Décision

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Québec (Procureur général) c

Québec (Procureur général) c. Héli-Excel inc.

2008 QCCQ 6147

COUR DU QUÉBEC

 

C A N A D A

PROVINCE DE QUÉBEC

 DISTRICT DE BAIE-COMEAU

 LOCALITÉ DE BAIE-COMEAU

« Chambre criminelle et pénale »

N° :

655-61-000004-070

 

 

DATE :

 Le 4 juillet 2008

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE MADAME LA JUGE JULIE DIONNE, J.P.M.

______________________________________________________________________

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC,

 

poursuivant

 

c.

 

HÉLI-EXCEL INC.,

 

 

défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

J U G E M E N T

______________________________________________________________________

 

[1]                On reproche à l’accusée d’avoir appliqué un phytocide dans un milieu forestier à moins de 30 mètres d’un cours d’eau lors d’une application aérienne d’une hauteur de moins de 5 mètres du sol.

[2]                Il s’agit d’une infraction prévue par le Code de gestion des pesticides[1] et la Loi sur les pesticides[2].

LES FAITS

 

[3]                Les faits se sont produits près de Manic II dans le cadre d’activités visant la maîtrise de la végétation dans les corridors d’énergie électrique d’Hydro-Québec, secteur Manicouagan.  Un certificat d’autorisation du gouvernement du Québec autorisait cette dernière à pulvériser des phytocides entre les années 1997 et 2004.

[4]                Monsieur Jean Turbide, technicien forestier chez Hydro-Québec est responsable de ce programme et il en dirige toutes les opérations.  Parmi les membres de son équipe de travail, on retrouve la défenderesse, la compagnie Héli-Excel Inc.

[5]                Celle-ci est responsable de l’épandage du produit.  Pour ce faire, elle utilise un hélicoptère muni d’une rampe d’arrosage et d’un système de guidage GPS.

[6]                L’opération est entièrement informatisée de sorte que le pilote n’a qu’à programmer l’endroit visé.  Rendu sur place, l’arrosage débute dès que le pilote positionne l’hélicoptère dans le secteur choisi.

[7]                Par ailleurs, le système est conçu de façon à empêcher l’épandage à l’extérieur de la zone ciblée.  Ce système enregistre toutes les opérations.  Ainsi il est possible, à l’aide d’un graphique, d’observer la zone arrosée et de vérifier la superficie pulvérisée.

[8]                Préalablement au début de l’opération, l’appareil est inspecté et le système est calibré.  Dans les jours qui précèdent l’arrosage, divers tests sont faits au sol et en vol afin de tester la précision des systèmes et de s’assurer de leur parfait fonctionnement.

[9]                La substance épandue est préparée sur place par l’équipe de Jean Turbide.  Il s’agit d’une recette préautorisée par le gouvernement du Québec au moment d’émettre le certificat d’autorisation.

[10]            Le 25 juin 2004, c’est le pilote Sylvain Devault qui est au commande de l’hélicoptère.  Il a personnellement procédé à divers tests dans les journées précédentes. 

[11]            Cette journée-là, il se rend dans le secteur indiqué par Jean Turbide, soit le bloc 7028 entre les pylônes 351 et 352.  L’extrémité « est » de la zone d’épandage se termine par la présence d’une bande tampon de 45 mètres, étant donné la présence d’un lac, élément à protéger.  C’est donc dire que l’épandage s’arrête au début de cette zone.

[12]            Une fois rendu sur les lieux, le pilote procède à un repérage visuel afin de cibler les dangers potentiels.  Il se positionne dans le secteur d’arrosage et débute la pulvérisation alors que l’hélicoptère se trouve à moins de 5 mètres du sol et que sa vitesse est maintenue à 55 km/h.  Le système lui indique sa position et marque la zone pulvérisée. 

[13]            À ce moment, il vole dos au soleil pour ne pas en être affecté.  Le site est relativement plat mais contient quelques zones escarpées.  Plus particulièrement, le pilote note la présence de deux pentes menant à un cours d’eau.  Dans ces escarpements, il doit prendre une allure plus cabrée ce qui change l’angle de l’appareil par rapport au sol.

[14]            Toutefois, les opérations se déroulent bien.  Bien qu’il semble difficile pour le témoin de se souvenir des événements survenus en soirée le 25 juin, il dit avoir examiné l’imprimé du trajet, le bavard, avec Jean Turbide et les données d’arrosage indiquaient une procédure normale.  Il s’agit d’un avis que partage monsieur Jean Turbide.

