Philibert c. Giard

2006 QCCQ 3486

JA 0692

 
 COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

LOCALITÉ DE

JOLIETTE

« Chambre civile »

N° :

705-22-006337-040

 

 

 

DATE :

28 février 2006

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

PIERRE E. AUDET, J.C.Q.

 

 

 

FRANCIS PHILIBERT

 

Demandeur

c.

GUILLAUME GIARD

Défendeur et demandeur en garantie

-et-

CLUB SOCCER FOOTBALL REPENTIGNY INC.

Défenderesse en garantie

 

 

 

JUGEMENT

 

 

[1]                Le demandeur, Francis Philibert, réclame du défendeur, Guillaume Giard, la somme de 30 000 $ à titre de dommages-intérêts pour la blessure subie à l'épaule lors d'un match de soccer, soit une luxation de l'épaule avec atteinte du nerf axillaire.

[2]                À l'audience, le demandeur Philibert réduit sa réclamation à 13 000 $, somme admise par toutes les parties comme étant le quantum des dommages subis si la responsabilité du défendeur Giard et, le cas échéant, de la défenderesse en garantie, le Club Soccer Football Repentigny inc. (ci-après le Club), devait être retenue.

[3]                Le défendeur Giard nie toute responsabilité.  Il plaide en substance qu'il n'a commis aucune faute civile; en particulier, il n’a posé à l'égard du demandeur Philibert aucun geste dont la force pourrait être qualifiée d'excessive ou d’inutile.

[4]                Il appelle par ailleurs en garantie le Club, sous lequel le match amical a été organisé et au cours duquel l'accident s'est produit.  Ayant édicté les règles de comportement sportif et l'ayant formé en fonction de ces règles, le défendeur Giard demande à ce que le Club en supporte l'entière responsabilité et assume en conséquence toute indemnisation accordée au demandeur Philibert.

[5]                De son côté, en tant qu’appelé en garantie, le Club nie également toute responsabilité.  Il plaide en substance :

« (a)     l'incident fait clairement partie des risques normaux du soccer, risques qu'à la fois, le demandeur principal et le demandeur en garantie connaissaient et acceptaient;

   (b)     la défenderesse en garantie n'était pas le commettant du demandeur en garantie;

   (c)     rien dans le comportement des parties, jusque là, rendait prévisible ou probable la commission d'un geste répréhensible, à supposer que le geste reproché en eut constitué un;

   (d)     le demandeur principal lui-même ne voyait aucune raison de faire une plainte au sujet de l'incident; »

Les questions en litige

[6]    Le présent litige soulève en substance les questions suivantes :

·                    Le défendeur Giard a-t-il commis une faute devant entraîner sa responsabilité et, dans sa foulée, la condamnation à payer au demandeur Philibert le quantum admis? Quelle est la norme applicable en matière de responsabilité sportive?

·                    Le cas échéant, le Club doit-il indemniser le défendeur Giard? Quelle responsabilité doit-il assumer au regard de l'incident du 17 avril 2004?

Les faits

[7]                Le 17 avril 2004, le Club parraine un match amical de soccer à l'intérieur de la « Polyvalente Jean-Baptiste Meilleur ».

[8]                Deux équipes s'affrontent.  C'est leur première partie l'une contre l'autre. La première est composée de joueurs de moins de 18 ans.  L'entraîneur est monsieur Proulx. Il est assisté du demandeur Philibert, un enseignant en éducation physique.  Il est âgé de quelque 25 ans à l’époque. Cela fait déjà presque dix années qu'il est entraîneur bénévole de soccer.

[9]                La deuxième équipe est composée de joueurs de plus de 18 ans; ils sont qualifiés de « seniors ».  L'entraîneur est monsieur Soumis, un bénévole qui a une longue expérience de bénévolat au sein du Club, plus d'une quinzaine d'années.  Il est aussi responsable des arbitres depuis deux ans lors de l’incident en 2004. C'est sa première année comme entraîneur de l'équipe des « seniors ».

