge s’applique aussi bien aux autres éléments imprécis ou non définis qui composent la doctrine de l’enrichissement injustifié.
[119] Québec (Procureur général) c. A., supra, note 12, paragr. 119. Tout comme elle l’a été à maintes reprises par notre Cour, dont encore très récemment dans M.B. c. L.L., supra, note 29, paragr. 32-35 ; et Débigaré c. Boudreau, supra, note 111.
[120] Québec (Procureur général) c. A., supra, note 12 paragr. 120.
[121] C.L. c. J.Le.,
[122] Voir notamment : D. Lluelles et B. Moore, supra, note 35, paragr. 1418; R. Leckey, L'enrichissement injustifié, supra, note 62, p. 603 (renvoi omis, l’auteur s’appuie entre autres sur l’ouvrage précédemment cité) : « Certes, le recours à la valeur accumulée, assorti de l’idée de la proportionnalité, paraît s’éloigner de "[l]a règle du moindre montant" entre l’enrichissement du débiteur et l’appauvrissement du créancier, notée précédemment. »; B. Lefebvre, L’enrichissement injustifié dans un contexte d’union de fait, supra, note 71, p. 395-396.
[123] J.-L. Baudouin, P.-G. Jobin et N. Vézina, supra, note 66, paragr. 556; Sébastien Lanctôt, « Enrichissement injustifié », dans Pierre-Claude Lafond (dir.), JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil », vol. « Obligations », fasc. 8, Montréal, Lexis Nexis (à jour au 3 juin 2016), paragr. 104. Le professeur Leckey émet l’avis que la méthode de la valeur accumulée semble « être une version dématérialisée de la fiducie par interprétation » qui s’appuie quant à elle sur la reconnaissance d’un droit de propriété : R. Leckey, L'enrichissement injustifié, supra, note 62, p. 588.
[124] B. Lefebvre, L’enrichissement injustifié dans un contexte d’union de fait, supra, note 71, p. 392. Comme la professeure Lefebvre le note, dans Barrette c. Falardeau, supra, note 70, paragr. 43, rendu trois ans avant l’arrêt Droit de la famille — 132495, supra, note 2, et avant l’arrêt Kerr, supra, note 11, la Cour avait rejeté l’emploi de la valeur accumulée en droit civil, mais dans le cadre d’un obiter.
[125] Droit de la famille — 132495, supra, note 2.
[126] Débigaré c. Boudreau, supra, note 111.
[127]
Voir par exemple : Droit de la famille — 151555,
[128] Housen c. Nikolaisen, supra, note 32, paragr. 10.
[129] Lacroix c. Valois, supra, note 81, p. 1275.
[130]
M. (M.E.) c. L. (P.),
[131]
Voir, à titre d’exemple, M.B. c. F.G.,
[132] L’année 1998 indiquée par le juge est erronée puisque rien dans la preuve ne situe l’implication supérieure de Madame à l’égard de la résidence avant l’automne 2000, ce que le juge reconnaît d’ailleurs au paragr. 109 du jugement entrepris, supra, note 1, et qui fait en sorte que l’erreur n’est pas déterminante.
[133] Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 40.
[134] Ibid.
[135] Pièce P-8.
[136] Arrêt Kerr, supra, note 11, paragr. 98, citant le professeur McCamus.
[137] Id., paragr. 95.
[138] Pièce P-8.
[139] D. Lluelles et B. Moore, supra, note 35, p. 761; C. Morin, supra, note 110, p. 3-4.
[140] Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 22, 25 et 121.
[141] Id., paragr. 46.
[142]
Droit de la famille — 20120,
[143]
Jean Pineau, Danielle Burman et Serge Gaudet,
[144] Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 170-171.
[145] Notamment, les art. 395, 401-413, 429 C.c.Q.
[146] Québec (Procureur général) c. A., supra, note 12, paragr. 112.
[147] Id., paragr. 116.
[148]
Art.
[149] B. Lefebvre, Union de fait, supra, note 62, paragr. 43.1 (renvois omis) : « Contrairement à la règle applicable en matière de prestation compensatoire, la reconnaissance d’un enrichissement injustifié donne droit à une indemnité monétaire et non au transfert de la propriété d’un bien. »; Michel Tétrault, Droit de la famille, vol. 1 « Le mariage, l’union civile et les conjoints de fait : droits, obligations et conséquences de la rupture », Cowansville, Yvon Blais, 2010, p. 934-935; Stéphane Lavoie, « L’application des dispositions relatives à la copropriété indivise lors d’une rupture : comment mettre fin à l’indivision au moment de la séparation ? », (2006) 250 Développements récents en droit familial 671, p. 704-705.
[150] Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 172.
[151] Pièces P-179 et P-191.
[152]
Droit de la famille — 172645,
[153]
Droit de la famille — 071796,
[154]
Didier Lluelles et Benoît Moore,
[155]
Cie Immobilière Viger Ltée c. Lauréat Giguère Inc.,
[156] D. Lluelles et B. Moore, supra, note 154, p. 751, no 1389.
[157] Id., p. 751, no 1391.
[158] Id., p. 771, no 1420.
[159] Brigitte Lefebvre, « L’enrichissement injustifié dans un contexte d’union de fait : l’influence de la common law canadienne sur le droit civil québécois », dans Rafaël Jafferali, Vanessa Marquette et Arnaud Nuyts (dir.), Liber amicorum Nadine Watté, Bruxelles, Bruylant, 2017, p. 381.
[160]
Droit de la famille — 191850,
[161]
B.(M.) c. L.(I.),
[162] Id., paragr. 39.
[163]
Voir à ce sujet : Droit de la famille — 151555,
[164]
Voir notamment à ce sujet : Robert Leckey, « L’enrichissement
injustifié, l’union de fait et l’emprunt à la common law en droit mixte du
Québec »,
[165] B. Lefebvre, supra, note 159, p. 396. Voir également : D. Lluelles et B. Moore, supra, note 154, p. 770, no 1418.
[166] D. Lluelles et B. Moore, supra, note 154, p. 761, no 1406.2.
[167] Voir notamment : Débigaré c. Boudreau, supra, note 163, paragr. 28.
[168]
Droit de la famille — 132495,
[169] D. Lluelles et B. Moore, supra, note 154, p. 754, no 1396.
[170]
Droit de la famille — 359,
[171]
Lacroix c. Valois,
[172] Kerr c. Baranow,
[173] B. Lefebvre, supra, note 159, p. 394.
[174] Lacroix c. Valois, supra, note 171, p. 1277.
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