[15]            En août de la même année, monsieur Guy Desbiens, technicien en eaux et assainissement au ministère de l’Environnement, chargé de l’inspection des terrains en regard du respect de la réglementation, se rend dans la zone 7028.  Il observe des signes d’épandage entre les pylônes 351 et 352.  Il constate que la pulvérisation s’est étendue dans le secteur qu’il identifie comme la zone tampon, soit à moins de 45 mètres du cours d’eau.

[16]             Au moment de ses observations, il se trouve à 75 mètres des lieux, soit de l’autre côté du lac.  Il prend deux photographies, dont l’une, avec téléobjectif.

[17]            Par la suite, monsieur Serge Beaulieu, agronome spécialisé en environnement, directeur régional par intérim au ministère du Développement durable et des parcs, est mandaté par le gouvernement afin de déterminer s’il y a eu infraction.  Ce dernier a été déclaré expert en agroenvironnement devant le présent Tribunal.

[18]            Il se rend sur le circuit 7028, le 17 novembre 2005, entre les pylônes 351 et 352 dans le but de mesurer les distances de pulvérisation et de localiser la bande tampon.  La journée de son analyse, un couvert de neige de 20 centimètres est présent au sol.

[19]            Pour établir ses conclusions, il doit exécuter trois opérations, soit :

1)     Déterminer la ligne naturelle des hautes eaux;

2)     Identifier la limite de pulvérisation;

3)     À partir de ces résultats, calculer la longueur de la zone tampon.

[20]            Afin de localiser la ligne naturelle des hautes eaux, plusieurs méthodes s’offrent à lui.  Il choisit cependant d’utiliser la méthode botanique simplifiée, qui consiste à utiliser des identificateurs botaniques et physiques.

[21]            Il localise donc la ligne naturelle des hautes eaux en tenant compte de la présence de la glace, de la population d’aulnes, arbre qui vit à l’extérieur de l’eau mais qui se retrouve souvent immergé au printemps.  Finalement, il utilise comme repère le sapin qui lui pousse en milieu terrestre uniquement.

[22]            Pour déterminer la limite de pulvérisation, il décide, vu l’absence de feuilles sur les arbres, d’utiliser ce qu’il identifie comme une méthode simple, qui consiste à casser les tiges maîtresses des jeunes arbres atteignant 1 mètre à 1.5 mètre.  Ce faisant, il observe que certaines d’entre elles se cassent facilement alors que d’autres non.

[23]            Il casse un grand nombre de branches le long de la ligne de mesure et conclut que pour celles qui se cassent facilement, l’arbre est mort alors que pour celles qui se cassent difficilement, l’arbre est toujours vivant.

[24]            Il se base également sur certains signes physiques présents sur les végétaux tant les feuillus que les résineux.  Par exemple, lorsqu’un sapin rencontre 10 % et plus de traces d’altération, il considère qu’il a été arrosé.  Ces signes dont il tient compte laissent paraître l’arbre rabougri ou la présence de taches brunâtres.

[25]            Ses observations sont faites sur une distance de 45 mètres à partir de la ligne des hautes eaux préalablement déterminée.

[26]            Finalement, il localise une ligne entre les arbres vivants et les arbres morts et fixe à cet endroit la limite de pulvérisation.

[27]            Ses analyses lui démontrent qu’il y a eu empiètement de 33 mètres dans la zone tampon du côté nord de l’emprise et de 11 mètres du côté sud. 

[28]            Il est d’avis que le phytocide utilisé, le Tordon 101, est un produit très phytotoxique qui provoque un désordre du métabolisme de la plante.  Utilisé à une dose de 25 litres/hectare comme le fait Hydro-Québec, les effets, se traduisant par le brunissement et la perte des feuilles, sont rapidement constatés.

[29]            Selon lui, c’est avec le temps que l’on peut déterminer les effets de l’application.  Des photos prises en 2007 démontrent bien que la pulvérisation s’est avérée efficace étant donné que les graminées se sont installées au profit des espèces affectées. 

[30]            En contre-interrogatoire, l’expert Beaulieu dit avoir choisi la méthode botanique simplifiée parce que c’est la seule méthode qu’il pouvait utiliser ne disposant pas des données essentielles à l’utilisation des autres méthodes, et ce, malgré la période de l’année et malgré le fait que ce n’était pas la méthode idéale en présence de pentes. 

[31]            À son avis, la ligne naturelle des hautes eaux a mal été positionnée par Hydro-Québec et la barre des 45 mètres aurait dû se situer plus à l’ouest parce que pour établir cette ligne, Hydro-Québec a utilisé des photos aériennes prises en juillet, mois où les niveaux de l’eau sont au plus bas.  Par ailleurs, en utilisant cette mesure, l’empiétement dans la bande tampon aurait été de 27 mètres, c’est-à-dire qu’il y aurait toujours eu pulvérisation dans la bande de 30 mètres du cours d’eau.