[10]            Au moment de l’accident, la majorité des joueurs sont regroupés non loin du but de l'équipe des moins de 18 ans.  Le demandeur Philibert y est également avec, à ses côtés, le défendeur Giard. Ce dernier a pour mission évidente de s'accaparer du ballon et de marquer un point. De son côté, Philibert doit le couvrir pour l’empêcher de marquer. Pour le parer, il place ses bras de façon à nuire à Giard, et le « tapote » sur les bras pour le distraire, mieux encore, l'ennuyer dans son action.

[11]            Puis, vient le moment où le joueur en possession du ballon se met en mouvement. Les joueurs entrent dans l’action, y compris le tandem Philibert-Giard. Le défendeur Giard veut contourner sur sa gauche le demandeur Philibert qui s'active avec ses bras pour parer le ballon.  Tous deux sont en mouvement.  Philibert doit pivoter sur lui-même.

[12]            Dans le feu de l'action, les événements se précipitent.  Giard glisse sa main gauche sur le bras droit de Philibert qui sent à un moment donné que son poignet est encerclé par la main de Giard et, en l'espace de quelques secondes, une douleur intense brûle son épaule, une cavité visible à l'œil pare cette dernière.  Philibert crie sa douleur en lançant « un sacre », ce qui ne manque pas d'attirer l'attention des joueurs de son équipe, notamment.  La partie est arrêtée.

[13]            La glace ne réussit pas à calmer la douleur, le demandeur Philibert est emmené en ambulance à l'hôpital.  Une luxation de l'épaule y est constatée avec atteinte du nerf axillaire.  Pendant quelque deux mois, il est en arrêt de travail, son bras est en quelque sorte paralysé.  Il ignore pendant tout ce temps s'il recouvrira l'utilisation de son bras et ce, sans séquelle permanente.

[14]            Le défendeur Giard témoigne de sa perception des événements.  Elle diffère somme toute assez peu de celle de Philibert. Sa position stratégique auprès de ce dernier  lors de l’incident varie certes mais plus encore, il soutient que ce dernier lui retenait (agrippait) alors le gilet. Un tel geste est une faute légère susceptible d'un carton jaune si elle est repérée par l'arbitre.  Il admet lui avoir pris le poignet mais pour se dégager de la prise de son gilet. 

[15]            De son côté, Philibert nie formellement avoir agrippé le gilet de Giard.  Si tel avait été le cas, sa pression vers le bas de son gilet aurait eu un effet contraire sur sa propre pression sur son poignet, soutient-il.

[16]            La fin de semaine suivante, une autre rencontre amicale est organisée.  Philibert y rencontre Giard.  Il l'interpelle.  Il l'informe qu'il a l'épaule « déboîtée ».  Giard lui aurait alors répondu : « Je m'excuse. »

[17]            L'entraîneur de l'équipe des plus de 18 ans, monsieur Soumis, témoigne à son tour. Il connaît le défendeur Giard depuis quelque six années.  Il le présente comme « un joueur très intensif ».  Il lui donne des rôles de contrôle de joueurs de l'équipe adverse.  Il sait suivre un joueur.  Il n'a pas peur d'aller chercher le ballon. À son avis, les actes de violence au soccer sont très rares et, qui plus est, sévèrement sanctionnés.  Les contacts sont permis, tolérés, mais pas de coups de pieds.  La consigne semble être la suivante : faire perdre patience à l’autre joueur, sans aucun contact.  Il admet que la prise du gilet d’un joueur adverse est chose courante mais sanctionnée par l’arbitre si constatée. Aux questions posées à cet égard, il répond sans hésitation : « On le conseille parfois, on risque le carton jaune mais jamais retenir le poignet. »

[18]            Personnellement, il n'a rien vu de l'incident.  Il en a été informé par la suite par l'entraîneur de l'autre équipe, monsieur Proulx.  Ils étaient d'accords pour que la partie se tienne sans arbitrage.  En cas de problème, il avait été convenu que la partie devait être arrêtée.

Le droit applicable

[19]            Les articles 1457 et 1477 du Code civil (C.c.) énoncent les principales règles de droit applicables en l’instance :

   Art. 1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

   Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.

   Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.

   Art. 1477. L'acceptation de risques par la victime, même si elle peut, eu égard aux circonstances, être considérée comme une imprudence, n'emporte pas renonciation à son recours contre l'auteur du préjudice. »

[20]            De même, il importe de mettre en exergue certaines des Lois du Jeu 2003 telles que prescrites pour la Fédération internationale de Football Association (FIFA), reconnues par l'Association canadienne de soccer et comme tel, appliquées par les équipes de soccer impliquées en l’instance.

[21]            La Loi 12du recueil des règles applicables à une partie de soccer édictent les sanctions possibles pour un joueur fautif :

« Fautes passibles d'avertissement

Un joueur se voit infliger un avertissement (carton jaune) quand il commet l'une des sept fautes suivantes :

1.          il se rend coupable d'un comportement antisportif

2.          il manifeste sa désapprobation en paroles ou en actes

3.          il enfreint avec persistance les Lois du Jeu

4.          il retarde la reprise du jeu

5.          il ne respecte pas la distance requise lors de l'exécution d'un coup de pied de coin ou d'un coup franc

6.          il pénètre ou revient sur le terrain de jeu sans l'autorisation préalable de l'arbitre

7.          il quitte délibérément le terrain de jeu sans l'autorisation préalable de l'arbitre

Fautes passibles d'exclusion

Un joueur est exclu du terrain de jeu (carton rouge) quand il commet l'une des sept fautes suivantes :

1.          il se rend coupable d'une faute grossière

2.          il se rend coupable d'un acte de brutalité

3.          il crache sur un adversaire ou sur toute autre personne

4.          il empêche l'équipe adverse de marquer un but, ou annihile une occasion de but manifeste, en touchant délibérément le ballon de la main (ceci ne s'applique pas au gardien de but dans sa propre surface de réparation).

5.          il anéantit une occasion de but manifeste d'un adversaire se dirigeant vers son but en commettant une faute passible d'un coup franc ou d'un coup de pied de réparation

6.          il tient des propos ou fait de gestes blessants, injurieux et/ou grossiers

7.          il reçoit un second avertissement au cours du même match »

[22]            De même, aux pages 65 et 66 de la compilation des Lois du Jeu 2003, des « instructions supplémentaires sont édictées à l'endroit des « arbitres, des arbitres assistants et quatrièmes officiels » :

« Le football [soccer] est un sport de compétition, dont le contact physique entre joueurs représente un aspect normal et acceptable. Ce faisant, les joueurs doivent toutefois respecter les Lois du Jeu et les principes du Fair-play.

Se rendre coupable d'une faute grossière ou d'un acte de brutalité sont deux fautes passibles d'exclusion dans la Loi 12 compte tenu du niveau inacceptable d'agression physique.

Faute grossière

Un joueur se rend coupable d'une faute grossière s'il agit avec force excessive ou brutalité envers un adversaire au moment où ils disputent le ballon, quand il est en jeu. Tout joueur qui assène un coup à un adversaire au moment où ils disputent le ballon, de devant, de côté ou de derrière, avec l'une ou les deux jambes, avec une force excessive, menaçant la sécurité d'un adversaire, se rend coupable d'une faute grossière.

Acte de brutalité

Un acte de brutalité peut se produire sur le terrain de jeu ou à l'extérieur de ses limites, que le ballon soit en jeu ou non. Un joueur est coupable d'un acte de brutalité s'il agit avec force excessive ou brutalité envers un adversaire alors qu'ils ne disputent pas le ballon.

Il se rend également coupable d'un acte de brutalité s'il agit avec force excessive ou brutalité envers un coéquipier ou toute autre personne.

Tenir un adversaire

Il est couramment reproché aux arbitres de ne pas identifier et sanctionner correctement le fait de tenir un adversaire. Ne pas sanctionner adéquatement le fait de tirer le maillot ou de tenir par le bras peut donner lieu à des situations conflictuelles et c'est pourquoi, il est instamment recommandé aux arbitres d'intervenir rapidement et avec fermeté conformément à la Loi 12.