[32]            Outre la pulvérisation, trois autres phénomènes auraient pu expliquer l’état de la végétation à savoir : la dérive aérienne; le ruissellement et le lessivage.  Cependant, les conditions donnant lieu à ces phénomènes n’étaient pas présentes à ce moment.

[33]            Bien qu’il soit impossible d’éliminer complètement la dérive aérienne, il est d’avis que les conditions prévues au certificat d’autorisation afin de l’amenuiser avaient été mises en place d’où l’invraisemblance d’une dérive sur une distance de 33 mètres.

[34]            La défense a fait entendre Gilles Leroux, agronome, déclaré témoin expert en phytocide devant le Tribunal.

[35]            Ce dernier s’est rendu sur les lieux de pulvérisation le 6 septembre 2006 et a marché toute la zone visée.  Il a constaté que la végétation présente dans la région immédiate au pylône 352 était constituée d’herbacées, dominées par une graminée (calamagrostis canadensis), ce qui démontre une pulvérisation efficace à cet endroit et en conséquence l’élimination des espèces ligneuses et des espèces herbacées à feuilles larges.

[36]            Il a aussi noté une démarcation entre la zone tampon et la zone arrosée parce que la végétation dans la zone tampon était composée à prédominance d’espèces ligneuses, feuillues, issues de souches ou rejets de souches.  L’expert a par ailleurs noté des signes évidents d’atteintes à la végétation dans ce même secteur, sans qu’il y ait pour autant mortalité des plantes contrairement au secteur abordant le pylône 352.

[37]            Appelé à commenter les photos prises par monsieur Guy Desbiens en août 2004, l’expert est d’avis que bien que les plantes aient été affectées dans la bande tampon, cette zone comporte des parties verdâtres indiquant par rapport à l’ensemble du secteur visé, qu’à cet endroit, il ne peut être question de l’application d’une pleine dose.  Il attribue ce résultat au phénomène de la dérive que certains facteurs comme la topographie du terrain, le vent et le mouvement de l’hélicoptère ont pu accentuer. 

[38]            Selon ses observations, l’expert Leroux conclut que le pilote a effectué tous les passages d’ouest en est, ce que ce dernier a d’ailleurs confirmé.  De plus, le vent, d’une vélocité moyenne de 9 km/h, soufflait dans cette même direction.  Aussi, la présence des escarpements a pu forcer le pilote à diminuer la vitesse pour garder sa position créant ainsi un vortex.  Ce sont tous ces facteurs mis ensemble qui ont pu pousser les gouttelettes à l’extérieur de la zone ou encore provoquer leur fractionnement les entraînant à l’extérieur de la zone par dérive.  

[39]            L’analyse de la photo D-7 prise le 29 août 2007, l’amène à conclure qu’il s’est produit quelque chose de particulier lors de la pulvérisation, étant donné qu’on y a noté une repousse importante des espèces ligneuses du côté nord de l’emprise contrairement au côté sud.  Selon lui, il est clair qu’une dose partielle a été appliquée et seule la dérive pourrait expliquer le phénomène.  L’imprimé émanant du système de guidage indiquant par marquage la zone pulvérisée, fait état d’une coupure nette.  Ce résultat ne peut en aucun cas correspondre à la thèse d’une pulvérisation partielle du côté gauche uniquement de la zone tampon.

[40]            Par ailleurs, il explique qu’il est normal qu’en août 2005, soit 2 mois après la pulvérisation que l’on puisse retrouver des signes de brunissement dans la zone où il y a eu dérive, étant donné que de tels signes peuvent apparaître suite à l’application de très très faibles doses, ce qui n’indique pas pour autant la mort de la végétation.

[41]            En regard de la méthode utilisée par l’expert Beaulieu, monsieur Leroux est d’avis qu’elle ne permet pas de tirer des conclusions valables.  Essentiellement, monsieur Beaulieu aurait dû faire ses analyses dans une période de croissance active de la végétation parce qu’à la date où il a procédé, il n’a pas été en mesure de vérifier tout le portrait, notamment en regard des repousses et des rejets de souches.  Leurs présences, telles que constatées, démontrent que la plante n’était pas morte mais seulement atteinte.

[42]            En conséquence, l’expert Leroux est d’avis que l’ensemble de la preuve démontre que la zone tampon n’a pu être pulvérisée par le phytocide.  C’est plutôt la dérive du produit qui a atteint la végétation à cet endroit.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Défense

[43]            Comme il n’y a aucune preuve directe d’application de phytocide en deçà de 30 mètres, la poursuite se doit de l’établir via une preuve circonstancielle.

[44]            Ainsi, à cet effet, on doit se référer à La Reine c. Q… D…[3], au paragraphe 52, en ce qui concerne la preuve circonstancielle :

« Le juge de faits doit être convaincu que cette preuve conduit un esprit cohérent à une seule conclusion possible.  Pour trouver un individu coupable sur cette base, il faut que les éléments de preuve indirecte n’amènent qu’à cette seule conclusion logique, soit la culpabilité de l’accusé. »

[45]            Il rappelle que suivant la cause Légaré Auto Ltée c. La Reine[4], au paragraphe 39 :

« Qu’il n’incombe pas à l’appelant de soulever un doute en ce cas, mais plutôt si l’ensemble de la preuve est concluant au point de justifier le Tribunal du prononcer hors de tout doute raisonnable. »

[46]            Par ailleurs, dans La Reine c. McGuire[5], le juge a dit : « que l’on ne devait pas baser la preuve sur des éléments hypothétiques ».

[47]            On soutient que c’est dans un contexte d’hypothèse que se situe la preuve de la poursuite.  Celle-ci n’a pas été en mesure d’établir ni la ligne naturelle des hautes eaux ni la limite de pulvérisation et par conséquent elle a été incapable de prouver l’empiètement dans la zone de 30 mètres du cours d’eau. 

Le ligne naturelle des hautes eaux

 

[48]            L’expert a utilisé la méthode botanique simplifiée en se référant au guide des bonnes pratiques.  Il aurait dû se référer au Code de gestion des pesticides et à la politique auxquels il renvoie pour déterminer cette ligne et ainsi tenir plutôt compte de la présence des plantes hydrophytes.  Or, monsieur Beaulieu n’a pas été en mesure de les identifier.  La politique ne fait aucunement référence aux critères qu’il a utilisés pour établir ses conclusions.   Il n’a donc pas prouvé hors de tout doute raisonnable la ligne naturelle des hautes eaux, soit l’endroit où l’on passe d’une prédominance des plantes aquatiques à une prédominance des plantes terrestres.

[49]            L’expert aurait été en mesure de recueillir des données fiables et utiliser une méthode recommandée, s’il avait agi dans la bonne saison.  Il a même admis que la méthode utilisée n’était pas recommandable en présence de faible pente.  Or ici, on a prouvé cette faible pente, et même plus, puisqu’il y avait escarpements rocheux.  Il ne pouvait non plus utiliser des guides n’ayant aucune valeur juridique pour déterminer d’une sanction pénale.  L’interprétation des lois et une question de droit du ressort exclusif des tribunaux.

[50]            Ainsi, lorsque l’expert Beaulieu conclut que la ligne naturelle des hautes eaux est mal positionnée, il apporte cette conclusion en regard de guide interne.  C’est sa seule base.

[51]            De plus, son témoignage est contradictoire avec son rapport où il établit une première ligne.  Dans son témoignage, il fait état de la possibilité d’un autre point, soit celui situé à la limite du couvert de glace.

La limite de pulvérisation

 

[52]            En se contentant de casser des branches, l’expert a omis de vérifier s’il y avait des repousses ou des rejets de souches.  Il n’a donc pu acquérir une certitude quant à la mort de l’arbre. 

[53]            Contrairement à son rapport où il fait allusion à l’arbre dans son entier, son témoignage est basé uniquement sur l’étude des tiges maîtresses.  Quant aux résineux, l’expert Beaulieu a conclu qu’ils avaient été pulvérisés dans les cas où il observait une atteinte de 10 %. 

[54]            Ceci contredit les résultats d’une étude publiée dans le programme de pulvérisation démontrant que 13 mois après l’application, on pouvait remarquer chez les résineux une défoliation atteignant les 68 % alors que l’on a constaté une atteinte de 100 % pour les feuillus.  Dans ce cas, on a utilisé une dose similaire à la présente situation.

[55]            Il a donc placé sa ligne à un endroit où 100 % des feuillus étaient, selon lui, affectés et 10 % en ce qui concerne les résineux.

[56]            Cette preuve s’avère différente de ce que l’expert Leroux a observé, puisque la zone tampon, selon ce dernier, comportait des signes d’atteintes partielles seulement. Cette situation étant caractérisée par une présence plus importante de feuillage vert par rapport au secteur pulvérisé et par une réapparition de plantes ligneuses en 2007.