Normalement, cette faute est simplement sanctionnée par un coup franc ou un coup de pied de réparation et dans certaines circonstances, une sanction supplémentaire s'impose, à savoir:

·                     un avertissement pour comportement antisportif est requis si un joueur tient un adversaire pour l'empêcher de prendre possession du ballon ou de se placer dans une position avantageuse.

·                     un joueur doit être exclu s'il annihile une occasion de but manifeste en tenant un adversaire.

[Le soulignement est du Tribunal]

L'analyse

[23]            Comme pour tout recours en responsabilité civile, le demandeur a le fardeau de prouver une faute suivant les règles de la prépondérance de la preuve (art. 1457, 2803 et 2804 C.c.).

[24]            Le quantum des dommages étant admis, les points en litige portent sur la responsabilité invoquée contre le défendeur Giard et, dans sa foulée, contre le Club, l'organisation sous laquelle la partie de soccer a pris place le 17 avril 2004.

[25]            Chercher la faute consiste à se demander si une personne raisonnablement prudente et diligente aurait pu prévoir ou éviter l'événement qui a causé le dommage.  La prévisibilité du préjudice n'a pas à être absolue, mais simplement relative ou raisonnable.

[26]            La responsabilité civile ne se base pas uniquement sur une faute volontaire, consciente et délibérée mais peut aussi résulter d'un acte de simple négligence[1].

[27]            S'agissant en l'instance d'un accident survenu dans la pratique d'une activité sportive, non violente, dans un contexte dit amical par opposition au contexte professionnel, la responsabilité recherchée se doit d'être nuancée.  Chaque cas est d'espèce, convient-il de le répéter, en matière de responsabilité civile.

[28]            En l’instance, les enseignements de l'auteure Renée Joyal-Poupart d'avant la réforme du Code civil de 1994 demeurent néanmoins d'actualité :

« Quant à la responsabilité civile des sportifs eux-mêmes, elle est largement tempérée par les notions d'acceptation des risques et d'observance des règles du jeu.  Mutatis mutandis, tout s'y passe en effet comme dans le cadre de la responsabilité pénale. Chaque participant est réputé accepter les risques découlant de la pratique normale du sport considéré, i.e., d'une pratique conforme aux règles du jeu, celles-ci incluant en principe le respect des normes générales du «fair play». Seuls une maladresse caractérisée ou un comportement nettement dérogatoire aux règles du jeu pourront servir de fondement à un recours en responsabilité civile contre un sportif. »

[Le soulignement est du Tribunal]

[29]            Pratiquer un sport comporte des risques certes, que la personne concernée doit accepter, c'est la théorie de l'acceptation des risques codifiés à l'article 1477 C.c.  Cependant, comme l'a énoncé la juge Tourigny dans l'arrêt Canuel c. Sauvageau : « La pratique du sport n'est pas une bénédiction préalable de tous les débordements. »[2]

[30]            Les auteurs Baudouin et Deslauriers rappellent les conditions de l'acceptation des risques dans le cadre d'une activité sportive :

« 610 - Théorie de l'acceptation des risques - Lorsqu'une personne s'engage en toute connaissance de cause dans une activité qui comporte certaines dangers ou certains risques, peut-elle encore se plaindre si elle subit un préjudice découlant précisément de la réalisation de ceux-ci? Dans ce cas, la jurisprudence québécoise, […] ou bien refusent tout recours à la victime, ou bien, lui attribuant une part contributoire dans la réalisation du dommage, coupent d'autant sa réclamation.  Pour ce faire cependant, il faut, d'abord, que la victime ait pu avoir connaissance du danger ou du risque.  Cette connaissance peut être expresse. Elle peut aussi être implicite lorsqu'on peut présumer qu'un individu normal aurait eu conscience du danger avant l'exercice de l'activité. Il faut ensuite que la victime ait accepté le risque en question, par exemple par une participation volontaire à l'activité. Cette acceptation doit naturellement résulter d'un consentement libre et éclairé. La victime doit donc avoir bénéficié d'une information suffisante pour lui permettre de réaliser les conséquences possibles de sa conduite et de sa participation à l'activité. Il est nécessaire, enfin, que le dommage subi par elle ait été la conséquence de la réalisation du risque prévu et non pas d'un risque non prévu ou d'une aggravation de celui-ci. »[3]

[31]            En l'instance, il est manifeste que tant Philibert que Giard connaissaient les risques inhérents à la pratique du soccer.  Les contacts sont interdits mais parfois inévitables; des accidents jusqu'à une certaine mesure sont dans l'ordre des « choses prévisibles ».