[57]            C’est presque du revers de la main que Beaulieu rejette toutes les autres causes probables qui auraient pu entraîner le produit hors de la zone de pulvérisation.  Il se contente de dire que 33 mètres pour le ruissellement et à la dérive, c’est trop long.  Mais il ne précise toutefois pas les possibilités de dérive et de ruissellement sur une distance plus courte.

[58]            Pourtant, nous sommes dans une pente et nous avons parlé du ruissellement et de la dérive comme d’autres conclusions logiques et c’est à la poursuite d’écarter ces possibilités.

[59]            L’expert Leroux a abondamment parlé de la dérive et de ce qui aurait pu l’entraîner.  Pour cela, il a tenu compte de différents facteurs.

[60]            Par ailleurs, monsieur Beaulieu n’a même pas été en mesure de conclure que c’est obligatoirement les phytocides qui auraient pu tuer les plantes ne sachant pas si par exemple, une sécheresse est intervenue depuis.

[61]            Les constations faites par Leroux, tant au niveau de l’analyse des photos que lors de sa visite sur le terrain, démontrent qu’il est impossible de conclure que 100 % des plantes ligneuses étaient mortes dans la zone tampon.

[62]            Il a été prouvé que le système d’application était fiable, qu’il fut homologué.  Que le pilote a été à même de constater son bon fonctionnement, sa cohérence.  Il fut également prouvé que la zone a été programmée dans le système et que les données enregistrées ont démontré une application normale, sans problème. 

[63]            L’expert a également mentionné qu’une pulvérisation de 21 litres/hectare, n’aurait pu avoir un impact sur la zone tampon comme il le fut démontré.

[64]            Il est admis par les experts que la dérive est un phénomène qui peut être diminué, mais pas complètement éliminé.  Or, dans les circonstances, il est impossible de passer d’une zone où 100 % des arbres ont été pulvérisés à une autre où 100 % des arbres sont morts.

 

PRÉTENTIONS DE LA POURSUITE

 

[65]            La seule question qui a été débattue est celle de savoir s’il y a eu épandage dans la zone tampon.

[66]            La preuve a établi que Guy Desbiens a constaté, le 20 août 2004, ce qui pour lui semble être une infraction.  Ainsi, le 17 novembre 2005, une équipe composée de Guy Desbiens, Serge Beaulieu et de Richard Bissonnette, retourne sur les lieux.

[67]            Là, on procède à un bon nombre de vérifications.  Pour ce faire, monsieur Beaulieu a suivi un guide de bonnes pratiques.  Il s’agit d’un outil nécessaire à interpréter les données du terrain et non pour justifier une infraction.

[68]            Il a utilisé la méthode botanique simplifiée en référence à la politique de protection des rives qui mentionne que la ligne des hautes eaux se situe à l’endroit où l’on passe d’une prédominance de plantes aquatiques à une prédominance de plantes terrestres.  Pour ce faire, il a utilisé certains critères, comme la population d’aulnes, la glace, le sapin. 

[69]            Il a même dit que sans ces critères, il aurait situé cette limite de 5 mètres plus près du rivage soit là où l’eau commence.

[70]            Les conditions dans lesquelles il a travaillé, bien que difficiles, n’étaient pas impossibles.  Il a réussi par son travail à établir que la ligne de pulvérisation se trouvait à 12 mètres de la ligne naturelle des hautes eaux.

[71]            De plus, les calculs de la poursuite ont été faits en tenant compte de la réalité du terrain, ce qui n’est pas le cas de la défenderesse, puisqu’Hydro-Québec s’est fiée à des photos aériennes prises en juillet 2002, moment où le niveau de l’eau est à son plus bas.

[72]            Toutefois, peu importe les calculs utilisés, la poursuite a tout de même fait la démonstration de l’empiétement dans la bande de 30 mètres.  Quant au ruissellement, l’expert Beaulieu a soulevé qu’il aurait fallu de la pluie.

[73]            Ainsi, on prétend que la commission de l’infraction a été prouvée et que c’est à la défense de soulever un doute sur ce qui aurait pu se passer d’autre, par exemple la dérive.  Mais, sur ce point, on soutient que la dérive, qu’elle soit de 33 mètres ou de 27 mètres, cela défie l’imagination.  Il s’agit d’une thèse déraisonnable qui ne peut être soutenue par la preuve qui ne fait ressortir aucun élément, tels le soleil, les bourrasques ou la topographie du terrain, qui aurait pu la justifier.

[74]            Par ailleurs, le bavard sur lequel on se fonde pour dire que l’arrosage était démarqué par une ligne nette, ne contient aucune précision quant aux distances.  Pour cette raison, on ne peut lui accorder aucune valeur probante.

[75]            Il est admis que le système GPS fonctionnait bien, mais il était toutefois tributaire des données qu’on y avait programmées à partir des photos prises par Hydro-Québec où l’on a situé la ligne naturelle des hautes eaux à 10 mètres trop bas.

[76]            De plus, il fut prouvé qu’Hydro-Québec n’a pas respecté la dose de 25 litres/hectare mais plutôt de 21 litres/hectare et que plus la superficie est grande plus la dose diminue ce qui pourrait expliquer la repousse.

[77]            L’expert Leroux a bien dit que la dérive, suivant les études déposées, pouvait atteindre un maximum de 4 mètres et aucune preuve de distance n’a pu être apportée pour ce qui est du déplacement des gouttelettes fractionnées.

[78]            Ainsi, la thèse de la défense ne tient pas et ne peut contrer la preuve de la commission de l’infraction. 

[79]            La défense soutient que la poursuite n’a pas réussi à démontrer l’épandage mais a plutôt fait la preuve des effets des phytocides, lesquels peuvent provenir tant de l’épandage que de la dérive.

[80]            Par ailleurs, en ce qui concerne la zone inondée, on ne peut savoir si elle était dans son état normal ou si elle était affectée par la présence des castors.  Y avait-il un barrage influençant le niveau de l’eau?

[81]            Finalement, concernant la mesure des 4 mètres évoquée par l’expert Leroux, celle-ci est tributaire de la grosseur des gouttelettes.  On sait cependant et ceci n’est pas contredit, que le fractionnement laisse des gouttelettes en suspension qui elles peuvent être entraînées beaucoup plus loin.

QUESTION EN LITIGE

[82]             

1.      La preuve circonstancielle a-t-elle permis d’établir tous les éléments essentiels de l’infraction?

2.      Si oui, les défendeurs ont-ils été diligents?

DÉCISION

 

[83]            D’abord, il y a lieu de reproduire les dispositions pertinentes, soit :

1.      L’article 80 du Code de gestion des pesticides[6] :

« 80.   L'application d'un phytocide dans un milieu forestier ou à des fins non agricoles, autre qu'une application de phytocides sur les digues et les barrages, doit s'effectuer à plus de 30 mètres d'un cours ou plan d'eau ou d'un immeuble protégé, lorsque la hauteur du dispositif d'application, par rapport au sol, est inférieure à 5 mètres et à plus de 60 mètres d'un cours ou plan d'eau ou d'un immeuble protégé, lorsque la hauteur du dispositif d'application, par rapport au sol, est de 5 mètres ou plus. »

 

« Cours ou plan d’eau

L'expression « cours ou plan d'eau » comprend un cours d'eau à débit intermittent, un étang, à l'exception d'un étang d'aération municipal et d'un étang artificiel sans exutoire, un marais, un marécage ou une tourbière, à l'exception de la tourbière ou la partie de celle-ci qui est exploitée mais elle ne comprend pas les fossés; toute distance relative à un cours ou plan d'eau est mesurée à partir de la ligne naturelle des hautes eaux telle que définie par la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables (D. 468-2005, 05-05-18). »

 

2.      L’article 105 de la Loi sur les pesticides[7] :

« 105.   Le gouvernement édicte, par règlement, un Code de gestion des pesticides. Ce code peut édicter des règles, restrictions ou prohibitions portant sur les activités relatives à la distribution, à la vente, à l'entreposage, au transport ou à l'utilisation de tout pesticide, de tout contenant d'un pesticide ou de tout équipement servant à l'une de ces activités.  1987, c. 29, a. 105. »

 

3.      L’article 2.1 de la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables[8] :

 

          « 2.1 Ligne des hautes eaux

La ligne des hautes eaux est la ligne qui, aux fins de l’application de la présente politique, sert à délimiter le littoral et la rive.  Cette ligne des hautes eaux se situe à la ligne naturelle des hautes eaux, c’est-à-dire :

a)       À l’endroit où l’on passe d’une prédominance de plantes aquatiques à une prédominance de plantes terrestres, ou s’il n’y a pas de plantes aquatiques, à l’endroit où les plantes terrestres s’arrêtent en direction du plan d’eau.

Les plantes considérées comme aquatiques sont toutes les plantes hydrophytes incluant les plantes submergées, les plantes à feuilles flottantes, les plantes émergentes et les plantes herbacées et ligneuses émergées caractéristiques des marais et marécages ouverts sur des plans d’eau. »

[84]            Le seul élément contesté est celui de la pulvérisation dans la zone de 30 mètres à partir de la ligne naturelle des hautes eaux.