[32]            Ainsi, il a été déjà décidé qu'un joueur de soccer qui manque son « tacle[4] » n'est pas responsable des blessures subies par l'autre joueur, car il s'agit d'un risque inhérent à la pratique de ce sport  Ainsi s’exprime le juge Viens de la Cour supérieure : « […] Le tacle fait partie du jeu et cela est enseigné aux jeunes joueurs.  On leur enseigne de toucher le ballon, pas le joueur, mais encore une fois, c'est une manœuvre qui ne réussit pas toujours.» [5] 

[33]            Aussi, dans la même optique, le joueur qui heurte accidentellement un autre joueur et le blesse lorsqu'il effectue par ailleurs une manœuvre respectueuse des règles du jeu, un coup de tête au ballon par exemple, ne devrait pas, règle générale, être tenu responsable des blessures subies par le joueur victime.

[34]            Avec égards toutefois, il en est autrement pour la prise du poignet du joueur adversaire avec le risque inhérent de le blesser dans des circonstances comme en l'espèce.  Il ne s'agit pas d'un risque accepté et encore moins acceptable dans la pratique du sport appelé « soccer », qui plus est, dans un contexte « amical ».

[35]            Le défendeur Giard a été présenté par son entraîneur Soumis comme un joueur intensif, voire agressif, lorsqu'il a le mandat de couvrir un joueur adverse ou d'aller chercher le ballon; c'est en somme le joueur de la situation.  Fort bien, encore faut-il cependant que le « fair play » demeure l'essence même de la pratique de ce sport comme de tout autre sport.

[36]            Le Tribunal ne doute pas un seul instant que le défendeur Giard, qui a admis son geste, était de bonne foi et qu'il n'avait aucune intention vicieuse à l'égard du demandeur Philibert.  Encore faut-il rappeler que la responsabilité civile peut être recherchée contre l'auteur d'un acte de simple négligence!

[37]            Le défendeur Giard, en retenant le demandeur Philibert par le poignet, ce qui a eu pour effet immédiat et prévisible dans le feu de l'action de blesser ce dernier, a eu un comportement dérogatoire aux règles du jeu qui doit être sanctionné au regard de la responsabilité civile (art. 1457 C.c.).

[38]            Avec égards, lors d'événement sportif comme en l'espèce, le Tribunal croit devoir poser l'ultime question : quel message convient-il de laisser aux personnes jeunes et moins jeunes, qui pratiquent un sport dans un contexte d'une partie amicale?

[39]            Le respect des règles du jeu et du « fair play » sont certes, en tout temps, de mise. Mais plus encore, une faute est susceptible non seulement d’une sanction disciplinaire selon les règles propres au sport pratiqué mais aussi d'une sanction civile lorsqu'il s'agit d'une maladresse caractérisée ou d'un comportement dérogatoire.

[40]            Le défendeur Giard a témoigné à l'effet que le demandeur Philibert lui retenait le gilet et qu'il a ainsi tenté de s'en dégager; ce que ce dernier a nié formellement.  Que faire dans de telles circonstances?  La réponse offerte par son entraîneur, monsieur Soumis, apparaît des plus appropriées : s'en défaire certes, mais jamais en posant un geste dérogatoire comme celui de prendre le poignet de l’autre joueur.

[41]            En conclusion sur l’action principale, la responsabilité civile du défendeur Giard doit être retenue, il s'ensuit qu'il doit compenser le demandeur Philibert pour le préjudice subi, soit à la somme de 13 000 $, quantum admis par les parties.