[85]            Cet élément se devait d’être établi hors de tout doute raisonnable dans le contexte d’une preuve circonstancielle puisque personne ne fut témoin de l’épandage, mis à part le pilote qui y était présent, mais à bord de son appareil.

[86]            Dans la Collection de droit 2007-2008, Volume 11, Droit pénal, procédure et preuve, à la page 147, en regard de l’appréciation de la preuve circonstancielle, Me Louise Viau dit ceci :

« La preuve circonstancielle consiste dans les faits qui, pris isolément, peuvent ne pas avoir de portée directe sur le litige mais qui, considérés dans leur ensemble, conduisent l’esprit logique à une conclusion dans un sens donné, sans autre solution logique.  L’appréciation de sa valeur probante est du domaine du jury. »

« On ne saurait mieux définir la portée et les limites de cette preuve que ne l’a fait le juge Hall dans l’arrêt In the Matter of a Reference Re :  Steven Murry Truscott :

[] The circumstantial evidence case is built piece by piece until the final evidentiary structure completely entraps the prisoner in a situation from which he cannot escape.  There may be missing from that structure a piece here or there and certain imperfections may be discernible, but the entrapping mesh taken as a whole must be continuous and consistent.»

[87]            Ainsi, il faut comprendre qu’il appartient uniquement à la poursuite de prouver si l’ensemble de sa preuve peut conduire le Tribunal à conclure, qu’il existe une seule solution logique, soit la culpabilité de l’accusé et qu’à ce stade, la défense n’a pas à soulever un doute raisonnable.

[88]            La poursuite a-t-elle prouvé que Héli-Excel Inc. a pulvérisé des phytocides dans la zone de 30 mètres ou existe-t-il d’autres solutions logiques à la pulvérisation.

[89]            En poursuite, on soutient avoir prouvé que la ligne de pulvérisation était à 12 mètres de la ligne naturelle des hautes eaux, ce qui a donné lieu à l’infraction. 

[90]            La défense prétend que la poursuite n’a pas établi ce fait hors de tout doute raisonnable. 

[91]            Le Tribunal est d’avis que la poursuite a failli à la tâche d’établir la ligne naturelle des hautes eaux, tout comme elle a failli à la tâche d’établir la ligne de pulvérisation, et ce, principalement en raison des techniques utilisées par l’expert.

[92]            Pour établir la ligne naturelle des hautes eaux, la poursuite s’est référée à la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables[9], à l’article 2.1a).  Ainsi, l’expert sur les lieux a choisi d’établir cette ligne en identifiant l’endroit où l’on passe d’une prédominance de plantes aquatiques à une prédominance de plantes terrestres.

[93]            Pour ce faire, monsieur Beaulieu a mentionné s’être fié au guide des bonnes pratiques et c’est pour cela qu’il a tenu compte de critères particuliers, comme la population d’aulnes, la présence du couvert glacé et l’emplacement des sapins.

[94]            Mais l’article 2.1 exige plus, l’expert aurait dû être en mesure de nous démontrer la présence des plantes hydrophytes, critère essentiel retrouvé à la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables[10] auquel renvoie le Code des pesticides.  L’expert Beaulieu choisit d’utiliser la méthode botanique simplifiée alors qu’il avoue lui-même que le guide ne la recommande pas à cette période de l’année.

[95]            De plus, on doit, comme le prétend la défense, se demander si la présence des castors aurait pu jouer un rôle sur le niveau de l’eau.  On peut se rappeler que l’expert Beaulieu a mentionné avoir traversé le lac en passant sur un tronc d’arbre.  Toutefois, on ne peut ni confirmer ni infirmer la présence d’un barrage ce qui évidemment, aurait pu influencer le positionnement du couvert glacé; repère important pour l’expert Beaulieu.

[96]            Il apparaît donc qu’il existe un doute quant à l’établissement de la ligne naturelle des hautes eaux. 

La ligne de pulvérisation

 

[97]            La fin de la ligne de pulvérisation a été établie suivant une méthode improvisée par l’expert Beaulieu, selon son témoignage.  Une méthode simple qui consistait à casser des branches pour détecter des signes de vie ou de mort.

[98]            Il apparaît clairement du témoignage de Beaulieu que l’indice majeur c’était la mort des tiges maîtresses, et ce, même s’il y a contradiction avec son rapport qui parle de la mort de l’arbre. 

[99]            Quoi qu'il en soit, et contrairement à ce que prétend la poursuite, il faut pour établir cette ligne de pulvérisation, prouver la mort de la plante.  Pour en venir à cette conclusion, il suffit de consulter le programme d’entretien des emprises déposé en preuve où l’on fait état d’essais tenus en 1990 dans la région de Manicouagan.  Lors de cette étude, la pulvérisation aérienne du Tordon 101 s’est faite à des concentrations similaires.  L’étude révèle une disparition totale de la plante feuillue et la perte, dans une proportion de 68.1 % des résineux.

[100]       Suivant le témoignage de l’expert Beaulieu, ce dernier a établi la ligne de pulvérisation à l’endroit où les tiges maîtresses passaient de mortes à vivantes.

[101]       L’expert Leroux, spécialiste des phytocides, a témoigné des effets du Tordon 101.  Il a expliqué que ce produit très phytotoxique est utilisé par Hydro-Québec pour maîtriser la végétation incompatible et ainsi favoriser l’implantation d’espèces compatibles telles les graminées vivaces.

[102]       Pour y arriver, le produit doit être appliqué en respectant une dose d’application de 25 litres/hectares assurant ainsi l’élimination complète des espèces ligneuses et certaines herbacées à feuilles larges.

[103]       Par contre, deux mois après la pulvérisation, les matières actives du liquide produisent des symptômes visuels à des doses très inférieures à celles requises pour la destruction.  Et s’il s’agit d’analyser l’effet de l’application d’une dose de 21 litres/hectare, l’expert croit que les résultats seraient à peu près les mêmes que pour une dose de 25 litres/hectare puisqu’il s’agit d’une dose presque pleine.  On peut d’ailleurs se référer aux études déposées en preuve qui parlent du résultat s’approchant de 100 % de perte pour les feuillus. 

[104]       Les observations de l’expert l’ont amené à conclure que la zone visée n’avait pas été pleinement arrosée.  D’abord, les photos prises par Guy Desbiens laissaient voir des signes partiels de pulvérisation dans la zone tampon et puis, tant sa visite des lieux que les photos prises en 2007 lui ont permis d’identifier des repousses et des rejets de souches de même que la présence d’espèces ligneuses tout le long du côté nord de l’emprise.

[105]       Selon lui, le travail de l’expert Beaulieu n’a pas permis de vérifier que l’arbre était bien mort, car ce dernier s’est contenté d’observer les tiges maîtresses sans regarder ce qui se passait au sol.  En effet, il n’a pas vérifié la présence des matières actives dans le sol et n’a pas non plus vérifié les repousses et les rejets de souches.

[106]       Il a été démontré que la dérive peut se produire dans certaines conditions.  Ici, bien que l’on ait pris les dispositions pour diminuer la dérive, il n’en demeure pas moins que la topographie du terrain, le mouvement de l’hélicoptère, combinés à la direction des vents auraient pu créer une situation favorisant son augmentation et provoquant également le fractionnement des gouttelettes susceptibles de dériver sur une assez grande distance.

[107]       Cette situation n’est pas irréelle et inconcevable.  L’expert Leroux soumet cette hypothèse en tenant compte des observations qu’il a faites et des témoignages entendus, elle constitue donc une autre solution logique, autre que la pulvérisation.

 

 

 

[108]       En conséquence, le Tribunal est d’avis que la poursuite n’a pas réussi à établir hors de tout doute raisonnable qu’il y a eu pulvérisation dans la zone de 30 mètres du cours d’eau et par conséquent, l’accusée est acquittée.

 

 

 

 

 

 

 

 

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JULIE DIONNE, juge de paix magistrat

 

 

 

 

 

 

Me Donald Barnabé

Procureur des poursuites criminelles et pénales

Pour la poursuivante

 

Me Robert Daigneault

Daigneault, cabinet d’avocats

Pour le défendeur

 

Date d’audience :

Les 23, 24 et 25 janvier 2008

 



[1]     Code de gestion des pesticides, de la Loi sur les pesticides, L.R.Q. c.P-9.3, R.0.1., art.  80, 87.

[2]     Loi sur les pesticides, L.R.Q., c.P-9.3, art. 105, 108.

[3]     La Reine c. Q… D…, C.Q., 6 février 2006, 2006 QCCQ 2253 .

[4]     Légaré Auto Ltée c. La Reine, No 200-10-000054-804, le 19 janvier 1982.

[5]     La Reine c. McGuire, CQ, 3 février 2006, 200-01-083920-037, EYB2006-100889.

[6]     Code de gestion des pesticides, précitée, art. 80.

[7]     Loi sur les pesticides, précitée, art. 105.

[8]     Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, C.Q-2, r.17.3, art. 2.1a).

[9]     Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, précitée, art.2.1a).

[10]    Idem, art. 2.1.

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