[42]            Advenant sa condamnation, le défendeur Giard demande à ce que le Club en assume la responsabilité ultime.  Il revient à ce dernier, énonce-t-il au paragraphe 10 de son plaidoyer « qui a édicté les règles de comportement sportif et qui a formé le défendeur en fonction de ces règles de comportement, de supporter l'entière responsabilité et assumer le coût de toute condamnation […] ».

[43]            L'incident est survenu dans le contexte d'une partie amicale entre deux équipes de soccer sous la surveillance d'entraîneurs expérimentés, monsieur Soumis au premier chef. 

[44]            Il est bien admis par les tribunaux que l'organisateur d'une activité sportive amicale, comme en l'instance, assume une responsabilité moins lourde que l'organisateur d'une activité sportive structurée où les participants paient et auxquels il fournit l'équipement[6].

[45]            La preuve soumise ne démontre pas une insouciance caractérisée, une faute commise dans les enseignements donnés aux joueurs, comme le défendeur Giard en particulier.  La tolérance certaine au regard du « tirage du gilet », cela arrive dans toutes les parties, ne permet pas de conclure que le Club acceptait ou tolérait les gestes de la nature de celui posé par le défendeur Giard.  Au contraire, les enseignements de l'entraîneur Soumis et principal artisan de la pratique du soccer au Club sont tout à fait à l'opposé du geste reproché.

[46]            Le défendeur Giard reproche au Club son incurie au regard de la sanction disciplinaire du joueur Giard. Convient-il ici de souligner que les deux équipes avaient accepté de jouer sans arbitre. Dans un tel contexte, il apparaît fort difficile de demander au Club de sanctionner un geste susceptible d'un carton rouge sans le constat effectué par un arbitre.

[47]            Avec égards, le Tribunal considère qu'aucune faute susceptible d'une sanction civile ne peut être retenue contre le Club dans les circonstances de la présente instance.  Ce dernier avait une obligation de moyens et non de résultat.  Il ne pouvait prévoir qu'un joueur commettra un geste dérogatoire aux règles habituelles du jeu et du « fair play ».

[48]            Dans l'hypothèse même où le Club peut être reproché pour une insouciance certaine au regard du respect des Lois du jeu, règles de conduite admises par tous les intéressés, encore là, il ne s'agirait pas d'une faute génératrice de responsabilité civile.

[49]            Par ces motifs, le Tribunal :

[50]            ACCUEILLE pour partie la demande du demandeur;

[51]            CONDAMNE le défendeur et demandeur en garantie à payer au demandeur la somme de 13 000 $ avec intérêt au taux légal ainsi que l'indemnité additionnelle depuis l'assignation, avec dépens, y compris les frais d'expertise;

[52]            REJETTE la demande du défendeur et demandeur en garantie contre le défendeur en garantie, avec dépens.

 

 

 

__________________________________

Pierre E. Audet,

Juge à la Cour du Québec

 

Me Michel Lachance

Procureur du demandeur

 

Me E. Guilbeault

GILBERT SIMARD

Procureur du défendeur et demandeur en garantie

 

Me A. Melançon

MARCHAND MÉLANÇON

Procureur du défendeur en garantie

 

Date d’audience :

10 janvier 2006

 



[1]    R. JOYAL-POUPART, Les sports et le droit : « Tour d'horizon et commentaires », [1982] C. de D. 478, p. 479

 

[2]    EYB 1991-57598 (C.A.)

[3]    J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, La responsabilité civile, 6e éd., Éd. Y. Blais, 2003, paragr. 610

[4]    Le « tacle » est ainsi défini : « Action de s'emparer du ballon des pieds de son adversaire en bloquant le ballon avec le pied ou en effectuant une glissade avec un ou deux pieds en avant » : Dictionnaire : http://atilf.atilf.fr

[5]    Mohand c. Lajeunesse, [2002] R.R.A. 88 (C.S.) par. 21

[6]    Diamond c. Riopel, B.E. 2000BE-988 (C.S.); Dionne c. Centre récréatif St-Jean Baptiste, [1982] C.S. 621 (C.S.) et Bahl c. Lemoyne, [1981] AZ-81021051 (C.S.)

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